Michaël Séguin Forum québécois théologie et solidarité Démarche

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Michaël Séguin Forum québécois théologie et solidarité Démarche
Michaël Séguin
Forum québécois théologie et solidarité
Démarche individuelle de préparation
1.
Engagements sociaux et expérience spirituelle
Ma vie gravite autour de cinq engagements sociaux. Mon premier, c’est d’être étudiant à
la maîtrise en sciences des religions à l’Université de Montréal avec tout ce que cela implique de
responsabilité de « savoir » et de devoir partager ses connaissances plutôt que de les utiliser pour
opprimer les autres et gagner plus de pouvoir.
Mon second engagement est d’être famille d’accueil avec mon ex-copine d’un chiot Mira
(Marvine). Cet engagement est hautement social non seulement parce que je dois « sociabiliser »
le chien pendant un an avant de le retourner chez Mira, mais surtout parce qu’il m’apprend à
élever cette petite bête dans l’amour et le détachement dans le but éventuel de conduire une
personne aveugle.
Mon troisième engagement est d’être membre du conseil d’administration de la Maison
d’Aurore, un centre communautaire du Plateau Mont-Royal. Ce bénévolat m’amène à faire la
jonction entre ma compréhension des enjeux économico-politiques du Québec actuel et la réalité
assez différente de la mienne des femmes et des hommes qui viennent à Aurore pour des cuisines
collectives, remplir des formulaires, aider des enfants à faire leurs devoirs, etc. À Aurore, j’essaie
de développer mon humilité, de sortir de mon arrogance intellectuelle qui trouve réponse à tout.
Mon quatrième engagement est le groupe de dialogue intervionnel (juifs, chrétiens,
musulmans et agnostiques) auquel je participe. Ce groupe avec lequel je suis allé à Jérusalem en
juin dernier m’aide beaucoup à comprendre de l’intérieur la diversité du Québec d’aujourd’hui et
la difficulté de sortir de ses préjugés pour comprendre l’autre dans sa culture.
Enfin, mon dernier engagement d’importance m’apparaît être mon « membership » du
CETECQ, que ce soit à la direction élargie ou comme participant à la recherche de Michel
Beaudin et Jean-Marc Gauthier sur le néolibéralisme et la violence politico-militaire comme
« salut » sacrificiel. Cet engagement m’aide à comprendre les enjeux du monde dans lequel je vis
et à les relire avec foi (ou souvent avec désespoir !).
L’expérience spirituelle que je vis au cœur de ces engagements en est surtout une
d’interdépendance. Comme le dit Kafka : « Loin, loin de toi se déroule l’histoire mondiale,
l’histoire mondiale de ton âme1. » Tout ce qui touche à l’humanité touche à ma spiritualité. En
fait, la spiritualité est pour moi une expérience de conscience et de lucidité, c’est l’éveil au Dieu
présent en tout. Si ce que je vis fait jaillir un feu en moi, un appel d’amour (agapè, parfois même
éros au sens large, attirance profonde), je suis dans le spirituel. Mes engagements, en ce sens,
m’appellent à encore plus de don de moi-même et à un souci sans cesse à renouveler de la place
des exclus et des dominés, particulièrement via l’impérialisme intellectuel de systèmes
idéologiques comme « le choc des cultures », le développement économique, l’évolutionnisme et
toutes les variantes de la pensée paternaliste et civilisatrice. Ma vie dépend de celle des autres,
chaque gestion est une naissance ou une mort ? Combien de personnes je tue en décrochant le
« pistolet » à la station service, en prenant un café, en achetant « made in China » ? Combien de
personnes je fais vivre en parlant de la beauté du monde, du feu mystique en moi, du bonheur de
l’humilité et de la simplicité ? Tout ça, c’est tellement spirituel !
1
Marthe Robert, Kafka, Paris : Gallimard, 1960, p. 154
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2.
2
Situation sociale dans laquelle je suis engagé et regard sur le Québec
Cette situation est difficile. Je trouve difficile d’évoluer dans un monde où la façade cache
une volonté de pouvoir dérangeante. La situation dans laquelle j’évolue en est une d’hypercompétitivité à peine voilée : graduellement, l’étau néolibéral est en train de se refermer tout
autant sur l’université que sur les organismes communautaires. En apparence, les gens semblent
s’entendre, une fois chez eux, ils sont prêts à tout pour obtenir une subvention, une préséance,
une faveur. Est-il possible de jouer le jeu du système sans y laisser son âme ? L’université est-il
un endroit où l’on réfléchit et pensant un monde différent ou l’endroit où l’on tue les utopies à
force de charger les gens, et particulièrement les profs, de fardeaux administratifs, médiatiques,
académiques et structurels toujours plus lourds afin de s’assurer qu’ils ne réfléchissent pas, ne
changent pas le système ?
En bref, notre monde occidental me semble en être un qui cherche à uniformiser, comme
un rouleau compresseur, toutes les sphères sociales, à tout transformer en marchandise (le
bonheur, le génome, la pollution, la propriété, l’amour, les relations, le futur !). C’est un monde
qui refuse l’altérité, quelle soit culturelle ou religieuse, il individualise et fragmente pour mieux
manipuler les gens à partir de leur ignorance. C’est une société malade, où le conformisme
apparaît la voie du bonheur, une société qui prône un hédonisme qui se fait ascèse tellement les
standards à atteindre son impossible (être riche, posséder une maison, un chalet, deux autos, avoir
une famille et des amis, avoir un bon travail, être sexuellement performant, être le meilleur en
tout, être heureux). Le peuple québécois est un somnambule, les gens vont là où on leur dit
d’aller (sans même s’en rendre compte). Il est quelques gens qui se sont réveillés, ou qui comme
moi tentent de se réveiller… Le défi est de sortir du sommeil parce que la maison (train), elle, est
en train de brûler et pendant que nous dormons au deuxième étage, les 2/3 de l’humanité
s’asphyxient au sous-sol…
3.
Le contexte et ma foi
Tant bien que mal, j’essaie de me réveiller. Je ne peux pas changer le monde, mais je puis
sortir de mon somnambulisme. Une fois éveillé, je peux faire du bruit, et par eux-mêmes, d’autres
se réveilleront. Dieu passe son temps, me semble-t-il, à jouer de la cymbale pour nous réveiller, il
est même souvent un Dieu « heavy metal », mais nous sommes si bien endormis, prémunis et
vaccinés contre les prophètes de toutes sortes ! Donc, j’essaie de me réveiller et de là, je tente
d’ouvrir grand les yeux pour discerner les traces de la présence de Dieu. Ces clins d’œil, et
souvent ces « gifles » divines, m’appellent à agir, à ouvrir encore plus les yeux. Ces appels ne
sont jamais coulés dans le ciment, ils changent ; c’est pourquoi la prière est si importante pour
que mes actions soient toujours lucides et à la mesure du désir de Dieu. L’action en soi n’est rien
et les bonnes intentions ne suffisent pas : ce qui compte, c’est de voir les fruits qui jaillissent et de
les accueillir avec humilité et grande attention. Si ce sont des chardons qui poussent, il faut être
prêt à tout remettre en question.
4.
Le Québec dont je rêve
Je rêve d’un Québec qui puisse regarder tous les humains comme des égaux, qui cesse de
se « petter » les bretelles avec le succès de son développement économique et de vouloir « aider »
les autres (particulièrement via la coopération internationale) comme s’ils étaient des « êtres
inférieurs » qui ont besoin de sauveurs. Je souhaite un Québec de la conscience où chacun puisse
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réaliser la portée de ses actions sur son prochain, sur son environnement, sur sa communauté. Un
Québec où les humains sont des sujets et non des choses, les animaux et les plantes les codépositaires d’une même planète. Je souhaite un Québec qui puisse être pluriel et profondément
spirituel, c’est-à-dire marqué par les grandes sagesses de ce monde. Je rêve un Québec qui sorte
de la victimisation linguistique et culturelle pour assumer son histoire et reconnaître tout le tort
qu’il a causé aux premières nations. Je rêve d’un Québec où nous pourrons rendre aux peuples
autochtones tous leurs territoires occupés et volés, ou à tout le moins vivre avec eux dans la
reconnaissance mutuelle. Je suis probablement très utopiste, mais je rêve que tout le monde ait sa
place sous le soleil, que tous soient égaux aux yeux des humains comme ils le sont sous le regard
de Dieu.
5.
Des pratiques pour bâtir l’autre Québec possible
L’important est moins dans les pratiques, pour moi, que dans la façon d’appréhender le
réel. Tout est dans la spiritualité comme éveil de la conscience. Un esprit éveillé saura alors
comment agir et pour le reste, Deus providebit. Dans la conscience, chacun trouve sa place et
chaque lutte est menée en solidarité avec les autres et non en rivalité comme c’est si souvent le
cas aujourd’hui (les femmes, les gais, les immigrants, les handicapés, toutes ces luttes sont
menées de façons indépendantes, souvent antagonistes, et non dans la véritable solidarité… les
gens ne sont que partiellement réveillés !).
6.
Le nom d’une théologie contextuelle québécoise
Je vois trois titres possibles : théologie de la conscience, théologie de l’éveil et théologie
de l’interdépendance. En fait, c’est une théologie où se joue l’histoire mondiale de mon âme.
Michaël Séguin
Le 20 octobre 2006
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