VOYAGE A NANTES au XIXème - Archives municipales de Nantes

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VOYAGE A NANTES au XIXème - Archives municipales de Nantes
 VOYAGE A NANTES au XIXème ! Emprunter la démarche naturaliste pour décrire la vie d’un Nantais au XIXème siècle Textes écrits par les 2nde 2 Jules Verne 2014‐2015 En lien avec les Archives municipales de Nantes 1
Elle arriva à la manufacture des tabacs. Le soleil commençait à faire son apparition à l’Est, créant un magnifique camaïeu de rose dans le ciel. Quand elle ressortirait dans la soirée, la lumière aurait disparu. Ne connaîtrait‐elle donc jamais l’effet des rayons lumineux sur sa peau ? Était‐elle destinée à un monde d’obscurité pour le restant de sa vie ? Elle passa les hautes portes du terrifiant bâtiment dont les cheminées semblaient toucher les nuages. Les préposés, qui instauraient l’autorité, ordonnèrent aux ouvrières de se mettre à leur travail après avoir confirmé leur présence. Aucune femme ne souriait. L’atmosphère lourde et pesante effaçait toute pensée positive. Chacune des cinq sections étaient en place. La « Manu » comme disaient les ouvrières, commercialisait trois produits différents : les cigares, les scaferlatis et les cigarettes. Marie‐Rose faisait partie de la quatrième section, à la fabrication de cigarettes et de tabac à fumer. Elle était une vignetteuse, choisie pour sa dextérité. La confection était divisée en plusieurs rôles : il y avait les écoteuses, les peseuses, et les paqueteuses. Ces dernières étaient enviées car elles avaient un travail réputé rémunérateur. D’ailleurs, une des seules personnes qu’elle connaissait ici, Suzanne, était paqueteuse et en effet, elle vivait un peu plus sereinement, en tout cas d’un point de vue financier. Marie‐Rose, Cigarettière à la Manufacture des tabacs Après qu’Hippolyte eut commandé une tête de veau à la sauce Gribiche et un demi de vin de bordeaux, la conversation s’orienta vers les courses. Roy allait tous les dimanches à l’hippodrome du petit port pour parier, c’était sa passion. On parla ensuite de canotage. Perrin et Maillard attendaient avec impatience les régates municipales où leur équipe composée de quelques gars bien bâtis du Phare de la Loire se mesureraient à leurs adversaires. Ils s’entraînaient tous les dimanches après‐midi sur l’Erdre. Ils discutèrent ensuite de politique. Hippolyte approuva la décision du maire républicain Lechat d’avoir créé une annexe au lycée de Nantes : le lycée Jules Verne. Pour lui, rien n’était aussi important que d’instruire les enfants car c’était grâce à l’école qu’il avait atteint le métier de journaliste. Ils évoquèrent aussi ce qui se passait à Paris, commentèrent la démission du président Mac Mahon sous la pression des Républicains et se félicitèrent de l’élection de Waldeck‐Rousseau comme député. Hippolyte annonça ensuite qu’il allait assister à la représentation d’Un Chapeau de paille d’Italie de Labiche le soir même. Il aimait ces vaudevilles divertissants aux plaisanteries grivoises qui faisaient rire à pleine dent le petit bourgeois encanaillé, flanqué de sa cocotte. Hippolyte, journaliste « Phare de la Loire » Une fois qu’il fut sorti de l’immeuble, il enfourcha sa bicyclette et se dirigea Place Royale, il continua et arriva Place du Commerce. George se trouva alors face à la ligne de train, il pouvait voir au travers de la barrière qui le séparait de la voie ferrée, un immense trois mâts qui naviguait sur la Loire. Son regard saisit, au loin, des enfants qui travaillaient sur ce navire et cela l’agaça au plus haut point. Georges, Professeur au lycée Clémenceau François entra dans le hangar où il travaillait. Il se trouvait dans une gigantesque salle sombre, remplie de fumée. D’énormes poutres soutenaient le plafond, un plafond difficile à distinguer à cause de la fumée et de la poussière qui flottait dans l’air, comme une couche de brume dissimulant les abords d’une île. D’imposantes machines siégeaient au centre du hangar, le regard était attiré par les fourneaux qui dégageaient une chaleur incommensurable ainsi que des flammes tout droit sorties des enfers. C’étaient d’ailleurs les seules sources de lumière de la salle. Et autour de ces machines se trouvait une foule incroyable de travailleurs. Cette masse 2
grouillante créait un brouhaha intense, mêlé à une oppression, un étouffement indescriptible. François travaillait aux fourneaux, il s’occupait de mettre le fer dans ceux‐ci à l’aide d’une grande pince pour le faire fondre, puis le ressortait pour le passer aux forgerons qui le modèleraient. Ce métier était très dangereux, on n’était jamais à l’abri d’une brûlure. En outre, il devait travailler dans une chaleur insupportable. François, ouvrier dans une ferblanterie de Chantenay Ses paupières s’ouvrirent sur de larges pupilles basalte. Il regarda sa toute nouvelle acquisition, une pendulette Japy, qui indiquait six heures. Il trouvait cette invention révolutionnaire, sa structure en bois parée de zinc et d’ornements en bronze, n’était qu’élégance. Il se réveillait tous les matins au son de ce doux timbre régulier. Lucien jeta un coup d’œil à la fenêtre de son immeuble. Le soleil baignait le ciel qui enlaçait de petits nuages brumeux aux teints rosâtres. Le spectacle procuré était intense et magique. Il se rendit dans la salle de bains, se nettoya les dents avec une brosse en soie de blaireau parsemée d’une poudre de charbon purifiée. Puis il imbiba sa peau d’un léger vinaigre de toilette qui magnifia instantanément son teint. Lucien enfila un costume sombre et raffiné pour aller travailler. En sortant, Lucien se retourna, faisant face à cet énorme bâtiment de pierre à la décoration cossue. En le contemplant, il jouissait d’une immense satisfaction face à cette œuvre architecturale qui lui appartenait, bayant tel un enfant se pourléchant devant une pâtisserie tant désirée. Il traversa la cour et descendit la rue de Strasbourg en direction de la ligne de tramway. Lucien, Avocat au palais de justice Ayant vérifié l’heure sur une horloge adossée à une station d’omnibus, il accéléra sa foulée et traversa rapidement le pont de l’Erdre où plusieurs bateaux commerciaux se croisaient ; deux rues plus loin, Jean gagna la place du Change dominée par une magnifique fontaine : il souhaitait en faire construire une à l’identique dans le jardin du château. Cette fontaine lui rappelait la fontaine du Cirque située à côté du théâtre de Marigny, à Paris. A l’époque, il vivait encore chez ses parents ; il se remémora le moment où il y avait embrassé sa première compagne, le coin était parfait pour les amoureux, l’endroit était parsemé de fleurs de multiples couleurs et planté d’une riche végétation ; des sculptures végétales représentaient quatre enfants symbolisant les quatre saisons du sculpteur Jean‐Auguste Barre. Depuis ce jour, Jean Charrière nourrissait un profond respect pour cet artiste ainsi que pour l’architecte de la fontaine, Jacques Hittorff. Tous ces nombreux bons moments passés près de cette fameuse fontaine plongeaient souvent Jean dans la mélancolie… Jean, tailleur place du Bouffay Suzanne, bien considérée par ses collègues et ses contremaîtresses était depuis quelques mois à l’empaquetage des cigarettes. C’était un travail minutieux qu’il fallait réaliser assez rapidement. Mais en comparaison des cigarières oudes époulardeuses, c’était une tâche moins difficile et moins pénible. Elle était chargée de prendre les cigarettes quatre par quatre confectionnées par sa camarade de poste dans une petite boîte en bois, de les peser et de les emballer dans des enveloppes prévues à cet effet. Les bonnes journées sans incident, elle en empaquetait jusqu’à 12000 en dix heures de labeur. Au fur et à mesure qu’elle rentrait, elle percevait le brouhaha naissant. Au loin, on percevait les bribes d’une dispute entre deux filles. Suzanne, ouvrière à la Manufacture des tabacs 3
La neige ne cessait de tomber sur Nantes en ce 12 décembre 1887. Il était huit heures du matin. Léopold, le domestique de Pierre, ouvrit la porte de sa chambre, et la pièce s’habilla d’un ruban de lumière ricochant sur les murs ornés de moulures. C’était une immense chambre en rotonde remplie de tableaux. Pierre se réveilla et contempla une fois de plus son portrait grandiose qui illuminait sa chambre. Pierre, négociant en sucre Un peu plus loin, on pouvait apercevoir des bateaux‐lavoirs sur les bords du fleuve. Sur leurs ponts, les blanchisseuses, robustes, accortes, ne rechignant pas à la besogne, maniaient le battoir avec énergie. Les lavandières étaient nombreuses, adoptant le blanchissage à la vapeur. Elle parlait souvent dans des langues différentes, que Pauline, qui n’avait jamais pu suivre d’enseignement, contrairement à sa sœur, ne pouvait pas distinguer. Tout le linge épinglé sur des cordes suspendues à la perche, séchait au vent sur les quais. Le soleil et le grand air leur donnaient une incomparable blancheur, qui était, bien sûr, exigée par les bourgeois. Certaines blanchisseuses livraient à domicile et restituaient à chaque maîtresse de maison le linge qui leur avait été confié. Pauline remplissait ses poumons de cette odeur de lavande plus qu’agréable. Mais ce que Pauline préférait le plus dans une journée come celle‐ci, c’était s’asseoir quelques minutes et sentir les rayons du soleil caresser son visage. Un vent frais équilibrait cette sensation. Elle fermait alors les yeux et écoutait les bruit de la ville : les bateaux sur la Loire, les fiacres, les coches, les grosses charrettes tractées par deux ou trois percherons attelés de front, le bruit des talons des hommes et des femmes sur le pavé, mes enfants qui riaient et s’amusaient ensemble… tous ces bruits, pourtant banals, donnaient le sourire à Pauline. Tous ces bruits représentaient Nantes, la ville de Pauline. Certes, elle n’était jamais allée ailleurs, mais elle était pourtant persuadée que c’était la plus belle ville de France ! Pauline, boulangère rue des Carmes Il était maintenant près de onze heures et Aristide sentait la température de ses joues augmenter tandis qu’il marchait. Il observait le spectacle banal des familles, déambulant le long du cours Cambronne, et c’est alors qu’apparut sur la place Graslin, ronflante et rugissante, rutilante, une automobile ! Tous les gamins se précipitaient, les yeux écarquillés. C’était le directeur du théâtre qui, comme à l’accoutumée, se plaisait à exhiber les cylindres de son bolide. Le jeune confiseur se promit intérieurement qu’il en possèderait un jour un similaire et, souriant, reprit le chemin de son appartement. Aristide, confiseur rue de la Fosse La plaidoirie commença. Le Bihan la rechercha dans le palais de la mémoire et, lorsqu’il l’eut trouvée, la fit se déverser par son incomparable éloquence sur le public et la partie civile. Il demanda pourquoi un homme si riche prendrait le risque de perdre sa fortune aussi bêtement, fournit ses alibis, et attaqua même le bien fondé des dépositions des témoins. Cependant, de multiples gestes menaçants et rires narquois furent émis par les avocats de la partie civile et par Mac‐Mahon et ses comparses. Maître le Bihan, excédé par ces incessantes moqueries sur ses origines et sa fulgurante réussite donna le clou du spectacle : « Monsieur le Président, suis‐je à un procès dans un tribunal ou à une exécution sur place publique ? » Tout le monde dans la salle silencieuse le regardait, surpris et intimidés par tant de colère dans la voix de l’avocat qui redoubla d’ardeur dans son discours. Ronan le Bihan, avocat 4
Chaque matin, Maud rejoignait le cours de l’Erdre pour prendre sa barque et se rendre à son lieu de travail. Arrivée au bord de l’eau, elle aperçut son employeur et tout deux montèrent dans la barque pour s’en aller à la librairie. Le soleil rose‐orangé se levait et ses rayons d’or illuminaient l’eau, si belle en cette matinée de printemps. Maud aimait assister à ce spectacle chaque matin, cela lui donnait du courage pour sa journée. Lorsqu’elle fermait les yeux et penchait sa tête en arrière comme pour regarder le ciel, elle s’abandonnait et s’évadait dans un tout autre monde. Le vent frais lui caressait le visage et les rayons du soleil embrassaient ses lèvres charnues. Les mouvements de l’eau créaient une mélodie qui était différente chaque matin. Dans ces moments précieux, elle se sentait moins seule. Maud, libraire chez Durance Elle passa une légère chemise de coton blanc et enfila un corset accompagnant le délicat arrondi de son ventre. Sous un long jupon argenté, elle plaça une tournure pour soutenir l'ampleur de sa jupe brodée couleur or et de ses draperies. Elle enfila par la suite des bas et chaussa ses souliers noir en cuir , fraîchement cirés par sa femme de chambre. Une fois parée de cette tenue riche et élégante elle ne put s'empêcher d'ajouter quelques bijoux qui mettaient en valeur son décolleté et ses poignets . Ainsi apprêtée , elle se parfuma et s'installa à la coiffeuse. Sa femme de chambre lui brossa longuement ses long cheveux blonds et les rassembla en un magnifique chignon. Elle laissa s'évader quelques mèches rebelles sur le joli visage de sa patronne. Oh oui ! Qu'elle était belle ! Une vraie figure de mode ! Et beaucoup de jeunes femmes la jalousaient. Il faut dire qu'elle avait non seulement un physique plaisant mais qu’ elle avait été mariée à un grand banquier, en outre propriétaire d'une multitude d'appartements et de maisons , qu'il louait . Hermance femme au foyer, quartier Monselet. Quelques omnibus circulaient à cette heure‐ci. Il y avait aussi des voitures à cheval, Pierre, recevait comme une mélodie le bruit des sabots des chevaux sur les pavés. Dans sa marche, il aimait observer la ville qui se réveille, écouter l’amplification de son bourdonnemen. Il passa ensuite devant la place du Bouffay. Pierre appréciait beaucoup ce lieu avec ces halls qui abritaient des commerçants les jours de marché. A cette heure matinale, quelques commerçants apportaient leurs produits sur de petites charrettes qu'ils poussaient à la main. Pierre affectionnait tout particulièrement ce quartier. Il rêvait qu'un jour, peut être, il vivrait dans de ces immeubles qui entouraient la place. Il s'imaginait déjà à sa fenêtre, se voyait en songe regarder l'agitation de la rue : les transports urbains, les marins dans leurs bateaux , les lingères dans les bateaux‐lavoirs… Pierre, vendeur à la Belle Jardinerie Ce jour‐là après le travail, Monsieur Richard avait demandé à la voir. Emilie ne savait absolument pas ce qu'il lui voulait. Il s'assit de façon très droite, un peu raide , la fixa d'un air désapprobateur et lui demanda quelle était la raison d'une confection si défectueuse . Madame de la Martinière avait refusé sa commande de chapeaux, ce qui représentait un gros manque a gagner. Il lui expliqua qu'elle savait tout autant que lui qu'ils servaient la boutique la plus luxueuse de Nantes, et que par conséquent, les dix heures de travail quotidiennes n'étaient pas de trop. Il détourna la tête, balançant ses joues disgracieuses et remuant ses cheveux broussailleux. Emilie , modiste 5
Il était riche, ce qui se traduisait tant par son tour de taille que par la jalousie de ses amis lorsqu'ils pensaient à son compte en banque. Sa devise de tous les jours était celle du ministre Guizot : « Enrichissez vous » ! Gustave Lemaitre, directeur des chantiers navals Enfin il arriva dans le centre‐ville. Il regardait l'architecture des immeubles qui étaient pour lui extraordinaires, toutes les publicités pour les grands magasins, les grandes rues larges et lumineuses qui ne cessaient de l'impressionner. Jean Deresque, propriétaire d’un magasin de vêtements Aujourd'hui Marie est vêtue d'un chapeau noir en forme de capote, d'une robe rose ouverte sur le devant en demie‐queue arrondie, de chaussures simples réglisse cachées sous sa robe, d’un corset qui serre sa poitrine et amincit sa taille. Bien qu'elle aille au marché, Marie a l'habitude d'être bien pomponnée. En tant que couturière, elle a une certaine image à tenir. Marie , couturière Ce gigantesque clocher faisait un bruit semblable à de la foudre sur le sol, effroyable et magnifique. L'intensité était telle qu'elle assourdissait les passants attardés à ses abords. Il descendit les innombrables marches de l’immeuble familial, toutes faites de marbre. Il prit son vélo puis sortit, longea les interminables quais bordés d’habitations, de poissonnières et de vendeurs de journaux . Il regarda avec une grande insistance les affiches placardées aux murs pour la publicité des omnibus, tant prisés des Nantais et émerveillant les gens de passages. Fernand, ouvrier aux chantier navals Il songea à rejoindre le quai d'Aiguillon mais l'engorgement d'ouvriers qui se rendaient à la carrière de Mizery l'en dissuada. Il continua donc sa route, luttant à chaque pas contre le froid qui lui engourdissait les membres. Au bout de la rue Dubreil, il déboucha sur le quai de la fosse. Les façades des immeubles se peignaient de tons éclatants et en face , les chantiers de constructions étaient figés, submergés par la vague de froid . Plus François avançait, plus il sentait ses jambes se libérer. En effet, l'épaisse couche de neige des petites ruelles diminuait jusqu'à ne plus devenir qu'une mince pellicule vierge. Du reste, la marche se faisait plus aisée et déjà, de nombreux badauds se pressaient sur les bords de la Loire. François, menuisier Quai de la Fosse Il préféra faire un détour par le centre ville pour errer dans les rues de Nantes. Chaque soir il passait par la rue de la Fosse et chaque soir il interrompait sa marche pour rester devant la vitrine de la confiserie Georges Gautier. Tout les jours il se disait que lui aussi, un jour, il pourrait ressortir du magasin avec une petite boite métallique bleu ciel qu'il partagerait avec toute sa famille. Mais avec ses revenus actuels il était encore loin de pouvoir acheter un de ces trésors, il reprit donc sa promenade et s’arrêta devant la façade monumentale du Passage Pommeraye. Joseph , forgeron aux chantiers navals 6
La nuit tomba peu à peu et ce fut bientôt l'heure pour elle de regagner son logis. Toutes les lingères étaient déjà parties, le bateau était vide et le silence régnait . Elle alla chercher ses affaires qui se trouvaient encore dans son casier puis partit. Les rues étaient vides, la foule du matin était déjà loin. Elle marcha dans le nuit sombre, menaçante et paisible a la fois . Elle arriva chez elle, épuisée. Elle se dépêcha de boire sa soupe et de manger ses croûtons de pain, mit la même robe de chambre que celle qu'elle avait quittée le matin et décoiffa ses cheveux dont une poignée resta sur sa broche . Mélanie , contremaîtresse des lavandières , Quai du Port Maillard Il était 6 heures et la ville s’éveillait en cette journée de novembre 1880. Peu à peu, les lumières s’allumaient et une poignée de courageux commençait à sortir pour aller travailler. Arthur voyait défiler devant lui la foule grouillante comme une nuée d’insectes se dirigeant vers le tramway qui était déjà en route à cette heure‐ci. De moins en moins de personnes empruntaient son fiacre pour un petit voyage. Évidemment, ce fichu tramway était bien moins cher ! Arthur, cocher Place Royale Le claquement infernal des sabots retentit contre les pavés. Les chevaux de la poste, employés à distribuer le courrier déambulaient déjà dans les ruelles tortueuses. Il était donc aux environs de six heures, en déduisit Emilie. Elle se leva, les muscles engourdis par une nuit de sommeil agitée. Elle constata que la paillasse, à coté d’elle, était vide. Encore une fois, son frère cadet n’avait pas dormi là ; il avait dû vagabonder dans quelques gargotes mal famées toute la nuit, aux bras d’elle ne savait quelle prostituée du quartier. Et puis de toute façon, quand il reviendrait, ce serait avec une fiole d’eau de vie à la main, pour épuiser leurs maigres économies. Émilie, blanchisseuse sur l’Erdre Dans une pièce sombre était niché un gamin d’une dizaine d’année enroulé dans ce qui paraissait lui servir de lit mais qui était en réalité une paillasse recouverte d’un tissu en toile de jute. Les rayons d’or du soleil entrèrent lentement dans cette pièce, dans un doux silence. Petit à petit, la lumière colora tous les ports de son doux visage dans un éclat éblouissant, perçant les boucliers de ses yeux et faisant douloureusement émerger Paulin Cournomiche de son sommeil. Il ouvrit péniblement ses yeux encore tout collants et se passa une main sur le visage, puis il s’étira tout le corps dans un bref mouvement pour ne pas se rendormir. Paulin Cournomiche, 10 ans, ouvrier Après avoir fait une toilette et s’être préparée, Joséphine attrapa son pardessus en laine tricoté par sa mère, mit ses bottes recousues maintes fois, et sans faire de bruit, ouvrit la porte pour sortir. Dehors, l’air était si glacial que de la buée sortait de sa bouche dès qu’elle respirait. Elle referma vite la porte afin que le froid ne rentre pas dans la maison. Elle s’engagea dans la rue Saint‐Gohard, sombre, étroite et effrayante. Malgré la ressemblance qu’il pouvait y avoir entre toutes les maisons de la rue, la sienne était reconnaissable par sa taille ridicule et sa façade gravement abîmée. De l’eau ruisselait entre les pavés, et les rendait glissants. Les bruits de pas de la jeune femme venaient couvrir un silence de mort, mais cela ne rendait pas la situation moins inquiétante. Comme à son habitude, elle tourna à gauche dans la rue Sainte‐Marthe et arriva face à l’église Sainte Anne. Elle alla s’asseoir sur un banc abrité sous un arbre. Tous les matins elle s’asseyait là, attendant le lever de soleil. Joséphine, lavandière sur un bateau‐lavoir au quai de la Fosse Une fois rentré chez lui, Jean alla prendre son journal et commença à lire l’actualité. Puis il embrassa sa femme et ses enfants et s’endormit, sachant que le lendemain une journée identique l’attendait. 7
Jean, ouvrier chez LU 8

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