Le voyage dans la lune

Le voyage dans la lune (1902), Georges Méliès. 12min
Inventeur dans l’âme, Georges Méliès fait partie de ceux qui souhaitent construire des
histoires sur des durées plus longues. Très rapidement il se met lui aussi à relier ses tableaux
entre eux. Il ne fait pas encore de montage mais de l’assemblage. Tout en montrant les
différentes étapes d’une histoire, il reste très influencé par son activité de magicien de la
scène. Les tableaux des petits films qu’il réalise ainsi gardent pendant de nombreuses années
les réflexes de la mise en scène théâtrale. Mais cette expérience le sert aussi positivement.
D’abord le tableau a une contrainte temporelle forte: les actions doivent tenir dans une durée
quasiment fixe. Il est possible de supposer que l’habitude de préparer et rythmer des numéros
de scène lui soit d’une aide précieuse. Par ailleurs le cadrage reste frontal, comme face à une
scène de théâtre sur laquelle toute l’action est concentrée, produisant des tableaux centripètes.
Ce type de mise en scène lui permet d’exercer tout son talent, en mariant les effets du théâtre
et ceux du cinéma. Souvenez-vous qu’en plus des trappes et autres boîtes magiques, Méliès a
tendance à utiliser également les surimpressions pour réaliser ses trucages, comme en
témoigne le tableau de 1899 intitulé Le portrait mystérieux, déjà mentionné dans le premier
volet de ce panorama. Dès le début du nouveau siècle, tout cela se combine avec brio et féerie
dans Le voyage dans la lune.
Nekochka : filmothèque du net
L’avis de Nekochka :
A cette époque le vocabulaire adéquat pour parler des films n’est pas encore installé, car les
spectateurs ne peuvent qu’assimiler progressivement de nouvelles conventions visuelles au
fur et à mesure des découvertes réalisées par les explorateurs du cinéma. Analyser ce petit
film montre à quel point l’emploi de termes aujourd’hui d’usage courant crée plus que des
anachronismes, il les rend véritablement inadaptés. Ainsi les personnages du Voyage dans la
lune sont bien répartis dans le cadre, il est même possible d’en distinguer les plus importants,
et l’essentiel des actions se déroulent sous vos yeux et non en coulisses (on ne parle pas
encore de hors-champ). Soyez attentifs au passage d’un tableau à l’autre (on ne parle pas
encore de plans). Vous éprouverez alors cette curieuse impression de fouillis lorsque certains
personnages ou objets d’un tableau se superposent à ceux du suivant, car l’importance de
l’effet visuel produit lors de cette transition n’est pas encore perçu (on ne parle pas encore de
raccords). Ainsi, pour rendre justice aux films de cette période, il vaut mieux les apprécier
comme si vous étiez devant une scène de théâtre.
Par ailleurs, l’indépendance relative de chaque tableau permet d’identifier chacun d’eux
comme un élément dans une suite d’actions : le projet de l’expédition est présenté aux
astronomes ; les astronomes visitent l’atelier de fabrication de la fusée ; les astronomes
observent les usines en pleine activité ; les astronomes embarquent dans la fusée ; la fusée est
lancée ; la fusée arrive dans l’oeil de la lune ; les astronomes débarquent sur la lune ; les
astronomes rencontrent les sélénites ; les astronomes sont faits prisonniers ; les astronomes
s’évadent ; les astronomes s’abritent dans leur fusée ; la fusée tombe ; la fusée atteint la mer ;
la fusée plonge dans les profondeurs de la mer ; la fusée est tractée jusqu’au port par un
navire ; les astronomes et la fusée sont accueillis triomphalement ; la fanfare de la ville leur
fait honneur. Fin des aventures.
Certains tableaux sont plus importants que d’autres du point de vue des temps forts de
l’histoire, mais si l’un d’entre eux venait à manquer, cette absence ne nuirait pas à
l’enchaînement des tableaux avoisinants. Mais puisque vous venez peut-être de faire la lecture
récente du troisième volet consacré au son ou que vous l’avez encore bien en mémoire,
remarquez que si les principaux événements de ces tableaux sont compréhensibles, quelques
points de détail peuvent vous faire défaut pour saisir toute leur richesse. Pour parer à ce
manque, certaines éditions DVD proposent un commentaire audio : anachronisme avec les
images dites-vous ? Bonimenteur pour spectateur du XXI siècle, vous répond Nekochka.
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