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Les litiges fondés sur les droits
et l’émergence du rôle
des tribunaux dans
l’élaboration des politiques
en matière de santé
Article
original
Antonia Maioni
Université McGill
Christopher P. Manfredi
Université McGill
Résumé :
Notre article s’intéresse à l’impact du processus judiciaire sur le financement public des soins
de santé au Canada. Nous analyserons quelques cas récents de jurisprudence dans le but d’examiner
certains enjeux généraux concernant l’impact du processus de révision judiciaire fondé sur les droits
de la personne sur le développement des politiques de santé. Notre analyse portera sur les motivations
des requérants, l’élaboration des stratégies et des tactiques déployées durant la poursuite et
les répercussions de cette dernière sur les règles de droits et les politiques. Nous présenterons
quelques conclusions préliminaires sur la pertinence de ces études de cas dans le débat sur
le recours aux tribunaux comme moteur du changement en matière de politiques.
Mots clés:Élaborations de politiques, financement des soins de santé, rôle des tribunaux,
Charte canadienne des droits et libertés.
Introduction
L
e recours aux tribunaux devient-il une façon
efficace de faire changer les politiques ?
Le présent article tente de répondre à cette
question en étudiant les litiges fondés sur les droits
dans le contexte du système de santé canadien.
Les ressources du droit public comparé seront
ici mises à profit pour comprendre la relation
entre les actions en justice, les règles de droit
et la politique sociale. Dans un monde idéal,
la victoire en cour d’un mouvement social
donné entraînerait l’établissement de nouvelles
règles de droit qu’il désirait. Ces règles amèneraient à leur tour de nouvelles mesures politiques
favorables au mouvement; ce dernier ressortirait
de l’aventure renforcé par son succès. Or, dans
Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, vol. 11, n° 1, 2006, pp. 36-59.
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 37
le monde réel, la situation est rarement aussi
simple. Parfois, bien que la poursuite n’ait pas
permis d’obtenir les règles de droit désirées,
le gouvernement réagit de la façon souhaitée.
À d’autres moments, au contraire, le statu quo
persiste et ce, malgré une victoire en cour.
Il arrive aussi qu’un échec au tribunal renforce
un mouvement en ralliant ses membres autour
d’une même cause et qu’une victoire l’affaiblisse
ou stimule ses adversaires. Il y a donc essentiellement deux façons de voir le recours aux tribunaux:
soit comme un « faux espoir » (Rosenberg, 1991),
soit comme une façon d’infléchir le débat politique
et de donner du pouvoir aux groupes défavorisés
(McCann, 1994).
Les litiges fondés sur les droits qui visent
une réforme de la politique canadienne en matière
de santé restent utiles pour évaluer la valeur
respective de ces deux points de vue pour au moins
trois raisons. Tout d’abord, la santé représente
le secteur de dépenses au Canada le plus important.
La Loi canadienne sur la santé régit la prestation
et le financement des services de même qu’elle
oblige les provinces à garantir l’égalité d’accès
à un régime d’assurance-maladie intégral, universel,
transférable et géré par le gouvernement. Le système de santé engouffre environ 9 % du PIB
et représente le plus coûteux poste de dépenses
au sein des budgets provinciaux. En outre, les
litiges fondés sur les droits jouent un rôle de plus
en plus significatif dans l’élaboration des politiques en matière de santé (Jackman, 1995 ;
Jackman, 1995-1996; Braen, 2002; Jackman, 2002;
Greschner, 2002 ; Manfredi & Maioni, 2002).
En effet, la gestion des effectifs médicaux,
les règles entourant l’exercice de la médecine,
la restructuration des hôpitaux de même que
la prestation et l’administration de traitements
et de services particuliers constituent autant
de questions clés ayant déjà fait l’objet d’un examen
fondé sur la Charte. Enfin, en juin 2004, la Cour
suprême du Canada a entendu les plaidoiries
dans deux affaires pouvant entraîner des répercussions très importantes sur la politique
canadienne en matière de santé. La première,
Jacques Chaoulli c. Procureur général du Québec, a
pour objectif de restreindre la portée du système
public en contestant la constitutionnalité de
la prohibition de l’assurance privée. Au contraire,
Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique
(Procureur général), vise à élargir l’éventail des
services assurés en établissant l’obligation
constitutionnelle des provinces de financer
un traitement contre l’autisme dans le cadre
de leur politique de soins de santé.
Le présent article se base principalement
sur ces deux affaires. Bien qu’elles concernent
toutes deux la politique en matière de santé,
deux différences notables les séparent : l’affaire
Chaoulli ne comporte que deux appelants et veut
limiter la portée du système de santé public
alors qu’au contraire, l’affaire Auton est menée
par un mouvement social bien organisé et cherche
à accroître la couverture offerte par le système
public. L’une et l’autre s’inscrivent toutefois
dans la tendance grandissante à recourir aux
tribunaux pour modifier la politique en matière
de santé. Entre 1982 et 2002, les tribunaux canadiens
ont tranché 37 affaires qui exigeaient le contrôle
judiciaire de la politique en matière de santé,
conformément à la Charte canadienne des droits
et libertés (Manfredi et Maioni, 2002 ; Greschner,
2002). De ce nombre, huit se sont rendues en Cour
suprême. Mentionnons, parmi les arrêts les plus
retentissants, l’arrêt Morgentaler (1988) qui invalidait
la loi fédérale sur l’avortement, l’arrêt Rocket (1990)
qui modifiait les règles régissant la publicité professionnelle, l’arrêt Rodriguez (1993) qui maintenait
l’interdiction pénale contre le suicide assisté et l’arrêt
Eldridge (1997) qui reconnaissait aux personnes
malentendantes le droit constitutionnel de bénéficier d’un service d’interprétation gestuelle pour
faciliter les communications avec les fournisseurs
de soins. À l’exception de l’arrêt Morgentaler, qui
révolutionna complètement la réglementation
concernant l’avortement et facilita grandement
l’accès aux cliniques d’avortement privées
(Manfredi, 2004 : 181), les décisions de la Cour
suprême n’ont affecté, jusqu’à maintenant,
que des aspects marginaux du domaine de la santé.
Or, les affaires que nous examinons ici soulèvent
des questions beaucoup plus fondamentales.
En effet, Chaoulli remet en question la pertinence
même d’un système de santé financé par l’État,
tandis qu’Auton conteste le pouvoir des gouvernements provinciaux de décider quels services
sont «médicalement nécessaires» et donc assurés
dans le système de soins de santé actuel.
Les deux études de cas présentées ici révèlent
deux façons très différentes, voire opposées,
d’aborder une action en justice. L’analyse portera
38 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
en priorité sur les motivations des requérants,
l’élaboration des stratégies et des tactiques
déployées durant la poursuite et les répercussions
de cette dernière sur les règles de droit et
les politiques. Nous terminons en présentant
quelques conclusions préliminaires sur la pertinence de ces études de cas dans le débat
sur le recours aux tribunaux comme moteur
de changement en matière de politiques.
Le recours aux tribunaux
et l’élaboration des politiques
Le recours à la loi désigne tout un ensemble
de phénomènes connexes. Pour certains, c’est
«un processus par lequel on fait appel à des normes
juridiques pour contrôler les comportements »
(Lempert, 1976 : 173) et qui suppose l’affirmation
de désirs « revendiqués comme des droits »
(Zemans, 1983:700). Pour d’autres, il s’agit plutôt
d’une «tentative délibérée d’influencer le développement de la politique jurisprudentielle, de façon
à obtenir une réaction précise du gouvernement»
(Lawrence, 1990:40). Cette dernière définition plus
spécialement s’appuie sur l’idée que l’action
en justice représente parfois un moyen efficace
de provoquer un changement social ou politique.
L’idée que le recours aux tribunaux permet
aux personnes et aux groupes politiquement
défavorisés d’améliorer leur position dans la société
est de plus en plus débattue. Aux États-Unis, par
exemple, certains chercheurs ont soulevé des doutes
quant aux effets réels des luttes juridiques
de groupes comme la National Association for
the Advancement of Colored People (NAACP),
surtout en ce qui concerne la déségrégation
dans les écoles (Scheingold, 1974 : 95). Au cours
des années 1990, un important débat entourant
l’efficacité du recours aux tribunaux s’est
engagé notamment entre Gerald Rosenberg
et Michael McCann. Dans son ouvrage The Hollow
Hope (1991), Rosenberg pose une question toute
simple:les décisions judiciaires ont-elles entraîné
des réformes sociales notables ? Au terme d’une
analyse guère optimiste, il conclut qu’en raison
de certains facteurs institutionnels obligatoires,
dont la portée restreinte des droits constitutionnels,
les limites de l’indépendance judiciaire et
la difficulté de traduire les décisions judiciaires
par des changements politiques concrets, le recours
aux tribunaux demeure un moyen particulièrement
peu fiable d’accéder à la réforme sociale
(Rosenberg, 1991 : 10).
En 1992, Michael McCann soutint que
Rosenberg avait négligé le « pouvoir constitutif
du droit », processus par lequel « le savoir
juridique préfigure en partie la nature symbolique
des relations matérielles et devient une ressource
potentielle dans les luttes pour redéfinir ces
relations » (McCann, 1992 : 733). Sa propre étude
sur l’utilité du recours aux tribunaux dans
les causes d’équité salariale l’amena à conclure
que le processus judiciaire permet de faire d’importants gains politiques et ce, même en l’absence
de retombées positives directes. Par exemple,
l’usage du discours sur les droits chez les groupes
marginalisés peut leur redonner une certaine
confiance et contribuer à l’amélioration à long
terme de leur situation (McCann, 1994 : 292).
Dans son compte rendu critique de Rights at Work,
Rosenberg affirma que McCann confirmait en fait
la thèse centrale de Hollow Hope, c’est-à-dire
que « les forces progressistes peuvent bénéficier
des tribunaux, mais uniquement dans certaines
circonstances qui sont non seulement rares,
mais qui amènent pratiquement le changement
d’elles-mêmes » (Rosenberg, 1996 : 454).
Une des plus importantes conclusions
à tirer du débat entre Rosenberg et McCann peut
s’énoncer ainsi : le succès ou l’impact des actions
en justice reste extrêmement difficile à mesurer.
La notion de succès n’est ni simple, ni synonyme
d’impact. Elle peut désigner une issue favorable
en cour ou encore le développement de la doctrine
juridique souhaitée. Cependant, même la réalisation
de ces deux tours de force ne garantit pas automatiquement les changements socio-économiques
et politiques d’ensemble visés par les actions
en justice. De plus, les conséquences d’une
poursuite, l’évolution de la doctrine et les
changements de cap dans un secteur politique
donné ne sont pas toujours attribuables aux actions
des groupes.
La littérature portant sur l’utilité de recourir
aux tribunaux traite presque exclusivement
de l’expérience américaine, ce qui constitue
l’une de ses plus grandes lacunes. Il semble
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 39
également que le phénomène tel qu’il se présente
au Canada n’ait pas reçu toute l’attention qu’il
mérite de la part des chercheurs canadiens.
En effet, bien que les poursuites intentées
par des groupes organisés suscitent l’intérêt
des spécialistes depuis au moins cinquante ans
(Mallory, 1954), les études réalisées jusqu’à présent
se sont concentrées presque uniquement sur
les causes d’égalité entre les sexes et d’orientation
sexuelle (Razack, 1991; Morton, 1992; Smith, 1999;
Hausegger, 2000 ; Brodie, 2002 ; Manfredi, 2004).
De plus, nous dénombrons seulement quelques
tentatives d’évaluer, de façon méthodique,
l’effet des décisions judiciaires sur l’élaboration
des politiques (Bogart, 2002 ; Schneiderman &
Sutherland, 1997; Bogart, 1994). Les études de cas
présentées ici contribuent doublement au débat.
Nous aborderons nos études de cas à l’aide
du modèle de décision réparatrice élaboré par
Philip Cooper (Cooper, 1988 : 16-24). Ce modèle
comprend quatre phases : la phase d’amorce,
la phase d’établissement de la responsabilité,
la phase de réparation et la phase post-décision.
La phase d’amorce regroupe à la fois les circonstances historiques générales et les événements
particuliers ayant mené au déclenchement
de la poursuite. Les phases d’établissement
de la responsabilité et de réparation, au cours
desquelles le tribunal détermine s’il y a eu atteinte
aux droits et libertés et prescrit les réparations
appropriées, forment le cœur du modèle de décision
réparatrice. Elles peuvent se succéder immédiatement ou faire l’objet d’instances distinctes.
Enfin, c’est au cours de la phase postdécision
que les réparations sont mises en œuvre, évaluées et
adaptées. Cette phase se caractérise par l’interaction
entre plaideurs et juges. Le niveau d’intervention
judiciaire est lié à la gravité des violations commises,
à la capacité de changement de l’organisation et
à la culture politique environnante.
Auton : autisme et intervention
comportementale intensive
Phase d’amorce
En 1987, le Dr O. Ivar Lovass a publié une
étude mesurant l’efficacité d’une forme particulière
d’analyse behaviorale (ou comportementale)
appliquée(« ABA ») ou intervention comportementale intensive (« ICI »), dans le traitement
de l’autisme (Lovaas, 1987). L’étude révélait
que 17 des 19 enfants soumis à une thérapie
intensive individuelle de quarante heures par
semaine en moyenne avaient considérablement
amélioré leurs aptitudes sociales et leur capacité
de communiquer. De ce nombre, neuf enfants
avaient même complété la première année
du primaire dans des classes régulières et possédaient un quotient intellectuel, une capacité
d’adaptation et un fonctionnement affectif semblables à ceux de leurs camarades. Six ans plus
tard, Lovaas et deux de ses collègues réalisèrent
une étude complémentaire suggérant que les gains
réalisés, lors du traitement, s’étaient maintenus :
huit des neuf enfants poursuivaient leurs études
au sein de classes régulières, sans nécessiter
un soutien particulier (McEachen, Smith&Lovaas,
1993). Selon un des auteurs, il s’agissait là
des seules études contrôlées sur les programmes
d’ABA / ICI pour les enfants autistes (Auton,
2000 : 62).
En raison de l’efficacité apparente du
traitement proposé, de son intensité (quarante
heures par semaine pendant deux ou trois ans)
et de son coût élevé (environ 50 000 $ par année),
les études de Lovaas entraînèrent la formation
d’un vaste groupe voué à l’obtention de fonds
publics et privés pour accéder au traitement.
Fondé en 1993 dans le nord de la Californie,
Families for Early Autism Treatment (FEAT)
se répandit rapidement sur tout le continent.
En 1996, la sociologue Sabrina Freeman, mère
d’une enfant autiste, fonda une filiale de FEAT
en Colombie-Britannique, après s’être battue
seule pendant un an pour que le gouvernement
finance le traitement Lovaas contre l’autisme
(TLA). Le TLA, selon l’organisme, est « efficace,
scientifiquement éprouvé et destiné à aider
les jeunes enfants atteints du trouble neurologique
de l’autisme». Par conséquent, FEAT BC a soutenu
d’emblée que le refus du gouvernement de
Colombie-Britannique de reconnaître la nécessité
médicale du TLA et de l’inclure au nombre
des traitements assurés par le système de soins
de santé de la province violait « de nombreuses
lois destinées à protéger les droits des personnes
ayant une déficience ». L’idée de recourir aux
tribunaux constituait, de toute évidence, l’avantplan de la campagne de l’organisme pour changer
40 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
la position du gouvernement à l’égard du TLA.
D’avis que « le gouvernement de ColombieBritannique doit reconnaître son obligation
juridique de financer le traitement précoce,
intensif et scientifiquement éprouvé de l’autisme
pour tout enfant atteint de ce trouble », l’organisme recrutait ouvertement les avocats «désirant
changer le système de soins de santé discriminatoire du Canada ». Évoquant les poursuites
qui se déroulaient aux États-Unis, FEAT BC
insistait pour que «justice soit faite aussi au Canada»
(FEAT BC). En fait, en août 1996, la Cour du Banc
de la Reine de l’Alberta a conclu que les «programmes de type Lovaas » constituaient un service
pour les enfants handicapés au sens du Child
Welfare Act de la province. Elle a ordonné
au directeur des services de protection de l’enfance
de rembourser 90 % des coûts du traitement
(C.R. v. Alberta, 1996).
Pour plaider sa cause, FEAT BC retint les
précieux services de Christopher Hinkson,
membre du conseil de la reine et associé au sein
de la société d’avocats Harper, Grey, Easton
de Vancouver. Fondée en 1907, cette petite firme
(une cinquantaine d’avocats) se spécialise dans
le domaine du contentieux civil. Figurant au
palmarès des cinq cents meilleurs avocats
du Canada établi par Lexpert, Hinkson se spécialise dans plusieurs domaines : les fautes
professionnelles médicales, les préjudices corporels,
la négligence professionnelle, les assurances,
la responsabilité découlant du fait du produit et
le droit administratif. De 1987 à 1995, il a occupé
le poste de vice-président et directeur de la BC
Medical Services Foundation. En bref, cet avocat
représentait un plaideur d’expérience possédant
une expertise particulière en santé et oeuvrant
dans une société d’avocats prestigieuse, bien
que de petite taille.
Le 30 mars 1998, FEAT BC diffusa un communiqué intitulé « Faute professionnelle au sein
du gouvernement de C.-B. » (« Malpractice in the
B.C. Government »), attaquant le gouvernement
provincial pour son refus de financer « le seul
traitement efficace» contre l’autisme. Le 30 juillet
suivant, un certain nombre de familles reçurent
une lettre signée conjointement par le sous-ministre
à l’Éducation et le sous-ministre à l’Enfance
et aux Familles les informant que le gouvernement
provincial n’était pas «financièrement en mesure »
d’offrir le TLA (Auton, 2000 : 58). Deux semaines
plus tard, Connor Auton et sa mère Michelle
déposèrent un recours collectif au nom de tous
les enfants et des familles qui s’étaient vu refuser
le financement du TLA par le gouvernement
de la province. Le tribunal refusa d’accorder
l’autorisation d’exercer un recours collectif,
mais les actes de procédure furent modifiés
pour inclure, au nombre des requérants, trois
autres enfants et leurs parents, dont Sabrina
Freeman et sa fille Michelle Tamir. Ces derniers
demandaient au tribunal de déclarer que le refus
du gouvernement de financer le TLA portait
atteinte aux droits garantis par les articles 7
et 15(1) de la Charte canadienne des droits et
libertés. L’article 7 garantit « le droit à la vie,
à la liberté et à la sécurité des personnes », droit
auquel il n’est pas permis de porter atteinte
« qu’en conformité avec les principes de justice
fondamentale », tandis que l’article 15 garantit
l’égalité devant la loi, l’égalité de bénéfice et
la protection égale de la loi. Les requérants réclamaient également une ordonnance de mandamus
qui obligerait le gouvernement à les indemniser
pour les frais futurs et déjà engagés pour le traitement. Les deux parties acceptèrent, par contre,
que les questions de la responsabilité et des réparations fassent l’objet d’instances séparées.
Phase d’établissement de la responsabilité
En avril 2000, au cours d’un procès de dix
jours devant la juge Marion Allan de la Cour
suprême de la Colombie-Britannique (le plus haut
tribunal de la province), la question de la responsabilité fut abordée. Comme il semblait prévisible,
le principal désaccord entre les deux parties concernait l’efficacité clinique du TLA. Les requérants
organisèrent leur défense du traitement en deux
temps. La première étape fut de prouver que
ce dernier s’était montré efficace dans le cas
des quatre enfants inclus dans la poursuite,
qui l’avaient tous reçu aux frais de leurs parents.
Le gouvernement contesta la recevabilité des lettres
de médecins présentées comme preuves des
bienfaits du traitement, mais non les affidavits
des parents attestant des progrès de leur enfant.
En conséquence, la juge Allan déclara qu’elle
était «convaincue, à partir des preuves recevables,
que le traitement Lovaas contre l’autisme avait
permis aux enfants requérants d’améliorer leur
condition de façon substantielle» (Auton, 2000:60).
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 41
Bien sûr, les affirmations des demandeurs allaient
encore plus loin. Pour eux, en effet, les progrès
de ces enfants confirmaient tout bonnement
les résultats des études de 1987 et 1993, prouvant
que le TLA « est un service médicalement
nécessaire puisqu’il améliore considérablement
la condition des enfants autistes » (63-64).
S’étant gardé de contester avec vigueur
les progrès réalisés dans ces cas particuliers,
le gouvernement attaqua plutôt la valeur scientifique d’ensemble des deux études de Lovaas.
Il insista sur deux failles méthodologiques, selon
lui, importantes : la composition du groupe
expérimental et du groupe témoin ne résultait
pas d’un échantillonnage aléatoire et l’étude n’avait
jamais été reproduite. Vu ces problèmes, il était
impossible, d’après le gouvernement, de tirer
des conclusions générales sur l’efficacité du TLA.
À la limite, ce dernier devait être considéré comme
un traitement expérimental et non comme
un service médicalement nécessaire. Pour appuyer
ses arguments, le gouvernement commanda
une étude à l’Office of Health Technology
Assessment Services and Policy Research de UBC.
Les auteurs du rapport conclurent que « de
nombreux types de thérapies behaviorales
intensives sont clairement efficaces pour traiter
les enfants autistes, mais il n’existe pas suffisamment de preuves scientifiques valables pour
établir un lien entre un type particulier de traitement
intensif et l’atteinte d’un «comportement normal»
chez l’enfant». Cette conclusion reposait sur deux
données : (1) un seul essai clinique contrôlé avait
fait l’objet d’une publication, et la communauté
scientifique répugnait à en accepter les résultats;
(2) l’étude de Lovaas n’avait été confirmée
par aucun chercheur indépendant. Or, affirmait
le rapport du Office of Health, non seulement
était-il « éthiquement et physiquement possible
de mener des essais cliniques randomisés comparant
différentes thérapies précoces et intensives »,
il était nécessaire d’effectuer ce genre de recherche
« avant de décider de financer un traitement
plutôt qu’un autre en raison de son efficacité »
(Bassett, Green & Kazanjian, 2000 : ix).
La juge Allan critiqua sévèrement le rapport
de l’Office of Health (Auton, 2000 : 66-67). Après
avoir sous-entendu que les auteurs du rapport
avaient induit le tribunal en erreur en affirmant
qu’il avait fait l’objet d’une évaluation externe
avant d’être déposé en preuve, la juge leur reprocha
de ne pas avoir consulté de professionnels
de la santé favorables au TLA et d’avoir utilisé
« un seul commentaire anecdotique » pour
appuyer une de leurs assertions clés. Elle leur
rappela également que le Dr Lovaas et ses
collègues n’avaient jamais prétendu que le TLA
« guérissait » l’autisme, au contraire de ce que
le rapport affirmait. Ce dernier, selon elle,
n’apportait « à peu près rien d’utile » aux débats
entourant les études de 1987 et de 1993. De plus,
il était « si tendancieux » qu’il perdait une bonne
partie de sa crédibilité. Aussi, la juge n’en retint
que le passage où les auteurs reconnaissaient
que « le traitement behavioral précoce peut
atténuer les symptômes de l’autisme chez
de nombreux enfants, si ce n’est chez la majorité
d’entre eux ». En effet, après avoir entendu
l’expert cité comme témoin par les deux parties,
la juge conclut qu’il n’existait « aucun traitement
alternatif efficace «pour remplacer«les traitements
fondés sur les principes de l’ABA » (68). Elle
déclara également qu’il fallait considérer
le « traitement behavioral intensif et précoce »
comme un « service médicalement nécessaire »
au sens des législations fédérale et provinciale
(75). Elle arriva à cette conclusion, en élargissant
la définition d’un service « médicalement
nécessaire» pour inclure «tout ce qui peut guérir
ou combattre efficacement une affection » (75).
Après avoir émis cette conclusion et établi
que la Colombie-Britannique ne fournissait pas
ce service, la juge Allan entreprit de déterminer
si l’inertie de la province portait atteinte aux
droits à l’égalité garantis par la Constitution.
Deux décisions antérieures de la Cour suprême
formaient la base de sa discussion. Premièrement,
la Cour avait conclu, en 1997, qu’en omettant
de fournir des services d’interprétation visuelle
complets aux patients malentendants, la ColombieBritannique privait ces personnes de la protection égale de la loi, car elle limitait leur capacité
de communiquer, de façon efficace, avec les
fournisseurs de soins (Eldridge, 1997). Deuxièmement, en 1999, la Cour suprême avait fait
le point sur dix ans de jurisprudence en résumant
et en commentant les principes fondamentaux
devant guider l’analyse relative aux droits à
l’égalité (Law, 1999). Cet arrêt stipulait que le but
de l’article 15(1) était « d’empêcher toute atteinte
à la dignité et à la liberté humaines essentielles
42 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
par l’imposition de désavantages, de stéréotypes
et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser
l’existence d’une société où tous sont reconnus
par la loi comme des êtres humains égaux ou
comme des membres égaux de la société
canadienne, tous aussi capables, et méritant
le même intérêt, le même respect et la même
considération» (paragr. 51). L’arrêt Law énumérait
également trois questions primordiales pour
déterminer s’il y avait ou non discrimination :
fournir un traitement efficace contre l’autisme,
la province ne répond pas aux besoins qui
accompagnent leur position défavorisée » (85).
Tout comme la province, par contre, la juge
Allan était d’avis qu’elle ne possédait pas
la compétence pour ordonner à la province
de fournir le TLA. Elle invita plutôt les avocats
des deux parties à soumettre de nouvelles observations sur la nature précise des réparations
appropriées à la violation constitutionnelle.
Premièrement, la loi contestée a) établit-elle
une distinction formelle entre le demandeur
et d’autres personnes en raison d’une ou
de plusieurs caractéristiques personnelles,
ou b) omet-elle de tenir compte de la situation
défavorisée dans laquelle le demandeur
se trouve déjà dans la société canadienne,
créant ainsi une différence de traitement
réelle entre celui-ci et d’autres personnes
en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles ? […] Deuxièmement,
le demandeur a-t-il subi un traitement
différent en raison d’un ou de plusieurs des
motifs énumérés ou des motifs analogues?
Et, troisièmement, la différence de traitement
était-elle réellement discriminatoire, faisant
ainsi intervenir l’objet du par. 15(1) de la
Charte pour remédier à des fléaux comme
les préjugés, les stéréotypes et le désavantage
historique ? (paragr. 39)
Bien que favorable à FEAT BC, le jugement
du tribunal de première instance sur la responsabilité du gouvernement n’était pas sans failles.
Tout d’abord, il semble bien que la juge ait
confondu deux principes de la Loi canadienne
sur la santé lorsqu’elle a présenté le litige comme
un problème d’universalité (Greschner & Lewis,
2003 : 515). En effet, la condition d’universalité
suppose que tous les assurés de la province
aient accès aux services de santé offerts et non
que tous les traitements médicaux possibles
soient assurés. Le choix des services à assurer
concerne plutôt la condition d’intégralité.
Deuxièmement, en privilégiant une définition
élargie d’un service « médicalement nécessaire »,
le tribunal s’est éloigné de la Loi canadienne
sur la santé, où cette expression s’applique aux
services reçus à l’hôpital ou d’un médecin
(Greschner & Lewis, 2003 : 515). Il est d’ailleurs
probable que la juge ait mal interprété le témoignage de l’expert dont elle s’est inspirée dans
sa définition. En effet, la définition du Dr Baer
(«tout ce qui peut guérir ou combattre efficacement
une affection ») s’appliquait à un « traitement
médical » et non à un service « médicalement
nécessaire ». Nous ignorons s’il considérait ces
deux expressions comme des synonymes.
La juge Allan s’inspira de l’arrêt Eldridge
pour conclure qu’« ayant créé un système
d’assurance-maladie universel, le gouvernement
n’a pas le droit de fournir ces services de façon
discriminatoire». Elle détermina, à partir de Law,
qu’en «omettant de fournir [aux enfants autistes]
les soins de santé requis », le gouvernement
exerçait une discrimination à leur égard, car
il perpétuait le « stéréotype erroné » voulant
« qu’il n’existe pas de traitement efficace pour
les enfants autistes » (Auton, 2000 : 80). Elle rejeta
les arguments du gouvernement qui justifiait
sa décision en invoquant le rationnement nécessaire de ressources limitées. Selon la juge,
« l’ABA ou intervention comportementale intensive et précoce constitue le traitement approprié
[contre l’autisme] ». Elle affirma, en outre, que
la Colombie-Britannique « traite les requérants
de façon discriminatoire en violation de l’article
15(1) de la Charte. En effet, en omettant de leur
Phase de réparation
L’article 24(1) de la Charte prévoit que toute
personne ayant subi une violation de ses droits
et libertés peut s’adresser «à un tribunal compétent
pour obtenir la réparation que le tribunal estime
convenable et juste, eu égard aux circonstances».
Le procès pour déterminer la nature des réparations appropriées dans l’affaire Auton s’est déroulé,
en novembre 2000, et la juge Allan a rendu
sa décision, en février 2001. Après sa défaite
au tribunal, la province avait réagi en créant
le Provincial Centre for Autism and Related
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 43
Disorders (P-CARD). Le centre assurait certains
services dans l’ensemble de la province, dont
l’ABA/ICI pour tous les enfants autistes de moins
de six ans, à raison d’au moins vingt heures
par semaine. Une partie du procès fut donc
consacrée à l’examen de ces premiers efforts.
Les requérants étaient insatisfaits du nouveau
programme à cause de la limite d’âge, du nombre
d’heures restreint alloué à la thérapie et parce qu’il
n’incluait pas le traitement Lovaas en particulier.
La juge Allan aborda ces objections avec prudence.
L’affaire, fit-elle remarquer, «soulève d’importantes
questions sur les rôles respectifs du judiciaire
et des législatures en matière de politiques ».
« Les questions soulevées par les requérants,
poursuivait-elle, mettent en relief les difficultés
qui surviennent, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité prononcée par le tribunal est censée
modifier le comportement du gouvernement ».
Tout en reconnaissant l’importance du contrôle
judiciaire, la juge Allan rappela que « les juges
ne peuvent dicter au gouvernement quels
programmes de traitement il doit mettre en place,
ni la façon dont il doit répartir des ressources
financières limitées ». Elle n’était pas prête à
affirmer que le gouvernement avait agi de façon
réticente, négative ou intransigeante (Auton,
2001 : paragr. 26-27, 30). Il était encore trop tôt,
selon elle, pour évaluer l’efficacité réelle du programme P-CARD et donc trop tôt pour « rendre
une ordonnance de mandamus » (paragr. 45).
En guise de réparations, la juge déclara qu’il y avait
eu négation des droits à l’égalité des requérants.
Elle ordonna également au gouvernement
de financer la thérapie behaviorale intensive et
précoce pour les enfants autistes et attribua 20000$
en dommages-intérêts aux requérants adultes.
Phase post-décision
Après la décision du tribunal de première
instance, la cause fut portée en appel par les deux
parties. Le gouvernement contestait la déclaration
de responsabilité, tandis que l’appel incident
concernait les questions du traitement et des
dommages-intérêts (Auton, 2002). La Cour
d’appel de la Colombie-Britannique rejeta
l’appel du gouvernement à l’unanimité,
affirmant que « les administrateurs provinciaux
des soins de santé n’ont pas tenu compte
des besoins individuels des enfants nommés
comme partie à l’instance, en refusant de financer
leur traitement. Ce geste équivaut à dire que
le handicap mental de ces enfants est moins
digne d’attention que les problèmes médicaux
temporaires d’autres enfants. Il sous-entend,
en outre, que la communauté s’intéresse moins
au sort [des enfants autistes] qu’à celui
des autres enfants malades et des adultes nécessitant des soins de santé mentale » (Auton, 2002 :
paragr. 51). La Cour d’appel rejeta également
l’appel incident concernant la décision du tribunal
de première instance de ne pas exiger le financement du TLA en particulier. Elle estimait,
comme la juge Allan, que le TLA n’était pas
le seul type d’ABA / ICI efficace pour traiter
les enfants autistes (paragr. 83-84). La Cour d’appel
débouta également les requérants sur la question
de la limite d’âge. Tout en reconnaissant qu’il
était peu probable « que le traitement perde
toute efficacité dès l’atteinte de l’âge scolaire »,
elle maintint que « débattre du financement
de programmes pour des enfants d’âge scolaire
nécessite peut-être des arguments supplémentaires qui n’ont pas été présentés à la Cour,
que ce soit dans les observations ou dans
les preuves déposées » (paragr. 90). La Cour
d’appel ordonna cependant que les conflits
au sujet de la durée du traitement soient tranchés
au cas par cas, suivant un mode approprié
de résolution des différends ou par les tribunaux
inférieurs. Ce faisant, la Cour étendait en principe
les réparations accordées par la juge Allan aux
enfants ayant dépassé la limite d’âge. L’appel
incident eut des retombées positives pour
les quatre enfants inclus dans la poursuite initiale.
En effet, bien que la Cour n’ait pas voulu imposer
une directive générale concernant le TLA ou
la durée du traitement, elle a déclaré que ces enfants
avaient «droit au financement du gouvernement
pour continuer leur traitement particulier […]
jusqu’à ce que, du point de vue médical, on
ne puisse plus raisonnablement espérer que
ce traitement les aide à faire des progrès notables
contre l’autisme » (paragr. 92).
La province a réagi à son échec en Cour
d’appel de deux façons distinctes. Comme
il semblait prévisible, elle a déposé une demande
d’autorisation d’appel à la Cour suprême,
accueillie le 15 mai 2003. Par contre, elle a également
cherché à limiter l’application de la décision
de la Cour d’appel aux quatre enfants identifiés
comme parties à l’instance. Bien sûr, les 23 familles
44 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
qui avaient fait partie de la demande de recours
collectif initiale et qui avaient suivi l’affaire Auton
se sont objectées à la tentative du gouvernement.
Elles ont saisi la Cour suprême de la ColombieBritannique d’un recours pour obtenir les mêmes
réparations que les requérants dans l’affaire
Auton, incluant les dommages-intérêts (Anderson,
2003). Sauf sur cette dernière question, le tribunal
s’est rendu aux arguments des familles et a déclaré
qu’elles avaient droit, elles aussi, au financement
du gouvernement pour poursuivre le TLA sur
recommandation médicale.
La Cour suprême du Canada a entendu
les plaidoiries dans l’affaire Auton, le 9 juin 2004.
L’importance générale de l’affaire transparaît
clairement à travers le nombre d’intervenants
qu’elle a attirés, dix-neuf en tout, dont dix gouvernements (Canada, Nouveau-Brunswick, Manitoba,
Québec, Ontario, Alberta, Saskatchewan,
Terre-Neuve-et-Labrador, Île-du-Prince-Édouard,
Nouvelle-Écosse), huit organismes (l’Association
canadienne pour l’intégration communautaire,
le Conseil des Canadiens avec déficiences, le Fonds
d’action et d’éducation juridiques pour les femmes,
le Réseau d’action des femmes handicapées
du Canada, la Société canadienne de l’autisme,
Families for Effective Autism Treatment of Alberta
Foundation, Friends of Children with Autism
et Families for Early Autism Treatment of Ontario)
et un particulier. Tous les gouvernements s’inquiétaient assurément des répercussions possibles
de l’affaire sur leur capacité à établir des priorités
en matière de financement des soins de santé.
Par contre, tous les intervenants provenant
d’organismes non gouvernementaux souhaitaient
que la Cour maintienne les décisions des tribunaux
inférieurs. Seule surprise, le particulier, une femme
autiste, désirait que la Cour infirme les jugements
antérieurs qui perpétuaient, selon elle, l’idée
stéréotypée que les personnes autistes sont
incapables de mener une existence pleinement
satisfaisante et sont destinées à finir leurs jours
en institution.
Outre la violation des droits à l’égalité,
le groupe Auton voulait que la Cour suprême
reconnaisse l’atteinte portée aux droits garantis
par l’article 7. Il soutenait, dans son mémoire,
que la Colombie-Britannique avait l’entière
responsabilité du financement du TLA pour
les enfants nommés comme parties à l’instance.
Les familles voulaient que la Cour ordonne au
gouvernement de les rembourser depuis le début
du traitement et non uniquement à partir
du premier jugement rendu en leur faveur.
Pour elles, de toute évidence, le véritable enjeu
du procès devant la Cour suprême concernait
moins la politique publique que l’obtention
d’une compensation financière pour les frais
engagés dans la poursuite du traitement. Après
tout, le refus du gouvernement violait les droits
constitutionnels de leur enfant. Ce point de vue
transparaît clairement dans les arguments utilisés
par Christopher Hinkson. L’avocat de FEAT BC
tenta d’attirer l’attention de la Cour sur un exemple
précis d’intransigeance de la part des représentants
gouvernementaux au lieu d’évoquer les grands
enjeux du litige. Hinkson nia qu’il demandait
aux juges de substituer les préférences de la Cour
en matière de politique de santé à celles
de la province. L’unique désir des familles, selon
lui, était que les décisions bureaucratiques
sur le financement des soins de santé soient
claires et non arbitraires. Pour la ColombieBritannique, au contraire, l’affaire concernait
clairement la politique publique. La province
craignait que les jugements des tribunaux
inférieurs ne « dérèglent le processus » de prise
de décision en matière de financement des soins
de santé en créant « une catégorie de services
médicaux garantis par la Constitution» (ColombieBritannique, 2004:paragr. 5). La province soutint
devant la Cour que le choix de refuser, de reporter
ou de limiter les services constituait une décision
polycentrique faisant partie du pouvoir discrétionnaire général du gouvernement.
Analyse
Le succès remporté par FEAT BC dans l’affaire
Auton n’était pas total. Certes, deux tribunaux
provinciaux ont déclaré que la Charte obligeait
le gouvernement à financer le traitement ABA /
ICI contre l’autisme. Ils ont également accordé
des dommages-intérêts aux quatre familles
en cause, de même qu’une compensation financière
à 27 familles pour les frais futurs et déjà engagés
du traitement (de leur choix). Par contre, les deux
tribunaux ont refusé de considérer le TLA
comme le seul traitement efficace contre l’autisme,
ce que le FEAT BC maintenait comme position
officielle. Malgré tout, leurs décisions ont amené
la Colombie-Britannique à transformer un petit
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 45
programme de traitement expérimental en politique
gouvernementale à part entière et ce, alors même
que le gouvernement en appelait de ses échecs
en cour. Encouragées par les décisions des tribunaux inférieurs de la Colombie-Britannique,
d’autres filiales de FEAT, notamment en Ontario,
ont entamé des poursuites visant à assurer
le financement de l’ABA/ICI ailleurs au Canada.
En effet, en 2003-2004, les tribunaux de différentes
provinces ont tranché neuf autres affaires
concernant l’autisme.
De nombreux facteurs expliquent la part
de succès de l’action en justice. Tout d’abord,
les enfants autistes et leurs parents dévoués
constituent des demandeurs bien sympathiques
qui rallient tout le monde à leur cause, d’autant
plus que personne n’a contesté les bienfaits,
chez ces enfants, du traitement en question.
De plus, ce groupe possède au moins deux caractéristiques essentielles au succès des «requérants
à répétition » (« repeat player litigants », selon
l’expression de Mark Galanter) : FEAT BC fait
partie d’un réseau organisationnel cherchant
à assurer l’accès au TLA à l’aide d’actions
politiques et juridiques, et son avocat représente
un spécialiste en litiges touchant à la santé.
Le refus explicite de la province de financer le TLA
explique aussi en partie le succès de la poursuite,
car les tribunaux de la Colombie-Britannique
étaient plusieurs fois intervenus dans la politique
en matière de santé de la province (Manfredi &
Maioni, 2002). Enfin, FEAT BC avait réussi
à construire un argument juridique convaincant
en liant la définition élargie d’un service « médicalement nécessaire » à des principes de nature
légale (l’universalité) et constitutionnelle (égalité).
En présentant la question de l’ABA / ICI sous
cet angle, c’est-à-dire en accord avec le principe
d’accès universel à des services « médicalement
nécessaires », FEAT BC a vaincu les limites
imposées par le raisonnement axé sur les politiques qui guidait en général les provinces dans
le financement des programmes.
La décision de la Cour suprême
L’affaire Auton s’est soldée, le 19 novembre
2004, par la stupéfiante défaite en cour des familles
rassemblées par FEAT BC. Dans une décision
unanime, la Cour suprême du Canada a infirmé
les jugements des tribunaux inférieurs, rejeté
le pourvoi incident des requérants et conclu que
le refus de la Colombie-Britannique de financer
le traitement Lovaas contre l’autisme ne violait
pas l’article 15 de la Charte. Tout en disant
comprendre les demandes des requérants et
les jugements des tribunaux inférieurs, la juge
en chef Beverley McLachlin a pris soin de préciser
que la question dont la Cour était saisie n’était
pas « de savoir quels services devrait offrir
le régime », mais bien de déterminer si « le refus
du gouvernement de la Colombie-Britannique
de supporter financièrement » certains services
équivalait « à un refus injuste et discriminatoire
des avantages conférés par le régime » (Auton,
2004 : paragr. 2).
La décision, rédigée par la juge en chef,
reposait sur quatre arguments principaux.
Tout d’abord, le traitement proposé était à la fois
« controversé » et nouveau (paragr. 5, 11, 60).
Deuxièmement, le gouvernement de la ColombieBritannique subventionnait déjà certains
programmes destinés aux enfants autistes et
à leurs familles (paragr. 7). À ces deux motifs
d’origine factuelle, s’en ajoutaient deux autres
d’origine légale : l’avantage recherché par les
requérants n’était pas prévu par la loi et, même
si c’était le cas, la décision de ne pas financer
ce traitement particulier n’était pas discriminatoire.
En effet, selon la juge, rien ne permettait
de conclure que le régime législatif de soins
de santé « offre effectivement à quiconque tout
traitement médicalement requis » (paragr. 31).
Le régime, poursuivait-elle, prévoit le financement
intégral des services «essentiels», mais la thérapie
ABA / ICI n’entrait pas dans cette catégorie,
que ce soit en vertu de la législation fédérale
ou de la législation provinciale. Se penchant
ensuite sur les allégations de discrimination,
la juge a commencé par rejeter l’idée qu’il fallait
comparer les enfants autistes aux enfants non
handicapés et aux adultes atteints de maladie
mentale (paragr. 49). Cependant, elle a défini
le nouvel élément de comparaison de façon
si étroite qu’il était pratiquement impossible
de conclure à la discrimination. En effet, selon
la Cour, l’élément de comparaison approprié
était « la personne non handicapée ou celle
atteinte d’une autre déficience que la déficience
mentale (en l’occurrence l’autisme) sollicitant
ou obtenant le financement d’une thérapie qui
constitue un service non essentiel important
46 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
pour sa santé actuelle et future, qui est nouvelle
et qui n’est requise médicalement que depuis
peu » (paragr. 55). Du point de vue de la Cour,
il n’y aurait eu discrimination que si la province
avait accepté plus rapidement de financer
un traitement nouveau et non essentiel pour
ce type de personne que pour les enfants
autistes. Or, a soutenu la juge en chef, non seulement
n’y avait-il aucune preuve à cet effet, mais
« vu le caractère nouveau de la thérapie ABA /
ICI, on peut douter que, de par sa conduite,
le gouvernement ait véritablement privé les enfants
autistes d’un avantage ou leur ait réservé un traitement différent » (paragr. 59).
Certes, la Cour suprême a donné raison
à la Colombie-Britannique, mais non sans critiquer
certaines de ses actions. La juge en chef a qualifié
de « malencontreuse » la décision de la province
de transférer du ministère de la Santé au ministère
des Enfants et de la Famille la compétence
en matière de santé mentale des enfants et
des adolescents (paragr. 60). Elle a aussi
soutenu, à l’instar du tribunal de première
instance, que le gouvernement n’avait pas agi
conformément « à la norme de qualité sur
le plan de la méthode scientifique» (Auton, 2000:
paragr. 66, cité dans Auton, 2004 : paragr. 61) 1.
Elle a, malgré tout, affirmé : « Aucun élément
de preuve ne permet de conclure que l’attitude
du gouvernement vis-à-vis de la thérapie ABA /
ICI était différente de celle qu’il avait à l’égard
d’autres thérapies nouvelles comparables destinées
aux personnes non handicapées ou à celles
atteintes d’un type différent de déficience »
(paragr. 62). Par conséquent, s’il y avait eu
manquement de la part du gouvernement, il
ne s’agissait pas d’une violation constitutionnelle.
Chaoulli : la contestation
d’un « monopole » public
Phase d’amorce
En 1993, George Zeliotis, un vendeur à
la retraite, a souffert de nombreux problèmes
de santé dont une dépression et un infarctus.
En 1994, des douleurs récurrentes à la hanche
l’amenèrent à consulter une variété de praticiens.
Son omnipraticien l’envoya voir un orthopédiste,
en 1995. L’homme de 61 ans fut opéré à la hanche
gauche la même année, puis à la hanche droite
environ un an plus tard, en 1997. Tout au long
de l’année 1996, Zeliotis a cherché un moyen
de réduire son temps d’attente pour se rendre
compte que la législation québécoise en matière
de santé ne lui permettait pas d’obtenir sa chirurgie
au privé, que ce soit en souscrivant à une assurance
privée ou en payant directement pour les services
d’un médecin. Administrateurs, politiciens et médias
locaux sont demeurés sourds à ses plaintes.
Malgré l’importance de l’histoire et de l’état
de Zeliotis dans le déclenchement de la poursuite,
le Dr Jacques Chaoulli s’est rapidement imposé
comme le protagoniste principal dans cette affaire,
«montant et pilotant le dossier presque tout seul»
(Pinker, 2000). Chaoulli a étudié en France et
au Québec, où il a obtenu son permis d’exercer
la médecine, en 1986. Déjà à cette époque, tout
nouveau médecin devait travailler en région
éloignée pendant trois ans ou accepter un taux
de remboursement moindre pour ses services.
Le Dr Chaoulli revint à Montréal, après deux
ans seulement. Il se fit rapidement connaître
dans les milieux médicaux en tentant de mettre
sur pied un service privé de soins d’urgence
à domicile desservant la Rive-Sud. Après une série
de démarches infructueuses auprès des représentants gouvernementaux et un refus de la régie
régionale de la santé et des services sociaux
de reconnaître sa pratique, en 1996, le Dr Chaoulli
entama une grève de la faim dans l’espoir
d’attirer l’attention du public. Trois semaines
plus tard, au terme de sa grève, le Dr Chaoulli
décida de se retirer du système de soins de santé
du Québec et de devenir un médecin « non
participant » (Sibbald, 1998).
Au Québec, comme dans les autres provinces,
les médecins peuvent choisir de ne pas participer
au système public et de facturer directement
les patients pour les services rendus. Cependant,
comme le Dr Chaoulli a rapidement pu le constater,
cette option comporte de très importants désavantages. En effet, en vertu de la législation
québécoise sur les soins de santé, le système
public ne rembourse pas les patients pour
des soins prodigués par des médecins non participants. De plus, ces médecins ne peuvent
prodiguer de soins privés au sein d’hôpitaux
financés par l’État (Flood & Archibald, 2001).
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 47
De 1996 à 1998, le Dr Chaoulli a fait pression auprès
des administrateurs québécois et du ministère
fédéral de la Santé pour obtenir la permission
de fonder un hôpital privé. Après un nouvel
échec, le Dr Chaoulli est retourné exercer dans
le système public à titre d’omnipraticien
dans une clinique sans rendez-vous.
Au moment où George Zeliotis était
en attente de sa chirurgie, le Dr Chaoulli n’était
pas encore son médecin. Les deux demandeurs
ont uni leurs efforts pour contester la constitutionnalité de deux dispositions des lois québécoises
sur l’assurance-maladie et sur l’assurancehospitalisation devant la Cour supérieure
du Québec, en 1997. Ils demandèrent d’abord
au tribunal de déclarer invalide l’art. 15 de la Loi
sur l’assurance-maladie du Québec (15 LAM),
qui prohibe les contrats d’assurance privée pour
les services assurés par le régime d’assurancemaladie. Ils réclamèrent également un jugement
déclaratoire contre l’art. 11 de la Loi sur l’assurancehospitalisation du Québec (11 LAH) qui stipule
que « nul ne doit faire ou renouveler un contrat
ou effectuer un paiement en vertu d’un contrat
par lequel […] un service hospitalier compris
dans les services assurés doit être fourni à
un résident ou le coût doit lui en être remboursé»,
interdisant ainsi aux médecins non participants
d’utiliser les hôpitaux financés par l’État pour
fournir des services à leurs clients.
Bien qu’unis par une cause commune,
le Dr Chaoulli et Zeliotis différaient sur le plan
des motifs et de la façon de procéder. Le Dr Chaoulli
a choisi de se représenter lui-même, lors du premier
procès. Il affirma qu’il avait le «devoir» de fournir
ses services et invita plusieurs critiques célèbres
du système public des soins de santé à témoigner
en sa faveur. Par contraste, le but avoué de Zeliotis
était de s’assurer qu’il n’aurait plus à attendre
pour une chirurgie à l’avenir. Son avocat, Philippe
Trudel, travaille pour Trudel & Johnston (Pinker,
1999). Ce cabinet d’avocats de Montréal se spécialise en droit constitutionnel, en protection
du consommateur et en responsabilité médicale;
il fut également associé au célèbre recours collectif
contre l’industrie du tabac, intenté à la fin
des années 1990, par des Québécois devenus
dépendants à la nicotine (Hamelin, 2003).
Phase d’établissement de la responsabilité
L’instruction de la cause Chaoulli c. Québec
débuta, en décembre 1997, et se poursuivit pendant
quatre semaines, devant la juge Ginette Piché
de la Cour supérieure du Québec (Chambre civile).
La poursuite opposait les corequérants Jacques
Chaoulli et George Zeliotis à la procureure
générale du Québec (intimée) et à la procureure
générale du Canada (mise en cause). La question
essentielle se formulait ainsi:est-ce que les délais
d’attente dans le système public et l’interdiction
de souscrire à une police d’assurance privée
portaient atteinte au droit à la vie, à la liberté et
à la sécurité de la personne garanti par la Charte
canadienne des droits et libertés ?
Le Dr Chaoulli, Zeliotis, ses médecins,
un ancien ministre québécois de la Santé et
plusieurs autres médecins et spécialistes
témoignèrent au procès. Le tribunal entendit
également le témoignage de Barry Stein, un
avocat de Montréal dont l’histoire avait fait
les manchettes des journaux. Il avait poursuivi
le gouvernement du Québec avec succès pour
avoir refusé de lui rembourser une chirurgie
subie aux États-Unis, après qu’elle ait été
annulée au Québec.
Dans sa plaidoirie, le Dr Chaoulli mit
l’accent sur la souffrance morale que lui avait
causée une législation «discriminatoire» qui l’empêchait d’exercer sa profession en tant que médecin
«non participant». Il soutint que le «monopole»
du gouvernement québécois en matière de soins
de santé reposait sur une idéologie égalitaire
inspirée du marxisme-léninisme. Il livra un
témoignage si intense que la juge qualifia plus
tard le docteur d’«inlassable». L’avocat de Zeliotis
s’attarda plutôt à démontrer que onze LAH
(utilisation interdite des hôpitaux publics par
les médecins non participants) et quinze LAM
(contrats d’assurance privée prohibés pour
le remboursement de services assurés) violaient
les art. 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité
de la personne) et 15 (égalité) de la Charte
(Chaoulli, 2000 : paragr. 6).
Cinq médecins spécialistes témoignèrent
à ce procès. Dr Eric Lenczner et Dr Côme Fortin
se montrèrent tous deux préoccupés par les délais
d’attente pour les chirurgies orthopédiques ou
48 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
celles de la cataracte. Selon eux, les listes d’attente
ne mettaient pas les patients en danger, mais
pouvaient sérieusement diminuer leur qualité
de vie. Le Dr Abendour Nabid, quant à lui,
soutint qu’il n’y avait pas de délai acceptable
dans le traitement du cancer. Cependant, malgré
toutes leurs frustrations par rapport au système
public de santé québécois, les médecins interrogés
n’appuyaient pas sans réserve le genre de changements proposés par les requérants (paragr. 44-48).
Le témoignage de Barry Stein, quant à lui, fut
contredit par celui de son médecin. En effet,
selon le Dr André Roy, le délai prévu pour
la chirurgie de M. Stein n’excédait pas une semaine
(paragr. 52-55).
Cependant, le témoin le plus impressionnant dans cette affaire fut sans nul doute
Claude Castonguay, considéré comme le « père
de l’assurance-maladie » au Québec. L’ancien
ministre de la Santé déclara qu’il approuvait
toujours l’objectif d’accès égal aux soins de santé
visé par la loi de 1970. Cependant, le manque
de ressources financières et le vieillissement de
la population dans la province exigeaient, selon
lui, le développement de nouveaux partenariats
et de solutions au sein du système de santé.
Il affirma, malgré tout, ne pas préconiser la solution
privilégiée par les requérants en l’instance
(paragr. 58-59).
Le tribunal entendit également les témoignages de plusieurs «spécialistes» qui abordèrent
le système québécois de soins de santé dans une
perspective historique ou comparée. Le Dr Fernand
Turcotte, professeur de médecine à l’Université
Laval, rappela au tribunal l’impulsion historique
derrière le système de soins de santé et la relation
entre l’accès aux soins et le statut socio-économique
(paragr. 72-77). Le Dr Howard Bergman, directeur
du département de gériatrie à l’Hôpital général
juif de Montréal, confirma que les changements
rapides au sein du système public insécurisaient
la population, mais soutint que la privatisation
(et son accent sur les «riches» et les «bien portants»)
n’était pas une panacée (paragr. 78-89). Un chirurgien de la Colombie-Britannique, le Dr Charles
J. Wright, apporta quelques commentaires
sur l’efficacité administrative du système à payeur
unique du Canada. Jean-Louis Denis, professeur
en organisation des systèmes de santé à
l’Université de Montréal, souligna, quant à lui,
que le rationnement était présent dans tous les
systèmes de santé, qu’il repose sur le besoin,
comme au Québec, ou sur la capacité de payer,
comme aux États-Unis (paragr. 90-101). À la
question de savoir quels étaient les effets potentiels
d’un système parallèle de soins de santé privé
au Canada, Theodore Marmor, un professeur
de politique publique à Yale, répondit qu’il fallait
craindre, parmi les « effets secondaires indésirables», la réduction du soutien accordé au système
public et l’augmentation du prix des soins et
des frais d’administration (paragr. 102-115).
Le dernier expert-témoin était le Dr Edwin Coffey.
Cet obstétricien-gynécologue à la retraite était
associé de recherche à l’Institut économique
de Montréal, un centre d’études conservateur
en faveur de la privatisation des soins de santé
au Canada (Coffey & Chaoulli, 2001). Au cours
de son long témoignage, le Dr Coffey déplora les
«mythes alimentés par l’idéologie et la politique»
dans le système de soins de santé (Chaoulli, 2000,
paragr. 116-120).
La juge Piché rendit sa décision, le 25 février
2000. À la différence de la juge Allan, qui avait
exprimé de la sympathie à l’endroit des requérants
dans l’affaire Auton, la juge Piché critiqua sévèrement le Dr Chaoulli et George Zeliotis. Elle
commença l’exposé de ses motifs en affirmant :
«Disons-le d’emblée:à la lumière du témoignage
de M. Zéliotis et de l’examen de son dossier
médical, il est apparu que M. Zéliotis n’a pas
véritablement subi tous les malheurs et les délais
qu’il allègue dans sa requête » (paragr. 19). Elle
remit également en question les motivations
du Dr Chaoulli, souligna la présence de contradictions dans son témoignage et lui reprocha
d’avoir utilisé le tribunal pour mener sa «croisade
» personnelle contre le système de santé québécois
(paragr. 42-43). Enfin, tout en soulignant l’obligation
du tribunal de considérer les points de vue
de tous les experts-témoins, elle conclut que
le Dr Coffey faisait pratiquement «cavalier seul»
dans sa critique du système de santé québécois
(paragr. 119).
Dans son analyse juridique, la juge Piché
s’est demandé si les interdictions touchant aux
régimes d’assurance et aux soins de santé privés
dans les lois visées par la poursuite constituaient
des dispositions de nature criminelle et donc
hors de la compétence provinciale. Elle a plutôt
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 49
conclu que ces articles avaient pour but d’assurer
le bon fonctionnement du système et non d’interdire des actions répréhensibles. Ils relevaient
donc bel et bien de la compétence provinciale
(paragr. 122-183). Elle rejeta également l’idée
que ces lois violaient les droits à l’égalité garantis
par la Charte. Elle rappela aux requérants que
la Cour suprême du Canada avait pris soin
d’interpréter la Charte de façon à ce qu’on ne puisse
pas l’utiliser pour attaquer des lois qui servaient
le bien collectif (paragr. 314).
Cependant, ce sont les allégations concernant
le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité
de la personne garanti par l’art. 7 de la Charte
qui ont occupé la place centrale dans l’analyse
de la juge Piché (pour un compte rendu, voir
Jackman, 2005 [à paraître]). Son examen de la jurisprudence de la Cour suprême l’amena à conclure
que l’accès aux soins de santé constituait effectivement un droit, car « s’il n’y a pas d’accès possible
au système de la santé, c’est illusoire de croire
que les droits à la vie et à la sécurité sont respectés»
(paragr. 223). Elle précisa, par contre, qu’il
n’existait pas de droit constitutionnel de choisir
la « provenance » de ces soins (paragr. 227).
En réponse à la question de savoir si la prohibition
actuelle de l’assurance privée violait ces mêmes
droits, elle répondit que l’interdiction pouvait
effectivement ralentir l’accès aux soins, mais
ne menaçait la vie, la liberté et la sécurité
de la personne que si le système public ne pouvait
garantir l’accès à des soins similaires. La juge
prit bien soin de souligner que la prohibition,
bien que réelle et pouvant constituer une «menace»,
était conforme aux principes de justice fondamentale et n’allait conséquemment pas à l’encontre
de l’art. 7 de la Charte (paragr. 310). Elle appuya
son raisonnement sur l’art. 1 de la Charte qui
garantit que les droits et libertés ne peuvent être
restreints « que par une règle de droit, dans
des limites qui soient raisonnables et dont
la justification puisse se démontrer dans le cadre
d’une société libre et démocratique ».
Le recours au principe de justice fondamental était essentiel pour affirmer que l’atteinte
aux droits individuels visait à protéger les droits
du reste de la population (Greschner, 2002 : 12).
En fait, la juge Piché a reconnu que les lois
québécoises sur la santé portaient effectivement
atteinte aux droits économiques, mais que le fait
d’«empêcher la discrimination fondée sur la capacité de payer d’une personne ne viole pas les valeurs
de la Charte » (Pinker, 2000 : 1348). La juge fit
de nombreuses références au témoignage
de l’expert qui comparait les systèmes privés
et publics de soins de santé sur le plan de l’efficacité et de l’accès. Elle cita également longuement
le professeur Marmor quant aux effets négatifs
d’un système privé parallèle sur la viabilité
du système public (Jackman, 2002 : 6).
La juge Piché conclut son analyse sur une
note remarquable. Elle commença par affirmer
que le système québécois de soins de santé reposait
sur de bons principes, mais que certains changements s’imposaient. Toutefois, précisa-t-elle,
c’était là une question politique et non juridique.
La juge a ainsi démontré qu’elle comprenait
parfaitement les implications politiques du litige.
La réforme du système de santé, affirma-t-elle,
découlait de la responsabilité des législateurs
et non des juges : « le Tribunal constate que
ce n’est pas du côté juridique que se trouvent
les solutions aux problèmes du système de santé»
(Chaoulli, 2000 : paragr. 315).
En dépit de ces mises en garde, le jugement
fut interprété comme une apologie des limites
imposées à l’assurance privée par les lois québécoises sur la santé. La décision reconnaissait
clairement le droit de recevoir des soins, mais
apportait d’importantes nuances à celui de fournir
des services privés. Les requérants étaient
néanmoins convaincus qu’en perdant la bataille,
ils « avaient une chance de gagner la guerre »
(Pinker, 2002 : 1348), car la juge avait reconnu
la possibilité d’une violation de l’art. 7.
La Cour d’appel du Québec instruisit
l’appel de Chaoulli et Zeliotis, le 27 novembre
2001, à Montréal. Chaoulli était l’appelant
en l’instance et se représentait lui-même contre
le procureur général du Québec (intimé) et
le procureur général du Canada (mis en cause).
Chaoulli modifia légèrement sa stratégie pour
l’occasion. Il soutint que les restrictions « excessives » sur l’assurance et la prestation de soins
privés prévues par les lois québécoises sur la santé
pouvaient être atténuées en s’inspirant de certains
pays d’Europe. L’idée était de montrer que
les systèmes privés parallèles ne mettaient pas
nécessairement le système public en danger,
50 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
au contraire de ce qu’avaient soutenu certains
experts, lors du premier procès, en se basant sur
l’expérience américaine.
La Cour d’appel rendit sa décision, le 22 avril
2002. Les trois juges, Jacques Delisle, André Forget
et André Brossard, se demandèrent à leur tour
si les articles des lois québécoises sur la santé (1)
excédaient la compétence de la province, (2)
portaient atteinte aux droits à l’égalité garantis
par l’art. 15 de la Charte et (3) portaient atteinte
au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité
des personnes protégé par l’art. 7 de la Charte.
Les trois juges maintinrent la décision de la juge
Piché. Le juge Delisle apporta une importante
contribution en revenant sur le droit d’accéder
aux soins de santé. Il soutint que le droit de conclure
un contrat défendu par les lois québécoises
est un droit économique « qui n’est pas fondamental à la vie de la personne ». En outre,
poursuivait le juge, pour invoquer une violation
de l’art.7, il fallait prouver que le droit garanti
par cet article était la cible d’une atteinte réelle
ou potentielle et imminente. Or, cette démonstration n’avait pas été faite (Chaoulli, 2002 :
paragr. 23-29). Le juge Delisle cita également
un arrêt de la Cour suprême pour rappeler
aux appelants que la Charte ne pouvait servir
à « remettre judiciairement en cause la justesse
d’un choix de société» (paragr. 30). Autrement dit,
comme l’avait souligné la juge Piché, il ne fallait
pas demander aux tribunaux d’empiéter trop
largement sur le terrain du législateur. Le juge
Forget était d’accord avec la juge Piché sur
la conformité de l’atteinte avec les principes
de justice fondamentale et le juge Brossard approuvait la distinction établie par le juge Delisle entre
droit économique et droit fondamental.
Après la décision de la Cour d’appel,
le Dr Chaoulli se tourna immédiatement vers
la Cour suprême du Canada, son but avoué,
depuis le début de la poursuite (Sibbald, 1998).
Il appuya sa demande d’autorisation d’appel
sur l’arrêt Morgentaler (1988), dans lequel la Cour
avait déclaré la loi fédérale sur l’avortement
inconstitutionnelle en vertu de la Charte. Les juges
avaient conclu que les délais administratifs pour
obtenir la permission de subir un avortement
thérapeutique portaient atteinte à l’intégrité
physique et psychologique de la femme et violaient
donc son droit à la sécurité de sa personne garanti
par l’art. 7 de la Charte. George Zeliotis se joignit
une fois de plus à la poursuite, de pair avec ses
avocats Trudel et Johnston, offrant leurs services
bénévolement pour cette affaire susceptible
de retenir l’attention du public (Gagnon, 2003).
La Cour suprême accueillit l’appel, en mai
2003. À la fin de l’année, douze questions constitutionnelles différentes avaient été formulées
à partir de trois interrogations générales:(1) est-ce
que quinze LAM et onze LAH excédaient
les compétences provinciales en vertu de l’Acte
constitutionnel ? (2) est-ce que ces dispositions
portaient atteinte aux droits garantis par les art. 7
(vie, liberté, sécurité) et 15 (égalité) de la Charte
et si oui, est-ce que cette atteinte pouvait se justifier
conformément à l’art. 1 de la Charte ? À ces
anciennes interrogations s’en ajoutait une nouvelle,
reflétant directement les préoccupations du
Dr Chaoulli : est-ce que les prohibitions de la loi
québécoise sur l’assurance-hospitalisation violaient
l’art. 12 de la Charte en imposant aux médecins
non participants un «traitement cruel et inusité»?
L’affaire prenait maintenant une ampleur
et une importance considérables. La « croisade
personnelle» du Dr Chaoulli s’était transformée,
au fil des années, en une remise en question fondamentale des interdictions pesant sur les soins
de santé privés, au Canada. Cinq nouvelles
provinces (Ontario, Manitoba, ColombieBritannique, Nouveau-Brunswick et Saskatchewan)
s’étaient ajoutées au nombre des intervenants,
trahissant ainsi l’importance de l’affaire pour
les gouvernements provinciaux, car leurs lois
et systèmes de santé seraient également touchés
par la décision de la Cour. Un nombre substantiel
d’autres intervenants ne provenaient pas des
gouvernements. Parmi eux, certains groupes
d’intérêts, soit le Congrès du travail du Canada
(le plus grand regroupement syndical du Canada)
et la Coalition canadienne de la santé, représentaient
des syndicats, des regroupements de consommateurs et des professionnels de la santé. Ils avaient
à cœur de défendre le système public et de maintenir les restrictions sur l’assurance privée.
Les intervenants en faveur de Chaoulli et
Zeliotis représentaient surtout différentes cliniques
et entreprises privées ayant un intérêt économique direct dans l’affaire. Fait à noter, tous ces
participants provenaient de l’extérieur du Québec.
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 51
Une importante coalition était menée par le Cambie
Surgery Center de Vancouver, une clinique
privée qui offrait, depuis 1996, différents types
de chirurgie aux membres de groupes non assujettis à la législation de la province, en matière
de santé (le Workmen’s Compensation Board,
par exemple). Cette coalition représentait également neuf patients et médecins qui dénonçaient
leur incapacité à recevoir ou à fournir des soins
pourtant inaccessibles dans le cadre du système
de santé public. L’Association médicale canadienne,
l’Association canadienne d’orthopédie et la British
Columbia Anesthesiologists Society figuraient
également au nombre des intervenants, mais
préconisaient un point de vue modéré:en faveur
du système public, elles dénonçaient cependant
les obstacles à la prestation des soins (Newfoundland and Labrador Medical Association, 2004).
C’est également la position que privilégia
un groupe de dix sénateurs qui demanda et
obtint le statut d’intervenant, à la surprise
générale. En 2002, on avait rendu publics
les résultats de deux études approfondies sur
l’état du système de soins de santé. Le premier
de ces rapports, réalisé par la Commission
sur l’avenir des soins de santé au Canada (ou
Commission Romanow, du nom de son président,
ex-premier ministre social-démocrate de la Saskatchewan) défendait ardemment le système de santé
public contre la privatisation. De nombreux
groupes d’intérêts publics avaient chaudement
accueilli ses recommandations. Le deuxième
était l’œuvre du Comité sénatorial permanent
des Affaires sociales, des sciences et de la technologie (ou comité Kirby, du nom de son président,
le sénateur conservateur Michael Kirby). Tout
en vantant les mérites du système de santé public,
ce rapport en six volumes soulignait les avantages
potentiels d’une meilleure intégration des intérêts
publics et privés dans la prestation des soins
de santé. Le comité recommandait, entre autres,
la mise en place d’une «garantie de soins de santé»,
idée qui fut réitérée, lors de l’audience à la Cour
suprême. Cette garantie prévoyait l’établissement
d’un délai d’attente maximum pour chaque
type d’intervention ou de traitement. Une fois
ce délai expiré, le gouvernement provincial
aurait l’obligation de financer l’intervention ailleurs
au Canada ou même à l’étranger.
Le 8 juin 2004, les appelants plaidèrent
leur cause devant sept juges au lieu de neuf.
En effet, Louise Arbour et Frank Iacobucci
avaient déjà signifié leur intention de quitter
la Cour suprême et ne participèrent donc pas
aux délibérations (voir les comptes rendus
de Bueckert, 2004 et Borselino, 2004). Une certaine
agitation régnait à l’extérieur de la Cour, où
des groupes en faveur du système public s’étaient
rassemblés. Les quatre heures d’audience
commencèrent par une série de questions
adressées au Dr Chaoulli. Les juges Michel
Bastarache et Marie Deschamps interrogèrent
l’appelant sur les conséquences « socialement
indésirables » d’un système privé parallèle
sur l’accès aux soins de santé en général. Le Dr
Chaoulli construisit son argumentation autour
de l’idée que les « lacunes » du système de santé
public étaient une source de « discorde » entre
les gouvernements fédéral et provinciaux. Il
évoqua l’exemple de pays comme l’Australie et
la Suède qui permettaient, selon lui, l’existence
d’un système de soins privé parallèle. Il cita
également Hayek en soutenant que la liberté
de conclure un contrat constitue un droit protégé
par l’art. 7 de la Charte.
Philippe Trudel, l’avocat de Zeliotis, posa
deux questions aux juges : devrait-on permettre
aux Canadiens de payer eux-mêmes pour les soins
dont ils ont besoin, si le système public ne peut
leur en garantir l’accès en temps opportun, faute
de ressources et est-ce que l’État a le droit de le leur
interdire ? Le juge Binnie interrogea l’avocat
sur la nature « grossièrement disproportionnée »
des moyens actuels pour protéger le système
public, mais Trudel se montra convaincu que
la Cour avait la responsabilité de protéger
la personne et non l’intégrité du système de santé
public. Bruce Johnston, qui représentait également
l’appelant, soutint que le système de soins
de santé avait besoin d’argent neuf et qu’on devait
permettre aux individus de fournir cet argent,
même si le gouvernement n’était pas prêt à le faire.
Les observations soumises au nom
de Cambie Surgery Center appuyaient le point
de vue de Zeliotis. L’avocat de la coalition
affirma que l’état du système de soins de santé
était « désespéré », mais qu’on pouvait aisément
résoudre le problème des listes d’attente en
instaurant un système parallèle de soins de santé
52 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
privé rapidement et facilement utilisable. Earl
Cherniak, qui représentait le comité Kirby,
se montra plus modéré dans ses propos. Il
reconnut que le système était dans une situation
désastreuse, mais soutint que les gouvernements étaient constitutionnellement obligés
de fournir les services nécessaires à leurs résidants.
La meilleure façon d’y arriver, selon lui, était d’offrir
une « garantie de soins de santé » appliquée par
le gouvernement fédéral.
L’Association médicale canadienne (AMC)
partageait ce point de vue sur l’accès aux soins
en temps opportun. Elle rappela vivement à
la Cour que les médecins avaient le devoir
de « défendre la vie, toute vie » et affirma, à son
tour, que les gouvernements devaient garantir
l’accès aux soins en temps opportun ou arrêter
d’affirmer qu’ils respectaient cette exigence.
Guy Pratte, l’avocat de l’AMC, demanda à la Cour
d’accorder des réparations de type Eldridge,
c’est-à-dire de forcer les gouvernements à adapter
leur législation, de façon à respecter des garanties
de soins de santé, mais en suspendant toute
déclaration d’inconstitutionnalité pour permettre
aux législateurs d’explorer leurs options.
Les juges firent preuve de persistance mais
aussi de prudence, dans leurs questions. Ils étaient
clairement au courant des implications de l’affaire.
Quatre d’entre eux se montrèrent particulièrement
sévères avec les représentants du gouvernement
qui leur recommandèrent tous de ne pas intervenir
sur ces questions politiques. Le gouvernement
du Québec ne réussit guère à convaincre les juges
Bastarache et Lebel que l’histoire de Zeliotis
constituait un cas isolé et que les délais étaient
souvent dus aux décisions des patients eux-mêmes
et non à des failles du système. Le juge John Major
cuisina Jean-Marc Aubry sur la conviction
du gouvernement fédéral que la possibilité
d’accéder à des services privés nuirait au système
public. Enfin, le juge Binnie se montra exaspéré
par la conclusion du gouvernement de l’Ontario
qu’il fallait limiter les services pour contrôler
les coûts et qu’un système de santé à deux vitesses
ne réglerait pas le problème des listes d’attente.
Dans ses observations présentées au nom de
la Coalition canadienne de la santé, Martha
Jackman, une chercheuse reconnue pour
ses analyses du système de santé et de la Charte,
rappela à la Cour la distinction entre soins privés
(déjà disponibles) et assurance privée (prohibée
par la législation du Québec et d’autres provinces).
Analyse
Si on exclut la conclusion de certains juges
que les délais d’attente excessifs violent les droits
garantis par l’art. 7 de la Charte, l’affaire a subi
un échec presque complet devant les tribunaux
inférieurs du Québec. Au total, quatre juges ont
rejeté les arguments des requérants. Monsieur
Zeliotis n’est toujours pas assuré d’un accès
rapide aux soins dont il pourrait avoir besoin
à l’avenir et le Dr Chaoulli est toujours tenu
d’exercer la médecine dans le cadre d’un système
de santé qui restreint la prestation des services
privés.
D’un point de vue général, par contre,
l’action en justice a eu un succès retentissant.
Entre 1997 et 2005, elle a pris une ampleur et une
importance considérables. La « croisade personnelle » du Dr Chaoulli contre la législation
québécoise en matière de santé s’est en effet
transformée en débat fondamental sur la légalité
des interdictions relatives aux soins de santé
privés au Canada. En poursuivant sa route vers
la Cour suprême, le Dr Chaoulli a stimulé
l’émergence sur la place publique d’une multiplicité
de façons d’envisager l’avenir du système de santé
canadien.
L’affaire Chaoulli est susceptible de produire
des effets beaucoup plus importants et immédiats
sur le système de santé canadien que l’affaire
Auton. Dans leur poursuite contre le gouvernement,
les enfants autistes et leurs parents ont demandé
à la Cour d’élargir la gamme des services assurés
par le régime actuel. Leur exemple incitera peut-être
d’autres groupes d’intérêts particuliers à recourir
aux tribunaux pour obtenir réparations et dédommagement. Dans l’affaire Chaoulli, par contre, on
a demandé à la Cour de déclarer inconstitutionnels
les principes à la base même du système de santé
à payeur unique, dans les provinces. Une décision
favorable aux appelants dans l’affaire Chaoulli
ou une solution du type Eldridge affecterait
l’ensemble des lois canadiennes sur la santé et
imposerait, à toutes fins utiles, d’importantes
modifications aux systèmes provinciaux qui
prohibent l’assurance privée.
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 53
L’affaire Chaoulli a été présentée dans
les médias comme « le procès de l’assurancemaladie » et pourtant, elle s’est déroulée en
grande partie hors des projecteurs. Au cours
de la dernière décennie, les Canadiens, leurs
dirigeants politiques et les médias ont exprimé
une préoccupation croissante à l’égard de la «crise»
du système de santé et toute une série de rapports
ont scruté le passé, le présent et l’avenir de
ce système. Malgré tout cet intérêt, le rôle
des tribunaux dans le domaine de la santé est
plutôt resté dans l’ombre. Avant d’arriver en Cour
suprême, l’affaire Chaoulli n’était guère connue
à l’extérieur du Québec ou de certains milieux
médicaux précis.
Jusqu’au moment où la Cour suprême
a rendu sa décision, chaque partie dans le débat
sur la réforme des soins de santé trouvait une raison
d’espérer. Le passage en Cour suprême d’une
affaire détenant le potentiel d’élargir la place
du secteur privé dans le domaine de la santé
encourage les opposants au «monopole» public.
Les modérés, quant à eux, jugent que le litige
somme les gouvernements de s’attaquer au sousfinancement des services de santé dans le système
public. Enfin, les farouches partisans du statu quo
sont soulagés de constater que le «droit» constitutionnel d’accéder aux soins de santé se développe
en conformité avec les principes de justice fondamentaux. Malgré les réserves de certains
juges, les tribunaux contribuent de plus en plus
au façonnement des politiques. Le jugement initial
de la juge Piché, qui sous-entendait l’existence
d’un droit aux soins de santé sans préciser
qui avait le droit de les fournir, constituait un pas
important dans cette direction.
La décision de la Cour suprême
La Cour suprême a également infirmé
les décisions des tribunaux inférieurs dans l’affaire
Chaoulli, mais cette fois-ci avec des conséquences
fort différentes. L’arrêt rendu, le 9 juin 2005,
révèle des dissensions entre les sept juges, qui
ont rédigé trois ensembles de motifs distincts.
Selon la juge Marie Deschamps, les longs délais
d’attente associés à certaines chirurgies portaient
atteinte au droit à la vie et à l’intégrité de la personne garanti par la Charte des droits et libertés
de la personne du Québec. Comme cette atteinte
ne pouvait être justifiée au regard de l’art. 9.1
du même document 2, la prohibition de l’assurance
privée prévue par la législation québécoise
en matière de santé était incompatible avec
la Charte québécoise. Selon les juges McLachlin,
Major et Bastarache, par contre, la prohibition
était aussi invalide en vertu de l’art. 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés. En effet, a expliqué
la juge en chef, « [l]’accès à une liste d’attente
n’est pas l’accès à des soins de santé ». Par
conséquent, « dans le cas où l’omission du gouvernement d’assurer un accès raisonnable à
des soins de santé entraîne un accroissement
des risques de complications et de mortalité,
l’interdiction de souscrire à une assurancemaladie qui permettrait aux Canadiens ordinaires
d’obtenir des soins de santé porte atteinte à
la vie et à la sécurité de la personne que protège
l’art. 7 de la Charte [canadienne]» (Chaoulli, 2005:
paragr. 123-124).
Les juges dissidents, à l’instar de la juge
Piché de la Cour supérieure, étaient incapables
d’accepter que le débat soulevé par l’affaire
Chaoulli « soit tranché par la voie judiciaire,
comme s’il s’agissait d’un simple problème
de droit » (paragr. 161). Selon eux, il n’existait
aucune « norme constitutionnelle fonctionnelle »
permettant de définir précisément ce qu’on
entendait par « services de santé « raisonnables »
(paragr. 163). Même si c’était le cas, poursuivaient
les juges Binnie et Lebel (en accord avec le juge
Fish), il n’y avait aucune raison factuelle
ou juridique d’infirmer les jugements des tribunaux inférieurs. Sur le plan des faits, les juges
dissidents acceptaient la conclusion de la Cour
d’appel selon laquelle « un système de santé
à deux vitesses aurait probablement une incidence
négative sur l’intégrité, le bon fonctionnement
et la viabilité du système public » (paragr. 181).
Sur le plan juridique, tout en reconnaissant que
le domaine d’application de l’art. 7 de la Charte
canadienne s’était élargi, les trois juges dissidents
précisèrent que « [l]a présente contestation ne
découle pas d’un contexte juridictionnel
ni d’une situation rattachée à l’administration
de la justice» (paragr. 195). Aussi, selon eux, même
une interprétation large de l’art. 7 ne permettait
pas d’établir la présence d’une violation.
En définitive, la décision rendue à quatre
contre trois a eu pour résultat d’invalider la prohibition québécoise de l’assurance privée. Toutefois,
54 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
comme la majorité des juges n’ont pas fondé
leur décision sur la Charte canadienne, l’arrêt
n’aura pas de répercussions légales immédiates
à l’extérieur du Québec. Le 28 juin 2005, le gouvernement québécois a, quant à lui, demandé
à la Cour de suspendre la déclaration d’invalidité
pour 18 mois, le temps de réfléchir aux répercussions éventuelles de la décision et aux solutions
appropriées.
l’affaire Chaoulli semblaient motivés surtout par
des intérêts pécuniaires et la solution désirée
menaçait l’accès général aux soins de santé.
Par conséquent, le principal objectif de l’action
en justice, soit de briser le « monopole » public
sur la majorité des services de santé, n’a pas été
atteint. Cependant, il est possible que ce litige
contribue à briser l’impasse apparente dans laquelle
se trouvent les discussions sur les principes
fondamentaux de la politique en matière de santé.
Conclusion
Les affaires Auton et Chaoulli ont également
contribué au vigoureux débat sur le rôle des
tribunaux canadiens dans l’élaboration des politiques. Une grande partie de la discussion,
lors des plaidoiries à la Cour suprême, portait
sur la sagesse d’utiliser la Charte pour imposer
des contraintes uniformes à l’élaboration des
politiques en santé, un domaine complexe,
regroupant une multitude d’intervenants,
marqué par la transformation constante et
l’incertitude des prédictions. Seule certitude,
les décisions tant attendues et quoique rendues
dans une certaine controverse, par la Cour
suprême, démontrent qu’elle est prête à exercer
un rôle important dans le futur des systèmes
de santé au Canada. ❏
Cet article s’est ouvert sur une question :
est-ce que le recours aux tribunaux est efficace
pour changer les politiques gouvernementales ?
L’examen des affaires Auton et Chaoulli révèle
au minimum l’existence de l’idée que les droits
constitutionnels peuvent être invoqués pour
provoquer des changements dans les politiques
en matière de santé, que ce soit en invalidant
certaines décisions politiques ou en remettant
en question la nature même de la prestation des
soins. Cette croyance trouve, en grande partie,
son origine dans l’arrêt de 1988 de la Cour
suprême sur l’avortement, une décision qui
a considérablement facilité l’accès à un acte médical
particulier. Depuis, la tendance à recourir aux
tribunaux s’est grandement accentuée, soulevant
au passage des questions sur l’origine et les conséquences de ce genre de recours, de même que
sur le pouvoir des tribunaux d’intervenir
hors de leurs champs traditionnels d’expertise.
Les présentes études de cas nous ont permis
d’explorer quelque peu ces questions, à défaut
d’y répondre.
Dans les deux cas examinés, les requérants
avaient à la fois les ressources et le temps nécessaires pour transformer une action en justice
en un moyen potentiellement efficace d’obtenir
les changements politiques désirés. Les requérants
dans l’affaire Auton, cependant, bénéficiaient
d’un avantage : non seulement attiraient-ils
la sympathie, mais leur démarche pour accroître
la portée d’un service public n’affectait pas
nécessairement le reste de la population.
Jusqu’ici, la poursuite s’est soldée par des victoires
au tribunal et depuis le début de la campagne
juridique, l’accès au TLA financé par l’État s’est
amélioré. Par contraste, les requérants dans
Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle des tribunaux dans l’élaboration des politiques en matière de santé 55
Notes
1 –Il est à noter que le tribunal de première instance
a porté le même jugement sur la première étude
de Lovaas, car les enfants n’avaient pas été répartis
entre le groupe témoin et le groupe expérimental
de façon aléatoire (Auton, 2000 : paragr. 38).
2 –L’article 1 de la Charte québécoise stipule que
« [t]out être humain a droit à la vie, ainsi qu’à
la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.
Il possède également la personnalité juridique. »
L’article 9.1 se lit comme suit:«Les libertés et les droits
fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs
démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général
des citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard,
en fixer la portée et en aménager l’exercice.» La Charte
québécoise est une loi à valeur quasi constitutionnelle.
56 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi
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Abstract
Our article addresses the impact of the judicial process on public financing of health care in Canada.
We will analyze recent court cases in order to examine certain general issues regarding the impact
of the process of judicial revision, based on the rights of the person, on the development of health care
policy. Our analysis focuses on the motivations of petitioners, the formulation of strategies and tactics
deployed in the judicial process, and the repercussions of this on laws and policies. We will then
present some preliminary conclusions on the relevance of these case studies on the debate
on the recourse to courts as catalysts of policy change.
Biographies
Antonia Maioni, Ph. D, est la directrice de l’Institut d’études canadiennes de McGill. Boursière William Dawson
à McGill et professeur auxiliaire à l’Université de Montréal. Montréalaise multilingue, Antonia Maioni a fait ses
études à l’Université Laval avant d’obtenir une maîtrise à la Norman Paterson School of International Affairs
à Carleton et un doctorat à l’Université Northwestern. Elle a occupé des postes de professeur invité à Harvard
et à l’Université Duke aux États-Unis et à l’Institut universitaire européen en Italie. Elle étudie actuellement
la réforme politique et l’avenir du modèle des soins de santé canadien, moyennant des subventions du Conseil
de recherche en sciences humaines du Canada et des Instituts de recherche en santé du Canada. Madame Maioni
a publié de nombreux écrits dans le domaine de la politique comparée, en particulier sur la politique de santé.
Elle est l’auteur de Parting at the Crossroads : The Emergence of Health Insurance in the United States and Canada
(Princeton University Press, 1998) et a écrit sur plusieurs sujets connexes comme la réforme des soins de santé,
le fédéralisme et l’élaboration des politiques sociales, et l’État providence au Canada.
Christopher P. Manfredi est professeur titulaire en Science politique à l’Université McGill. Il est l’auteur de Feminist
Activism in the Supreme Court (UBC Press, 2004), Judicial Power and the Charter : Canada and the Paradox of Liberal
Constitutionalism (2d ed., Oxford University Press, 2000), et The Supreme Court and Juvenile Justice (University Press
of Kansas, 1997). Sa recherche en études constitutionnelles a été publiée dans Journal of Health Politics, Policy and
Law; World Politics; Law&Society Review; The Review of Politics; Osgoode Hall Law Journal; Revue canadienne de science
politique ; Canadian Public Administration ; American Journal of Comparative Law ; et Revue canadienne de droit et société.