RIMBAUD : Villes II (Illuminations 1873)

Transcription

RIMBAUD : Villes II (Illuminations 1873)
RIMBAUD : Villes II (Illuminations 1873)
Plan
Introduction
1-L'énormité et la
structuration des
villes
2-Les villes des
espaces théâtraux
3-la place de
l'homme dans les
villes modernes
Le second poème
"Villes" ou Villes II,
dit aussi poème de
l'Acropole ne suit
pas immédiatement
L'Acropole d'Athènes
le premier poème
Villes. Rimbaud a
intercalé entre ses
Villes
deux poèmes
L'acropole officielle outre les conceptions de la
"Vagabonds"
barbarie moderne les plus colossales. Impossible
donnant plus de
d'exprimer le jour mat produit par le ciel
immuablement gris, l'éclat impérial des bâtisses, et relief à ses deux
la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût poèmes qui
peuvent être lus
d'énormité singulier toutes les merveilles classiques
simultanément
de l'architecture. J'assiste à des expositions de
étant donné les
peinture dans les locaux vingt fois plus vastes
nombreux chiasmes
qu'Hampton-Court. Quelle peinture ! Un
entre les deux
Nabuchodonosor norwégien a fait construire les
escaliers des ministères ; les subalternes que j'ai pu textes. Le XIXème
siècle est celui du
voir sont déjà plus fiers que des Brahmas et j'ai
tremblé à l'aspect de colosses des gardiens et officiers remodelage des
de constructions. Par le groupement des bâtiments en grandes villes, du
boulevard
squares, cours et terrasses fermées, on a évincé les
clochers. Les parcs représentent la nature primitive Haussmann, de
l'expulsionà la
travaillée par un art superbe. Le haut quartier a des
parties inexplicables : un bras de mer, sans bateaux, périphérie des
couches sociales les
roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés
de candélabres géants. Un pont court conduit à une plus basses, le
peuple du vieux
poterne immédiatement sous le dôme de la SainteParis. Les villes ont
Chapelle. Ce dôme est une armature d'acier
connu depuis
artistique de quinze mille pieds de diamètre environ.
toujours un
développement
Sur quelques points des passerelles de cuivre, des
plates-formes, des escaliers qui contournent les halles considérable et ont
toujours fasciné les
et les piliers, j'ai cru pouvoir juger la profondeur de
êtres humains. Ce
la ville ! C'est le prodige dont je n'ai pu me rendre
poème est avant
compte : quels sont les niveaux des autres quartiers
tout une critique
sur ou sous l'acropole ? Pour l'étranger de notre
de la vision idéale
temps la reconnaissance est impossible. Le quartier
de la ville apparue
Vocabulaire
Villes visitées par
Rimbaud en 1875
Londres, Stuttgart,
Bruxelles, Paris.
Chiasme
du grec chiasma,
croisement
Figure de style
disposant en ordre
inverse les mots de
deux propositions
qui s'opposent ex
Il est riche en
défaut est en
chiasme avec il est
pauvre en qualités.
Exemple de
chiasme entre les
deux poèmes :
Villes I, une mer
troublée chargée
de flottes
orphéoniques et
dans ville II on
inverse et ce sont
des bras de mer
sans bateaux aux
quais, c'est la
même chose
puisque s'ils ne
sont pas à quai, ils
sont en mer, mais
c'est inversé.
Acropole
Partie la plus
élevée des cités
grecques,
comportant une
citadelle et des
lieux de culte
(l'Acropole
d'Athènes).
Barbare
Étranger chez les
grecs et les
romains, qui n'est
pas de la cité,
civilisé.
Bâtisse
Bâtiment sans
commerçant est un circus d'un seul style, avec
galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques.
Mais la neige de la chaussée est écrasée ; quelques
nababs aussi rares que les promeneurs d'un matin de
dimanche à Londres, se dirigent vers une diligence de
diamants. Quelques divans de velours rouge : on sert
des boissons polaires dont le prix varie de huit cents
à huit mille roupies. A l'idée de chercher des
théâtres sur ce circus, je me réponds que les
boutiques doivent contenir des drames assez
sombres. Je pense qu'il y a une police, mais la loi doit
être tellement étrange, que je renonce à me faire une
idée des aventuriers d'ici.
Le faubourg aussi élégant qu'une belle rue de Paris
est favorisé d'un air de lumière. L'élément
démocratique compte quelque cent âmes. Là encore
les maisons ne se suivent pas ; le faubourg se perd
bizarrement dans la campagne, le "Comté" qui
remplit l'occident éternel des forêts et des plantations
prodigieuses où les gentilshommes sauvages chassent
leurs chroniques sous la lumière qu'on a créée.
Rimbaud,
Illuminations, 1875
avec "Ce sont des
villes" exprimant
par cette
exclamation, un
idéal, une
harmonie et qui
dans ce second
poème devient
source d'angoisse
par le gigantisme
de ses édifices.
1-L'énormité et la
structuration des
villes
"L'acropole
officielle outre les
conceptions de la
barbarie moderne
les plus colossales"
qui ouvre le débat
met l'accent sur le
gigantisme des
villes, Acropole
(cité haute),
métropole (mère de
la cité) mégalopole
(grande ville) autant
de termes qui
attestent de la ville
comme d'un miroir
à la hauteur du
génie humain, d'où
parfois la
démesure. Dans le
premier texte des
"villes", les
métropoles
apparaissaient
comme de
gigantesques
carrefours spatiotemporels,
harmonieux,
rayonnants,
idylliques. Les
"Alléganys" des
Etats-Unis
côtoyaient les
"Libans de rêve" et
les boulevards de
Bagdad dans la plus
caractère
Faubourg
du latin foris
dehors et burgus
bourg, quartier
situé en dehors de
l'enceinte fortifiée
d'une ville.
Hampton court
Château, résidence
royale d'Henri
VIII au sud-ouest
de Londres. Henri
VIII roi
d'Angleterre,
1509-1547, un des
princes de la
Renaissance,
créateur de la
religion anglicane
car le pape refusait
d'annuler son
mariage avec
Catherine
d'Aragon. Il
épousa 6 femmes
dont Anne Boleyn,
Jane Seymour.
Nabuchodonosor
Roi de Babylone
605-562 av. JC,
détruisit Jérusalem.
Subalterne
Dont la position
est inférieure,
subordonnée.
Brahmanisme
Système socioreligieux indien,
apparu avant
l'hindouisme,
caractérisé par une
division de la
société en castes.
Square
Jardin public de
petite dimension
généralement
entouré d'une
grille.
Cours
grande harmonie.
Dans ce texte les
villes apparaissent
comme des espaces
structurés, des
lieux d'immigration
mais aussi
d'exclusion, des
carrefours où se
rencontre dans le
plus complet
désordre des
espaces et des
temps différents.
Les barbares de la
Grèce, ces
étrangers qui ne
sont pas de la ville,
qui ne sont pas
civilisés, se perdent
dans ces espaces
qui ne sont pas à
dimension humaine
où qui ne leur sont
pas accessibles.
Les villes modernes
reproduisent en les
grandissant les
merveilles
classiques, ajoute
ça et là quelques
espaces verts, des
parcs, des squares
plus petits, des
cours plantés
d'arbres. Toutes les
dimensions sont
outrées, les espaces
réservés aux
expositions sont
gigantesques car
rien n'est assez
grand lorsqu'il s'agit
de montrer sa
réussite, et le
spectateur habituel
des expositions
dans les musées est
ici un spectateur
perdu. Carrefour
de peuples, la ville
Avenue plantée
d'arbres
Grésil
Pluie de petits
granules formés de
glace et de neige.
Candélabres
Appareil
d'éclairage,
colonne
supportant
plusieurs lampes.
Sainte Chapelle
Chapelle gothique
située dans
l'enceinte du Palais
de justice de Paris
construite par StLouis pour abriter
les reliques de la
passion du Christ.
Nababs
Titre donné dans
l'Inde musulmane
aux gouverneurs,
aux officiers de la
cour des sultans,
homme très riche
qui fait étalage de
sa fortune.
Roupie
Unité monétaire
de l'Inde, du Sri
Lanka, Népal,
Maldives,
Seychelles et
Pakistan.
L'amplification
par l'utilisation des
pluriels (ponts,
ciels, masures,
dômes, mats)
donne au texte
une fonction
messianique et
au poète le rôle du
porte parole
libérateur de
est aussi un
l'humanité.
carrefour
d'influences, c'est
un
"Nabuchodonosor
norvégien qui a
construit les
escaliers des
ministères", une
alliance de mots
pour traduire ces
villes de ce
XIXème siècle,
alliance de
colonisateurs et de
colonisés, riche de
L'Orient antique
avec ses traditions
et l'Europe
nordique moderne.
Tous ces peuples se
retrouvent dans une
même alliance de
pensée, d'influence
pour la réalisation
d'une gloire
commune. "Les
boissons polaires se
payent en monnaie
indienne" met en
évidence le
caractère
incohérent des
villes modernes
coloniales ou
colonialistes. Dans
ce gigantisme, le
visiteur ne peut s'y
retrouver, "mesurer
la profondeur de la
ville", toute
reconnaissance est
impossible.
2-Les villes, des
espaces théâtraux
Alors que le
promeneur de la
cité grecque
découvrait des
temples, des
théâtres, des lieux
de spectacle, le
promeneur de la
ville moderne
découvre des
commerces, des
cafés ou l'on sert
des "boissons
polaires". Dans
cette ville, le
visiteur, spectateur
assiste à une autre
forme de théâtre,
les boutiques, les
cafés, assimilés à
des circus, sont
devenus les
nouveaux espaces
scéniques où se
jouent des
représentations.
La ville est, comme
un théâtre, éclairée
artificiellement par
des candélabres
géants, de "la
lumière qu'on a
crée", car avec la
hauteur des
immeubles et le ciel
immuablement
gris, la clarté est
faible et le jour
mat. Mais "les
boutiques doivent
contenir des
drames assez
sombre" ajoute à
l'angoisse des
villes et donne
l'impression que
c'est un spectacle
de mort qui semble
s'y jouer. Toujours
hanté et traumatisé
par son arrestation
et son séjour en
prison, Rimbaud se
pose la question de
sa sécurité, de la
police et des
aventuriers.
3-La place de
l'homme dans les
villes modernes
Dans toutes les
villes modernes, on
assiste à une
stratification de la
population par
couches, par zones,
selon son niveau
social. Rimbaud
nous décrit ces
stratégies
d'exclusion mise en
place dans les cités
modernes avec ses
"hauts quartiers",
l'Acropole au
sommet, réservés
aux plus riches, des
espaces
impénétrables
pour la plupart , ses
bas quartiers
comprenant
l'espace des
boutiques avec des
galeries à Arcades,
puis il revient sur
les faubourgs en
périphérie des
villes. Notre poème
ne manque pas
d'ironie pour
dénoncer le prix
très variable des
boissons polaires.
La description de la
ville qu'il nous fait
est une critique de
la fragmentation
du tissu social.
Exclu de la cité
moderne, notre
poète vagabond n'a
pas sa place. La
ville décrite par
Rimbaud est
significative de leur
évolution et de la
place de l'homme
dans la cité
moderne,
hiérarchisée. Le
faubourg, qui était
traditionnellement
l'endroit réservé
aux immigrants en
dehors de
l'enceinte fortifiée
du bourg est
devenu le lieu de
résidence de
quelques rares
personnes
privilégiées, des
gentilshommes
fortunés. Ces
faubourgs, "aussi
élégants qu'une
belle rue de Paris",
sont composés de
maisons
individuelles
espacées entourées
de nature et se
perdent
"bizarrement dans
la campagne, ironie
de notre poète pour
traduire le
paradoxe de trop
nombreux citadins
qui ont fuit la
campagne pour la
ville et qui essaie de
reconstituer
l'habitat dispersé
des campagnes
qu'ils ont quittées.
Conclusion
Rimbaud est un
observateur avisé
du remodelage des
grandes villes et de
l'expulsion à la
périphérie des
couches sociales
les plus basses, on
éloigne les clochers
représentatifs de la
campagne et on
laisse quelques
squares. Il a
remarqué le
remplacement des
ruelles du vieux
Paris par les
avenues
haussmanniennes
et vu la place
grandissante des
expositions
universelles pour
célébrer les
merveilles
technologiques d'un
pays. Toutes ces
modifications
structurelles de
notre
environnement ne
sont pas plus
aujourd'hui les
bienvenues qu'elle
ne l'étaient pour
Rimbaud. Et
pourtant toutes les
villes rêve encore
aujourd'hui
d'organiser les jeux
olympiques.
RIMBAUD : Ville (Illuminations 1873)
Plan
Introduction
1-La vie à Londres
2-Une vie d'errance et de réclusion
3-Double langage
Londres Big Ben
Big Ben est avec Hyde
Park à proximité du 8 gt
collège street où habitait
Rimbaud à Londres. Big
Ben indique quand le
Parlemnet est en séance.
Ville
Je suis un éphémère et
point trop mécontent
citoyen d'une
métropole crue
moderne parce que tout
goût connu a été éludé
dans les ameublements
et l'extérieur des maisons
aussi bien que dans le
plan de la ville. Ici vous
ne signaleriez les traces
d'aucun monument de
superstition. La morale
et la langue sont réduites
à leur plus simple
expression, enfin ! Ces
millions de gens qui
n'ont pas besoin de se
connaître amènent si
pareillement
l'éducation, le métier et
la vieillesse, que ce cours
de vie doit être plusieurs
fois moins long que ce
qu'une statistique folle
trouve pour les peuples
du continent. Aussi
"Ville" au singulier, du recueil des
Illuminations, fait partie du cycle des villes
avec deux autres poèmes "villes" au pluriel".
Ces trois poèmes qui sont séparés de
"Ornières» et de "Vagabonds" constituent
l'élément central du recueil 'Illuminations". Le
premier de ces textes constitue une
introduction et avec les deux autres
constitue un cycle. Ils ont en commun d'être
des poèmes de l'ambivalence ou Rimbaud
qui nous annonçait à la fin de l'adieu d'une
saison en Enfer que "nous entrerons aux
splendides villes" se montre ici moins
enthousiaste et optimiste sur un monde
urbain étranger mais monotone et triste.
1-La vie à Londres
L'éphémère et point trop mécontent
citoyen de la métropole crue moderne n'est
autre que notre jeune poète Rimbaud qui
séjourna à Londres en compagnie de son ami
Verlaine, une sorte d'exil littéraire et
sentimental partagé avec de nombreux exilés
de la Commune de Paris. Ce séjour qui s'est
fait en deux étapes de septembre à décembre
1872 dans le quartier de Soho puis en juillet
1873 autour de Big Ben ne lui a pas laissé
que de bons souvenirs . Autobiographique, le
texte semble l'être assurément, il est écrit à la
première personne avec un "Je" en attaque
de poème et une multiplication des adjectifs
possessifs, "ma" ou "notre" car cela
ressemble à une multipossession avec
Verlaine. La métropole où il réside est crue et
moderne, pas de fioritures de l'ancien, de
copies tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de
l'héritage classique, nul monument à la
gloire, aux superstitions d'un passé révolu .
Rien que du moderne, une modernité à la
Baudelaire, un regard vers l'avenir, une
innovation technique comme un miracle, la
recherche d'une prose poétique assez souple
et heurtée pour s'adapter aux mouvements
lyriques de l'âme, aux ondulations de la
rêverie et aux soubresauts de l'âme. Cette
ville de Londres n'a-t-elle pas cette modernité
Vocabulaire
Villes visitées par
Rimbaud en 1875
Londres, Stuttgart,
Bruxelles, Paris.
Les 2 séjours de
Rimbaud à Londres
Septembre 1872, il
quitte Ostende pour
Londres avec
Verlaine. Arrivés, il
prennent contact
avec les communards
exilés qui les aident à
s'installer près de
Soho 34 Howland
Street. Rimbaud
rentre à Charleville
en décembre 1872.
Juillet 1873, il
retourne à Londres
où est resté Verlaine,
et loge 8 Greet
College Street (à
proximité de Big
Ben). Mais leur
liaison étrange
commence à être
connue du milieu
communard
londonien qui l'exclut
avec Verlaine. Cette
liaison étrange est
mentionnée dans les
rapports de police qui
infiltre les exilés. Le
couple se met alors à
boire, et ils se
battent. Verlaine
quitte Rimbaud qui
menace de se
suicider.
Big Ben
C'est la tour de
l'horloge de
Wesminster Palace, la
maison du parlement.
A coté du parlement
se dresse la tour St.Étienne dite Big-Ben
du nom de sa cloche.
comme, de ma fenêtre, je
vois des spectres
nouveaux roulant à
travers l'épaisse et
éternelle fumée de
charbon, - notre ombre
des bois, notre nuit
d'été ! - des Erinnyes
nouvelles, devant mon
cottage qui est ma
patrie et tout mon cœur
puisque tout ici
ressemble à ceci, - la
Mort sans pleurs, notre
active fille et servante, et
un Amour désespéré, et
un joli Crime piaulant
dans la boue de la rue.
Rimbaud,
Illuminations, 1875
de s'adapter aux soubresauts de l'histoire, aux
ondulations de l'âme, c'est le modèle dont il
faut s'inspirer. C'est encore un peu brut, un
peu crû, un peu violent mais quelques
retouches et l'idéal est atteint, c'est
l'illumination, la superposition des idées à
cette ville à la géométrie trop rectiligne.
2-Une vie d'errance et de réclusion
L'Angleterre est devenu le refuge des
communards, des opposants au régime
politique qui ont choisi l'exil ainsi que des
opposants de toute nature. Londres nous
apparaît ici comme un eldorado de tolérance,
une morale réduite à sa simple expression,
une fraternité d'opposants. La morale y
apparaît donc moins stricte qu'en France,
réduite à sa plus simple expression et les
liaisons homosexuelles y paraissent tolérées,
"enfin". La langue est réduite à sa plus
simple expression, lorsqu'on ne connaît pas
la langue d'un pays et que l'on ne fait aucun
effort pour l'apprendre. C'est la ville avec son
anonymat, chacun se perd dans la foule,
l'ouvrier comme le bourgeois, une foule
cosmopolite, "des millions", des gens qui
travaillent comme partout, des professeurs
qui enseignent, des personnes âgées, rien
d'exceptionnel dans cette description qui
s'appliquerait à n'importe quelle ville. Notre
Rimbaud semble cependant y vivre reclus, il
reste à sa fenêtre et ne voient que des
spectres, des ombres menaçantes car ces
nouveaux habitants bannis de leur pays et qui
retrouvent ici une nouvelle patrie, "un
cottage" sont toujours poursuivis par de
nouveaux ennemis, par des Erinnyes
nouvelles.
3-Double langage
Mais cette nouvelle patrie, moderne parce que
tolérante n'est pas l'Eldorado qu'il espérait.
Si cette ville est tolérante, elle est aussi bien
monotone, sans relief, aucun sentiment ne
s'en dégage, aucune personnalité dans les
agencements intérieurs et extérieurs. Citoyen
pas trop mécontent doit plutôt se lire citoyen
très mécontent, mécontent parce que les
communards le rejettent et parce que la
morale y est plus insidieuse. Rimbaud,
Verlaine et les opposants de toute sorte sont
en fait très surveillés, infiltrés discrètement
par une police omniprésente malgré son
C'est l'entrepreneur
Benjamin Hall
corpulent qui a
donné le nom à cette
cloche de 14 tonnes
qui sonne tous les
1/4 d'heure.
Soho
Quartier du centre de
Londres, célèbre
pour son pittoresque
et son
cosmopolitisme.
Cottage
Maison de campagne,
coquette et rustique.
La commune de
Paris
Gouvernement
révolutionnaire du 18
mars 1871, après la
chute de Napoléon
III, les parisiens
occupés et partisans
de la guerre accusent
Thiers de pactiser
avec l'ennemi. Le 18
mars 1871, les
communards
s'opposent aux
Versaillais venus les
désarmer. Les
communards
résistent mais sont
finalement écrasés
lors de la semaine
sanglante. Beaucoup
de communards
furent déportés,
d'autres se
réfugièrent en
Angleterre.
Éphémère
Qui dure peu
Cru
Se dit de quelque
chose que rien
n'atténue, violent.
Métropole
du grec meter, mère
et polis, ville, capitale
invisibilité. La liaison scandaleuse qu'il
entretient avec Verlaine figure dans de
nombreux rapports de police, notre poète qui
croyait se fondre dans cette foule anonyme ne
parlant pas sa langue est en réalité surveillé,
écouté. Des tensions sont aussi vite apparues
dans le couple Verlaine-Rimbaud, les coups
pleuvent, les disputes sont permanentes, le
"cottage" charmante maison de campagne,
coquette est devenue un enfer, dans lequel la
mort sans pleurs, le suicide est une menace
bien réelle. Verlaine, le saturnien, le maudit a
déteint sur Rimbaud, les déesses de la
vengeance s'acharnent maintenant sur lui.
Cette ville est non seulement une ville triste
mais on y meurt dans la plus totale
indifférence. Nous sommes très loin d'entrer
dans les splendides villes qui devaient
fournir l'inspiration au poète en lui servant de
modèle mais on arrive à la mort, à l'antre de
l'Enfer.
Conclusion
Ville est la description d'une ville bien
ordinaire, croisement d'innombrablesêtres
humains, une des nombreuses métropoles du
monde entier, aux rues quelconques dans la
grisaille avec sa foule cosmopolite et
anonyme. On est loin des villes splendides
annoncées à la fin d'une saison en Enfer et
nous restons encore dans la désillusion. Cette
entrée dans la ville se métamorphose peu à
peu en arrivée dans l'antre de l'Enfer.
d'un pays.
Allégorie
Description, récit qui
pour exprimer une
idée générale recourt
à une suite de
métaphore.
Erinnyes
Dans la mythologie
grecque, déesses de la
Vengeance, les
romains les
assimilèrent aux
Furies.
L'amplification par
l'utilisation des
pluriels (ponts, ciels,
masures, dômes,
mats) donne au texte
une fonction
messianique et au
poète le rôle du porte
parole libérateur de
l'humanité.
RIMBAUD : Villes I (Illuminations 1873)
Plan
Introduction
1-A la recherche d'un idéal
2-Une vision imaginaire
3-Chefs-d'oeuvre en périls
Québec
Ce sont des villes ! C'est
un peuple pour qui se
sont montés ces
Alleghanys et ces
Libans de rêve ! Des
chalets de cristal et de
bois qui se meuvent sur
des rails et des poulies
invisibles. Les vieux
cratères ceints de
colosses et de palmiers
de cuivre rugissent
mélodieusement dans les
feux. Des fêtes
amoureuses sonnent
sur les canaux pendus
derrière les chalets. La
chasse des carillons crie
dans les gorges. Des
corporations de
chanteurs géants
accourent dans des
vêtements et des
oriflammes éclatants
comme la lumière des
cimes. Sur les platesformes au milieu des
gouffres les Rolands
sonnent leur bravoure.
Sur les passerelles de
l'abîme et les toits des
auberges l'ardeur du ciel
pavoise les mâts.
L'écroulement des
"Villes" au pluriel, du recueil "
Illuminations", est précédé de
"Ornières» et suivi de "Vagabonds"
qui précède le second poème sur
"villes". Ce premier des deux poèmes
intitulé "villes" peut être lu à priori
comme l'expression d'un âge d'or de
l'urbanisation couronné par
l'assomption de Vénus anadyomène,
la Vénus sortant des eaux, métaphore
de la beauté de la ville moderne,
construction humaine à partir de la
nature.
1 A la recherche d'un idéal,
On se pose souvent la question des
motivations des êtres humains à se
rassembler de plus en plus nombreux
dans des espaces de plus en plus
étroits, les villes. "Ce sont des villes",
cette simple exclamation montre
l'admiration de notre poète pour les
villes en général, carrefours
d'influences culturelles, élégance des
rues, des édifices, multiplicité des
expositions culturelles. Culture,
civilisation, tel sont les maîtres mots
de cet idéal, de cette recherche
d'élévation qui structure le texte. La
verticalité des cratères, la grandeur
des colosses, les cimes, les platesformes, le toit, le ciel, le mat sont
autant d'éléments qui participent à
cette ascension. L'omniprésence
d'éléments naturels, les cratères, les
gorges, les gouffres associés à des
musiques douces, le mugissement
mélodieux, le carillon, donne à la ville
une apparence harmonieuse entre
l'art, la technique et la nature. Les
villes donnent une impression de
bonheur, on y donne des fêtes
amoureuses, on pavoise les mats, on
décore les auberges avec ardeur. On a
de la ville une impression de vie,
Vocabulaire
Villes visitées par
Rimbaud en 1875
Londres, Stuttgart, Bruxelles,
Paris.
Jouons un peu
Quel est le monument payant
le plus visité au Monde ?
vous répondez La Tour
Effel, c'est la bonne réponse.
Entièrement métallique, 320
m de hauteur et 7175 t, c'est
le symbole de la France. 7
millions de visiteurs par
an.
Légende
Récit populaire qui a pour
sujet des événements ou des
êtres imaginaires ou des faits
réels déformés et parfois
mêlés de merveilleux (La
légende des siècles de Victor
Hugo)
Alleghanys
Chaîne de Montagne à l'Est
des Etats-Unis, rebord du
plateau appalachien de La
Pennsylvanieà la Virginie
mais aussi rivière affluent de
l'Ohio.
Liban
État d'Asie, ancienne
Phénicie. 4 millions
d'habitants sur 10.000 km2.
C'est le pays le plus urbanisé
(85%).
Le Liban est un carrefour
entre l'Occident et l'Orient
Chalet de cristal, de bois
construction en verre ou en
bois, fragiles.
Carillon
Ensemble de cloches ou
sonnerie d'une horloge, d'une
pendule qui se déclenche à
intervalle régulier. Du latin
quaternio, groupe de quatre
cloches de différents tons.
Oriflamme
Historiquement, la bannière
des rois de France (drapeau
apothéoses rejoint les
champs des hauteurs où
les centauresses
séraphiques évoluent
parmi les avalanches.
Au-dessus du niveau des
plus hautes crêtes une
mer troublée par la
naissance éternelle de
Vénus, chargée de
flottes orphéoniques et
de la rumeur des perles
et des conques
précieuses, - la mer
s'assombrit parfois avec
des éclats mortels. Sur
les versants des
moissons de fleurs
grandes comme nos
armes et nos coupes,
mugissent. Des cortèges
de Mabs en robes
rousses, opalines,
montent des ravines. Làhaut, les pieds dans la
cascade et les ronces, les
cerfs tettent Diane. Les
Bacchantes des
banlieues sanglotent et la
lune brûle et hurle.
Vénus entre dans les
cavernes des forgerons
et des ermites. Des
groupes de beffrois
chantent les idées des
peuples. Des châteaux
bâtis en os sort la
musique inconnue.
Toutes les légendes
évoluent et les élans se
ruent dans les bourgs.
Le paradis des orages
s'effondre. Les sauvages
dansent sans cesse la fête
de la nuit. Et une heure
je suis descendu dans le
mouvement d'un
boulevard de Bagdad
où des compagnies ont
chanté la joie du travail
d'ardeur harmonieuse.
2- Une vision imaginaire
Ces villes, ce sont les "Alléganys", des
montagnes des Etats-Unis,
l'Occident ou des Libans de rêve,
l'Orient, un brassage de cultures, un
mélange de modernité des Etats-Unis,
de reliefs, de parfums avec l'exotisme
oriental du Liban. Rimbaud est
l'architecte de ses féeries, il
construit en les parcourant des viles
éphémères et fragiles, faites de bois,
de verre dans une sorte d'errance
surréaliste. Ce sont des villes qui
bougent, mues par un mécanisme
invisible pour les êtres ordinaires,
mais que lui Rimbaud, le voyant peut
découvrir. Pour bien monter qu'il
s'agit de villes imaginaires, sans
existence réelle pour un non voyant.
Rimbaud brasse les sons, les
couleurs, les mots, joue sur le ton
rouge avec le cuivre et le feu, sur les
mots, rougissent et rugissent, mélange
la douceur des palmiers et la terreur
des palmiers dans une sorte
d'apothéose de son spectacle
urbain. Il reprend les légendes, des
textes imaginaires qui ajoutent du
merveilleux à des faits réels
déformés. Notre Roland, modeste
comte devient neveu de
Charlemagne dans la légende. Il
refait les légendes, donne vie aux
statues, aux divinités, Diane, déesse
de la chasse donne le sein à un cerf,
Vénus marche et rend visite à
Vulcain, le dieu des forgerons, laid et
boiteux pour l'épouser. Rimbaud
recours à la mythologie, à la
puissance émotionnelle d'un passé
légendaire, imaginaire et magnifié
pour appuyer sa féerie des villes et
donner du merveilleux à ses
"Brooklyn" et ses "incroyables
Florides". La littérature romantique
avait suivi avant lui les délices de ces
voyages imaginaires, de ces rêves
d'exotisme. On doit donc lire ce
poème avant tout comme une
création poétique, fruit d'une
autour duquel se rassemblait
les vassaux lors du ban) .
Bannière d'apparat, de
décoration
Roland et la légende
Neveu de Charlemagne
(selon la légende car fils de
Gisèle frère du roi, et
Ganelon, son beau-père car
second mari de Gisèle. En
réalité Roland était un obscur
comte de Bretagne), il
commandait l'arrière garde
de Charlemagne. Il fut tué à
Ronceveaux. Il sonna le cor
pour appeler Charlemagne à
son secours, l'inverse de la
bravoure, mais Charlemagne
fit semblant de ne rien
entendre.
http://romantis.free.fr/vigny
Orphée
Il descendit aux enfers pour
ramener son épouse
Eurydice mais ne devait la
regarder qu'au dehors, ce
qu'il ne fit pas et Eurydice
mourut une seconde fois.
Conque
Coquille mais aussi trompe
des tritons faite d'une de ces
coquilles spiralées
Mab
Personnage de Roméo et
Juliette de Shakespeare
Bacchante
Femme participant au culte
de Bacchus, dieu du vin chez
les Romains
Diane
Déesse de la chasse et de la
nature sauvage
correspondant à l'Artémis
grecque.
Centaure
Être fabuleux représenté
comme un monstre, moitié
homme et moitié cheval.
Vénus et Vulcain
Déesse de la beauté et de
l'amour. Vulcain dieu du feu
nouveau, sous une brise
épaisse, circulant sans
pouvoir éluder les
fabuleux fantômes des
monts où l'on a dû se
retrouver.
Quels bons bras, quelle
belle heure me rendront
cette région d'où
viennent mes sommeils
et mes moindres
mouvements ?
Rimbaud,
Illuminations, 1875
imagination dans laquelle Rimbaud se
saisit de quelques éléments du réel et
refait l'histoire des êtres, en
compose sa vision imaginaire, en
refait "la légende" à partir le l'existant,
la fait évoluer pour donner à son
poème un plus grand pouvoir
émotionnel.
3 Chefs-d'œuvre en périls
Quelques éléments situés dans le
second mouvement du poème
viennent troubler cette vision idéale,
les châteaux sont bâtis en os et les
"fabuleux fantômes" rappellent la
présence de la mort. Toutes ces
architectures, ces "Alléganys", ces
"Libans de rêve" sont autant de
chefs- d'œuvre en périls, il
apparaissent ici dans leur fragilité, à la
merci du langage qui les construit et
les déconstruit dans un même
mouvement. Rimbaud qui sait trop
bien que la grâce n'est donnée qu'à
celui qui ne cesse de partir, de
marcher, de "passer" fait défiler dans
les mots, ses rêves et ses fantasmes
sans se retourner sur ce qui s'effondre
derrière lui, "l'écroulement des
apothéoses", une sorte de vide
sémantique ou le silence. Il
souhaite vite revenir à la réalité et
conclue "quels bons bras, quelle belle
heure me rendront cette région d'où
viennent mes sommeils". Pour
Rimbaud, l'homme aux semelles de
vent, l'accession à la ville doit rester
une accession précaire comme à celle
d'un univers où les mots et la syntaxe
servent de jalons et de lignes de fuite
à l'errance de notre bohémien, à notre
vagabond de la poésie.
Conclusion
Dans ce poème "Villes" Rimbaud
semble osciller entre un illuminisme
prophétique et un romantisme
critique. Romantisme critique dans
son admiration des villes, espaces
structurés contre les espaces naturels,
même si dans le second mouvement
cette admiration est modérée.
Illuminisme prophétique des villes à
et des forgerons était laid et
boiteux. Il épousa Vénus qui
le trompa avec Mars.
Orphée
Beffroi
Tour de guet élevée dans
l'enceinte d'une vile puis
tour, clocher d'une église.
Bagdad
Capitale de l'Irak sur le Tigre.
La ville connut en 762 une
splendeur dont il ne reste que
divers bâtiments tardifs. Au
VIIIème siècle, la ville
réunissait les plus grands
savants arabes et non arabes.
L'amplification par
l'utilisation des pluriels
(villes, chalets, fêtes, poulies,
mats, canaux, vêtements,
toits, auberges, Rolands,
centauresses, conques,
versants, moissons, cratères,
rails, colosses, feux....) donne
au texte une fonction
messianique et au poète le
rôle du porte parole de
l'humanité.
l'architecture complexe, mélange
d'enfermement et d'évasion. Ce
poème "Villes", en prose, est l'une des
plus belles visions de Rimbaud