29 octobre 2016, 24heures, Benoît Delépine
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29 octobre 2016, 24heures, Benoît Delépine
36 24 heures | Samedi-dimanche 29-30 octobre 2016 La rencontre Benoît Delépine Il dénonce et crée un monde parallèle Le célèbre Michael Kael de l’émission «Groland» est à Vevey pour l’International Funny Film Festival (VIFFF). Une forme de pèlerinage Stéphanie Arboit Texte Chantal Dervey Photos P rêt à boxer le dalaï-lama ou à se présenter ivre devant la caméra, le reporter Michael Kael de l’émission Groland est un pleutre qui semble n’avoir de respect ni pour son métier ni pour ses congénères. Tout autre est celui qui l’incarne, Benoît Delépine, yeux bleus et barbichette de D’Artagnan. Toujours prêt à rire, chaleureux, il a le tutoiement facile du véritable humaniste, proche de ses frères qu’il dévoile dans toute leur trivialité aussi bien dans ses sketchs que ses films. Ces derniers, coréalisés avec son inséparable comparse Gustave Kervern, sont devenus cultes, à l’image de Mammuth, avec Gérard Depardieu, projeté aujourd’hui à Vevey. Dans votre minisérie Don Quichotte de la révolution (2003), vous avez décapité un Ronald McDonald. Cela vous a-t-il posé des problèmes? Non. On avait aussi envoyé un carton à Libé avec cette tête maculée de ketchup accompagnée de revendications, s’ils voulaient qu’on libère le clown. Ils avaient écrit un entrefilet dans le journal, disant qu’ils étaient écœurés et que c’était honteux. Ils vont être sur le cul d’apprendre que c’était nous! Nous étions alors très engagés aux côtés de José Bové. Sur son idée, on avait lancé l’opération «Tartapulte»: on voulait envoyer une tarte géante contre l’immeuble où devaient se réunir tous les grands patrons européens. On a fait des essais contre une usine vide, où j’avais fait des stages étant jeune – je me vengeais au passage. Mais nos complices entartistes ont été embastillés avant même qu’on amène la Tartapulte. Un flop. Mais on l’a utilisée plusieurs fois à Angoulême: les défunts dessinateurs de Charlie Hebdo faisaient des caricatures des 3 salauds de l’année et on les entartait avec la Tartapulte. Artistiquement, cela me plaisait: j’ai toujours été inspiré par Don Quichotte, antihéros à l’assaut de choses qui le dépassent. C’est tellement beau, poétique et dingue! VC6 Contrôle qualité Biographie 1958 Naît le 30 août à Saint-Quentin. 1983 Rencontre sa femme, Nadia, qui partage toujours sa vie. 1984 Naissance de leur fille Zoé. 1987 Entrée à Canal+, avec Spiky TV, un programme court déjà avec Christophe Salengro (futur président de Groland). 1988 Les Arènes de l’info, sur Canal. 1990 Il cocrée Les Guignols de l’info. 1993 Il lance Groland, qu’il coécrit et où il incarne le reporter Michael Kael. Naissance de Félix. 1996 Il quitte les Guignols. «On est content de ne plus rêver en marionnettes!» 1998 Naissance de Lili. Le film Michael Kael contre la World News Company est un échec commercial. «J’avais tout misé là-dessus. Je suis allé me réfugier chez l’entarteur Noël Godin!» 2000 Il rencontre Gustave Kervern, à Cannes. Gustave avait plongé dans un verre de pastis géant, dont il n’arrivait plus à sortir. Benoît Delépine le sauvera. 2003 Tournage de Aaltra, «en pleine canicule. Une expérience artistique et artisanale qui m’a permis de digérer l’échec de 1998». 2008 Louise Michel, avec Yolande Moreau. 2010 Mammuth, avec Gérard Depardieu. 2016 Saint-Amour, avec Depardieu et Benoît Poelvoorde. Don Quichotte se bat contre des moulins à vent. Et vous? Dévoiler le système et ses effets pervers a des effets politiques. C’est notre seul levier d’action en tant qu’humoristes. L’histoire a montré que les révolutions où l’on casse tout ne mènent pas à grandchose. Il faut que les changements viennent par le haut, sans brutalité ni inhumanité. Je viens de lire un livre génial: Sapiens, une brève histoire de l’humanité, de Yuval Noah Harari. Il montre que ce qui nous différencie du singe est notre capacité à construire des univers mentaux (entreprises, religions, films, etc. D’immenses châteaux de cartes, qui finissent par devenir des réalités si suffisamment de gens y adhèrent (par exemple, rouler à droite). Certains univers mentaux ont à un moment de l’histoire remporté la mise et se sont cristallisés dans des réalités. Malgré cela, Don Quichotte ne fait pas de concession à son univers mental. Groland est un univers mental devenu existant, avec son consulat, son festival du film, etc. La présipauté est un monde parallèle qu’on construit. Ce qui me plaît le plus, c’est la façon dont les gens m’accueillent à bras ouverts, même au fin fond de bleds perdus. Les Grolandais sont inouïs, sans distinction de catégorie sociale ou d’âges. Comment convainquez-vous les personnes très âgées de dire ou faire des insanités dans vos sketchs? Ce sont souvent eux les plus punks, les plus anar’, les plus courageux. Ils ne le font pas pour le salaire de figurants, mais parce qu’ils ont envie de rire. On a filmé un gars avec ses c… dans du papier d’alu. Il travaillait sur les marchés. Le lendemain, tout le monde lui parlait du sketch. Il assumait. Quand je vois ces débats à la con sur l’identité française, je me dis que l’identité grolandaise, elle, est bien là. Comment faire pour ne pas s’amuser sur le dos des pauvres? Chaplin en est le meilleur exemple! C’est un clochard, un vagabond. Jamais on n’a pensé qu’il se moquait. Nous aussi, nous connaissons ces gens. Dans nos films, nos personnages ont une sacrée indépendance, même s’ils n’ont pas d’argent. Des paralytiques de Aaltra à Depardieu dans Mammuth, ils ont un panache fou. Ils sont beaux et attendrissants. Ils sont humains. «Les Grolandais sont inouïs, sans distinction de catégorie sociale ou d’âge» Où se situe la limite du trash? La provoc’ gratuite. Un gag hard ne fonctionne que si quelque chose le sous-tend. Montrer un gars déféquer par terre n’est pas drôle en soi. Si on l’a vu chercher 30 minutes des toilettes, parce que tout est trop cher en Suisse, et qu’une journaliste observe la scène, ça devient drôle. On ne s’est jamais senti comme un bastion! (Rires.) Groland est une entité en soi. La «coolitude» est une chose, mais l’esprit Canal, c’était surtout des cartes blanches. Depardieu a dit en mars: «Depuis qu’ils ne boivent plus et sont davantage concernés par leurs films, leurs tournages sont moins gais»… On a tourné des films où on était bien secoués et c’était très rigolo. Mais il faut se méfier de l’alcool. Dès que ça devient un peu pathétique, il vaut mieux arrêter. Je n’ai pas bu pendant six mois, puis six mois modérément. Un an sans cuite, un vrai challenge auquel je me suis tenu. Quant au tournage de Saint-Amour, il y a quand même eu des moments très très gais. Sans Gérard d’ailleurs. (Rires.) Etes-vous déjà allé trop loin? Dans une dizaine de sketches, au début de Groland. Je me débrouillais pour que ma femme et mes enfants ne regardent pas! Je rougis encore en y repensant… Vous avez déclaré: «Nos femmes nous ont sauvés.» Donc elles existent dans cet univers d’hommes? Oui. Elles nous ont sauvé la vie, parce qu’elles nous ramènent à une forme de raison. Elles nous ancrent, sinon ce ne serait pas possible tellement c’est chaotique. Je suis avec ma femme depuis 1983. Elle en bave, mais moi aussi. (Rires.) Beaucoup parlent de la mort de l’esprit Canal. Vous vivez-vous comme le dernier bastion? Apéro-discussion avec Benoît Delépine et Gustave Kervern, aujourd’hui à 16 h 30. vifff.ch L’histoire de la canne d’or de Kaurismäki Benoît Delépine est ravi d’être à Vevey. Il détaille son enthousiasme: «Pour notre film Aaltra (ndlr: sorti en 2004), nous voulions rencontrer le réalisateur Aki Kaurismäki, dont nous admirions le travail. Nous sommes allés le voir en Finlande. Chez lui, il n’y avait pas comme certains réalisateurs une salle avec tous les prix et diplômes. Mais il nous a montré sa canne d’or (ndlr: reçue au Festival du film de comédie de Vevey en 1996, pour son film Au loin s’en vont les nuages). Il nous a dit que c’était la seule récompense dont il soit fier! Etre ici vingt ans après son prix, c’est trop beau! Je suis très content que le festival (dont on m’a dit qu’il a duré de 1981 à 1999) ressuscite avec le Vevey International Funny Film Festival (VIFFF). La programmation est vraiment top, tous les films choisis sont intéressants et de différentes nationalités. De plus, je suis archifan de Chaplin. Dernièrement en Bourgogne, j’ai vu un petit blondinet hollandais rire à en pleurer devant un film de Charlot. Un siècle après! C’est ça la reconnaissance absolue. Chaplin est venu se réfugier ici parce qu’il était persona non grata aux USA. Ici, c’était son Groland à lui.»