tribunal des professions - Ordre des ingénieurs du Québec

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tribunal des professions - Ordre des ingénieurs du Québec
Gervais c. Ingénieurs (Ordre professionnel des)
2009 QCTP 6
2009 QCTP 6 (CanLII)
TRIBUNAL DES PROFESSIONS
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE LONGUEUIL
N° :
505-07-000034-077
DATE :
10 février 2009
CORAM : LES HONORABLES LOUISE PROVOST, J.C.Q.
DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q.
RÉMI BOUCHARD, J.C.Q.
DANIEL GERVAIS
APPELANT – intimé
c.
LOUIS TREMBLAY, en sa qualité de syndic de
l’Ordre des ingénieurs du Québec
INTIMÉ – plaignant
et
JOSÉE LE TARTE, en sa qualité de secrétaire du
Comité de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec
MISE EN CAUSE
JP1215
JC1847
JB2481
JUGEMENT
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[2]
Pour les motifs exprimés par Mme la juge Danielle Côté, auxquels souscrivent
me
M la juge Louise Provost et M. le juge Rémi Bouchard;
LE TRIBUNAL :
REJETTE l'appel, sans débours.
LOUISE PROVOST, J.C.Q.
DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q.
RÉMI BOUCHARD, J.C.Q.
Me Daniel M. Fabien
en remplacement de Me Patrick de Niverville
BOISVERT, DE NIVERVILLE & ASSOCIÉS
Avocat de l’APPELANT – intimé
Me Charles Dupuis
Avocat de l’INTIMÉ – plaignant
Mme Josée Le Tarte
Secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec
Date d'audience : 21 octobre 2008
C.D. No:
1
22-06-0327
Décision sur culpabilité et sur sanction rendue le 16 avril 2007
L’article 1 de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2008,
chap. 11, entrée en vigueur en grande partie le 15 octobre 2008, modifie certains termes notamment
« comité de discipline » devenant « conseil de discipline ». Aux fins du jugement, le Tribunal utilise
les termes anciens ou avant modifications, toujours en vigueur au moment des procédures.
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[1]
Le Tribunal statuant sur l'appel d'une décision sur sanction rendue par le Comité
de discipline1 de l'Ordre des ingénieurs du Québec, le 16 avril 2007;
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MOTIFS
la juge Danielle Côté
[3]
L'appelant se pourvoit à l'encontre de la décision sur sanction du Comité de
discipline de l'Ordre des ingénieurs du Québec2 lui imposant une radiation d'un mois
pour avoir, à deux reprises, « signé et scellé des plans en utilisant un sceau contrefait,
commettant ainsi un manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté,
contrevenant ainsi »3 à l'article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs4.
[4]
Cette décision est rendue dans les circonstances suivantes :
[5]
Le 7 juillet 2006, l'intimé dépose une plainte contre l'appelant, plainte comportant
11 chefs d'accusation, chaque chef reprochant des manquements à plusieurs
dispositions législatives différentes.
[6]
Le 19 octobre 2006, l'appelant, qui n'est pas représenté par avocat, plaide
coupable aux chefs suivants, et ce, à la suite d'une entente négociée avec l'intimé5 :
3. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois d'avril 2005, l'ingénieur
Daniel Gervais a présenté à son employeur BBA-AXNOR inc., une
photocopie de sa carte de membre après l'avoir falsifiée pour y mettre un
numéro de membre qui n'était pas le sien, commettant ainsi un manquement
aux règles d'intégrité ainsi qu'un acte de malhonnêteté qui a eu pour effet
d'abuser de la confiance de ses confrères, contrevenant ainsi aux articles
3.02.01, 4.02.03 et 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs […];
4. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois d'avril 2006, l'ingénieur
Daniel Gervais a présenté à son employeur BBA-AXNOR inc., une
photocopie de sa carte de membre après l'avoir falsifiée pour y mettre un
numéro de membre qui n'était pas le sien, commettant ainsi un manquement
aux règles d'intégrité ainsi qu'un acte de malhonnêteté qui a pour effet
d'abuser de la confiance de ses confrères, contrevenant ainsi aux articles
3.02.01, 4.02.03 et 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs […];
6. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois de juillet 2004, l'ingénieur
Daniel Gervais a présenté à son employeur BBA-AXNOR inc., une
2
3
4
5
Décision, 16 avril 2007, dossier n° 22-06-0327, D.C., vol. I, p. 58.
Plainte, 7 juillet 2006, D.C., vol. I, p. 39.
L.R.Q., c. I-9, r.3.
Voir plainte (note 3) et décision (note 2), paragraphe 7, quant aux modalités de l’entente intervenue
entre le syndic plaignant et l’intimé.
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de M
me
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photocopie de son diplôme de Bachelier d'ingénierie (B. Ing.) après l'avoir
falsifié pour y ajouter une mention qui comporte et qui colporte une fausse
information à savoir de conférer faussement un effet rétroactif aux droits,
honneurs et privilèges rattachés à l'obtention de ce diplôme commettant ainsi
un manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté qui a
pour effet d'abuser de la confiance de ses confrères contrevenant ainsi aux
articles 3.02.01, 4.02.03 et 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs
[…];
7. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois de juillet 2004, l'ingénieur
Daniel Gervais a présenté à son employeur BBA-AXNOR inc. une photocopie
de son curriculum vitae après y avoir inséré de fausses informations et de
fausses indications notamment quant à la date de l'obtention de son diplôme
de baccalauréat en Génie électrique (1985), commettant ainsi un
manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté pour y
ajouter une mention qui comporte et qui colporte une fausse information à
savoir de conférer faussement un effet rétroactif aux droits, honneurs et
privilèges rattachés à l'obtention de ce diplôme commettant ainsi un
manquement aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté qui a pour
effet d'abuser de la confiance de ses confrères contrevenant ainsi aux articles
3.02.01, 4.02.03 et 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs […];
9. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le 9 septembre 2005, dans le
cadre du projet PQ-1084 Anjou, l'ingénieur Daniel Gervais a signé et scellé
des plans en utilisant un sceau contrefait, commettant ainsi un manquement
aux règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté, contrevenant ainsi à
l'article 3.02.01 du Code de déontologie des ingénieurs […];
10. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois d'août 2002, dans le cadre
du projet PQ-0603, l'ingénieur junior Daniel Gervais a signé et scellé des
plans en utilisant un sceau contrefait, commettant ainsi un manquement aux
règles de l'intégrité et un acte de malhonnêteté, contrevenant ainsi à l'article
3.02.01 du Code de déontologie des ingénieurs […];
11. À Montréal, district de Montréal, le ou vers le mois d'août 2002, dans le cadre
du projet PQ-0603, l'ingénieur junior Daniel Gervais a utilisé le titre
d'ingénieur et a exercé une activité professionnelle réservée par la loi à
l'ingénieur soit de préparer, signer et sceller des plans sans être sous la
direction et surveillance immédiates d'un ingénieur contrevenant ainsi aux
articles 3 et 8 du Règlement sur les autres conditions et modalités de
délivrance des permis de l'Ordre des ingénieurs du Québec.
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[8]
Les parties font une suggestion commune quant aux sanctions appropriées, à
savoir : l'imposition d'amendes sur certains chefs pour une somme totale de 7 400 $ et
des réprimandes pour les autres chefs.
[9]
Le Comité de discipline n'étant pas d'accord avec certaines de ces suggestions,
il convoque les parties pour le 29 novembre 2006.
[10]
À cette date, l'appelant est représenté par avocat.
[11] Le Comité informe les parties de son inconfort avec les suggestions d'amendes
pour les infractions relatives à l'utilisation du sceau7 et les invite à lui soumettre par écrit
les motifs pour lesquels il devrait suivre cette recommandation.
[12] Le 16 avril 2007, le Comité rend sa décision et impose les amendes suggérées
par les parties, sauf quant aux deux chefs concernant l'utilisation du sceau pour
lesquels il impose une radiation temporaire d'un mois, d'où l'appel.
LES FAITS
[13]
Les faits ne sont pas contestés.
[14] Au début des années 1980, l'appelant entreprend des études en génie à l'École
polytechnique de Montréal, mais ne les termine pas.
[15] Entre 1987 et 2000, il travaille pendant plusieurs années dans le domaine du
génie-conseil, mais non à titre d'ingénieur, et ce, au sein de la firme Gervais Rochon et
associés dont il est l'associé principal et fondateur.
[16] En 2000, il agit à titre de conseiller et de chargé de projet pour la firme de génieconseil Gerban inc.
[17] Il travaille pour la firme Roche et associés Groupe conseil durant les années
2000 et 2002.
[18] Il retourne aux études en 2000 et obtient son baccalauréat en génie, avec
spécialisation en génie électrique, le 17 avril 2001.
6
7
Kienapple c. R.,1974 CanLII 14 (C.S.C.); R. c. Provo, 1989 CanLII 71 (C.S.C.).
Chefs 9 et 10.
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[7]
En raison de ce plaidoyer, l'intimé demande le retrait de certains chefs et une
ordonnance de suspension conditionnelle des procédures eu égard aux infractions
donnant ouverture à l'application de la règle interdisant les condamnations multiples6.
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[20] À cette époque, gêné par ce numéro de membre qui démontre qu'il est moins
expérimenté que les pairs de son âge, l'appelant fabrique un faux sceau et utilise un
faux numéro, numéro appartenant à un ingénieur de son âge ayant été radié de l'Ordre.
[21] En 2002, il fonde la firme Axnor Télécom inc. dont il est le seul ingénieur alors
qu’il n’est toujours qu’ingénieur stagiaire.
[22] L'appelant falsifie sa carte de membre de l'Ordre, fausse carte qu'il utilisera sur
une base régulière, avec son faux sceau et son faux numéro, et ce, même lorsqu'il n'est
encore qu'ingénieur stagiaire.
[23]
En février 2003, il obtient son titre d'ingénieur.
[24] En juin 2004, Axnor Télécom inc. est achetée par la firme d'ingénierie Breton
Banville et associés (BBA) et l'appelant se joint à la firme à titre d'ingénieur.
[25] À la suite de cette acquisition, et pour se conformer à une politique interne de
BBA qui veut connaître les origines de ses employés, l'appelant fabrique un faux
curriculum vitæ indiquant qu'il a obtenu son diplôme en 1985 plutôt qu'en 2001 et se
forge un faux diplôme dans le même but.
[26]
Ces documents sont remis à BBA sur une base annuelle.
[27] Lors d'une vérification interne, l'employeur remarque certaines anomalies;
interrogé sur ces anomalies, l'appelant nie dans un premier temps pour, par la suite,
admettre être l'auteur des falsifications.
[28]
L'appelant démissionne et l'employeur porte plainte au bureau du syndic.
[29] Deux jours après, l'appelant se présente au bureau du syndic, reconnaît sa faute
et offre son entière collaboration.
[30] Suite à des discussions entre le syndic, l'avocat du syndic et l'appelant, les
parties font la suggestion commune mentionnée précédemment.
LA DÉCISION DU COMITÉ DE DISCIPLINE
[31] Dans un premier temps, le Comité réfère aux enseignements du Tribunal des
professions établissant qu'un comité de discipline n'est pas lié par la recommandation
8
Suite à une modification aux règlements, le titre actuel est celui d'ingénieur junior.
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[19] Il fait une demande d'admission à l'Ordre des ingénieurs du Québec qui lui
délivre un permis d'ingénieur stagiaire8 le 10 décembre 2001, et lui attribue un numéro
de membre.
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[32] Dans un second temps, le Comité rappelle les principes devant le guider dans le
choix d'une sanction, tels que mentionnés par la Cour d'appel du Québec dans Pigeon
c. Daigneault10 et poursuit en énumérant les différents facteurs dont il entend tenir
compte dans la détermination de la sanction appropriée en l'espèce11.
[33] Appliquant ces principes, il conclut que l'exemplarité est un élément déterminant
du dossier parce que les gestes de l'appelant mettent en péril la protection du public12.
[34] Le Comité accepte la recommandation commune sur l'ensemble des chefs, sauf
les chefs 9 et 10 (avoir signé et scellé des plans en utilisant un sceau contrefait),
explique en détail pourquoi il ne peut suivre cette recommandation et conclut :
« [80] Le Comité est d'avis que commettre une imposture en relation avec le
sceau et la signature de l'ingénieur de façon préméditée et continue relève de la
13
radiation et non de l'amende. »
LES PRÉTENTIONS DES PARTIES
[35] L'appelant soumet que la sanction infligée est déraisonnable et
« particulièrement sévère, injuste et inadéquate eu égard à la gravité des infractions et
à l'ensemble des circonstances atténuantes et aggravantes »14 et ajoute que le Comité
a erré en faits et en droit en rejetant la suggestion commune :
« a) en fondant sa décision sur de fausses prémisses;
9
10
11
12
13
14
b)
en faisant défaut de tenir compte de la globalité de la sanction;
c)
en faisant défaut d’évaluer correctement les circonstances aggravantes et
atténuantes propres au présent dossier;
d)
en rendant une sanction de nature punitive;
e)
en imposant une radiation d’un mois par chef, alors que la protection du
public n’exigeait pas une telle sanction;
Précitée, note 2, p. 70-92.
2003 CanLII 32934 (QC C.A.).
Précitée, note 2, p. 72-75.
Id., p. 76.
Id., p. 79.
M.A., p. 7-8.
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commune des parties, mais qu'il ne peut s'en écarter que dans la mesure où cette
recommandation est déraisonnable, porte atteinte à l'intérêt public ou jette un discrédit
sur l'administration de la justice9.
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en accordant une trop grande importance à la gravité objective des
infractions sans égard aux circonstances particulières de la présente
15
affaire; »
[36] L'intimé maintient la recommandation commune faite devant le Comité de
discipline et soutient que ce dernier a erré en refusant de suivre cette suggestion et que
la sanction est « déraisonnable et disproportionnée compte tenu de la preuve au
dossier et des principes établis en cette matière »16.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[37] Le débat ne porte que sur les chefs 9 et 10 où on reproche à l'appelant d'avoir
contrevenu à l'article 3.02.01 du Code de déontologie des ingénieurs17 qui prévoit :
« 3.02.01 L'ingénieur doit s'acquitter de ses obligations professionnelles avec
intégrité. »
LES QUESTIONS EN LITIGE
[38] La lecture des mémoires et les plaidoiries des procureurs permettent de cerner
deux questions en litige :
1. Le Comité a-t-il erré en écartant la suggestion commune des parties?
2. La sanction est-elle déraisonnable?
LA NORME D'INTERVENTION
[39] Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick18, la Cour suprême du Canada
mentionne :
« [53] En présence d'une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire
ou à la politique, la retenue s'impose habituellement d'emblée […]. Nous
sommes d'avis que la même norme de contrôle doit s'appliquer lorsque le droit et
les faits s'entrelacent et ne peuvent être aisément dissociés. »
(Références omises)
15
16
17
18
Id., p. 4.
M.I., p. 7.
Précité, note 4.
2008 CSC 9.
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f)
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PAGE : 7
[40] Dans la mesure où tous conviennent que le Comité a respecté les
enseignements du Tribunal des professions quant à son rôle lorsque les parties font
une suggestion commune quant à la sanction et qu'il a respecté la démarche à suivre
en cas de désaccord avec une telle suggestion, la question en litige devient une
question mixte de droit et de fait dans laquelle « le droit et les faits s'entrelacent et ne
peuvent être aisément dissociés »19.
[41] La norme applicable à la première question en litige est donc celle de la décision
raisonnable.
[42] Quant à la sanction, il est maintenant acquis que la norme applicable est
également celle du caractère raisonnable20.
ANALYSE
[43] L'analyse des questions en litige doit se faire à la lumière des commentaires
suivants de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir :
« [47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à
l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions
soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise,
mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions
raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre
des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se
demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la
raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la
décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi
qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se
21
justifier au regard des faits et du droit. »
1. Le Comité a-t-il erré en écartant la suggestion commune des parties?
[44] En l'espèce, il n'est pas contesté que le Comité n'était pas lié par la suggestion
commune des parties, mais que, pour s'en écarter, il devait énoncer les motifs pour
lesquels il refuse de la suivre.
[45] Les parties affirment que le Comité n'a pas suffisamment motivé sa décision à
cet égard.
19
20
21
Id.
Ly c. Médecins (Ordre professionnel des), 2008 QCTP 126.
Précité, note 18.
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Voici comment s'exprime le Comité :
« [55] Le Comité accepte les recommandations sauf celles concernant les chefs
9 et 10 de la plainte.
[56] Le Comité considère que les gestes pour lesquels l'intimé a plaidé coupable
portent une atteinte sérieuse à la dignité et à l'honneur de la profession.
[57] Un tel comportement nécessite une sanction qui marque la gravité des
infractions et dissuade les membres de la profession de poser de tels gestes.
[58] Une telle pratique mais (sic) en péril la protection du public.
[59] Le Comité considère que l'ensemble de ce dossier est une fraude et une
imposture, soit la falsification du sceau, de la carte de membre, d'un diplôme,
d'un faux curriculum vitae, etc.
[60] Dans le cas des chefs 9 et 10, il s'agit de gestes posés spécifiquement à titre
d'ingénieur soit d'avoir signé et scellé des plans.
[61] Le Comité considère que les suggestions sur les chefs reliés à la fausse
représentation sont acceptables mais quant aux chefs 9 et 10, il y a le passage à
l'acte soit de signer et de sceller des plans. (Il ne s'agit plus uniquement de
porter frauduleusement le titre d'ingénieur mais l'intimé a posé des gestes
relativement à la profession d'ingénieur)
[…]
[65] L'utilisation du sceau et la signature de l'ingénieur qui l'accompagne est un
gage de fiabilité et de crédibilité envers ses pairs et aussi envers le public.
[66] Le Comité souligne que malgré le fait que l'intimé n'a pas d'antécédent
disciplinaire, il a, avant d'avoir obtenu son plein droit de pratique comme
ingénieur, créé un stratagème ingénieux de falsification dans le but de duper ses
clients et le public.
[…]
[69] L'utilisation du sceau de manière répétée de 2001 à 2006 ne peut s'inscrire
dans le cadre d'une amende.
[70] Le Comité retient la préméditation du geste et sa répétition sur une longue
période.
[…]
[76] Le Comité estime que le subterfuge en relation avec le sceau et la signature
trompe le public de manière grossière et que nous avons comme première
obligation de le protéger.
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[46]
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[80] Le Comité est d'avis que commettre une imposture en relation avec le sceau
et la signature de l'ingénieur de façon préméditée et continue relève de la
22
radiation et non de l'amende. »
[47]
Avec respect, je ne vois pas ce que le Comité aurait pu ajouter!
[48] L'appelant reproche au Comité d'avoir basé sa décision sur de fausses
prémisses puisqu’au paragraphe 59 précité, le Comité fait référence à la falsification du
sceau, de la carte de membre et du diplôme, alors que les chefs relatifs à ces
falsifications ont été retirés.
[49]
À mon avis, l'erreur ne porte pas à conséquence.
[50] En effet, bien que ces chefs aient été retirés, l'appelant a plaidé coupable aux
chefs 3 et 6 qui, dans les deux cas, font référence au fait que ces documents ont été
falsifiés par ce dernier :
« 3. […] a présenté à son employeur […] une photocopie de sa carte de membre
après l'avoir falsifiée […];
[…]
6. […] a présenté à son employeur […] une photocopie de son diplôme […] après
23
l'avoir falsifié […]. »
[51] Par ailleurs, quant à la falsification du sceau, l'appelant a plaidé coupable à
l'utilisation d'un sceau contrefait et les représentations communes des parties
confirment qu'il est l'auteur de cette contrefaçon.
[52] L'appelant reproche également au Comité d'avoir erré en affirmant au
paragraphe 69 de sa décision que l'utilisation du sceau a été faite de manière répétée
de 2001 à 2006.
[53] L'appelant rappelle que les chefs concernant des infractions commises en 2001
et 2006 ont été retirés et que ceux auxquels il a plaidé coupable concernant l'utilisation
du sceau ne visent que deux événements, l'un en 2002 et l'autre en 2005.
[54] Encore une fois, l'argument ne peut être retenu à la lumière des représentations
faites par les parties quant aux circonstances entourant la commission des infractions.
22
23
Précitée, note 2.
Précitée, note 3.
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[…]
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« Il est ici bon de noter que l’appelant (du fait qu’il avait abandonné ses études
de génie pendant plusieurs années avant de les compléter ultérieurement)
possédait un numéro de membre de l’Ordre qui correspondait à ceux attribués à
ses confrères beaucoup plus jeunes et, comme il l’a par la suite confié au syndic
Louis Tremblay dans le cadre de son enquête, il ressentait une gêne extrême vis
à vis ses confères (sic) du même âge que lui, et ce, au point qu’il aurait
développé comme une phobie à l’égard de ce numéro de membre qui dénotait
clairement qu’il était un ingénieur moins expérimenté que ses pairs de son âge,
se considérant comme moins valorisé, d’autant plus qu’il se considérait plus
expérimenté tenant compte de l’ensemble de son expérience active dans le
domaine acquise avant l’obtention de son baccalauréat.
Afin de compenser avec cette gêne, comme il le confiera plus tard au syndic, et
pour avoir une meilleure reconnaissance de son expérience active auprès de ses
confrères et clients, l’ingénieur Gervais décide en 2001 de se fabriquer un faux
sceau et d’utiliser un faux numéro, à savoir le numéro de membre 044240.
Il appert que ce numéro retracé par l’appelant après avoir effectué une recherche
à ce sujet dans les registres de l’Ordre, appartenait à un autre ingénieur de l’âge
de l’appelant et qui avait été radié pour un autre motif. En bref, ce numéro de
membre était «disponible» et il correspondait aux «ambitions» de
reconnaissance de l’appelant auprès de ses pairs.
L’appelant révèlera et admettra au syndic qu’il a par la suite, le ou vers le
7 février 2003, falsifié sa carte de membre de l’Ordre, fausse carte qu’il utilisera
sur une base régulière ainsi que son faux sceau et son faux numéro de membre,
notamment pour signer et sceller des plans, même à l’époque où il n’était qu’un
ingénieur stagiaire.
L’appelant révèlera et admettra au syndic qu’à la suite de l’acquisition d’Axnor
par BAA, il a cru nécessaire de s’inventer un faux curriculum vitæ qui était
destiné à ses nouveaux employeurs, curriculum vitæ qui contenait de fausses
informations, notamment au sujet de la date d’obtention de son diplôme (il y était
fait mention qu’il aurait obtenu son diplôme en 1985, alors qu’il a réellement
obtenu son diplôme en 2001).
Pour les mêmes raisons, l’appelant s’est forgé un faux diplôme, ajoutant sur le
faux diplôme la mention «baccalauréat en génie, à compter du 19 mars mil neuf
cent quatre-vingt-six (1986) avec tous les droits, honneur et privilèges qui s’y
rattachent. Fait à Montréal le dix-sept (17) avril deux mille un (2001)». L’enquête
du syndic révèlera que jamais l’École Polytechnique n’a émis de diplôme avec
24
effet rétroactif. »
24
Précité, note 16, p. 2 à 4.
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[55] Dans son mémoire, le syndic explique dans quelles circonstances et pour
quelles raisons l'appelant a falsifié le sceau et les documents :
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« La disproportion entre son âge et son année de graduation sont à la base des
gestes commis par l'appelant. C'est ainsi qu'en voulant obtenir la reconnaissance
générale de ses confrères, de ses clients et de ses employeurs, qu'il s'est mis à
falsifier sa documentation professionnelle afin que celle-ci reflète son expérience
25
acquise depuis le début des années 80. »
[57] L'appelant ne conteste pas non plus le passage suivant de la décision dans
lequel le Comité résume une partie des représentations du syndic concernant les faits :
«!
L’intimé a utilisé le faux sceau et la fausse carte à plusieurs reprises;
!
L’intimé a signé des plans et devis et a utilisé son faux sceau;
!
Le syndic a enquêté deux dossiers mais il est au fait qu’il a utilisé ce faux à
26
plusieurs autres reprises dans plusieurs dossiers; »
[58] Dans les circonstances, le passage suivant de la décision du Tribunal des
professions dans St-Pierre c. Saucier27, cité par l'appelant dans son mémoire28,
m'apparaît tout à fait pertinent :
« Lorsqu'une affaire est rendue à l'étape de l'audition sur sanction, il appartient à
chacune des parties de prouver les faits qu'elles croient devoir amener devant le
Comité pour l'éclairer sur la sanction qu'il doit prononcer. À ce stade l'usage
constant est que les procureurs de chaque partie exposent les faits. Si l'autre
partie nie l'exposé de ces faits ou partie d'icelui, il faut alors que celle qui les a
avancés en fasse la preuve formelle. À défaut de négation des faits de l'exposé,
le Comité les considère comme avérés. »
[59] Le Comité n'a donc pas commis d'erreur en s'appuyant sur les représentations
du syndic, représentations qui n'ont jamais été contestées par l'appelant.
[60] Il est vrai que le Comité n'a pas spécifiquement mentionné, lors de son analyse,
que la suggestion commune était déraisonnable, portait atteinte à l'intérêt public ou
jetait un discrédit sur l'administration de la justice29, mais comme il s'est bien dirigé en
droit aux paragraphes 29 à 33 de sa décision, force est de conclure que son refus de la
suivre repose sur une telle conclusion.
25
26
27
28
29
Précité, note 14, p. 3.
Précitée, note 2, p. 8.
St-Pierre c. Saucier, 29 janvier 1996, AZ-96041005 (T.P.).
Précité, note 14, p. 10.
Malouin c. Notaires, 1999 QCTP 87 (CanLII).
2009 QCTP 6 (CanLII)
[56] Non seulement l'appelant ne conteste pas ces affirmations, mais il mentionne
dans son mémoire :
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2. La sanction est-elle déraisonnable?
[62] L'appelant reproche au Comité d'avoir sous-évalué les circonstances
atténuantes dont le faible risque de récidive, la collaboration à l'enquête du syndic,
l'absence d'antécédents disciplinaires, sa bonne réputation, sa volonté de s'amender et
son repentir, la perte de son emploi et ses problèmes de santé.
[63] Par ailleurs, il lui reproche d'avoir surévalué les circonstances aggravantes en
accordant une trop grande importance à la gravité objective de l'infraction.
[64] Il ajoute que le Comité aurait dû suivre la suggestion commune puisque, entre
autres, il s'agissait d'un premier dossier de cette nature et qu'il n'y avait pas de
jurisprudence réellement pertinente sur la question.
[65] Avec respect, ce dernier argument ne tient pas la route puisque retenir une telle
affirmation aurait comme conséquence qu'en de telles circonstances, il faudrait conclure
que le Comité abdique le rôle qui lui a été confié par le législateur.
[66] Ce genre de raisonnement a été rejeté par le Tribunal des professions30, et ce,
dans des termes non équivoques :
« [99] Affirmer comme le prétend l'appelant, "(…) que le caractère suggestif des
représentations des procureurs, devient au sens de la jurisprudence, impératif
(…)."57 et lie entièrement les décideurs n'est pas exact. Si le Tribunal devait
adopter cette façon de faire, les décideurs n'auraient plus aucune latitude en
matière de sanction puisque ce rôle appartiendrait désormais exclusivement aux
parties et à leurs avocats. Autant en matière criminelle que disciplinaire, il revient
aux juges et aux membres des comités de discipline d'imposer la peine ou la
sanction, le cas échéant, tout en motivant leurs décisions. »
(Référence omise)
(Soulignements reproduits)
[67] À mon avis, la situation est même inverse : en l'absence d'une jurisprudence
pertinente et en présence de circonstances nouvelles et particulières concernant la
commission d'une infraction, le rôle du Comité dans la détermination d'une sanction
appropriée revêt un caractère encore plus important puisque sa décision est susceptible
de servir de guide pour les professionnels tentés de poser le même genre de gestes.
[68]
30
Quant aux autres reproches formulés par l'appelant, ils ne peuvent être retenus.
Deschênes c. Optométristes, 2003 QCTP 97 (CanLII).
2009 QCTP 6 (CanLII)
[61] À la lumière de ce qui précède, je suis d'avis que le Comité a justifié sa décision
de ne pas se rallier à la suggestion commune, que son processus décisionnel est
transparent et intelligible et que sa décision appartient aux issues possibles acceptables
pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
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[70] Dans son évaluation de la sanction appropriée, le Comité privilégie la protection
du public et l'exemplarité, et ce, en raison des circonstances particulières du dossier
qu'il considère, avec raison, comme étant une fraude et une imposture qui s'est
échelonnée sur plusieurs années.
[71] Il est faux, comme le prétend l'appelant, que le Comité devait se plier à
l'appréciation du syndic quant au fait que la protection du public n'était pas en danger;
le Comité a apprécié les faits qui lui ont été soumis et, comme il le pouvait, a différé
d'opinion avec le syndic sur cette question.
[72] Il nuance la collaboration exemplaire invoquée par les parties de la façon
suivante :
« [71] Le Comité est perplexe sur l’argument avancé par les procureurs à l’effet
qu’il a offert une collaboration exemplaire.
[72] L’intimé lorsque son imposture a été découverte, a nié celle-ci, c’est
seulement plus tard lorsqu’il a constaté qu’il ne pouvait s’en sortir et (sic) qu’il a
démontré cette collaboration, avait-il vraiment le choix?
31
[73] Le stratagème mis à jour, il était pris en flagrant délit. »
[73] Quant au fait que l'appelant n'aurait tiré aucun avantage de la situation, le
Comité s'exprime ainsi :
« [74] Le Comité rejète (sic) l’argument à l’effet que l’intimé n’a retiré aucun
avantage de cette situation, au contraire, il en a retiré plusieurs (ne serait-ce
qu’améliorer sa perspective d’emploi) sinon il n’aurait pas agi avec tant de
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préméditation et de continuité. »
[74] Dans la dernière partie de son mémoire, l'appelant invoque le principe
d'harmonisation des peines pour justifier l'imposition d'amendes sur les chefs 9 et 10 :
l'argument surprend dans la mesure où, dans la première partie de ce mémoire, il
affirme qu'il n'existe pas de jurisprudence adéquate sur la question en raison d'une
situation factuelle totalement nouvelle et différente!
[75] La lecture des décisions soumises confirme que le principe d'harmonisation des
peines ne peut s'appliquer puisque les faits de l'espèce sont tout à fait exceptionnels.
31
32
Précitée, note 2.
Id.
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[69] En effet, le Comité s'est bien dirigé en droit, a fait état de tous les facteurs
pertinents et conclut que pour les chefs 9 et 10 la seule sanction respectant ces
principes est une radiation temporaire d'un mois sur chaque chef.
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[76] Ayant à l'esprit les enseignements de la Cour d'appel du Québec dans Pigeon c.
Daignault33, la « […] sanction infligée n'est pas déraisonnable du simple fait qu'elle est
clémente ou sévère; elle le devient lorsqu'elle est si sévère, ou si clémente, qu'elle est
injuste ou inadéquate eu égard à la gravité de l'infraction et à l'ensemble des
circonstances, atténuantes et aggravantes, du dossier. »
[77] Avec respect, la sanction peut paraître sévère eu égard aux facteurs atténuants
suggérés par les parties, mais tenant compte de l'ampleur du stratagème et de sa
durée, la radiation temporaire imposée en l'espèce n'est pas si sévère au point d'être
injuste ou inadéquate.
[78] Je suis d'avis que le Comité a justifié sa décision de privilégier l'exemplarité, que
son processus décisionnel est transparent et intelligible et que sa décision appartient
aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[79] Je propose de rejeter l'appel, mais compte tenu de la position commune des
parties, de ne pas condamner l'appelant au paiement des débours.
DANIELLE CÔTÉ, J.C.Q.
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Précité, note 10, paragr. [36].
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