souvenirs d`enfance d`un gamin cherbourgeois

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souvenirs d`enfance d`un gamin cherbourgeois
souvenirs d’enfance
d’un gamin cherbourgeois
Jean PIVAIN est né en 1930 à Cherbourg. Il grandit dans la rue Charles Gohel au cœur
du quartier du port. Enfant, il se promène régulièrement avec sa mère sur le quai de
France, longeant la Gare Maritime Transatlantique inaugurée quelques années plus tôt.
Ensemble, ils observent le départ et l’arrivée de prestigieux paquebots.
Je me rappelle des odeurs de la vapeur des remorqueurs qui envahissaient le quartier
quand ils faisaient entrer un paquebot dans la darse.
Devenu ingénieur dans la construction navale (DCN), Jean PIVAIN se passionne toujours
pour la Gare Maritime Transatlantique et ses paquebots. La curiosité l’encourage à
dénicher et à collectionner cartes postales, photographies et documentation en tout
genre sur la gare maritime.
En 1991, il participe, avec une bande de copains, à la création, sous la présidence de
Claude Coutanceau, de l’Association pour une Cité Navale à Cherbourg. L’association
imagine la création d’un musée naval au sein du Hall des Trains de la Gare Maritime
Transatlantique, la pièce maîtresse étant le sous-marin nucléaire lanceur d’engins, Le
Redoutable. En 1993, la Communauté urbaine de Cherbourg devient maître d’ouvrage
du projet. Le concept initial évolue vers la création d’un complexe culturel dédié à
l’aventure humaine sous-marine - La Cité de la Mer - ouvert au public en 2002.
Aujourd’hui, Jean PIVAIN continue à faire partager sa passion pour la Gare Maritime
Transatlantique en transmettant ses « Souvenirs d’enfance d’un gamin cherbourgeois ».
Plan -------------------------------------------------------------------I PRéAMBULE
II CHERBOURG ET SA GARE MARITIME TRANSATLANTIQUE
III Cherbourg PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
IV CHERBOURG ET LA LIBéRATION
I
PREAMBULE
Vous avez certainement lu le livre Les Allumettes suédoises de Robert SABATIER qui raconte avec
délicatesse son enfance sous les traits d’Olivier, ce gamin vivant à Paris, plus précisément à
Montmartre où il est né.
Qui de nous n’a pas fredonné la chanson de Mick MICHEYL « Un gamin de Paris, c’est tout un
poème, dans aucun pays, il n’y a le même… ».
Ce livre et cette chanson m’ont donné une envie, plus modeste certes, celle de vous raconter
une autre histoire, celle d’un gamin… de Cherbourg, de manière à vous rappeler une période
aujourd’hui révolue.
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II
Cherbourg et sa Gare
maritime transatlantique
Le gamin dont je vais vous parler ce soir est né en 1930, c’est-à-dire trois ans avant l’inauguration
de la Gare Maritime Transatlantique, fleuron de l’Art déco, conçue par René LEVAVASSEUR,
un architecte cherbourgeois, et inaugurée en grandes pompes par Monsieur Albert LEBRUN,
Président de la République Française, le 30 juillet 1933.
Le père de notre personnage est mécanicien, employé au service du pilotage, c’est un marin
de commerce qui a navigué sur les paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique, sur
La Touraine notamment, et qui de 1914 à 1918 a accompli son devoir comme poilu au sein du
25e Régiment d’Infanterie de Ligne, souvent en première ligne, sous les ordres du Capitaine
RIHOUEY originaire comme lui de la ville de Cherbourg.
Libéré en 1919, il trouve un embarquement sur le Nomadic, un transbordeur de la White Star
Line, vous savez celui qui a transbordé, en 1912, les passagers de 1re classe à bord du Titanic.
Il fonde son foyer et achète une maison rue des Sables (qui sera rebaptisée rue Charles Gohel),
cette rue qui permet de joindre la rue du Rivage (devenue avenue Aristide Briand) à la rue de la
Cayenne (devenue rue Alfred Rossel en hommage au compositeur de la chanson « Sus la mé »).
C’est dans cette maison que naît le héros de notre histoire qui, très jeune, est bercé par
les histoires de marin, par la mer, la vie maritime du port de Cherbourg et les escales de
transatlantiques aux noms prestigieux que sont, à cette époque, les Mauretania, Majestic,
Aquitania parmi les plus connus.
Dans ce quartier du Val de Saire résident beaucoup des acteurs de la vie maritime à Cherbourg,
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en tout bien tout honneur, les pilotes et les équipages des bateaux-pilotes, de même que le
personnel des remorqueurs et des transbordeurs, des employés de la gare maritime ainsi que
les douaniers, les dockers et les représentants des compagnies de navigation, sans oublier les
marins pêcheurs.
Tout ce petit monde se côtoie dans un univers très particulier qu’est la gare maritime.
Notre gamin grandit, ses premières promenades lui font découvrir les jardins du Casino, havre
de verdure et de paix, c’est toute proportion gardée le jardin public du quartier où la population
aime à immortaliser par la photographie les fêtes de famille, de la communiante à la mariée.
En se rendant un peu plus loin notre gamin découvre une des promenades favorites des
Cherbourgeois, à savoir, la grande jetée. Le terrain vague, où sera construit dans les années 1960
un hôtel « Sofitel », constitue le terrain de jeux des enfants du quartier.
L’enfant, à l’âge auquel la mémoire est en éveil, assiste, du musoir de la grande jetée, à l’agitation
de la vie maritime du port de Cherbourg où dans son imagination très fertile, il imagine la rade
de Cherbourg comme la scène d’un grand théâtre en plein air où la nouvelle Gare Maritime
Transatlantique, avec son beffroi dominant la ville, représente, à ses yeux, la toile de fond. Le
décor est posé.
Et pour lui, le spectacle commence quand les remorqueurs s’agitent dans la rade, signe
annonciateur d’une future escale ; en effet, apparaissent bientôt derrière le fort du Homet
les superstructures d’un paquebot transatlantique d’où sort de ses cheminées la fumée qui se
détache dans le ciel.
Pas un instant à perdre, il faut se précipiter au Nord du quai de France, endroit privilégié pour
assister à l’arrivée du géant des mers : les remorqueurs tels des abeilles virevoltent autour,
pour lui apporter l’aide nécessaire à son accostage et notre gamin est là, bouche bée, n’en
croyant pas ses yeux, émerveillé par la beauté du spectacle.
Chaque fois qu’un paquebot arrive, le charme se reproduit dans les yeux de l’enfant. Et après,
on reprend le chemin de la maison avec des rêves plein la tête : pensez donc, sa maman lui a
dit que le navire venait des Amériques plus précisément de New York de l’autre coté de l’océan
Atlantique, que tout cela lui semble inaccessible.
D’ailleurs, il en est de même au départ d’un paquebot, avec en plus lorsque la sirène du navire
retentit, l’émotion du départ.
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Au retour de la promenade, en arrivant rue Alfred Rossel, un train transatlantique emprunte
la voie ferrée direction Paris, pour notre gamin un nouveau spectacle s’offre à lui avec une
superbe locomotive, c’est une Pacific 231, mais il ne le sait pas encore, qui tracte le convoi
composé de wagons de luxe.
Vous avez déjà vu une locomotive crachant sa fumée, enveloppant l’atmosphère de jets de
vapeur à l’odeur si caractéristique, déclenchant son sifflet strident aux mains d’un mécanicien
expérimenté ? Et bien pour notre gamin, c’est la première fois qu’un tel spectacle s’offre à lui.
Il est impressionné par cette machine qui brille de mille feux, quel souvenir va se graver dans
sa mémoire ; de plus, aux fenêtres des wagons, des passagers fraîchement débarqués d’un
transatlantique, dont certains découvrent la France pour la première fois, saluent d’un geste
amical les passants qui répondent de la même manière.
Cette nuit-là, le marchand de sable passera très tôt et notre gamin partira dans le monde
merveilleux du rêve.
1936, c’est, pour lui, la rentrée des classes, il rentre à la grande école avec son sarrau tiré à quatre
épingles et ses galoches bien cirées, il va rue de Tourville en empruntant la rue Cachin, dans
ce quartier dont les rues portent le nom d’hommes célèbres : Reibbel, La Bretonnière, Vauban ;
pas étonnant que plus tard, il s’intéressera passionnément à l’histoire de Cherbourg et à la
marine… Mais il commence à apprendre à lire, à écrire et à compter et à répéter inlassablement
2 fois 2 4, 2 fois 3 6, etc.
Et, à la belle saison, après avoir fait ses devoirs et récité ses leçons, c’est le départ pour une
promenade vers la Gare Maritime Transatlantique. Aujourd’hui, ce sont les navires de pêche
qui gagnent le large toutes voiles dehors, en empruntant le chenal, qui assurent le spectacle et
parmi eux passe immanquablement le bateau-pilote : c’est l’occasion de faire un petit coucou
à son papa.
C’est également le départ du Balmoral, un steamer anglais avec ses roues à aubes, qui regagne
Southampton avec ses touristes venus passer la journée à Cherbourg.
Tous les gamins du quartier sont réunis sur le quai de l’Ancien Arsenal pour le départ du navire ;
en effet, les touristes du pont du navire adressent quelques piécettes aux enfants qui saluent
leur départ. Et c’est la ruée dans une joyeuse ambiance où, grâce au butin ramassé, tout ce
petit monde se précipite à l’épicerie du coin pour acheter avec une pièce de deux sous une
boîte de réglisses, ainsi va la vie du quartier.
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L’année scolaire se termine et les vacances arrivent, c’est une nouvelle récompense puisque
maman a acheté la pelle, le seau et le râteau qui vont permettre d’aller à la plage Napoléon.
Justement, parlons-en, sa maman lui a expliqué que cette plage a été fabriquée avec le sable
récupéré lors de la construction de la Gare Maritime Transatlantique, et que c’est une plage
artificielle. Et sous l’œil bienveillant de l’Empereur commence un après-midi à la plage où
chacun de nous a procédé à ses grands travaux éphémères que la marée montante a vite fait
de réduire à néant.
Peu importe, demain sera un autre jour et effectivement, ce jour-là, ce sont les hydravions de
la base aéronavale de Chantereyne qui partent en mission.
Mis à l’eau avec la grande grue que l’on aperçoit en regardant du côté de l’Arsenal, ils décollent
en direction de l’Ile Pelée laissant derrière eux un grand sillage d’écume. Quel spectacle, mes
amis, le vrombissement des moteurs est assourdissant.
à la fin de l’après-midi, nous rentrons tranquillement à la maison en suivant le quai de Caligny,
mais une autre surprise nous attend, le pont tournant est ouvert pour permettre à un cargo
de livrer son charbon quai de l’Entrepôt à l’Union Commerciale Cherbourgeoise qui fabrique,
entre autres, les boulets de charbon qui servent à allumer la cuisinière de la maison.
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Et la vie se déroule simplement, le dimanche en famille, on assiste à la messe dominicale et
après les vêpres, l’après-midi est consacré à la promenade à pied qui varie selon les saisons,
soit vers le jardin public, soit grimper au sommet de la montagne du Roule en empruntant les
petites rampes d’où l’on découvre un superbe panorama sur la ville, soit découvrir le charme
de la vallée de Quincampoix ; les promenades ne manquent pas dans notre ville, parfois on
passe même le pont tournant pour se rendre au parc Liais.
Ce matin-là, nous partons passer une semaine chez nos grands-parents maternels qui se sont
retirés à Tonneville.
Nouvelle découverte, le tramway où monte notre
gamin en direction de Querqueville avec descente
au Hameau de la Mer à Hainneville, et le reste à
pied jusqu’à Tonneville, mais à cet âge-là, on n’a
pas peur des kilomètres à pied avec une chanson
entraînante du genre : « un kilomètre à pied, ça use,
ça use, un kilomètre à pied, ça use les souliers ! ».
à la campagne, c’est un autre monde pour notre gamin : on va chercher le lait et le beurre à
la ferme et non à l’épicerie du coin de la rue, il en profite pour découvrir les animaux et toute
cette volaille qui caquète, quel changement par rapport à la ville.
Et demain c’est un grand jour, la grande batterie a lieu dans la ferme dans le village. Ce matinlà, tout le monde se retrouve pour donner un coup de main au fermier : la batteuse est mise
en route et dans le bruit et la poussière, les hommes se passent les gerbes de blé de main en
main, la machine absorbe la gerbe, et à l’autre extrémité, le blé coule dans les sacs comme une
cascade d’or et la paille est transformée en grandes balles. Cette journée se termine par un
beau soir d’été par un repas pris en commun, et malgré la fatigue, il se prolonge tard dans la
nuit au milieu des rires et des chansons.
Le retour s’effectue dans le sens inverse, bien entendu à pied, le cœur léger.
De retour à la maison après ces vacances à la campagne, son père lui propose de venir faire
l’escale d’un paquebot à bord du bateau-pilote ce qu’il accepte avec joie.
Certes ce matin-là, il a fallu se lever plus tôt que d’habitude, mais c’est avec une petite
appréhension qu’il embarque à bord du bateau-pilote qui se dirige par la passe de l’Ouest vers
la bouée CH1 , lieu d’atterrage des paquebots, et bientôt dans la brume matinale se détache la
silhouette d’un superbe navire tout blanc avec des cheminées jaunes, c’est l‘Empress of Britain
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de la Canadian Pacific : quelle émotion, mes amis, devant cette masse auprès de laquelle vient
accoster le bateau-pilote, le temps nécessaire pour que le pilote monte à bord, et c’est le retour
en suivant toutes les manœuvres de remorquage et d’accostage avant de regagner le mouillage
dans l’avant-port où notre gamin débarque tout heureux de son aventure et pressé d’aller
raconter son escale à sa maman.
Les promenades à pied le conduisent de nouveau vers la Gare Maritime Transatlantique où
de nouveaux navires viennent faire leur première escale, il s’agit en particulier des Bremen et
Europa de la Norddeutscher Lloyd et du Queen Mary de la Cunard Line.
Le temps s’écoule paisiblement entre l’école, la vie de tous les jours, le jeudi au patronage où
l’on rencontre d’autres copains, ainsi va la vie.
Le jour de la kermesse de la paroisse Saint Clément, nous avons une promenade en mer à bord
d’un transbordeur de la Société Cherbourgeoise de Remorqueurs et de Sauvetage, offerte par
Monsieur RACINE son directeur.
à la maison, quand arrive le 14 juillet ou le 11 novembre, son père, qui est par ailleurs portedrapeau représentant le 25e Régiment d’Infanterie, plante dans la hampe au dessus de la porte
d’entrée le drapeau tricolore et explique à notre gamin le symbole que représentent les trois
couleurs.
Nous nous rendons également à la fête de la Saint-Gobain à La Glacerie, bien entendu à pied,
et à notre arrivée au village de la Verrerie, maman nous explique qu’autrefois une manufacture
de glaces de la maison Saint-Gobain existait à cet endroit et fournissait des glaces au château
de Versailles. Les appétits se creusent et nous avons le droit à une délicieuse pâtisserie un «
bourdelot », une poire enrobée de pâte et cuite au four, notre retour s’effectue par le hameau
Quévillon.
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III
Cherbourg pendant la
Seconde Guerre mondiale
Mais des bruits de bottes, annonciateurs de mauvaises nouvelles, ont retenti en Europe.
La France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne, les paquebots ne font plus escales :
le port est vide, les transbordeurs sont à quai et ne vont pas tarder à disparaître pour rejoindre
la flotte auxiliaire, affectés à d’autres tâches.
Les accords passés entre les gouvernements français et anglais prévoient le choix du port de
Cherbourg pour le transit vers le front des forces anglaises combattantes.
Les troupes anglaises débarquent à la Gare Maritime Transatlantique et un intense trafic
ferroviaire voit le jour. Aux trains de passagers transatlantiques succèdent les trains chargés
de matériel de guerre : camions et canons sont disposés sur des wagons plats tandis que les
« Tommies » sont transportés dans les wagons à marchandise dont le célèbre 8 chevaux 40 hommes.
Curieusement, ils sont accueillis avec joie, tous les gamins du quartier ont appris et chantent
en chœur le célèbre « Tipperary » que les « Tommies » reprennent avec ferveur, et sont à la
fois surpris et enchantés par cet accueil.
Parfois, des troupes débarquent à la Gare Maritime Transatlantique, et se rendent à pied par les
avenues Aristide Briand et Carnot à la gare SNCF, mais le clou du spectacle est constitué par les
troupes écossaises, musique en tête avec leurs cornemuses, leurs tenues magistrales, la fierté
du tambour major et leurs kilts tout à fait inconnus des enfants ébahis.
La ville a distribué à la population des masques à gaz, c’est amusant pour des enfants d’essayer
ce drôle de masque, que l’on porte fièrement en bandoulière.
Mais la vie continue, l’école également, on découvre dans les journaux les communiqués
de l’Etat-Major qui signale un secteur calme sur l’ensemble du front, c’est rassurant ! Nous
sommes dans la drôle de guerre.
Toutefois, la presse révèle une histoire étonnante et par l’intermédiaire du magasine Match, le
prédécesseur de Paris-Match, raconte la bataille navale du Rio de la Plata.
Depuis le début de la guerre, l’Allemagne a déployé en Atlantique et dans l’océan Pacifique
des cuirassés destinés à couler des navires de commerce ennemis de manière à affaiblir le
ravitaillement nécessaire à l’effort de guerre et l’Admiral Graf Spee est l’un de ceux-là.
Parti de Wilhelmshafen le 23 août 1939, il a en quatre mois envoyé par le fond 9 navires de
commerce. Ces pertes ne laissent pas indifférente l‘Angleterre qui déploie une force stationnaire
aux Iles Falkland. L‘Admiral Graf Spee est un cuirassé relativement récent, sa construction
remonte à 1934. C’est un redoutable prédateur puissamment armé, il possède 6 canons de 280,
8 canons de 130 et 10 canons de 90, il file à 26 nœuds avec une portée moyenne de 27 km.
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La Royal Navy est en embuscade. En effet, l’Exeter, croiseur de 10 000 tonnes armé de 6 canons
de 203 et de 4 canons de 102 qui file à 31 nœuds, patrouille en Atlantique Sud, accompagné
de deux autres croiseurs très rapides, Ajax et Achilles, qui filent à 32 nœuds et sont armés de 6
canons de 152 mm et de canons de 102 mm.
Le 13 décembre 1939, à 6h17, l’Admiral Graf Spee ayant aperçu l‘Exeter, engage le combat et
le touche, en particulier à la 3e salve de ses 280. L’Exeter décroche non sans avoir riposté et
avoir réussi quelques tirs au but. Compte tenu de la situation, l’Ajax et l’Achilles qui naviguent
à tribord du cuirassé allemand engagent le combat ; le commandant allemand LANGSDORFF,
en fin technicien, riposte et touche sérieusement les deux navires. Par contre, le
commandant LANGSDORFF est blessé au cours de l’échange.
Et là va survenir un événement inattendu : le commandant du navire allemand HANS LANGSDORFF,
est-ce en raison de ses blessures, décide de se réfugier dans le Rio de la Plata et fait escale dans
le port de Montevideo, en Uruguay.
Selon les lois internationales, le navire allemand dispose de 48 heures pour se ravitailler,
débarquer ses morts (37) et ses blessés (57). Le commandant allemand prend alors une décision
surprenante, il décide de saborder son navire à l’entrée du Rio de la Plata. Le commandant du
cuirassé allemand se suicidera trois jours plus tard.
Malgré leurs blessures et leurs pertes, les trois navires anglais sortent grandis de ce combat,
qui reçoit un très grand retentissement : c’est une victoire anglaise, les médias, comme l’on
dirait aujourd’hui, raconte cette victoire avec passion soit dans la presse écrite, soit à la radio
nationale. Et nous, les enfants, suivons avec un grand intérêt cette victoire contre l’Allemagne.
L’hiver 1940 est très froid : dans les familles, les femmes tricotent des cache-nez, des gants et
des chaussettes en laine pour les soldats du front.
Malgré le calme apparent, tout va aller très vite : dès le mois de mai, les allemands lancent
une grande offensive destinée à envahir la France. Devant la percée fulgurante des troupes
motorisées allemandes, c’est la débâcle.
En ce mois de juin 1940, des avions allemands survolent Cherbourg, les anglais rembarquent
précipitamment à la Gare Maritime Transatlantique, abandonnant sur le terre-plein des Mielles
tout leur matériel de guerre. De même, les marins français quittent leurs unités, recherchent
des vêtements civils pour se confondre dans la population et éviter d’être faits prisonniers par
les troupes allemandes.
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Devant cette situation, nos parents se concertent et décident de se replier chez les grands
parents à Tonneville considérée, à leurs yeux, comme une base de repli.
à peine arrivés de Cherbourg, nous apercevons le lendemain matin une voiture précédée de deux
motards qui traversent le bourg à vive allure : ce sont des officiers allemands reconnaissables
à leur tenue. Cette fois, ça y est, les Allemands occupent la France.
Nous sommes rentrés à Cherbourg, la vie a repris : chacun vaque à ses occupations sans trop
se préoccuper des troupes d’occupation allemandes.
à la maison familiale, le père est hospitalisé, cette situation préoccupe la mère de famille qui
doit assurer seule la bonne marche du foyer et se montrer rassurante vis-à-vis de ses enfants.
La rentrée des classes s’est déroulée correctement à l’école de la rue de Tourville, notre gamin
a repris sa route habituelle par la rue Cachin.
En ce mois d’octobre 1940, l’aviation anglaise réalise des raids aériens, pratiquement tous
les jours, mais surtout la nuit. Les sirènes retentissent pour avertir la population d’une
alerte imminente et les batteries anti-aériennes allemandes ripostent, la guerre s’installe
progressivement à Cherbourg.
Nous sommes le 11 octobre 1940, cette nuit-là, nous sommes réveillés par une violente attaque
aérienne et la riposte de la DCA est également soutenue : vers 4h du matin, des explosions
violentes sont ressenties dans le quartier, une maison s’effondre rue Charles Gohel, il y a des
blessés, les habitants du quartier se réfugient à la manutention militaire rue du Val de Saire,
qui est l’abri désigné par la Défense Passive.
Le lendemain, on apprend qu’il s’agit de projectiles de gros calibres qui ont été tirés sur la ville
par une escadre anglaise. On dénombre 27 morts et 30 blessés parmi la population civile, plus
de 60 maisons sont touchées, en particulier dans le quartier du Val de Saire principalement du
coté de l’usine Amiot mais également en pleine ville.
La population a pris conscience que la guerre continue, que la France est occupée et que les
Allemands règnent en maîtres.
Dans toutes les familles, on fête très modestement Noël et le jour de l’An et cette nuit-là, nous
sommes réveillés en sursaut : les Allemands tirent des coups de feu en l’air pour célébrer la
nouvelle année et ne connaissant pas cette coutume, nous en serons quitte pour une belle
frayeur.
Notre gamin en cette année 1941 effectue sa première communion, mais à la maison, l’état de
santé du papa qui est toujours hospitalisé inquiète la famille.
Les raids aériens de la Royal Air Force se multiplient de jour comme de nuit et la DCA allemande,
en particulier celle installée sur le terre-plein des Mielles, riposte avec violence. Il arrive parfois
que des avions anglais soient abattus, et les pilotes décédés sont inhumés dans un carré du
cimetière où leurs sépultures sont fleuries par la population cherbourgeoise.
Au mois de juillet, un combat aérien au-dessus de la ville oppose des avions allemands à des
anglais qui se délaissent de leurs bombes au-dessus de la plage Napoléon. Il est 14h40, les
bombes tombent sur la plage, c’est l’horreur, on dénombre 12 morts et de nombreux blessés
dont de nombreux enfants, la population est atterrée.
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Les Allemands ont réquisitionné l’école de la rue de Tourville et maintenant, il faut se rendre
à l’école rue Emile Zola. Pour s’y rendre, notre gamin passe par le pont tournant, mais quand
celui-ci est en panne, volontairement ou non, provoquée par les employés désireux de gêner
l’occupant, on passe au moyen d’une barque qui fait la navette de chaque côté du quai, c’est
payant pour les adultes mais gratuit pour les enfants.
Arrive l’année 1942, la santé du papa s’est aggravée et il décède quelques mois plus tard, la
tristesse et le chagrin envahisse notre gamin : fini les contes, les histoires et les chansons de
marin, tout s’écroule pour lui, le voilà orphelin. Heureusement, malgré sa douleur la maman
va réagir pour entourer ses enfants avec énormément de tendresse.
Avril 1943, le Préfet de la Manche est invité par la Feldkommandantur de Saint-Lô à procéder à
l’évacuation de Cherbourg des habitants qui ne sont pas indispensables au fonctionnement de
la ville. La population est évacuée en grande partie vers le département du Loiret ; par contre,
le cours complémentaire de la rue Paul Doumer, avec ses professeurs et ses élèves, est évacué
à Saint-James dans le Sud de la Manche.
La séparation familiale est difficile pour tous mais surtout pour les plus jeunes, la vie de
pensionnat commence, la commune de Saint-James a mis à la disposition des responsables
cherbourgeois l’école des garçons, la vieille poste qui sert de réfectoire, des salles de cours
dont certaines dans l’hôpital.
La vie s’organise, les cours reprennent et une solidarité s’établit, les professeurs font preuve de
paternalisme afin d’aider les enfants à supporter cette pénible séparation. Le jeudi est consacré
à de grandes promenades aux alentours de la ville : le bois de la Villette est un terrain de
jeux favori, le dimanche est consacré le matin, pour ceux qui désirent y assister, à la messe
dominicale.
Dans l’ensemble, la ville est calme, fini les alertes et les ripostes de la DCA, parfois quelques
passages d’avions nous font lever les yeux au ciel, les quelques Allemands stationnés dans la
ville sont des soldats d’un certain âge désireux de vivre… en paix.
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Finalement, les élèves sont assidus au cours et les leçons bien apprises grâce, le soir, aux
séances d’études .
Le seul contact avec la famille, c’est la correspondance. C’est toujours une joie que de recevoir
une lettre, et, parfois, malgré les difficultés qu’éprouvent la famille, la réception un colis
contenant quelques friandises provoque une joie immense.
Pour les gamins que nous sommes, si ce n’est la séparation d’avec notre famille, nous n’avons
pas l’impression d’être en guerre, nous saisissons au passage quelques conversations d’adultes
où se prononce les noms de PETAIN et parfois de DE GAULLE, mais sans comprendre leur
importance ou leurs fonctions.
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IV
Cherbourg et la LIBERation
La vie s’écoule, le printemps a succédé à l’hiver. La ville de Saint-james est toujours calme.
Toutefois cette nuit-là, le dortoir est en effervescence, nous avons été réveillés toute la nuit par
des passages incessants d’avions.
Le matin, notre gamin a cours de maths. Notre professeur, Monsieur Manson, prend un air
solennel et nous annonce que les Anglais ont débarqué quelque part sur les côtes du Calvados,
il n’en sait pas plus et la salle est envahie de cris de joie mais, avec sa bonne humeur habituelle,
il nous rappelle que ce matin nous avons composition de maths ! Les leçons de notre professeur
d’anglais deviennent d’une importance primordiale.
Tout va aller très vite : plus de correspondances, nous sommes isolés du Nord-Cotentin, et
dès la fin de l’année scolaire, devant les risques présentés par un groupe de 150 enfants et
adolescents, nous sommes répartis dans les fermes environnantes de l’agglomération :
Argouges, Saint Senier de Beuvron, Carnet et La Croix Avranchin en priorité.
Et c’est à Argouges que notre gamin passe des jours heureux avec des braves paysans à la
campagne qui l’ont accueilli comme leur propre fils. Les travaux des champs continuent
comme si de rien n’était, mais un beau jour, le canon tonne du côté d’Avranches.
Dans les jours suivants, nous voyons apparaître des soldats allemands en débandade, harassés,
fuyant à pied, utilisant tous les moyens de locomotion qu’ils ont pu se procurer : bicyclettes,
motos, voitures à cheval…
Pendant toute la journée, c’est le même scénario et le lendemain, à notre réveil et à notre grande
surprise, nous sommes libérés : les soldats que nous avons pris par ignorance pour des Anglais
sont en fait des Américains, et bien qu’ils s’agissent de combattants, la grande différence avec
les Allemands, c’est leur grande décontraction, mais également leurs déplacements silencieux
grâce à leurs semelles en caoutchouc.
Monsieur DAUGUET va chercher une bouteille de calvados avec un verre, et d’un ton joyeux me
dit : « il faut fêter la victoire, va offrir le verre de l’amitié à nos libérateurs », et me voilà avec
ma bouteille effectuant le service, faisant le tour des combattants qui se reposent quelques
instants, le tout ponctué par des « very good » très appréciés, voilà une libération pour le
moins originale.
à peine le temps de souffler et nous partons avec une bande de copains à La Croix Avranchin
où passe une colonne de chars de la Division Patton en route vers la libération de la Bretagne :
c’est tout simplement à la fois impressionnant et grandiose, quelle impression de puissance
représente cette colonne de blindés.
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Une semaine plus tard, des cars Schmitt affrétés par la Croix Rouge viennent nous chercher
pour nous transporter à Cherbourg. Le retour par des villes meurtries que sont Avranches,
Coutances, Lessay , La Haye du Puits et Valognes nous surprend car nous ne nous attendions
pas à un tel désastre.
Nous arrivons à Cherbourg, et là c’est le choc ! Notre sentiment est partagé entre désolation
et admiration, constate notre gamin après son absence de plus d’un an : la Gare Maritime
Transatlantique qui l’a fait tant rêver n’est plus que ruines, le port est rempli de navires, « les
Liberty Ships » qui ont remplacé les paquebots, la plage et la place Napoléon sont devenues un
immense chantier encombré de marchandises de toute sorte.
Les Américains sont partout dans la ville, des véhicules se déplacent dans tous les sens.
La vie de notre gamin bascule : après la joie des retrouvailles, la joie de retrouver sa maman,
il se rend compte de tous les bouleversements qui sont intervenus dans sa vie : il a grandi et
à travers toutes les épreuves vécues, c’est un adolescent qui regarde maintenant l’avenir avec
confiance, le temps du rêve a fait place à la réalité.
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BIBLIOGRAPHIE
Livres
Cherbourg, port du Titanic et des transatlantiques / sous la dir. de Marcel Clairet, Frédéric
Patard. - Cherbourg-Octeville : La Presse de la Manche, 2011. - (Hors-série).
Cherbourg, port de la liberté dans la bataille de Normandie : la mémoire confisquée / Robert
Lerouvillois. - Cherbourg : Isoète, 2009.
La Gare Maritime Transatlantique de Cherbourg : naissance, renaissances et destinée 19282008 / Virginie Beaufrère. - Juin 2007.
L’émigration vers l’Amérique au départ de Cherbourg entre 1920 et 1932 / Christian Martin.
- 2001.
La vie maritime à Cherbourg de l’avant-guerre à la reconstruction / Service historique de
la Marine à Cherbourg ; Conservation des musées de Cherbourg. - Cherbourg : Musée de la
Libération - Fort du Roule, 1997.
ARTICLES DE PERIODIQUE (à consulter sur place)
Cherbourg, transits d’immigrants entre 1850 et 1939 / Xavier Oriot.
in : Ouest France. - 10 novembre 2012.
Quand les émigrants se mariaient à Cherbourg.
in : La Presse de la Manche. - 8 avril 2012.
La Gare transatlantique de Cherbourg : vue par la presse locale, régionale et internationale
de 1932 à 2003. - Cherbourg (Manche) : La Cité de la Mer, 2010.
La légende transatlantique de Cherbourg / Frédéric Patard.
in : La presse de la Manche. - 2008. - (15 juillet 2008).
LA GARE MARITIME TRANSATLANTIQUE EN PHOTOS
Coriallo, la banque d’images patrimoniales
Coriallo regroupe sous forme numérique des documents iconographiques anciens allant du
XVIIe siècle à nos jours. On peut y retrouver des œuvres d’art, des images de Cherbourg-Octeville
autrefois, des cartes postales ou plans anciens…Une collection importante de cartes postales et
de photographies est dédiée aux Gares Maritimes Transatlantiques de Cherbourg.
https://phototheque.cherbourg-octeville.fr/
Crédits photos : Collection Jean PIVAIN / Arch.dép. Manche - National Archives USA
Cherbourg, porte de l’océan : histoire de la Gare Maritime Transatlantique / Normandie
magazine. - Cherbourg (Manche) ; La Cité de la Mer, 2003.
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Archives départementales de la Manche
Un fonds de photographies américaines libres de droits est consacré la Libération de la
France par les armées alliées. Elles témoignent des combats pour la Libération et présentent
divers aspects de la présence américaine dans notre département. On y trouve également
des rapports de l’armée américaine sur l’état de l’opinion publique française et la situation
de l’administration militaire américaine en Normandie. De nombreux clichés montrent la
destruction de la Gare Maritime Transatlantique et plus globalement du port de Cherbourg.
http://recherche.archives.manche.fr/?id=recherche_documents_figures&action=search&form_
search_fulltext
Imperial War Museum
L’Imperial War Museum est un organisme national de musées militaires britanniques. Une
large collection de photographies est consacrée au débarquement des Anglais en 1939 et à la
Libération en 1944.
http://www.iwm.org.uk/collections/search?query=cherbourg&items_per_page=10&submit=
ET POUR EN SAVOIR PLUS SUR LA GARE MARITIME TRANSATLANTIQUE
Ce dossier thématique retrace l’histoire de la Gare Maritime Transatlantique de Cherbourg
inaugurée en 1933, tout en abordant les deux premières gares, en évoquant les paquebots,
la situation géographique du port, la situation au moment des 1re et 2e Guerres mondiales, le
déclin de l’activité transatlantique, la destruction partielle de la gare et la naissance du projet
de La Cité de la Mer.
Les Gares Maritimes Transatlantiques de Cherbourg
www.citedelamer.com
mediathequedelamer.com
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