Textes pour le dissertation sur la poésie

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Textes pour le dissertation sur la poésie
Textes pour la dissertation sur la poésie
Texte 1 : Alfred de Musset, « La Nuit de Mai » (extrait), Poésies nouvelles (poème composé en 1835)
Il y a deux manières de lire ce passage de « La Nuit de Mai » de Musset. Au premier abord, il ressemble
à un court apologue raconté par la Muse avec le pélican pour personnage central. Mais un deuxième niveau
de lecture montre qu’on peut voir dans l’histoire du pélican une allégorie de l’écriture poétique selon Musset.
À vous d’y cerner la place du cœur et des sentiments dans l’écriture poétique.
LA MUSE
Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L’Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur.
Texte 2 : Alfred de Musset, Poésies nouvelles, « Impromptu » (en réponse à cette question : qu’est-ce
que la poésie ?), 1839
Voici un poème de Musset que l’on peut presque considérer comme un art poétique, c’est-à-dire un poème
consacré à la manière et à la façon dont un poète prétend écrire.
Impromptu
En réponse à cette question : qu’est-ce que la poésie ?
Chasser tout souvenir et fixer la pensée,
Sur un bel axe d’or la tenir balancée,
Incertaine, inquiète, immobile, pourtant ;
Éterniser peut-être le rêve d’un instant ;
Aimer le vrai, le beau, chercher leur harmonie ;
Écouter dans son cœur l’écho de son génie ;
Chanter, rire, pleurer, seul, sans but, au hasard ;
D’un sourire, d’un mot, d’un soupir, d’un regard
Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme,
Faire une perle d’une larme
Du poète ici-bàs voilà la passion,
Voilà son bien, sa vie, son ambition
Texte 3 : Victor Hugo, « Préface » des Contemplations (1856)
Les Contemplations sont un recueil magistral représentant la destinée d’un homme. Le poète (comme le
recueil) s’y montre brisé en deux par l’épisode tragique de la mort de sa fille. Cette mort occupe le milieu du
recueil et confronte le poète au sens qu’il souhaite donner à sa création poétique et à son existence ellemême1. On a beaucoup lu ce recueil comme une autobiographie déguisée, une sorte de journal intime par
poèmes interposés. Dans sa préface, Hugo se penche sur cette hypothèse de lecture en la nuançant très
fortement. Il la corrige d’une manière éclairante.
Qu’est-ce que Les Contemplations ? C’est ce qu’on pourrait appeler, si le mot n’avait quelque
prétention, les Mémoires d’une âme.
Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes
vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à
soupir, et mêlés dans la même nuée sombre. C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et
aboutissant à l’énigme du cercueil ; c’est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la
jeunesse, l’amour, l’illusion, le combat, le désespoir, et qui s’arrête éperdu « au bord de l’infini ». Cela
commence par un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du clairon de l’abîme.
Une destinée est écrite là jour à jour.
Est-ce donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur
d’avoir une vie qui soir à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée
est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi.
Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le
sentez-vous pas ? Ah ! Insensé, qui crois que je ne suis pas toi !
Ce livre contient, nous le répétons, autant l’individualité du lecteur que celle de l’auteur. Homo sum.
Traverser le tumulte, la rumeur, le rêve, la lutte, le plaisir, le travail, la douleur, le silence ; se reposer dans le
sacrifice, et, là, contempler Dieu ; commencer à Foule et finir à Solitude, n’est-ce pas, les proportions
individuelles réservées, l’histoire de tous ?
On ne s’étonnera donc pas de voir nuance à nuance, ces deux volumes s’assombrir pour arriver,
cependant à l’azur d’une vie meilleure. La joie, cette fleur rapide de la jeunesse, s’effeuille page à page dans
le tome premier, qui est l’espérance, et disparaît dans le tome second qui est le deuil. Quel deuil ? le vrai,
l’unique : la mort ; la perte des êtres chers.
Nous venons de le dire, c’est une âme qui se raconte dans ces deux volumes : Autrefois, Aujourd’hui.
Un abîme les sépare, le tombeau.
1
La quatrième section (centrale) s’intitule ainsi « Pauca meae » soit « quelques vers pour ma fille ».
Texte 4 : Théophile Gautier, « L’art », Emaux et camées2, 1857 (pour le poème concerné)
Autrefois romantique, Théophile Gautier s’en est ensuite écarté tout en faisant évoluer sa conception
de la poésie pour se rapprocher d’un groupe de poètes qui se nommait « Le Parnasse ». Gautier applique
alors sa théorie de l’art pour l’art dans laquelle il n’assigne à la poésie qu’un seul objectif : être belle. Voici
un de ses poèmes qui peut passer pour un art poétique. Ajoutez à sa lecture une petite recherche sur ce qu’est
l’art pour l’art. Vous trouverez des choses dans un autre texte de Gautier qui figure sur le site dans un dossier
de textes sur la littérature engagée.
Oui, l’œuvre sort plus belle
D’une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail3.
Peintre, fuis l’aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l’émailleur ;
Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit !
Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;
Fi du rhythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !
Dans son nimbe trilobe6
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.
Tout passe. — L’art robuste
Seul a l’éternité :
Le buste
Survit à la cité,
Statuaire, repousse
L’argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l’esprit :
4
Lutte avec le carrare ,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;
Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S’accuse
Le trait fier et charmant ;
D’une main délicate
Poursuis dans un filon
D’agate5
Le profil d’Apollon.
Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.
Les dieux eux-mêmes meurent.
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.
Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
2
Deux sortes de pierres précieuses.
Le « vers » du poète est ici mis au même niveau que le travail des pierres précieuses comme l’onyx ou des matériaux précieux
(« marbre et émail »).
4
Marbre issu des carrières de Carrare en Italie.
5
Pierre précieuse.
6
Gautier évoque avec cette expression l’encadrement des vitraux dans les églises et les cathédrales.
3
Texte 5 : Stéphane Mallarmé, Poésies, « Sonnet en yx » (surnom donné au poème qui ne comporte pas
de titre), 1869.
Partisan d’une poésie qui arriverait à « la disparition élocutoire du poète » (c’est-à-dire sans le
« je »), Mallarmé veut rompre avec une poésie dans laquelle le poète s’épanche ou se raconte. Il fait à
l’inverse le choix d’une poésie très exigeante formellement et presque hermétique. Se lançant le défi de faire
un sonnet sur la rime la plus difficile qui soit « yx », il compose le texte suivant.
Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx7,
L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore8,
Maint rêve vespéral9 brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore
Sur les crédences10, au salon vide : nul ptyx11,
Aboli bibelot d’inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx12
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)
Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe13,
Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor14.
Texte 6 : André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924 (extrait) : « l’écriture automatique »
Le Surréalisme est un bouleversement de l’art en général et de la poésie en particulier. Chef de file de
ce mouvement, André Breton propose dans son Manifeste une théorie du surréalisme (et de la poésie
surréaliste). Il y décrit notamment un procédé créatif inventé par les surréalistes : l’écriture automatique :
moyen pour le poète de laisser parler son inconscient et d’écrire la coulée verbale qui lui vient en s’efforçant
de bannir toute intervention de la raison et de la pensée, y compris au mépris du sens de ce qui est écrit.
Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer soit verbalement, soit par
écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout
contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique. (…)
SECRETS DE L’ART MAGIQUE SURREALISTE
Composition surréaliste écrite, ou premier et dernier jet
Faites vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la
concentration de votre esprit sur lui-même. Placez vous dans l’état le plus passif ou réceptif que vous pourrez.
Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature
est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas
retenir et en pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu’à chaque
seconde il est une phrase étrangère à notre pensée consciente qui ne demande qu’à s’extérioriser. Il est assez
difficile de se prononcer sur le cas de la phrase suivante ; elle participe sans doute à la fois de notre activité
consciente et de l’autre, si l’on admet que le fait d’avoir écrit la première entraine un minimum de perception.
Peu doit vous importer, d’ailleurs, c’est en cela que réside, pour la plus grande part l’intérêt du jeu surréaliste.
7
Pierre précieuse, voir texte de Gautier
Qui porte des flambeaux
9
Qui concerne le soir, le couchant (formé à partir de « vêpres », office religieux du soir)
10
Buffet de salle à manger
11
Mot inventé par Mallarmé, qu’on trouvait déjà sous forme de nom propre dans un poème de Victor Hugo, « Le Satyre ».
12
Fleuve qui sépare le monde des vivants du monde des morts dans la mythologie grecque.
13
Génie, nymphe des eaux dans les légendes germaniques.
14
Composition musicale ou vocale à sept parties ou à sept exécutants.
8