Nuages flottants de Mikio Naruse, Rencontre avec Max Tessier

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Nuages flottants de Mikio Naruse, Rencontre avec Max Tessier
Nuages flottants de Mikio Naruse,
Rencontre avec Max Tessier.
Compte rendu de la soirée du vendredi 23 mars 2001,
« Courte est la vie d’une fleur parsemée de multiples malheurs » (Nuages flottants)
Vendredi 23 mars 2001, lors d’une soirée qui fut l’un des points forts de cette quinzaine
consacrée au cinéma asiatique, les cinémas Studio de Tours ont eu la chance d’accueillir
Max Tessier, éminent spécialiste du cinéma japonais. En effet, outre le cinéma sud-coréen,
cette deuxième édition était aussi dédiée au cinéma japonais avec des œuvres peu diffusées
en France pour la grande majorité d’entre eux.
Max Tessier, auteur d’articles dans « Positif », « La Revue du Cinéma », a écrit d’importants
ouvrages concernant l’œuvre cinématographique japonaise. Après la projection de Nuages
flottants un grand mélodrame situé dans l’après-guerre et réalisé par Mikio Naruse, il a
témoigné de la richesse d’un cinéma dont en Occident, nous ne percevons pas encore toute
l’ampleur, semble-t-il. En effet, il nous a rappelé que ce cinéma a connu deux périodes
fastes, très productives et pas seulement quantitativement. La première est celle du cinéma
muet, qui a connu un âge d’or comparable à la fois par sa qualité et par son ampleur à celui
de la production occidentale. Un répertoire peu connu, hélas, en partie perdu. La
renaissance du 7ème Art dans les années cinquante a vu l’apparition de grandes majors de
production à l’image de Hollywood. Une période qui sera encensée par ceux-là mêmes qui la
critiquaient hier, c’est-à-dire les cinéastes de la Nouvelle Vague japonaise avec parmi eux,
Oshima. Max Tessier évalue à environ 120 les films distribués de cette époque. Or, la
production si florissante vers 1950 pouvait s’élever à 500 films produits en une seule année !
Un fond merveilleux qui laisse entrevoir de véritables plaisirs de cinéphiles en perspective…
car si ces grandes maisons ne produisent plus de nos jours, elle perpétuent la distribution de
ce patrimoine précieux.
Nuages flottants témoigne de cette richesse esthétique. Naruse situe le très beau portrait de
Yukiko, « une femme féministe avant la lettre », dans le Japon d’après-guerre, encore très
machiste où la femme est soumise. « Dans les années soixante, par exemple chez Imamura,
il y aura des femmes plus libérées qui prendront le contrôle de la situation par rapport à des
hommes faibles, (…) des femmes un peu plus conscientes de leur propre destin ». Ce
véritable « mélodrame sublimé dans l’âge d’or japonais des années cinquante, réunissant
des talents extraordinaires, avec Hideko Takamine et Masayuki Mori (…), est admirablement
filmé, avec les qualités du cinéma de cette époque, pour la photo, les décors, la splendeur
du noir et blanc, … Ozu lui avait fait un superbe compliment et le film avait reçu de multiples
récompenses ». Max Tessier attire notre attention sur la justesse dans la direction d’acteurs
pour laquelle Naruse était très réputé. Il ajoute que ce réalisateur se situe parmi les quatre
plus grands avec Mizoguchi, Kurosawa et Ozu.
Le public est sensible, voire étonné, par l’importance accordée aux gros plans et la qualité
du grain des images. « Chez Ozu et Mizoguchi, très peu de gros plans. Les plans sont
larges. Chez Kurosawa, influencé par le cinéma occidental dont John Ford, on en retrouve
beaucoup ». l’Histoire amène ses raisons : « Les films américains et européens étaient
interdits au Japon pendant la guerre sauf les films allemands. Après-guerre, ils ont été à
nouveau autorisés et tous ces réalisateurs japonais, tout d’un coup, ont eu accès à un autre
champ qui a pu les influencer sur ce point-là ». L’aspect très réaliste du mélo provient
certainement de l’influence du cinéma néo-réaliste européen et notamment italien avec De
Sica sur la réalisation asiatique.
Une spectatrice nous fait part de son impression de similitude entre les personnages du film
de M. Naruse avec ceux de Ozu dans Crépuscule à Tokyo, notamment sur le sentiment de
solitude. Ce rapprochement est fréquent nous renseigne M. Tessier. Mais « chez Ozu, il n’y
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a jamais d’histoire d’amour, ce sont plutôt des histoires familiales. Il se démarquait
complètement du mélodrame et pour lui, c’était même un défaut alors que Naruse jouait la
carte du mélodrame comme certains cinéastes américains. Les femmes ne sont pas
exubérantes comme les femmes françaises ou américaines. Ce personnage, Kikuko, a
quand même un caractère fort. Si elle éprouve un sentiment de solitude, c’est quand elle
s’aperçoit qu’elle ne peut pas partager le sentiment de cet homme, Kenkichi ». Naruse et
Mizoguchi dressent souvent des portraits pessimistes de femmes à l’inverse de Kurosawa, le
plus optimiste et aussi le plus occidentalisé des quatre grands cinéastes tout en étant un
remarquable connaisseur de sa culture et particulièrement du théâtre Nô.
Max Tessier lutte contre les clichés –forcément dramatique, long et lent, éloigné de toute
idéologie politique- que certains d’entre nous ont pu cultiver sur le cinéma japonais. Pour
s’opposer à ce dernier aspect évoqué, il nous cite le récent Eurêka de Shinji Aoyama. Et en
1960, Oshima, alors cinéaste de studio, a été parmi les premiers, plus ou moins contraint, à
devenir indépendant, du fait du caractère gauchiste de ses premiers films. « Il y a eu un
cinéma politique dans les années cinquante soutenu par les syndicats et les communistes »
auquel appartient aussi celui de Ogawa. « Il y a eu également un souci social chez
Mizoguchi ». quant aux autres clichés, celui de la durée n’est pas non plus pertinent, tant
selon le genre du film, la norme pouvait varier : ainsi, un film de Yakusa avait une durée
d’1h30 maximum. Un réalisateur réputé, lui, bénéficiait de liberté quant à la durée de son
œuvre. Et de citer Kinoshita, auteur de comédies satiriques, et la production inspirée de
Mangas, s’il est encore besoin de prouver que le 7ème Art du pays du soleil levant ne s’arrête
pas à nos clichés d’occidentaux partiellement ignorants ou connaisseurs –c’est selon- en la
matière !
La soirée fut très dense, à la mesure du cinéma japonais dont notre invité a su nous faire
partager l’immense richesse et son caractère universel avec une passion très
communicative.
Merci beaucoup à Max Tessier de nous avoir permis d’approfondir notre regard cinéphile sur
l’univers du 7ème Art japonais.
R.S.
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