Nicolas de Cues

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Nicolas de Cues
FLODOARD
BULLETIN DE LA BIBLIOTHÈQUE JEAN GERSON
Rédaction : Dominique Hoizey 6, rue du Lieutenant-Herduin 51100 Reims n°42 (mars 2013) ISSN 2265-0563
Une grande figure intellectuelle du XVe siècle
Nicolas de Cues
théologien, philosophe, juriste, mathématicien, humaniste
Nicolas de Cues
Jeanne d’Arc L’épopée d’une visionnaire racontée en musique par Jordi
Savall Des chrétiens contre les croisades Un livre de Martin Aurell
Chrétiens d’Irak, d’Égypte et de Turquie Le témoignage du
dominicain Jean-Marie Mérigoux À la rencontre du poète et
mystique musulman Rûmi avec l’écrivain Nahal Tajadod et le
٬
dominicain Alberto F. Ambrosio Le roman d’Ibn Arabî En racontant
le grand penseur de l’islam, le romancier turc Sadik Yalsizuçanlar « témoigne de
l’éclat de la littérature soufie contemporaine en Turquie » (Alberto F. Ambrosio)
Lire Nicolas de Cues
 Klaus Reinhardt et Harald Schwaetzer, Nicolas de Cues. Anthologie, édition française de
Marie-Anne Vannier, Éditions du Cerf, 2012
Après Les Mystiques rhénans. Eckhart, Tauler, Suso. Anthologie (2010) et l’Encyclopédie des
mystiques rhénans. D’Eckhart à Nicolas de Cues et leur réception (2011), la série « L’apogée de la
théologie mystique de l’Église d’occident » s’est enrichie d’un nouveau volume entièrement consacré
à Nicolas de Cues (1401-1464) dont Klaus Reinhardt et Harald Schwaetzer donnent à lire les grandes
pages d’une œuvre touchant aussi bien la philosophie et la théologie que les mathématiques, le droit et
la politique. Ainsi, en parcourant le De docta ignorantia (De la docte ignorance), le De coniecturis
(Les conjectures), le De quaerendo Deum (La recherche de Dieu), le De pace fidei (La paix de la foi)
ou le De ludo globi (Du jeu de la boule), découvrons-nous non seulement « la vivante réflexion d’un
homme aux compétences multiples » mais aussi une pensée qui aujourd’hui encore « garde une
puissance de rayonnement mondial ». Prenons le temps de lire Nicolas de Cues. La présente
anthologie nous en donne l’occasion.
Le jeu de la boule
Le De ludo globi (1462) se présente sous la forme
d’un dialogue au début duquel Jean, duc de
Bavière, demande à Nicolas, cardinal, de lui
expliquer l’image que recèle « ce jeu nouveau et
plaisant ». Le cardinal répond que cet exercice offre
« à nos regards une philosophie nullement
négligeable ».
Les mathématiques et la
science des choses divines
On peut lire dans le De docta ignorantia (1440) qu’
« aucun des penseurs de l’Antiquité que l’on tient
pour grand, n’a abordé les choses difficiles au
moyen d’une similitude autre que celle des
mathématiques ; si bien que Boèce, le plus lettré
des Romains, a affirmé que nul homme qui fût tout
à fait étranger à la pratique des mathématiques ne
pouvait atteindre la science des choses divines »
(Anthologie, p. 51-52).
Dieu, « le compagnon de
mon voyage »
C’est un jeu de société qui se compose de neuf
cercles concentriques. […] Le centre, c’est le
dixième cercle, qui est un point : le Christ.[…]
L’homme – l’âme humaine – est représenté dans le
jeu par un deuxième élément : la boule. Comme
l’homme n’est pas achevé, la boule est évidée. C’est
pourquoi la boule ne roule pas droit, mais en
spirale. Au premier abord, le jeu consiste seulement
à ce que la boule soit lancée de manière telle que,
dans sa spirale, elle arrive au point central qu’est
le Christ. Mais, en raison de la nature incurvée de
la boule, un tel lancer n’est pas facile à réaliser.
[…] On ne peut jamais reproduire le même lancer.
La boule prend toujours un autre chemin. À
chaque fois, l’être humain se jette, de manière
nouvelle, dans le monde. […] De cette manière, le
jeu manifeste sa vis mystica, sa force mystique.
Harald Schwaetzer, Anthologie, p. 231
Le De visione Dei (1453), d’où le passage cidessous est extrait, est une des plus belles pages de
Nicolas de Cues (Anthologie, p. 190) :
Tu es, Seigneur, le compagnon de mon voyage : où
que j’aille, tes yeux sont toujours sur moi ; voir,
pour toi, c’est te mouvoir. Tu te mets donc en
mouvement avec moi et tant que je suis en
mouvement, tu ne cesses jamais de l’être. Si je me
repose, tu es aussi avec moi, si je monte, tu montes,
si je descends, tu descends. Où que je me tourne, tu
es présent. Et tu ne m’abandonnes pas tout au long
de mes tourments. Sitôt que je t’appelle, tu es près
de moi : car t’appeler, c’est me tourner vers toi. Tu
ne peux manquer à celui qui se tourne vers toi et
nul ne peut se tourner vers toi si tu n’es pas déjà
présent. Tu es présent avant que je me tourne vers
toi.
Jeanne d’Arc au fil des notes
 Jordi Savall, La Capella Reial de Catalunya, Hespèrion XXI, Jeanne d’Arc. Batailles &
Prisons. L’Épopée d’une Visionnaire, Alia Vox, 2012
Le programme de ce livre/CD, conçu par Jordi Savall, comprend des textes empruntés à des sources
diverses comme le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc ou La Chronique de Charles VII, des
musiques, vocales et instrumentales, choisies dans le souci de « recréer un univers musical qui nous
rapproche de cette vie fascinante et mystérieuse de Jeanne la Pucelle » (Jordi Savall). Par les mots, par
les notes, les principaux événements qui ont marqué la vie de Jeanne d’Arc, de sa naissance à sa mort
en passant par la délivrance d’Orléans, le sacre de Charles VII et son procès, sont ainsi évoqués. Et
pour Jordi Savall, « la parole et la musique portées par l’émotion et la grâce […] nous permettent
d’atteindre […] cette dimension magique qui se situe entre la réalité et le mythe ». On notera
également quelques pages d’historiens comme Philippe Contamine, Georges Minois ou Colette
Beaune qu’il n’est pas inutile de (re)lire. De belles illustrations couronnent l’ensemble.
Des chrétiens contre les Croisades
 Martin Aurell, Des chrétiens contre les croisades (XIIe-XIIIe siècle), Fayard, 2013
Quoi de neuf à propos des croisades ? Après Jean Flori, qui dans Prêcher la croisade (Perrin, 2012)
s’attache à découvrir « les mobiles qui ont poussé tant d’êtres humains à partir […] à l’appel de
prédicateurs plus ou moins inspirés qui, parlant au nom de Dieu, tentaient de les convaincre de
s’engager dans cette aventure », un autre médiéviste, Martin Aurell, s’intéresse dans le présent
ouvrage aux contestataires de la croisade, les uns « considérant que les pertes de la croisade seront
toujours supérieures à ses profits », les autres « la rejetant sans ambages quelles que soient ses
circonstances » (p. 12). Ces critiques, marginales, sont l’œuvre d’une minorité agissante qui montre
que, même si la croisade a joui au Moyen Âge d’une large acceptation, elle n’en a pas moins été
contestée. « Pourquoi libérer la Palestine des sarrasins, tandis que le mal de l’infidélité [la religion
cathare] se diffuse dans notre propre maison ? » (p. 152), questionne Raoul le Noir à la fin du XIIe
siècle dans un ouvrage (notons-le au passage) dédié aux évêques de Reims et de Paris. Et puis, « Dieu
ne désire pas la vengeance humaine, ni la propagation de la foi par la violence » (p. 154). Aussi est-ce
« du glaive de la parole de Dieu pour qu’ils parviennent à la foi volontairement » que les sarrasins
doivent être frappés (p. 155). Des clercs, comme Raoul le Noir, des moines, des chroniqueurs et même
des troubadours ont donné ainsi leur opinion sur les croisades, tout un courant de critiques qui, comme
le souligne Martin Aurell, « a permis, à la longue, de changer les esprits » (p. 352).
Chrétiens d’Irak, d’Égypte et de Turquie
 Jean-Marie Mérigoux, Vers d’autres « Ninive », Lettres 1985-2010, Cerf, 2013
Jean-Marie Mérigoux, dominicain, a vécu 14 années à Mossoul, près de l’ancienne Ninive, qu’il a
quittée en 1983 pour d’autres « Ninive », Le Caire, Istanbul et…Marseille où « le monde oriental […]
est présent, le monde arabe, tant chrétien que musulman, aussi » (p. 262). Dans un précédent livre (Va
à Ninive ! Un dialogue avec l’Irak, Cerf, 2000), il évoque sa rencontre avec l’Irak profond. Les lettres
éditées dans le présent ouvrage en sont comme le prolongement, du 17 novembre 1985, date à laquelle
il se trouve au Caire depuis dix jours, au 6 mars 2010. La vie des chrétiens d’orient, dont le massacre
du 31 octobre 2010 dans une église de Bagdad rappelle combien elle peut être douloureuse, est au
cœur de cette publication. Ainsi au Caire Jean-Marie Mérigoux est-il frappé par « la ferveur des jeunes
chrétiens » (1989, p. 64). Il note qu’en Jordanie, « les chrétiens, minoritaires, n’y mènent pas la vie
humiliante que l’on remarque dans d’autres pays » (1990, p. 93). Il nous fait partager sa joie de
retrouver à Istanbul des chrétiens d’Irak dont « les trésors d’humanité et de fidélité chrétienne » (p.
100) lui sont chers. Et là, en Turquie où « tout bouge », il témoigne qu’il a pu avoir avec des
musulmans « de très belles conversations » et que sur certains sujets il a senti « un vrai accord » de la
part de son interlocuteur « qui voyait que pour [lui] la recherche de Dieu était le sujet le plus
essentiel » (1999, p. 202).
À la rencontre de Rûmi
 Alberto F. Ambrosio, Petite mystique du dialogue, Éditions du Cerf, 2013
 Nahal Tajadod, Sur les pas de Rûmi, « Espaces libres », Albin Michel, 2013
Le nom du mystique et poète persan musulman Rûmi (1207-1273) est associé à l’histoire de la
confrérie soufie des derviches tourneurs dont les robes qui s’ouvrent, écrit le dominicain Alberto Fabio
Ambrosio, « figent le regard sur le vide divin » (p. 98). Et, ajoute l’auteur de cette Petite mystique du
dialogue, « leur musique me conduit à méditer, elle élève mon regard et, surtout, purifie mon esprit »
(p. 98). En allant chercher en lui « une vocation qui peut-être ne [lui] a pas été donnée, celle d’auteur
spirituel » (p. 10), ce spécialiste du soufisme a pris le risque de surprendre par sa « mystique en
éclats ». Ce chrétien vivant en milieu musulman est sensible à l’appel à la prière lancé du haut du
minaret qui « ne peut [le] laisser indifférent à ce que recèle de vertical le rapport avec Dieu du croyant
[son] voisin » (p. 81). Et il s’étonne agréablement de « la place qu’occupe l’écoute dans tout le
système spirituel de Rûmi » (p. 93).
Si Alberto Fabio Ambrosio parle du Manasvi de Rûmi, comme d’un « Coran en langue persane » (p.
93), l’écrivain d’origine iranienne Nahal Tajadod nous en propose une lecture captivante. Elle a choisi
trente-six récits, « étranges, surprenants, parfois scandaleux, assez souvent énigmatiques » (JeanClaude Carrière), qui conduisent le lecteur, guidé par un personnage imaginaire, un relieur, de
Nichapour à Konya en passant par Tabriz et Damas jusqu’à la rencontre de Rûmi.
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Le roman d’Ibn Arabî
Sadik Yalsizuçanlar, Itinéraires d’un soufi. Récits d’Ibn ٬Arabî, traduit du turc par Alberto F.
Ambrosio, préface de Abdelwahab Meddeb, « Patrimoines », Éditions du Cerf, 2013
Ibn ٬Arabî (1165-1240) est l’un des plus célèbres penseurs et mystiques de l’islam. Né à Murcie, en
Espagne, il vécut une trentaine d’années à Séville, puis il voyagea (La Mecque, Bagdad…) avant de
s’établir à Damas. L’écrivain turc Sadik Yalsizuçanlar (né en 1962) nous invite à le suivre dans ses
« itinéraires ». Ce livre est un roman – Gezgin (« Le Voyageur ») en est le titre original – dont la
lecture « nous ouvre des horizons exceptionnels sur ce que la tradition soufie offre de plus raffiné en
termes de réflexion philosophique » (Alberto F. Ambrosio). À lire absolument.
De gauche à droite : Sadik Yalsizuçanlar - Ibn ٬Arabî - Tombeau d’Ibn ٬Arabî à Damas
© Flodoard ipns