Chronique Grain de poivre - Phare FM

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Chronique Grain de poivre - Phare FM
Chronique Grain de poivre - Phare FM - Vendredi 23 septembre 2016 - Jean-Yves PETER
Chrétien et moderne, c’est le titre d’un livre vraiment remarquable paru cette année aux éditions Gallimard, et qui est l’œuvre du sociologue Philippe d’IRIBARNE.
Le mot « sociologue » peut effrayer et rebuter, mais ce livre est tout à fait accessible ; accessible à
tous ceux qui ne veulent pas se contenter de penser comme le leur dicte la pensée unique, l’opinion
correcte. Et Dieu sait si cette pensée unique est particulièrement vigilante dès lors qu’il s’agit de la
question religieuse. Vigilante tout autant qu’impuissante, d’ailleurs, pour cette raison qu’une large
majorité des intellectuels français ne prend pas au sérieux le fait religieux, parce qu’elle considère la
foi en Dieu - toutes religions confondues - comme un archaïsme voué à se dissoudre dans la modernité par les vertus de l’éducation rationnelle, de l’école républicaine.
Mais voilà, ça ne marche pas. Pour autant, comme on voudrait que ça marche, la pensée convenable
veille à ce que cette vérité rationnelle ne soit pas remise en question. Même dans sa version généreuse…
Que dit cette version généreuse ?
Elle affirme par exemple que toutes les religions se valent, c’est-à-dire qu’elles expriment de diverses
façons la même vérité, ou des vérités tout aussi valables l’une que l’autre. Que toutes les religions
tendent vers un même idéal, un même idéal humaniste bien sûr. C’est ce que l’on appelle le relativisme, qui est d’ailleurs une façon polie de dire la même chose, que toutes les religions ont vocation
à se dissoudre dans la religion universelle des droits de l’homme. Dans le même registre, au niveau
personnel, la pensée convenable affirmera que tous les choix de vie se valent, et qu’il n’y a donc pas
lieu de parler de morale, sinon pour affirmer la valeur absolue du fameux idéal de tolérance… Sur
lequel nous reviendrons peut-être, à l’occasion…
Pour P. d’I, ce n’est pas cela être moderne. Lui, il ose écrire : « le message du Christ (l’Évangile) incite
à ne pas se laisser séduire par la vision de l’égalité des choix de vie et la croyance dans l’unité des
religions. » Autrement dit, pour lui, être chrétien c’est être libre de penser selon ce que sont les réalités, et non selon ce qu’elles devraient être au nom de tel ou tel idéal, de tel ou tel humanisme préconçu. Être chrétien libère d’affirmer ce qui devrait être et permet de prendre en compte ce qui est,
tel que cela est…
Concrètement, ces deux états d’esprit, chrétien et humaniste, peut-on les observer aujourd’hui ?
Oui, à travers cette question qui se pose dans le débat politique ces temps-ci, au sujet de la question
des migrants : Faut-il être idéaliste, ou pragmatique ? Faut-il être idéaliste, et recevoir celui qui a
décidé de migrer, selon le principe qu’il a le droit absolu de son choix de vie, droit que la tolérance
interdit d’apprécier..? Ou faut-il être pragmatique, c’est-à-dire estimer le nombre de migrants qu’il
est économiquement possible d’intégrer, et aussi, pourquoi pas, conditionner sévèrement l’accueil
des migrants musulmans en raison du risque avéré de recevoir des terroristes déguisés en migrants,
où parce qu’objectivement l’on constate que la pratique de l’Islam fait obstacle à l’intégration dans
nos démocraties occidentales, nos sociétés de culture chrétienne comme on dit…
Ce débat s’est aussi récemment produit entre deux candidats à l’élection présidentielle au sujet du
statut juridique des « personnes fichées S » et de la question de leur mise à l’écart préventive, à ce
jour légalement impossible. Faut-il adapter les lois et même les principes de notre droit à l’évolution
concrète des situations et des enjeux, ou au contraire affirmer leur intangibilité ?
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Chronique Grain de poivre - Phare FM - Vendredi 23 septembre 2016 - Jean-Yves PETER
Autrement dit, faut-il être idéaliste, ou pragmatique..?
P. d’Iribarne répond, clairement, en faveur du pragmatisme. A condition, précise-t-il, que ce pragmatisme soit habité par l’amour. L’amour qui est en Jésus-Christ ; l’amour qui ne condamne pas mais
qui guérit celui qui l’écoute de l’orgueil et des violences de l’orgueil, athée comme religieux. L’amour
qui n’est pas un terme juridique, mais en dehors duquel il ne peut pas y avoir de justice, ni
d’humanisme. Qui est humaniste et pragmatique, sinon le Dieu qui s’est fait notre victime, pour être
notre sauveur ?
Jésus lui-même est le pragmatisme de Dieu. En lui, il a pris en compte non pas ce que nous aurions
du être, mais ce que nous étions en vérité, et il est venu régler le problème. Par amour. Ce pragmatisme est le seul qui puisse offrir, à tous, une vraie solution au lieu d’envenimer les problèmes, parce
qu’il est le seul qui prenne en compte les réalités, sans pour autant s’y soumettre ; le seul qui puisse
se remettre en question, humblement, pour assumer un problème et même un péril, et en faire un
progrès. Pour tous. Par le miracle de l’amour.
Autrement dit, je crois, P. d’I répond en disciple de Jésus-Christ. Pour lui, c’est cela être moderne.
Pour un intellectuel, dans notre pays, cela demande du courage.
Bonne lecture !
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