ennui et imagination créatrice

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ennui et imagination créatrice
Mardi 10 Février 2009
ENNUI ET IMAGINATION CRÉATRICE
Le terme d’ « ennui » peut être pris dans plusieurs sens :
1°- dans un premier sens il signifie un désagrément ou une contrariété passagère
provoquée par un obstacle, une difficulté, un empêchement, le manque de quelque
chose. Par exemple : avoir des ennuis.
2°- dans un deuxième sens, il signifie : difficulté qui met dans l’embarras, problème.
Exemple : un ennui mécanique, des ennuis d’argent.
3°- enfin dans un troisième sens il signifie : lassitude morale, impression de vide qui
engendre la mélancolie, la tristesse et qui est provoquée par le désœuvrement, le
manque d’intérêt et la monotonie.
Dans les deux premiers sans du terme, il est absolument impossible d’épargner
aux enfants les ennuis qui sont ceux de la vie. En plus, ils ont un effet positif sur eux,
en ce sens que grâce à eux les enfants apprennent à surmonter des obstacles, à avoir
confiance en eux, à enrichir leur connaissance de la vie et d’eux-mêmes, de leurs
propres réactions face aux obstacles.
Bien évidemment, pour sortir grandis de ces ennuis de la vie quotidienne, les enfants
ont besoin du soutien de leurs parents, de la mise en valeur et de la reconnaissance de
leurs efforts, et plus profondément, du désir des parents que leurs enfants arrivent à
vaincre les ennuis de la réalité en se renforçant psychiquement.
Ils ont aussi besoin - pour éviter le désœuvrement source de cette impression de vide d’être stimulés par leurs parents aussi bien intellectuellement qu’affectivement.
Le jeu et le dessin font mûrir, font grandir, de même que les puzzles et les jeux de
construction aident à la construction de la personnalité. La meilleure stimulation
intellectuelle étant constituée par le partage d’un plaisir en commun dont on puisse
discuter par la suite. Les enfants sont tout particulièrement sensibles au fait de se sentir
importants pour leurs parents. Et si c’est quelque chose d’autre qui est plus important
pour les parents que leurs enfants, ceux-ci peuvent présenter des pathologies plus ou
moins graves.
A ce propos il faut distinguer les besoins d’un petit enfant de celui de l’enfant
plus grand, à l’école primaire.
Les tout petits sont routiniers et exigent un cadre de vie régulier et une stabilité de la
relation avec les adultes qui les entourent. Que le cadre change tout le temps par des
déménagements incessants, par des heures de coucher complètement aléatoires ou par
le changement permanent des personnes qui s’en occupent, et les enfants sont tout de
suite perturbés : ils ont des troubles du sommeil, des troubles de l’attention, des
troubles de l’alimentation ou alors ils sont complètement perdus sans aucun sens des
règles de vie ou de ce qui se fait ou ne se fait pas. Ce sont les premiers signaux
d’alarme que peuvent donner les enfants et auquel il faut savoir rester attentif.
Par la suite, pour plus grands, les sorties au théâtre, cinéma, musée et tous
spectacles adaptés à leur âge permettent de nourrir l’imagination de l’enfant qui
s’intéressent normalement à tout ce qui l’entoure. Cette curiosité doit être encouragée
et les adultes devraient répondre à toutes les questions que posent les enfants même si
cela les met mal à l’aise. Les réponses du genre (ça ne te regarde pas, tu comprendras
plus tard, c’est pas tes affaires, etc) entraînent un manque d’intérêt pour l’exploration
du monde extérieur et l’acquisition des connaissances.
Le peintre Maurice Utrillo, raconte que lorsqu’il disait à sa mère - Suzanne
Valladon, elle-même peintre - qu’il s’ennuyait, elle lui répondait : « Aie une vie
intérieure et tu ne t’ennuiera jamais ! »
La première vie intérieure de l’enfant est dans l’imagination en général, cette
faculté de former des images et de les combiner entre elles en tableau ou scènes qui
imitent les faits de la réalité mais qui ne représentent rien de réel ni d’existant. Plus
précisément, il s’agit chez l’enfant dès la naissance des scénarios imaginaires dans
lesquels il est présent ( parfois à toutes les places) et qui figurent de façon plus ou
moins déformé l’accomplissement d’un désir, comme, par exemple ce que l’on appelle
le « roman familial » et qui consiste pour l’enfant dans certaines circonstances (quand
il a été grondé par exemple) d’imaginer qu’il n’est pas vraiment le fils de ses parents,
qu’il est le fils d’un prince ou autre haut personnage, à qui il a été volé dès la naissance
par ses mauvais parents – mauvais parce qu’il le grondent, le frustrent, lui imposent
telle ou telle contrainte : se brosser les dans, prendre sa douche – juste au moment où il
était en train de jouer et d’inventer quelque chose de passionnant et qui ne peut pas
être remis à plus tard parce qu’il donne un plaisir immense.
Ces scénarios imaginaires peuvent se réduire à quatre grands thèmes :
1° -le thème de son origine : où étais-je avant de naître ? C’est d’ailleurs souvent
sous cette forme là que la question est posée directement posée aux parents. Mais elle
peut être posée de façon indirecte, par des symptômes : agitation, troubles du
comportement, troubles des acquisitions scolaires.
2° - le thème de la sexualité qui s’exprime sous la forme d’une séduction exercé sur
l’enfant contre sa volonté par quelqu’un d’autre ; (thème dont le sens est : je ne suis
pas et responsable du désir sexuel, c’est l’autre qui est responsable). D’ailleurs, quand
il y a des jeux comme le docteur, jouer au papa et à la maman, - jeux que les parents
n’aiment pas beaucoup, c’est cela qui est invoqué comme réponse à la question « Qui
a commencé ? » -« C’est pas moi c’est lui, c’est elle ! ».
3° - le thème de la différence des sexes expliquée par la castration : les filles n’ont
pas de zizi par ce qu’on le leur a coupé parce qu’elles n’ont pas été sages ; et du côté
des filles : ma mère ne m’a rien donné ni zizi ni seins ; et de la il n’y a qu’un pas à
« ma mère m’a tout volé » ce qui explique souvent les relations difficiles mère-fille à
un moment donné et la dépression des petite filles vers l’âge de 5-6ans.
4°-enfin le quatrième thème qui persiste jusqu’à l’âge adulte (et qui ne peut être en
tant que telle attribué à l’enfance) c’est l’assimilation des événements qui ont eu lieu
dans la journée.
Ce quatrième thème s’étend aussi à la compréhension de sa propre vie ou de
la lignée familiale qui constitue en quelque sorte le fondement de toutes les
compréhensions intellectuelles postérieures. Ainsi l’ennui en classe, l’agitation
permanente et les difficultés de concentration peuvent cacher l’impossibilité à mettre
en place le puzzle de sa famille, qui est le fondement de la compréhension de la
différence entre avant/après, plus grand/plus petit, de la numération, de la notion
d’ordre, etc. Ici, l’ennui ne fait parfois que masquer quelque chose de plus profond.
D’ailleurs le désintérêt scolaire n’arrive qu’exceptionnellement avant l’âge de 10 ans,
en gros après la fin du primaire. A cet âge, la nécessité de l’apprentissage scolaire
n’est plus une contrainte externe imposée par les parents ou par le désir de leur plaire,
mais commence à être intégrer dans la motivation interne. Avant, l’ennui en classe et
le fléchissement des notes sont souvent dus à des difficultés familiales : maladies,
séparation des parents, décès, dépressions, phobies scolaires ou au contraire précocité,
et s’accompagne souvent :
- d’une opposition active et bruyante avec des attitudes de bouderies, colère ou
instabilité
- d’une opposition plus passive d’un enfant plus effacé et silencieux (« dans la lune »
ou rêveur.
En dehors de ces cas d’ennui scolaire, le seul signe de perturbation grave chez
l’enfant est l’absence d’intérêt pour le jeu, symptôme grave pour lequel il faut
toujours consulter.
Ces scénarios imaginaires qui sont nécessaires à la construction de l’esprit et
qui se trouvent au fondement de tout pensée rationnelle ne peuvent se développer que
si l’enfant dispose d’un certain espace de liberté.
Ce temps libres où les enfants ne font rien de particulier et où l’on pourrait
penser qu’ils s’ennuient sont des temps nécessaires pour pouvoir penser et imaginer ce
qui leur arrive, un temps nécessaire pour la construction psychique, pour permettre de
passer des scénarios imaginaires à l’examen des possibilités de la réalité. Priver les
enfants de ce temps, celui où ils traînent en pyjama où ils restent les yeux dans le
vague, ou bien, celui où ils jouent les différents personnages de leur histoire c’est
comme les priver de l’air pour respirer.
Les enfants naissent avec un appareil psychique possédant d’immenses
potentialités et leur imagination est débordante.
Ainsi Rimbaud a écrit ses premiers poèmes publiés à l’âge de 16 ans, Alfred
Jarry a fait paraître ses premiers poèmes à 17 ans et « UBU roi » qui a provoqué un
vrai scandale, à l’âge de 23 ans. Evariste Galois envoie trois mémoires à l’Académie
des sciences, dans lesquels il résout le problème des équations algébriques de degré
supérieur à quatre – problème crucial pour l’algèbre de son temps – à l’âge de18 ans.
La veille de sa mort en duel, en 1832, à l’âge de 22 ans, il rassemble ses principales
idées dont l’ampleur ne sera reconnue que 50 ans plus tard.
Un analyste anglais Roger Money-Kyrle, montre, dans un article intitulé « Qui
ou quoi perturbe l’Univers » que ce qui perturbe l’univers de l’enfant c’est son propre
développement physiologique, psychologique et intellectuel. Et c’est ce qu’il faut
avoir à l’esprit lorsqu’à une phase d’équilibre succède une phase d’instabilité émotive.
L’enfant est en perpétuel devenir. Il peut nous paraître petit, mais il faut penser que
dans tant d’années il va passer son bac ou entrer à Polytechnique. C’est un pari que les
parents font sur l’avenir et les enfants deviennent souvent ce que les parents ont
souhaité au plus profond de leur cœur : non pas polytechniciens absolument, mais
intelligents ou non, capables de compréhension et de compassion pour les autres ou au
contraire égoïstes et centrés sur eux-mêmes ; créatifs ou complètement dépourvus
d’imagination ; capables d’une pensée rationnelle ou croyant à toutes les fables et
mystifications selon ce que les parents souhaitent. Ce qui ne veut pas dire que les
parents doivent imposer aux enfants tel ou tel choix de vie, mais les soutenir dans leur
désir à eux.
Car certaines paroles que les adultes et les parents en particulier
profèrent ont le même effet que les vœux des fées au-dessus du berceau de l’enfant :
ils ont le pouvoir de donner une direction à la vie de l’enfant. Donc, je ne peux que
vous inciter à pensez à l’avenir de votre enfant, à parier sur son avenir.
Sabine Parmentier
Psychanalyste