une présentation plus complète de Carole MARTINEZ est à lire ici

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une présentation plus complète de Carole MARTINEZ est à lire ici
Carole MARTINEZ se présente, comme une des soixante personnes en France qui peuvent
vivre de l’écriture depuis la publication du Cœur cousu, tiré à 4500 exemplaires, puis vendu à
450 000 exemplaires, alors que bien des ouvrages sont tirés à 1000 exemplaires seulement.
L’écrivain touche de 5 à 15% du prix. Les comédiens, certains musiciens parviennent plus
facilement à vivre de leur art.
Écrire et enseigner sont des métiers difficiles. Les personnages sont aussi des occupants !
Elle se rappelle la première rencontre avec Jean-Marie Laclavetine, lecteur chez Gallimard,
qui a été attentif à un des premiers écrits de Carole Martinez, mais lui a demandé de le
reprendre. Sept mois plus tard, quand elle téléphone, il ne semble plus s’en souvenir, mais lors
d’un rendez-vous, il retient malgré tout le manuscrit. Le rêve de l’auteure se réalise, et quinze
ans de sa vie sont pris.
Comment travaillez-vous ? C’est un mystère, je ne sais pas d’où vient l’écriture. Elle est liée
à la rêvasserie, c’est-à-dire le fait de s’inventer une histoire tout éveillé. Il s’agit d’une histoire
intime, dont on est le héros. Quand j’avais votre âge je consacrais de 7 à 8 heures par jour à
cette rêvasserie. Pensez-y dans les transports en commun ! Je suis malheureuse pour vous s’il
ne vous est pas possible de vous inventer des histoires sur votre avenir, sur des rencontres ; on
laisse peu de place aujourd’hui à la rêvasserie ! Et les cours sont de vrais réservoirs de
rêvasserie !!Quant à moi, je gagne ma vie en rêvasserie ! Un roman est une longue rêvasserie
que je fixe sur la page. Les personnages empruntent des choses de moi, des autres. Tu peux
faire ce que tu veux. Le seul problème c’est qu’il faut l’écrire. Un conseil : écrivez votre
rêvasserie sans vous juger ; il faut s’abandonner sur la feuille. Quand on n’a plus
d’inspiration, on reprend et on travaille le texte. Il faut s’abandonner puis reprendre la
maîtrise de son imagination. Il en va de même pour les sportifs qui fournissent des efforts
puis se détendent. J’écris avec ma tête, avec mon corps, avec mes mains, avec mon sexe, avec
tout ce que je suis. Les mains vont à la vitesse de la pensée, grâce au clavier de l’ordinateur.
Ensuite j’adore relire à voix haute le fruit de mon travail. On écrit mieux quand on entend son
travail. Mon « gueuloir » ce sont mes copains, qui sont mes oreilles. Leur écoute me donne
envie de continuer ou non. Mais je ne leur demande pas de conseils, et ils le savent. Pendant
de longues périodes je me retiens d’écrire. Je me retiens comme si c’était presque amoureux,
pour faire monter le désir ; de même dans un couple, au début on ne fait que s’effleurer.
J’avais intérêt à aimer mon roman pour tenir 15 ans ! L’écriture c’est quelque chose de l’ordre
du désir.
L’écriture permet-elle de bien vivre ? J’ai vendu 450 000 exemplaires du Cœur cousu, et
370 à 400 000 exemplaires du Domaine des Murmures ; or ce sont des romans difficiles. Un
auteur touche de 8 à 15% du prix du livre. Et le prix change selon que le livre est en grand
format ou en format poche, version qui ne sera vendue que si l’ouvrage se vend bien en grand
format. Le Cœur cousu a connu un succès tardif en version poche ; Du Domaine des
Murmures, s’est vendu à 170 000 exemplaires en grand format, puis à 200 000 en poche, où je
ne touche plus que 5% du prix. Donc 60 auteurs seulement gagnent leur vie en France. On
gagne mieux sa vie en tant que scénariste. Et les auteurs écrivent en fonction d’eux-mêmes,
non pas en fonction du public ; ils écrivent ce qu’ils ont dans les tripes, sans penser à ce qu’ils
peuvent gagner.
Votre vie quotidienne et les événements de tous les jours ont-ils une influence sur ce que
vous écrivez ? Pour Le Domaine des Murmures, je peux en parler plus facilement. Il se passe
près de la Loue. Un roman contemporain qui raconte l’histoire d’une recluse du XIIème
siècle ! Alors que je suis claustrophobe ! Je voulais écrire quelque chose autour de Barbe
Bleue. J’imagine Lola, qui épouse Élias, aux mains percées, ce qui est une énigme pour elle.
Lola se trouve dans la pièce interdite, et entend les murmures des femmes fantômes. Or dans
Le Domaine des Murmures, on en est loin. Il me fallait un château, un vrai, avec une aile des
morts, la tour seigneuriale, et une aile plus récente, pour les vivants. J’imagine que Lola
tombe dans les escaliers avec son bébé dans les bras ; elle laisse échapper l’enfant, qui meurt.
Quand tu écris, tu peux construire ton château tout seul dans ta tête. Mais les Monuments
Historiques m’ont contactée et m’ont présenté cent châteaux en me conseillant d’aller passer
deux jours sur place et d’y écrire un petit texte, une nouvelle. Finalement j’ai gardé mon
château, et ai choisi un château ressemblant sur photos. Il s’agit de celui de Montal Saint
Céré, qui se présente comme un livre ouvert. Il est inachevé ; il date du XVIème siècle, et
présente sept tours. Or à ma surprise j’apprends qu’il a été construit par des femmes, ce qui
n’est le cas que pour deux châteaux en France, celui-ci et Chenonceaux. Mon château a été
édifié par Jeanne de Balzac en l’honneur de son fils, qui meurt pendant la construction, qui est
arrêtée. Sur le plafond de l’escalier est gravée la date de sa mort, ainsi que la sentence « Plus
d’espoir » et divers symboles de folie et de tristesse apparaissent ainsi que la salamandre
couronnée, emblème de François Ier, qui paraît désigné comme coupable de cette mort.
Cette découverte balaye ce que je voulais écrire. Elias serait-il immortel et rencontrerait
diverses femmes passées par ce château ? Je cherche alors des femmes à faire murmurer, et
me vient l’idée d’une recluse. Je prévois de consacrer une quarantaine de page à chaque
femme, puis je comprends que ce sera un roman pour chaque femme.
Pour la recluse s’impose la métaphore de la « bouche de pierre » unique orifice qu’est la
fenestrelle. La chapelle devient un ventre de pierre : l’enfant qui sort du ventre de chair doit
ensuite sortir du ventre de pierre. Au moment où j’écris cette phase du roman, mon fils a onze
ans environ et je découvre ce que c’est d’être mère. Je fais alors le récit de cette double
séparation et je revis ma propre expérience. Il me faut changer de rythme, et voir les choses à
travers les yeux d’un enfant qui n’applique aucun filtre, raconte tout sans filtre. Je raconte le
moment où une porte se ferme pour moi, à travers le moment où Elzéar passe par les barreaux
de la fenestrelle. À travers Esclarmonde je raconte ce que je ressens, ce que je vis.
Dans La terre qui penche, je raconte l’histoire de Blanche et cherche à aborder l’imaginaire de
l’enfance. Un jour dans un taxi, je téléphonais à mon éditeur ; à la fin de la conversation le
chauffeur qui a entendu l’échange, m’annonce : « Moi aussi j’écris ! ». Il compose des
poèmes, après la vaisselle, car dit-il « c’est l’eau ! ». Or de cette conversation me vient l’idée
de Blanche qui trempe ses mains dans l’eau, que je précise grâce à ma rêvasserie. La Dame
Verte provient donc de ce que j’ai vécu, parce qu’on est perméable à tout.
Avez-vous des modèles en littérature ? J’ai des amours ; j’adore Faulkner, le théâtre
classique, la poésie et en particulier les Poèmes en prose de Baudelaire. J’apprécie les essais
de Jean-Pierre Richard, les ouvrages historiques de Georges Duby sur le Moyen-Âge, ceux de
Michel Pastoureau. Parfois, je ne lis rien. Mais je vous conseille à tous de lire et d’écrire, c’est
une liberté fondamentale !!
Avez-vous d’autres projets ? Oui la suite d’une bande dessinée dont les tomes 1 et 2 ont
paru. Je les écris vignette par vignette, et il faut tout décrire pour le dessinateur. Je prépare
aussi un spectacle sur le conte intitulé La femme squelette, qui sera représenté en février 2016.
Et surtout je travaille à un documentaire sur les règles des femmes, sujet tabou. Comment les
femmes se débrouillaient-elles avec les règles autrefois ? C’est une énigme. Je pose des
questions, je fais des recherches, mais ne trouve guère de réponses car le sujet est tabou, que
personne n’en parle. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que les Américains parlent des
tissues. Mais je comprends que c’était compliqué d’être fille. Dans les textes saints la femme
qui a ses règles est considérée comme impure et l’accès aux lieux sacrés lui est interdit.
Longtemps elles ont été jugées irresponsables d’un crime commis pendant leurs règles, où
elles sont réputées « énervées ». Ce phénomène correspond à des siècles de honte, où les
femmes étaient isolées dans des endroits où elles laissaient couler le sang.
D’où vient le prénom Esclarmonde ? C’est un prénom du VIIème siècle que j’ai trouvé sur
une liste de prénoms. Je n’ai adoré, et j’ai fait très peur à ma fille, en lui disant que si je
l’avais découvert avant sa naissance, elle le porterait probablement… Esclarmonde signifie
‘celle qui éclaire le monde’ ; elle est une petite bougie, un petit être très fragile qui éclaire le
monde.
Pourquoi Lothaire lui reste-t-il fidèle ? Parce qu’il l’aime ! Lothaire est un personnage qui
suit les modes des chevaliers, des tournois ; il est viril mais se laisse prendre par la Fine Amor,
et il adopte une nouvelle panoplie, joue donc un autre rôle après qu’Esclarmonde refuse de
l’épouser. Esclarmonde le révèle à lui-même ; comme elle est inaccessible, elle avive son
désir et lui fait vivre un amour platonique. Peut-être n’est-il pas si fidèle que ça d’ailleurs…
mais amoureusement, il est absolument fidèle. On me fait parfois le reproche que mes
personnages féminins sont plus beaux, comme si les hommes n’étaient pas des héros. Mon
intérêt pour les personnages féminins vient du fait qu’il existe très peu d’héroïnes filles dans
la littérature ancienne. Aujourd’hui c’est mieux. À mon époque, je connaissais Fantômette,
Alice ; se sentir obligée d’être un gars, un mec pour vivre des aventures ne me posait pas de
problème. Regardez, les histoires de vampires plaisent surtout aux filles : Hunger Games, Les
Royaumes du Nord, ou Twilight. Dans le troisième, décrivez-moi l’héroïne. Elle est banale au
début, n’a pas de qualités particulières, est dépressive ; au contraire les deux garçons sont
magnifiques et intelligents. Il est donc compliqué pour des garçons de s’identifier à ces
personnages, à ces êtres d’exception.
Votre œuvre a-t-elle une morale ? Je n’aime pas trop quand une œuvre n’a qu’une seule
morale ; je ne veux pas forcer le lecteur à penser de telle ou telle manière. J’aime que le
lecteur se pose des questions et trouve des réponses, ou des pistes. Du Domaine des
Murmures pose des questions sur la condition des filles ; j’espère donc que le lecteur se
demandera ce que cela voulait dire que d’être une femme à cette époque. Aujourd’hui les
filles sont à égalité avec les garçons, mais rien n’est acquis. Il existe des pays où les jeunes
filles n’ont pas le droit d’aller à l’école ; or vous les garçons, sachez que si les femmes ne sont
pas éduquées, leurs enfants ne le sont pas non plus !