Actes 6-8 - Fraternités Monastiques de Jérusalem

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Fraternités de Jérusalem
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epuis le début des Actes des Apôtres, nous suivons la naissance et la croissance de la communauté de Jérusalem : effusion de l’Esprit, premières conversions et premières persécutions,
tableaux de la vie de la première communauté, alternent. Dans une seconde partie, qui commence avec le chapitre 6, tout va s’ouvrir et se mettre en mouvement : mouvement intérieur à la
communauté, avec l’instauration de nouveaux ministères et l’émergence de nouveaux protagonistes –
Étienne, Philippe … – qui n’appartiennent pas au groupe des apôtres ; mouvement extérieur déterminé
par les persécutions qui dispersent la communauté et portent l’évangélisation, dans toute la Judée, en
Samarie (8,1) et bien au-delà…
Le chapitre 6 commence par le récit d’une réorganisation institutionnelle de l’Église (6,1-7)
qui rappelle son premier effort d’organisation (au chapitre 1). «En ces jours-là», était-il dit en 1,15, comme en 6,1 : il s’agissait alors de compléter, sur la suggestion de Pierre, le collège apostolique ; ici il s’agit
plutôt de régler une difficulté imprévue. Mais, dans les deux cas, l’autorité apostolique (Pierre en 1,16 ;
les Douze en 6,2) propose une solution qui fait accomplir à l’Église un progrès. Un incident entre des
convertis juifs d’origines géographique et culturelle différentes – «Hébreux» de Judée, parlant araméen,
et «Hellénistes», de la diaspora, parlant grec – qui se traduit par des «murmures» (6,1, comme autrefois
dans le désert, en Exode 15,24…) donne l’occasion de choisir et d’instituer des hommes qui ont des
noms à consonance grecque, dont le dernier nommé, Nicolas, est même un prosélyte c’est-à-dire un
païen d’abord converti au judaïsme, et dont le nombre de sept renvoie au chiffre traditionnel des nations (77). Ces hommes, préposés au service, non seulement de la charité, mais aussi, comme on le voit
plus loin, de la Parole, et que, malgré leur nom de diakonos (serviteur), il faut se garder de confondre
avec ce que seront, par la suite, les diacres, ces hommes nouveaux incarnent donc la nouvelle ouverture
au monde de la communauté.
La fécondité renouvelée qui va en surgir est marquée en 6,7, par un nouveau refrain : Luc
jusqu’alors mentionnait régulièrement l’augmentation des disciples (2,41 ; 4,4 ; 5,14 ; 6,1) ; il dit maintenant que «la Parole croît» (6,7 ; et plus loin : 12,24 ; 19,20). Car c’est bien l’histoire de l’extension de
la Parole que racontent les Actes, à travers de multiples témoins, bien plus encore que l’histoire des
premiers disciples.
La fin du chapitre 6 et tout le chapitre 7 sont consacrés à l’un de ces témoins, Étienne,
présenté comme le chef des Sept et qui va être, dans son martyre, comme configuré à Jésus. La geste
d’Étienne s’ouvre et se ferme par deux récits : celui de son arrestation (6,8-15) et de sa lapidation
(7,55‑60), entre lesquels s’insère son long discours (7,2-53), le plus long des Actes.
Lors de son arrestation, Étienne est présenté, à l’instar des apôtres, comme opérant «de grands
prodiges et signes» (6,8). De même que les grandes familles sacerdotales de Jérusalem s’étaient opposées
à la prédication des apôtres (cf. chapitres 4 et 5), de même Étienne va rencontrer la contradiction de la
part des Juifs de la diaspora, parlant grec comme lui. À l’Esprit qui assiste Étienne, selon la promesse de
Jésus (Luc 21,15), ne peuvent être opposés que de faux témoignages : cette notation (6,13), les propos
blasphématoires qu’on lui prête (6,14), et jusqu’à sa comparution devant le Sanhédrin, tout concourt à
identifier Étienne à son maître (cf. Luc 22,66-71) qu’il va suivre jusqu’en sa Passion.
Le chapitre 7 est presque entièrement occupé par son discours devant le Sanhédrin (7,2-53). Au
lieu de répondre directement aux accusations portées contre lui, comme l’y invite le grand prêtre (7,1),
Étienne se livre à une relecture complexe de l’histoire d’Israël, qui fait d’abord mémoire de l’alliance de
Dieu avec «les pères», centrée sur trois figures successives : Abraham (7,2-8), Joseph (7,9-12) et Moïse
(7,17-1) ; puis, dans un second temps, interprète cette histoire comme une désobéissance constante au
dessein de Dieu, de la part du peuple qui a «renié» Moïse (7,35-39a), est retourné à l’idolâtrie (7,39b‑43),
a méconnu la présence de Dieu parmi eux dans l’Arche, puis le Temple (7,44-50). Cette relecture de
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l’histoire débouche sur une péroraison d’une violence digne du langage des prophètes, qui applique à
la situation présente les leçons de cet échec de l’alliance : de même que «les pères» ont persécuté les
prophètes envoyés par Dieu, de même ils ont «trahi et assassiné… le Juste» (7,52).
S’il semblait habile d’évoquer devant cet auditoire pieux les relations entre le Seigneur et son
peuple, pour rappeler quel peuple il s’est choisi, quel service il en attend et comment il l’a rassemblé par
le don de la Loi, l’interprétation que donne Étienne devient une accusation contre ce peuple qui n’a pas
su répondre au don de Dieu. La conclusion qu’il en tire est péremptoire : «Le Seigneur n’habite pas dans
des demeures faites de main d’homme» (7,48) ; elle récuse donc la présence de Dieu parmi son peuple
et remet en question le culte comme tout le système du Temple qui profitait surtout aux Sadducéens,
nombreux à siéger au Sanhédrin. Au terme de sa démonstration, l’accusation est retournée : ce n’est
pas lui, Étienne, qui a tenu des propos blasphématoires contre le Temple et la Loi, comme on l’en accuse
(cf. 6,13), mais ce sont eux, membres du Sanhédrin, qui ont dévoyé le culte et violé la Loi (7,53). Son
langage vigoureux emprunte les images de la Torah : «nuques raides» (cf. Exode 32,9 ; 33,3.5…) et des
prophètes : «cœurs incirconcis» (Isaïe 6,9-10 ; Jérémie 6,10 ; 9,25). Et Jésus qui est ici seulement nommé
«le Juste», est situé dans la ligne des anciens prophètes persécutés (7,52).
Ce n’est pas dans cette longue plaidoirie qu’il faut chercher la nouveauté absolue de l’Esprit Saint,
mais dans le récit de la mort d’Étienne qui clôt le chapitre (7,54-60). Si la réaction d’exaspération des
juges est attendue (7,54), elle est immédiatement recouverte par la vision d’Étienne : «Je vois les cieux
ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu» (7,55-56). Étienne dont «le visage apparaît semblable
à celui d’un ange» (6,15) et qui est «rempli d’Esprit Saint» (7,55), qui parle donc en tant que messager de
Dieu, prophétise en des termes empruntés aux prophètes (Isaïe 63,19 ; Daniel 7,13) le jugement qui
manifestera l’accomplissement de toute l’histoire d’Israël – jugement déjà évoqué par Jésus devant ce
même Sanhédrin, presque dans les mêmes termes (Luc 22,69) et qui avait déclenché contre lui l’accusation de blasphème (Luc 22,71 ; Actes 7,37).
Car Étienne, en sa passion, est de plus en plus configuré à son maître : s’il est lapidé sans réel
jugement, il prie en remettant l’Esprit, comme Jésus en croix (Luc 24,46 ; Actes 7,59) et en pardonnant
à ses bourreaux (Luc 24,34 ; Actes 7,60), et meurt en poussant un grand cri (Luc 24,48 ; Actes 7,60).
Étienne meurt en témoin non d’un jugement de condamnation, mais d’un jugement de pardon et de
grâce, comme le montre la double allusion à Saul (7,58 ; 8,1) qui «approuvait ce meurtre» mais dont la
conversion sera contée quelques chapitres plus loin.
La mort de celui qu’on nomme le «proto-martyr» (littéralement en grec : «le premier témoin»),
détermine désormais une farouche opposition entre les chefs du peuple et les disciples et va avoir immédiatement, comme le montre le chapitre 8, des conséquences montrant la grâce à l’œuvre même
dans la contradiction. Une brève introduction prévient, de façon assez neutre, que la persécution contre
l’Église de Jérusalem qui suit la lapidation d’Étienne, provoque sa dispersion. Mais c’est pour mieux faire
ressortir, dans la suite du chapitre, le caractère providentiel de cette dispersion qui permet à la Parole
de grandir et de se répandre. Car ce chapitre 8 présente une double anticipation de l’accomplissement
des promesses messianiques concernant la réunification du peuple – puisque les Samaritains accueillent
la Parole et entrent dans le peuple nouveau (8,4-25) – et le lieu de la Présence de Dieu, qui n’est plus
limité au Temple mais devient tout être croyant – comme l’indique le baptême de l’eunuque éthiopien
(8,24-40).
L’évangélisation de la Samarie (8,4-25) forme un récit complexe qui mêle l’action de Philippe
d’abord (8,4-13), puis de Pierre et Jean ensuite (8,14-25), à leurs démêlés avec Simon le magicien
(8,9-11.13 et 8,18-24). Le baptême des Samaritains s’opère en effet en deux temps : Philippe – qui est
comme Étienne, l’un des Sept institués en 6,5-6 – «proclame le Christ» (8,5) et accomplit des signes tels
qu’ils se font baptiser, d’un baptême de conversion, donné «au nom du Seigneur Jésus» (8,11.14). Mais il
revient à deux apôtres, Pierre et Jean, restés à Jérusalem (cf. 8,1c), de venir leur imposer les mains, afin
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qu’ils reçoivent l’Esprit Saint (8,15-17). Ainsi sont-ils pleinement intégrés au peuple nouveau : ce que
Jésus, dans l’évangile de Jean, annonçait comme la moisson déjà mûre des Samaritains (Jean 4,35), est
ici accompli.
L’histoire du magicien Simon, qui vient s’intercaler dans ce récit de conversion, trouve peut-être
là son sens, car ce Simon «tenait (les Samaritains) émerveillés par ses sortilèges» (8,11) : ils reçoivent donc
d’abord, par le ministère de Philippe, une grâce de libération qui les détourne de l’idolâtrie. Simon cependant, lui aussi a reçu ce baptême de conversion (8,11), mais dans le but de renforcer ses pouvoirs,
comme le montre sa tentative pour acheter aux apôtres le don de l’Esprit (8,18-19) ; c’est alors aux
apôtres Pierre et Jean qu’il revient d’opérer le discernement des esprits, de dénoncer «le lien d’iniquité»
(8,22) qui enserre encore Simon, et de conférer au contraire «le bon esprit» (Luc 11,13), l’Esprit Saint,
au peuple des Samaritains, purifié et confessant Jésus.
Le baptême de l’eunuque éthiopien (8,26-41), à nouveau conféré par Philippe, est le passage que
nous méditons de façon plus approfondie ce mois-ci. Il élargit encore la perspective puisque la Bonne
Nouvelle est reçue là, non plus par des schismatiques (comme l’étaient les Samaritains), mais par un
étranger qui, de plus, était exclu par son état d’eunuque de toute possibilité d’entrer dans le peuple de
la Première Alliance. La Bonne Nouvelle, selon un thème amorcé ici, et qui va de plus en plus s’imposer,
«continue sa route» (8,40) ; elle va, de proche en proche, gagner tout l’Empire.
Méditer - Le baptême de l’eunuque éthiopien (8,26-40)
Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier
biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.
L
es Actes des Apôtres montrent la course de la Parole s’étendant, depuis Jérusalem, à tout l’Empire.
Si les premiers chapitres se déroulent au cœur de la Ville sainte où, après le don de l’Esprit, la
première communauté se forme et se structure, très vite les premières persécutions éclatent et
conduisent à la dispersion des disciples en Judée et en Samarie. Ainsi l’action même qui avait voulu par
la violence étouffer la Parole, a comme résultat de permettre sa diffusion.
La Parole ainsi fait route à travers toute la Terre Sainte, et même bien au-delà puisque, dans
l’épisode que nous méditons ce mois-ci, elle vient toucher, par l’intermédiaire du diacre Philippe, un
Africain. Le premier étranger, qui va la colporter jusqu’en la lointaine Éthiopie. Le premier aussi dont
est rapporté le baptême dans l’eau et l’Esprit, qui suit sa confession de foi, premier élément d’un rituel
sacramentel qui se met en place. Le premier en tout cela, mais surtout un disciple qui, comme ceux qui
l’ont précédé, voit sa vie renouvelée par la rencontre du Ressuscité et connaît la joie de la foi.
8 [26] L’Ange du Seigneur s’adressa à Philippe et lui dit : «Pars et vat’en, à l’heure de midi, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza ; elle
est déserte.» [27] Il partit donc et s’y rendit. Justement un Éthiopien, un
eunuque, haut fonctionnaire de Candace, reine d’Éthiopie, et surintendant de tous ses trésors, qui était venu en pèlerinage à Jérusalem, [28]
s’en retournait, assis sur son char, en lisant le prophète Isaïe. [29] L’Esprit
dit à Philippe : «Avance et rattrape ce char.» [30] Philippe y courut, et
il entendit que l’eunuque lisait le prophète Isaïe. Il lui demanda : «Comprends-tu donc ce que tu lis ?» - [31] «Et comment le pourrais-je, dit-il,
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si personne ne me guide ?» Et il invita Philippe à monter et à s’asseoir
près de lui. [32] Le passage de l’Écriture qu’il lisait était le suivant :
«Comme une brebis il a été conduit à la boucherie ;
comme un agneau muet devant celui qui le tond,
ainsi il n’ouvre pas la bouche.
[33] Dans son abaissement la justice lui a été déniée.
Sa postérité, qui la racontera ?
Car sa vie est retranchée de la terre.»
[34] S’adressant à Philippe, l’eunuque lui dit : «Je t’en prie, de qui le
prophète dit-il cela ? De lui-même ou de quelqu’un d’autre ?» [35] Philippe prit alors la parole et, partant de ce texte de l’Écriture, lui annonça
la Bonne Nouvelle de Jésus.
[36] Chemin faisant, ils arrivèrent à un point d’eau, et l’eunuque dit :
«Voici de l’eau. Qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ?» [38] Et il fit
arrêter le char. Ils descendirent tous deux dans l’eau, Philippe avec l’eunuque, et il le baptisa. [39] Mais, quand ils furent remontés de l’eau, l’Esprit
du Seigneur enleva Philippe, et l’eunuque ne le vit plus. Et il poursuivit son
chemin tout joyeux. [40] Quant à Philippe, il se trouva à Azot ; continuant
sa route, il annonçait la Bonne Nouvelle dans toutes les villes qu’il traversait, jusqu’à ce qu’il arrivât à Césarée.
«L’Ange du Seigneur» : selon le sens premier de son
nom, l’ange est celui qui vient porter un message
de la part de Dieu. Luc montre les anges au service de la mission du Christ apportant la nouvelle
de sa naissance (3,9-13), le réconfortant dans
son agonie (22,43) et annonçant sa résurrection
(24,4). Dans les Actes, les anges viennent en aide
aux apôtres, pour les éclairer et les soutenir dans
la persécution (1,10 ; 5,19 ; 10,3 ; 12,7-10). Dans
son rôle d’inspirateur, l’Ange, dans les Actes, tend
à être remplacé par l’Esprit (comparer 8,26 et
8,29 où ils jouent le même rôle) : le chrétien qui a
reçu au baptême l’Esprit Saint est à présent animé
intérieurement par lui.
nos, diacre, qui leur est donnée), en Actes 6,1-5.
C’est déjà lui qui, en 8,5-8, a évangélisé la Samarie.
«la route» : idée et terme fréquents en Luc qui,
rappelons-le, organise une grande partie de son
évangile comme la route de Jésus vers Jérusalem
(9,51s). Ici l’expression revient à plusieurs reprises : au sens propre en 8,26.36.39 et au sens figuré, en 8,31, puisque Philippe doit servir de «guide»
(le terme en grec étant formé sur la même racine
que «route») sur le chemin des Écritures.
«Gaza» : après l’expansion au nord de Jérusalem,
vers la Samarie (Actes 8,5-8), voici que la Bonne
Nouvelle prend la route du sud qui relie Jérusalem à
l’Égypte et à l’Éthiopie, via Gaza, qui est mentionnée
dans la Bible comme l’une des cinq villes philistines à
l’époque de la royauté (Josué 13,2 ; 1 Samuel 6,17).
«Philippe» : il ne s’agit pas de l’apôtre, qui apparaît
dans les listes des Douze (Luc 6,18 et parallèles
en Marc et Matthieu) et se trouve particulièrement
mis en avant dans l’évangile de Jean (1,43-46 ; 6,5.7 ;
12,21-22, 14,8‑9) ; mais de l’un des Sept, les «Hellé- «déserte» : on peut admirer l’obéissance du discinistes» institués par les apôtres pour le service des ple devant cet ordre apparemment absurde : partables (diakonia, en grec, d’où l’appellation de diako- tir à midi, l’heure la plus chaude, sur une route où
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il n’y a personne… Mais peut-être se souvient-il
du Cantique : «Où mèneras-tu paître le troupeau, où
le mettras-tu au repos à l’heure de midi ?» (Cantique 1,8) ; et de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine «à la sixième heure» (Jean 4,7). Midi, l’heure
de la pleine lumière, est aussi l’heure de la révélation… même au désert !
pagnons – origine lointaine, et sans doute légendaire, des Éthiopiens qu’on nomme aujourd’hui
Falashas et qui sont reconnus par Israël comme
juifs.) Ou faisait-il partie de ceux qu’on appelait
«les craignant-Dieu», c’est-à-dire ceux qui, sans aller
jusqu’à la démarche de conversion, se sentaient
attirés par le Dieu d’Israël ? Il est en tout cas présenté comme un homme déjà dévot – car venir
«un Éthiopien» : dans la Bible, le terme d’Éthio- en pèlerinage d’aussi loin représente un signe de
pie désigne la Nubie (nord du Soudan actuel). La foi remarquable. Cet étranger est finalement le
Parole qui a déjà été accueillie en Samarie – ac- symbole de l’espérance eschatologique d’Israël
complissant ainsi les oracles sur la réunification en train de s’accomplir : tous viendront à Jérusade toutes les tribus d’Israël (cf. Amos 9,11-12, cité lem, sur «la montagne sainte», adorer le vrai Dieu
en Actes 15,16-17) – est maintenant reçue par un (cf. Isaïe 66,18-20 ; Zacharie 8,20-23 ; 14,16-21 ;
Africain qui, à son tour, va la porter jusqu’en son et aussi Psaume 68,32 : «Depuis l’Égypte des grands
pays. C’est bien la réalisation du programme défini viendront, l’Éthiopie tendra les mains vers Dieu»).
en Actes 1,8 : «Vous serez mes témoins à Jérusalem, Dans la structure des Actes, cet Éthiopien occupe
dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extré- une place intermédiaire entre les Samaritains, qui
mités de la terre». L’Éthiopie apparaissait déjà, dans n’étaient que schismatiques et ont déjà accueilli
certains oracles prophétiques, comme l’exemple la Bonne Nouvelle (8,5-8), et les Romains païens
de nations étrangères, souvent hostiles, mais pou- dont les premiers seront plus loin convertis, non
vant se convertir : cf. l’oracle contre Kush (ancien par un simple diacre, mais par Pierre, le chef des
nom de l’Éthiopie) en Isaïe 18 ; ou Sophonie 3,10 : apôtres (cf. Actes 10 et 11).
«De l’autre coté des fleuves d’Éthiopie, mes suppliants
m’apporteront leurs offrandes».
«lisant» : l’Éthiopien est finalement dans la situation de tout homme de bonne volonté : la force
«un eunuque» : le terme désigne, au sens large, un de la Parole ouvre son cœur, mais il a besoin, pour
homme de confiance (comme on pouvait faire bien la comprendre, d’être guidé dans une tradiconfiance aux eunuques chargés de surveiller les tion qui l’interprète.
harems). Mais, alors que les non-juifs étaient exclus du culte, ainsi que les eunuques (cf. Deuté- «L’Esprit» : il joue, dans les Actes, depuis la Penteronome 23,2), on peut voir ici une réminiscence côte un rôle prépondérant, à tel point que l’on a
de l’oracle du Troisième Isaïe qui, pour annoncer pu dire qu’il en était le personnage principal. C’est
la fin de toute exclusion, prophétisait que même lui, en particulier, qui impulse, comme c’est le cas
les eunuques et les étrangers pouvaient devenir ici, les initiatives missionnaires (cf. 10,9 pour le
serviteurs du Seigneur et prier dans sa maison baptême par Pierre du premier païen ; ou 13,2,
(Isaïe 56,2-7 : «...Leurs holocaustes et leurs sacrifices pour l’envoi en mission de Saul et Barnabé).
seront agréés sur mon autel, et ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples» ; cf. aussi «ce char» : la mention répétée du char (8,28.29.38)
Sagesse 3,14-15).
évoque le char de feu qui a emporté Élie, l’arrachant à son disciple Élisée qui, empli de son Esprit,
«Candace» : cet Éthiopien n’est pas n’importe qui : poursuit la mission de son maître (2 Rois 2,11s).
il occupe de hautes fonctions à la cour de la rei- Ici la situation est inversée : le char va emmener
ne Candace, ce qui n’est pas le nom propre de la l’Éthiopien devenu disciple et ayant reçu l’Esprit
reine, mais un titre (Kandaké) que portaient, dans Saint, tandis que Philippe va poursuivre sa tâche
le royaume nubien de Méroé, les reines-mères qui d’évangélisation, qui s’inscrit aussi dans la lignée
exerçaient en réalité le pouvoir.
du prophétisme (c’est d’ailleurs bien un livre prophétique que lit l’eunuque).
«en pèlerinage» : cette démarche de pèlerinage
intrigue : était-il d’origine juive ? (La tradition «entendit» : on lisait toujours à haute voix dans l’Antiprête en effet une descendance à Ménélik, le fils quité. Philippe, dans cette première partie de la rende Salomon et de la reine de Saba, et à ses com- contre, mû intérieurement par l’Esprit, a l’initiative.
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«guide» : pour connaître – c’est le sens premier du
verbe du verset 30, traduit ici par «comprendre» –,
l’ignorant a besoin d’être conduit par un guide qui
a reçu la lumière. Cf. Luc 6,3 : «Un aveugle peutil guider un autre aveugle ?» ; et Romains 10,14 :
«Comment l’invoquer sans croire d’abord en lui ? Et
comment croire en lui sans d’abord l’entendre ? Et
comment entendre sans prédicateur ?»
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«prit la parole» : littéralement : «ouvrit la bouche».
Jésus, le serviteur de Dieu, a été, selon la prophétie d’Isaïe, réduit au silence («Il n’ouvre pas la
bouche», Isaïe 53,78, cité au v. 32). Mais après sa
Résurrection et le don de l’Esprit, ce sont ses témoins qui parlent pour lui (Philippe ici et Pierre,
avec la même expression en 10,34).
«la Bonne Nouvelle» : Philippe est «parti de ce texte
de l’Écriture», c’est-à-dire que, comme en Luc 24,
il a poursuivi sa catéchèse jusqu’à l’annonce de la
résurrection de Jésus et du salut apporté à tous.
C’est pourquoi, bien que le texte d’Isaïe parle d’un
serviteur maltraité (v. 32) et humilié (v. 33), il s’agit
d’une «bonne nouvelle» (en grec : euangelion, «évangile»). Sans doute particulièrement pour ceux
qui, comme cet étranger eunuque, sont exclus du
culte d’Israël, bien que croyants. Ce thème était
déjà amorcé dans le discours d’Étienne, au chapitre précédent, qui citait Isaïe 66,1 : «Quelle maison
me bâtirez-vous ? dit le Seigneur, et quel sera le lieu
de mon repos ?» (Actes 7,49). Car l’oracle d’Isaïe
«Le passage de l’Écriture» : il s’agit d’un extrait du cité par Étienne se poursuivait ainsi : «Mais celui sur
Quatrième chant du Serviteur (Isaïe 53,78), cité qui je porte les yeux, c’est le pauvre et l’humilié, celui
d’après la version de la Septante (traduction de qui tremble à ma parole» (Isaïe 66,2b). Cet oracle
la Bible hébraïque en grec, effectuée en milieu juif, s’accomplit aujourd’hui pour cet homme assidu à
à Alexandrie, vers le IIIe siècle avant J.-C., qui dif- lire les prophètes et assez humble pour chercher à
fère de celle de nos traductions actuelles faites comprendre à travers eux la voix de Dieu.
sur l’hébreu). Ces quatre chants parlent d’un mystérieux serviteur, élu du Seigneur (Isaïe 42,1) et «un point d’eau» : une nouvelle mention de la route
établi «lumière des nations» (42,6), qui, persécuté ouvre la dernière partie du récit où l’insistance
«à cause de nos fautes» (Isaïe 53,5), va offrir sa vie est mise sur l’eau (v. 36, 38, 39). Elle évoque, dans
en sacrifice (53,10) et valoir à tous la guérison et la grande vision d’Ézéchiel, l’eau «sortant de desla justification (53,5-11). De même le Ressuscité sous le seuil du Temple», qui coule jusque dans la
commençait sa catéchèse aux pèlerins d’Emmaüs mer Morte pour qu’à nouveau la vie s’y développe
en parlant des souffrances qu’il fallait que «le Christ (Ézéchiel 47,1-12). Cf. aussi Joël 4,18 ; et surtout
endurât pour entrer dans la gloire» (Luc 24,26).
Zacharie 13,1 : «En ce jour-là il y aura une fontaine
ouverte (…) pour laver péché et souillure».
«quelqu’un d’autre» : l’interprétation juive habituelle
des chants du Serviteur est de voir en ce serviteur «empêche» : dans cette dernière partie de la renpersécuté le petit reste du peuple, fidèle au Sei- contre, c’est l’eunuque, et non plus Philippe, qui
gneur, qui, à la fin de ses épreuves, «verra la lumière a l’initiative, et c’est lui qui demande librement à
et sera comblé» (Isaïe 53,11). La question de l’Éthio- être baptisé. La formule : «qu’est-ce qui empêche…»
pien ouvre à une autre interprétation. Pour un est la même que celle utilisée par Pierre face au
chrétien, l’accomplissement plénier de la prophé- centurion Corneille et à sa famille : «Peut-on refutie d’Isaïe se lit dans la Passion et la mort de Jésus ser (littéralement : empêcher) l’eau du baptême à
venu habiter la souffrance des hommes et la pren- ceux qui ont reçu l’Esprit Saint aussi bien que nous ?»
dre sur lui pour nous en arracher. «Le châtiment qui (Actes 10,47). Mais, si les paroles sont identiques,
nous rend la paix est sur lui, dans ses blessures nous on remarque que les chemins sont différents : pour
trouvons la guérison» (Isaie 53,5) : non parce qu’il en l’Éthiopien, c’est la connaissance des Écritures et
est mort, mais parce qu’il a traversé la mort pour l’ouverture à leur intelligence plénière qui conduit
ressusciter et nous ressusciter en lui.
au baptême, tandis que, dans le cas de Corneille,
«invita» : ce passage a de nombreux contacts avec
l’histoire des pèlerins d’Emmaüs (Luc 24,13‑35) :
catéchèse qui «explique les Écritures en chemin»
(Luc 24,32) et «interprète» ce qui concerne Jésus
(24,27) ; invitation à rester (24,29) ; accomplissement de la connaissance ou de la reconnaissance
par un sacrement (l’eucharistie en Luc 24,30-31,
le baptême ici en Actes 8,38). Cependant pour les
pèlerins d’Emmaüs, il s’agissait d’une anamnèse, du
rappel des annonces de la Passion et de la Cène ;
ici, Philippe fait plutôt de l’exégèse : il rend un texte
intelligible et amène ainsi à la confession de la foi.
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c’est l’effusion de l’Esprit qu’il a reçue, qui l’y prépare. Dans le premier cas, il s’agit du chemin de
conversion que peut suivre un juif (cf. les disciples
d’Emmaüs qui font un chemin semblable) ; dans le
second cas, de la conversion d’un païen.
thée) empêche d’annoncer la Parole en Asie» et où
une vision convainc Paul de se tourner vers l’Europe : «Aussitôt après cette vision, nous cherchâmes à
partir pour la Macédoine, persuadés que Dieu nous y
appelait à porter la Bonne Nouvelle»).
«baptisé» : si le geste du baptême d’eau est évoqué en Luc, c’est à propos de Jean Baptiste et en
l’opposant au baptême «dans l’Esprit Saint et le feu»
qui doit plus tard être instauré (Luc 3,16). Cette
opposition se retrouve au début des Actes : «Jean,
lui, a baptisé avec de l’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés» (Actes 1,5) ; et
Pierre, dans son premier discours après la Pentecôte, parle seulement de baptême «au nom de
Jésus Christ» (2,38), sans précision sur la forme du
rite. C’est donc la première fois qu’est mentionnée l’utilisation de l’eau qui devient vite la norme
des premières communautés (cf. Actes 10,47 qui
parle de «l’eau du baptême»).
«ne le vit plus» : le schéma est bien le même que
dans l’épisode des pèlerins d’Emmaüs : la catéchèse
a été couronnée par un sacrement (l’eucharistie
en Luc 24,30 ; le baptême ici) ; une expérience
de reconnaissance a été faite (reconnaissance du
Ressuscité en Luc 24,31-35 ; ici, identification du
Serviteur souffrant à Jésus) ; et de même que le
Ressuscité devient invisible lorsque les yeux des
disciples s’ouvrent (Luc 24,31), ici l’évangélisateur
s’efface lorsque le baptisé est entré en relation avec
le Christ et l’Esprit qui désormais habite en lui.
«tout joyeux» : ce n’est en rien une notation psychologique : l’eunuque devrait plutôt être attristé
de voir si vite disparaître son initiateur et de de«descendirent» : la scène évoque celle de la guéri- voir continuer à vivre sa foi seul. Cheminer dans la
son de Naaman le Syrien – un étranger lui aussi joie évoque directement les oracles du retour de
– à qui le prophète Élisée avait demandé d’aller se l’exil (cf. Isaïe 35,1-10 : «Ceux qu’a libérés le Seigneur
baigner dans le Jourdain pour être purifié de sa reviendront, ils arriveront à Sion criant de joie, portant
lèpre, symbole biblique du péché. Naaman arrive, avec eux une joie éternelle. La joie et l’allégresse les
lui aussi, dans son char (2 Rois 5,9) : «Il descendit accompagneront, la douleur et les plaintes cesseront»).
et se plongea (c’est le sens premier du verbe bap- Plus globalement, la joie – qui est nommée par
tizein, «baptiser») sept fois dans le Jourdain, selon Paul parmi les fruits de l’Esprit (Galates 5,22) –
la parole d’Élisée : sa chair redevint nette comme la apparaît dans les Actes comme la marque de la foi
chair d’un petit enfant» (2 Rois 5,14). Jésus assume authentique (cf. 2,46 ; 8,8 ; 13,48.52…), à tel point
cette scène en descendant lui aussi dans le Jour- qu’elle est mentionnée même dans des situations
dain, avec Jean Baptiste, pour recevoir le baptême qui se prêtent peu à la gaieté (cf. 5,41 : «tout joyeux
de pénitence ; mais l’accent, dans les évangiles, est d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le
mis sur l’effusion de l’Esprit lorsqu’il «remonte de Nom»).
l’eau» (Matthieu 3,16 ; Luc 3,21-22). Le baptême
n’a pas à purifier celui qui est sans péché (cf. Mat- «à Césarée» : le chapitre est clos par un verset qui
thieu 3,15) : c’est lui qui, par sa chair glorifiée par est comme le résumé des Actes qui racontent la
l’Esprit, a purifié l’eau de nos baptêmes.
course de la Parole et son extension depuis Jérusalem jusqu’à Rome (comme Césarée : la ville de
«l’Esprit du Seigneur» : l’Esprit se manifeste à la César) où ils s’achèvent (28,30-31). À partir de Jéremontée de l’eau, comme lors du baptême de rusalem, la Samarie a été évangélisée et les schisJésus (Matthieu 3,16 ; Luc 3,21) ; mais son action matiques ont été réunis au peuple messianique ;
ici est double : il emplit l’eunuque qui a reçu le puis, sur la route allant vers le sud, un croyant,
baptême – ceci paraît si évident au rédacteur qu’il doublement exclu du Temple, puisqu’étranger et
ne le mentionne pas explicitement – et il enlève eunuque, a reçu le baptême qui lui permet de
Philippe, c’est-à-dire qu’il le met en situation de célébrer le culte nouveau. La Parole, dans son
poursuivre sa mission. L’Esprit, on l’a dit, apparaît extension, va toucher le cœur de Saul (dont la
comme un acteur à part entière des Actes, qui gui- conversion est racontée au chapitre suivant) et le
de la marche de l’évangélisation, par les consignes transformer en l’apôtre Paul qui part annoncer le
qu’il fait comprendre aux apôtres (cf. par exemple Christ aux Juifs d’abord, aux païens ensuite, et ceci
Actes 16,6-10 où «le Saint Esprit les (Paul et Timo- jusqu’à Rome.
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Prier
Sois béni, Père saint, qui veilles sur tes enfants, dans les oppositions et les contradictions,
et, de tout, veux faire surgir un plus grand bien.
Sois béni, Seigneur Christ, qui as livré ta vie
pour que la Bonne Nouvelle de ta victoire sur le mal et la mort
atteigne tout homme, si éloigné, si étranger qu’il soit,
et rassemble en un même peuple les frères dispersés.
Sois béni, Esprit de Dieu, qui fais toutes choses nouvelles,
et ne cesse de conduire plus au large l’Église.
Mets en nos cœurs purifiés et renouvelés par l’eau du baptême
la confiance, au lieu de la peur, l’audace, au lieu du repliement,
pour que toujours nous sachions accueillir la résurrection
qui déjà germe en nos vies, en nos communautés, en notre histoire.
Pour que nous sachions te reconnaître à l’œuvre,
même en ce qui nous surprend, nous déroute ou nous ferait douter de ta bonté.
Pour que nous ne confondions jamais ta vérité, éternellement neuve,
avec nos habitudes ou nos attentes.
Toi qui es notre Dieu trois fois saint, maintenant et pour les siècles.
Amen.
Contempler
«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée
«Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à
qui Dieu parle...
Qu’en dit Théophile ?
C
ette fois-ci les choses vont vraiment un peu vite, et Théophile croit vivre un mauvais rêve : cette
communauté nouvellement née, si belle, si attachante, qu’il a vu se former et grandir, voilà qu’elle
se trouve attaquée de toutes parts. Attaquée de l’intérieur par des dissensions, pour des questions de langue et de biens, alors que tous n’avaient «qu’un cœur et qu’une âme» et mettaient tout en
commun (Actes 4,32). Attaquée de l’extérieur par l’opposition des plus conservateurs et des puissants
membres du Sanhédrin, alors qu’ils «louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple» (2,47). Que s’est-il
passé ? Que se passe-t-il pour que la communauté se déchire et que la persécution se lève, si violente
qu’elle verse le sang et disperse les disciples, comme une volée de moineaux effrayés ?
Qu’a-t-il pu se passer pour que prenne corps ce mauvais rêve ? Mais n’est-ce pas plutôt auparavant qu’il vivait dans un rêve, alors qu’il pensait que le monde changeait ? A-t-on jamais vu des nations
diverses se rassembler dans la paix ? des ignorants tenir tête aux tribunaux ? des hommes durablement
unis dans la joie ? N’est-il pas temps de laisser retomber l’enthousiasme un peu naïf qui l’avait saisi et
de considérer à nouveau la réalité des choses, telles que toujours elles sont advenues ?
Pauvre Théophile, qui se croit raisonnable, alors seulement qu’en perdant cœur, il perd aussi la
foi ! Pauvre Théophile qui n’a pas compris encore qu’à la croix, un temps nouveau s’est ouvert, tant il
peine à en déchiffrer les signes !
*
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«En ces jours-là» (Actes 6,1)… Ces jours si gris sont cependant signalés, par cette expression,
comme des jours messianiques. En ces jours-là cependant, l’aventure qui, humainement, aurait dû tourner court, se poursuit. La Parole qu’on tente d’étouffer retentit plus fort que jamais. Théophile peu à
peu comprend qu’à nouveau, mais de façon plus discrète, plus inattendue, à la manière du vent soufflant
où il veut (cf. Jean 3,8), l’Esprit toujours est à l’œuvre. Que l’Esprit qui fait toutes choses nouvelles,
sculpte le matériau des faiblesses humaines et des impasses humaines, pour inventer quelque chose de
neuf, pour ouvrir une route inattendue.
À partir des discussions dans la communauté s’invente une meilleure organisation de l’Église, qui
fait émerger aux côtés des apôtres d’autres hommes aux talents divers. Car la liberté de l’Esprit ne
ramène pas l’unité à l’uniformité et suscite des façons différentes d’être frères.
«La vertu n’a pas qu’un seul visage (…) Les apôtres n’ont pas estimé préférable de délaisser la parole
de Dieu et de servir aux tables. Mais les deux choses sont œuvre de sagesse ; car Étienne lui aussi, était
rempli de sagesse et fut choisi comme serviteur. Donc que celui qui sert s’en réfère à celui qui enseigne,
et que le docteur exhorte et anime celui qui sert. Car le corps de l’Église est un ; et si ses membres sont
divers, c’est qu’ils ont besoin l’un de l’autre. ‘L’œil ne saurait dire à la main : Je n’ai pas besoin de tes
services ; ni la tête de même aux pieds : Je n’ai pas besoin de vous’ (1 Co 12,21). ; et l’oreille ne saurait
nier qu’elle ne soit du corps. Le vrai sage est celui dont l’esprit est dans le Christ et dont l’œil intérieur est
levé vers les hauteurs.» (S. Ambroise de Milan, IVe siècle)
Des persécutions sanglantes qui dispersent la communauté de Jérusalem naît un éclatement, un
éparpillement de ses membres qui, loin de l’affaiblir, lui offre de nouveaux champs d’évangélisation. La
mort d’Étienne qui, dans sa passion, a été si évidemment configuré au Christ, pour tragique qu’elle soit,
révèle immédiatement sa fécondité.
«La charité qui a fait descendre le Christ du ciel sur la terre, c’est elle qui a élevé Étienne de la terre
jusqu’au ciel. La charité, qui existait d’abord chez le Roi, c’est elle qui, à sa suite, a resplendi chez le soldat.
Étienne, pour obtenir de recevoir la couronne que signifie son nom, avait pour armes la charité, et grâce
à elle il était entièrement vainqueur. Par l’amour de Dieu, il n’a pas reculé devant l’hostilité du Sanhédrin ;
par l’amour du prochain, il a intercédé pour ceux qui le lapidaient. Par cette charité, il leur reprochait leur
erreur, afin qu’ils se corrigent ; par cette charité, il priait pour ceux qui le lapidaient, afin que le châtiment
leur soit épargné. Fortifié par la charité, il a vaincu Saul qui s’opposait cruellement à lui et, après l’avoir
eu comme persécuteur sur terre, il a obtenu de l’avoir pour compagnon dans le ciel. Sa sainte et persévérante charité désirait gagner à lui par la prière ceux qu’il n’avait pu convertir par ses avertissements.
Et voici que maintenant Paul partage la joie d’Étienne, il jouit avec Étienne de la gloire du Christ, il exulte
avec Étienne, il règne avec lui. Là où Étienne est allé le premier, mis à mort par la lapidation de Paul, c’est
là que Paul l’a suivi, secouru par les prières d’Étienne» (Fulgence de Ruspe, IVe siècle).
Si la grâce doit encore cheminer pour atteindre Saul le pharisien, elle touche
d’emblée les Samaritains : ceux-là même qui n’avaient pas voulu recevoir Jésus
parce qu’il «faisait route vers Jérusalem» (Luc 9,53), accueillent à présent
le disciple venu de Jérusalem qui leur annonce sa Parole de Vie.
La grâce de Jésus, le Serviteur souffrant et humilié, vient aussi
toucher l’humilié, l’exclu malgré sa richesse, l’étranger, et «par
le bain d’eau qu’une parole accompagne» (Éphésiens 5,28), voici
qu’il devient un homme nouveau, purifié, intégré dans l’Église.
Dans ce sacrement où s’expérimente comme physiquement, par
l’immersion, le passage nécessaire par la mort pour aller vers la vie.
«Ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été
baptisés ?» (Romains 6,3).
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10 mars 2011 | 10
«Vous avez été conduits près de la sainte piscine du divin baptême, comme le Christ de sa croix au
tombeau tout proche. Et chacun fut interrogé : croyait-il au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ? Et
vous avez professé la profession salvatrice : par trois fois vous vous êtes plongés dans l’eau et en avez
émergé, symbolisant ainsi le triduum du Christ au tombeau. Comme notre Sauveur en effet a passé trois
jours et trois nuits au sein de la terre, ainsi, vous aussi, vous avez imité, dans votre première sortie de
l’eau, le premier jour du Christ dans la terre comme dans votre première immersion sa première nuit.
Qui est dans la nuit ne voit plus ; qui au contraire est dans le jour vit dans la lumière : ainsi quand vous
avez été immergés, vous étiez dans la nuit et vous n’avez plus rien vu, tandis que sortant de l’eau, vous
vous trouviez comme en plein jour. Et dans le même acte, vous mouriez et vous naissiez : cette eau
salutaire devenait à la fois votre tombe et votre mère. Ce que Salomon disait à propos de circonstances
différentes pourrait s’adapter à votre cas : ‘Il y a, disait-il, un temps pour mettre au monde et un temps
pour mourir’ (Qo,3,2). Pour vous au contraire, le temps de la mort est aussi celui de la naissance. Un
seul et même temps a réalisé ces deux événements : votre naissance à vous a coïncidé avec votre mort»
(S. Cyrille de Jérusalem, IVe siècle).
*
Près de ce point d’eau devenu fontaine baptismale, Théophile entrevoit comment des fêlures
d’une communauté risquant de se replier sur elle-même peut naître une véritable communion, riche
des dons divers de l’Esprit ; comment de la mort de Jésus, et, à sa suite, de la mort d’Étienne et de tant
d’autres, naît à la vraie vie, un peuple rassemblé. Et, par dessus tout, dans l’exubérance de l’Esprit, il voit
la course joyeuse, libre, de la Parole s’étendant sur la Terre Sainte, sur toute terre qui devient sainte
de l’accueillir.
«Vivante est la Parole de Dieu, efficace et plus acérée qu’une épée à deux tranchants.’ Le Verbe, de
même éternité que le Père, et avec lui dès le principe, s’est révélé aux Apôtres à l’époque fixée par lui.
Ensuite les apôtres l’ont annoncé au monde, et la foi des peuples croyants l’a reçu en toute humilité. Il
est donc le Verbe auprès du Père, le Verbe en la bouche des apôtres, le Verbe en nos cœurs.
Et cette Parole de Dieu est vivante puisque le Père lui a donné d’avoir en elle la vie, comme le Père a la
vie en lui-même. Aussi n’est-elle pas seulement une Parole vivante, mais elle est la vie. Quand on prêche
cette Parole, elle donne par cette prédication, à la parole extérieurement audible, la puissance même de
sa parole intérieurement perçue. Dès lors les morts ressuscitent et ce témoignage fait surgir de nouveaux
fils d’Abraham. Elle est donc vivante, cette Parole.Vivante dans le cœur du Père, vivante sur les lèvres du
prédicateur et vivante dans les cœurs remplis de foi et d’amour» (Baudouin de Ford, XIIe siècle).
Non, il ne s’agissait pas d’un rêve. Mais pas non plus d’un idéal trop figé dans sa perfection. Il s’agit
de la vie, du torrent impétueux de l’Esprit qui charrie tout, emporte tout plus loin et va partout porter
la vie. Que Théophile – et nous, qui sommes souvent frileux devant la nouveauté, avec lui – goûte la joie
de la foi ! Car notre Dieu est celui qui fait toutes choses nouvelles, dans son Église et en chaque cœur.
Il est le Dieu de la Résurrection !
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