Ces parents «amoureux» de leurs enfants.

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Ces parents «amoureux» de leurs enfants.
Ces parents «amoureux» de leurs enfants.
Les analystes et pédopsychiatres ont eu à cœur de bien analyser les différences nécessaires, parce que
structurantes ou non pour l'enfant, entre amour parental et amour amoureux.
Par Pascale Senk, lefigaro.fr du 20/09/2010
Ils les regardent avec des étoiles dans les yeux et les adulent. Qu'arrive-t-il donc à tous ces «gagas» de leur
progéniture?
Scène du quotidien qui peut étonner: dans un restaurant, une petite fille de sept-huit ans s'installe sur les genoux de
son père. Lui est en pleine conversation avec son épouse et sa mère, qui lui font face. Soudain, visiblement ennuyée
par le flot de paroles que s'échangent les adultes, l'enfant saisit la tête de son père, la tourne avec fermeté vers elle et
plonge son regard dans les yeux de l'homme. Ils échangent un bisou sur la bouche. «Que veux-tu mon amour?»,
demande l'adulte. La petite fille prend la main de son père et l'entraîne vers la sortie sans lui demander son avis.
Visiblement, elle veut lui montrer la vitrine d'un magasin à côté. Les deux femmes restent seules à table, avec l'air de
trouver tout cela très habituel.
Si cet épisode peut étonner, c'est parce qu'il révèle des liens parents/enfants plus que tendres, des échanges qui
seraient plutôt réservés aux amoureux, et une admiration presque incongrue de l'adulte à l'égard de la petite. Ce
même étonnement peut saisir celui qui se retrouve à devoir écouter un parent évoquant son enfant des étoiles plein
les yeux et avec un air béat qui laisse entendre que l'on a affaire là à la huitième merveille du monde. Depuis sa
naissance, la psychanalyse s'est largement interrogée sur le type d'amour qui unit les parents à leurs enfants. Elle a
ainsi mis à jour et conceptualisé les mécanismes œdipiens, «l'incestuel» dans la famille.
Elle a aussi largement expliqué qu'un enfant pouvait, symboliquement et de manière inconsciente, occuper la place
d'un autre membre de l'histoire familiale. Dans ce cas, il amène avec lui des projections qui feront qu'il sera vécu par
le parent comme quelqu'un d'autre. Ainsi lorsqu'il embrasse sa petite fille, le père cité ci-dessus «flirte» peut-être
inconsciemment avec une autre femme qui le hante depuis sa préhistoire affective.
Surtout, les analystes et pédopsychiatres ont eu à cœur de bien analyser les différences nécessaires, parce que
structurantes ou non pour l'enfant, entre amour parental et amour amoureux. Ainsi dans son Art d'aimer (Éd. Desclée
de Brouwer, 1956), le psychanalyste Erich Fromm a-t-il écrit: «L'essence même de l'amour maternel est de veiller à la
croissance de l'enfant, ce qui signifie vouloir que l'enfant se sépare. Ici réside la différence fondamentale avec l'amour
érotique. Dans ce dernier, deux personnes jusqu'alors séparées deviennent une. Par contre, dans l'amour maternel,
deux personnes n'en faisant qu'une jusqu'alors en arrivent à se séparer.»
Plus récemment, dans son puissant essai L'amour ne suffit pas (NiL Éditions, 2006), la psychanalyste Claude Halmos
reconnaissait recevoir de plus en plus souvent en consultation des parents en pleine confusion quant à la nature de
l'amour qui les lie à leur enfant: désir de possession, de prise de pouvoir… avant d'ajouter: «D'autres parents ne
peuvent aimer leur enfant que d'un amour érotisé, sexualisé, parce que c'est la seule forme d'amour qu'ils
connaissent. Soit parce que celui dont, enfant, ils ont été l'objet était de cette nature. Soit parce que, ayant vécu avec
leurs propres parents dans un désert de sentiments, ils n'ont découvert un semblant de tendresse que dans leur vie
sexuelle adulte.»
La «fierté» s'amplifie
Il semble que cette confusion aille crescendo. Dans un contexte de crise économique, de discours pessimiste et
alarmant, la foi ambivalente en nos enfants - faite d'inquiétude «s'en sortiront-ils ?» et de réassurance un peu forcée
«oui, ils sont exceptionnels» - peut devenir disproportionnée.
Pour le sociologue et spécialiste de la famille, François de Singly, qui vient de publier «Comment aider l'enfant à
devenir lui-même?» (Éditions Armand Colin), c'est la notion même de «fierté» éprouvée à l'égard des enfants qui
s'amplifie. «Historiquement, celle-ci est née avec la scolarisation des enfants, explique-t-il. Peu à peu, la bourgeoisie,
au lieu d'investir sur le patrimoine familial, s'est mise à investir sur le capital scolaire des enfants. Avec la crise,
évidemment, et, surtout, la montée d'une concurrence acharnée dans le système scolaire, cette tendance s'intensifie.
Mais ce qui la rend ambivalente et complexe, c'est qu'en même temps qu'ils portent notre capital, nous avons appris
avec Dolto que notre enfant “est une personne”. Dans notre imaginaire, il est donc à la fois petit, en croissance, et
déjà grand.»
Autre intensification des liens due à la précarité ambiante: «Nous savons désormais, avec les chiffres du divorce
martelés régulièrement dans les médias, que le couple ne dure pas, avance le sociologue. Les parents peuvent alors
avoir tendance à croire que le seul lien qui soit stable et inconditionnel soit celui qu'ils ont avec leur enfant.»
Une croyance qui n'est pas sans dégât, puisqu'elle évacue l'image d'un enfant parfois rebelle, récalcitrant, mais
pressé, et c'est heureux, de voler de ses propres ailes. 

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