tribunal des professions - Ordre des ingénieurs du Québec
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Gervais c. Ingénieurs (Ordre professionnel des) 2009 QCTP 6 2009 QCTP 6 (CanLII) TRIBUNAL DES PROFESSIONS CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE LONGUEUIL N° : 505-07-000034-077 DATE : 10 février 2009 CORAM : LES HONORABLES LOUISE PROVOST, J.C.Q. DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q. RÉMI BOUCHARD, J.C.Q. DANIEL GERVAIS APPELANT – intimé c. LOUIS TREMBLAY, en sa qualité de syndic de l’Ordre des ingénieurs du Québec INTIMÉ – plaignant et JOSÉE LE TARTE, en sa qualité de secrétaire du Comité de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec MISE EN CAUSE JP1215 JC1847 JB2481 JUGEMENT 505-07-000034-077 PAGE : 2 [2] Pour les motifs exprimés par Mme la juge Danielle Côté, auxquels souscrivent me M la juge Louise Provost et M. le juge Rémi Bouchard; LE TRIBUNAL : REJETTE l'appel, sans débours. LOUISE PROVOST, J.C.Q. DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q. RÉMI BOUCHARD, J.C.Q. Me Daniel M. Fabien en remplacement de Me Patrick de Niverville BOISVERT, DE NIVERVILLE & ASSOCIÉS Avocat de l’APPELANT – intimé Me Charles Dupuis Avocat de l’INTIMÉ – plaignant Mme Josée Le Tarte Secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec Date d'audience : 21 octobre 2008 C.D. No: 1 22-06-0327 Décision sur culpabilité et sur sanction rendue le 16 avril 2007 L’article 1 de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2008, chap. 11, entrée en vigueur en grande partie le 15 octobre 2008, modifie certains termes notamment « comité de discipline » devenant « conseil de discipline ». Aux fins du jugement, le Tribunal utilise les termes anciens ou avant modifications, toujours en vigueur au moment des procédures. 2009 QCTP 6 (CanLII) [1] Le Tribunal statuant sur l'appel d'une décision sur sanction rendue par le Comité de discipline1 de l'Ordre des ingénieurs du Québec, le 16 avril 2007; 505-07-000034-077 PAGE : 1 MOTIFS la juge Danielle Côté [3] L'appelant se pourvoit à l'encontre de la décision sur sanction du Comité de discipline de l'Ordre des ingénieurs du Québec2 lui imposant une radiation d'un mois pour avoir, à deux reprises, « signé et scellé des plans en utilisant un sceau contrefait, commettant ainsi un manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté, contrevenant ainsi »3 à l'article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs4. [4] Cette décision est rendue dans les circonstances suivantes : [5] Le 7 juillet 2006, l'intimé dépose une plainte contre l'appelant, plainte comportant 11 chefs d'accusation, chaque chef reprochant des manquements à plusieurs dispositions législatives différentes. [6] Le 19 octobre 2006, l'appelant, qui n'est pas représenté par avocat, plaide coupable aux chefs suivants, et ce, à la suite d'une entente négociée avec l'intimé5 : 3. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois d'avril 2005, l'ingénieur Daniel Gervais a présenté à son employeur BBA-AXNOR inc., une photocopie de sa carte de membre après l'avoir falsifiée pour y mettre un numéro de membre qui n'était pas le sien, commettant ainsi un manquement aux règles d'intégrité ainsi qu'un acte de malhonnêteté qui a eu pour effet d'abuser de la confiance de ses confrères, contrevenant ainsi aux articles 3.02.01, 4.02.03 et 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs […]; 4. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois d'avril 2006, l'ingénieur Daniel Gervais a présenté à son employeur BBA-AXNOR inc., une photocopie de sa carte de membre après l'avoir falsifiée pour y mettre un numéro de membre qui n'était pas le sien, commettant ainsi un manquement aux règles d'intégrité ainsi qu'un acte de malhonnêteté qui a pour effet d'abuser de la confiance de ses confrères, contrevenant ainsi aux articles 3.02.01, 4.02.03 et 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs […]; 6. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois de juillet 2004, l'ingénieur Daniel Gervais a présenté à son employeur BBA-AXNOR inc., une 2 3 4 5 Décision, 16 avril 2007, dossier n° 22-06-0327, D.C., vol. I, p. 58. Plainte, 7 juillet 2006, D.C., vol. I, p. 39. L.R.Q., c. I-9, r.3. Voir plainte (note 3) et décision (note 2), paragraphe 7, quant aux modalités de l’entente intervenue entre le syndic plaignant et l’intimé. 2009 QCTP 6 (CanLII) de M me PAGE : 2 photocopie de son diplôme de Bachelier d'ingénierie (B. Ing.) après l'avoir falsifié pour y ajouter une mention qui comporte et qui colporte une fausse information à savoir de conférer faussement un effet rétroactif aux droits, honneurs et privilèges rattachés à l'obtention de ce diplôme commettant ainsi un manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté qui a pour effet d'abuser de la confiance de ses confrères contrevenant ainsi aux articles 3.02.01, 4.02.03 et 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs […]; 7. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois de juillet 2004, l'ingénieur Daniel Gervais a présenté à son employeur BBA-AXNOR inc. une photocopie de son curriculum vitae après y avoir inséré de fausses informations et de fausses indications notamment quant à la date de l'obtention de son diplôme de baccalauréat en Génie électrique (1985), commettant ainsi un manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté pour y ajouter une mention qui comporte et qui colporte une fausse information à savoir de conférer faussement un effet rétroactif aux droits, honneurs et privilèges rattachés à l'obtention de ce diplôme commettant ainsi un manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté qui a pour effet d'abuser de la confiance de ses confrères contrevenant ainsi aux articles 3.02.01, 4.02.03 et 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs […]; 9. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le 9 septembre 2005, dans le cadre du projet PQ-1084 Anjou, l'ingénieur Daniel Gervais a signé et scellé des plans en utilisant un sceau contrefait, commettant ainsi un manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté, contrevenant ainsi à l'article 3.02.01 du Code de déontologie des ingénieurs […]; 10. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois d'août 2002, dans le cadre du projet PQ-0603, l'ingénieur junior Daniel Gervais a signé et scellé des plans en utilisant un sceau contrefait, commettant ainsi un manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté, contrevenant ainsi à l'article 3.02.01 du Code de déontologie des ingénieurs […]; 11. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois d'août 2002, dans le cadre du projet PQ-0603, l'ingénieur junior Daniel Gervais a utilisé le titre d'ingénieur et a exercé une activité professionnelle réservée par la loi à l'ingénieur soit de préparer, signer et sceller des plans sans être sous la direction et surveillance immédiates d'un ingénieur contrevenant ainsi aux articles 3 et 8 du Règlement sur les autres conditions et modalités de délivrance des permis de l'Ordre des ingénieurs du Québec. 2009 QCTP 6 (CanLII) 505-07-000034-077 505-07-000034-077 PAGE : 3 [8] Les parties font une suggestion commune quant aux sanctions appropriées, à savoir : l'imposition d'amendes sur certains chefs pour une somme totale de 7 400 $ et des réprimandes pour les autres chefs. [9] Le Comité de discipline n'étant pas d'accord avec certaines de ces suggestions, il convoque les parties pour le 29 novembre 2006. [10] À cette date, l'appelant est représenté par avocat. [11] Le Comité informe les parties de son inconfort avec les suggestions d'amendes pour les infractions relatives à l'utilisation du sceau7 et les invite à lui soumettre par écrit les motifs pour lesquels il devrait suivre cette recommandation. [12] Le 16 avril 2007, le Comité rend sa décision et impose les amendes suggérées par les parties, sauf quant aux deux chefs concernant l'utilisation du sceau pour lesquels il impose une radiation temporaire d'un mois, d'où l'appel. LES FAITS [13] Les faits ne sont pas contestés. [14] Au début des années 1980, l'appelant entreprend des études en génie à l'École polytechnique de Montréal, mais ne les termine pas. [15] Entre 1987 et 2000, il travaille pendant plusieurs années dans le domaine du génie-conseil, mais non à titre d'ingénieur, et ce, au sein de la firme Gervais Rochon et associés dont il est l'associé principal et fondateur. [16] En 2000, il agit à titre de conseiller et de chargé de projet pour la firme de génieconseil Gerban inc. [17] Il travaille pour la firme Roche et associés Groupe conseil durant les années 2000 et 2002. [18] Il retourne aux études en 2000 et obtient son baccalauréat en génie, avec spécialisation en génie électrique, le 17 avril 2001. 6 7 Kienapple c. R.,1974 CanLII 14 (C.S.C.); R. c. Provo, 1989 CanLII 71 (C.S.C.). Chefs 9 et 10. 2009 QCTP 6 (CanLII) [7] En raison de ce plaidoyer, l'intimé demande le retrait de certains chefs et une ordonnance de suspension conditionnelle des procédures eu égard aux infractions donnant ouverture à l'application de la règle interdisant les condamnations multiples6. 505-07-000034-077 PAGE : 4 [20] À cette époque, gêné par ce numéro de membre qui démontre qu'il est moins expérimenté que les pairs de son âge, l'appelant fabrique un faux sceau et utilise un faux numéro, numéro appartenant à un ingénieur de son âge ayant été radié de l'Ordre. [21] En 2002, il fonde la firme Axnor Télécom inc. dont il est le seul ingénieur alors qu’il n’est toujours qu’ingénieur stagiaire. [22] L'appelant falsifie sa carte de membre de l'Ordre, fausse carte qu'il utilisera sur une base régulière, avec son faux sceau et son faux numéro, et ce, même lorsqu'il n'est encore qu'ingénieur stagiaire. [23] En février 2003, il obtient son titre d'ingénieur. [24] En juin 2004, Axnor Télécom inc. est achetée par la firme d'ingénierie Breton Banville et associés (BBA) et l'appelant se joint à la firme à titre d'ingénieur. [25] À la suite de cette acquisition, et pour se conformer à une politique interne de BBA qui veut connaître les origines de ses employés, l'appelant fabrique un faux curriculum vitæ indiquant qu'il a obtenu son diplôme en 1985 plutôt qu'en 2001 et se forge un faux diplôme dans le même but. [26] Ces documents sont remis à BBA sur une base annuelle. [27] Lors d'une vérification interne, l'employeur remarque certaines anomalies; interrogé sur ces anomalies, l'appelant nie dans un premier temps pour, par la suite, admettre être l'auteur des falsifications. [28] L'appelant démissionne et l'employeur porte plainte au bureau du syndic. [29] Deux jours après, l'appelant se présente au bureau du syndic, reconnaît sa faute et offre son entière collaboration. [30] Suite à des discussions entre le syndic, l'avocat du syndic et l'appelant, les parties font la suggestion commune mentionnée précédemment. LA DÉCISION DU COMITÉ DE DISCIPLINE [31] Dans un premier temps, le Comité réfère aux enseignements du Tribunal des professions établissant qu'un comité de discipline n'est pas lié par la recommandation 8 Suite à une modification aux règlements, le titre actuel est celui d'ingénieur junior. 2009 QCTP 6 (CanLII) [19] Il fait une demande d'admission à l'Ordre des ingénieurs du Québec qui lui délivre un permis d'ingénieur stagiaire8 le 10 décembre 2001, et lui attribue un numéro de membre. 505-07-000034-077 PAGE : 5 [32] Dans un second temps, le Comité rappelle les principes devant le guider dans le choix d'une sanction, tels que mentionnés par la Cour d'appel du Québec dans Pigeon c. Daigneault10 et poursuit en énumérant les différents facteurs dont il entend tenir compte dans la détermination de la sanction appropriée en l'espèce11. [33] Appliquant ces principes, il conclut que l'exemplarité est un élément déterminant du dossier parce que les gestes de l'appelant mettent en péril la protection du public12. [34] Le Comité accepte la recommandation commune sur l'ensemble des chefs, sauf les chefs 9 et 10 (avoir signé et scellé des plans en utilisant un sceau contrefait), explique en détail pourquoi il ne peut suivre cette recommandation et conclut : « [80] Le Comité est d'avis que commettre une imposture en relation avec le sceau et la signature de l'ingénieur de façon préméditée et continue relève de la 13 radiation et non de l'amende. » LES PRÉTENTIONS DES PARTIES [35] L'appelant soumet que la sanction infligée est déraisonnable et « particulièrement sévère, injuste et inadéquate eu égard à la gravité des infractions et à l'ensemble des circonstances atténuantes et aggravantes »14 et ajoute que le Comité a erré en faits et en droit en rejetant la suggestion commune : « a) en fondant sa décision sur de fausses prémisses; 9 10 11 12 13 14 b) en faisant défaut de tenir compte de la globalité de la sanction; c) en faisant défaut d’évaluer correctement les circonstances aggravantes et atténuantes propres au présent dossier; d) en rendant une sanction de nature punitive; e) en imposant une radiation d’un mois par chef, alors que la protection du public n’exigeait pas une telle sanction; Précitée, note 2, p. 70-92. 2003 CanLII 32934 (QC C.A.). Précitée, note 2, p. 72-75. Id., p. 76. Id., p. 79. M.A., p. 7-8. 2009 QCTP 6 (CanLII) commune des parties, mais qu'il ne peut s'en écarter que dans la mesure où cette recommandation est déraisonnable, porte atteinte à l'intérêt public ou jette un discrédit sur l'administration de la justice9. 505-07-000034-077 en accordant une trop grande importance à la gravité objective des infractions sans égard aux circonstances particulières de la présente 15 affaire; » [36] L'intimé maintient la recommandation commune faite devant le Comité de discipline et soutient que ce dernier a erré en refusant de suivre cette suggestion et que la sanction est « déraisonnable et disproportionnée compte tenu de la preuve au dossier et des principes établis en cette matière »16. LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES [37] Le débat ne porte que sur les chefs 9 et 10 où on reproche à l'appelant d'avoir contrevenu à l'article 3.02.01 du Code de déontologie des ingénieurs17 qui prévoit : « 3.02.01 L'ingénieur doit s'acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité. » LES QUESTIONS EN LITIGE [38] La lecture des mémoires et les plaidoiries des procureurs permettent de cerner deux questions en litige : 1. Le Comité a-t-il erré en écartant la suggestion commune des parties? 2. La sanction est-elle déraisonnable? LA NORME D'INTERVENTION [39] Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick18, la Cour suprême du Canada mentionne : « [53] En présence d'une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s'impose habituellement d'emblée […]. Nous sommes d'avis que la même norme de contrôle doit s'appliquer lorsque le droit et les faits s'entrelacent et ne peuvent être aisément dissociés. » (Références omises) 15 16 17 18 Id., p. 4. M.I., p. 7. Précité, note 4. 2008 CSC 9. 2009 QCTP 6 (CanLII) f) PAGE : 6 PAGE : 7 [40] Dans la mesure où tous conviennent que le Comité a respecté les enseignements du Tribunal des professions quant à son rôle lorsque les parties font une suggestion commune quant à la sanction et qu'il a respecté la démarche à suivre en cas de désaccord avec une telle suggestion, la question en litige devient une question mixte de droit et de fait dans laquelle « le droit et les faits s'entrelacent et ne peuvent être aisément dissociés »19. [41] La norme applicable à la première question en litige est donc celle de la décision raisonnable. [42] Quant à la sanction, il est maintenant acquis que la norme applicable est également celle du caractère raisonnable20. ANALYSE [43] L'analyse des questions en litige doit se faire à la lumière des commentaires suivants de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir : « [47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se 21 justifier au regard des faits et du droit. » 1. Le Comité a-t-il erré en écartant la suggestion commune des parties? [44] En l'espèce, il n'est pas contesté que le Comité n'était pas lié par la suggestion commune des parties, mais que, pour s'en écarter, il devait énoncer les motifs pour lesquels il refuse de la suivre. [45] Les parties affirment que le Comité n'a pas suffisamment motivé sa décision à cet égard. 19 20 21 Id. Ly c. Médecins (Ordre professionnel des), 2008 QCTP 126. Précité, note 18. 2009 QCTP 6 (CanLII) 505-07-000034-077 505-07-000034-077 Voici comment s'exprime le Comité : « [55] Le Comité accepte les recommandations sauf celles concernant les chefs 9 et 10 de la plainte. [56] Le Comité considère que les gestes pour lesquels l'intimé a plaidé coupable portent une atteinte sérieuse à la dignité et à l'honneur de la profession. [57] Un tel comportement nécessite une sanction qui marque la gravité des infractions et dissuade les membres de la profession de poser de tels gestes. [58] Une telle pratique mais (sic) en péril la protection du public. [59] Le Comité considère que l'ensemble de ce dossier est une fraude et une imposture, soit la falsification du sceau, de la carte de membre, d'un diplôme, d'un faux curriculum vitae, etc. [60] Dans le cas des chefs 9 et 10, il s'agit de gestes posés spécifiquement à titre d'ingénieur soit d'avoir signé et scellé des plans. [61] Le Comité considère que les suggestions sur les chefs reliés à la fausse représentation sont acceptables mais quant aux chefs 9 et 10, il y a le passage à l'acte soit de signer et de sceller des plans. (Il ne s'agit plus uniquement de porter frauduleusement le titre d'ingénieur mais l'intimé a posé des gestes relativement à la profession d'ingénieur) […] [65] L'utilisation du sceau et la signature de l'ingénieur qui l'accompagne est un gage de fiabilité et de crédibilité envers ses pairs et aussi envers le public. [66] Le Comité souligne que malgré le fait que l'intimé n'a pas d'antécédent disciplinaire, il a, avant d'avoir obtenu son plein droit de pratique comme ingénieur, créé un stratagème ingénieux de falsification dans le but de duper ses clients et le public. […] [69] L'utilisation du sceau de manière répétée de 2001 à 2006 ne peut s'inscrire dans le cadre d'une amende. [70] Le Comité retient la préméditation du geste et sa répétition sur une longue période. […] [76] Le Comité estime que le subterfuge en relation avec le sceau et la signature trompe le public de manière grossière et que nous avons comme première obligation de le protéger. 2009 QCTP 6 (CanLII) [46] PAGE : 8 505-07-000034-077 PAGE : 9 [80] Le Comité est d'avis que commettre une imposture en relation avec le sceau et la signature de l'ingénieur de façon préméditée et continue relève de la 22 radiation et non de l'amende. » [47] Avec respect, je ne vois pas ce que le Comité aurait pu ajouter! [48] L'appelant reproche au Comité d'avoir basé sa décision sur de fausses prémisses puisqu’au paragraphe 59 précité, le Comité fait référence à la falsification du sceau, de la carte de membre et du diplôme, alors que les chefs relatifs à ces falsifications ont été retirés. [49] À mon avis, l'erreur ne porte pas à conséquence. [50] En effet, bien que ces chefs aient été retirés, l'appelant a plaidé coupable aux chefs 3 et 6 qui, dans les deux cas, font référence au fait que ces documents ont été falsifiés par ce dernier : « 3. […] a présenté à son employeur […] une photocopie de sa carte de membre après l'avoir falsifiée […]; […] 6. […] a présenté à son employeur […] une photocopie de son diplôme […] après 23 l'avoir falsifié […]. » [51] Par ailleurs, quant à la falsification du sceau, l'appelant a plaidé coupable à l'utilisation d'un sceau contrefait et les représentations communes des parties confirment qu'il est l'auteur de cette contrefaçon. [52] L'appelant reproche également au Comité d'avoir erré en affirmant au paragraphe 69 de sa décision que l'utilisation du sceau a été faite de manière répétée de 2001 à 2006. [53] L'appelant rappelle que les chefs concernant des infractions commises en 2001 et 2006 ont été retirés et que ceux auxquels il a plaidé coupable concernant l'utilisation du sceau ne visent que deux événements, l'un en 2002 et l'autre en 2005. [54] Encore une fois, l'argument ne peut être retenu à la lumière des représentations faites par les parties quant aux circonstances entourant la commission des infractions. 22 23 Précitée, note 2. Précitée, note 3. 2009 QCTP 6 (CanLII) […] 505-07-000034-077 PAGE : 10 « Il est ici bon de noter que l’appelant (du fait qu’il avait abandonné ses études de génie pendant plusieurs années avant de les compléter ultérieurement) possédait un numéro de membre de l’Ordre qui correspondait à ceux attribués à ses confrères beaucoup plus jeunes et, comme il l’a par la suite confié au syndic Louis Tremblay dans le cadre de son enquête, il ressentait une gêne extrême vis à vis ses confères (sic) du même âge que lui, et ce, au point qu’il aurait développé comme une phobie à l’égard de ce numéro de membre qui dénotait clairement qu’il était un ingénieur moins expérimenté que ses pairs de son âge, se considérant comme moins valorisé, d’autant plus qu’il se considérait plus expérimenté tenant compte de l’ensemble de son expérience active dans le domaine acquise avant l’obtention de son baccalauréat. Afin de compenser avec cette gêne, comme il le confiera plus tard au syndic, et pour avoir une meilleure reconnaissance de son expérience active auprès de ses confrères et clients, l’ingénieur Gervais décide en 2001 de se fabriquer un faux sceau et d’utiliser un faux numéro, à savoir le numéro de membre 044240. Il appert que ce numéro retracé par l’appelant après avoir effectué une recherche à ce sujet dans les registres de l’Ordre, appartenait à un autre ingénieur de l’âge de l’appelant et qui avait été radié pour un autre motif. En bref, ce numéro de membre était «disponible» et il correspondait aux «ambitions» de reconnaissance de l’appelant auprès de ses pairs. L’appelant révèlera et admettra au syndic qu’il a par la suite, le ou vers le 7 février 2003, falsifié sa carte de membre de l’Ordre, fausse carte qu’il utilisera sur une base régulière ainsi que son faux sceau et son faux numéro de membre, notamment pour signer et sceller des plans, même à l’époque où il n’était qu’un ingénieur stagiaire. L’appelant révèlera et admettra au syndic qu’à la suite de l’acquisition d’Axnor par BAA, il a cru nécessaire de s’inventer un faux curriculum vitæ qui était destiné à ses nouveaux employeurs, curriculum vitæ qui contenait de fausses informations, notamment au sujet de la date d’obtention de son diplôme (il y était fait mention qu’il aurait obtenu son diplôme en 1985, alors qu’il a réellement obtenu son diplôme en 2001). Pour les mêmes raisons, l’appelant s’est forgé un faux diplôme, ajoutant sur le faux diplôme la mention «baccalauréat en génie, à compter du 19 mars mil neuf cent quatre-vingt-six (1986) avec tous les droits, honneur et privilèges qui s’y rattachent. Fait à Montréal le dix-sept (17) avril deux mille un (2001)». L’enquête du syndic révèlera que jamais l’École Polytechnique n’a émis de diplôme avec 24 effet rétroactif. » 24 Précité, note 16, p. 2 à 4. 2009 QCTP 6 (CanLII) [55] Dans son mémoire, le syndic explique dans quelles circonstances et pour quelles raisons l'appelant a falsifié le sceau et les documents : 505-07-000034-077 PAGE : 11 « La disproportion entre son âge et son année de graduation sont à la base des gestes commis par l'appelant. C'est ainsi qu'en voulant obtenir la reconnaissance générale de ses confrères, de ses clients et de ses employeurs, qu'il s'est mis à falsifier sa documentation professionnelle afin que celle-ci reflète son expérience 25 acquise depuis le début des années 80. » [57] L'appelant ne conteste pas non plus le passage suivant de la décision dans lequel le Comité résume une partie des représentations du syndic concernant les faits : «! L’intimé a utilisé le faux sceau et la fausse carte à plusieurs reprises; ! L’intimé a signé des plans et devis et a utilisé son faux sceau; ! Le syndic a enquêté deux dossiers mais il est au fait qu’il a utilisé ce faux à 26 plusieurs autres reprises dans plusieurs dossiers; » [58] Dans les circonstances, le passage suivant de la décision du Tribunal des professions dans St-Pierre c. Saucier27, cité par l'appelant dans son mémoire28, m'apparaît tout à fait pertinent : « Lorsqu'une affaire est rendue à l'étape de l'audition sur sanction, il appartient à chacune des parties de prouver les faits qu'elles croient devoir amener devant le Comité pour l'éclairer sur la sanction qu'il doit prononcer. À ce stade l'usage constant est que les procureurs de chaque partie exposent les faits. Si l'autre partie nie l'exposé de ces faits ou partie d'icelui, il faut alors que celle qui les a avancés en fasse la preuve formelle. À défaut de négation des faits de l'exposé, le Comité les considère comme avérés. » [59] Le Comité n'a donc pas commis d'erreur en s'appuyant sur les représentations du syndic, représentations qui n'ont jamais été contestées par l'appelant. [60] Il est vrai que le Comité n'a pas spécifiquement mentionné, lors de son analyse, que la suggestion commune était déraisonnable, portait atteinte à l'intérêt public ou jetait un discrédit sur l'administration de la justice29, mais comme il s'est bien dirigé en droit aux paragraphes 29 à 33 de sa décision, force est de conclure que son refus de la suivre repose sur une telle conclusion. 25 26 27 28 29 Précité, note 14, p. 3. Précitée, note 2, p. 8. St-Pierre c. Saucier, 29 janvier 1996, AZ-96041005 (T.P.). Précité, note 14, p. 10. Malouin c. Notaires, 1999 QCTP 87 (CanLII). 2009 QCTP 6 (CanLII) [56] Non seulement l'appelant ne conteste pas ces affirmations, mais il mentionne dans son mémoire : 505-07-000034-077 PAGE : 12 2. La sanction est-elle déraisonnable? [62] L'appelant reproche au Comité d'avoir sous-évalué les circonstances atténuantes dont le faible risque de récidive, la collaboration à l'enquête du syndic, l'absence d'antécédents disciplinaires, sa bonne réputation, sa volonté de s'amender et son repentir, la perte de son emploi et ses problèmes de santé. [63] Par ailleurs, il lui reproche d'avoir surévalué les circonstances aggravantes en accordant une trop grande importance à la gravité objective de l'infraction. [64] Il ajoute que le Comité aurait dû suivre la suggestion commune puisque, entre autres, il s'agissait d'un premier dossier de cette nature et qu'il n'y avait pas de jurisprudence réellement pertinente sur la question. [65] Avec respect, ce dernier argument ne tient pas la route puisque retenir une telle affirmation aurait comme conséquence qu'en de telles circonstances, il faudrait conclure que le Comité abdique le rôle qui lui a été confié par le législateur. [66] Ce genre de raisonnement a été rejeté par le Tribunal des professions30, et ce, dans des termes non équivoques : « [99] Affirmer comme le prétend l'appelant, "(…) que le caractère suggestif des représentations des procureurs, devient au sens de la jurisprudence, impératif (…)."57 et lie entièrement les décideurs n'est pas exact. Si le Tribunal devait adopter cette façon de faire, les décideurs n'auraient plus aucune latitude en matière de sanction puisque ce rôle appartiendrait désormais exclusivement aux parties et à leurs avocats. Autant en matière criminelle que disciplinaire, il revient aux juges et aux membres des comités de discipline d'imposer la peine ou la sanction, le cas échéant, tout en motivant leurs décisions. » (Référence omise) (Soulignements reproduits) [67] À mon avis, la situation est même inverse : en l'absence d'une jurisprudence pertinente et en présence de circonstances nouvelles et particulières concernant la commission d'une infraction, le rôle du Comité dans la détermination d'une sanction appropriée revêt un caractère encore plus important puisque sa décision est susceptible de servir de guide pour les professionnels tentés de poser le même genre de gestes. [68] 30 Quant aux autres reproches formulés par l'appelant, ils ne peuvent être retenus. Deschênes c. Optométristes, 2003 QCTP 97 (CanLII). 2009 QCTP 6 (CanLII) [61] À la lumière de ce qui précède, je suis d'avis que le Comité a justifié sa décision de ne pas se rallier à la suggestion commune, que son processus décisionnel est transparent et intelligible et que sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. 505-07-000034-077 PAGE : 13 [70] Dans son évaluation de la sanction appropriée, le Comité privilégie la protection du public et l'exemplarité, et ce, en raison des circonstances particulières du dossier qu'il considère, avec raison, comme étant une fraude et une imposture qui s'est échelonnée sur plusieurs années. [71] Il est faux, comme le prétend l'appelant, que le Comité devait se plier à l'appréciation du syndic quant au fait que la protection du public n'était pas en danger; le Comité a apprécié les faits qui lui ont été soumis et, comme il le pouvait, a différé d'opinion avec le syndic sur cette question. [72] Il nuance la collaboration exemplaire invoquée par les parties de la façon suivante : « [71] Le Comité est perplexe sur l’argument avancé par les procureurs à l’effet qu’il a offert une collaboration exemplaire. [72] L’intimé lorsque son imposture a été découverte, a nié celle-ci, c’est seulement plus tard lorsqu’il a constaté qu’il ne pouvait s’en sortir et (sic) qu’il a démontré cette collaboration, avait-il vraiment le choix? 31 [73] Le stratagème mis à jour, il était pris en flagrant délit. » [73] Quant au fait que l'appelant n'aurait tiré aucun avantage de la situation, le Comité s'exprime ainsi : « [74] Le Comité rejète (sic) l’argument à l’effet que l’intimé n’a retiré aucun avantage de cette situation, au contraire, il en a retiré plusieurs (ne serait-ce qu’améliorer sa perspective d’emploi) sinon il n’aurait pas agi avec tant de 32 préméditation et de continuité. » [74] Dans la dernière partie de son mémoire, l'appelant invoque le principe d'harmonisation des peines pour justifier l'imposition d'amendes sur les chefs 9 et 10 : l'argument surprend dans la mesure où, dans la première partie de ce mémoire, il affirme qu'il n'existe pas de jurisprudence adéquate sur la question en raison d'une situation factuelle totalement nouvelle et différente! [75] La lecture des décisions soumises confirme que le principe d'harmonisation des peines ne peut s'appliquer puisque les faits de l'espèce sont tout à fait exceptionnels. 31 32 Précitée, note 2. Id. 2009 QCTP 6 (CanLII) [69] En effet, le Comité s'est bien dirigé en droit, a fait état de tous les facteurs pertinents et conclut que pour les chefs 9 et 10 la seule sanction respectant ces principes est une radiation temporaire d'un mois sur chaque chef. PAGE : 14 [76] Ayant à l'esprit les enseignements de la Cour d'appel du Québec dans Pigeon c. Daignault33, la « […] sanction infligée n'est pas déraisonnable du simple fait qu'elle est clémente ou sévère; elle le devient lorsqu'elle est si sévère, ou si clémente, qu'elle est injuste ou inadéquate eu égard à la gravité de l'infraction et à l'ensemble des circonstances, atténuantes et aggravantes, du dossier. » [77] Avec respect, la sanction peut paraître sévère eu égard aux facteurs atténuants suggérés par les parties, mais tenant compte de l'ampleur du stratagème et de sa durée, la radiation temporaire imposée en l'espèce n'est pas si sévère au point d'être injuste ou inadéquate. [78] Je suis d'avis que le Comité a justifié sa décision de privilégier l'exemplarité, que son processus décisionnel est transparent et intelligible et que sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [79] Je propose de rejeter l'appel, mais compte tenu de la position commune des parties, de ne pas condamner l'appelant au paiement des débours. DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q. 33 Précité, note 10, paragr. [36]. 2009 QCTP 6 (CanLII) 505-07-000034-077