Histoire - memoria.dz

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Lettre de l'Editeur
Pour une vive
mémoire
AMMAR KHELIFA
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es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire.
Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un
atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique.
L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et
de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette
pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les
affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur
permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés.
En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire
ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des
lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la
perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre.
Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de
l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du
processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble
devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec
une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction,
un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être
mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une
détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement
et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration dans le processus de développement.
C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que
l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire
dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance.
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LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Supplément offert, ne peut être vendu
Supplément
N°26. Juillet. 2014
P.06
P.51
Fondateur Président du Groupe
AMMAR KHELIFA
Direction de la rédaction
Zoubir Khélaïfia
Coordinatrices
Meriem Khelifa
Chahrazed KHELIFA
Reporter - Photographe
Abdessamed KHELIFA
Collectif des avocats du fln
l'indépendance de l'algérie
Collectif des avocats du fln
Rédaction
Adel Fathi
Boualem TOUARIGT
Dr Boudjemâa HAICHOUR
Djamel BELBEY
Hassina AMROUNI
Nora Sari
Direction Artistique
Halim BOUZID
Salim KASMI
Contacts : SARL COMESTA MEDIA
N° 181 Bois des Cars 3
Dely-Ibrahim - Alger - Algérie
Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 / +213 (21) 360 915
Fax : +213 (21) 360 899
E-mail : [email protected]
[email protected]
P.06 Histoire
LES MOUDJAHIDINE des prétoires
P.09
P.09 Histoire
MAITRE ZERTAL
MEMBRE DU COLLECTIF DES AVOCATS DU FLN
P.27 Histoire
ahmed zabana
"La mort pour la cause de Dieu est une vie
qui n'a pas de fin, et la mort pour la patrie
n'est qu'un devoir"
P.35 Histoire
PATRICIA TOURANCHEAU
La main rouge contre le FLN
P.41 Portrait
ali haroun
PARCOURS D’UN MILITANT
P.45 Entretien
entretien avec ali haroun
mahmoud zertal
P.23
gISELe halimi
P.32
5 juillet 1962
P.51 Histoire
L’autodétermination
une revendication du mouvement national
réalisée après une longue lutte
LA GUILLOTINE
www.memoria.dz
P.27
P.29
P.41
Supplément du magazine
ELDJAZAIR.COM
Consacré à l’histoire de l'Algérie
Edité par
SARL COMESTA MÉDIA
Dépôt légal : 235-2008
ISSN : 1112-8860
© COMESTA MÉDIA
Ahmed Zabana
ABDELKADER fERR ADJ
P.63
ali HAROUN
P.59
bouchafa, yacef et Fettal
GUERRE DE LIBERATION
P.59 Histoire
Le 24 Septembre 1957 est arrêté Yacef Saâdi
P.54
Localisé grâce à son réseau de courrier
P.79 Histoire
L'Emir Abdelkader et Hadj Ahmed Bey
êTRE FIDèLE A LA VéRITé HISTORIQUE
P.87 Histoire
Kheira Bent Bendaoud
La femme qui recueillit 45 orphelins
P.91 Histoire
L'Emir Khaled
P.87
decès de lucette hadj ali
safia r ejoin t bachir ...
HISTOIRE D'UNE VILLE
P.95 sour el-ghozlane, ou le rempart des gazelles
Kheira Bent Bendaoud
P.91
Lucette Hadj Ali
sOUR eL-gHOZLANE
SOMMAIRE
les fidayate condamnées à mort
COLLECTIF DES AVOCATS DU FLN
LES MOUDJAHID
DES PRéTOIRES
Sept ans de guerre durant lesquels des soldats et des
soldates d’une guerre qui n’a pas voulu dire son nom, côté
français, ont été broyés par le rouleau compresseur de
la machine judiciaire coloniale ! Que de Tribunaux, que
de cours de justice, que de prétoires n’ont-ils pas
favorisé le bras, censé être rectiligne et horizontal, de
la balance, pour l’obliger à pencher, de manière
injuste, illégale et ignominieuse d’un côté ou de
l’autre ? Et les serviteurs de la justice, ces Robes
noires si souvent décriées, elles aussi ont payé
un lourd tribut ! Nombreux furent les avocats
harcelés, incarcérés, assassinés, exilés, bannis,
clandestins d’un autre âge, pour
paiement de leur « forfaiture » :
la quête de la justice et de
la liberté.
R
E
I
S
S
DO
...
Dossier élaboré par Nora Sari
INE
Guerre de libération
Histoire
...
Ce n’est qu’en 1999, soit plus d’un demi-siècle après les
émeutes et la répression de Mai 1945, que la France a reconnu officiellement que ce qu’elle a toujours nommé par le doux euphémisme de « Evénements d’Algérie » ou de « Pacification », était
bel et bien une guerre. Avec cette – tardive – reconnaissance,
comment justifier alors que des soldats, arrêtés au cours d’une
guerre, aient été incarcérés, condamnés à mort et guillotinés ?
Exécuter un soldat au cours d’une guerre n’est-il pas considéré
comme un crime d’Etat ? En janvier 1961, alors que les négociations pour le cessez-le-feu et l’autodétermination du peuple
algérien avaient déjà commencé, Salah Dehine a été guillotiné.
Ces quelques documents, glanés soit sur la Toile, soit chez
Maître Mahmoud Zertal ou Maître Ali Haroun, ne sauraient
constituer un travail de fond sur un sujet aussi sensible, aussi
dense et aussi vaste que celui du collectif des avocats du FLN.
Le témoignage de beaucoup d’entre eux vivant en Europe aurait
été de bon aloi. Cependant, les témoignages recueillis auprès
de Mes Zertal et Haroun, demeurent un atout majeur dans la
compréhension des mécanismes qui ont présidé à la création de
ce collectif et aux objectifs qu’il se devait d’atteindre, à savoir la
défense de soldats d’un gouvernement reconnu par des dizaines
de pays de par le monde et non de vulgaires bandits de grands
chemins commettant des actes considérés par la loi comme relevant d’actes criminels.
Pour le droit et l’équité, des Robes noires de tous bords, Algériens, Français, Belges, juifs, communistes, de gauche, démocrates, laïcs, chrétiens, convaincus de la justesse du combat de
leurs clients, ont porté le message, au-delà des tribunaux, en
Europe et en Afrique, à l’ONU et dans le monde, du droit de ces
hommes à vivre libres de toute oppression coloniale.
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Supplément N° 26 - Juillet 2014.
MAITRE ZERTAL
MEMBRE DU COLLECTIF
Me Mahmoud Zertal
DES AVOCATS DU FLN
Par Nora Sari
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
M
aître Mahmoud Zertal
est né le 24 février 1924
à El Milia. Il fait ses
études secondaires au lycée d’Aumale à Constantine avant de rejoindre la faculté de droit à Alger.
Il est avocat en 1950 et rejoint dès
le déclenchement de la lutte armée
le collectif des avocats du FLN de
1954 à 1956, date à laquelle il est
interné à Serkadji, puis à Berrouaghia pour activités subversives.
A sa sortie de prison il est engagé dans la ZAA (Zone autonome
d’Alger), qui lui a valu d’être repris, relâché, puis à nouveau
d’être menacé d’arrestation, et ce,
jusqu’en 1962. Il est le premier
juge, en 1962, de l’Algérie indépendante, poste qu’il occupera
jusqu’en 1970 lorsqu’il est nommé à la Cour suprême. De 1972
à ce jour, il continue à assumer
sa vocation d’avocat. A un âge où
beaucoup d’hommes de sa génération jouissent d’une retraite bien
méritée, lui, monte allègrement
les deux étages qui mènent à son
cabinet, et lit des documents sans
l’aide de lunettes. Nous supposons
que sa santé (physique et mentale)
est probablement due à un jeûne
quotidien, auquel il s’astreint depuis plus d’une dizaine d’années !
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Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
Photo de Serkadji (Bab-Jdid) en 1960-1961.
De dr. à g. : Mahmoud Zertal, Farès Ahmed, Naïmi Kouider, Hadj Amar, inconnu, Barour Mohamed.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
M
e Zertal nous accueille dans son
vaste bureau, situé dans un immeuble cossu du centre ville, à
deux pas du tribunal d’Alger-Centre. Les
bibliothèques murales, les tables chargées de dossiers, les montagnes de papier et de chemises classées, les photographies aux murs et sur la cheminée,
attestent du nombre d’années durant
lesquelles le Maître à blanchi sous le
harnais.
Que de vies, que de drames, que de
sang, que de larmes, que de tragédies
sont enfouis, classés, répertoriés à l’intérieur de ces dossiers ! Tant d’hommes,
tant de femmes, tant de familles consignés sur des feuilles de papier, dont
chacune porte le sceau de la justice et
de son glaive impitoyable, durant la période coloniale, et durant la Révolution
; cette justice à laquelle furent confrontés Maître Zertal et tant d’autres parmi
ses confrères, avocats comme lui, ayant
eu le triste mais combien honorable privilège de plaider en faveur de combattants, de moudjahidine, dont le sort était
déjà scellé par l’administration coloniale
par la tristement célèbre « el finga » !
(la guillotine). Et c’est au prix de nombreuses années de prison, et au péril de
leur vie pour certains d’entre-deux, que
cette corporation a cependant continué à
défendre ses clients, au nom d’une cause
noble et juste, et au nom de la justice.
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( 12 )
GRACIé
«
Depuis l’exécution
de Zabana, se souvient Maître Zertal,
58 longues années se sont écoulées, mais ce souvenir est resté
et restera à jamais gravé dans ma
mémoire, et il ne me quittera que
lorsque j’aurai quitté ce monde.
J’ai été membre du collectif
des avocats qui ont défendu les
moudjahidine, les fidaiyine, et les
combattants, les agents de liaison
et tous ceux qui ont œuvré et pris
part aux réseaux du FLN-ALN.
En fait, en défendant Zabana,
c’était toute l’Algérie et les Algériens que je défendais, c’était moi,
vous, nous…Le sort de cet homme
m’a été confié par le collectif et je
l’ai accepté. Il avait déjà fait l’objet
d’une condamnation à mort par la
cour d’Oran, et la Cour suprême
de Paris avait annulé ce verdict
après avoir constaté des irrégula-
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
PAR LA VOLONTE DE DIEU
Témoignage de Me Zer tal sur l’exécution d’Ahmed Zabana
rités. De ce fait, un second procès
devait avoir lieu ; Zabana avait
été le seul à avoir été condamné à
mort parmi tant d’autres. Or, après
l’annulation du verdict par Paris,
on pouvait s’attendre de la part du
tribunal qui allait rejuger l’affaire,
à une mesure de clémence. Malheureusement, ce ne fut pas le cas,
car les juges et la partie civile ont
été influencés par les demandes
émanant de la population française de Lamardeau qui exigeait
la tête de Zabana, accusé de crime
contre un garde-forestier, Français lui aussi. Le jour où l’affaire
passa en justice, les débats furent
houleux, bien que ma décision de
prendre en charge la défense de
Zabana fût irrévocable, quoi qu’il
puisse arriver. La défense avait été
bien conduite, et nous pensions
même avoir sauvé Zabana de la
condamnation à mort. Malheureusement, la veuve et la fille du
garde-forestier ont fait irruption
dans le tribunal, car elles ont été
convoquées comme témoins à
charge. Elles ont reconnu, parmi
six suspects, l’auteur de la liquidation du garde-forestier, à un détail
physique portant sur l’un des deux
yeux. (Une légère infirmité).
J’ai gardé l’espoir de ne pas en
rester là, mais le 18 juin l’ordre des
avocats m’appelle pour m’annon-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
cer que je devais me préparer pour
l’exécution du jugement.
Une demande de grâce, dont
j’ignore à ce jour qui l’a déposée
et qui en a été l’auteur, a fait l’objet
d’un rejet.
Nous avons alors programmé
une réunion du collectif. Nous
avons saisi les autorités politiques,
religieuses et le GG (Gouverneur
général) à qui une demande d’audience fut transmise. La délégation d’avocats et moi-même fûmes
reçus par le secrétaire général du
Gouverneur ; aucune suite ne fut
donnée à notre demande de sursoir à l’exécution ou de la commuer en détention à perpétuité.
A l’aube du 19 juin 1956, je
suis réveillé à 3 heures, et on
me demande de venir assister à
l’exécution. J’étais au comble de
l’émotion, et j’ai pu constater le
courage, la fermeté, l’abnégation
du condamné, qui a demandé à
aller vers le supplice libre de ses
mouvements, refusant menottes et
cagoule, son ultime demande fut
celle de faire sa prière, qui lui fut
refusée.
Mes collègues et moi avions protesté énergiquement, arguant du
fait que c’était la dernière volonté du condamné. Les bourreaux
avaient alors justifié leur refus
par le fait, ont-ils dit, que dans
( 13 )
pareilles circonstances l’accélération des faits était de rigueur. A
la suite de notre protestation, la
demande du condamné fut acceptée ; le directeur de la prison vint
alors vers moi, pour me dire que
la prière avait pris beaucoup de
temps, mais Zabana termina sa
prière sans aucune contrainte. Il a
ensuite écrit une lettre à sa mère,
puis a demandé à aller seul vers
l’échafaud.
Et le miracle eut lieu ! Nous ne
pouvons appeler autrement que
miracle, ce qui est arrivé les instants suivants ; en effet, le couteau
d’acier qui pèse un quintal a été
stoppé net, et à deux reprises, au
niveau du cou du condamné !
J’ai immédiatement évoqué le
principe de pitié pour le condamné
face à de tels évènements, rien n’y
fit, on me répondit qu’il fallait
achever et renouveler l’opération
jusqu’à ce que mort s’ensuive.
On m’expliqua que cette obligation de laisser la vie sauve au
condamné par pendaison existe,
mais que la loi est muette face à un
dysfonctionnement de la guillotine. Face à mes protestations,
rien n’y fit, et on actionna à nouveau le couperet qui fonctionna à
la troisième tentative. Le cou du
supplicié fut tranché, mais la tête
ne roula pas dans le panier placé
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Supplément N° 26 - Juillet 2014.
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Photo du camp de Berrouaghia 1957-1958.
Debout de g. à dr. : Amara, Bentoumi, Sator, Grange, Zertal. Assis de g. à dr. : Benmelha, Hammad et Guedj.
là à cet effet, et fut projetée à plus
de 20 mètres, comme ce fut le cas
pour Ferradj. C’est avec beaucoup
d’émotion, à ce moment-là, que
j’ai pensé qu’un miracle était en
train de s’accomplir sous nos yeux,
une sorte de grâce divine, comme
quelque chose d’inexplicable et
d’inexpliqué. Et depuis ce jour,
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j’ai décidé de continuer à mener ce
combat en faveur des victimes de
la justice coloniale, quel qu’en soit
le prix à payer, et que j’ai fini par
payer, à Berrouaghia et à Serkadji !
La lettre-testament du chahid, fut
remise par mes soins à sa mère. Par
la suite, des dizaines et des dizaines
d’autres Algériens ont subi le sort
( 15 )
de Zabana malgré les protestations
et les demandes de grâce exprimées
par d’éminentes personnalités du
monde de la politique, telles le Président américain Eisenhower et la
reine Elisabeth, ente autres.
L’administration coloniale restera
sourde à toutes ces demandes de
grâce. Sourde et surtout inflexible,
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Histoire
Me Zertal Mahmoud à gauche aux côtés du Président Abdelaziz Bouteflika, lors d'un congrès des avocats en 2007 à Alger
obligeant de ce fait le peuple algérien à poursuivre sa lutte jusqu’à la
victoire. Et cette victoire, celle de
l’indépendance arrachée au prix
du sang de centaines de milliers
de martyrs, je dirai, plusieurs décennies après ce témoignage, que
les grands principes qui ont fait la
gloire de notre révolution armée
sont d’abord la foi, puis la dignité,
la détermination, et enfin le courage, dont tous ces hommes et
toutes ces femmes ont fait preuve,
face à la soldatesque coloniale. »
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Entre 1956 et 1962, plus de 230
militants du FLN-ALN ont été
exécutés ; selon une étude publiée
le 5 septembre 2002 par l’hebdomadaire Le Point, François Mitterrand a approuvé plus de 30
exécutions capitales de militants
du FLN entre 1956 et 1957, alors
qu’il était garde des Sceaux dans
le gouvernement du Guy Mollet.
Cette enquête est basée sur des
documents d’archives inédits.
Le 19 juin 1956, Zabana fut le
premier Algérien guillotiné sur
( 16 )
ordre de François Mitterrand,
lequel en 1981 a aboli la peine de
mort en France. Quant aux exécutions extrajudiciaires ordonnées
par le biais du juge Bernard, aucun décompte n’a été fait (hormis
les déclarations d’Aussarresses)
jusqu’à aujourd’hui.
Entretien réalisé par Nora Sari
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
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Histoire
EVOCATION A CARACTERE HISTORIQUE
Par Maître ZERTAL. Le 18 juin 2002
Conférence débat au centre de Presse d’El Moudjahid organisée par le flambeau du Chahid
à l’occasion du 46ème anniversaire de l’exécution du Chahid : Ahmed ZABANA
Le Miracle par la force de la foi
«
C’est un moment de
grande émotion que de
venir exhumer de ses
cendres le tison toujours ardent de notre glorieuse
révolution.
En ce mois de juin 2002, je ne
peux m’empêcher de jeter un regard lointain sur un évènement à
jamais gravé dans ma mémoire,
de laquelle il ne partira qu’avec
moi-même de ce monde, je veux
dire de cet événement du 19 juin
1956, de ce moment où j’ai eu le
devoir d’assister à l’exécution capitale d’un des meilleurs fils de
l’Algérie en guerre pour le recouvrement de sa liberté, de son indépendance, j’ai nommé : Ahmed
Zabana.
Ahmed Zabana, militant de la
cause nationale, avait été arrêté
avec un certain nombre de militants engagés dans les rangs du
FLN-ALN accusé d’avoir notamment assassiné un garde forestier
dans la région de la mare d’eau
(village à l’Ouest).
Le tribunal criminel d’Oran
a retenu la culpabilité de tout
le groupe, mais il fut le seul
condamné à mort.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Sur la base d’un pourvoi, la
cour de cassation siégeant à Paris
a relevé certaines illégalités dans
l’arrêt qui lui était soumis et l’a
annulé tout en renvoyant le dossier devant le tribunal criminel
d’Alger pour recevoir un nouvel
arrêt.
En ma qualité de membre du
collectif des avocats pour la
défense des détenus politiques
FLN-ALN je me suis constitué
pour Ahmed Zabana.
L’espace de cette conférence
étant mesuré, il ne m’a pas été
possible de vous faire connaitre ce
collectif quant à ses membres et à
son rôle, il serait donc souhaitable
de lui réserver une occasion pour
le développement qu’il mérite.
Ceci dit, je reviens aux débats
devant le tribunal. Ils furent houleux, face à l’acharnement d’un
commissaire du gouvernement.
Les réactions et les arguments
très pertinents de la défense ont
fini par tempérer son ardeur et
ce fut l’espoir d’un bon verdict
– mais pas pour longtemps. Par
surprise, la veuve du garde forestier, appelée comme témoin a
désigné Zabana comme auteur du
meurtre en le reconnaissant soi-
( 17 )
disant à un tic qu’il avait à l’œil
(un fait qu’elle n’avait jamais évoqué dans la procédure).
La condamnation à mort de Zabana était requise à nouveau par le
ministère public et prononcé par
le tribunal – alors qu’il est de jurisprudence que ce tribunal, dans
le respect de la hiérarchie, aurait
dû aller dans le sens qui lui a été
tracé par la cour de cassation qui
a relevé des vices de forme importants dans l’arrêt qu’elle a annulé.
La machine judiciaire devait
donc suivre la politique de la répression qui s’était endurcie. Le
principe de la présomption d’innocence de l’accusé est devenu un
mensonge pur et simple et l’intime
conviction du juge ne relevait plus
du feu de sa conscience.
Le pouvoir en cassation a été
porté devant une cour de cassation militaire – avec siège à Alger
– créée en la dotant de la faculté
de juger plus vite, ce qui voulait
dire plutôt de juger sans trop
s’embarrasser des questions compliquées de la procédure, et ne pas
trop contrarier le premier juge
quand il estime que les charges
sont insuffisantes.
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Histoire
Le pourvoi de Zabana, dans ces
circonstances, a été rejeté. Je n’ai
pas été chargé d’introduire un recours en grâce et j’ignore à ce jour
s’il y en a eu un.
Des rumeurs avaient circulé
laissant entendre que les condamnés à mort dont les jugements remontent à la période de 1954-1955
allaient bénéficier de la grâce.
Zabana avait été condamné initialement par un jugement durant
cette période – devant le tribunal
d’Oran –, mais ce jugement de
condamnation n’était pas définitif
puisqu’il a fait l’objet d’une cassation.
Les choses en étaient là lorsqu’à
l’horizon du 18 juin 1956 vers
seize heures, j’étais encore à mon
cabinet, le bâtonnat par téléphone me demande de lui préciser
l’adresse à laquelle on doit venir
me chercher le lendemain à trois
ou quatre heures du matin pour
me conduire à la prison civile de
Barberousse (Serkadji) et y assister à l’exécution de Zabana.
J’ai immédiatement alerté les
confrères membres du collectif
des avocats. Au cours de notre
réunion, maître Amara arrive et
nous apprend qu’il a été invité par
le bâtonnat à assister à l’exécution
de son client Ferradj.
Après concertation, nous avons
décidé de porter la nouvelle à la
connaissance de certaines autorités civiles et religieuses, et de
certaines personnalités à l’échelle
nationale et internationale.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
C’est ainsi que certains confrères
ont pris contact avec les deux
muphtis d’Alger et l’archevêque
d’Alger, que des télégrammes ont
été expédiés à l’adresse de personnalités politiques et au président
de la République française même.
Pendant ce temps, sur notre
demande, Maitre Amara et moimême avons été reçus au Gouvernement général, par le Secrétaire général en personne. Notre
entretien avec lui a duré une
bonne demi-heure. Tous les arguments tendaient à voir ordonner
sinon l’annulation du moins le
sursis à l’exécution, compte tenu
des conséquences irréparables
auxquelles cette exécution pouvait donner lieu. Et nous l’avons
quitté, en prenant acte de ce qu’il
allait faire les diligences, rentrant
dans les limites de son pouvoir.
Le lendemain 19 juin à l’aube,
Maître Amara et moi-même
avons été conduits effectivement
à la prison de Barberousse où se
trouvaient déjà tous les membres
du tribunal qui avaient participé
au jugement de condamnation à
mort.
C’est Zabana qui, le premier, a
été surpris dans sa cellule. Toute
la prison s’éveilla comme un seul
homme, et pendant qu’il était
conduit jusqu’à la cour de la prison, des « Allah Akbar », cet
hymne à la gloire de Dieu, s’élevaient de tous côtés dans le silence
de l’aube.
Il avait demandé, comme dernière volonté, à faire la prière, ce
( 18 )
qui lui fut refusé sous prétexte
que l’opération devait se faire très
vite pour éviter toute réflexion au
condamné. Mais elle fut acceptée ensuite, sur mon intervention
furieuse et celle de mon confrère,
avec cette mention qu’ils dégagent
leur responsabilité s’il leur oppose
des difficultés (résistance) par la
suite.
Durant la prière, le directeur de
la prison et les exécuteurs sont
venus me voir pour me dire qu’ils
trouvent sa prière trop longue,
mais il la termina sans contrainte.
Il a ensuite écrit une lettre destinée à sa mère qu’il me remit en
mains propres, et après son adieu
à tous les frères qui n’ont cessé de
faire entendre « Allah Akbar ».
C’est alors qu’il demanda à aller
au supplice libre de tout mouvement. Sans l’aide d’aucune sorte, il
alla vers la machine infernale avec
un courage, une dignité et une foi
inébranlable.
Le bourreau déclenche le couperet, mais celui-ci arrive au cou
et s’arrête. Il vient demander aux
membres du tribunal ce qu’il y a
lieu de faire. J’interviens pour
faire suspendre toute exécution.
Le tribunal y passe outre en donnant ordre de poursuivre ; le
bourreau déclenche à nouveau le
couperet mais celui-ci arrive au
cou et s’arrête encore.
Consternation de tous les assistants. J’interviens à nouveau en
évoquant la grâce coutumière.
Branle-bas, coups de fil dans tous
les sens, notamment au procureur
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
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Histoire
général, et après une consultation
qui a duré près d’une demi-heure,
on vient me dire que « décision a
été prise d’exécuter l’arrêt jusqu’à
ce que mort s’ensuive ».
A la troisième articulation du
couperet, la tête fut tranchée mais
elle ne tomba pas dans la caisse
placée au-dessous de lui il a fallu
la prendre pour l’y placer.
Et dans son testament rédigé
avant sa mort que j’ai transmis
à sa mère il était dit notamment
: « Dieu m’a choisi parmi ses fidèles qui doivent être sacrifiés. Je
ne meurs pas en vain. Le peuple
algérien sera victorieux et l’Algérie indépendante » « Je demande
à Dieu de me recevoir en martyr
et de m’admettre en son paradis ».
Cet événement au cours duquel
le couperet d’acier pesant le quintal, tombant d’une hauteur de plus
de deux mètres, transgressant la
loi physique de pesanteur en s’arrêtant à la limite du cou du chahid, a constitué à n’en pas douter,
le miracle dont la foi est capable,
cette foi dont on dit qu’elle soulève les montagnes.
Mais le cœur des bourreaux
était hermétiquement fermé à ce
message d’amnistie à toute humanité, à toute loi de l’honneur, à la
loi internationale même vis-à-vis
des prisonniers de guerre.
L’administration coloniale par
la mise en œuvre de ses tribunaux
d’exception a tenté, par l’exemple
des exécutions de Zabana, Ferradj
et autres chahid de porter atteinte
au moral du peuple algérien et de
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remonter par là-même celui des
colons.
Mais la réaction de notre peuple
a mis en échec ce calcul. Devant
une barbarie inflexible il s’est vu
contraint de poursuivre le combat
libérateur, et n’a pas lésiné sur les
sacrifices de toutes sortes dont un
million et demi de chouhada.
C’est pourquoi je conclus en
disant qu’il nous faut aujourd’hui
revenir aux grands principes qui
ont fait la gloire de notre Révolution et qui sont contenus dans la
foi, la dignité et le courage. Sans
oublier que la force d’un Etat et le
degré de perfection d’une société
se mesurent souvent à la sagesse
de sa justice. »
Sur certaines questions posées
par un invité à la conférence :
1°/ Il a été précisé que le chahid
Zabana était un ancien délégué
syndicaliste, militant du PPAMTLD. Il a été arrêté en 1950 en
tant que membre de l’Organisation Spéciale Il a fait au cours de
sa détention, une grève de la faim
de 37 jours. Libéré le 8 mai 1953,
il a organisé en 1954 avec le chahid Ben Mhidi un groupe d’action
à Tlelat.
2°/ Certains avocats du collectif, dont moi-même, ont fait
l’objet de mesures d’internement
dans le camp de Berrouaghia puis
transférés sur le camp de Bossuet.
D’autres ont été internés au camp
de Lodi. Ils furent libérés à des
périodes différentes, certains ont
quitté Alger ou l’Algérie.
( 19 )
Me concernant j’ai été libéré
avec Maître Tayebi en 1959, et
nous sommes restés à Alger et
avons repris notre mission aux
côtés des avocats du collectif de
France. Mais l’atmosphère de
haine était devenue irrespirable.
Je fus victime de deux incidents
graves. Et c’est ainsi qu’après les
manifestations du 11 décembre
1960 auxquelles j’ai participé, je
rentrai dans la clandestinité, en
ma qualité de responsable politico-militaire dans la nouvelle
zone d’Alger (désignation transmise par le commandant de la
Wilaya IV, le chahid Si Mohamed
Bounaama) aux côtés du frère
Kalache, chargé du renseignement et des membres de l’ALN le
capitaine Kheireddine et le lieutenant Djamel. Mission exercée
jusqu’à mon arrestation en juillet
1961. Je ne fus libéré qu’en avril
1962.
Gloire à nos Martyrs.
Abdelkader Ferradj
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Histoire
LES JUSTES D’ALGERIE.
LE TRAVAIL DES AVOCATS ENGAGéS
DURANT LA GUERRE D’ALGERIE
Maître Nicole Dreyfus (1924-2010)
Maître Nicole Dreyfus
«
La guerre d’Algérie a été la période la
plus intense de ma vie,
je faisais partie de l’un des collectifs d’avocats qui défendaient
des militants algériens (proche
du PC) et qui comprenait aussi
Pierre Braun, Michel Bruguier,
Henri Douzon et Marcel Manville. J’ai retrouvé dans la guerre
d’Algérie, l’exaltation qu’ont dû
connaître les Dreyfusards, en
raison de notre certitude absolue
d’être du côté du droit. Les Algériens luttaient pour leur indépendance, or ce combat était légitime
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
et devait être reconnu comme tel.
Les moyens qu’ils employaient
n’étaient pas toujours conformes
à la morale, c’était vrai aussi, mais
leur cause était juste, et pour moi,
c’était le principal. Les moyens
engagés contre eux étaient, eux
aussi, contraires à la morale : torture, assassinats, « corvée de bois
» (abattre un prisonnier au prétexte d’une tentative d’évasion)
autant de méthodes employées
systématiquement par l’armée à
l’encontre d’Algériens engagés
dans ce combat légitime ».
« Il y avait plusieurs centaines,
plusieurs milliers même de militants algériens détenus dans les
diverses prisons, notamment
à Alger, Oran, Constantine et
Bône, et il fallait défendre en priorité ceux qui couraient un risque
vital. Cela représentait souvent
plusieurs personnes par jour qui
comparaissaient devant des tribunaux militaires différents ».
« Il y a eu quatre collectifs
d’avocats différents : le premier a
été créé par Yves Dechézelles, qui
était un ami personnel de Messali
( 20 )
Yves Dechézelles
Hadj et dont l’engagement datait
du temps du MTLD, avant 1954.
Puis Pierre Stibbe, qui a pris la
responsabilité d’un deuxième collectif, avec sa femme Renée. Un
troisième collectif s’est formé,
composé d’avocats communistes
auquel j’appartenais et le quatrième, créé par le FLN, a voulu
éliminer les autres, mais le responsable du FLN à Barberousse
Fétal s’y est opposé et ces avocats
ont continué à plaider pour défendre les Algériens. Des avocats
européens d’Algérie sont morts
en raison de leur engagement ».
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Histoire
ALI HAROUN et MARIE-CLAUDE
RADZIEWSKI AU FORUM DE LIBERTE
I
(JEUDI 30 AOUT 2012)
ntervenant au Forum
de Liberté consacré au
collectif des avocats du
FLN en France aux cotés de Marie-Claude Radziewski, Ali Haroun a
présenté un historique sur la mission de ce collectif depuis 1920.
Selon Ali Haroun, dès 1954, la
tâche des avocats n’était plus la
même. « Depuis le 1er novembre
1954, le FLN refuse d’emblée la
législation française. » Pour lui, la
lutte sur le plan judiciaire « est passée du procès de connivence, au
procès de rupture » car les « militants algériens » arrêtés et traduits
devant la justice française devaient
se comporter en « belligérants »,
ce qui a occasionné un contexte
nouveau pour la défense, car elle
devait « reposer sur le reniement
et la négation des lois françaises
imposées aux Algériens détenus
dans le cadre de leurs activités
militantes ». De ce fait, les avocats
devaient inscrire leur conduite «
dans le cadre général du combat
des clients et se conduire en défenseurs d’une cause qu’ils estimaient
juste ». Activités qui, au regard du
droit français, sont considérées
comme son serment, ses règles
déontologiques, a la légalité fran-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
çaise ». Selon M. Haroun, « l’avocat méconnaitra la loi du moment,
mais servira le droit et les valeurs
permanentes d’honneur et de dignité humaine ».
Selon Ali Haroun, « c’est en mai
1957 avec la désignation de Omar
Boudaoud à la tête de la fédération
de France du FLN, que la stratégie
est devenue plus offensive ».
« Le comite fédéral a créé une
cellule d’avocats algériens déjà engagés dans la cause. Elle sera composée de Benabdellah-Oussedik,
Ould Aoudia, Verges, Zavrian,
Beauvillard, Bendimerad à Lyon
et Boulbina à Marseille, la première réunion a eu lieu au 13 rue
Guéguénaud, présidée par Kaddour Ladlani et dont le coordinateur était Bachir Boumaza. A la
fin de la guerre, le collectif comptait une centaine d’avocats.»
MARIE-CLAUDE RADZIEWSKI TEMOIGNE
50 ANS APRES L’INDEPENDANCE.
A l’occasion du cinquantenaire de
l’indépendance, le Forum de Liberté
a organisé une rencontre avec un
nombre important d’avocats du collectif du FLN, ainsi que des détenus
( 21 )
que ces mêmes avocats ont défendus
entre 1954 et 1962. L’avocate dira
: « Je ne regrette pas ce que j’ai fait
pour cette noble cause, au contraire,
j’en suis très fière. » A 23 ans, elle
assiste un militant du FLN, Mustapha Amor, en 1957. « En écoutant
son plaidoyer, j’ai appris les actes inhumains que la police de mon pays,
encouragée par le gouvernement,
commettait contre les Algériens.
Mustapha Amor, étudiant à la fac de
droit, poursuivi pour son adhésion
au FLN, avait exposé brillamment le
sort des Algériens (sévices-tortures).
C’est là que j’ai décidé de rejoindre le
collectif des avocats du FLN ». Mme
Radziewski ajoutera qu’elle s’est engagée à « dénoncer et à alerter contre
les sévices que la police de mon
pays pratiquait sur des Algériens ».
Elle précisera que « ce fut plutôt un
rapport de militant à militant plutôt que celui d’avocat à un détenu ».
D’anciens détenus ont témoigné sur
la façon dont « leurs avocats leur faisait parvenir de l’argent, des vivres, et
même des armes ». L’avocate termine
son témoignage par un symbole fort
: « Après la guerre, au moment de
la libération des détenus, de Gaulle
a refusé de me serrer la main en me
traitant de traitre à la France. »
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Histoire
A
COLLECTIF DES AVOCATS DU FLN
li Haroun nous
livre la généalogie de ce collectif
composé d’avocats de différentes
nationalités qui
joua un rôle déterminant dans la prise
en charge des militants algériens arrêtés, inculpés ou condamnés. Il note : «
En 1958, pour ne pas mettre en position d’illégalité les avocats français
(soumis aux règles déontologiques et
à l’égalité française), le FLN décide de
créer un collectif d’avocats un pour
l’Algérie et un autre pour la France
sous la direction d’avocats militants de
la cause d’indépendance.
Maître Mourad Oussedik dirigea
ce collectif qui comprend à certains
moments jusqu’à une centaine d’avocats qui consacrèrent leur temps à la
défense des militants. (…) La désignation d’un collectif d’avocats par
le FLN pour la défense des militants algériens, poursuivis, arrêtés ou
condamnés, constitue en elle-même
une remise en cause fondamentale du
postulat colonial dans l’administration
de la justice concernant les Algériens. »
Les nationalistes algériens considèrent
que « la loi conçue, discutée et votée
par le Parlement français, promulguée
par le chef de l’Etat français, n’est pas
l’expression de la volonté générale, en
tout cas pas celle du peuple algérien,
qui n’a été en rien consulté…» Comme
le remarque Ali Haroun dans son
livre la 7e Wilaya : « Dans les premiers
mois qui suivent le déclenchement
de la lutte armée, les militants détenus font tout naturellement appel à
leurs défenseurs traditionnels, les avo-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
cats français de gauche et d’extrême
gauche. Un fait nouveau : le militant
de la cause algérienne ne réclame plus
la protection de la loi française, qui par
hypothèse fait de lui un délinquant.
Il la refuse et la rejette. Contraint de
l’expliquer devant un prétoire, il s’en
servira comme une tribune pour faire
connaître publiquement la cause qu’il
défend. Mais le thème de défense de
ces avocats ne correspond plus à celui
défini par l’organisation. Ils répugnent
à s’aligner sur les positions qu’exige
le soutien de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie.»Des divergences
dans l’acceptation du rôle de la défense entre la Fédération de France du
FLN et les avocats traditionnels qui se
chargeaient de la défense des militants
FLN a vu le jour durant l’année 1957,
quand Maître Stibbe refusa de sortir
de la prison de la Santé un rapport
rédigé par les Cinq sur l’opportunité
de la constitution d’un gouvernement
provisoire et d’autres affaires liées à la
guerre livrée par le MNA au FLN. Le
FLN décida alors de créer son propre
collectif d‘avocats, Maître Oussedik a
été désigné comme responsable de la
défense et Benabdellah comme responsable de la structure de ce collectif.
Outre les avocats algériens, Ali Haroun nous donne une répartition géographique de ces défenseurs :
- Pour Paris : Beauvillard, Nahori,
Glayman, Shulmasher, Lombrage,
Pamier, Epelbaum, Viala, Souquière, Colombier, Likier, Lenoir,
ainsi que six avocats du PSU.
- A Lyon : Cohendy, Berger, Delay,
Bouchet, Régine Bessou, André
Bessou, Bonnard.
( 22 )
GENEALOGIE
- A Grenoble : M. et Mme MathieuNantermoz.
- A Marseille : Bernus, Gouin, Simon, Soineren.
- A Avignon : Coupon et Serre.
- En Belgique : Moureaux, de Kock,
Draps, Merchies, Lallemand.
Pour le Nord-est : Zavarian, TchangCharbonnier, Portalet, Bellanger,
Warrot, Fennaux, Humbert, Roger, Netter.
- A Versailles : Marie-Claude Radziewski, Nicole Rein et Bouchard.
- En Algérie : Courrège, de Felice,
Jeager, Moulet, Aaron, Pooulet,
Routchewski, Allepot, Wallerand
et beaucoup d’autres qui apportaient leur aide occasionnelle.
Ali Haroun précisera que « les
confrères qui acceptaient comme
nous cette tâche, nous avons voulu,
sans souci des menaces précises, réitérées, anonymes, officieuses ou officielles, malgré les préjugés, les intérêts
et l’horreur de cette guerre, que les accusés quels que soient la qualification
appliquée à leurs actes et le mépris
dans lequel certains voudraient tenir
leur idéal, qu’ils puissent trouver, en
face d’eux, des visages qui ne soient
pas seulement ceux des juges, des procureurs, des policiers, des soldats et
des bourreaux.» Ces avocats ont payé
de leur vie leur courage, tel Maître
Aoudia, d’autres ont connu l’arrestation, l’internement au camp et d’autres
la radiation ou l’expulsion.
Source : Haroun Ali, La 7e Wilaya : La
guerre du FLN en France 1954-1962, op.cit.,
pp.180-181 et p.169.
In : « les amis des frères » de Rachid Khettab
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Histoire
LISTE ADDITIVE A
CELLE DE ALI HAROUN
COLLECTIF DES AVOCATS BELGES DU FLN
Discours de Monsieur Serge MOUREAUX
Membre du collectif des Avocats du FLN
Bruxelles, sous la houlette
de Zavrian, responsable pour
le Nord et l’Est de la France :
- Roland Dumas
- Abed Mhamed
- Vergès.
Le Havre : Hedron
Dijon : Berland
Lyon : Bendimered
Paris : Stull – Porodi –
Ould Aoudia –
Benabdellah
Lyon : Soulié – La
Phouang – Bouchet,
qui ont harcelé les autorités
pour faire cesser la torture à
la caserne Vauban et à Fort
Mont–lu. Bronstein –
Bernusmier – Siannau.
Grenoble : Boulbina –
Abécassis.
Strasbourg : Royer.
Metz : Rodoziki
Belfort : Neller et Formi.
Avocats incarcérés. Torturés. Assassinés.
Ali Boumendjel –
Mahieddine Djender
– Omar Bentoumi
– Mahmoud Zertal
– Amara Mokrane Chaoun Benmelha –
Omar Menouer – Tayeb
Hocine – Oussedik
– Benabdellah – Abed
Mhamed – Rezkallah.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Madame la Présidente,
Excellences,
Chers Collègues,
Chers amis,
Le 1er novembre 2004 a marqué le
cinquantième anniversaire du commencement de la guerre de libération du peuple algérien. Un peuple
qui avait subi pendant des décennies
le joug colonial et la répression qui
en était le corollaire naturel. Car le
déclenchement de cette insurrection armée et violente n’a pas été le
fruit du hasard, ni celui d’une rébellion absurde contre la modernité et
la civilisation, ni l’expression d’une
quelconque sauvagerie, ni la conséquence d’un complot international
téléguidant de l’extérieur des naïfs ou
des fantoches. Il a été le sursaut d’un
peuple maltraité, privé de justice et
de fraternité, en quête de cette même
liberté pour laquelle tant des siens
étaient venus combattre et mourir
en Europe.
Le système d’exploitation colonial, l’asservissement d’un peuple
aux fantasmes racistes de l’Occident,
l’aveuglement des pieds-noirs devant
la revendication d’égalité de la population algérienne sont seuls responsables de cette révolution, de son
cortège mortifère, des assassinats et
des tortures.
Le dire aujourd’hui est pour certains, banal. Ce ne l’était pas en 1954.
Ils étaient peu nombreux ceux qui,
de 1954 à 1962, ont osé tenir ce discours et agir en conséquence en se
mettant à la disposition de la Fédération de France du FLN, fer de lance
( 23 )
en Europe de la guerre de libération.
Avocats, porteurs de valises et
d’espoir, passeurs de frontières, militants des comités d’aide ou pour la
paix, ils furent certes peu nombreux
mais leur action fut, je crois, déterminante et efficace. Et même si leur
nombre était réduit, l’organisation de
l’époque, le cloisonnement très strict,
font qu’il est difficile, voire impossible, d’en dresser une liste exhaustive.
Notre collectif d’avocats belges
où figuraient comme permanents
Marc De Kock, Cécile Draps et
André Merchie, a œuvré aux côtés
des Oussedik, Benabdallah, Verges,
Courrege, Zavrian ou Beni Merad,
du collectif établi en France, dans
la défense des combattants et l’organisation des détentions. Pratiquant
cette défense de rupture qui attaquait dans sa chair vive et son arrogance le système répressif colonial,
elle a aussi sauvé de l’exécution, de
l’internement ou des traitements inhumains et dégradants des dizaines
de militants.
Empêcher que Rabah Ouakli, Tahar Zaouche, Arezki Abdi ou Mohamed Arbaoui, ne soient guillotinés
fut l’une des tâches accomplies par
le collectif belge et les comités d’aide
mobilisés.
Sauver et assister dans leur calvaire
les condamnés à mort de Douai
parmi lesquels, aux côtés du colonel
Ahmed Bencherif, figuraient des
responsables et militants zonaux de
l’organisation spéciale de la Fédération, comme Rahmouni, Ainouz,
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Histoire
Skali ou Tazebint, fut une tâche prenante mais indispensable.
C’est notamment en Belgique, à
Etterbeek, à Uccle ou à Lustin que se
décidaient la politique et l’action dans
les prétoires et les prisons.
Sous la houlette du responsable
pour la Belgique de la Fédération
de France, Abdelmadjid Titouche,
(Marc Dujardin de son nom de
guerre) se réunissaient clandestinement les avocats français et belges
du Collectif avec Alain (Ali Haroun),
Pedro (Omar Ladlani) et le responsable Omar (Omar Boudaoud) trois
des cinq formant la direction de la
Fédération de France, afin d’analyser
les situations et de définir les objectifs : organisation des colloques juridiques internationaux de Bruxelles
et de Rome, ou, en novembre 1961,
le déclenchement dans toutes les prisons, le même jour à la même heure,
d’une grève générale de la faim des
détenus algériens contre le projet de
partition de l’Algérie lancé par un
des féaux de de Gaulle, le ministre
Peyrefitte. Cette décision fut prise à
Bruxelles et immédiatement relayée
dans toutes détentions par le collectif.
Mais ce type de réunion n’aurait
pu se tenir sans les réseaux qui assuraient les transports des hommes et
des documents, les passages de frontières ou les évasions.
Des militants comme Luc Somerhausen (Alex pendant la guerre),
Jacques Nagels, Maggy Rayet, Irénée
Jacmain et son mari, Pierre Legreve,
Jean Doneux, Jean Van Lierde, Lucien Pary et mon épouse Henriette
ont accompli mille et une tâches indispensables et dangereuses, hébergé
les responsables clandestins, assuré
les passages de frontières.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Sans ces gens-là, qui sont pour moi
l’honneur de la démocratie belge par
leur courage et leur abnégation, leur
sens de la justice qui a quelque peu
racheté le racisme ambiant, l’action
n’eût pas été ce qu’elle fut.
Qu’on m’entende bien : ce ne sont
pas les Belges ou les Français des collectifs ou des réseaux qui ont assuré
la victoire finale des accords d’Evian.
Ce sont les Algériens eux-mêmes,
grâce à l’organisation efficace, montée comme une horloge par le peuple
algérien tout entier, qui ont reconquis leur dignité confisquée.
Nous avons été quelques-uns à
reconnaître en temps utile la voix
de la justice et à la répercuter, puis
à servir comme militants en suivant,
à la lettre, les directives du GPRA
ou de la Fédération. Nous avons eu
l’humilité d’écouter la voix des opprimés et de cesser de nous gargariser
des grandes tirades sur la civilisation
occidentale.
Nous avons tenté alors de relayer
l’intelligence et la sensibilité d’un
peuple réduit absurdement en esclavage.
En mai 1956, dans une revue universitaire de l’Université Libre de
Bruxelles, je préconisais les négociations avec le FLN. Car je pouvais
souligner que la Caisse algérienne de
crédit agricole bénéficiait aux colons
européens à raison de 99%.
Qu’à l’Université d’Alger, sur 5000
étudiants, il y avait 500 musulmans.
Que sur 9 millions d’habitants musulmans, seuls 19% des enfants étaient
scolarisés, que le salaire des ouvriers
algériens était dérisoire et qu’il y avait
1.500.000 chômeurs musulmans.
Quand on glose aujourd’hui à propos de l’Algérie, on oublie de préciser que la scolarisation y atteint 80%
( 24 )
sur une population de 35 millions
d’âmes.
Assurément, le couplet sur l’action
civilisation du colonialisme est et
reste une véritable escroquerie intellectuelle.
Et croyez-moi, aucun de ceux qui
ont aidé l’Algérie à maitriser son destin n’en a de regrets.
Je ne puis cependant passer sous
silence le prix payé pour tout cela.
Les ratissages, les bombardements,
les camps de concentration, les exécutions sommaires ou ciblées, les
disparitions organisées, la torture
systématisée, les corvées de bois, les
enfants et les femmes assassinés.
Même ici, ce fut le cas.
Ne parlons pas des sanctions
prises contre nous, Cécile Draps et
moi, par le tribunal militaire de Lille.
Car, en fin de compte, c’est dérisoire.
Mais Me Popie, assassiné à Alger,
Me Ould Aoudia à Paris, le Professeur Laperches à Liège, et mon ami
Akli Aissiou, étudiant en 7e année
de médecine à l’Université Libre de
Bruxelles, assassiné à Ixelles, rue
Longue Vie par un tueur des services
spéciaux français sur ordre du gouvernement du Général de Gaulle.
Tous ces jeunes militants, battus,
torturés, exécutés, c’est à eux qu’il
faut dédier cette célébration du 1er
novembre 1954.
Alors, Madame la Présidente, je
vous demanderai en conclusion deux
choses. La première est de proposer à
nos trois grandes universités de créer
une bourse Akli Aissiou ouverte à un
étudiant algérien en médecine.
La seconde, de promouvoir la
création d’une fondation pluraliste
Professeur Laperches, dirigée par
un conseil paritaire algéro-belge,
dotée d’un secrétariat, d’archives et
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Histoire
de chercheurs universitaires qui
rassemblerait les archives belges
de l’aide au FLN, les classerait et
les exploiterait autrement qu’en les
confiant à la poussière des greniers
ou des rayonnages.
Mes pensées finales iront à trois
Algériens qui ont profondément
marqué mon esprit par leur intelligence, leur sensibilité et leur
culture, au point qu’après les avoir
rencontrés, la fréquentation de
l’imbécillité méprisante et raciste
de certains devient insupportable :
Rahmoune Dekkar et Abdelkader
Maachou d’abord, responsables
syndicaux de l’UGTA, pendant la
guerre de libération, hommes à la
dialectique serrée, révolutionnaires
conscients, mais surtout hommes
à la pensée libre et militante.
Et alors, comment esquiver le
souvenir impérissable de ce gigantesque homme de culture qu’était
Kateb Yacine, qui m’a fasciné par
son œuvre comme par la poésie
incommunicable de son discours,
Kateb Yacine, l’imprécateur kabyle
qui se posait des questions sur
la coexistence fatale à Jérusalem
des trois grandes religions monothéistes.
Les islamistes ont profané sa
tombe. Mais je suis convaincu qu’il
repose en paix…
C’est son Algérie, celle qu’il a
rêvée, qui brûle dans mon cœur.
Serge MOUREAUX
10 NOVEMBRE 2004.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
L’APPORT DES AVOCATS A LA
REVOLUTION MIS EN EXERGUE A ALGER
L
(COLLOQUE) APS : 06.03.2011
es participants au
colloque international sur le thème
« Des robes noires
au Front : entre
engagement et art
judiciaire », ont mis en exergue à
Alger l’apport des avocats au combat libérateur des Algériens contre
la colonisation et la répression
qu’ils ont subie durant ce combat.
Intervenant au deuxième jour
du colloque, organisé par l’association « Les Amis d’Abdelhamid
Benzine », l’historienne Malika
Rahal a retracé dans une conférence intitulée « Ali Boumendjel
: un avocat aux mains des paras
», les conditions de la disparition
tragique du juriste algérien, maquillée en suicide par les autorités
coloniales.
Partant de la question posée par
le journal France Observateur, qui
avait titré, à l’époque, un article relatant la mort de cet avocat, ancien
militant de l’Union démocratique
du manifeste algérien (UDMA). «
Qui a tué Boumendjel ? », Malika Rahal a affirmé qu’il s’agissait
d’un « faux suicide », rappelant
à ce propos les aveux du général
Aussaresses.
Elle a souligné que la mort de
Me Boumendjel « a contribué à
changer l’image du Front de libération nationale (FLN) dans les
milieux métropolitains et mobi-
( 25 )
Feu Abdelhamid Benzine
lisé les réseaux d’opposition à la
guerre ».
Mme Rahal a mis l’accord, en
outre, sur son activité politique
« débordante » et la relation avec
son frère Ahmed son aîné de 10
ans, et qui avait « entièrement »
adhéré, à Paris, au combat libérateur initié par le FLN.
Elle a relevé, d’autre part, que
Boumendjel avait fréquenté le
lycée de Blida où il avait rencontré Abane Ramdane, Benyoucef
Benkhdda, Saad Dahleb et où il
avait eu comme maitre d’internat
Lamine Debaghine.
« Il figurait même parmi les
Amis d’Alger Républicain », a-telle dit, ajoutant que « sa recherche
de la négociation avec les autres
courants du mouvement national,
y compris le Parti du peuple algérien (PPA), irritait la direction de
l’UDMA ».
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Histoire
Ali Boumendjel
Elle a conclu en indiquant que
la disparition de Boumendjel avait
donné naissance au premier scandale, en 1957, lié à la torture.
Intervenant dans les débats,
Me Ghaouti Benmelha, qui était
membre du premier collectif des
avocats du FLN à Alger, créé en
février 1955, a précisé que durant
cette période Ali Boumendjel
avait quitté le barreau d’Alger et
était chargé du contentieux à la
société Shell à Alger.
L’historienne française Sylvie
Thenault, du CNRS de Paris, a,
pour sa part, remis en question
l’idée qu’il existait un seul collectif
d’avocats du FLN.
Selon elle, « il y avait des collectifs d’avocats », précisant que des «
avocats historiques avaient plaidé
pour les nationalistes algériens
bien avant le déclenchement de la
guerre de Libération nationale »
Pour cette historienne, qui a
consacré sa thèse de doctorat au
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
thème de la justice pendant la
guerre de Libération nationale,
ces « avocats historiques », dont
Me Stibbe et Dechezelles, « inscrivaient leur participation à la
défense des résistants algériens,
après le déclenchement de la Révolution, dans la continuité ».
Mme Thenault a reconnu que
l’engagement de ces « nombreux
» avocats reste méconnu en dépit de leur engagement « entier »
dans cette activité, surtout, a-telle noté, après l’internement des
membres du collectif des avocats
d’Alger.
Elle a indiqué, à ce sujet, que
le « seul » collectif qui est resté
dans les mémoires demeure le
collectif créé par la Fédération
du FLN de France, dont faisaient
partie Jacques Verges, Mourad
Oussedik, Abdessamed Benabdellah et d’autres.
L’historienne française a plaidé,
dans ce cadre, pour une recherche
historique susceptible de « restituer la mémoire de ces avocats
anonymes » qui se sont impliqués
dans la défense des résistants algériens. Evoquant la stratégie de défense connue sous l’appellation de
« stratégie de rupture », considérée par Me Jacques Verges comme
étant « d’essence révolutionnaire
», elle a relevé qu’il y avait des
avocats du collectif qui ne partageaient pas cette conception.
Elle a cité, à ce titre, Me Giselle
Halimi qui lui avait fait part de son
« désaccord » avec Jacques Verges
sur cette question, en expliquant
( 26 )
qu’elle ne pouvait pas « sacrifier »
le détenu dans un contexte où la
peine de mort était en vigueur.
Sur cette question, Me Ali Haroun, membre du Comité fédéral
de la Fédération FLN de France,
a insisté sur le fait que « le FLN
n’a jamais sacrifié ses détenus,
dans la mesure, a-t-il précisé, où
les avocats pouvaient plaider dans
le fond un dossier, sans recourir à
la stratégie de rupture ».
Abordant le sujet du collectif
des avocats belges au service de
la Révolution algérienne, Linda
Amiri, de la Faculté des sciences
humaines de Strasbourg (France),
a indiqué que ce collectif était rattaché à la Fédération de France du
FLN.
La constitution du collectif
d’avocats belges autour de Serge
Moureaux, Marc de Kock, Cécille
Draps et André Merchie, a-t-elle
expliqué, rentrait dans le cadre de
l’internationalisation de la question algérienne.
Elle a rappelé aussi, dans ce
contexte, la formation par des intellectuels belges d’un comité de
paix en Algérie, estimant que les
deux structures (comité et collectif) œuvraient à porter la voix du
combat algérien en Europe.
Mme Amiri a ajouté que le collectif des avocats belges avait été
derrière l’organisation de deux colloques, le premier à Bruxelles, en
1961, et le deuxième à Rome en
1962, sur le thème « Le droit international et la question algérienne ».
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
"La mort pour la cause de Dieu est une vie qui n'a pas
de fin, et la mort pour la patrie n'est qu'un devoir"
AHMED
ZABANA
Par Nora Sari
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
Ahmed Zabana, connu sous le nom de Zabana,
est un indépendantiste algérien ayant participé
au déclenchement de la guerre de libération
du 1er novembre 1954 dans la région d’Oran.
Condamné à mort à la suite de l’assassinat
dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954
du garde forestier François Braun, il est le premier indépendantiste algérien guillotiné, le 19
juin 1956, dans la prison de Barberousse à Alger. Considéré en
Algérie comme un héros, sa ville natale et plusieurs lieux dans la
ville d’Oran ont été renommés à son nom.
I
l naît en 1926 dans le quartier d’ElHamri dans la banlieue oranaise.
Il y fit ses études primaires, obtint
son certificat d’études et s’inscrit
dans un centre de formation professionnelle, l’école de formation
des métiers de chaudronnerie, électricité et
soudure, située au sous-sol du marché Garguenta (centre-ville d’Oran, aujourd’hui place
Zeddour-Mohamed-Brahim-Kacem) où il
apprend le métier de soudeur. Il a travaillé à
la cimenterie de la Cado à Saint-Lucien. Par
ailleurs, on saura qu’Ahmed Zabana a joué à
l’ASM Oran en équipe réserve.
En 1949, Ahmed Zabana adhère au Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Son dynamisme ne tarde
pas à attirer sur lui l’attention de la police
française qui l’arrête le 2 mars 1950. Il est
condamné par la justice coloniale à trois ans
de prison et trois ans d’interdiction de séjour.
Dès sa libération, il reprend ses activités
politiques avec autant d’ardeur que par le
passé et participe aux préparatifs du déclenchement de la guerre de libération nationale. Dans la nuit du 1er novembre 1954, il
organise avec un groupe d’insurgés l’attaque
Ahmed Zabana
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 28 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
Larbi Ben M'hidi
contre le poste des gardes forestiers
d’Oran.
Après la dissolution du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action
le 5 juillet 1954, Zabana est désigné
par Larbi Ben M’hidi en tant que
responsable de la zone de Saint Lucien (Zahana) banlieue d’Oran
(actuellement daïra de Zahana),
chargé de préparer la Révolution
avec tout le nécessaire en munitions
et hommes.
En application des ordres reçus, il
organise la réunion de Saint- Lucien
(Zahana) à laquelle assiste le martyr
Abdelmalek Ramdane et à l’issue
de laquelle Ahmed Zabana se voit
attribuer les missions suivantes :
1954 : Ahmed Zabana a tenu une
réunion avec son groupe de combattants au cours de laquelle furent
réparties les missions et définis les
objectifs ainsi que le point de ralliement à Djebel El Gaâda : structuration et entrainement des groupes,
choix des éléments adéquats aptes
au commandement des hommes
et inspection des positions straté-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Abdelmalek Ramdane
giques en vue de choisir les endroits
susceptibles de constituer des bases
pour la Révolution. Ahmed Zabana
réussit ainsi à constituer des groupes
à Saint-Lucien (Zahana), Oran, Ain
Temouchent, Hammam Bouhadjar, Hassi el Ghalla, Chaabet et
Sig. Il chargea ces groupes de collecter les cotisations pour l’acquisition d’armes et de munitions. Avec
Abdelmalek Ramdane, il dirigea les
opérations d’entrainement militaire
ainsi que les techniques pour tendre
des embuscades, lancer des incursions et fabriquer des bombes. Ghar
Boudjelida (grotte de la chauve-souris) qui se trouve à El Gaâda dans la
banlieue d’Oran était le PC (poste
de commandement) du secteur de
Saint-Lucien au début de la révolution algérienne (Zone 4 Wilaya V).
Au cours de la réunion présidée
par Larbi Ben M’hidi le 30 octobre
1954, la date du déclenchement de
la Révolution, les objectifs à attaquer la veille du premier novembre
furent définis avec précision.
( 29 )
Abdelkader Ferradj
1954 : la bataille de Ghar Boudjelida à El Gaâda, le 8 novembre 1954
au cours de laquelle Ahmed Zabana
fut capturé par les troupes françaises après avoir été atteint de deux
balles. Il fut prisonnier et conduit
d’abord à l’école communale d’El
Gaâda en attendant de l’acheminer
vers l’hôpital. L’instituteur piednoir, Monsieur Casé, montrera le
blessé et ses compagnons déposés
devant la porte du garage de l’école
(fondée en 1905) à ses élèves, en leur
disant : « Voilà ce qui vous arrivera
si vous suivez les rebelles. » Ensuite,
Ahmed Zabana fut incarcéré à la
prison d’Oran le 3 mai 1955, le 19
juin il fut transféré vers la prison
Barberousse (Serkadji) pour y être
guillotiné.
Jugé sommairement et condamné
à mort, il fut le premier condamné
depuis le déclenchement de la guerre
de libération nationale à monter sur
l’échafaud dans l’enceinte de la prison de Barberousse, sur les hauteurs
d’Alger.
www.memoria.dz
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
L'ancienne prison civile dite Serkadji ou Barberousse
Les enjeux de son exécution
Son exécution ainsi que celle de
Ferradj avaient été réclamées par les
milieux colonialistes dits « ultras »,
qui en firent un motif de satisfaction. Mais l’évènement provoqua
dans l’opinion algérienne un mouvement de colère si puissant qu’il ne
tarda pas à se traduire par une série
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
d’actions anticolonialistes. C’est ce
climat d’effervescence qui prépara
la bataille d’Alger.
La guillotine avec laquelle fut exécuté Ahmed Zabana se trouve au
musée central de l’armée.
Il est enterré dans le village de sa
région natale à Zahana.
( 30 )
Ayant participé à l’assassinat du
garde forestier François Braun dans
la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, à la maison forestière
de la Mare d’Eau (entre Zahana et
Oggaz), il est pris le 8 novembre,
jugé et condamné à mort. L’exécution de la sentence est l’enjeu d’un
bras de fer entre les élus d’Algérie,
les responsables du FLN à Alger et
les autorités françaises.
Des élus d’Algérie réclament
l’exécution des condamnés à mort,
et le chef de la zone algéroise du
FLN Abane Ramdane menace :
« Si le gouvernement français faisait guillotiner les condamnés à
mort, des représailles terribles
s’abattront sur la population civile
européenne. » Khalfa Mameri, biographe d’Abane Ramdane, attribue
à son héros une stratégie d’« accélération voulue de la répression »,
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
La prison de Serkadji aujourd'hui
pour unifier le peuple algérien autour du FLN.
Le ministre résident
Robert Lacoste laisse finalement guillotiner à la
prison de Barberousse,
le 19 juin 1956, deux
condamnés à mort, dont
Ahmed Zabana. Aussitôt,
Ramdane Abane et Larbi
Ben M’hidi arrivés depuis
peu à Alger, rédigent un
tract menaçant : « Pour
chaque maquisard guillotiné, cent Français seront
abattus sans distinction. »
C’est l’enclenchement de la
bataille d’Alger.
Nora Sari
La dernière lettre du condamné à mort
« Mes chers parents, ma chère mère ».
Je vous écris sans savoir si cette lettre sera la dernière et cela, Dieu
seul le sait. Si je subis un malheur quel qui soit, ne désespérez pas de la
miséricorde de Dieu car la mort pour la cause de Dieu est une vie qui n’a
pas de fin et la mort pour la patrie n’est qu’un devoir. Vous avez accompli
votre devoir puisque vous avez sacrifié l’être le plus cher pour vous. Ne
me pleurez pas et soyez fiers de moi. Enfin, recevez les salutations d’un
fils et d’un frère qui vous a toujours aimés et que vous avez toujours aimé.
Ce sont peut-être là les plus belles salutations que vous recevez de ma
part, à toi ma mère et à toi mon père ainsi qu’à Nora, El Houari, Halima,
El Habib, Fatma, Kheira, Salah et Dinya et à toi mon cher frère Abdelkader
ainsi qu’à tous ceux qui partageront votre peine. Allah est le Plus-Grand
et il est le Seul à être équitable.
Votre fils et frère qui vous aime de tout son cœur H’mida . »
Références
Ce document provient de « http://fr.wikipedia.org/windex.php?title=AhmedZabana&oldid=103227577 ».
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 31 )
www.memoria.dz
La guillotine avec laquelle a été exécuté Ahmed Zabana, exposée au Musée du Moudjahid d'Alger
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 32 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
7 AVOCATS DU FLN ASSASSINES DURANT La Guerre
de Libération Nationale
Entre 1957 et 1962, 7 avocats
du FLN ont été assassinés par
des organisations rattachées aux
services spéciaux français, ou
aux milieux extrémistes dont la
Main rouge et l’OAS (ultras, affiliés aux colonialistes français).
Le premier avocat assassiné fut :
- Ali Boumendjel, premier avocat assassiné. Arrêté à Belcourt
le 8 février 1957 par les paras, à
son bureau. Frère du célèbre avocat du FLN Ahmed Boumendjel, ce
militant de l’UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien) a
collaboré au journal l’Egalité, et a
fait partie des Amis d’Alger républicain. Il a été par ailleurs militant du Conseil mondial de la paix.
Torturé durant les 43 jours de sa
détention, il est défenestré le 23
mars 1957, sur ordre de Massu
par Aussarresses. Sa mort a été
maquillée en suicide.
- Améziane Ait Ahcene : (Constantine). Il fut au service du FLN dès
1955, et délégué du GPRA. Il est
assassiné le 5 novembre 1958 à
Bonn (Allemagne) par les services
spéciaux français.
- Amokrane Ould Aoudia : Il fut
l’un des premiers membres du
collectif des avocats défenseurs
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
des militants de la Fédération de
France. Il est assassiné le 23 mai
1959 devant son cabinet à Paris,
par balles, par la Main rouge. Il
était âgé de 34 ans.
- Alphonse Auguste Thuveny
(Oran) : il est tué dans l’explosion
de sa voiture à Rabat (Maroc) le
28 novembre 1958. Il fut membre
du collectif des avocats ayant défendu un grand nombre parmi le
groupe des 47 militants de l’OS,
dont le procès a eu lieu à Oran les
12 et 13 février 1951.
- Pierre Popie (Alger) : Il est arrêté le 13 mai 1958 à Alger pour
son soutien à la révolution algérienne. Il a fondé avec le professeur André Mandouze l’Association de la jeunesse algérienne
pour l’action sociale (AJAAS). Il
est assassiné dans son cabinet
le 25 janvier 1961 par l’OAS. Son
successeur est Pierre Guarrigues,
qui subira le même sort.
- Pierre Guarrigues (Alger) il est
assassiné dans son cabinet par
l’OAS en janvier 1962.
- M’hamed Abed (Oran) : le 4 décembre 1961, il est assassiné par
l’OAS. Son cabinet a été plastiqué
à quatre reprises, ainsi que son
domicile.
( 33 )
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Histoire
Badji Mohamed à Serkadji devant la guillotine en 1970
En médaillon, Badji Mohamed juste après sa libération de prison en mars 1962, avec les moudjahidine.
Rue des Mimosas - la Redoute, dans un local des Scouts musulmans.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 34 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
La main rouge
contre le FLN
PATRICIA TOURANCHEAU
En 1959, sur ordre de l'Etat, les services spéciaux
français abattent à Paris l'un des avocats des
Algériens du Front de libération nationale.
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
Les taupes se complaisent dans l'obscurité et détestent
la lumière. Elles deviennent vulnérables si leurs agissements souterrains apparaissent au grand jour. Libération a pénétré ce milieu des agents qui infiltrent des
groupes, des filières ou des pays pour renseigner les
services secrets. Les ressorts psychologiques de ces
hommes - (diplomate, routier, avocat...) oscillent entre
l'orgueil, l'argent, l'idéologie, le patriotisme ou le sexe.
Au fil de la semaine, six histoires d'espions aux petits
ou aux grands pieds.
C
Les autres opérations anti-FLN
e 21 mai 1959, à
Paris, Me Mourad
Oussedik,
33 ans, doit se
rendre avec son
confrère Ould
Aoudia à 20 heures à une réunion
des avocats du Collectif de défense
du FLN (Front de libération nationale), afin de préparer le procès
pour «atteinte à la sûreté extérieure
de l'Etat» des étudiants algériens.
Il est 19 h 10. «On sonne à mon
bureau rue Guénégaud. C'est un
responsable du FLN, Abderrahmane Bara, qui, dans tous ses états,
me dit : "Il y a un bonhomme qui
fait les cent pas sur le trottoir d'en
face, les mains dans la gabardine.
J'ai déjà eu une perquis' chez moi
ce matin. Mais les flics n'ont pas
trouvé les 75 000 F du comité de
soutien aux détenus et les direc-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
tives envoyées par la fédération du
FLN. C'est au-dessus de la chasse
d'eau. Faut à tout prix que tu les dégages"», rapporte Me Oussedik, qui
flaire alors le guet-apens : «T'as été
suivi.» «Non, dit Bara, le mec était
déjà là quand je suis arrivé.» Voilà
une semaine, huit avocats du collectif (1) ont reçu des menaces, «TU
VAS MOURIR» en lettres capitales et frappées d'une empreinte de
main. Il y a quatre jours, un agent
de renseignement FLN a signalé à
Oussedik «un Français qui arpentait le couloir de l'immeuble d'Ould
Aoudia au 10, rue Saint-Marc» :
«Son bureau était surveillé. J'y ai
fait récupérer des documents, listes
et éléments comptables du collectif que je lui avais confiés. Mais
Ould, toujours distrait, m'a traité
de paranoïaque : "T'as mis l'alerte
rouge, là !"» Oussedik ne tient pas
( 36 )
Feu Abderrahmane Bara
à suivre Bara ce soir-là, inquiet de
cet homme-là, sous ses fenêtres,
qui peut être un «Algérie française»
ou un «flic de Papon» (préfet de
police) : «On va se faire coxer tous
les deux, et puis j'ai la réunion du
collectif...» Bara insiste : «Priorité
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
Mes Mourad Oussedik et Jacques Vergès
à l'organisation, tu annules.» C'est
un ordre. Oussedik téléphone à
Ould Aoudia : «Vas-y tout seul, j'ai
un cousin, là, qui a besoin de moi.»
Meurtre
de
professionnel.
Oussedik et Bara partent récupérer
les documents au 10, rue Guisarde,
en essayant de semer l'homme en
imper qui les suit, des quais de
Seine à la rue Saint-Sulpice, «toujours là derrière, j'ai pensé à un
policier». «Arrivés au niveau de
l'église, le gars s'arrête pile, fait
demi-tour et reprend le chemin
inverse. Avec Bara, on en profite.
Je monte chez lui quatre à quatre,
j'enfourne tout dans ma serviette,
je rentre chez moi boulevard SaintGermain. J'ai une mission le lendemain : je dois dégager un militant du FLN caché chez Jean-Paul
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Sartre pour l'envoyer par la filière.»
Au lever, Mme Aoudia l'appelle,
inquiète : «Mon mari n'est pas rentré cette nuit.» Oussedik fonce au
cabinet d'Ould Aoudia, tombe sur
la police : «Votre confrère a été victime d'un infarctus.» A la morgue,
le légiste lui annonce : «M. Aoudia
a été tué d'une balle en plein cœur.»
Un meurtre de professionnel. Le
26 mai, les sept autres avocats reçoivent des lettres numérotées de
2 à 8 : «TOI AUSSI». Me Jacques
Vergès a été destinataire de la n° 2
: «Il n'y avait pas de n° 1.» Le collectif ignore à l'époque que le premier, Ould Aoudia, a été victime
d'un crime d'Etat. Et que Mourad
Oussedik et Ben Abdallah ont été
aussi programmés, ce soir-là, par le
service Action du Sdece (Service
( 37 )
de documentation extérieur et de
contre-espionnage).
«Huit courriers annonciateurs
de décès étaient partis du service»,
affirme aujourd'hui à Libération
Raymond Muelle, ex-capitaine
au service Action : «Mais la liste
n'était pas close, tous les avocats
du FLN étaient ciblés. Ils étaient
20 ou 22 à l'époque dans le collectif de soutien au FLN.» «L'opération Homo (pour homicide) contre
Ould Aoudia a été exécutée sur
ordre de Matignon», sous le Premier ministre Michel Debré, et
«avec le feu vert de l'Elysée», car «le
vrai patron du Sdece était Jacques
Foccart», l'éminence grise du général de Gaulle à la présidence de
la République. «Réserviste du 11e
choc», le conseiller Foccart avait
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Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
Jacque Foccart
Michel Debré
une autorité politico-militaire sur
ces ex-parachutistes du 11e choc
passés au service Action.
A Matignon, Michel Debré pestait contre ce collectif d'avocats
engagés avec le FLN, bientôt désigné comme l'ennemi à abattre.
Selon son conseiller aux questions
de «renseignement et sécurité» de
l'époque, Constantin Melnik, «les
RG, la DST et le Sdece signalaient les services rendus par ces
avocats aux combattants d'une
même cause. Des armes étaient
introduites dans les parloirs des
prisons. Des instructions étaient
recueillies auprès des chefs emprisonnés (Ben Bella, Aït Ahmed et
Khider à l'île d'Aix) pour continuer
la lutte». Et les enquêtes internes
au FLN déclenchées après chaque
arrestation, via les confidences des
interpellés aux avocats, «menaçaient les agents doubles manipulés par le contre-espionnage (2)».
Me Oussedik ne cache pas qu'il se
renseignait auprès d'«un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur, nom de code Anjou 08.20,
et de deux policiers d'origine algérienne à la préfecture» pour débusquer les traîtres au sein du FLN :
«C'était la guerre.»
Liste noire. Au nom de la
«guerre», Jacques Foccart accorde
alors une «dérogation» au Sdece
pour tuer des avocats du FLN sur
le sol français. D'ordinaire, les opérations du service Action obéissent
à deux règles : des «cibles» étran-
gères ¬ jamais des citoyens français ¬ et des lieux toujours extérieurs au territoire. En tout cas, le
patron du Sdece, le général Grossin, établit une liste noire d'avocats
du collectif du FLN à tuer en métropole. Selon Melnik, «trois noms
sont désignés : Aoudia, Oussedik
et Ben Abdallah». Auxquels Foccart ajoute «Mes Jacques Vergès (3)
et Jacques Mercier» afin de «neutraliser en une seule frappe défi-
Ahmed Ben Bella
Hocine Ait Ahmed
Mohamed Khider
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 38 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
nitive» les avocats du FLN. C'est commandant Muelle, «nos opérale socialiste et franc-maçon Paul
tions "Arma" contre des bateaux, à
Grossin qui refuse tout net d'exé- Hambourg, à Tanger, ont systémacuter ces deux «citoyens français».
tiquement été revendiquées par la
N'empêche, une triple opération
Main rouge, une couverture pour
«Homo» a été montée. Le com- nos opérations». Il y a deux «Main
mandant Muelle, bien placé au
rouge», précise le militaire : «La
service Action, révèle aujourd'hui
vraie et la fausse.» L'authentique
à Libération que «les reconnais«Main rouge», c'est un «groupe
sances ont eu lieu pour
ces trois objectifs donGeorg Puchert à droite
nés par la hiérarchie»,
Aoudia, Oussedik, Ben
Abdallah, «emplois du
temps, adresses, identification» : «Tout était
prêt pour ce soir-là. Le
jour même, les trois
projets d'exécution ont
été soumis aux autorités politiques qui, sans
doute effrayées par les
conséquences possibles,
n'ont donné qu'un seul
feu vert. Pour le service,
trois opérations, ç'aurait
été un coup formidable.
Pas pour les politiques.
Deux opérations ont
donc été repoussées,
puis annulées.»
Avant de s'attaquer aux diri- contre-terroriste monté par des
geants du FLN en Europe puis colons européens en Afrique du
aux avocats du FLN en métropole, Nord» qui ont détourné la «main
de Fatma», porte-bonheur des mule service Action avait commencé
sulmans, pour liquider le grand dien 1956 par viser les trafiquants
d'armes qui reçurent eux aussi des rigeant syndical arabe Fehrat Ha«mots d'avertissements prépara- ched à Tunis en 1952. La «fausse
Main rouge», appellation récupérée
toires». Les obstinés de la trempe
par le Sdece français, sert à «coude Georg Puchert qui continuent
vrir des opérations inavouables à
à approvisionner les «fellaghas» du
l'étranger». Par exemple, l'assassiFLN s'exposent à la destruction de
leurs cargos (lire encadré). Selon le nat à Genève en 1957 du négociant
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 39 )
en armes Marcel Léopold. Une
«pompe à vélo» a été «oubliée» à
côté du corps, se souvient le commandant Muelle : «L'agent avait
essayé une première fois mais
avait dû abandonner, car, quand
Léopold avait ouvert sa porte,
quelqu'un se trouvait derrière. La
deuxième fois, l'agent d'exécution qui s'était présenté
chez Léopold a été surpris par quelqu'un dans
l'escalier et a laissé sur
le paillasson sa pompe
à vélo. Certains se sont
demandé qui pouvait
se servir d'un tel engin
équipé d'un ressort pour
percuter une fléchette
empoisonnée au curare.»
Manipulation.
Afin
d'accréditer l'idée d'une
organisation indépendante
«contre-terroriste», les cerveaux du
Sdece fabriquent des
communiqués de revendication et des interviews de prétendus
«membres actifs» de la
«Main rouge». Selon le
commandant Muelle, «ces conférences de presse étaient montées
par l'échelon de commandement
du Sdece», le général Grossin. Et
d'«honorables
correspondants»
relaient ces boniments auprès des
journalistes. Dans le Daily Mail
britannique puis le Spiegel allemand, Christian Durieux, jeune
Corse et prof de maths, téléguidé
par le Sdece, se plaint même d'un
manque de reconnaissance de son
www.memoria.dz
Le Collectif des Avocats du FLN
Histoire
organisation la «Main rouge» par
les autorités ¬ «aucun officiel français n'a osé admettre notre existence»¬ et se vante de ses «exploits
contre-terroristes» qui ont «mis fin
à l'activité de certains trafiquants
d'armes». Le Sdece pousse l'intox
jusqu'à publier en 1960 un livre
intitulé la Main rouge aux éditions
Nord-Sud (4), montées pour l'occasion par «l'honorable correspondant» Jacques Latour. «Ce bouquin a été rédigé par des gens du
service pour camoufler les actions
du moment», raconte Muelle. Une
fiction, un leurre. Qui a berné tout
le monde. Même les avocats du
collectif. Selon Jacques Vergès, «la
Main rouge désignait pour nous
les ultras, soldats perdus ou extrémistes pieds-noirs». «On a toujours
pensé à des barbouzes de droite,
confirme Me Oussedik, jamais à
un service de renseignement organisé et dissimulé derrière ce sigle.»
Un bon camarade. Pour tuer Me
Ould Aoudia, le service Action n'a
«pas osé utiliser la couverture de
la Main rouge» qui, jusqu'à présent, a servi pour les opérations
perpétrées à l'étranger. Là, «c'est
un gros morceau et ça se passe à
Paris, souligne Muelle, c'est donc
un officier traitant qui fait l'affaire». Qui tue. D'habitude, «c'est
un agent d'exécution qui se charge
de ces corvées de nettoyage», écrit
Raymond Muelle dans son livre
passé inaperçu sur les sept ans de
guerre du FLN en France (5). Ces
professionnels de la mort qui «exécutent les ordres» sans états d'âme
se sont «posé des questions pour
Aoudia», selon l'ancien du service Action, «quand nous avons
appris, après coup, son pedigree,
nationalité française et marié à une
Française». Pour relater de l'intérieur l'opération «Homo» contre
Aoudia, Muelle, qui dit se trouver
«alors à Alger, et non pas à Paris»,
a «beaucoup questionné le tireur,
un lieutenant de l'armée française
parlant parfaitement arabe, un bon
camarade».
Ce 21 mai 1959, à 19 h 30, «une
Chambord bleu foncé» dépose
donc le «bon camarade» officier
en «gabardine bleue» non loin
du 10, rue Saint-Marc, dans le
IIe arrondissement de Paris. Le
tueur «serre sous son bras droit
un porte-documents noir de bazar», monte au «3e étage, bureau
n° 180. Le nom est sur la porte :
Me Moktar Ould Aoudia, avocat.
Au-dessus, une ampoule tubulaire
est allumée lorsque le "client"» est
là. Sur le palier, des WC toujours
ouverts. L'avocat quitte son bureau
entre 19h30 et 20h». L'homme
se planque dans les WC, «engage
l'index droit dans un trou de la
serviette de Skaï», le doigt sur la
détente d'un «Beretta équipé d'un
silencieux maintenu par un léger
bâti en bois dans le porte-documents» (une façon de récupérer
les douilles). Il attend. «L'ampoule
s'éteint. L'avocat va quitter son bureau. Sa porte s'ouvre, il est seul. Il
est jeune, séduisant (...). Il y a deux
détonations étouffées.» Le tueur
retourne sa gabardine, désormais
marron avec une ceinture, met
une casquette, ôte ses lunettes,
s'engouffre dans une «203 grise
immatriculée en Seine-et-Oise».
«Il est pile 19 h 40 (5).» «Tout est
OK, l'affaire est faite, le client était
à l'heure au rendez-vous.»
Patricia Tourancheau
(1) Le noyau dur du collectif : Mes Ould Aoudia, Michèle Bauvillard, Abdessamad ben Abdallah, Maurice et Janine Courrégé. Mourad
Oussedik. Jacques Vergès. Michel Zavrian.
(2) Un espion dans le siècle. Constantin Melnik. Editions Plon 1994. Puis La mort était leur mission, le service Action pendant la guerre
d'Algérie. Plon 1996.
(3) Les Secrets de l'espionnage français de 1870 à nos jours. Pascal Krop. Editions Jean-Claude Lattès, 1993. L'auteur y dévoile la
volonté de Michel Debré de «supprimer Jacques Vergès».
(4) In la Piscine : les services secrets français 1944-1984. Editions Seuil. Par Roger Faligot et Pascal Krop qui, les premiers, en 1985,
ont révélé la supercherie, «la Main rouge est uniquement une création du Sdece», avec le témoignage inédit du général Grossin.
(5) Sept Ans de guerre en France. Raymond Muelle. Editions Grancher. Publié en 1994, réédité en 2001.
Tourancheau Patricia. Un espion dans le siècle. Constantin Melnik. Editions Plon 1994.
La mort était leur mission, le service Action pendant la guerre d'Algérie. Plon 1996. Les Secrets de l'espionnage
français de 1870 à nos jours. Pascal Krop. Editions Jean-Claude Lattès, 1993. la Piscine : les services secrets français
1944-1984. Editions Seuil. Sept Ans de guerre en France. Raymond Muelle. Editions Grancher. Publié en 1994, réédité
en 2001.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 40 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
ALI HAROUN
PARCOURS
D’UN MILITANT
Après des études primaires et secondaires à Alger, Ali
Haroun poursuit ses études supérieures à Paris, où il obtient la licence en Droit puis le doctorat d’Etat auprès de
la Faculté de Panthéon-Sorbonne. Militant de la cause
nationale en France, il rejoint par la suite l’Algérie pour
exercer la profession d’avocat.
Par Nora Sari
Le Collectif des Avocats du FLN
Portrait
La guerre d’Algérie.
Dès les débuts de l’insurrection,
Ali Haroun rejoint le FLN. En
1956 il est chargé par Mohamed
Boudiaf de la direction du journal
« Résistance Algérienne », édité
alors à Tétouan et qui disparaîtra au profit d’un autre journal «
El Moudjahid ». En 1957, Abane
Ramdane transfère toute l’équipe
de Tétouan à Tunis. En 1958, Ali
Haroun est muté par le CCE à la
Fédération de France du FLN.
Au sein du Comité fédéral, il est
chargé de l’information et de la
presse ainsi que du contrôle des
détentions (prisons et camps) par
le biais du collectif des avocats.
Il exercera cette responsabilité
jusqu’à l’indépendance.
De 1960 à 1962, il est membre
du CNRA (Conseil national de la
Révolution algérienne) qui se réunira deux fois à Tripoli.
La période post-indépendance.
Elu député d’Alger à l’Assemblée Constituante en septembre
1962, il ne s’y sent pas à l’aise et
se trouve parmi les 21 qui n’ont
voté ni l’investiture de Ben Bella
et ni la Constitution de 1963. Il se
retire de toute activité politique
et fin 1963, reprend sa profession
d’avocat. Il plaide en cette qualité
plusieurs procès politiques durant
les décennies 1960, 1970 et 1980.
Après l’instauration du pluralisme en 1989, Ali Haroun participe à la création de l’« Association
des Moudjahidine de la Fédéra-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Photo prise à Tétouan en 1957.
Debout de g. à dr : Amar Haddad, Ali Haroun, Mahdi Mabed. Assis : Mansour Boudaoud.
tion de France du FLN » dont il
devient Président jusqu’en 1992
et celle de la « Conférence Nationale des Démocrates » dont il est
le Secrétaire Général aux côtés de
Si Abdallah Bentobal, Président.
Le 18 juin 1991, Ali Haroun est
appelé au Gouvernement de Sid
( 42 )
Ahmed Ghozali, comme ministre
des Droits de l’Homme.
Interruption du processus électoral et appel à
Boudiaf.
Aux législatives du 26 décembre
1991, le FIS remporte dès le pre-
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Portrait
Photo prise à Tunis en route vers Tripoli en 1962
De g.à dr. debout : Mourad Terbouche, Kaddour Ladlani, Mahieddine Moussaoui, Ali Haroun, Rabah Bouaziz,
Nordine Bensalem. Assis de g. à dr. : Abdelkrim Souici, Messaoud Kesrani.
mier tour, 188 sièges à l’Assemblée populaire nationale. Le 31
décembre 1991, celle-ci termine
sa législature et le 9 janvier 1992
le Président Chadli démissionne.
Après refus du Président du
Conseil constitutionnel d’assurer
la mission de Président par intérim durant 45 jours pour la préparation de l’élection d’un nouveau
président de la République comme
le prévoit la Constitution, le Haut
Conseil de Sécurité constate l’impossibilité de poursuivre les élec-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
tions législatives et de procéder
à l’élection présidentielle. Après
plusieurs tentatives pour trouver
une solution à la crise, Ali Haroun
est chargé par le Haut Conseil de
Sécurité (HCS) de prendre contact
avec Mohamed Boudiaf, figure
historique et emblématique de
la guerre de libération nationale,
exilé au Maroc, afin d’assurer la
direction d’un collège de Cinq
membres chargé de terminer le
mandat du Président Chadli démissionnaire. Ce sera le Haut Co-
( 43 )
mité d’Etat, dont Ali Haroun est
l’un des membres. Le 29 juin 1992,
Boudiaf est assassiné par Boumarafi, un soldat chargé de sa protection rapprochée. Le meurtre de ce
grand homme se traduira par une
perte énorme pour l’Algérie, qui
reprenait confiance en elle après le
retour de « Si Tayeb El Watani »
absent depuis plus de 25 ans.
En 1995, Ali Haroun est, aux
côtés de Réda Malek, Mostefa Lacheraf, Mohamed Saïd Mazouzi et
d’autres, l’un des membres fonda-
www.memoria.dz
Le Collectif des Avocats du FLN
Portrait
De g. à dr. : Benyounes (Daniel), Omar Boudaoud, Abdelkrim Souici, Kaddour Ladlani, Mohamed Flici, Said Bouaziz,
Ali Haroun, au 1er plan : Ahmed Doum.
teurs de l’Alliance nationale républicaine (ANR), un parti qui milite
pour la démocratie, la tolérance et
le progrès.
En 2010, ces membres quittent
les rangs de l’ANR et Ali Haroun
n’exerce plus aucune activité politique.
Œuvres
La 7ème Wilaya : la guerre du FLN en
France (1954 – 1962). Seuil. Paris. 1986.
L’Eté de la discorde. Casbah Editions.
Alger.2000.
Le Rempart : la suspension des élections
législatives de janvier 1992, face à la terreur
djihadiste. Casbah Editions. Alger. 2014.
De g. à dr. : Abdelkrim Souici, Omar Boudaoud, Ali Haroun en 1959
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 44 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Ali Haroun nous reçoit dans
son bureau d’avocat.
Bibliothèques garnie de livres
et d’encyclopédies rangées au
cordeau. Sur un meuble bas,
au centre, un portrait de Hadj
M’Hamed El Anka (jeune) trône,
tel un aïeul vénéré. Aux murs,
diplômes et photos attestent d’un
parcours professionnel
jalonné de pierres
blanches qui ponctuent un
périple riche, dense,
important, au service de la
justice où qu’elle soit et
d’où qu’elle vienne.
Dans ce lieu calme et
serein, l’action, la réflexion et
le don de soi semblent être les
maîtres des lieux… Entretien
Entretien réalisé Par Nora Sari
Le Collectif des Avocats du FLN
Entretien
MEMORIA : Vous avez
fait partie de la cellule des
avocats du FLN ? Parleznous de sa création, sa stratégie, sa composition par
régions et éventuellement
du nombre de ses avocats.
ALI HAROUN : Non !
(rires) je n’ai jamais fait partie d’une
cellule d’avocats. Je travaillais dans
la clandestinité et non au grand
jour ! Ma participation était tout
autre ! C’est en mai 1957 que le Comité Fédéral, avec à sa tête Omar
Boudaoud, a créé une cellule d’avocats engagés dans la cause, parmi
eux, Benabdallah, Oussedik, Ould
Aoudia, Vergès, Zavrian, Beauvillard, Bendimered à Lyon et
Boulbina à Marseille. La première
réunion a eu lieu 13 rue Guénégaud
à Paris et fut présidée par Kaddour
Ladlani. Bachir Boumaza en fut le
coordinateur politique chargé de
la liaison avec le Comité Fédéral.
En mars 59, sur ordre du GPRA,
le collectif a été algérianisé, c’està-dire que sa direction au sommet
était constituée d’avocats algériens
mobilisés dans les rangs du FLN.
Le découpage a été décidé après
l’assassinat de Maître Ould Aoudia
par la « Main Rouge » en réalité les
services spéciaux français.
Durant les années 1957-1958 une
douzaine d’avocats ont plaidé pour
nos militants. Mais devant une
tâche immense le Collectif va faire
appel à ses confrères dans toute la
France et leur nombre avoisinera la
centaine. Ainsi ont plaidé :
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
- A Paris. Beauvillard, Nahori, Glayman, Schulmacher,
Lombrage, Pamier (surtout
à Caen), Eppelbaum, Viala,
Souquière, Colombier, Likier,
Lenoir, ainsi que six avocats
du PSU.
- A Versailles : Marie-Claude
Radziewski, Nicole Rein et
Bouchard.
- A Lyon : Cohendy, Berger,
Delay, Bouchet, Régine Bessou, André Bessou, Bonnard.
- A Grenoble : Mr et Mme Mathieu-Nantermoz.
- A Marseille : Bernus, Gouin,
Simon, Soigneren (à Grasse).
- A Avignon : Coupon et Serre.
- Dans le Nord-Est de la France
: Zavrian, Tchang-Charbonnier, Portalet, Bellanger, Warot, Fenaux, Humbert, Roger,
Netter.
- En Belgique : Moureaux, de
Kock, Draps, Merchies, Lallemand.
- En Algérie : Courrègé, Mme
Courrègé, de Felice, Jeager,
Moutet, Aaron, Poulet, Routchewski, Allepot, Wallerand
et bien d’autres encore qui
apportaient leur aide occasionnelle.
MEMORIA : Comment
assurer la défense des
militants du FLN qui ne
reconnaissent pas les lois
françaises alors que parallèlement, l’avocat lui,
doit plaider au nom de ces
( 46 )
mêmes lois auxquelles il
est soumis ? Paradoxe ou
dilemme ?
ALI HAROUN : Jusqu’en
1958, les avocats ont défendu selon le dossier : c’est alors ce que
l’on appellera « le procès de connivence ». Ainsi ont plaidé maîtres
Stribbe, Braun, Matarasso, et
autres. La défense s’appuyait sur
des arguments du genre : « l’accusation ne tient pas…, on a obligé
l’inculpé à le faire…, il a commis
cet attentat par peur des représailles…, il a donné de l’argent
sous la contrainte…, il a eu une
enfance difficile, maltraité par un
père ivrogne… etc.etc. ». Le FLN
n’entend plus développer ces arguments ! Et c’est la raison principale de la création du collectif des
avocats du FLN ; qui choisiront
chaque fois que possible une autre
ligne de défense. Désormais, nous
revendiquons la légitimité de nos
actions ! Après le 1er Novembre
1954, le FLN ne reconnaît plus la
loi française et refuse d’emblée la
donne qui le place en situation de
hors-la-loi. Il ne jouera plus avec
les cartes françaises. Il considèrera que cette loi conçue, discutée
et votée par le Parlement français,
promulguée par le Chef de l’Etat
français, n’est pas l’expression de
la volonté générale, en tout cas pas
celle du peuple algérien, qui n’a
été en rien consulté. D’ailleurs les
moyens purement politiques n’ont
jamais permis au peuple algérien
de revendiquer, et encore moins
d’obtenir, l’exécution de sa réelle
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Collectif des Avocats du FLN
Entretien
volonté d’indépendance. Aussi
prend-il délibérément les armes et
se considère-t-il en guerre contre
l’occupant de son pays.
Pour être logique avec luimême, chaque militant algérien,
arrêté et traduit devant les tribunaux français, devait se comporter en « belligérant ». C’est
bien cette ligne de conduite que
la Fédération de France du FLN
tente de faire suivre aux inculpés
chaque fois que les circonstances
le permettent. Quel sera dès lors
le rôle de l’avocat ? Peut-il mener
sa défense dans ce contexte ? La
position du détenu algérien est
légitime et pourtant « illégale »
au regard du droit que les autorités veulent lui appliquer. Or,
l’avocat français est soumis par la
loi, son serment, ses règles déontologiques, à la légalité française.
S’il estime que, dans la vie d’un
homme, il est des moments où
la loi, expression momentanée
et contingente d’une majorité de
circonstance, lui paraît illégitime,
alors il optera pour la thèse de
son client. Il inscrira sa conduite
dans le cadre général de la lutte à
laquelle il participe à sa manière,
et se conduira en défenseur d’une
cause qu’il estime juste. Ce faisant, il méconnaîtra certes la loi
du moment, mais servira le droit
et, en fin de compte, les valeurs
permanentes d’honneur et de dignité humaine.
Il était donc nécessaire de considérer tous les avocats du FLN
comme militants d’une cause
dont les principes sont universellement admis. Pour les Algériens,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
déjà engagés au sein du Front, le
problème était simple. Ils furent
mobilisés sur place. Quant aux
avocats français, qui, dans l’intérêt futur de leur pays, ont oeuvré au sein du Collectif, ils ont
eux-mêmes choisi entre la loi de
l’époque et le droit permanent, la
légalité coloniale et la justice intrinsèque.
Dès lors, la défense des militants du FLN sera basée sur cet
argument politique, à une exception près : lorsque l’accusé encourt
la peine de mort. Pour le sauver,
on peut plaider le dossier, c’est-àdire accepter un procès de connivence. Mais à partir de 1957-1958,
les procès des militants FLN ont
constitué dans leur majorité des
procès de rupture. Quant aux rapports du Collectif avec la Fédération, ils se caractérisaient par
un bureau à Paris, dirigé par un
coordinateur, responsable politique, qui n’est pas avocat, mais
chargé d’assister aux réunions et
de faire un rapport au Comité Fédéral. Parmi les coordinateurs qui
ont assuré cette fonction citons :
Bachir Boumaza, Abderrahmane
Bara, Maître Oussedik (qui a assuré un intérim), puis Aboubakr
Belkaïd, et après son arrestation,
Hocine Mehdaoui. C’est ainsi que
tous les 3 mois, un état de la situation des 83 prisons et des 4 camps
d’internement était transmis par
le collectif à l’autorité du FLN en
France.
Pour répondre à votre deuxième
question. Dilemme pour les avocats français mais pas pour les
Algériens ! En effet, si le FLN
( 47 )
rejette les lois françaises et ne les
reconnait plus, il ne se comporte
plus en justiciable auprès de la justice française, mais en belligérant.
Il s’agit dès lors d’un nouveau
contexte pour la défense, basé sur
les exigences politiques de la lutte
menée par le FLN.
Il n’y a aucun paradoxe lorsque
l’avocat soutient que l’inculpé
est le soldat sans uniforme d’un
gouvernement en guerre contre
le colonialisme français ! Or, les
présidents de tribunaux refusaient que l’on prononce le mot «
guerre » le conflit algérien n’étant
qu’une « pacification » !... Les inculpés étaient considérés comme
saboteurs, meurtriers, et toujours
délinquants de droit commun.
La qualification des faits qu’on
leur reprochait était l’association
de malfaiteurs, l’atteinte à l’ordre
public, l’assassinat, le racket, etc.
C’est plutôt là que se situe le
paradoxe que plus personne ne
contestera… 45 ans plus tard en
1999 quand la « pacification » est
officiellement reconnue comme
« guerre d’Algérie » par le Parlement français.
MEMORIA : Combien
de détenus en France, combien de condamnés à mort
et combien d’exécutés ?
ALI HAROUN : Tout au
cours des 7 années et demie de lutte
l’on peut évaluer à plus de 20.000
les Algériens qui sont passés par les
83 prisons et les 4 camps d’internement. Quant aux condamnées
www.memoria.dz
Le Collectif des Avocats du FLN
Entretien
à mort, le Collectif en dénombre
43 au 31 octobre 1961 malgré les
grâces et les exécutions antérieures.
Il y eut une trentaine de patriotes
guillotinés en France et environ
300 en Algérie.
MEMORIA : Les causes
de ces militants étaientelles médiatisées ? Si, en
France, la presse est considérée comme le 4ème pouvoir, de quelle manière et
par quels organes de presse
des causes ont-elles pu être
défendues, ou des partispris prononcés ?
ALI HAROUN : Comme
nous l’avons vu, il a été demandé
à nos avocats d’arriver au procès
de rupture. Cela fait scandale, les
incidents se succèdent au prétoire,
l’audience est suspendue, les avocats quittent la salle, cela donne du
blé à moudre aux journalistes de
droite comme de gauche, et le procès est médiatisé ! Seul point positif : faire connaitre la position du
FLN au peuple de France, attaché
au prix de sa baguette de pain et à
son pouvoir d’achat pour assurer
son confort quotidien ! En fait le
Français moyen ne sait pas encore
grand-chose de ce qui se passe en
Algérie. Pour lui, « on pacifie » et
c’est tout ! Ainsi, on intéresse le petit peuple de France, avec ces petits
faits divers. Par contre, les intellectuels, et ils sont nombreux, les communistes, des gens du monde des
arts et du spectacle, des prêtres, des
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
écrivains célèbres (Sartre, Simone
de Beauvoir, Françoise Sagan, des
Prix Goncourt entre autres,) ont
porté haut et fort leur engagement en faveur de la juste cause du
peuple algérien. Suffit-il de signaler
que des hommes de science tels des
chercheurs au CNRS, ont été arrêtés, et se sont retrouvés incarcérés
aux côtés de leurs amis Algériens,
et qui ont profité de cette détention
en commun pour les alphabétiser,
les instruire et les préparer aux examens.
MEMORIA : 7 avocats
ont payé de leur vie le fait
d’avoir assuré la défense
des militants du FLN. Ces
assassinats étaient signés
de « La Main Rouge ». Qui
est derrière cette appellation ?
ALI HAROUN : La « Main
Rouge », n’est qu’un paravent derrière lequel se camouflaient les
services spéciaux français, pour
commettre des crimes condamnés par le droit international. Ils
se sont servis de ce vocable commode, pour pratiquer des assassinats extra-judiciaires, c’est-à-dire
des crimes d’Etat. Un responsable
du service spécial, attaché à Michel Debré, Premier Ministre de
l’époque, l’écrit avec détails dans
son livre intitulé « La mort était
leur mission ».
( 48 )
MEMORIA : Des avocats ont payé de leur vie et
d’autres ont été emprisonnés pour avoir défendu la
cause de militants nationalistes. Qui a assuré leur
défense ?
ALI HAROUN : D’après ce
que j’en sais la grande majorité des
avocats « musulmans » du barreau
d’Alger ont été soit emprisonnés,
soit contraints à l’exil, ou à la clandestinité. Benmelha, Hammad,
Sator, Slama, et j’en oublie :…Des
communistes, des juifs furent emprisonnés ou internés. Par contre en
France où j’étais responsable, je circulais avec des faux papiers. Il était
évident que recherché, je ne plaidais
pas. Certains avocats européens du
barreau d’Alger ont été corrects
avec leurs confrères musulmans,
mais la majorité d’entre eux ont été
favorables à la répression de leurs
confrères ! « Ils ne l’ont pas volé
» ! disaient-ils ! En France, lorsque
Oussedik, Benabdallah, Vergès,
Zavrian, Courrégés, ont été inculpés, une pétition a circulé au barreau de Paris pour demander leur
radiation, leur reprochant de « violer leur serment et de porter atteinte
à la considération du barreau, en
menant une action anti-française ».
Ils n’ont plus leur place parmi nous
! » affirmaient leurs accusateurs. La
pétition fut signée par un grand
nombre d’avocats parisiens. Il est
à noter toutefois que deux avocats
célèbres ont refusé d’apposer leur
signature ; Maître Tixier Vignancourt et Maître Isorni, qui fut l’avo-
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Entretien
cat du maréchal Pétain. « Nous ne
sommes certes pas d’accord avec les
positions politiques des avocats du
collectif FLN, mais nous les respectons pour leur courage, dans
la défense des intérêts qui leur paraissent justes, selon leurs conceptions ». Nous ne voulons pas hurler
avec les loups », diront-ils.
MEMORIA : En consultant sur la toile, les publications concernant le collectif
des avocats du FLN, on remarque, dans les commentaires d’internautes, que
des noms d’avocats auraient
été occultés, tels que MM.
Arezki Bouzida, Hocine
Tayebi, ou Bentoumi, entre
autres ?
ALI HAROUN : D’après ce
que m’a dit Bouzida lui-même, il a
plaidé la 1ère année pour les détenus du FLN. À cette époque, le
responsable du groupe d’avocats du
FLN était Mohamed Hadj Hamou,
il est encore vivant et personne ne
parle de lui. Bouzida avait appris,
lors d’un déplacement à Paris pour
soutenir le recours en grâce d’un
condamné à mort auprès du président Coty, qu’il était recherché
à Alger par la police française !
Il a rejoint aussitôt Le Caire, puis
Tunis, où il a assuré le Secrétariat
de la base FLN de Tunis comme
adjoint du commandant Kaci. Rebbani a plaidé pour les militants
du Front. Poursuivi, il a rejoint le
maquis. Bentoumi a plaidé pour
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
les Nationalistes avant même le 1er
Novembre, durant les années 1946,
47 et 48. Durant la guerre il a été
interné mais avant son internement
il avait plaidé pour de nombreux
militants et responsables.
MEMORIA : Vous avez
écrit 3 ouvrages majeurs
qui sont une référence pour
les historiens ou les journalistes. Le suivant est-il en
chantier ?
ALI HAROUN : Vous sa-
vez, les idées ne manquent pas de
traverser l’esprit. Lorsque je lis un
document ou une feuille, je les
conserve. Un paragraphe intéressant je le découpe. J’amoncelle, et
garde toutes les idées et informations qui me semblent présenter
quelqu’ intérêt. Un jour, je sais que
je les utiliserai ! Voilà pourquoi ma
réponse sera oui, et non ! J’ai une
quantité de notes qui feront je l’espère l’objet d’un ouvrage. En ce qui
concerne les 2 derniers (L’Eclaircie
et Le Rempart), ils ont été rédigés
à partir de notes prises au cours de
nos travaux du HCE, le secrétariat
me donnait les projets de textes, j’ai
gardé ces notes et mes observations
de l’époque.
MEMORIA : Quel serait
le mot de la fin ?
ALI HAROUN : Il est évi-
dent que les circonstances qui
prévalaient au moment de l’indé-
( 49 )
pendance de l’Algérie et la prise
de pouvoir par la force des armes
et non par un consensus national a
fait que les avocats d’une manière
générale n’ont pas joué dans l’Algérie indépendante le rôle que l’on
pouvait en attendre Mais au-delà
des avocats, la plupart des cadres du
FLN en France - et je parle d’eux
parce que je connais mieux cette
situation - furent marginalisés. La
raison en est que les dirigeants de la
Fédération ne se sont pas trouvés,
au Congrès de Tripoli, sur la même
ligne que ceux qui, deux mois plus
tard, allaient s’emparer du pouvoir.
La Fédération de France ou 7ème
Wilaya, au même titre que les six
autres devait, disposer de 16 sièges
au sein de l’Assemblée Constituante.
M. Ben Bella en refaisant la liste
des candidatures (tous les candidats
devaient nécessairement être élus),
il l’a totalement éliminée comme si
cette wilaya n’avait jamais existé !
C’est pourquoi les militants du
FLN en France, moudjahidine,
moussebiline, fidaïyne au coeur
même du pays oppresseur, ont-ils le
sentiment d’avoir, comme parents
pauvres de la Révolution, été mis
sur la touche et frustrés malgré le
sacrifice des dizaines de milliers de
détenus, la trentaine de guillotinés,
sans compter les milliards de Francs
de l’époque, le nerf de la guerre, qui
permirent au GPRA de terminer
victorieusement sa mission par la
proclamation de l’Indépendance.
Entretien réalisé par Nora Sari
www.memoria.dz
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 50 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Mohamed Boudiaf, Tedjini Haddam, Ali Kafi, Khaled Nezzar, Ali Haroun. : Haut Comité d' Etat, le 16 janvier 1992.
L’autodétermination
une revendication
du mouvement national
réalisée après une longue lutte
Par Boualem Touarigt
Guerre de libération
L
e 19 mars 1962,
les représentants
du gouvernement
français signaient
avec les délégués
du FLN les accords d’Evian qui mettaient fin à
une guerre engagée le 1er novembre
1954. Le gouvernement français
reconnaissait le droit des Algériens
à l’indépendance. En application
de ces accords, un référendum
d’autodétermination est organisé le
1er juillet 1962. Une majorité écrasante des habitants de l’Algérie se
prononce pour l’indépendance. Le
général de Gaulle, qui avait refusé
de céder directement l’administration de l’Algérie aux représentants
du GPRA, fait remettre par Fouché, son nouveau haut commissaire
en Algérie, une lettre par laquelle
il prend acte des résultats du référendum et reconnaît officiellement
l’indépendance de l’Algérie.
Plus de quarante années auparavant, à l’initiative de l’Emir Khaled,
petit-fils de l’Emir Abdelkader, un
groupe d’Algériens avaient remis
le 23 mai 1919 à George B. Noble,
représentant du président des EtatsUnis, Woodrow Wilson un mémoire
réclamant le droit à l’autodétermination du peuple algérien et l’intervention de la Société des nations pour
organiser son accession à l’indépendance. Le président américain
avait acquis une grande renommée
internationale après son fameux
programme en quatorze points présenté au congrès des Etats-Unis le 8
janvier 1918, destiné à asseoir la domination d’une nouvelle puissance
mondiale pour s’imposer face à des
Etats européens fortement touchés
par la guerre. Afin d’affaiblir les
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Histoire
La grande salle qui abrita les négociation d'Evian de mars 1962
grandes puissances multinationales
et les Etats coloniaux, il y affirmait notamment le droit de tous les
peuples à disposer librement de leur
sort. Des personnalités algériennes
saisirent l’occasion de la tenue du
congrès de Versailles pour affirmer le désir d’indépendance de leur
pays. C’était la première revendication d’un droit à l’indépendance du
peuple algérien par le recours à sa
libre expression. Ce droit avait été
affirmé en 1916 à la conférence des
nationalités de Lausanne où un délégué tunisien représentait l’Algérie
et la Tunisie.
Les signataires du Manifeste du
peuple algérien du 10 février 1943
firent référence à la charte de l’Atlantique adoptée le 10 août 1941 par
Churchill et Roosevelt où les signataires « respectaient le droit qu'a
chaque peuple de choisir la forme
de gouvernement sous laquelle il
doit vivre, et qu'ils désiraient que
soient rendus les droits souverains
et le livre exercice du gouvernement
à ceux qui en ont été privés par la
force ».
( 52 )
Cette revendication mit du temps
pour prendre forme et être partagée
par une majorité des forces politiques algériennes. Elle fut imposée
par la force au gouvernement après
une longue guerre de libération.
Dans sa longue marche vers l’indépendance, le peuple algérien franchit plusieurs étapes dont on peut
relever les points forts.
1900 : une société algérienne brisée
Les révoltes populaires rurales
prirent fin au XIXe siècle avec celles
d’El Amri (1876), de l’Aurès (1879),
des Ouled Sidi Cheikh (1881). La
révolte des Righas de Marguerite
(Aïn Torki) d’avril 1901 fut le dernier grand soulèvement paysan.
Au début du XXe siècle, après
plusieurs décennies de révoltes essentiellement paysannes, toutes très
violemment réprimées, le peuple algérien s’engageait dans la lutte politique. Cette lutte était dirigée contre
la situation imposée par le système
colonial. Un ensemble de lois privait
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
les Algériens de droits élémentaires
et les soumettait à une politique
de soumission et de répression. Le
droit de vote n’était accordé qu’à
une infime partie de la population
algérienne qui ne jouissait pas de la
citoyenneté ; la représentation était
volontairement inégalitaire ; des
juridictions spéciales s’appliquaient
aux Algériens qui étaient soumis à
une législation particulière, le code
de l’indigénat, et à des mesures de
privations de liberté et de saisie. La
politique d’assimilation avait amené
le pouvoir colonial à imposer un
clergé musulman qui lui était totalement soumis et à interdire l’enseignement libre de la langue arabe.
Des lois ont organisé la dislocation
de la propriété collective des terres,
détruisant ainsi le lien communautaire qui formait la base de la société algérienne et permettant la saisie des meilleures terres qui furent
confisquées au profit des colons.
On imposa par la force une colonie de paysans européens sur des
terres arrachées aux paysans algériens. La colonisation accapara 1,5
million d’hectares de 1871 à 1898.
En 1917, les Européens disposaient
de 2,3 millions d’hectares. En 1882,
on comptait quelque 200 nouveaux
villages de la colonisation.
Au début du XXe siècle, la société
algérienne avait été profondément
brisée. Les élites traditionnelles
citadines avaient disparu. Elles se
reconstituèrent très lentement sous
des formes nouvelles. La paysannerie algérienne avait été dépossédée
: la superficie des propriétés agricoles avait été réduite de près du
tiers entre 1880 et 1900. Elle était
passée de 8,2 millions d’hectares
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Cheikh Mohamed Ben Rahal
à moins de 5,8 millions. Le cheptel ovin était passé de 8 millions
à un peu plus de 6 millions entre
1865 et 1900. Les paysans algériens
étaient en majorité pauvres : 70%
possédaient moins de 4 hectares en
moyenne. La grande propriété était
marginale : 20% des terres appartenaient à des paysans possédant des
parcelles d’une superficie de plus de
200 hectares.
La lutte des élites algériennes contre les inégalités
Dès le début du XXe siècle, les
représentants d’une élite algérienne,
dont une partie était instruite et
francisée se manifestèrent en réclamant l’égalité des droits pour
l’ensemble des populations d’Algérie. Pratiquement jusqu’en 1945, le
mouvement national a été marqué
par cette lutte des élites tentant de
réclamer des droits et d’imposer des
réformes par le recours à la lutte
légale, croyant en une possibilité
de transformation du système colonial par l’action des gouvernements
( 53 )
français. Ces élites algériennes réclamaient l’égalité dans le cadre de
la République française.
Quelques rares personnalités issues des milieux traditionnalistes
lettrés étaient apparues, revendiquant des droits au profit des Algériens. On peut citer Mohammed
Ben Rahal (1858-1928), ancien caïd
qui démissionna pour se consacrer à
l’activité politique dès 1884, militant
pour l’instruction des Algériens en
arabe et en français, et l’élargissement de leur représentation au sein
des instituions coloniales. Mohammed Ben Mouhoub de Constantine
mena le même combat à la même
période. Au début du XXe siècle, on
vit apparaître un certain nombre de
cercles, de sociétés instruites et de
cercles regroupant des Algériens instruits se regroupant pour réclamer
la levée des mesures répressives et
l’élargissement des droits au sein du
système colonial : Rachidia d’Alger,
Salah Bey de Constantine, Akhaouia
de Mascara, le Cercle des Jeunes
Algériens de Tlemcen, le Cercle du
Progrès de Bône. On les appela
le mouvement Jeune turc, puis les
Jeunes Algériens. Ce mouvement
disposa de journaux qui apparurent
très tôt : El Misbah à Oran en 1904,
El Hilal à Alger en 1906, Le Musulman à Constantine en 1909. L’Islam
qui parut à Bône a été l’organe principal de ce mouvement et il présenta
en avril 1911 les principales revendications qui ne remettaient pas
en cause la souveraineté française.
Cependant, le rappel de la grandeur
de la civilisation arabo-islamique et
la glorification du message du Coran
étaient dans les discours de bien de
délégués de ce mouvement. Pétris de
www.memoria.dz
Guerre de libération
Histoire
culture arabe, tels que les conseillers
Taleb Abdeslam et Mohamed Ben
Rahal, certains érudits algériens
avaient très tôt combattu l’assimilation en rappelant la personnalité du
peuple algérien marquée par son histoire arabo- islamique. Mais il restait
encore un long chemin à faire pour
inculquer l’idée nationale au sein des
populations en faisant de l’Islam un
élément fort de cette appartenance
nationale.
Après la participation des Algériens à la Première Guerre mondiale
(173.000 militaires enrôlés et 25.000
morts sur les champs de bataille,
120.000 travailleurs dans les usines),
le gouvernement entreprit quelques
réformes réduites en 1919 par un léger élargissement de la participation
des Algériens à la vie politique. Mais
leurs représentants restaient très minoritaires face à ceux de la minorité
européenne.
L’émir Khaled porte les revendications populaires
C’est l’émir Khaled qui fut le
porte-parole et l’inspirateur des
revendications populaires même si
ses premières revendications étaient
relativement modestes se contentant
de réclamer une égalité des droits
entre tous les habitants de l’Algérie.
Il se rapprocha du mouvement Jeune
Algérien dont beaucoup de membres
furent influencés par ses idées. Il
esquissa même un programme politique tout en restant extrêmement
prudent dans la dénonciation de la
domination coloniale. Son action
permit d’amener un grand nombre
d’élus représentants de l’élite algérienne à des positions radicales dans
la dénonciation du système colonial.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
L'Emir Khaled
Ainsi furent élus Kaïd Hamoud à
Blida, Ben Rahal à Oran, Moussa
à Constantine. En 1920, il fonda le
journal L’Ikdam qui prit une place
importante dans la dénonciation du
système colonial et des personnalités algériennes qui lui étaient alliées.
Ainsi, apparurent sur la scène politique un grand nombre d’élus algériens rejetant ouvertement l’assimilation. En 1924, l’émir Khaled
donne deux conférences en France
dans les milieux des travailleurs
maghrébins proches du Parti communiste. Il inspira la naissance de
la revendication nationale. L’Etoile
Nord-Africaine se met en place dès
la fin de 1924et apparaît au grand
jour en 1926. L’émir en est le président d’honneur. Les travailleurs
algériens s’engagent dans la lutte
politique nationale, parallèlement
aux cercles initiés par des représentants de l’élite. La direction du mouvement comporta des Algériens de
différentes régions parmi lesquels
Messali, Hadj Ali, Chebila, Djilani,
Banoune. Sa spécificité résidait dans
( 54 )
son programme qui se fixait l’indépendance et l’attachement à la personnalité arabo-islamique. L’ENA
publia un journal qui reprit le titre
de celui de l’émir Khaled, L’Ikdam.
Dans son appel du 22 avril 1927,
elle réclama « le droit pour l’Algérie,
comme pour tous les autres peuples,
de disposer d’elle-même ». Sous la
direction de Messali Hadj qui en assuma la présidence dès 1926, l’ENA
exprima la revendication nationale
algérienne portée par des militants
des couches populaires.
La minorité européenne
d’Algérie
Les gouvernements français
avaient décidé dès le milieu du
XIXe siècle d’implanter une population européenne sur les terres
enlevées par la force aux paysans
algériens. On fit appel à des agriculteurs venus de France mais aussi
d’Espagne, d’Italie, de Malte, d’Allemagne et de Suisse. Les superficies
de terres agricoles possédées par des
Européens augmentèrent régulièrement : en 1917 elles atteignaient 2,4
millions d’hectares. Dès le début, la
part des Français dans la population
de colons était minoritaire. La loi du
26 juin 1889 accorda la nationalité
française aux enfants d’étrangers européens nés en Algérie.
Deux faits importants sont à souligner : la concentration de la propriété agricole européenne s’accentua et
en 1930 il n’y avait plus que 26.000
propriétaires pour 2,5 millions
d’hectares et 74% des terres étaient
détenus par 20% des propriétaires.
La colonisation rurale changea de
nature et devint dominée par la
grande exploitation intensive tour-
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
née vers l’exportation. Par ailleurs, la
population européenne devint dans
sa majorité urbaine (à 60% en 1872
et à 72% en 1926). Cette population
majoritairement urbaine et composée surtout d’employés de l’industrie
(29%) et du secteur tertiaire (60%),
l’agriculture n’occupant plus que 10%
de la population en 1954 chercha très
tôt à s’autonomiser de la France et à
avoir des prérogatives renforcées.
Elle s’opposa avec force à toute tentative du gouvernement métropolitain de modifier la situation qui lui
donnait tous les pouvoirs face à la
population algérienne pourtant largement majoritaire. Elle refusa l’extension des pouvoirs politiques. Elle
perpétua les politiques de répression
engagées par les armées du début de
la colonisation, affirmant que toute
concession même minime entraînerait son élimination. Elle croyait en
une seule politique : la répression la
plus brutale pour terroriser les populations algériennes et leur enlever,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
d’après elle, toute idée de révolte.
Elle fut suivie à chaque fois par les
gouvernements métropolitains à qui
elle imposa ses points de vue. Cette
minorité européenne fut installée en
Algérie dans des conditions particulières. La loi française refusa aux
Algériens l’accès à la citoyenneté
en raison de leur appartenance à la
confession musulmane. Elle les soumit à une législation répressive exceptionnelle. Les autorités coloniales
accordèrent aux populations européennes tout le pouvoir de s’imposer
y compris par l’utilisation de la force
la plus brutale en faisant d’eux des
auxiliaires de l’armée dans le maintien de l’ordre même à titre préventif.
Dès 1898, les émeutes antijuives
déclenchées par des extrémistes
européens réussirent à imposer une
autonomie financière par la création des délégations financières et la
loi du 29 décembre 1900 confirma
formellement la personnalité civile
de l’Algérie qui renforçait ainsi son
autonomie.
Les réformes limitées de 1919 qui
augmentèrent le nombre des électeurs algériens furent violemment
combattues, même si la loi avait
maintenu la supériorité des élus
européens dans toutes les circonstances. Ceux-ci obtinrent le rétablissement des lois sur l’indigénat
en 1920 et la suspension de l’émigration vers la France qui influait sur
Les reculs des gouverne- le marché de la main d’œuvre locale
(1924). Le gouverneur Violette qui
ments français
A différentes reprises, les projets avait préconisé une plus grande rede réformes initiées par les gouver- présentation des Algériens fut rapnements français rencontrèrent les pelé en 1927.
En 1936, la victoire du Front Pooppositions violentes des représenpulaire redonna l’espoir aux élites
tants de la minorité européenne.
( 55 )
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Guerre de libération
Histoire
Familles d'indigènes sous la colonisation française
algériennes engagées dans l’assimilation, c'est-à-dire l’octroi des
mêmes droits à tous les habitants
de l’Algérie. Le nouveau chef du
gouvernement français Léon Blum
rejeta la plate-forme présentée par
le Congrès Musulman en juin 1936
qui se contentait d’avancer des revendications limitées : suppression
de la législation d’exception, instauration du suffrage universel, octroi
de la citoyenneté avec le maintien
du statut personnel musulman. Il
se contenta d’avancer un projet
bien limité, le projet Blum Violette
qui visait l’extension des droits politiques à l’élite algérienne. Le texte
suscita une hostilité violente des
représentants de la minorité européenne. Le projet ne fut même pas
examiné par le Parlement français.
En décembre 1943, le général
de Gaulle annonçait son intention
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
d’accorder la nationalité française
à plusieurs dizaines de milliers
d’Algériens qui conserveraient leur
statut personnel. Il signa l’ordonnance du 7 mars 1944 qui accordait
le droit de vote à tous les Algériens,
mais, précision importante, dans
deux collèges différents. Les représentations aux assemblées locales
maintenaient l’infériorité des délégués algériens dont le nombre ne
devait pas excéder les 2/5s.
Des lois d'exception sont appliquées pour les indigènes
( 56 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
Le Parlement français adopta le
20 septembre 1947 un statut de
l’Algérie qui maintenait la supériorité politique des Européens dans
les instances élues. Le gouvernement nomma des gouverneurs généraux (Naegelen et Léonard) qui
se soumirent aux injonctions des
représentants de la minorité européenne et fermèrent, en truquant
à large échelle les élections, toute
possibilité d’une évolution légale
des Algériens.
L’évolution de la population algérienne
La paysannerie algérienne connut
une forte régression à partir des années 1910, marquée essentiellement
par la baisse des superficies cultivées, le morcellement, la faiblesse
des rendements. La production
céréalière de 1954 était identique à
celle de 1900 pour une population
qui avait presque doublé pendant la
période. On estimait au début des
années 1950 à un million le nombre
de chômeurs ruraux, pour à peine
plus de 100.00 ouvriers permanents
(travaillant plus de 180 jours par
an). On comptait dans l’industrie
et les services 130.000 chômeurs et
250.000 manœuvres. L’analphabétisme touchait 90% de la population. Au XXe siècle, la population
algérienne connaît un important
exode rural. En 1936, 11% des Algériens résidaient dans les villes. Ils
sont près de 20% en 1954. En 1926,
les Algériens étaient 64 à l'université soit 3,85% des étudiants. Trente
années plus tard, en 19551956, la situation avait à peine
changé puisque les statistiques
officielles de la colonisation don-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
naient 260 étudiants algériens sur
4700 (5,5%) et 79 Algériens avaient
réussi au baccalauréat soit 6% de
l’ensemble des admis. En 1954 les
Algériens représentaient 89.5% de
la population totale.
Le mouvement national se
radicalise
L’Etoile Nord-Africaine qui a été
le premier mouvement algérien regroupant les catégories populaires,
liant revendications sociales et
revendications nationales et réclamant l’indépendance de l’Algérie
est interdite définitivement en janvier 1937, sous le gouvernement du
Front Populaire. Le Parti du peuple
algérien lui succède en mars 1937
reprenant le même programme et
toujours sous la direction de Messali Hadj. Très vite, il s’implante
en Algérie. Il sera fortement présent dans les quartiers des villes
algériennes accueillant une population pauvre d’origine rurale. Il
sera renforcé par l’apport de jeunes
intellectuels et de représentants des
couches moyennes urbaines.
En 1931 est créée l’Association
des oulémas algériens qui se refuse
à devenir un parti politique. Elle
jouera un rôle important dans la
lutte contre les tentatives d’assimilation et renforcera l’adhésion des
Algériens à un sentiment national
où la dimension religieuse occupe
une place prépondérante. Elle sera
aussi très active pour rapprocher
les différentes forces politiques du
mouvement national autour de la
revendication d’indépendance devant l’échec des tentatives de réformer le système colonial par la voie
légale.
( 57 )
Les élites algériennes regroupées
au début du siècle dans le mouvement dit Jeune Algérien connaissent
une lente évolution. En 1927 est
constituée la Fédération des élus
indigènes sous la direction de Mohamed Salah Bendjelloul et Ferhat
Abbas. Les efforts de ses élus dans
les assemblées rencontreront l’opposition du gouvernement français
à des réformes qui ne remettent pas
en cause l’appartenance de l’Algérie à la France et réclament l’égalité
pour les populations algériennes.
Le Parti communiste eut une
réelle influence sur le mouvement
national à ses débuts. Certains de
ses militants furent à la direction
de l’Etoile Nord-Africaine dont le
premier président (jusqu’en 1928)
Abdelkader Hadj Ali, et aussi
Djillali Chebila, Mohamed Marouf,
Aït Toudert et Boutouil. Messali
Hadj s’en détacha après y avoir
milité. Son influence sur les immigrés maghrébins se réduisit. En
1928, les militants communistes
algériens, en majorité européens,
repoussèrent la politique assimilationniste mais sous-estimèrent la
revendication nationale qu’ils ne
soutinrent pas, considérant que le
salut ne pouvait venir que de la lutte
sociale menée par les travailleurs
de France. Leur condamnation des
fêtes du centenaire en 1930 n’eut
aucun effet. Leurs positions furent
tranchées dès 1932. Ils dénoncèrent la politique assimilationniste
du gouvernement et les éléments
réformistes qui la soutenaient. En
septembre 1933, ils réclamèrent l’indépendance des pays du Maghreb.
L’importance accordée à la revendication nationale ne fut pas suivie
www.memoria.dz
Guerre de libération
Histoire
par les militants. Les communistes
algériens s’organisèrent en force
politique distincte du PCF en 1936.
Les militants algériens de ce parti
furent très sensibles à la revendication nationale et certains d’entre
eux s’engagèrent directement.
Ces différentes composantes
du mouvement national algérien
réussiront à se rapprocher à des
moments cruciaux. La Fédération
des élus, l’Association des oulémas
et les communistes se regroupèrent
dans le Congrès musulman de juin
1936 qui réclama le rattachement
de l’Algérie à la France et l’octroi
de la citoyenneté à tous les Algériens. La plate-forme fut rejetée par
le gouvernement socialiste de Léon
Blum.
A l’initiative de Ferhat Abbas, des
personnalités algériennes adressent
le 20 décembre 1942 un message
aux autorités responsables, aux autorités alliées et aux représentants
du gouvernement français de la Résistance. Il sera suivi d’un texte politique, le Manifeste du Peuple Algérien. Le 26 mai, Ferhat Abbas, qui
s’était concerté avec les oulémas et
Messali Hadj, présente un projet de
programme plus précis qui prévoit
que « l’Algérie sera érigée en Etat
algérien doté d’une constitution
propre qui sera élaborée par une
assemblée algérienne constituante
élue au suffrage universel par tous
les habitants de l’Algérie ». Ce texte
est rejeté par le gouvernement du
général de Gaulle. Cette démarche
unitaire est poursuivie par la création, le 14 mars 1944, des Amis
du Manifeste de la liberté (AML).
Les thèses du PPA rencontrent un
grand écho et le congrès des AML
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Manifestations du 8 mai 1945tt
de mars 1945 se prononce pour un
Etat algérien indépendant.
La répression des manifestations
de mai 1945 à laquelle les populations européennes participèrent
activement isola les partisans de la
transformation pacifique graduelle
du système colonial. Les bases
d’une union du mouvement natio-
( 58 )
nal avaient été jetées. Le sentiment
national en sortit renforcé, et pour
de larges couches d’Algériens, il n’y
avait pas de voie possible en dehors
de l’indépendance et cet objectif ne
pouvait venir de la lutte politique
dans le cadre du maintien du système colonial.
Boualem Touarigt
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Localisé grâce à son réseau de courrier
Le 24 septembre 1957 est arrêté
Yacef Saâdi, chef de la ZAA
Par Djamel Belbey
Guerre de libération
Histoire
P
Yacef Saâdi, chef militaire des réseaux FLN de la Zone autonome d'Alger, a été arrêté en même temps que son adjointe Zohra Drif,
le 24 septembre 1957
our mettre fin à la
révolution, notamment dans la Zone
autonome d’Alger,
les autorités coloniales ont mis en
œuvre des méthodes aussi machiavéliques que perfides, en recourant
d’abord à la torture puis à la « guerre
psychologique », notamment à la
manipulation et à la terrible « bleuite
», à l’origine des conflits internes
dans les rangs des combattants algériens et des exécutions au sein du
FLN/ALN. L’infiltration a été, dans
ce cadre, un des moyens utilisés par
l’ennemi, dans son action. Résultat :
les principaux commandements de
la révolution ont été soit contraints à
l’exil, ou ont fait l’objet d’arrestation.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
L’histoire nous raconte ainsi que
Yacef Saâdi, le chef politico-militaire dans la ZAA, né dans la Casbah à Alger le 20 janvier 1928, et
de nombreux autres fidayines, qui
constituaient le réseau des poseurs
de bombes, ont été arrêtés, à la
suite d’une action d’infiltration et
de retournement d’anciens militants
du FLN, opérée par le Groupe de
renseignements et d'exploitation
(GRE). Un service spécial chargé
du renseignement, créé par les services secrets français en 1957, mis
en place par le capitaine Léger, un
agent du Service de documentation
extérieure et de contre-espionnage
(SDECE), avec l’accord du colonel
Godard.
L’arrestation de Yacef Saâdi a été
le résultat de l’exploitation des ren-
( 60 )
Capitaine Paul-Alain Léger
seignements extorqués à la suite de
la torture dont ont fait l’objet des
militants nationalistes et fidayines
par l’armée coloniale. Les interrogatoires ont permis de mettre la main
sur des éléments clés de l’organisation et de remonter la chaîne pyramidale jusqu’aux élites de l’organi-
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
sation politico-militaire du FLN
de la Zone autonome d'Alger. Tout
a commencé en juillet, lorsque le
capitaine parachutiste Paul-Alain
Léger, sous le commandement du
colonel Yves Godard d'Alger Sahel,
intercepte des livraisons d'armes,
mais surtout, met la main sur Alilou, principal agent de liaison de
Yacef Saâdi. Alilou est « retourné
» et ensuite incorporé au Groupe
de renseignements et d'exploitation
(GRE). Ce fut le tour de Guandriche Hacène, plus connu sous le
pseudonyme de Zerrouk, le chef
de la région 3 de la zone d’Alger,
de tomber aux mains des mêmes
services du GRE. Ils l'incorporent
dans l'équipe des « bleus-de-chauffe
», qui sont des anciens combattants
FLN faits prisonniers et « retournés ».
La nouvelle du retournement
de Guandriche, alias Zerrouk, est
gardée sécrète, même auprès de sa
femme. Car le capitaine Léger comptait en user pour arriver à localiser
Yacef Saâdi, notamment à travers
l'infiltration du réseau de courriers
de ce dernier.
Ce faisant, le capitaine Léger envoie Houria, qu’il présente comme
sa collaboratrice, se cacher dans la
maison de Zerrouk, afin d’observer
les gens qui s’y présentent. Un jour,
elle transmet un message à Léger,
en décrivant un homme qui venait
très souvent sonner chez son hôte. Il
se promène toujours en tenant une
petite fille par la main. Grâce à ce
renseignement, l’homme est rapidement identifié et son domicile repéré
n° 4 rue Caton dans la Casbah.
Deuxième indice. Le 23 septembre, les gendarmes d’Alger arrêtent un homme nommé Djamel,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Le 24 septembre 1957, les légionnaires du 1er REP accompagnés par la
Gendarmerie arrêtent Yacef Saâdi
Conférence de presse du colonel Yves Godard, après l’arrestation de Yacef
Saâdi et de sa compagne Zohra Drif le 24 septembre 1957
( 61 )
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Guerre de libération
Histoire
A droite : Yacef Saâdi, Colonel Bencherif, Ould Hocine Chérif, officier de l'ALN, Mustapha Blidi, Salah El-Houaoui.
Assis à gauche : Moussaoui Mohamed et Berkani Mohamed.
lequel, interrogé par le GRE, avoue
connaître Yacef Saâdi et ajoute qu’il
l’a rencontré rue Caton. Ces deux
renseignements, qui se recoupent,
donnent la conviction que Yacef
Saâdi loge bien dans cette rue.
Le lendemain, mardi 24 septembre,
à 2 h 30, une opération est lancée ;
les paras du 1er Régiment étranger
de parachutistes (REP) sous le commandement du colonel Jean Pierre
et les « bleus » du capitaine Léger
bouclent la rue Caton. Les hommes
pénètrent dans la maison au n° 3. La
propriétaire proteste énergiquement
contre cette intrusion. C’était Fatiha
Bouhired, veuve du chahid Mustapha Bouhired, un des responsables
du FLN. Etant reconnue par les «
retournés », comme faisant partie
des réseaux de soutien au FLN dans
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
la ZAA, la femme qui a fait preuve
d’un courage exemplaire est arrêtée et horriblement torturée par les
paras.
La fouille de la maison a permis de
découvrir que Yacef Saâdi était présent dans l’immeuble avec sa collaboratrice Zohra Drif. Ils se cachent
dans un petit réduit au fond d’une
salle de bain. Repéré, Yacef Saâdi
lance une grenade dans le couloir,
dont les éclats blessent le colonel
Jean-Pierre.
Sous la menace de faire exploser l’immeuble, et après de longues
heures de négociation, Yacef Saâdi et
Zohra Drif, qui partage la cachette,
se rendent à 6 heures du matin, au
colonel Godard qui dirige l’opération et sortent de la cachette, non
sans avoir brulé des documents
( 62 )
de la Zone autonome d'Alger. Ils
jettent leurs armes par la lucarne,
avant de se rendre. Son arrestation a
servi l’alibi de l’action psychologique
des services coloniaux, qui prétendaient que ses aveux auraient permis
l’arrestation de plusieurs membres
du FLN. Mais, Yacef et Drif sont
condamnés à mort. Yacef doit sa
survie à l'ancienne résistante Germaine Tillion, déportée à Ravensbrück, ethnologue, ancien membre
du cabinet de Jacques Soustelle, qui
se battra pour le sortir des mains des
parachutistes. Elle témoignera en sa
faveur lors d'un de ses trois procès –
où il sera par trois fois condamné à
mort –, puis interviendra pour obtenir qu'il ait la vie sauve.
Djamel Belbey
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
La cache qui a servi de refuge, rue des Abderrames
Arrêtée en
compagnie
de Yacef
dans la cache
de la rue Caton
Zohra Drif…
victime des bleus
Par Djamel Belbey
Guerre de libération
Histoire
S
on arrestation marque
la fin de la bataille
d’Alger. Elle avait été
arrêtée dans les mêmes
circonstances
que
Yacef Saadi, dans le
refuge de la rue Caton de la Casbah
d'Alger. Elle c’est Zohra Drif qui, à
coté de Hassiba Ben Bouali, de Djamila Bouhired, de Yacef Saâdi, de
Ali la Pointe, de Samia Lakhdari,
…, est l’une des icones de la bataille
d’Alger.
Née en 1934 à Tiaret dans une
famille bourgeoise, elle passe toute
son enfance à Vialar (actuellement
Tissemsilt). Son père cadi à Vialar
l'envoie terminer ses études à Alger,
au lycée Fromentin et par la suite à
la faculté de droit d'Alger. Avec la
littérature, elle découvre le Siècle
des Lumières, la Révolution française de 1789 et les libertés individuelles, ce qui l'amène à réfléchir à
la situation en Algérie, révoltée par
la colonisation et par la différence
de traitement entre colons, indigènes juifs et indigènes musulmans.
Le 30 septembre 1956, la cellule
dont elle fait partie est chargée de
Ali la Pointe
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Debout de g. à dr. : Djamila Bouhired, Yacef Saâdi et Hassiba Ben Bouali
Assis : Samia Lakhdari, P’tit Omar, Ali la Pointe et Zohra Drif
placer trois bombes dont celle du
Maurétania qui n'explosera pas,
celle du bar de la cafétéria de la rue
Michelet, et celle qu'elle dépose ellemême dans un café-bar, le « Milk
Bar », fréquenté par des pieds-noirs
: l'attentat tue trois jeunes femmes et
fait une douzaine de blessés, dont de
nombreux enfants.
L’arrestation d’un élément du réseau FLN à la Casbah d’Alger, puis
son retournement par les services
spéciaux français ont permis sa localisation puis son arrestation le 24
septembre 1957, par les légionnaires
du 1er REP dans son repaire au n°3
de la rue Caton, maison qui faisait
face à celle où se trouvaient Hassiba
Ben Bouali et Ali la Pointe.
Dans son témoignage à l’occasion d’une conférence, Zohra Drif
reviendra sur les circonstances,
( 64 )
Hassiba Ben Bouali
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
Fatiha Bouhired
mais aussi les enseignements de
son arrestation : « Nous étions un
petit groupe avec peu de moyens.
Le grand problème était de trouver
un lieu d’hébergement. Non pas que
le peuple de la Casbah nous rejetait, mais toutes les maisons étaient
quotidiennement visitées
et fichées par l’armée française. Nous avons alors été
recueillis par Fatiha Bouhired, de son nom de jeune
fille Attali qui venait de
perdre son mari assassiné
par les parachutistes. Nous
avons décidé que cet abri ne
devait être connu que par la
maîtresse de maison. Nous
y allions de temps en temps,
Ali la Pointe, Hassiba Ben
Bouali, P’tit Omar, Yacef
Saâdi et moi-même. Quand
Athmane et Si Mourad sont
morts, c’étaient les adjoints
directs de Yacef, ce dernier
reprit contact avec Zerrouk
qui était l’adjoint de Si Athmane et Mourad. Or, nous
l’apprendrons
malheureusement
plus tard, Zerrouk avait été arrêté
quelque temps auparavant par les
Français qui l’avaient retourné. Il
travaillait donc avec eux. » Pour elle,
c’était la première erreur fatale.
La deuxième erreur fut de ramener Hadj Smail dans le refuge, alors
qu’« il n’était pas sur la liste des gens
qui pouvaient passer la nuit dans
le quartier ». La troisième erreur
de Yacef fut « celle d’écrire, de ses
propres mains la lettre que nous
devions envoyer à Tunis et que Hadj
Smail a laissée chez lui pour aller
travailler ». Or, raconte-t-elle, « un
concours de circonstances a fait
que les paras ont fait une descente
chez lui et ont trouvé la lettre posée
sur un meuble. C’était un rapport
détaillé de la situation de la Zone
autonome d’Alger, écrit donc et signé de la main de Yacef ». Et enfin,
« nous avions l’habitude de recevoir
le courrier tout les jours à 5 heures,
c’était très important parce que si le
courrier n’arrivait pas au moment
prévu, ça voulait dire que quelque
chose n’allait pas. Nous devions recevoir une lettre de Hadj Smail qui
devait prendre un avion pour Paris
et Tunis ensuite. La lettre n’est pas
arrivée, alors je suis allée voir Yacef.
La bombe du Milk Bar à Alger, le 30 septembre 1956
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 65 )
www.memoria.dz
Guerre de libération
Histoire
Arrestation de Zohra Drif
Au lieu de partir immédiatement,
il nous a dit d’attendre. » C’était sa
quatrième erreur. « Et dans la nuit
du 24 au 25 septembre, les paras
sont venus directement à la cache et
nous ont arrêtés… »
Les détails de son arrestation
Le quartier de la rue Caton fut
encerclé très tôt le matin vers 5
heures, le 24 septembre. Alertés par
la propriétaire de la maison, Fathia
Bouhired, de son nom de jeune fille
Attali, Yacef et Zohra se précipitèrent dans la cache qui se trouvait
dans la salle de bains et qui ouvrait
de l'autre côté sur l'escalier de l'immeuble. Yacef avait une mitraillette,
un pistolet et une grenade. Zohra,
qui était en sous-vêtements pris les
archives dans sa cache. Le colonel
Jean-Pierre, le capitaine Chabanne
entrèrent les premiers. Le colonel
Jean-Pierre lança à Yacef : « Yacef,
rends-toi. Sors de là. On sait que
tu es là. Que tu es malade... tu as la
grippe. » Zohra avait vite compris
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Zohra Drif, jeune étudiante en droit
qu’elle avait été balancée par Ghandriche plus connu sous le pseudonyme Zerrouk, auquel elle avait
écrit le dernier message , expliquant
que Yacef avait la grippe et que la
fièvre l'empêchait de tenir lui-même
le stylo.
Yacef avait bien tenté de résister
en lançant d’abord une grenade qui
explosa à quelques mètres du colonel Jean-Pierre. Il vida aussi un des
cinq chargeurs qu'il avait sur lui.
Deux paras s'écroulèrent foudroyés,
un troisième fut blessé. Zohra,
quant à elle, prit le soin de mettre le
feu à tous les documents qui étaient
dans sa cache.
Après avoir reçu les assurances
du colonel Godard d’être traités en
prisonnier de guerre, Yacef Saâdi et
Zohra Drif se rendirent aux parachutistes français, qui menaçaient
de plastiquer l’immeuble. Ils durent
ensuite mis au secret à la villa Nador
d’El Biar, « en sachant que Hassiba
et Ali allaient changer d’abri comme
l’exigeaient nos règles strictes de
clandestinité », précisera-t-elle dans
( 66 )
ses Mémoires d’une combattante
de l’ALN, Zone autonome d’Alger
(Chiheb Editions, 607 pages). Zohra
Drif et Yacef Saâdi, chef FLN de la
Zone autonome d’Alger sont présentés à la presse, lors d’une Conférence de presse du colonel Yves
Godard, adjoint opérationnel du
général Massu, commandant de la
10e DP (division parachutiste), suite
à leur arrestation le 24 septembre
1957, qui avait été présentée comme
une victoire.
Zohra Drif est alors condamnée, en août 1958, à vingt ans de
travaux forcés par le tribunal militaire d'Alger. Enfermée alors au
quartier des femmes de la prison
de Barberousse, elle est transférée
ensuite dans diverses prisons françaises. En 1960, toujours en prison,
elle écrit son témoignage intitulé la
Mort de mes frères. Zohra Drif est
finalement graciée par le général de
Gaulle lors de l'indépendance de
l'Algérie en 1962.
Djamel Belbey
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Djamila Bouhired
Arrêtée
lors d’un
accrochage
à
la casbah
Par Djamel Belbey
Guerre de libération
D
jamila Bouhired, qui s’est
engagée dans
les rangs de la
révolution à la
fleur de l’âge,
dans les années 1950 alors qu’elle
était étudiante, faisait partie du «
réseau bombes » du FLN.
Agent de liaison du Comité de
coordination et d'exécution (CCE)
et assistante personnelle de Yacef
Saadi, chef de la Zone autonome
d'Alger pendant la bataille d'Alger,
Djamila Bouhired dépose, le 30
septembre 1956, une bombe qui
n'explose pas dans le hall du Maurétania. Elle recruta Djamila Bouazza
qui, elle, déposa le 26 janvier suivant
une bombe très meurtrière au CoqHardi.
Le 9 avril 1957, au cours d'un accrochage dans une ruelle de la Casbah d'Alger, Djamila Bouhired, est
blessée. Une balle transperce son
dos, lui fracasse la clavicule et lui
perfore le sein gauche. Elle ne peut
fuir et est donc arrêtée par les parachutistes de la 4e compagnie du 9e
régiment des zouaves.
Arrestation et condamnation
Transportée à l'hôpital, elle est
interrogée quatre heures plus tard
environ, puis conduite dans une
maison inconnue, non loin de la
capitale, où elle est atrocement torturée. Dès son arrestation, les paras
des services spéciaux, ayant trouvé
sur elle des papiers qui prouvent
qu'elle est en relation constante avec
Yacef Saadi, le chef de l’organisation
ALN/FLN à Alger, la torturent sur
la table d'opération du 9 au 26 avril.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Histoire
Les fidayate. De g. à dr. : Samia Lakhdari, Zohra Drif, Djamila Bouhired et Hassiba Ben
Bouali. Photo prise par Ali la Pointe, en 1957
Les paras viennent, tous les quarts
d'heure, vriller un couteau dans sa
plaie. La torture qu’elle subit est destinée à lui faire avouer l’endroit où
Yasef Saadi se cache, mais elle ne
dit rien. Elle tente bien de faire cesser la torture en donnant quelques
adresses sans importance et des renseignements contenus dans les papiers saisis. Lors de sa détention, la
jeune fille de vingt et un ans subira
les pires atrocités, elle est suppliciée
à l'électricité. Elle témoigne : « Les
trois capitaines, qui m'avaient emmenée de l'hôpital vers 21 heures,
et les deux parachutistes me mirent
nue et l'on me banda les yeux. On
m'attacha sur un banc en prenant
soin de disposer sous les liens des
chiffons humides aux poignets, aux
bras, sur le ventre, aux cuisses, aux
( 68 )
chevilles et aux jambes et l'on me
plaça des électrodes dans le sexe,
dans les mains, les oreilles, sur le
front, dans la bouche, au bout des
seins. Vers trois heures du matin,
je m'évanouis, puis délirai. » Le 21
avril 1957, elle est dirigée à El Biar
(Alger) dans un autre centre de torture et jusqu’au 25 avril 1957 elle est
encore battue, même si l'administration coloniale l’a nié durant des années même après l'indépendance de
l'Algérie. Les sévices ont été constatés par le médecin du FLN Janine
Belkhodja. Le médecin légiste Godard, quant à lui, ne reconnaitra pas
de traces de violences. Le diagnostic
officiel évoque une fistule tuberculeuse ancienne.
Djamila Bouhired est condamnée à mort par le Tribunal perma-
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
Arrestation et interrogatoire de Djamila Bouhired
nent des Forces armées, le 15 juillet
1957. Elle éclate de rire à l'annonce
de cette condamnation. Cependant,
son exécution est stoppée par une
campagne médiatique menée par
Jacques Vergès et Georges Arnaud.
Ils écrivent un manifeste, publié
la même année aux Editions de
Minuit, Pour Djamila Bouhired.
C'est avec le livre d'Henri Alleg La
Question, l'un des manifestes qui
alerteront l'opinion publique sur les
mauvais traitements et les tortures
infligés par l'armée aux combattants
algériens. Devant le tollé international soulevé par sa condamnation,
elle est finalement graciée et libérée
en 1962.
L’Intox des services spéciaux
Les services spéciaux français,
relayés par une campagne d’intoxication qui avait touché tous les révolutionnaires, ont bien tenté de jeter
le trouble sur les circonstances de
son arrestation, d’abord en avançant
la thèse, qu’elle l’avait été suite à une
dénonciation, sans pour autant donner le nom de l’auteur, et ensuite,
prétendus qu’elle avait été blessée
par une balle tirée par Yacef Saâdi.
Il s’en trouvait même ceux qui – révisionnisme quand tu nous tiens –
avaient distillé des allégations qu’elle
n’aurait jamais été torturée.
Zohra Drif, qui était présente
lors de l’accrochage, témoigne ainsi
que « Djamila a été blessée par balle
et elle a été arrêtée, seule. À partir
de ce moment, plus aucun combattant n’a eu accès à elle jusqu’à
son incarcération. Elle était seule,
entre les mains des tortionnaires
de la 10e Division parachutiste du
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
général Massu dont tous les Algérois connaissaient les méthodes
d’interrogatoire ». Selon elle, « nos
ennemis savaient à l’époque qui était
Djamila Bouhired, à quel niveau de
l’organisation elle se trouvait, ce
qu’elle faisait et avec quelles per-
( 69 )
sonnes elle était en relation permanente, c’est-à-dire Larbi Ben M’hidi,
Yacef Saâdi et Ali La Pointe, qui
étaient encore en vie et en activité à
l’époque. Les parachutistes savaient
qu’ils venaient de faire « une prise »
de première importance ». « Aussi,
www.memoria.dz
Guerre de libération
Histoire
De g. à dr. : Baya Hocine, Djamila Bouhired et Zohra Drif
raconte-t-elle, dès son arrestation, le travail
« psychologique » de l’armée en direction du
peuple algérien a commencé. Tout de suite,
Djamila, comme tous les militants arrêtés,
a été salie et dénigrée pour démoraliser la
population et la couper des militants. »
Cela étant, même l’ennemi le reconnaît,
Djamila Bouhired aura été un exemple de
courage. A telle enseigne qu’elle a inspiré pas
mal d'écrivain et de cinéastes, de ce monde.
Djamel.Belbey
Djamila Bouhired et Zohra Drif au Caire en 1972
Djamila Bouhired en voyage officiel au pays du Golfe
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Djamila Bouhired entourée par les artistes égyptiens : Abdelhalim Hafez,
à droite, et Mohamed Abdel Wahab, à gauche de la photo.
( 70 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Djamila
Bouazza
L’auteure de l’attentat
du « coq hardi » torturée par
le capitaine Graziani
Par Djamel Belbey
Guerre de libération
Histoire
L
e 25 avril 1957,
Djamila Bouazza,
l’agent de liaison et
membre du « réseau
bombes » de Yacef
Saadi, avait été arrêtée. Transférée à El Biar, elle est
interrogée par l'OPJ Fernand le 9
mai 1957 et torturée par le capitaine
Graziani.
Djamila Bouazza, est née en 1938.
Elle est employée au Centre des
chèques postaux à Alger, quand
elle recrutée par Djamila Bouhired
par l’intermédiaire de Habib Réda
(Mohamed Hattab) et de son frère
Madjid. Djamila Bouazza était fiancée à Madjid, ils devaient se marier
en aout 1957.
Elle à 19 ans, quand Djamila
Bouazza avait reçu pour tâche de
poser le 26 janvier 1957 une bombe à
la terrasse du « Coq Hardi » brasserie
située rue Charles Peguy. La bombe
réglée pour exploser à 17heures, a
fait 4 morts et 60 blessés. Pour cette
mission, Djamila Bouazza, cette
jeune fille charmante, aux longs cheveux noirs, aux yeux marron clair,
surnommée « Miss cha cha cha. »,
s’était fait teindre en blonde pour
passer inaperçue.
Dans un récit publié par une revue
historia magazine en 1972, Francis
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Attard, retrace les détails de cet
attentat. « Il est 17 h 10 lorsque
Djamila Bouazza fait volontairement tomber son mouchoir à
la terrasse, vitrée en hiver, de la
brasserie du Coq-Hardi, située
rue Charles Péguy, près du plateau
des Glières. En se baissant pour
le ramasser, la jeune fille glisse
rapidement son « truc » sous le
pied en fonte du guéridon sur lequel un garçon en veste blanche
a déposé un coca-cola. (…) Après
avoir ramassé sa monnaie, Djamila
Bouazza se lève, sort et va se mêler
aux passants de la rue Michelet ».
Les forces spéciales, rompues à
l’art de la désinformation ont laissé
croire, tantôt que, c’était Djamila
Bouazza, qui avait dénoncé Bouhired en avouant aux enquêteurs avoir
déposé les bombes de la rue Michelet, le 9 novembre 1956, et du Coq
Hardi, que Djamila Bouhired qu’elle
lui avait remises, et tantôt qu’elle
avait été dénoncée par Djamila Bouhired. Pour donner du crédit à cette
thèse, l’on fait appel au sinistrement
célèbre tortionnaire le capitaine
Graziani, celui là même qui avait été
accusé par Djamila Bouhired de tortures. Dans un entretien recueillis
par Jean Larteguy , dans l’écho d’Alger, du 11/04/1958, le capitaine Graziani, n’a pas trouvé mieux pour se
défendre, que de narrer ses « exploits
» à l’encontre d’une faible dame, en
affirmant avoir interrogé Djamila
Bouhired le 17 avril 1957, « deux
gifles étaient à même de lui arracher
l’aveu. Elle aurait dévoile alors trois
caches où se trouvent 13 bombes et
dénoncé Djamila Bouazza ».
Elle est incarcérée à la prison de
maison-carré (El Harrach) où elle
retrouve Djemila Bouhired, Jacque-
( 72 )
line Guerroudj et Zora Drif. Au
cours de sa détention, « les avocats
demandent un examen psychiatrique
de Djamila Bouazza, qui donne des
signes d'aliénation mentale. Ils estiment invraisemblable qu'un agent
de liaison ait été chargé de poser
des bombes. Ils démentent que Djamila Bouhired ait signé des aveux.
Le président Roinard refuse examen
psychiatrique et graphologique ».
Maitre Vergès qui prend sa défense, a beau clamer que « cette militante a accompli, sous l’ordre de ses
chefs, une action de guerre», Djamila
Bouazza est condamnée le 15 juillet
1957 à la peine de mort par le Tribunal Permanent des Forces Armées
d'Alger, présidé par M. Roinard. Le
procès s’est terminé tard dans la nuit.
Mais, devant la campagne menée par
jacques verges, et Georges Arnaud
qui signent un manifeste, publié aux
Editions de Minuit, suivi de l’ouvrage d’Henri Alleg, qui ont alerté
l’opinion internationale, sa peine fut
commuée en travaux forcés à perpétuité. Elle est graciée le 8 mars1962.
Djamel.Belbey
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Djamila Boupacha
Arrêtée chez elle,
et
abominablement
torturée
Par Djamel Belbey
Guerre de libération
Histoire
Djamila Boupacha par Picasso
I
mmortalisée par Picasso,
défendue par Simone de
Beauvoir et Gisèle Halimi,
Djamila Boupacha est cette
« inoubliable héroïne de la
Guerre d’Algérie », arrêtée à
22 ans, par l’armée française, en compagnie de sa famille, puis abominablement torturée, en 1960.
Djamila, née à Saint-Eugène (Bologhine, Alger) le 9 février 1938,
s’est engagée dans la politique, à 15
ans déjà, en adhérant à l’Union des
femmes de l’UDMA (Union démocratique pour le Manifeste algérien),
un parti créé par Ferhat Abbas en mai
1946. Grâce à sa volonté et à son courage, elle deviendra aide-soignante à
l’hôpital de Beni-Messous (Alger) où
elle se procurait des médicaments au
profit du maquis de la Wilaya IV.
Elle est accusée d'avoir posé un
obus piégé à la Brasserie des Facultés, à Alger, le 27 septembre 1959.
Pourtant, elle n'avait commis aucun
attentat. « Elle était sur le point d’en
commettre un, mais elle ne l'a pas fait
», d’après Gisèle Halimi. Malgré cela,
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Djamila Boupacha est arrêtée chez
Gisèle Halimi prend en
elle par l'armée française, en compa- charge l’affaire
gnie de son père (71 ans) et de son
Djamila Boupacha est torturée
beau-frère.
par des parachutistes français pendant 33 jours avant d'être présentée
Arrêtée en compagnie de sa à la justice. C’est à ce moment-là que
famille à son domicile
Gisèle Halimi décide de prendre en
Dans la nuit du 10 au 11 février charge sa défense. « Djamila Boupa1960, une cinquantaine des harkis, cha, militante du FLN, n’a que 21
des policiers, des gardes mobiles dé- ans, musulmane, très croyante (…)
barquent au domicile de ses parents Elle a été arrêtée puis abominableoù elle demeure à Alger, Dely Ibra- ment torturée par des parachutistes,
him.
jour et nuit. Elle a été violée avec
Djamila est malmenée, insultée et une bouteille d'abord, elle qui était
sauvagement battue devant son père vierge et musulmane ; elle m'écrivait
Abdelaziz Boupacha et son beau- des lettres : Je ne sers plus à rien, je
frère Ahmed Asbdelli, qui subissent suis à jeter», raconte-t-elle. Et d’ajoupresque aussitôt le même sort. Puis, ter : « Quand je l'ai vue, j'ai été absotous les trois sont emmenés au centre lument… enfin comme n'importe
de tri d'El Biar.
qui l'aurait été, bouleversée. Elle
Dès l'arrivée, Djamila Boupa- avait encore les seins brûlés, pleins
cha est à nouveau battue. Coups de de trous de cigarettes, les liens, ici
poing, de pied se succèdent, la font (elle montre ses poignets), tellement
vaciller et tomber à terre. De leurs forts qu'il y avait des sillons noirs.
talons, plusieurs militaires, dont un Elle avait des côtes cassées... Elle ne
capitaine parachutiste, lui écrasent voulait rien dire, et puis elle a comles côtes. Quatre mois après, la jeune mencé à sangloter et à raconter un
fille souffre toujours d'une déviation petit peu. » Gisèle Halimi rentre à
costale.
l'hôtel pour préparer le procès du
Quatre ou cinq jours après, Djami- lendemain. Le soir même la police
la Boupacha est transféré à Hussein l’arrête et l’expulse. Elle ne peut plus
Dey, pour y subir la gégène. Mais les plaider le procès.
électrodes placés au bout des seins
En rentrant, Gisèle Halimi déne tenant pas, un des tortionnaires clenche un énorme élan de soliles colle sur la peau avec du ruban darité. Elle rencontre Simone de
adhésif. De la même manière, les Beauvoir, avec laquelle elle crée un
jambes, l'aine, le visage, le sexe sont
comité de défense pour Djamila
atrocement brulés. Pour obtenir les
Boupacha qui a été le plus imporaveux souhaités, les parachutistes lui
tant pendant la guerre d'Algérie, Il
administrent toutes sortes de tortures
comprenait Aragon, Sartre, Gene; brûlures de cigarettes et baignoire et
viève de Gaulle, Germaine Tillion.
la bouteille. A soixante-dix ans, son
Djamila Boupacha est amnistiée
père n’est pas épargné non plus. Aben 1962, en application des accords
delaziz Boupacha subit les tortures de
d'Évian.
l'eau, de l'électricité, les coups.
Djamel.Belbey
( 74 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Mustapha Fettal
Il était à la tête de la ZAA d’octobre 1955 à mai 1956
De g. à dr. : Aït El Hocine, Ben Hamida, Hadj Ben Alla, Mustapha Fettal (en médaillon) et Belamane, après l'indépendance.
Le « fennec »
condamné à
la peine capitale
Par Djamel Belbey
Guerre de libération
M
ustapha Fettal, surnommé
affectueusement
« le Fennec
», est l’un des
dirigeants de la branche militaire de
la ZAA d’octobre octobre 1955 à mai
1956, qui ont réussi a réactiver la lutte
armée à Alger, dans le prolongement
des premières actions armées perpétrées par les « novembristes », mais
qui finirent presque tous par être
arrêtés par la police française. Interpellé en mai 1956, il a été condamné
à mort par l'administration française.
Avec son copain de quartier Mokhtar Bouchafa, ils étaient déjà prêts
à se lancer dans l’action directe, dès
septembre 1954, c'est-à-dire près de
deux mois avant le déclenchement
de la lutte. Mais, il a dû attendre,
l’année suivante, soit 1955, pour voir
l’organisation réactivée par Arezki
Bouzrina, Krim Belkacem et Amar
Ouamrane. Ces derniers réussissent
à implanter des groupes armés, les
uns sous la responsabilité de Mustapha Fettal et de Bouchafa Mokhtar,
les autres sous celle de Hadj Otmane
Ramel. Ils organisent Alger en trois
régions, et ce, dès 1956. Bien avant
l’instauration de la Zone autonome
d’Alger en 1957.
En mars 1956, alors que l’Assemblée venait de voter « les pouvoirs
spéciaux » au gouverneur d’Alger,
Mustapha Fettal «le Fennec » – un
sobriquet affectueux dont il a été
affublé par Zohra Drif et Samia
Lakhdari – et ses compagnons organisent une série d’attentats synchronisés à Alger. Mustapha Fettal
devait incendier les garages de la
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Histoire
SFRA, mais cette action a échoué.
Ses camarades de lutte retiennent,
toutefois, que ces groupes ont tout
de même instauré un climat de peur
chez les colons européens et l’administration coloniale à Alger. Et c'était
là l'objectif recherché, note-t-on.
Hadj Othmane Ramel
Son arrestation
Mustapha dut se cacher d’abord
chez Fatiha Bouhired, dite « oukhiti
», elle-même, femme d’un militant
nationaliste, arrêté et tué par l’armée
française. « Un responsable était caché dans ma chambre, je lui apportais à manger. Mon mari travaillait
avec lui », racontait-elle, dans le livre
Des femmes dans la guerre d'Algérie
: entretiens, de Djamila Amrane.
Mais à la découverte de sa cache
par l’armée coloniale, Mustapha est
monté au maquis, « mais sans laisser passer. Les maquisards n’ont pas
voulu l’accepter, il y avait au maquis
son cousin, il a été envoyé à Ain Bessam pour le retrouver. Il est tombé
dans un ratissage, il a été blessé et
arrêté et ils l’ont ramené à Alger»,
ajoute-t-elle.
« Chez lui, ils avaient trouvé la
cache, l’acide et les bombes. Et
lorsqu’ils ont arrêté Mustapha, ils
l’ont torturé pour qu’il leur montre
d’autres caches. Il leur a dit qu’il en
connaissait pour qu’ils l’amènent rue
Akacha, et pendant qu’ils creusaient
pour chercher une autre cache dans
la maison d’Abderrazak, il s’est sauvé
avec les menottes en main. Il avait
frappé un gardien avec les menottes.
Les militaires qui étaient sur la terrasse l’ont vu, et les autres qui étaient
en bas ne l’ont pas vu ».
( 76 )
Pensionnaire du couloir de
la mort
A la prison de Serkadji, Mustapha
Fettal était le plus grand pensionnaire du couloir de la mort. Il avait
passé 22 mois à attendre, chaque
jour, qu’on le conduise (enfin) à la
guillotine, selon Anne-Marie Steiner. Mme Steiner témoigne de cette
image des condamnés : « Ils (les
militants condamnés) partaient à
la guillotine avec un courage extraordinaire, et je ne sais pas d’où ils
puisaient ce courage. Peut-être si, ils
lançaient des Allahou Akbar et des
chants patriotiques et on sait ce que
cela veut dire », lance-t-elle, pleine
d’admiration.
Mais, en définitive, grâce à l’action de Germaine Tillion, de Gaulle
a fini par gracier 181 condamnés à
mort, parmi eux Mustapha Fettal et
Yacef Saâdi.
Djamel Belbey
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Mokhtar Bouchafa
dit « Si Mokhtar »…« L’indiscipliné »
L’un des premiers responsables
de l'action directe à Alger
Par Djamel Belbey
Guerre de libération
I
l est, de juin 1955, jusqu'à
son arrestation en août
1956, le chef des commandos armés de la branche
militaire de la Zone autonome d’Alger, sous les
ordres d’Amar Ouamrane. Il venait
de succéder à son compagnon de
lutte Mustapha Fettal, qui avait été
arrêté en mai 1956. Il dirige en 1956
l’intégration des groupes armés des
combattants de la liberté au sein du
FLN.
Né le 16 avril 1927 à Rekkada
(Texenna, wilaya de Jijel), il habitait
le quartier de Belcourt. Mokhtar
Bouchafa, mécanicien de son état,
avait même envisagé avec Fettal de
se lancer dans l'action directe dès
septembre 1954, c'est-à-dire près de
deux mois avant le déclenchement
de la lutte à l'échelle nationale.
Son impatience à passer à l’action
à être utile à la révolution lui valut
une prévention de la part de Abane,
qui, contrairement à lui, avancent
certaines historiens, aurait cherché à
faire de la capitale une base arrière,
ou comme sanctuaire pour fortifier
les maquis.
Le malentendu est né de sa vivacité patriotique qui l’aurait conduit
à malmener au café de Tanger
d’Alger Amara Rachid qui était à
l’époque le logeur et l’intermédiaire
d’Abane Ramdane. Bouchafa avait
été alors convoqué dans les maquis
d’Ouamrane à Palestro sur ordre
d’Abane Ramdane, pour y être entendu. Sa rencontre avec Ouamrane,
qu’il connaissait auparavant, l’aurait
ainsi sauvé d’une liquidation qu’il
croyait certaine.
Cette méfiance d’Abane à l’égard
de Bouchafa et de Yacef Saâdi, au
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Histoire
Colonel Ouamrane à droite
point de demander au premier de
liquider physiquement le deuxième,
qu’Ouamrane accusait de trahison,
a marqué les deux hommes.
Abane lui aurait reproché, en
fait, d’avoir failli à deux reprises
à sa mission, qui consistait à descendre l'inspecteur Abane. « Une
fois, la cartouche était mouillée, la
seconde, M. Bouchafa aurait hésité
», témoigne-t-on.
Mais l’échec de ses actions, certains historiens l’expliquent par l’absence de stratégie adaptée à la guérilla urbaine, auprès de la direction.
Pour ses compagnons de lutte, ce
militant hors-pair jouissait du total
respect de ses chefs, et de leur respect sans faille malgré une certaine
« indiscipline » dont il faisait preuve
dans certaines missions. Pis encore,
( 78 )
face à l’ennemi, il était fier et intransigeant. Ainsi, face aux gendarmes,
qui l’encadraient au Palais de justice, au lendemain du détournement
d’avion des cinq dirigeants du FLN,
effectué par l’armée coloniale qui
lui disaient : «C’est fini pour vous,
Ben Bella a été arrêté», selon un de
ses compagnons, qui relate l’événement, il lancera : «Il y a des milliers
d´autres Ben Bella au maquis.»
Notre héros est arrêté au mois
d’août, 1956, trois mois environ
après sa prise de responsabilité, et
emprisonné à Serkadji (Alger) avant
de s’évader le 29 janvier 1961 de
l´hôpital Mustapha-Bacha d´Alger
où il était hospitalisé. Il rejoint aussitôt le maquis pour ne le quitter qu’à
la fin de la Révolution.
Djamel Belbey
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Résistance anti coloniale.
Insurréctions populaires
Une double stature d'hommes d'Etat
L'Emir Abdelkader et Hadj Ahmed Bey
êTRE FIDèLE
A LA VéRITé
HISTORIQUE
Par Dr Boudjemaa Haichour
Guerre de libération
L
’Algérie
célèbre
le 52e anniversaire de son Independence. 132 ans
d’occupation coloniale marquée par
une des plus inhumaines colonisations du XIXe-XXe siècle. Des
deux rives de la Méditerranée, les
charges passionnelles continuent
de peser lourdement sur une réconciliation bloquée par le refus
d’admettre une repentance.
L’été 1962 fut celui de la discorde
entre frères de combat. L’Algérie
avait besoin d’être construite par
tous ses enfants loin des ressentiments et des déchirures au regard
des souffrances d’un peuple meurtri par une colonisation féroce.
Sur cette terre qui nous a vu
naitre, il faut cultiver la mémoire et
laisser aux générations montantes
les plus belles pages de gloire d’une
histoire plusieurs fois millénaire.
Le message ne doit pas être affecté
de falsification des hauts faits de
notre résistance depuis la Numidie
jusqu’à notre temps. Depuis le jour
où la France coloniale conquit l’Algérie, les soulèvements et les insurrections n’ont cessé sur l’ensemble
du territoire. Les grandes batailles
ont commencé avec l’Emir Abdelkader à l’Ouest et Hadj Ahmed
Bey à l’Est. Nous reviendrons à ces
deux grands hommes à la double
stature d’hommes d’Etat, je veux
parler de l’Emir Abdelkader et de
Hadj Ahmed Bey.
Une problématique d’un combat
multiforme contre le colonialisme
va sceller le destin d’un dessein
commun de deux stratèges mili-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Histoire
taires contre une armée encadrée
par les plus valeureux des guerres
napoléoniennes.
LES GRANDES INSURRECTIONS POPULAIRES
Plusieurs insurrections populaires verront le jour telles celles
des Ouled Sidi Cheikh, de Cheikh
Bouamama, d’El Mokrani, du
cheikh Haddad, cheikh Bouziane
des Zaatcha, de Sidi Lazreg, des
Ouled Aidoun à El Milia, dans la
vallée du Mzab, Tiaret, de Mascara
à Chlef, du Touat à Bechar, des
confins de Tamanrasset à Illizi,
d’Oran à Tlemcen, des Aurès au
Nord-Constantinois, toute l’Algérie se mobilise pour combattre les
forces coloniales.
REVEIL D’UNE NATION OU LA NAISSANCE D’UN ETAT
L’EMIR
ABDELKADER-CHEVALIER
DE
LA FOI ET ILLUSTRE
HOMME D’ETAT
Beaucoup d’ouvrages lui ont
été consacrés qui témoignent
de l’intensité de ce personnage.
Louis Massignon dira de lui que la
courbe de sa vie est érigée en quête
d’absolu. « L’âme subit le choc de
l’événement réalisant son vœu par
les segments mêmes qui brisent le
secret, l’interprétant comme l’intersigne du thème de son destin. »
Il s’agit de l’Emir Abdelkader,
homme d’épée éduqué dans la
plus pure tradition confrérique
de la Qadiryia dont le père était
( 80 )
le Mokkadem dans la zaouïa de
Guetna à l’ouest de Mascara, né
en 1808 dans la tribu des Beni
Hachem d’une famille de chorfa
et mort en exil à Damas le 26 mai
1883. Il portait un grand attachement aux siens et vénérait sa mère
Lalla Zohra. D’esprit indépendant,
l’Emir accompagnera son père
Mahieddine dès 1827 à la Mecque
pour le pèlerinage. Ce voyage lui
permettra durant deux ans d’entamer une recherche de la généalogie, en quête d’une parenté avec
les descendants d’Abdelkader El
Djilani en visitant Bagdad et en séjournant en Egypte pour s’acquérir
des réformes de Med Ali avant de
rejoindre son pays natal.
L’Emir Abdelkader est un gentleman d’une sobriété vestimentaire
digne d’un grand commandeur, un
homme fier qui dirigera la résistance coloniale de 1832 à 1847.
Le dur combat qu’il mena contre
l’oppresseur lui impose un respect
par sa tolérance et son humanisme
à toutes épreuves. Par les traités de
1834 signés avec le général Desmichels et 1837 avec le maréchal Bugeaud, la France coloniale reconnaissait l’autorité de l’Emir sur tout
le beylicat d’Oran et une partie sur
celui d’Alger.
A partir de cette position, l’Emir
a tenté d’organiser l’Etat algérien.
La tâche semblait difficile mais
pas impossible. Investi par la Moubayaa – sorte d’allégeance comme
chef de la guerre sainte – le 22 novembre 1832, c’est à dire commandant des croyants (Amir el Mouminine), il laissera cette citation :
« Je gouvernerai en tant qu’homme de
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
L'Emir Abdelkader en Egypte,1863
Coran et de Tradition, la loi à la main
et si la loi ordonne, je ferai moi-même de
mes deux mains une saignée derrière le
coup de mon frère. »
LE SENS DE LA JUSTICE CHEZ L’EMIR ABDELKADER
Dans cet esprit, le titre de sultan lui importait peu et il pouvait
s’en déchoir. Plus qu’un commandeur des croyants, il se présentait
comme un véritable chef d’Etat au
sens démocratique et moderne du
terme. Il s’attachera à ce que la justice civile soit rendue selon les exigences de la religion par des cadis,
recrutés parmi les lettrés renouvelables chaque année et appointés.
FONDATION D’UNE
NATION ARABE INDEPENDANTE
Chez l’Emir Abdelkader, l’idéal
patriotique et l’idéal religieux se
confondent, puisque le premier
tirant sa justification du second
et le soutinrent au cours de toute
la résistance anticoloniale qu’il a
menée. Son programme est soumis à l’assentiment des tribus qui
lui apportèrent tout le concours
matériel, financier et humain. Par
son action patiente et énergique,
l’Emir Abdelkader réussit à faire
entrer plus des deux tiers du pays
sous son autorité.
LES
FONDEMEMTS
JURIDIQUES
D’UN
ETAT DE DROIT
En unifiant l’intérieur, l’Emir
Abdelkader avait l’ambition de
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
fonder une nation arabe indépendante, un véritable Etat avec ses
fondements juridiques, son territoire, sa souveraineté, son armée,
son administration, son économie et sa diplomatie. Intelligent et
sans reproche, l’Emir Abdelkader
exerce sur son peuple le prestige
que lui ont donné son génie et la
grandeur de la cause qu’il défend.
Le maréchal Bugeaud, son ennemi potentiel, disait de lui qu’« il
était très remarquable que l’histoire
doit le placer à côté de Jugurtha.
C’est un homme de génie, certainement l’une des grandes figures
historiques de notre époque ».
La justification historique de
l’Emir en tant que chef politique
réside dans l’accord intime qu’il a
su maintenir avec le passé et l’espérance de son peuple dont il est
resté le fidèle interprète. Quelles
que soient les définitions que nous
donnerons au concept d’Etat, nous
retrouverons que l’Emir Abdelka-
( 81 )
der en a traduit au sens large du
terme ses contours. Il a remis l’Algérie dans ses fondements historiques en tant que Nation ayant un
Etat dans lequel un ordre social,
politique, économique, juridique
et diplomatique, orienté vers le
bien commun, est établi et maintenu par son autorité munie de tous
les pouvoirs démocratiques dans le
sens de la Moubayaà.
HADJ AHMED BEY,
UN
GOUVERNEUR
BEYLICAL
Un homme illustre que fut hadj
Ahmed Bey de Constantine. Né en
1787 et mort le 30 août 1850 enterré à Sidi Abderahmane Thaalibi à
Alger, il a combattu farouchement
les conquérants français durant
dix-huit ans alors que l’Emir se déployait à l’ouest contre les troupes
coloniales, en dépit de ses origines
turques par son père, sa mère hadja Ghania fille des Bengana grand
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Guerre de libération
Histoire
Salle du trône des anciens Beys de Constantine
seigneur du sud-est du pays. Son
père Mohamed Chérif était turc
et a gouverné pendant seize ans la
province de Constantine.
De la même manière que l’Emir
Abdelkader, Hadj Ahmed Bey
après l’instruction de la medersa
et sa nomination comme caïd el
Aoussi en 1809, fera le pèlerinage
à la Mecque et rencontrera le viceroi réformateur Mohamed Ali
d’Egypte.
De retour en 1815, il sera envoyé à Constantine comme khalifa durant quatre ans. En voulant
prendre le pouvoir par la force,
il échouera et se refugie à Alger,
pour être choisi comme bey de
Constantine par le dey en raison
de ses hautes qualités.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Ce qui caractérise le personnage
Hadj Ahmed Bey, c’est qu’il refuse,
du moins intérieurement, de dépendre de la Sublime Porte, même
s’il est resté attaché à la conception turque du pouvoir, au lieu de
se poser en chef d’une résistance
nationale purement algérienne, il
refuse d’ailleurs que son beylik soit
une colonie de janissaires.
Comme l’Emir Abdelkader, il se
hâte de réprimer les abus et de protéger les habitants contre les brutalités des Turcs, châtiant tous ceux
qui créent le désordre et la corruption. Après la prise d’Alger par
les Français et l’exil du dey, il s’est
considéré comme le seul représentant légal du sultan de Constantinople. Cette fidélité qu’il affecte à
( 82 )
l’égard du souverain ottoman, n’est
pour lui qu’un moyen d’obtenir des
secours en temps de guerre. En
fait, Hadj Ahmed Bey est désormais un souverain algérien ayant
son propre Diwan, composé de
hauts dignitaires qu’il consulte et
tient compte de leurs avis dans les
grandes occasions.
Cet homme, né vers 1783, aux
yeux noirs, avec une allure fulgurante, au visage bruni par le soleil
barré de très grandes moustaches à
la mode turque, est d’une propreté
méticuleuse vêtu de soie brodée,
qui lui donne une apparence juvénile et séduisante, il a le gout des
belles choses qu’il a essayé de communiquer à son peuple.
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
BEYLICAT ET KHALIFAT OU L’ETAT THEOCRATIQUE
Le beylicat de l’Est a toujours
joui d’une parfaite autonomie. Bien
sûr, Hadj Ahmed comme les beys
qui l’avaient précédé, a toujours
fourni au dey d’Alger le Dennouch
en argent et en nature. Ce territoire
qui va de Bordj Bou-Arreridj à Tébessa, comprend les Hannancha,
les Medjana dirigés par la famille
El Mokrani et le sud gouverné par
Cheikh el Arab, chacune est divisée en grandes tribus et en caïdats
dont les chefs sont pris dans l’aristocratie traditionnelle.
Cet ensemble est peuplé d’environ 1,2 millions d’habitants selon
les estimations de l’époque dont
la ville de Constantine pouvait
vraisemblablement avoir une population de 49.000 habitants. Ce
beylical donne l’impression d’une
organisation de forme étatique si
l’on considère la forme de Gouvernance avec comme toile de fond,
une administration, une activité
économique et des relations extérieures.
Son gouvernement était juste
et équitable, il rendait ses jugements suivant la Loi coranique et
la sunna. Ahmed Bey abolira le
système ottoman, réorganisa son
administration en concentrant ses
efforts sur la modernisation selon
l’époque de son armée. Il créera de
nouveaux postes selon les besoins
de l’administration et nommera les
fonctionnaires aux emplois supérieurs.
Il entreprendra une transformation radicale de la concep-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
tion du pouvoir dans le beylik de
Constantine. Il gouvernera le pays
avec l’élite sage de la population
en constituant un Majliss (sorte de
Conseil). Ainsi l’autorité législative
et exécutive dans le Constantinois
relève du Diwan, qui rassemblait
en plus de deux muphtis et deux
cadis, les aâduls (notaires) et le
nader el awqaf, les hauts fonctionnaires de l’Etat, les grands cheikhs
des tribus ainsi que les hauts dignitaires du pays.
DEMOCRATIE
EST
REFORME
FISCALE
CHEZ HADJ AHMED
BEY
Dans l’esprit d’une démocratie
vue de l’Occident, Hadj Ahmed
Bey ne prit jamais de décisions
importantes sans en consulter son
diwan et laissant la liberté de s’exprimer à toute son assistance. Hadj
Ahmed Bey, écrit le Duc de Rovigo, « a bien l’air d’être un homme
dominé par son diwan et ne pouvait agir librement et comme le lui
conseilleraient ses intérêts bien entendu », c’est là une réforme originale qui marquera l’administration
de Hadj Ahmed Bey.
Il entreprendra une réforme fiscale telle qu’héritée par le système
ottoman qui était très oppressif
et lourd. Il supprimera tous les
impôts non coraniques, ainsi la
gharama, impôts personnels en argent, est remplacée par le hakkor,
considéré comme le loyer de la
terre et se payant après la vente
du blé. Wadifat dennouch est un
impôt pour l’achat des présents au
pacha chaque six mois ; il y a des
( 83 )
impôts à l’occasion de la nomination de cheikh, caïd dans ce qui est
appelé à l’époque (Haq el burnous).
Il y a l’impôt sur la tribu imposé
sur les tribus, le djabli, imposé sur
les propriétés du beylik, la bischara
qui est une contribution offerte au
bey lors d’investiture de beylik, de
son renouvellement ou tout avènement qui lui est personnel etc. Il
remplacera ces impôts par ce qui
est décrété par Dieu et le Coran.
Ainsi, l’achour devient base essentiel de l’impôt dans le Constantinois qui consiste à payer la dixième
des revenus de la sorte.
Il renouvellera tous les cadres de
son administration, nommant les
principaux fonctionnaires tels que
Bach Hambal, qui fut le plus haut
personnage appelé par le bey. Elle
fut confiée à Benaissa. C’est en
quelque sorte le Premier Ministre
qui supplée le Bey dans toutes les
affaires. Il est aussi le Khaznadji, c'est-a-dire l’argentier, le chef
de l’administration des douanes,
commandant de fantassins dans
les expéditions, il préside aux arrestations politiques, aux exécutions secrètes et aux confiscations.
Il frappe la monnaie en tant que
directeur général.
Il nomme le khalif qui le remplaçait durant son absence pour
gouverner l’administration des tribus – ordinairement cette fonction
est accordée à des proches. Cette
charge a été donnée à Mostapha
Balahwan qui a épousé sa nièce.
Il y a le caïd el Aoussi charge
assimilée à celle de dauphin. Caïd
Eddar, l’intendant du palais, confié
à Belebdjaoui représentant l’autori-
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Guerre de libération
Histoire
té municipale, caïd l’Achour, kateb
es-Ser ou secrétaire confidentiel, et
djeich el agha al asker, nader el awkaf. C’est une véritable République
qu’institua Hadj Ahmed Bey.
Il en frappa la monnaie, élevant
le drapeau qui donneront de par
une administration rigoureuse,
le sentiment d’un Etat national.
Le commerce, évalué à l’époque
à cinq millions de francs sous
Ahmed Bey, reflète l’état d’organisation financière de la province
de Constantine. Cette monnaie de
bonne facture qui a été frappée en
or, argent bronze et cuivre portait
le nom du sultan Mahfoud, Dar el
bey et d’autre revers.
Ainsi le Mahboub valait trois
boudjoux et 1/3, puis cinq boudjoux à la prise de Constantine par
les Français. Le drapeau est de
couleur rouge orné par un sabre
à double lame ou bride d’Ali oul
fikar. Il symbolise Dar el Djihad.
De son époque, Hadj Ahmed Bey
signa des traités et entreprendra
des relations diplomatiques notamment avec le gouvernement
français (duc de Rovigo), Tunis, la
Tripolitaine, à la Porte sublime.
L’EMIR ABDELKADER
ET HADJ AHMED BEY
OU LE DESTIN DES
GRANDS HOMMES
Le maréchal Clauzel se trouvait nommé par Thiers ministre
de l’Intérieur, gouverneur général d’Alger. Partisan ardent de la
colonisation, il a échoué dans son
entreprise à l’ouest contre l’armée
de l’Emir Abdelkader et s’entêta
pour l’exécution de son projet
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
pour l’occupation de Constantine
et la destruction du pouvoir de
Hadj Ahmed Bey. Clauzel échouera dans la bataille de Constantine
avec honte et déshonneur devant
la vaillance des combattants de
Constantine. L’échec de l’expédition de Constantine eut un retentissement important en France où
la presse s’acharna contre le maréchal Clauzel. Et c’est Danrémont
en tant que gouverneur général
d’Alger de poursuivre une certaine
politique de la pacification à l’Est
et l’Ouest du pays. Il était favorable à une occupation restreinte
progressive et passive en amenant
Hadj Ahmed Bey soit à faire la
paix soit à composer.
A l’Ouest, l’Emir Abdelkader
représentait une force dont il fallait tenir compte. Sa victoire sur
l’armée française de juin 1835 à
Mactâa a permis à l’Emir de respirer et de réfléchir sur une possible
union des forces algérienne à l’Est
et l’Ouest pour venir à bout de l’occupation française et faire cause
commune avec Hadj Ahmed Bey,
qui était un adversaire redoutable
pour les Français. Cette vision n’a
pas pu se réaliser et Bugeaud réussit à signer avec l’Emir le traité de
la Tafna le 20 mai 1837.
Les deux hommes ont résisté héroïquement aux troupes françaises
tout au long de leurs combats. Ils
n’avaient jamais essayé de s’allier.
Alors que le sort de l’Algérie était
entre leurs mains, un climat de défiance et de méfiance regrettable,
dira l’historien tunisien Abdeljalil
Temimi, régnait entre l’Emir Abdelkader et Hadj Ahmed Bey, bien
( 84 )
que les hommes aient remporté
des succès militaires et politiques
à Mactâa et dans la première bataille de Constantine de 1836. La
prise de Constantine, le 13 octobre
1837, a eu un retentissement plus
considérable en France que la prise
d’Alger.
L’EMIR ABDELKADER
OU LE SENS D’UNE
MEILLEURE GOUVERNANCE
L’Emir Abdelkader a su mettre
les fondements d’un Etat avec son
armée, son administration, son
économie, pour qu’un gouvernement gère le pays. Contrairement
à Hadj Ahmed bey, l’Etat dans
la conception de l’Emir est celui
d’une organisation territoriale plus
vaste et étendue qui va de l’Ouest
à l’Est
A la place des quatre grandes
divisions de la régence turque, Dar
Sultane et les trois Beylik du Titterie, de l’Ouest et l’Est, divisées
en awtan ou canions, il institua
des circonscriptions territoriales,
les khalifalik qui, en 1839, s’élevaient à huit, ils sont partagés en
aghalik et chaque aghalik en caidal
et chaque tribu en cheikhals. Les
khalifa étaient nommés sans limitation de temps et les aghas pour
deux ans renouvelables. Sa volonté
de construire l’Etat algérien s’affirma dans la réforme financière
où l’Emir Abdelkader proclama
l’égalité fiscale des musulmans
en supprimant les impôts imposés par les Turcs tels que le kharadj (impôt payé par force sur les
terres conquises). Il exigea comme
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
Hadj Ahmed bey la dime sur les
récoltes (achour) et l’impôt sur les
troupeaux (zakat).
L’Emir avait le sens de l’économie de guerre puisque de son
temps il avait l’approvisionnement
en stocks de sécurité pour deux
années. Il avait son industrie de
l’armement pour parer aux importations d’armes.
A l’extérieur, l’Emir entretenait
des relations avec des Etats et des
personnalités du monde musulman et chrétien. On ne peut terminer cette contribution sur la
leçon dont l’Emir Abdelkader et
Hadj Ahmed Bey ont cru devoir
édifier un Etat dans toute l’acceptation du terme juridique tels que
les constitutionnalistes l’envisagent. Au demeurant le problème
se posait autrement de leur temps
en terre d’islam.
L’ETAT AU SENS DU
DROIT OCCIDENTAL
Les sociétés occidentales avaient
une toute autre conception dans
le processus de formation d’un
Etat. Est-ce ce contrat social cher
à Rousseau dont le pacte devient
le fondement du pouvoir de l’Etat,
c'est-a-dire de la souveraineté et
des libertés individuelles ? Ou
celle de Locke qui est davantage
liée à la réalité historique sous
forme de contrat politique ? Estce que la naissance de l’Etat intéresse le droit tel que soutenu par
l’allemand Jelinek dans son livre
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
traduit en français l’Etat moderne
et son droit ? Ou celle en France
par Carre de Malburg dans sa
Contribution à la théorie générale
de l’Etat.
Le fondement juridique d’un
Etat réside en dernier ressort
dans son projet de fondation. Sa
personnalité juridique lui permet
d’organiser son patrimoine propre.
Ce qui caractérise l’Etat c’est qu’il
a la disposition de ces pouvoirs de
gouvernement de ces droits réguliers essentiels.
Ainsi on peut dire que cette doctrine a la même origine historique
que celle de la souveraineté-indépendance qu’avaient entreprise
l’Emir Abdelkader et Hadj Ahmed Bey dont les notions de l’Etat
et du droit ne font qu’un. C’est ce
qu’envisageait le professeur autrichien Hans Kaiser en 1825 dans
son aperçu d’une théorie générale
de l’Etat (Allgemeine staatlehre).
Identifier le droit de l’ordre étatique, c’est vouloir mutiler arbitrairement ce concept. Ce qui est vrai
c’est lorsque l’Etat est bien organisé, il peut exercer une action très
profonde sur les règles juridiques.
Khalifat ou beylical, l’œuvre de
Fondation de l’Etat chez l’Emir
Abdelkader et Hadj Ahmed Bey
présente une typologie propre à
nos coutumes, aux structures tribales et confrériques où se superposent aux traditions communautaires des structure féodales,
créant parfois une hiérarchie héréditaire de l’époque et des éléments
( 85 )
sociologiques et religieux, source
de gouvernance dans le droit coutumier.
Il reste que l’Emir Abdelkader
est un homme de grande culture et
de tolérance religieuse aimant les
livres et collectionnant les manuscrits. Il imposait respect à tous ses
interlocuteurs en fin négociateur.
Il était poète et encourageait les
écrivains dont les chants épiques
entretenaient la loi des combattants. La mémoire collective
retiendra que l’histoire de l’Etat
algérien depuis l’Emir Abdelkader
reste à écrire en explorant toutes
les archives nationales de notre
pays, et celles de la France, l’Angleterre, la Turquie et du monde
musulman.
A l’occasion de la fête nationale de l’indépendance, la jeunesse doit s’imprégner des hauts
faits de l’Histoire, et des personnalités brillantes et mémorables
qui ont marqué leurs époques, le
combat des deux grands hommes,
l’Emir Abdelkader qui a duré dixsept ans en plus de l’exil, et Hadj
Ahmed Bey durant dix-huit ans ,
les deux batailles de la Province
de Constantine révèlent la stature
de ces deux grands hommes dans
leur résistance anticoloniale, afin
de lutter contre la culture de l’oubli. Voilà deux grands exemples de
la résistance et de la bravoure qu’a
connus notre pays.
Dr Boudjemâa Haichour
Chercheur Universitaire-Ancien Ministre
www.memoria.dz
Guerre de libération
Histoire
Une lettre de l'Emir Abdelkader.
(don du bâtonnier de Fez Kaid Hamou à M. Jacques Chevalier, Député-Maire d'Alger)
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 86 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Kheira Bent Bendaoud
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E t p ou r cau se.
Guerre de libération
Histoire
L
Manifestations du 8 mai 1945, tortures et exécutions sommaires
ors des massacres
du 8 mai 1945 à
Sétif, Kheira Bent
Bendaoud a recueilli 45 orphelins.
Mais ce que beaucoup considéraient comme un acte
courageux, pour elle, cela coulait de
source. Les Algériens devaient se
serrer les coudes pour faire face aux
actes criminels perpétrés par les colonisateurs.
Engagement militant
Kheira Belgaïd plus connue sous le
nom de Kheira Bent Bendaoud est
née à Oran en 1911. Bien qu’elle vécût
dans le confort d’une famille aristocratique, cela ne l’empêcha pas de
rejoindre les rangs du Parti du peuple
algérien dont elle fut une militante
très active.
Au mois de mai 1945, alors qu’elle
se trouvait dans le Constantinois,
éclatent les événements sanglants qui
vont ébranler les trois villes de Sétif,
Guelma et Kherrata. Les victimes
sont nombreuses et beaucoup d’enfants se retrouveront sans famille,
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 88 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
leurs parents ayant été tués lors des
massacres perpétrés par l’armée
coloniale. Ayant été avertie de la
situation délétère dans laquelle se
trouvent les enfants, elle décide de
prendre à bras-le-corps le problème,
refusant de les laisser sans défense.
Elle entreprend alors de les transférer vers Oran, la ville où elle réside et
où elle connaît des gens aisés, pouvant les recueillir. Sur place, elle rassemble 45 enfants en bas âge et, avec
l’aide et le concours de la Medersa
d’Oran, ils font le voyage à bord
d’un train en partance pour Alger,
avant de prendre un autre à destination d’Oran. Bien sûr, Kheira était
elle aussi du voyage car, pour elle,
il n’était pas question de laisser ces
enfants partir seuls.
Arrivée des enfants à Oran
Une fois arrivés à Oran, les enfants
sont accueillis dans une véritable
liesse populaire par un comité dirigé par cheikh Saïd Zemouchi, sous
l’impulsion de la médersa de la rue
Belamri Lahouari, ex-Emile Delors,
à Medina Djedida (Ville nouvelle).
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 89 )
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Guerre de libération
Histoire
Cheikh Saïd Zemmouchi
Malgré la joie de ce moment, il y
avait aussi une grande émotion, perceptible dans le regard de tous ces
enfants qui débarquaient en territoire inconnu. Ils sont directement
conduits à la médersa où les familles
d’accueil les attendent déjà. Plus
tard, beaucoup parmi ces enfants
s’engageront dans la guerre de libération nationale, certains tomberont au champ d’honneur, d’autres
sont encore en vie, comme c’est le
cas de Amar Sebia, originaire de la
région de Beni Aziz, dans la wilaya
de Sétif qui a, en de nombreuses
occasions, rendu hommage à cette
bienfaitrice au grand cœur, Kheira
Bent Bendaoud.
Amar Sebia ne peut également, en
aucun cas, oublier ses petits compagnons, dont plusieurs sont tombés
au champ d’honneur. M. Sebia dira
que «cet acte de bravoure confortera ses convictions en ralliant dans
un premier temps l’association des
oulémas, avant de s’engager corps
et âme pendant la guerre de libération». Il ne sera pas le seul à louer
son esprit altruiste, les défunts
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Kahloul, Cherfaoui, Hadj
Ahmed Metahri et l’une
des figures emblématiques
d’Oran, Ould Kadi Setti,
la fille de la célèbre Caïda
Halima n’en diront que le
plus grand bien.
Les actions de Kheira
Bent Bendaoud ne passeront pas inaperçues. Loin
de là. Elle sera très vite
dans le viseur de l’administration coloniale qui
n’hésitera pas à l’accuser
d’actes subversifs avant de
la mettre en prison. Elle
sera vite exilée vers la capitale. Placée en résidence
surveillée dans le quartier
de la Casbah, sous l’autorité du gouverneur d’Alger,
elle prendra malgré tout
le risque de maintenir les contacts
avec quelques-uns de ses compagnons dont Mohamed Achouri, un
des orphelins de Sétif qu’elle a recueilli et qui, dévoué à cette dame,
lui rendait visite quotidiennement
afin de la tenir au courant de tout ce
qui se passait à Oran.
Kheira Bent Bendaoud acceptera,
néanmoins, très difficilement le fait
d’être éloignée de ses proches, de
ses amis et de sa ville, ce qui se répercutera négativement sur sa santé
qui déclinera progressivement. Inquiets pour son état, ses amis prendront contact avec un haut officier
de l’armée française lui demandant
de la transférer à Oran pour des raisons humanitaires. Elle sera donc
renvoyée à Oran où sa résidence
surveillée sera maintenue. Elle ne
( 90 )
Caïda Halima
sera libérée qu’après plusieurs années de détention. Regagnant son
domicile au quartier de Saint-Antoine, elle décède seule, chez elle en
1961 et son cops ne sera découvert
que deux jours plus tard. Elle avait
50 ans. Elle repose, depuis, au petit
cimetière de Sidi-El-Hasni.
Aujourd’hui, beaucoup d’Oranais se souviennent encore de cette
dame au grand cœur qui n’a pas hésité à sacrifier sa vie douillette pour
venir en aide à des enfants, victimes
collatérales de la barbarie coloniale.
Ils espèrent néanmoins que les pouvoirs publics pérennisent son souvenir en donnant le nom de Kheira
Belgaïd dite Bent Bendaoud à un
édifice public ou une rue.
Hassina Amrouni
Source
Oranais.com
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Décès de Lucette Hadj-Ali
Safia rejoint Bachir…
« Bienvenue au malheur s’il est venu seul »,
dit l’adage populaire. Ces derniers jours, en
l’occurrence, il ne l’était puisqu’il s’est abattu sur
nous à trois reprises, sans crier gare.
Par Hassina Amrouni
Guerre de libération
Histoire
Lucette Hadj Ali
A
près nous avoir
arraché la grande
militante nationaliste Evelyne
Safir-Lavalette,
décédée le 25
avril dernier, à Médéa à l’âge de 87
ans, voilà qu’une autre mort s’annonce, tout aussi douloureuse, celle
de Jean-Louis Hurst, parti, lui aussi,
une poignée de jours plus tard, le 13
mai, plus exactement. Et on n’aura
pas bouclé le mois de mai, avant
de faire nos adieux à une troisième
militante, la moudjahida Lucette
Safia Hadj Ali, qui s’est éteinte le 27
mai, près de Toulon, en France. Elle
avait 94 ans.
C’est le départ d’une juste. Une
moudjahida de grande envergure
qui aura consacré sa vie au combat
contre l’injustice, sans jamais rien
attendre en retour.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Bachir Hadj Ali
Naissance à Oran dans
une famille de médecins
Lucette Larribère voit le jour en
1920 à Oran. C’est dans une famille
de médecins et surtout de militants
– son père Jean-Marie et son oncle
Camille sont militants du Parti
communiste algériens (PCA) – que
Lucette grandit mais la prise de
conscience ne sera pas immédiate.
Il lui faudra débarquer à Alger, à
l’âge de 22 ans, pour y poursuivre
ses études d’histoire et géographie,
pour être directement confrontées
aux iniquités sociales dont est victime la population algérienne. C’est
là qu’elle rencontre son premier
mari Robert Manarranche et dont
elle aura deux garçons Pierre et Jean.
Elle décide alors, à l’issue de ses
études, de se lancer dans une carrière de journaliste au sein de l’AFP,
puis à Liberté, hebdomadaire du
( 92 )
PCA. Elle y apprend les bases du
métier aux côtés d’une chevronnée,
Henriette Neveu. Le journalisme
lui permettra de prendre toute la
mesure de la situation délétère dans
laquelle vit le peuple algérien et se
rendre compte également de toutes
les injustices endurées au quotidien.
« Liberté effectua, entre autres, des
reportages poignants sur la terrible
famine qui sévissait dans le pays, en
particulier dans le Constantinois,
en soulignant la situation épouvantable des paysans qui subissaient
en outre une répression forcenée.
En s’élevant régulièrement contre
l’exploitation, la misère généralisée
que vivaient les Algériens, le journal
se plaçait résolument en dénonciateur du système colonial lui-même»,
témoigne-t-elle dans son livre.*
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Guerre de libération
Histoire
Lucette Hadj Ali
Prise de conscience et
militantisme
Nommée rédactrice en chef du
mensuel de l’Union des femmes
d’Algérie (UFA), créée en 1944,
par le Parti communiste algérien,
elle collabore, par ailleurs, à Alger
Républicain. Elle écrit encore : «Les
locaux du journal étaient situés
boulevard La Ferrière (aujourd’hui,
le boulevard Khemisti), à l'emplacement de ceux de la Dépêche Quotidienne… Aux côtés de Henri Alleg,
directeur du journal, et de Jacques
Salort, son administrateur, la rédaction était dirigée par Boualem
Khalfa et Issac Nahori… auxquels
se joignit plus tard Hamid Benzine.»
Au lendemain du déclenchement
de la guerre de libération, elle fera
partie du premier noyau des Combattants de la libération (CDL) créé
en 1955 et sera agent de liaison entre
le FLN et le PCA. Débute alors la vie
clandestine pour Lucette qui prend
le prénom de Safia. Elle rencontre
Bachir Hadj Ali, premier secrétaire
du Parti communiste algérien avec
lequel elle se marie plus tard.
Le 5 juillet 1962 restera un souvenir impérissable pour la militante Lucette Safia Hadj Ali. Elle
en raconte quelques bribes dans
son ouvrage : «Les événements se
précipitaient, quelques jours avant
le 5 juillet, du haut de notre 4e
étage, c’est avec une vive émotion
que nous avons vu les premiers
maquisards de la Wilaya IV qui des-
cendaient calmement le boulevard
sur le trottoir d'en face et entraient
dans Alger : maigres et épuisés dans
leurs uniformes délavés et usés,
témoins de leurs derniers combats.
En me penchant davantage sur le
balcon, j’aperçus, spectacle réjouissant, le policier français qui réglait
la circulation au carrefour en bas du
boulevard (Bougara) descendre de
son podium et de s’enfuir à toutes
jambes ».
Dessin et manuscrit extraits des Lettres à Lucette de Bachir Hadj Ali
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 93 )
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Guerre de libération
Histoire
Lucette et Bachir Hadj Ali
Même après l’indépendance, Lucette continue à être de tous les combats. Soutenant
d’abord son mari, incarcéré en 1965, elle s’engage également contre l’intégrisme durant la
décennie noire, en faisant partie du RAFD
(Rassemblement algérien des femmes démocrates).
Enseignante d’Histoire au lycée El Idrissi,
elle est contrainte de quitter son quartier
d’Hussein Dey lorsqu’elle reçoit des menaces
de mort des groupes islamistes. Elle s’installe
à la Seyne-sur-Mer auprès de sa famille où
elle est demeurée jusqu’à sa mort.
Hassina Amrouni
* Itinéraire d’une militante algérienne de Lucette Hadj
Ali, éditions du Tell, 2011
Lucette Hadj Ali
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 94 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Sour El Ghozlane
ou le rempa rt
des ga zelles
Sour El Ghozlane
Histoire
d'une
ville
L’empereur Auguste
Si la fondation de Sour El
Ghozlane remonte à plusieurs
siècles avant J.-C., il n’en demeure
pas moins que la région a connu,
depuis des millénaires, une
présence humaine. Un outil
préhistorique (biface) a, en effet,
été retrouvé à l’ouest de la ville,
confirmant la thèse selon laquelle
l’homme préhistorique y aurait
vécu.
E
n revanche, pour la fondation
de la ville, les avis des historiens
divergent. Certains l’attribuent aux
Phéniciens, environ seize siècles
av. J.-C., d’autres affirment que
c’est Ithobaal 1er (887 - 856 av.
J.-C.), roi de Tyr (au sud de l'actuel Liban) qui
en est le fondateur, environ huit siècles et demi
av. J.-C. Une certitude cependant, c’est que du
temps de l’empereur Auguste (Gaius Julius Caesar
Octavianus, connu aussi sous le nom d'Octave,
63 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), Auzia – c’est le nom
romain de Sour El Ghozlane – existait déjà et
c’est Orelli qui en rapporte l’information dans
ses Inscriptionum Latinarum (inscriptions latines
gravées sur la pierre et collectées notamment lors
de fouilles françaises). A l’origine numide, la ville
deviendra donc en 33 av. J.-C. province romaine
sous l’empereur Auguste.
Aux origines d’Auzia
Selon l’historien Tacite, connu pour être l’un
des grands érudits de la Rome antique, Auzia a
été construite sur un plateau de 800 mètres de
long sur 350 mètres de large, et était cernée de
bois et de rochers. A partir d’inscriptions latines,
découvertes dans les environs, l’on apprit que les
habitants adoraient à cette époque le dieu Auzius.
Biface trouvé à Sour El-Ghozlane (22 cm)
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Une stèle romaine
( 96 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Histoire
d'une
ville
Carte de l'Algérie Romaine montrant aussi le réseau des voies de communications
Auzia envahie par les Vandales
La ville comptait alors quelque 3500 habitants. Il
faisait bon y vivre dans un climat pur et sain.
Avec Rusguniæ, l’actuelle Bordj El Bahri
et Equizétum, ville probablement construite
à proximité du village actuel de Mansourah,
près de Bordj-Bou-Arréridj, Auzia formait une
confédération. Au 2e siècle, elle portait le titre
de Municipe avant de devenir Colonia Septima
Aurelia Auziense, colonie sous l'empereur Romain
Septime Sévère. Si Tacite mentionne le Casetellum
Auziense, indiquant que c’est le quartier général
d’un commandant de frontière, l’historien
grec d’expression latine, Ammien Marcellin,
mentionnera lui aussi dans « Res Gestæ », sorte
de suite de l'histoire de Rome écrite par Tacite,
Castellum Auziense, indiquant que c’était le point
de rencontre à Auzia. D’ailleurs, une borne militaire
retrouvée par des colons français, durant l’époque
coloniale, à environ une dizaine de kilomètres au
nord-est de Sour El Ghozlane, au lieu dit El Abia
porte l’inscription : « Limes Provinciæ Africæ »
(Limites de la province Africaine).
Après avoir semé le chaos dans une grande partie
de l’Europe – la Gaule, Rome... –, les Vandales,
jusque-là invincibles, sont battus par les Wisigoths.
Ils sont alors contraints de quitter le vieux
continent en quête d’autres refuges et d’autres
points d’ancrage pour se retrouver, se réunifier et
surtout rebâtir leurs forces. C’est fort de quelque 80
000 hommes que le roi Genséric traverse le détroit
de Gibraltar avant de débarquer en Tripolitaine
(actuelle Libye, dénommée, à partir du IIIe siècle
par les Romain, Regio Tripolitana). Ces nouveaux
envahisseurs conquièrent la Numidie (Est de
l’actuelle Algérie), la Bysacène (sud de la Tunisie)
et la Proconsulaire (nord de la Tunisie). Hippone
et Cirta résistent à leurs assauts dévastateurs, les
obligeant à signer une trêve de trois ans, mais sitôt
celle-ci arrivée à son terme, ils s’emparent des deux
cités ainsi que de Carthage dont ils font la capitale
de leurs territoires africains.
L’empereur Honorius envoie à la même époque
le comte Boniface, général du Bas-Empire pour
gouverner l'Afrique. Victime de manigances
Sour El Ghozlane
Une stèle romaine
roche romaine Auzia
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Sour El Ghozlane
Histoire
d'une
ville
Mausolée de Takfarinas
fomentées contre lui par Aétius, Boniface décide de
se venger à sa manière. Refusant d’abord de quitter
son gouvernement d'Afrique, il bloque ensuite les
livraisons de blé africain à Rome, avant de s’allier
à Genséric contre les Romains. Mais mal lui prit
car les Vandales étaient un peuple de Barbares qui
n’avaient ni foi ni loi. En effet, Genséric se retourne
contre son allié qui se verra obligé de lui céder les
trois Maurétanie, Sétifienne, Césarienne (dont la
ville principale est Césarée, actuelle Cherchell),
Tingitane (Tingis, actuelle Tanger) avant de
prendre la fuite vers l’Italie où il trouve la mort
lors d'un combat avec Aétius en 432.
Durant cette période, la ville d’Auzia n’échappera
guère à la violence vandale qu’elle subira pendant
plus d’un siècle. Et bien que ses habitant aient
tenté à plusieurs reprises de se soulever voire
de se révolter contre le joug des Vandales, ils ne
parviendront, malheureusement, pas à s’en libérer,
essuyant à chaque fois une cuisante défaite.
Arrivée des Byzantins puis des
Arabes
Ce sont finalement les Byzantins qui
parviendront à les chasser de toute l’Afrique du
Nord. Le règne de ces derniers s’étalera de 534 à
647, soit plus de 100 ans, ils seront chassés à leur
tour par les Arabes lors des foutouhate islamiques.
Les troupes de Okba Ibnou Nafi Al Fihri font leur
entrée par le côté oriental dans la seconde moitié
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 98 )
du VIIe siècle (vers 697). Toutefois, aucun fait
marquant ne viendra, à cette époque, perturber
le cours de l’histoire d’Auzia qui sera administrée
par les Berbères. Avec l’invasion des Maures,
Auzia sera encore une fois appelée à se défendre
contre cette nouvelle occupation de ses terres par
des étrangers. Mais les Maures parviendront à
exercer leur hégémonie sur l’Afrique. La religion
musulmane remplace le christianisme et la ville
d’Auzia cède au nouveau mode de vie imposé par
les Maures. C’est là que le nom de la ville change,
Auzia devenant « Sour El Ghozlane » (rempart des
gazelles).
A leur arrivée dans la région, les Turcs y
construisent un fort (bordj) près de Souk El
Had. Ce poste militaire est destiné à surveiller
les tribus environnantes ainsi que le marché qui
était fréquenté par les Arabes de la région. Pour la
construction de ce fort, les Turcs ont eu recours à
des pierres prises sur le site de la ville antique. A
l’arrivée des troupes françaises après 1830, le bordj
sera presque entièrement détruit, n’ayant pas pu
résister à l’érosion du temps.
La colonisation française
Après la conquête de plusieurs régions
d’Algérie, les troupes françaises occupent
militairement le site d’Aumale – désignation
française de Sour El-Ghozlane. L’endroit est
considéré comme stratégique car il permet la
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Le Duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe
ordonnance royale fera de ce camp un centre de
colonisation portant le nom d’Aumale. Devenu
district le 31 janvier 1848, Aumale est désormais
une commune à partir du 5 septembre 1859.
Au lendemain de l’indépendance, Aumale
reprend son nom arabe.
Hassina Amrouni
Sour El Ghozlane
protection de la voie du Constantinois, l’accès
aux Kabylies et aux tribus nomades du sud.
Le premier poste militaire est installé en 1840
puis, le 27 mai 1843, la première pierre servant
à la construction d’un camp retranché est posée
par le duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe.
Trois ans plus tard, le 15 novembre 1846, une
Histoire
d'une
ville
La maison du Duc d’Aumale
Sources :
www.sourelghozlane.com
www.encyclopedie-afn.org
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 99 )
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Sour El Ghozlane
Histoire
d'une
ville
Patrimoine archéologique
de Sour El Ghozlane
CES PIERRES
QUI RACONTENT
NOTRE PASSÉ
L’Aqueduc de Sour El-Ghozlane
A l’instar de toutes les autres régions du pays qui ont connu la
présence de différentes occupations étrangères, Sour El Ghozlane a,
elle aussi, été habitée depuis l’aube des temps, héritant, de chaque
présence humaine et de chaque civilisation, des vestiges qui font
partie, aujourd’hui, de la richesse patrimoniale de la région.t
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 100 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
C
L’énigmatique mausolée d’El
Hakimia
L’Aqueduc de Sour El Ghozlane
Situé à quelque 2 kilomètres à l’ouest de la
ville, l’aqueduc a permis l’approvisionnement en
eau potable de toute la population locale mais
desservait aussi toutes les terres agricoles qui s’en
trouvaient ainsi irriguées. Cet immense aqueduc
composé à l’origine de 7 arcs a, au fil du temps, fini
par tomber en ruines. Aujourd’hui, il n’en subsiste
qu’une seule arcade, seule témoin de son existence
passée.
Le mur d’enceinte de la ville
Si vous êtes de passage à Sour El Ghozlane,
vous ne pouvez rater le mausolée d’El Hakimia.
Ce monument funéraire également appelé
mausolée de Tacfarinas, Observatoire romain
ou Ghorfat Ouled Slama et classé site historique
le 17 décembre 2007, est entouré d’un grand
mystère. Faute de recherches poussées autour de
ses origines, on ne connaît pas, aujourd’hui, avec
exactitude qui en est le réel bâtisseur. En effet, si
certains évoquent le nom de Tacfarinas, le dernier
chef de guerre numide, qu’on dit enterré là, d’autres
attribuent ce monument au chef militaire romain
Quintus Gargilius Martialis, également auteur
d’ouvrages sur l’horticulture. Ce dernier aurait
bâti ce mausolée en l’honneur de ses parents. Cette
version est attestée par deux inscriptions retrouvées
à l’intérieur de cette structure semi-circulaire. Sur
la première pierre est inscrite une dédicace faite par
Quintus Gargilius Martialis à ses parents en l’an
260 après J.-C., la seconde, une pierre retrouvée
à l’intérieur du mausolée, est datée de 439 après
J.-C.
Quoi qu’il en soit, en attendant de livrer tous
ses secrets, le mausolée culminant à 1000 mètres
d’altitude, constitué au premier niveau de deux
chambres funéraires vides et au second niveau
d’une chambre ouverte, est en voie d’être réhabilité.
Parmi tous les sites historiques ou archéologiques
rescapés de l’histoire millénaire de la région, le mur
d’enceinte de la ville de Sour El Ghozlane est sans
doute celui qui a le plus réussi à défier le temps et...
la main destructrice de l’homme. D’une longueur
d’environ 3 kilomètres, ce rempart perché sur
le point culminant de l’antique ville d’Auzia
a été construit au XIXe siècle par l’occupant
français, entourant une caserne d’une superficie
Sour El Ghozlane
ependant, il ne reste plus que des
monuments épars, rescapés de
l’époque antique. Tout le reste a
disparu, suite au débarquement
des Français dans la région. En
construisant la nouvelle ville sur les vestiges de
l’antique Auzia, ces derniers ont défiguré le site.
Aujourd’hui, les quelques monuments historiques
de la ville sont livrés, malheureusement, à l’érosion
du temps.
Histoire
d'une
ville
Le mur d’enceinte de la ville
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
( 101 )
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Sour El Ghozlane
Histoire
d'une
ville
« Bab Dzayer (Porte d’Alger)
« Bab Boussaâda » (Porte de Boussaâda)
« Bab El Gort » (Porte du foin)
« Bab M'dia » (Porte de Média)
Vue aérienne, Centre ville
Vue aérienne, la cité el kadi, Mosquée El Atiq ...
de 7 hectares et construite en 1850. La muraille
est percée de quatre portes « Bab Dzayer (Porte
d’Alger), « Bab S’tif » (Porte de Sétif), « Bab Bou
Saâda » (Porte de Boussaâda) et « Bab El Gort »
(Porte du foin). A noter que selon d’autres sources
(presse nationale, ndlr), on ne parle que de trois
portes, la porte du foin n’étant pas évoquée.
Lors du très fort séisme de 1954, de nombreuses
habitations de la région ont été endommagées par
la secousse tellurique et ce mur d’enceinte a lui
aussi subi de gros dommages.
Réfectionné dans l’urgence, il a été par endroits
renforcé par des ceintures en béton, ce qui lui a
enlevé tout son attrait. Plus tard, des pans de
remparts ont été démolis pour être remplacés par
des boulevards.
D’autres richesses archéologiques à découvrir
Si ces quelques sites archéologiques ou
historiques figurent parmi les plus connus à Sour
El Ghozlane, il n’en demeure pas moins que
de nombreux autres attendent d’être reconnus
comme tels, à l’image de la mosquée El Atiq dont
la construction remonterait à l’époque ottomane
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( 102 )
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Histoire
d'une
ville
la mosquée El Atiq
Sour El Ghozlane
Anciens châteaux d'eau qui alimentaient la ville à sour el-ghozlane
et bien d’autres encore. Quoi qu’il en soit, des
découvertes fortuites ont souvent lieu, la dernière
en date étant la mise au jour en février dernier des
ruines d’une maison romaine et des restes d’un
long tunnel remontant à la même époque. Sur le
site, ont été également trouvés des remparts encore
debout des colonnes décorées de jolies mosaïques,
des silos, des tombeaux taillés dans la pierre et
des inscriptions multiples qui révèlent que jadis
le site était l’emplacement d’une ville romaine. A
noter que les habitants de la région font souvent ce
genre de découverte, notamment lors de travaux
de construction. Aux pouvoirs publics de prendre
le relais, en mettant en valeur ces richesses qui
racontent notre passé millénaire.
Hassina Amrouni
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Sources :
Divers articles de la
presse nationale
Une stèle romaine
( 103 )
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Sour El Ghozlane
Histoire
d'une
ville
Personnalités de Sour El-Ghozlane
Berceau d’hommes
de Lettres
Figures de renoms de la littérature algérienne,
Arezki Metref, Djamal Amrani, Messaour Boulanouar et
Kadour M’Hamsadji ont pour point commun Sour El Ghozlane,
la ville qui les a vu naître.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Supplément N° 26 - Juillet 2014.
( 104 )
Histoire
d'une
ville
Djamel Amrani recevant la médaille présidentielle « Pablo Neruda » des
mains de l'ambassadeur du Chili à Alger, Ariel Uloa, le 12 juillet 2004.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Arezki Metref
Metref, le journaliste-écrivain
Né deux ans avant le déclenchement de la guerre
de libération nationale, Arezki Metref a grandi
dans une Algérie en guerre. Bien qu’originaire
de Beni Yenni, il voit le jour à Sour El Ghozlane
avant que sa famille s’installe à Bouira, à Laghouat
puis, à partir de 1956, à Alger.
Brillant étudiant, il s’inscrit à l’Institut
d’études politiques d’Alger. Mais sa passion pour
l’écriture l’amènera à rejoindre le monde de la
presse en 1972, signant des articles, notamment,
dans les colonnes de L’Unité, Révolution
africaine, El Moudjahid ou Algérie Actualités.
Avec l’ouverture du champ médiatique, il créé en
1993 avec le regretté Tahar Djaout et Abdelkrim
Djaâd l’hebdomadaire Ruptures au sein duquel
il occupera la fonction de rédacteur en chef.
Lorsque son ami et collègue Tahar Djaout est
assassiné en cette même année 1993, il quitte
l’Algérie pour la France. Il y vivra jusqu’en 2001,
date de son retour au pays. Collaborant avec le
journal londonien The Guardian ainsi qu’avec
Autrement, Maghreb-Machrek, Panoramique et
Politis, il anime par ailleurs des conférences sur
l’Algérie en France et à l’étranger. Auteur prolixe,
il publie plusieurs recueils de poésie (Mourir à
vingt ans, Éditions Caractères, Abat-jour, préface
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Sour El Ghozlane
A
lors qu’il nous a quittés en 2005,
Djamal Amrani reste la voix de
l’âme de toute une génération de
poètes qui, comme lui, se sont
enivrés aux doux murmures des
muses. Amrani, l’enfant de Sour
El Ghozlane, y est né le 29 août 1935. Scolarisé en
1952 à l’école communale de Bir Mourad Raïs,
il interrompt ses études en 1955, en pleine guerre
d’Algérie. Le 19 mai 1956, il prend part à la grève
des étudiants. Participant activement à la guerre
de libération nationale, il est arrêté par l’armée
coloniale en 1957, à Sidi Yahia. Dans les geôles de la
Villa Susini, il connaîtra les pires tortures et les plus
abjects sévices. Relâché en 1958, il est expulsé vers
la France. A Paris, il côtoie de nombreux artistes
et écrivains avec lesquels il se lie d’amitié. Il part
ensuite s’installer en Suisse où il s’inscrit à l’Ecole
d’interprétariat de Genève, avant de rallier le Maroc.
Après sa rencontre avec Houari Boumediene,
Abdelaziz Bouteflika et Kaid Ahmed, il décide de
rejoindre l’état-major de l’ALN. Il devient ensuite
l’un des membres fondateurs de la revue El Djeich.
En 1960, il publie son premier ouvrage Le Témoin
aux éditions de Minuit. La même année, il rencontre
Pablo Neruda et crée, dans la foulée, le journal
Echaâb. Six ans plus tard, il intègre l’ORTF où il
devient producteur d’une émission maghrébine.
C’est le début d’une longue et riche carrière, au sein
de la radio algérienne aux côtés de Leïla Boutaleb.
En 2004, il se voit décerner la médaille Pablo
Neruda, haute distinction internationale de la
poésie. Il s’éteint un an plus tard, le 2 mars 2005
à son domicile. Djamal Amrani laisse derrière lui
une œuvre poétique prolixe et de qualité. Parmi les
titres de référence, il y a lieu de citer Chants pour
le Premier Novembre (1964), Bivouac des certitudes
(1968), Entre la dent et la mémoire (1981), Déminer
la mémoire (1986), Alger (2000), Alger, un regard
intérieur (2001)…
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Sour El Ghozlane
Histoire
d'une
ville
de Jean Pélegri…). Il obtient également de bonnes
critiques pour ses romans (Quartiers consignés,
Algérie Littérature / Action, n° 2, Marsa éditions,
Roman de Kabylie ou le livre des ancêtres, Éditions
Sefraber…), ses pièces de théâtre (Priorité au
basilic, La Nuit du doute, préface de Noureddine
Saâdi, …) et ses essais (Algérie, Chroniques d'un
pays blessé, Algérie, la vérité mais pas toute la vérité,
chroniques 1997-2002 et Kabylie Story, Casbah
Éditions).
Le poète aux 7000 vers
7000 vers débuté en 1956 et terminé en 1960.
A ce propos, le regretté Tahar Djaout écrira
dans les colonnes d’Algérie-Actualités « Parue
en 1963, cette œuvre poétique [La Meilleure
force] a peu d'équivalent dans la littérature
algérienne. C'est un très long poème de quelque
7000 vers commencé en 1956. L'incarcération de
Boulanouar en septembre de cette même année n'a
provoqué aucune rupture et aucun réajustement
dans le cours du poème qui, terminé en 1960,
forme une sorte de cosmogonie de la souffrance
et de la revendication, (…) le reflet de l'univers
concentrationnaire et de l'horreur quotidienne
où tout un peuple vivait. » Malheureusement,
seule une petite partie de son œuvre foisonnante
sera publiée.
Kaddour M’Hamsadji, l’érudit
Né le 11 février 1933, Messaour Boulanouar est
également poète. A l’âge de 17 ans, il est contraint
d’abandonner ses études sur recommandation
médicale. Engagé dans le mouvement militant, il
connaîtra les geôles de la prison de Serkadji où il
sera emprisonné avec d’autres nationalistes, entre
1956 et 1957. Messaour Boulanouar sera plus
particulièrement remarqué par ce long poème de
Kaddour M’Hamsadji est né le 8 août 1933.
Effectuant ses études primaires dans sa ville
natale, il la quittera très jeune pour aller à
Boufarik où il poursuit sa scolarité, ceci, avant
de déposer ses malles à Alger, la ville de ses aïeux.
Devenu inspecteur de l’éducation nationale, il
sera ensuite sous-directeur de l’audio-visuel avant
d’occuper la fonction de directeur du Centre
national d’enseignement généralisé (CNEG).
Il sera ensuite nommé conseiller au cabinet du
ministère de l’Education nationale, dans le
domaine de la communication éducative. Il
fonde la revue L’Ecole demain.
Kaddour M’Hamsadji sera, par ailleurs,
membre fondateur de la première Union des
écrivains algériens qui a vu le jour le 28 octobre
1963. Cette instance aura, d’ailleurs, à sa
création Mouloud Mammeri comme président,
Tahar Djaout, Messaoud Boulanouar et M' hamed Aoune dans une
exposition de littérature, 1980
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
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Supplément N° 26 - Juillet 2014.
Histoire
d'une
ville
Kaddour M'Hamsadji avec Moufdi Zakaria et Ahmed Sefta (29 mai 1964)
Jean Sénac pour secrétaire général et Kaddour
M’Hamsadji occupera les fonctions de secrétaire
général adjoint, Mourad Bourboune et Ahmed
Sefta en étaient les assesseurs. Tout au long de son
parcours très riche, M’Hamsadji côtoiera les plus
grands écrivains et intellectuels de son époque,
avec lesquels il se liera d’amitié. On citera Moufdi
Zakaria, Tewfik El Madani, Kateb Yacine, Malek
Haddad, Laâdi Flici, Ahmed Azzegagh, Cheikh
Mohamed Laïd Al Khalifa…
Se lançant dans l’écriture, il publie La
dévoilée, son premier roman en 1959. Depuis, il
pratiquera tous les genres littéraires du roman,
à la poésie, en passant par le théâtre, le conte,
la nouvelle ou l’essai. Il marquera également le
paysage audiovisuel avec des œuvres de grande
référence. Parmi ses œuvres marquantes, notons
Le silence des cendres qui sera adapté au cinéma
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
par A. Sahraoui, Le rêve derrière soi, Le jeu de la
bouqala, La jeunesse de l’Emir Abd El Kader, Le
petit café de mon père… M’Hamsadji est traduit
dans plusieurs langues.
Hassina Amrouni
Sour El Ghozlane
Union des écrivains algériens en 1963. Assis de gauche à droite : Kaddour M'Hamsadji, Mourad
Bourboune, Mouloud Mammeri (président), Jean Sénac (secrétaire)
Kaddour M'Hamsadji avec Kateb Yacine
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Sour El Ghozlane
Histoire
d'une
ville
Siège de la daïra de Sour El-Ghozlane
Jean-Claude Brialy, acteur, réalisateur, scénariste et écrivain
français, né le 30 mars 1933 à Aumale (Sour El-Ghozlane), et
mort le 30 mai 2007 à Montyon (Seine-et-Marne).
Rue principale
Ecole Ben Badis (Victor Hugo)
Grande rue
BDL
Cour intérieur de l'Hopital
Rue de l'ancienne caserne
Lycée El Ghazali
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El Hachemi Guerouabi, d'un père originaire de Sour
El-Ghozlane wilaya de Bouira et d'une mère originaire de Chlef,
grandit dans le quartier populaire de Belouizdad (Belcourt)
L'ancienne gare d'Aumale
La troupe musicale de Sour El-Ghozlane des années 1960 : Bouzid Aissa (guitare), Yousfi (accordéon), Sayah
Abderrahmane, Nedir El-Hadj (flûte), Kamdoudi (tar), Saïb Aissa (guitare), Lazib et Dr Saidj Nourredine (derbouka).
Sour El Ghozlane
Armoirie
Histoire
d'une
ville
Vue générale
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
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Histoire
d'une
ville
Lamouri Ben Kadda Djediat : est un footballeur international,
né le 20 janvier 1981 à Sour El-Ghozlane. Il évolue actuellement au poste de
milieu de terrain à l'USM Alger.
La coupe d'Algérie entre les mains de Djediat
Equipe de l'ESG des années 1990
ERRATA
Quelques erreurs ont été relevées par Mme Bekaddour dans
l'entretien accordé à Mémoria N°
25 de Juin 2014, pages 87 et 88 :
L' équipe de l'Entente sportive de Sour El-Ghozlane (ESG) des années 1980
- Zoulikha Bekaddour est née à
Oued Lili : lire : à Tiaret
- R. Barrat a rencontré le CCE
composé de Amara Rachid (...) :
lire: Abane Ramdane
Les sections de l'UGEMA se réunissent à Paris, Lyon, Montpellier: ajouter: Strasbourg.
- La mère de Zoulikha a rendu
visite à la mère de Zabana: lire :
l'a accueillie chez elle.
Equipe MSG des années 1970
Equipe de l'ESG des années 1980
Equipe d'Aumale 1962
Equipe d'Aumale 1949
- Smaïn Aït Amar est le neveu et
non le fils de Brahim Aït Amar
- Dans la citerne étaient cachés,
Hadj Ben Alla, un parent et Smaïn,
et non Habib Djellouli qui s'est
jeté par la fenêtre, s'est blessé et
a été arrêté.
Le 17 novembre 1956 je fus
condamnée: lire : le 23 mars 1957.
Mémoria présente ses excuses à
Mme Bekaddour ainsi qu'aux personnes concernées.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
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