conduite a tenir devant une gammapathie monoclonale
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conduite a tenir devant une gammapathie monoclonale
CONDUITE A TENIR DEVANT UNE GAMMAPATHIE MONOCLONALE (GM) Professeur Emmanuel Andrès, Service de Médecine Interne, Diabète et Maladies Métaboliques, Clinique Médicale B, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg OBJECTIFS Savoir explorer une anomalie des protéines Comprendre la signification d’une gammapathie monoclonale Savoir surveiller une gammapathie monoclonale DÉFINITIONS Une gammapathie monoclonale(GM) est définie par la présence dans le sérum et/ou les urines d’une immunoglobuline monoclonale (Ig) caractérisée par un seul type de chaîne lourde surtout IgG et IgM, plus rarement IgA voire IgD et IgE - et un seul type de chaîne légère (Kappa ou Lambda), parfois incomplète. La présence d’une GM témoigne de la prolifération d’un clone de plasmocytes producteur d’une Ig monoclonale. Elle peut être révélatrice d’une hémopathie maligne, mais le caractère monoclonal n’est pas synonyme de malignité. DÉCOUVERTE ET CARACTÉRISATION La découverte d’une GM se fait à l’aide d’une électrophorèse des protéines plasmatiques (EPP). Cet examen permet la détection des GM sous la forme d’une bande étroite migrant habituellement dans la région des gammaglobulines (fig.1), parfois dans la région des béta-globulines, ou exceptionnellement dans celle des α2-globulines. L’électrophorèse en gel d’agarose est la technique de référence. Une quantification est possible sur l’EPP. L’immunofixation (fig 1) permet de confirmer l’existence d’une Ig monoclonale et de la caractériser en d’affirmant le type de chaîne lourde (IgG, IgM… IgE) et de chaîne légère (Kappa ou Lambda). 1 Figure 1 : électrophorèse des protéines Le dosage pondéral des immunoglobulines permet une quantification plus précise, mais n’est pas indispensable en pratique de ville. La découverte d’une GM urinaire est possible à travers une électrophorèse des protides urinaires (EPU). De façon globale, 70 % des Ig monoclonales sont des IgG, 15 % des IgA et 15 % des IgM. Une gammapathie bi- voire tri-clonale peut être exceptionnellement rapportée, sans que cela préjuge de son étiologie. La chaîne légère est de type Kappa chez 60 % des sujets et de type Lambda chez 40 %. PRÉVALENCE ET ÉTIOLOGIES La découverte systématique d’une GM est une situation médicale fréquente : 1 % de la population générale. Sa prévalence est plus importante chez le sujet âgé, allant de 5% pour des patients âgés de plus de 70 ans à 15% chez les sujets de plus de 85 ans. Il convient d’insister sur le fait qu’il s’agit d’Ig monoclonale mise en évidence à l’EPP et/ou l’EPU, et non des « traces » de GM souvent détectées par immunofixation avec une EPP et/ou une EPU normales sans signification clinique ou, au mieux, indéterminée. Les étiologies des GM sont très variées mais peuvent être classées en 3 catégories : gammapathie monoclonale de signification indéterminée (GMSI), traduction de l’acronyme anglais MGUS (monoclonal gammopathy of undetermined significance), hémopathies malignes, essentiellement myélome multiple et macroglobulinémie de Waldenström, gammapathies associées à diverses pathologies « non lymphoïdes » (sous-entendu non malignes). 2 GAMMAPATHIE MONOCLONALE DE SIGNIFICATION INDÉTERMINÉE Une GM de signification indéterminée (GMSI) est définie comme une GM sans aucun signe clinique ou biologique de myélome, de maladie de Waldenström ou d’une autre hémopathie maligne. En fait en routine clinique, il s’agit d’un diagnostic d’exclusion. Le tableau I présente les critères utilisés pour définir une GMSI. Tableau 1 : critères des GM de signification indéterminée Les GMSI correspondent à la majorité des GM détectées en pratique de ville et à plus de 50 % des cas de GM rapportées dans les séries hospitalières issues de services spécialisés. Le terme souvent employé de GM « bénigne » est inapproprié. En effet, les GMSI sont considérées comme des états pré-néoplasiques, une partie d’entre-elles évoluant vers une hémopathie maligne. Le risque évolutif est « faible », estimé à 1% par année de suivi. Dans une grande série de GM suivies 20 ans, 25% des sujets porteurs d’une GMSI développeront une hémopathie maligne. HÉMOPATHIES MALIGNES La présence d’une Ig monoclonale est le témoin de la prolifération d’un clone lymphoplasmocytaire (lignée lymphocytaire B). En cas de monoclonalité, ce dernier peut correspondre à une prolifération maligne à type de myélome multiple, macroglobulinémie de Waldenström, leucémie lymphoïde chroniqueou lymphome malin non hodgkinien. Pour les GM à IgG et IgA, la principale hémopathie responsable est le myélome multiple. Il doit être recherché de principe notamment en présence d’une Ig monoclonale associée à une anémie, une insuffisance rénale, une hypercalcémie, une plasmocytose médullaire (>10%), un taux du composant monoclonal sérique ou urinaire élevé (par ex. IgG >70 g/L), et/ou des lésions osseuses (par ex. des lacunes). La distinction entre myélome multiple et GMSI est habituellement facile toutefois elle peut être délicate dans les situations intermédiaires correspondant à un myélome débutant. Pour les GM à IgM, le principal diagnostic est la maladie de Waldenström définie par l’association d’une GM Ig M >5 g/L et d’une infiltration lympho-plasmocytaire. GM ASSOCIÉES À DIVERSES PATHOLOGIES "NON LYMPHOÏDES" Diverses affections « non lymphoïdes » ont été associées à l’apparition de GM : infections, maladies auto-immunes, hépatopathies chroniques, déficits immunitaires. Elles sont le plus souvent à l’origine d’une augmentation polyclonale des Ig. 3 Toutes les infections virales (EBV, CMV, VIH), bactériennes (endocardite, ostéomyélite, tuberculose) ou parasitaires (leishmaniose, paludisme, toxoplasmose) peuvent être associées à une GM. Les infections aiguës sont habituellement responsables de GM transitoires ; les infections chroniques sont responsables de GM permanentes. Le virus de l’hépatite C est fréquemment associé à l’existence d’une GM pouvant avoir une activité de type cryoglobulinémie. Toutes les maladies auto-immunes (polyathrite rhumatoïde, Sjögren, LEAD…) peuvent être responsables de GM. Dans le syndrome de Sjögren, étiologie auto-immune la plus souvent en cause, une augmentation importante du taux du pic monoclonal doit faire évoquer de principe un syndrome lympho-prolifératif malin. Toutes les hépatopathies chroniques, quelle qu’en soit l’étiologie (auto-immune, virale [VHB, VHC], toxique…), peuvent s’accompagner d’une GM. Un déficit immunitaire, le plus fréquent étant le déficit immunitaire commun variable (DCIV), peut être paradoxalement responsable de l’apparition d’une gammapathie monoclonale. COMPLICATIONS DES GM Les Ig monoclonales peuvent entraîner des complications, relativement rares mais qu’il convient de connaître : l’amylose : liée à des dépôts de fragments des protéines monoclonales dans différents organes (reins, cœur, nerfs, foie…) pouvant être à l’origine d’une défaillance potentielle de ces organes : atteinte glomérulaire, insuffisance rénale, insuffisance cardiaque, mononévrite, syndrome du canal carpien…. le syndrome d’hyperviscosité plasmatique : lié le plus souvent à un taux élevé d’IgM au cours de la macroglobulinémie de Waldenström, il est responsable de troubles de la vision, de signes neurologiques par bas débit (céphalées, vertiges, somnolence, troubles de la vigilance) et de signes hémorragiques (épistaxis et hémorragies aux points de ponction). les cryoglobulinémies : ce sont des Ig sériques formant un précipité au froid. Le plus souvent asymptomatiques, elles peuvent entraîner des manifestations cutanées (purpura, phénomène de Raynaud, voire nécrose des extrémités), des polyarthralgies, des mono ou multinévrites, des néphropathies glomérulaires. 4 CONDUITE À TENIR DEVANT UNE GAMMAPATHIE MONOCLONALE La démarche consiste à éliminer en priorité une hémopathie maligne, en particulier un myélome multiple ou une autre hémopathie. Cependant, la monoclonalité n’est pas synonyme de malignité. Le contexte clinique et la surveillance du taux de l’Ig monoclonale à 3 et 6 mois puis par la suite au moins annuelle sur l’EPP sont les principaux éléments de surveillance. Diverses manifestations cliniques, biologiques ou radiologiques doivent faire évoquer un myélome multiple : amaigrissement, douleurs osseuses inflammatoires, fractures pathologiques anémie, hypercalcémie, insuffisance rénale lacunes à l’emporte-pièce, tassements ou d’un aspect d’ostéoporose D’autres manifestations orientent d’emblée vers une hémopathie : adénopathies, splénomégalie anomalies de la NFS : anémie, thrombopénie, lymphocytose excessive syndrome d’hyperviscosité 5 En l’absence d’hémopathie il convient de rechercher de principe des signes et/ou anomalies biologiques orientant vers d’autres affections : infections (fièvre, frissons, syndrome biologique inflammatoire…), maladies auto-immunes (arthralgies, syndrome sec, signes cutanés…), hépatopathies (ictère, cytolyse hépatique…) voire déficits immunitaires (infections atypiques ou récurrentes…). En l’absence de symptômes une surveillance clinique régulière (douleurs osseuses, palpation des aires ganglionnaires, du foie et de la rate) et biologique (numération formule, urée, créatinine, calcémie, EPP) est nécessaire à vie, au moins une fois par an, avec l’idée de ne pas passer à côté d’une hémopathie. La répétition de l’immunofixation n’est pas nécessaire. Le taux de l’Ig monoclonale (IgG > 15g/L par ex.) et la présence de symptômes et/ou de signes cliniques et biologiques, de signes radiologiques doivent alerter et renforcer la surveillance clinique et paraclinique. L’évaluation du risque individuel des patients reste néanmoins difficile. 6