Lille : le Pré muché, le jardin secret le mieux partagé de Saint

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Lille : le Pré muché, le jardin secret le mieux partagé de Saint
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Lille : le Pré muché, le jardin secret le mieux
partagé de Saint-Maurice
Par Sébastien Bergès - Photos Jessica Genetel pour La Voix du Nord, Publié le 28/07/2013
Humez. Au Pré muché, le fond de l’air est à la Dolce Vita. Le petit coin de paradis de SaintMaurice-Pellevoisin est une oasis où s’apaise le battement de la ville. Un jardin secret, mais alors
un secret partagé par tous, qui chaque mercredi soir de l’été dresse ses tables pour une auberge
espagnole.
Un peu de musique pendant le repas... Photo Jessica GENETEL
C’est maintenant prouvé : au paradis, on fait des barbecues. Pour trouver le Pré muché, on peut bien
sûr suivre l’arrosoir, posé tel un petit phare sur le trottoir de la rue Saint-Gabriel, pour marquer
l’entrée du chemin buissonnier. Mais le plus drôle est de remonter la piste à la mode sioux, en
reniflant l’odeur du petit bois crépitant. Le fumet mène à travers la cour du centre social, fait un
coude, grimpe des marches, longe le flanc de Saint-Maurice-des-Champs, survole des bacs à
légumes bariolés, débouche enfin sur une clairière.
Ou plutôt, sur le jardin d’Eden. Havre modeste et exubérant dont la végétation, apprivoisée juste ce
qu’il faut, s’épanouit sous la protection d’un haut mur de briques, dominé par les vitraux de l’église.
Il est 19 h 15 et les visiteurs du soir se glissent les uns après les autres sur la pelouse du Pré Muché.
Une vingtaine de personnes papillonnent autour de deux tourets, de grosses bobines de bois
trouvées sur la zone industrielle de Marcq, et recyclées en tables.
Saint-Maurice l’accordéon
Un homme à la barbe fleurie, au centre de la pelouse, fait l’effet de Saint Pierre gardant les portes
du Paradis. Yvon, en fait, soigne simplement un vilain mal de dos à l’ombre d’un jeune poirier.
Geneviève, son épouse, élague au sécateur la tignasse folâtre des haies en saule tressé. Assise sur
l’une des chaises chinées ici et là, le plus souvent soustraites aux encombrants, Laurence, casquette
Johnny Hallyday, capte avec son appareil compact la lumière tiède du début de soirée. Des verres se
remplissent en glougloutant de thé glacé, de vin ou de bière. Les victuailles ramenées par chacun
s’amoncellent sur les tréteaux en bois. Danielle a préparé une pizza. Victor déroule une pâte à tarte
sous le regard captivé de son bébé, Ambre, blottie dans les bras de sa maman Olga. « Jean-Marc, tu
donnes le top », lance quelqu’un.
Agenouillé dans l’herbe, ledit Jean-Marc étudie, avec une concentration de chirurgien-dentiste, la
bouche béante du four à pain. Un bricolage artisanal, construit à même une brouette. « C’est fait
avec de l’argile, de la brique pilée et de la paille, décrit cet habitué, qu’un déménagement de SaintMaurice au Vieux-Lille n’a pas détourné du Pré muché. Il n’a pas belle allure mais il chauffe très
bien. » Et quand les branchages glanés sur place ne suffisent pas, Jean-Marc a une arme fatale : des
pots de yaourt en paraffine, marque Malo, achetés « au Carrefour de la rue Gambetta ». Jean-Marc
en conserve une liasse dans un pupitre d’écolier, à l’abri du préau bâti par un Compagnon amoureux
du jardin.
Sous son poirier, Yvon enfile les bretelles d’un accordéon diatonique et fait sonner une Chanson de
Prévert bucolique. « Parfois on fait des petits bœufs », confie-t-il, évoquant la cornemuse de Pascal,
la clarinette de Florian, le violon de Danielle… Sur les chaises, les femmes picorent du quinoa,
assiettes sur les genoux, tout en débattant des mérites de l’origan. Marie pique les saucisses sur la
grille du barbec’, Jean-Marc enfourne la pizza bio dans le four, Victor prend Ambre dans ses bras
pour lui faire visiter le jardin.
Eupatoires
Père et fille passent devant les eupatoires, ces plantes qui peuplaient naturellement la friche d’avant
le Pré muché, il y a cinq ans, et s’enfoncent dans les merveilles miniatures du jardin. Ici, un carré
d’herbes aromatiques, là, un potager d’aubergines et de courgettes chaperonné par un pommier
adolescent, au fond, une cage où roupillent deux poules, sur le côté, dans un coin, des abris à
insectes et des bacs pour jardiniers en herbe, dédiés aux gamins du quartier. « Les jardins ont tous
leur âme, dit Gisèle. Aux Maguettes, à Fives, on a des chats. » Au Pré muché, des témoins dignes de
confiance ont juré avoir aperçu des grenouilles au bord de la mare, dissimulée par des entrelacs de
saule.
Les doigts chauds, Yvon passe à une valse. Florian entraîne sa femme Danielle par la main. Il dit «
Et maintenant, à l’envers », elle regimbe en riant. Dans l’un des sentiers du Pré muché, une fleur
charnue, corolle en forme une vasque profonde, intrigue le visiteur. Geneviève l’avise et secoue la
tête : « Je ne sais pas de quelle espèce il s’agit. Dans ce jardin, certains viennent pour la terre.
Moi, je viens pour les gens. »

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