4760499 - 7. Sao Paulo au bord de la crise de nerfs
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20/08/08 P. 11 L’ère des mégapoles 7. São Paulo au bord de la crise de nerfs La métropole tentaculaire de plus de 20 millions d’habitants doit faire face à des problèmes de transport, d’insécurité et d’exclusion sociale. Mais São Paulo incarne avec fierté le centre dynamique du capitalisme brésilien, en témoignent les nouveaux quartiers d’affaires de l’avenue Berrini ou de Brooklin. Incontournable, la ville représente à elle seule plus de 12 % du PIB du Brésil. VENEZUELA Océan Atlantique COLOMB. BRÉSIL DE NOTRE CORRESPONDANT. L par an, selon un chercheur local. Pourtant, des bureaux d’études qui planchent jour et nuit sur de nouveaux projets jusqu’aux passerelles des défilés de mode de la São Paulo Fashion Week, la créativité est bien au rendez-vous. Et un ballet incessant d’hélicoptères fait fi des encombrements à terre alors qu’une nuée de « motoboys », ces coursiers à moto, prend des risques incensés pour arriver à destination. Accéder au « primeiro mundo » l L’opulence affichée par le modernisme des nouveaux quartiers d’affaires, comme ceux de l’avenue Berrini ou de la voisine Brooklin, reflète une volonté farouche d’accéder au « primeiro mundo », selon l’expressionlocalequi viseà éloigner le spectre du tiers-monde. « Berrini, c’estlaconnexionentreleBrésilémergent et le monde développé, explique Herodoto Barbeiro, un grand journaliste brésilien féru d’histoire. C’est aussil’endroitquiserapprocheleplus de l’univers des investisseurs étrangers, c’est un peu notre Arche de la Défense ! »De nombreuses multinationales y ont fait leur nid. Le quartier, qui a longtemps ressemblé à un vaste chantier, commence à prendre forme. Même les « squelettes », ces immeubles inachevés en raison de crisesrécurrentes,reprennentvieàla Eduardo Nicolau/ITS Press/Gamma e Brésil n’est pas un pays pour les amateurs, disait fréquemment Tom Jobim, l’un des papes de la bossa nova. La formule semble aller comme un gant à SãoPaulo,métropole tentaculaire et rugissante de plus de 20 millions d’âmes… Un monstre urbain à caresser dans le sens du poil. Au risque d’être rapidement terrassé par la bête. L’ancienne bourgade fondée par les jésuites au milieu du XVIe siècle est devenue l’un des miroirs les plus fidèles de la mondialisation. Les investissements continuent d’y affluer et la nouvelle São Paulo s’impose chaque jour davantage comme le poumon financier de l’Amérique latine.Même s’il est déjà sérieusement encrassé par la pollution et des embouteillages monstres. En mai dernier, un record de 266 kilomètresdebouchonsaétéatteinten une seule soirée ! l « La ville est un véritable chaos », concède dans un sourire RobertoSetubal, le présidentd’Itau, la plus grande banque privée du Brésil. São Paulo paie déjà au prix fort le coût de son gigantisme en termes d’exclusion sociale et d’insécurité. Les pertes entraînées par les déficiences de transports se chiffreraient à plus de 10 milliards d’euros Tous droits réservés − Les Echos − 2008 Il faut un certain effort d’imagination pour réaliser que la ville ne comptait guère que 25.000 habitants dans la seconde moitié du XIXe siècle. faveur de la croissance. São Paulo incarne ainsi avec fierté le centre dynamique du capitalisme brésilien. Incontournable, la ville représente à elle seule plus de 12 % du PIB du Brésil, la 10e économie mondiale. Si l’on considère la conurbation dans son ensemble et ses 8.000 kilomètres carrés,sonpoidsatteint 19 %duPIB et environ les deux tiers des multinationales opérant dans le pays. Même les industries qui n’y ont pas d’usines ont un pied à São Paulo, tel Fiat ou Renault, qui vient d’y installer son nouveau centre de design. l Au milieu de l’effervescence, il faut un certain effort d’imagination pour réaliser que la ville ne comptait guère que 25.000 habitants dans la seconde moitié du XIXe siècle.« São Paulo est resté un village primitif jusqu’au boom du café », explique Norman Gall, directeur de l’institut Fernand-Braudel d’économie mondiale. Grâce au chemin de fer, la petite ville se transforme en plaque tournante du commerce. « L’argent du café financera par la suite le développement de l’industrie locale », ajoute Barbeiro. La croissance s’accélèreaprèslaSecondeGuerremondiale, lorsque l’industrie automobile s’implante dans la banlieue. « La bourgeoisie industrielle, qui émerge à Rio[capitaleduBrésiljusqu’en1960, NDLR] au début du XXe siècle, se déplace progressivement vers São Paulo à partir des années 1950 et le secteur financier se renforce », résume Barbeiro. A cette époque, le slogande lavillesymbolise unecroissance effrénée : « São Paulo ne peut pas s’arrêter. » A l’imaged’une fascination pour New York, « la ville qui ne s’arrête jamais » et d’une aspiration, jamais démentie, rattraper le « premier monde ». Aimant pour les investisseurs l São Paulo, c’est aussi le produit d’un formidable métissage. Si la métropole est un aimant pour les investisseurs, elle a toujours été le théâtre de vagues incessantes de migrations, sur fond d’exode rural. Des quatre coins du Brésil, on vient tenter sa chance à São Paulo. L’actuel président de la République, Luiz Inacio Lula da Silva, le sait bien dont la famille a fait partie de ces migrants « nordestinos », issus du nord-est du Brésil. Japonais, Italiens, Allemands, Syrio-Libanais et, plus récemment,Coréens et Boliviens, tous contribuent à la fantastique richesse culturelle de la ville. Entre 1870 et 2000, la croissance annuelle de la populationatteint5 %,« laplusforte croissance de l’histoire de l’humanité sur le long terme et deux fois supérieure à la croissance de Berlin au XIXe siecle », décrit Norman Gall dans un essai publié dans les « Braudel Papers » et actualisé récemment pour la revue « Wilson Quarterly ». Cesdernièresannées,ce flots’esttari au point que la croissance démographique s’établit désormais à 0,5 %, un niveau bien inférieur à la moyennenationale(1,2 %).Maisles services publics n’ont pas été en mesure d’accompagner le mouvement. Pas assez de professeurs, pas assez d’équipements dans les hôpitaux… les insuffisances sont multiples. Des défis à gérer l En cours de route, les laisséspour-compte du progrès se sont entassésdanslesfavelas,cesbidonvilles qui n’ont cessé de se multiplier. On encompte aujourd’hui plusde 1.500, dont certains sont devenus de véritables quartiers, où vivotent plus de 10 % de la population. « Le passage d’une ville industrielle à une ville de services est toujours un processus difficile et complexe, explique le banquier Setubal. Ici, cela a été encore plus difficile en raison de toutes les crises économiques que le Brésil a traversées. Pendant plus de vingt ans, entre disons 1980 et 2000, le revenu par habitant a progressé de moins de 1 %. Cela a posé de très sérieux problèmes à la ville », explique Setubal, dont le père Olavo fut maire de PÉROU Brasília BOLIVIE CHILI PARAG. Rio de Janeiro São Paulo URUG. ARGENTINE idé 500 km São Paulo dans les années 1970. « Je veux croire qu’avec le nouvel élan économiquedu Brésil,il sera possible d’atténuer ces difficultés, au fil du temps. » l En attendant, São Paulo a bien du mal à gérer les défis nés de son gigantisme. Certaines incohérences crèvent les yeux : la ville a investi massivement dans l’infrastructure routière, alors que le métro ne compte guère plus de 60 kilomètres de réseau. Ses anciens habitants ne cachent pas leur tristesse, voire une certaine amertume, face aux conséquences d’une croissance désordonnée. « La ville n’a pas été planifiée, explique Affonso Celso de Oliveira, témoin privilégié de l’explosion urbaine à partir du vieux centre, où il gère un immeuble conçu par l’architecte Oscar Nimeyer, l’imposant Edificio Copan en forme de « S » et qui demeure un symbole de la métropole. « C’est ici que tout a commencé », rappelle-t-il, un millier d’appartements sur 38 étages ; un immense garage où se côtoient des Coccinelle etdesMercedesblindées. Pedro Herz, qui dirige la célèbre libairieCulturasurl’avenuePaulista, y habite depuis plus de vingt ans. « São Paulo offre le meilleur et le pire », conclut Alfonso Celso de Oliveria. Pourreconnaîtrequ’il estdifficile aujourd’hui « de corriger les erreurs du passé ». Le point de non-retour ? l « Au bord de l’infarctus », São Paulo traîne encore un lourd héritage « d’incompétence et de corruption », dénonce Oded Grajew, un ancien conseiller de Lula qui a lancé un mouvement pour rendre la ville plus vivable. A ses yeux, « la grande découverte, c’est que les villes ont des limites ». Certes, la criminalité est en baisse sensible et, selon les statistiques officielles, le nombre d’homicides a été divisé par trois en moins de dix ans. On peut aussi se féliciter de l’amélioration de certains indicateurs sociaux, baisse du taux de chômage et de la mortalité infantile. Mais la qualité de vie de la majeure partiede la population ne cesse de se dégrader. Au point que plus de la moitié des habitants de la mégapole choisirait d’habiter ailleurs si elle en avait l’occasion ou les moyens, selon un sondage récent. l Saturée, assaillie par un sentiment d’insécurité permanent, São Paulo aurait-elle atteint le point de non-retour ? Ne serait-elle viable que pour ceux qui y exercent le pouvoir, politique, économique ou financier, laissant de côté une impressionante masse de figurants ? Norman Gall de l’institut FernandBraudel décrit parfois São Paulo comme « un océan turbulent de gaspillage et de contradictions ». Toutefois, malgré son esprit critique, ce New-Yorkais, spécialiste de l’Amérique latine installé au Brésil depuis plus de trente ans, reste optimiste : « La circulation est le gros point noir. Mais la ville s’est beaucoup améliorée, alors que d’autres métropoles se sont détériorées. » THIERRY OGIER i Retrouvez la série sur les mégapoles sur www.lesechos.fr