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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Nouveau regard sur le droit des biens
10/05/13
Le chien du voisin qui aboie continuellement, une dispute dans la copropriété… Les questions réglées par le
droit des biens suscitent souvent des tensions importantes. Pascale Lecocq, Doyen de la Faculté de Droit et
de Science Politique de l'Université de Liège, fait le point sur ce domaine complexe dans un nouveau manuel
(1). L'occasion de rappeler, peut-être, que la vie en société implique une série d'inconvénients normaux que
l'on doit supporter !
Rares sont les étudiants de première année en droit
qui rêvent de devenir de grands spécialistes du droit des biens. La propriété, la copropriété, l'usufruit, les
servitudes… autant de domaines qui peuvent sembler rébarbatifs jusqu'au jour où l'on est confronté à un
problème les concernant. Un problème généralement très personnel, puisqu'il touche à un bien que l'on
possède. « Les tensions humaines sont souvent extrêmes dans les affaires qui touchent au droit des biens,
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note Pascale Lecocq. C'est particulièrement le cas dans les problèmes de voisinage. Certains voisins n'ont
aucune limite dans l'agressivité ou la haine qu'ils peuvent se porter, cela peut aller jusqu'à des meurtres pour
de simples questions de haies mitoyennes, de fenêtres mal placées, de bruits…».
Les troubles de voisinage
Si le droit des biens règle les troubles du voisinage, c'est par l'entremise de l'article 544 du Code civil qui, tel
qu'interprété en jurisprudence, reconnaît à tout propriétaire le droit de jouir « normalement » de son bien.
« Au contraire des législations du Québec ou de la Suisse, les lois belges ne font pas référence aux troubles
de voisinage, c'est la jurisprudence qui a élaboré toute cette théorie, souligne Pascale Lecocq. Son principe
de base est que tout propriétaire qui, par un fait, une omission ou tout comportement, rompt l'équilibre entre
des propriétés voisines, doit rétablir l'équilibre en octroyant une juste et adéquate compensation au voisin ».
L'infraction pénale ou la faute civile ne sont donc pas indispensables pour qu'il y ait un inconvénient excessif.
« Cela peut être le cas, par exemple, d'un voisin qui joue de la batterie toute la journée. L'objectif d'un juge
confronté à des troubles de voisinage est de privilégier la mesure qui réduit le trouble, ramène l'inconvénient
à la normale : mettre une couverture sur le poulailler pour que le coq ne se réveille pas trop tôt et cesse de
chanter à 4 h du matin, placer un filtre pour limiter les odeurs qui sortent d'un restaurant, étêter un arbre, etc. ».
La jurisprudence demeure divisée sur l'attitude à adopter face aux risques de voisinage, par exemple un chien
menaçant, une antenne de mobilophonie située près d'un domicile, etc. Pascale Lecocq : « Lorsque les juges
sont confrontés à ce genre de cas, ils constatent souvent qu'il existe déjà des inconvénients excessifs de type
moral ou psychologique : des peurs, des angoisses, par exemple dues à un arbre qui menace de tomber. Au
lieu d'essayer d'estimer s'il y a un risque et l'ampleur de ce dernier, opération parfois aventureuse d'un point de
vue juridique, ils préfèrent situer le débat sur le plan des inconvénients moraux excessifs objectivés (par des
attestations médicales) qui démontrent une situation d'inconfort excessif liée à la perception d'une menace ».
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Vivre en société implique des inconvénients « normaux »
La liste des types d'inconvénients pouvant donner lieu à
rupture d'équilibre entre propriétés voisines s'est allongée, allant jusqu'à inclure la perte d'ensoleillement, le
préjudice esthétique ou encore le préjudice commercial excessif suite, par exemple, à des travaux de voirie.
Certains oublient cependant que la vie en société implique une série d'inconvénients normaux que l'on doit
supporter, que seuls les inconvénients excessifs peuvent amener compensation. Un exemple tiré du manuel
est révélateur à ce sujet : « Le 9 février 2005, la Cour d'appel de Gand a eu à connaître d'une affaire où le
demandeur se plaignait d'un préjudice commercial résultant de la cessation de la ponte d'œufs par des mères
autruches effrayées par des cyclistes à l'occasion d'une randonnée familiale organisée par le comité des fêtes
d'une commune » (2).
Le plaignant n'a pas eu gain de cause devant la Cour d'appel de Gand. Le magistrat a rejeté la demande faute
de preuve. Selon lui, l'usage normal d'une voie publique ne peut jamais être considéré comme une faute et
l'événement n'était pas une manifestation de masse ni de nature à perturber l'ordre public. Il a été ajouté que
le demandeur ne pouvait s'attendre à ce que l'usage de la voie publique soit interdit pour servir ses intérêts
privés et qu'il aurait pu prendre lui-même les mesures nécessaires sur son terrain privé.
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Copropriété
Une autre matière couverte par le droit des biens qui donne lieu à beaucoup de contentieux est celle de la
copropriété. Héritage ou achat en commun, mais surtout vie dans des immeubles avec charges et espaces
communs sont des situations qui génèrent beaucoup de discussions et parfois de tensions. En instaurant
notamment les associations de propriétaires, une loi adoptée en 1994 voulait simplifier la gestion de ces
copropriétés. « Cette personne morale est dotée de la personnalité juridique, elle peut donc conclure des
contrats en son nom (avec les fournisseurs, le syndic, etc.), agir ou être défendeur en justice, explique Pascale
Lecocq. Avant 1994 par exemple, si une concierge était révoquée pour motif grave, elle devait assigner tous
les copropriétaires pour le contester alors qu'avec l'adoption de cette loi, elle assigne la personne juridique
avec laquelle elle a contracté, à savoir l'association des copropriétaires. On pensait que cela allait résoudre
beaucoup de choses mais une partie de la jurisprudence et une partie de la doctrine ont rendu difficile
l'application de ce texte en obligeant, dans un certain nombre de cas, à assigner tous les copropriétaires, ou
du moins les copropriétaires concernés et non point la seule association ».
D'autres articles de la loi de 1994 ont suscité des difficultés d'interprétation, à tel point que le législateur a
réformé cette matière en juin 2010. « Cette réforme améliore la transparence de la gestion d'une copropriété
par les syndics, en imposant notamment plus de devis et de mises en concurrence des marchés. Elle
essaie aussi de responsabiliser davantage les copropriétaires, en limitant le nombre de procurations afin
qu'ils assistent en personne aux assemblées générales ». De façon générale, Pascale Lecocq estime qu'une
partie des problèmes rencontrés dans les copropriétés par étages ne verraient pas le jour si les propriétaires
prenaient la peine de lire attentivement les règlements de copropriété lors de l'achat de leur appartement.
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Deux lois de 1824 à revoir !
Le Doyen de la Faculté de Droit regrette que le droit
des biens ne suscite guère d'attention en dehors d'un milieu de spécialistes de cette matière. « Il est clair
que les débats sur les thèmes qui concernent le droit des biens suscitent a priori moins de polémiques que le
droit des personnes où on parlera d'euthanasie, du mariage homosexuel, etc. Quand je dis qu'il faut modifier
la législation sur le mur mitoyen, chaque personne qui possède un tel mur se dit probablement que c'est
intéressant, mais ce n'est pas le genre de débat qui passionne les assemblées ! ». Pascale Lecocq estime que
deux législations concernant le droit des biens mériteraient cependant d'être modifiées : celles qui concernent
le droit de superficie et le droit d'emphytéose. Elles datent de 1824, lorsque les provinces belges faisaient
partie des Pays-Bas. Beaucoup de projets immobiliers utilisent ces lois sur la superficie et l'emphytéose, parfois
pour des intérêts fiscaux. A Louvain-la-Neuve par exemple, une grande partie des logements vendus lors du
développement initial de la localité l'ont été sur base de baux emphytéotiques d'un maximum de 99 ans.
« Ces lois sur la superficie et l'emphytéose placent des obstacles à l'utilisation que l'on voudrait faire de la
propriété immobilière à l'heure actuelle, souligne Pascale Lecocq. Dans les pays où elles n'existent pas, il est
plus facile par exemple de diviser un immeuble en volumes. Cette législation belge devrait évoluer car en cas
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de litige, il n'y a pas de certitude au niveau des solutions juridiques qui pourraient être apportées, tant cette
matière est controversée. »
(1) Pascale Lecocq, Manuel de droit des biens. Tome 1. Biens et propriété, Bruxelles, Larcier, 2012.
(2) Pascale Lecocq, op. cit., page 328
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