LES EFFETS DES RAYONNEMENTS IONISANTS SUR LA SANTE

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LES EFFETS DES RAYONNEMENTS IONISANTS SUR LA SANTE
LES EFFETS DES
RAYONNEMENTS
IONISANTS
SUR LA SANTE
Docteur J.B. FLEUTOT
Médecin chef des Services
Conseiller santé du
Délégué à la sûreté nucléaire de défense
Les rayonnements ionisants ont été découverts en 1895 (les rayons X de Roentgen) et la
radioactivité en 1896 (H Becquerel) et, dans le premier quart du XXème siècle, les effets de ces
rayonnements sur la santé ont été soit ignorés soit fortement mésestimés.
Cette "insouciance" a induit un certain nombre de comportements qui nous paraissent
aujourd'hui effrayants. Il s'agissait par exemple d'une absence à peu près totale de protection et
d'une utilisation commerciale surprenante de produits radioactifs. C'est ainsi que l'on dispose de
documents d'époque qui vantent les mérites de crèmes, savons ou boissons au thorium, de cures
de radium…
A partir des années 30 et durant la seconde moitié du siècle, on a vu au contraire se mettre en
place une protection de plus en plus exigeante et prudente, parmi les premières à appliquer le
principe de précaution qui s'universalise aujourd'hui.
Cette démarche s'appuie d'abord sur les avancées en radiobiologie et radiopathologie.
Mais force est de constater qu'elle peut parfois être la victime de pressions ou d'avis pour
lesquels l'affectivité l'emporte sur l'objectivité, quand il ne s'agit pas de dérives médiatiques ou
de militantisme cultivant un degré non négligeable d'obscurantisme.
Les acteurs de la radioprotection, et notamment les responsables d'activités mettant en jeu les
rayonnements ionisants ainsi que les formateurs en radioprotection, ont besoin d'avoir une idée
juste des effets de ces rayonnements sur la santé, tels qu'ils sont réellement connus aujourd'hui :
- Pour mieux comprendre et expliquer comment et pourquoi les mesures de protection qu'on
leur demande d'appliquer ou d'enseigner ont été établies,
- Pour mieux répondre aux questions qui leur seraient posées dans le cadre de leur mission
de formation et d'information,
- Pour mieux appréhender la réalité et l'importance du risque dans le cadre de la démarche
d'optimisation qu'on attend d'eux (cette démarche sera évoquée dans un autre exposé),
- Pour suivre de la manière la plus objective possible la divulgation des avancées
scientifiques en la matière et les débats ou interrogations qui en résulteraient.
Le document proposé ici ne se veut en aucun cas un précis exhaustif de radiobiologie mais vise à
présenter une suite logique, d'évènements qui conduit de l'action physique des rayonnements
ionisants sur la matière vivante aux effets sur la santé humaine et aux conclusions qui en sont
tirées en matière de radioprotection.
C'est ainsi que l'on trouvera :
- Des rappels préliminaires (Chap. I),
- Des éléments de radiobiologie utiles au radioprotectionniste (chap. II à IX),
- Une description des effets sur l'organisme, qui sont la justification de la radioprotection
(chap. X à XVII),
- Une conclusion qui présente l'application de ces connaissances à la radioprotection (chap.
XVIII).
Quelques commentaires essaieront en outre, au cours de la présentation, de corriger des idées
reçues ou des "surinterprétations" de données ou hypothèses scientifiques (concernant par
2
exemple les effets non ciblés ou la relation linéaire sans seuil), que l'on rencontre encore trop
souvent.
Un autre document (éléments de radioprotection à l'usage des médecins nucléaire et des
radiopharmaciens) traitera des principes et des modalités de mise en œuvre de la radioprotection.
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I - RAPPELS PRELIMINAIRES :
NOTIONS GENERALES SIMPLES
SUR LES CONDITIONS D'EXPOSITION
AUX RAYONNEMENTS IONISANTS
En préambule, il parait utile de rappeler succinctement quelques notions simples qui permettent
de se forger une première idée, même grossière, sur la réalité et la nature du risque d'irradiation,
en fonction des circonstances de l'exposition aux rayonnements ionisants.
Ces notions concernent :
- Le parcours des rayonnements,
- La composition (simpliste) de l'organisme,
- Les différents modes d'irradiation.
I -1 : PARCOURS DES RAYONNEMENTS
Le parcours des rayonnements ionisants est directement lié à leur transfert linéique d'énergie
(TLE). On peut en retenir globalement que plus un rayonnement a un TLE élevé (plus il est
ionisant), plus son parcours dans la matière est bref (moins il a de portée).
On retient les ordres de grandeur suivants pour le parcours utile de ces rayonnements (sans
protection) :
alpha
bêta
X, gamma
neutrons
Air
10 cm
1m
> 10 ou 100 m
> 10 ou 100 m
Eau, tissus
Quelques µm
1 mm
10aine de cm
10aine de cm
I -2 : COMPOSITION SIMPLISTE DE L'ORGANISME
L'organisme peut être considéré en première approximation comme une solution aqueuse
radiosensible limitée par l'épiderme, lui-même est constitué de 2 couches tout à fait différentes :
- Une couche basale, en profondeur, faite de cellules très actives en ce qui concerne la
reproduction cellulaire. Ce sont ces cellules souches qui fabriquent l'épiderme en
permanence,
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- Une couche superficielle, la couche cornée, constituée de kératinocytes qui sont des
cellules mortes ou vieillissantes.
L'épaisseur de la couche cornée varie de quelques dixièmes de millimètres où la peau est
fine à plusieurs millimètres (talons…).
On considère que, chez l'homme standard, l'épaisseur moyenne de cette couche est
inférieure à 1mm.
On peut donc considérer de manière très imagée que l'organisme est protégé des agressions
extérieures par une couche de cellules mortes ou au moins insensibles aux agressions, dont, sous
certaines conditions, les rayonnements ionisants.
I -3 : LES DIFFERENTS MODES D'IRRADIATION
L'irradiation de personnes peut avoir lieu selon trois modalités, distinctes ou associées selon les
circonstances :
I-3-1 : L'exposition externe :
La définition la plus simple de l'exposition externe est la suivante :
"La source de rayonnements reste à distance de l'organisme cible.
Seul le rayonnement atteint l'organisme."
Parmi les sources d'exposition externe, on peut citer :
- La radiothérapie externe et le radiodiagnostic,
- Les sources radioactives scellées (sources étanches ne laissant pas échapper de matière),
- Les générateurs électriques ou les accélérateurs de particules,
- L'exposition au flux mixte "neutrons-γ" dû à la criticité dans les réacteurs.
Les principales caractéristiques de ces expositions sont :
- La possibilité d'obtenir de très fortes doses, liée à un séjour long auprès de la source ou à la
présence d'une source intense,
- La possibilité d'être exposé à de très forts débits de dose (source intense),
- La cessation de l'irradiation avec la fin de l'exposition (éloignement ou arrêt de la source,
protection...).
Les moyens de protection contre l'exposition externe sont les classiques "temps, distance et
écrans".
I-3-2 : La contamination externe :
"La source est déposée sur la peau."
Les sources de contamination externe ne peuvent donc être que des sources radioactives.
Elles peuvent provenir de :
- Retombées après un accident ou une explosion nucléaire,
- Poussières, aérosols ou solutions radioactifs, issus de la destruction, dispersion ou défaut
de confinement d'une source.
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Les principales caractéristiques de la contamination externe sont :
- La possibilité d'obtenir de fortes doses, surtout à la peau, soit du fait d'une activité
importante, soit liée à une présence longue du dépôt,
- la possibilité d'être exposé à de forts débits de dose (activité importante),
- La cessassation de l'irradiation à la fin du traitement (élimination complète de l'agent
contaminant), et non plus dès l'éloignement de la zone de danger, comme dans le cas
précédent..
La protection contre la contamination externe fait appel principalement au confinement des
sources et à la protection vestimentaire des personnes.
Un risque important lié à la contamination externe est la contamination interne secondaire
(remise en suspension et inhalation ou absorption…) (Cf. I-3-3).
I-3-3 : La contamination interne :
"La source de rayonnement pénètre dans l'organisme."
Le terme usité pour parler de la pénétration d'un agent contaminant dans l'organisme est
"incorporation".
Il ne peut s'agir, ici aussi, que de sources radioactives.
Elles suivent dans l'organisme un chemin métabolique complexe, à partir d'une porte d'entrée
respiratoire, digestive, transcutanée ou par blessure.
Ce chemin conduira à des organes de dépôt et des voies d'élimination spécifiques en fonction de
leur nature physico-chimique.
Les sources de contamination interne sont :
- Les retombées radioactives,
- Les poussières, aérosols ou solutions radioactifs,
- Les objets contaminés.
Les principales caractéristiques de la contamination interne sont :
- La possibilité d'obtenir de fortes doses cumulées, du fait d'un séjour long de la source dans
l'organisme (exceptionnellement du fait d'une source de forte activité),
- La persistance de l'irradiation dans le temps, tant que l'agent contaminant est présent dans
l'organisme. Cet agent disparaitra progressivement en fonction de sa décroissance
radioactive et de son élimination biologique. Les notions de période effective et de dose
engagée rendent compte de cette persistance dans le temps (Cf. annexe 1).
- Le traitement, médical, ne prétend que diminuer la quantité de matière radioactive, donc la
dose engagée, en accélérant son élimination.
La protection fait appel :
- Au confinement des sources,
- A la protection cutanée et respiratoire,
- Aux règles d'hygiène alimentaire et de chantier.
I-3-4 : Exposition externe et interne :
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Une autre façon de classer les modes d'irradiation est la suivante :
- Exposition externe regroupant l'exposition externe (Cf. I-3-1) et la contamination externe (Cf. I-3-2),
- Exposition interne correspondant à la contamination interne.
I-4 : EVALUATION DU RISQUE LIE AUX RAYONNEMENTS
L'ensemble des considérations précédentes permet d'avoir une première image des circonstances
dans lesquelles les rayonnements peuvent présenter un risque réel, en fonction de leur nature et
du mode d'irradiation.
Le schéma suivant résume les conditions de cette efficacité :
α
β
IRRADIATION
EXTERNE
X, γ,
X, γ
CONTAMINATION
EXTERNE
CONTAMINATION
INTERNE
β
α
X, γ
α
β
Organisme profond
Couche cornée
Epiderme
Couche basale
Parcours du rayonnement
Les radionucléides émetteurs α ne présentent pas de danger direct en exposition externe ni en
contamination externe.
Le parcours du rayonnement lui interdit en effet d'atteindre une structure vivante dans ces
conditions.
Le danger vient alors de ce que les radionucléides peuvent être remis en suspension et inhalés
ou absorbés, s'ils sont sous forme suffisamment fine. Ils présentent alors un risque de
contamination interne secondaire.
Le rayonnement α, de très fort TLE ou très fort pouvoir d'ionisation, est au contraire
particulièrement agressif en cas de contamination interne, quand la première structure
rencontrée est une cellule vivante.
On considère en général que les rayonnements β ne présentent pas de danger en exposition
externe car la couche d'air qu'ils doivent traverser pour atteindre la peau est suffisante pour les
absorber.
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Ce raisonnement est à nuancer d'une part parce que cette couche d'air peut être mince, d'autre
part parce que l'on connaît des rayonnements suffisamment puissants (électrons accélérés) pour
avoir un parcours aérien long et atteindre l'organisme.
Les rayonnements β sont particulièrement efficaces en contamination externe car leur faible
parcours les amène à céder toute leur énergie dans le premier millimètre parcouru (couche
basale de l'épiderme, couches les plus superficielles du derme). La dose locale y est donc très
élevée et ils peuvent être à l'origine de brûlures radiologiques des plans superficiels.
Les rayonnements X et γ présentent un danger quel que soit le mode d'irradiation mais
constituent, avec les neutrons, la principale source de danger en irradiation externe.
Les neutrons ne se rencontrent qu'en irradiation externe.
La "dangerosité relative" des différents rayonnements ionisants en fonction du mode
d'irradiation pourrait être ainsi résumée par le tableau suivant :
DANGER RELATIF
Irradiation externe
Contamination externe
Contamination interne
α
0
0
+++
β
0(+)
+++
++
Xγ
++
++
++
n
+++
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II – SUCCESSION DES EVENEMENTS CONDUISANT
AUX EFFETS DES RAYONNEMENTS IONISANTS
SUR LA SANTE
Les effets des rayonnements ionisants sur la santé sont les conséquences en cascade des
interactions entre rayonnements et matière vivante (ionisations, excitations).
Cette cascade de phénomènes se déroule dans le temps, selon le schéma général suivant :
T=0
10-15 s
10-5 s
Seconde, minute
Jours, semaines
Années
Décennies
Irradiation
Ionisations, excitations
Formation de radicaux, de produits moléculaires
Dénaturation et lésions des molécules vitales
Morts ou réparations cellulaires, effets précoces sur les organes et
l'organisme
Effets tardifs sur l'organisme
Effets sur la descendance
Nous nous attacherons à suivre cette cascade dans la suite de l'exposé.
Remarque :
Cette chronologie permet déjà d'observer que les effets des rayonnements sur la santé
sont des conséquences tardives (jours, mois, années) de lésions qui ont lieu très
rapidement, si ce n'est de manière quasi immédiate.
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III – ACTION PHYSICO-CHIMIQUE
DES RAYONNEMENTS IONISANTS
Les interactions rayonnements-matière (ionisations, excitations) entraînent, par des réactions
successives, des modifications physico-chimiques des molécules atteintes.
On peut considérer, pour les besoins de l'exposé, que :
- L'organisme est un assemblage d'unités fondamentales que sont les cellules,
- Les milieux biologiques sont constitués de 80% d'eau et on peut considérer que la cellule
est une solution aqueuse de macromolécules.
Les rayonnements ionisants ont une action sur les constituants de cette cellule en faisant appel
à deux mécanismes fondamentaux :
- Une attaque directe des macromolécules. C'est l'effet direct des rayonnements,
- Une attaque de l'eau, aboutissant à sa radiolyse avec la création d'espèces intermédiaires
qui interagiront avec les macromolécules. C'est l'effet indirect.
Remarque: Il faut distinguer "effet direct ou indirect", évoqués ici d'une part, et rayonnements
directement ou indirectement ionisants (chargés ou non) d'autre part.
III - 1 : LA RADIOLYSE DE L'EAU :
La radiolyse de l'eau s'effectue en deux étapes :
- Une étape radicalaire, créant des radicaux libres extrêmement réactifs,
- Une étape moléculaire, issue des interactions des espèces radicalaires.
III -1-1 : Décomposition radicalaire de l'eau
Cette première étape est due à l'arrachage d'un électron qui participait à la cohésion de la
molécule et aboutit à la création des radicaux libres Hz (réducteurs) et OHz (hydroxyles,
oxydants puissants).
Des excitations de la molécule d'eau peuvent produire la même décomposition.
H2O → Hz + OHz
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III - 1-2 : Décomposition moléculaire de l'eau
Les radicaux libres ainsi créés sont appelés à se combiner de manière très rapide entre eux pour
créer de nouvelles molécules plus stables.
Les recombinaisons possibles entre ces radicaux sont : H• + OH•
→ H2O
OH• + OH• → H2O2
H• + H•
→ H2
Si la première recombinaison ne se traduit par aucun caractère délétère, les fruits des deux
suivantes sont au contraire des espèces très agressives pour le milieu vivant.
D'autre part, avant leurs recombinaisons, les radicaux se distribuent de façon hétérogène autour
de la trajectoire du rayonnement incident, en fonction de leur taille et de leur masse.
H , plus léger, migre plus vite que OH , plus lourd, et s'éloigne d'avantage de la trajectoire.
Le résultat est la création d'une zone de radicaux OH proche de cette trajectoire, entourée
d'une zone de radicaux H plus éloignée.
Cette distribution conditionne les recombinaisons qui présideront à la formation des produits
moléculaires.
Dans le cas d'un rayonnement à fort TLE, le
nombre de trajectoires nécessaires pour
créer un certain nombre d'ionisations est
OH•
OH•
OH•
OH•
TLE élevé
restreint et ces trajectoires sont éloignées
OH• OH•
OH• OH•
H•
les unes des autres.
H•
H•
H•
Pour un même nombre d'ionisations (une
même dose), les zones de radicaux H• et
H•
H•
OH• restent donc disjointes, favorisant la
OH•
OH• H•
recombinaison entre H• d'une part, OH•
TLE faible
OH• H•
OH•
d'autre part, en H2 et H2O2.
H•
OH• H• OH•
Dans le cas d'un rayonnement de faible
TLE faible
TLE, de plus nombreuses trajectoires sont
OH•
OH•
nécessaires pour créer le même nombre
H•
H•
d'ionisations, les zones H• et OH• des
différentes trajectoires s'interpénètrent.
Le mélange, plus homogène, favorise les recombinaisons H• + OH•→ H2O .
H•
H•
H•
H•
On peut ainsi expliquer, en partie du moins, la plus forte toxicité des rayonnements ionisants à
fort TLE (à fort pouvoir d'ionisation).
Cette variation de toxicité sera présentée notamment avec les notions d'efficacité biologique
relative (EBR) (Cf. VIII-4) et de facteur de pondération radiologique (WR) (Cf. XVIII-5-1).
III – 2 : EFFET DIRECT ET EFFET INDIRECT SUR UNE SOLUTION AQUEUSE
III-2-1 : Effet direct
Il s'agit de l'ionisation ou de l'excitation directe de macromolécules, sans passer par
l'intermédiaire de la radiolyse de l'eau.
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La molécule agressée est dépositaire d'un excès d'énergie qui sera expulsé :
- Sous forme d'un photon de fluorescence (et retour à l'état initial),
- Par rupture d'une liaison de covalence. Chaque fragment emporte un électron non apparié
et constitue un radical très réactif :
R:R'
→ R• + R'•
Ces espèces radicalaires produisent à leur tour des composés moléculaires par hydrogénation,
hydroxylation, polymérisation…, qui dénaturent la molécule initiale.
III-2-2 : Effet indirect
Il s'agit de l'interaction entre les molécules de soluté et les produits de radiolyse de l'eau. Par
exemple :
- Déshydrogénation et hydroxylation : R:H + OH• → R• + H2O
R• + OH• → R:OH
- Déshydrogénation et addition ou polymérisation : R:H + H•
R':H + H• →
-
→ R• + H2
R'• + H2
R• + R'• → R:R'
Ouverture de double-liaisons,
Méthylations ou déméthylations (ajouts ou retranchement de groupements CH3). Ces
groupements méthyle semblent aujourd’hui prendre une importance notable dans
l’expression ou la répression de la lecture des gènes (épigénétique, Cf. annexe 2).
III-3 : ELEMENTS DE DOSIMETRIE : LA RPE
Les radicaux libres disparaissent très rapidement dans la plupart des tissus et matériaux du
simple fait de leur réactivité et de leur mobilité qui favorise leurs recombinaisons rapides.
Ils peuvent cependant être piégés dans certaines matrices inertes particulièrement stables,
comme l’émail dentaire et, n’étant pas mobiles, ne pas pouvoir se recombiner.
La mesure de ces radicaux, dont le nombre est proportionnel à la dose, peut alors constituer un
moyen de dosimétrie individuelle.
Une recherche est actuellement menée par un certain nombre de laboratoires, dont celui de
l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), pour élaborer des techniques de
dosimétrie individuelle fondée sur la mesure de ces radicaux piégés.
La méthode de mesure utilisée est la résonance paramagnétique électronique (RPE).
Cette technique semble offrir un certain nombre d’avantages :
- La pérennité (elle serait encore réalisable plusieurs décennies après l’exposition),
- La sensibilité (elle permettrait de détecter des doses de l’ordre de 50 mGy).
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Elle présente cependant des limitations qui font qu’elle n’est pas aujourd’hui considérée
comme une méthode opérationnelle :
- Elle est invasive (elle nécessite un prélèvement dentaire, sur dent saine),
- Elle mesure l’exposition locale sur le lieu de prélèvement et non une dose globale,
- Elle est peu spécifique (les mêmes radicaux peuvent être créés par d’autres agents
toxiques, comme les UV, certains toxiques chimiques, les caries et les soins dentaires…).
Il s’agit donc d’une technique encore expérimentale, qui permettrait de détecter une exposition
même ancienne, mais ne saurait distinguer, sans enquête complémentaire, ce qui revient aux
rayonnements ionisants de ce qui est lié à d’autres agressions de la vie.
R E T E N I R (chap. I à III)
Les effets des rayonnements ionisants sur la santé sont les conséquences des
interactions physiques avec la matière des constituants cellulaires (ionisations,
excitations), qui conduisent à la dénaturation de molécules vitales.
Ces interactions peuvent être la conséquence d'effets directs, entre le rayonnement
incident et ces molécules, ou indirects par l'intermédiaire de produits de la radiolyse
de l'eau.
On décrit plusieurs étapes :
- Création de radicaux libres très réactifs,
- Création secondaire de produits moléculaires.
L'ensemble de ces étapes est à la fois inéluctable et très rapide (quasi-immédiat),
donc sans véritable recours thérapeutique.
Dans le cas particulier de matières inertes (émail dentaire), les radicaux libres
peuvent être durablement piégés et permettre ainsi une dosimétrie biologique fondée
sur leur mesure : la dosimétrie par résonance magnétique para électronique (RPE).
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IV - LESIONS DES CONSTITUANTS CELLULAIRES
Une image encore très simpliste mais suffisante de la cellule, pour les besoins de l'exposé, est
celle d'un ensemble constitué par :
- Le cytoplasme avec ses organites,
- La membrane cytoplasmique,
- Le noyau.
Chacun de ces constituants est lui-même composé de molécules spécifiques, en particulier
l'ADN pour le noyau.
Les effets physico-chimiques des rayonnements ionisants, tels qu'ils viennent d'être évoqués (Cf.
s'exercent sur l'ensemble de ces constituants. Ils ne revêtent toutefois pas tous la même
importance, du fait du rôle de chacun et de leur capacité à supporter et réparer les lésions
occasionnées.
III),
Nous nous intéresserons particulièrement aux constituants du noyau, qui sont le support
essentiel des lésions radio induites efficaces.
IV-1 : LESIONS CYTOPLASMIQUES ET MEMBRANAIRES :
IV-1-1 : Les lésions cytoplasmiques sont à l'origine de déstabilisation de l'architecture
cellulaire, par altération du cytosquelette.
On a longtemps considéré qu'elles avaient une importance réduite.
En fait elles pourraient avoir un rôle qui reste à préciser dans la dénaturation de molécules
impliquées dans la communication entre cellules et les effets non ciblés (Cf. VII).
IV-1-2 : Les lésions membranaires les plus importantes seraient la peroxydation des acides
gras.
Elles peuvent conduire à :
- Des altérations des structures membranaires,
- Des pontages lipides- protéines, en association avec des lésions des protéines.
La conséquence est la dégradation :
- Des récepteurs membranaires,
- Des systèmes de transport et flux ioniques.
IV-1-3 : L'ensemble des lésions cytoplasmiques et membranaires, pour de fortes doses, se
traduit par un phénomène de type inflammatoire que l'on retrouvera dans la description des
effets déterministes (Cf. XI).
IV-2 : LESIONS DU NOYAU :
On considère globalement que, pour obtenir un même effet (morts cellulaires), la dose
nécessaire est au minimum 100 fois moindre dans le noyau que sur les membranes. Le noyau
est ainsi désigné comme la cible préférentielle des rayonnements ionisants.
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Le fondement classique de la radiobiologie veut qu’au sein de ce noyau, la cible critique, voire
unique, soit l’ADN, considéré comme le porteur exclusif du patrimoine génétique et de son
expression. Il considère les lésions radioinduites de l’ADN comme le mécanisme des effets
biologiques des rayonnements ionisants.
La notion de phénomènes épigénétiques, qui se fait jour actuellement, remet cependant en
cause cette image classique de la transmission génétique et de son expression, en donnant de
l'importance à d’autres molécules que l’ADN (Cf. IV-2-3).
On est ainsi amenés à distinguer aujourd’hui :
- des effets liés à des modifications de l’ADN, qui restent l'essentiel,
- des effets sans atteinte du code génétique, dit « effets épigénétiques ».
IV-2-1 : Les lésions de l’ADN
Les lésions de l'ADN sont potentiellement nombreuses et de toutes natures. Elles sont liées aux
lieux d'impact des interactions rayonnements-matière et certainement aussi à des fragilités de la
molécule d'ADN, à distance de l'impact.
Les principales lésions décrites sont :
- Des cassures simples : 1 seul brin de la double hélice est cassé.
- Des lésions double brin : Ce sont des lésions des 2 chaînes de l'ADN.
- Des altérations des bases (ou nucléotides) : On distingue des lésions uni ou bi-latérales.
Elles ont pour conséquences des distorsions de la structure de l'ADN
ou plus généralement des "erreurs d'écriture dans le code génétique"
- Des pontages au sein de l'ADN : On distingue des pontages intrabrin et des pontages
interbrins.
Les plus courants de ces pontages sont des dimérisations de bases, en
particulier de thymine.
- Des liaisons avec des protéines : (histones et protéines chromosomiques).
Nous verronsque certaines de ces lésions, mal réparées (Cf. IV-2-2), conduiront à des
remaniements des chromosomes, rendus visibles par différentes techniques de cytogénétique
(Cf. V-3).
Toutefois, un nombre certainement très important de ces lésions, même mal réparées, ne se
traduiront pas par des remaniements chromosomiques visibles, ce qui ne les empêchera pas
d'avoir des conséquences sur l'avenir de la cellule et de sa descendance.
Ces lésions ne sont pas spécifiques des rayonnements ionisants. Elles existent pour de
nombreux agressifs chimiques ou physiques (UV…), et apparaissent spontanément au cours de
la vie de la cellule (stress oxydatif, vieillissement…).
Les lésions de l'ADN provoquées par l'irradiation sont très nombreuses puisqu'on a pu estimer
qu'elles étaient de l'ordre de 5000 par cellule pour 1 Gy.
IV-2-2 : La notion de réparation cellulaire :
On a remarqué que les lésions de l'ADN provoquées par les rayonnements ionisants sont de
même nature que les lésions causées par d'autres agents agressifs et sont extrêmement
nombreuses.
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Les processus de réparation cellulaire normalement présents dans les cellules jouent donc un
rôle fondamental et traiteront ces lésions dans les mêmes conditions que les autres, non
radioinduites.
Dans la quasi-totalité des cas, ces processus conduiront à une réparation fidèle, c'est à dire qu'il
n'y aura finalement aucune différence entre l'ADN réparé et l'ADN tel qu'il était avant
l'agression.
Parfois cependant, la réparation cellulaire n'est pas fidèle et peut laisser une modification dans
la séquence de l'ADN. Cette réparation, dite réparation fautive, pourra être à l'origine des divers
effets sur la santé qui seront décrits par la suite.
L'importance de ces processus de réparation est illustrée par certaines maladies, comme
l'anémie de Fanconi, l'atélectasie télangiectasique, le Xéroderma pigmentosum, dont les
porteurs présentent un déficit en enzymes de réparation et développent de manière très
systématique des cancers dès l'enfance, par lésions de l'ADN mal ou non réparées.
Quelques processus de réparation de l'ADN importants sont présentés en annexe 3.
Remarque :
- On a cru trouver, chez les enfants porteurs de cancers de la thyroïde dans la région de
Tchernobyl (Cf. XIV-4-8) des anomalies spécifiques de l’ADN, plus fréquentes que dans la
population de référence (modification du gène "RET PTC 3"). Ceci s’est révélé faux.
On ne connaît effectivement aujourd’hui aucune anomalie ou modification de l'ADN
caractéristique d’une irradiation, ni aucun marqueur génétique spécifique de maladie
radio-induite.
- Par contre, la génétique moléculaire met en évidence un nombre croissant de gènes
caractéristiques de maladies ou de sensibilité à certaines maladies (en particulier des
cancers). La présence de ces gènes de sensibilité augmente, pour leur porteur, la
probabilité de développer le cancer correspondant. Cette présence explique pour une part
importante l'existence de "familles à cancers".
La présence de ces gènes augmente de fait la sensibilité de leur porteur à l'ensemble des
facteurs
favorisant l'apparition de ce même cancer, dont éventuellement les
rayonnements ionisants. Mais ils ne privilégient aucun de ces facteurs par rapport à un
autre. Ils ne doivent donc pas être considérés comme des marqueurs de cancer
radioinduit.
IV-2-3 : Lésions non liées à l‘ADN et effets épigénétiques :
A l’inverse des effets liés directement à des lésions de l’ADN, ces effets reposent sur la notion
d’épigénétique (Cf. annexe 2).
Les lésions citées jusqu'ici sont des lésions affectant le code génétique (le séquençage de
l'ADN), qui constitue l'écriture des consignes données par ce code à la cellule.
Les effets épigénétiques prennent en compte des lésions ne mettant pas en cause ce séquençage,
donc cette écriture, mais d'autres lésions, pouvant intéresser directement ou indirectement
l'ADN, ou d'autres molécules, qui participent à la lecture de ce code.
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En somme, pour ce qui concerne les mécanismes fondamentaux des effets des rayonnements
ionisants, le postulat classique qui voulait que la lésion de l’ADN soit la cause unique est
remis en question.
Ce mécanisme reste cependant aujourd’hui considéré comme le phénomène fondamental, mais
il n’est plus unique car il est insuffisant pour expliquer certaines observations.
Une théorie incluant ces deux aspects, génétique et épigénétique, reste à construire.
Remarque :
Il a paru important de citer ces effets épigénétiques, qui suggèrent des réponses à un
certain nombre d'observations restées sans explications satisfaisantes.
Il faut cependant prendre garde à ce que la description de "nouveaux mécanismes"
comme ceux-ci ne soit pas comprise ou interprétée comme la découverte ou la sousestimation d'un nouveau risque, comme cela s'est quelquefois vu.
Il s'agit bien d'une nouvelle explication d'un risque pour la santé, déjà connu et mesuré,
mais resté jusqu'alors mal expliqué, et uniquement de cela.
17
V - EFFETS CHROMOSOMIQUES
DES RAYONNEMENTS IONISANTS
Certaines des lésions créées sur l'ADN constituent les lésions primaires de ces effets
chromosomiques, qui se traduiront par des remaniements.
La plupart du temps, les réparations, fidèles, amènent à un bilan lésionnel nul.
Les réparations fautives peuvent au contraire amener des remaniements des chromosomes,
comme cela a été dit au chapitre précédent.
On peut retenir schématiquement que les lésions monobrin, vite réparées, ne sont pas en cause
dans l'apparition des anomalies chromosomiques, tandis que les lésions double-brin et les
altérations des bases peuvent l'être.
V – 1 : CLASSIFICATION DES REMANIEMENTS CHROMOSOMIQUES
Télomère
Centromère
Bras
Pour comprendre l'apparition de remaniements des
chromosomes après irradiation, il faut savoir que les
chromosomes, qui ne sont visibles dans la cellule qu'à un
moment particulier de la mitose, sont constitués :
- D'un centromère (que l'on pourrait qualifier de nœud
central)
- De bras
- De télomères, qui terminent les bras et ont la particularité
d'empêcher les extrémités des bras de se "coller" à
d'autres extrémités de bras.
Dès lors qu'un bras est cassé, les lésions donnent lieu à des remaniements chromosomiques qui
peuvent être toutes les pertes ou recollages imaginables, parmi lesquels on retient :
- Des délétions terminales (perte de l'extrémité d'un bras donnant des fragments),
interstitielles (donnant des anneaux acentriques par collage des extrémités
d'un même chromosome),
- Des échanges interchromosomiques asymétriques (donnant des anneaux dicentriques
par collage de 2 chromosomes)
symétriques (donnant des translocations par échange de fragments entre
chromosomes)
- Des échanges intrachromosomiques asymétriques (donnant des anneaux centriques par
collage entre eux de bras d'un même chromosome)
symétriques (inversion péri ou para centriques par échange de fragments
d'un même chromosome).
Ces lésions conduisent à deux types d'anomalies :
- Des anomalies instables qui aboutissent à des mitoses abortives, du fait des aberrations
résultantes (partage très "inéquitable" du matériel génétique entre les cellules filles),
- Des anomalies stables qui n'empêchent pas la mitose (partage viable de l'information
génétique entre les cellules filles).
18
V-2 : RELATION "DOSE-TAUX D'ANOMALIES"
Globalement, le nombre de remaniements chromosomiques dans une population cellulaire
irradiée est proportionnel à la dose.
La forme de cette relation "dose-effet" dépend de la qualité du flux de rayonnements incidents,
en particulier de son TLE.
Schématiquement, on retient :
- Pour un TLE élevé (neutrons), la relation "dose-effet" est linéaire,
- Pour un TLE faible (X,γ), la relation est linéaire quadratique.
dicentriques
par
cellule
neutrons
Rayons X
Gamma
Dose
Allure générale de la relation entre le taux de chromosomes dicentriques produits
dans des lymphocytes humains et la dose absorbée.
(courbe linéaire pour les neutrons, linéaire quadratique pour les X et gamma).
V-3 : DOSIMETRIE FONDEE SUR LES ANOMALIES CHROMOSOMIQUES
Les relations "dose-réponse" des effets chromosomiques ont été mises à profit pour établir une
dosimétrie biologique fondée sur l'observation des remaniements.
Cette dosimétrie constitue aujourd'hui un examen fondamental dans la prise en charge des
victimes d'irradiation accidentelle et constitue la première étape de ce que l’on appelle
communément la dosimétrie biologique.
On distingue les techniques de détection des anomalies instables, par caryotype, et les
techniques de détection des anomalies stables, par technique "fish".
V-3-1 : La recherche d'anomalies instables
Technique générale :
C’est la méthode de base utilisée en dosimétrie biologique, quelques heures à quelques
semaines après une surexposition.
Elle dénombre, sur caryotype :
- Les anneaux centriques,
- Les anneaux dicentriques.
19
L’analyse est pratiquée sur les lymphocytes qui sont des cellules :
- Faciles d'accès (prélèvement sanguin),
- Faciles à cultiver,
- Dont la mitose est facile à induire puis à bloquer.
La méthode comprend :
- Le prélèvement sanguin (10 ml sur héparine),
- La culture de 48 heures avec phytohémaglutinine (inducteur de mitoses),
- Le blocage des mitoses en métaphase (colchicine),
- La lyse cellulaire,
- La fixation coloration,
- Le caryotype sur 200 à 500 cellules, selon la précision voulue.
Courbes de référence :
Dans la mesure où la relation "dose-effet" est liée à la qualité du rayonnement, il est nécessaire
de comparer le résultat d'examen à des courbes de référence adaptées (Cf. V-2).
Pour un certain nombre de rayonnements type, les laboratoires disposent de courbes de
référence établies sur des cultures de lymphocytes irradiées à des doses croissantes.
Dans certains autres cas (flux de rayonnements complexe), il peut être nécessaire de connaître
la composition du flux (proportion neutrons et gamma par exemple), puis d'établir une courbe
de référence avec un flux similaire.
L'établissement de ces courbes est rendu possible car il a été démontré que les courbes "dose
réponse" étaient les mêmes pour des lymphocytes in vivo et in vitro.
Limites du procédé :
- Il permet de détecter des doses de l'ordre de 0,5 à 0,2 Gy.
- Il donne une dose moyenne (liée au brassage sanguin), représentative d'une irradiation
homogène. En cas d'irradiation hétérogène, il peut amener une sous-estimation
importante des dommages locaux dans les zones les plus exposées.
- Pour une irradiation chronique, La sensibilité de la méthode diminue.
- Sa spécificité est très limitée. D'autres agents toxiques peuvent être à l'origine
d'anomalies similaires.
- Il est limité dans le temps, du fait du caractère instable des anomalies, qui entraîne leur
disparition avec les morts cellulaires. On le réserve à la première année qui suit la
surexposition et on considère qu'elle est sans signification au bout de 5 ans.
- C'est une méthode laborieuse (observation de 200 à 500 cellules) qui ne permet pas de
traiter un nombre important de prélèvement dans un temps limité.
V- 3-2 : La recherche d'anomalies stables
Ces anomalies (des translocations), qui ne se traduisent pas par des changements de forme des
chromosomes, ne sont pas visibles sur un caryotype habituel.
Le principe est de coupler des sondes moléculaires spécifiques, qui se fixent électivement sur
des séquences déterminées d'ADN, à des fluorochromes qui rendent ces séquences visibles, et
marquer ainsi des régions chromosomiques choisies pour les localiser.
On peut aussi colorer différents chromosomes différemment.
20
Les translocations, ou échanges entre chromosomes marqués ou non, en nombre proportionnel
à la dose, sont ainsi mises en évidence par déplacement des couleurs utilisées.
Il s’agit des techniques « fish » (Fluorochrome In Situ Hybridation).
En France, la méthode est disponible à l’IRSN.
Les intérêts du procédé sont surtout :
- La mise en évidence d'anomalies non détectées par les méthodes classiques,
- Une possible automatisation de la détection et du comptage d'anomalies.
- Une plus grande stabilité dans le temps, du fait du caractère stable des anomalies
détectées, qui ne disparaissent pas lors des mitoses.
Ses limites sont :
- Un seuil élevé (250 mSv),
- Une faible spécificité, ne permettant pas de distinguer avec d’autres agressifs physiques,
chimiques, environnementaux.
- La stabilité dans le temps reste limitée (de l’ordre de la dizaine d’années).
21
R E T E N I R (Chap. IV et V)
L'élément fondamental de l'action des rayonnements ionisants est la cellule, avec ses
divers constituants : cytoplasme, membranes, noyau.
Parmi ceux-ci, les constituants du noyau, sans être les seuls, sont les cibles
privilégiées du fait de leur sensibilité et de leur rôle dans le fonctionnement et la
reproduction cellulaires.
Les lésions du cytoplasme et des membranes ne sont efficaces que pour de très fortes
doses
Les effets des lésions du noyau surviennent pour des doses beaucoup plus faibles.
Au sein du noyau, la molécule sensible est l'ADN, dont les lésions peuvent être
nombreuses mais sont peu spécifiques des rayonnements puisqu'on rencontre les
mêmes pour d'autres agents agressifs.
L'ADBN a la particularité de s'autoréparer au moyen de divers mécanismes qui
conduisent dans l'immense majorité des cas à une reconstitution fidèle de la
molécule et à une absence de conséquences.
Cependant, ces mécanismes peuvent être pris en défaut et conduire à une réparation
fautive.
Les réparations fautives restent rares, voire exceptionnelles.
De plus, des lésions ne modifiant pas le séquençage de l'ADN mais perturbant son
expression peuvent jouer un rôle dans les effets sur la santé. Il s'agit des effets
épigénétiques.
Les lésions mal réparées de l'ADN peuvent induire des remaniements ou des
anomalies chromosomiques dont le taux est proportionnel à la dose., augmentant
d'autant les possibilités de développer une maladie radio induite.
L'observation de ces taux d'anomalie (cytogénétique, offre une possibilité de
dosimétrie biologique.
La dosimétrie biologique fondée sur la cytogénétique est très importante pour la
gestion des accidents d'irradiation.
Elle s'appuie sur deux techniques principales :
- Le caryotype statistique, comptabilisant les chromosomes en anneaux et
dicentriques,
- Les techniques de coloration spécifique (fish).
Ces techniques restent limitées par leur faible spécificité (d'autres agressions
donnent les mêmes images), ont un seuil de détection de l'ordre de 0,3 Gy et ont une
stabilité dans le temps d'environ 5 ans pour le caryotype, 10 ans pour fish.
22
VI - EFFETS AU NIVEAU DE LA CELLULE IRRADIEE
On parle ici de radiosensibilité intrinsèque (sensibilité de la cellule elle-même), pour la
différencier de la souffrance que pourrait avoir une cellule relativement radiorésistante, du fait
de l'atteinte du tissu environnant, vasculaire en particulier, plus radiosensible (sensibilité
extrinsèque).
On met en évidence :
- Des modifications du cycle de reproduction cellulaire (allongement, retard à la mitose),
- Une réduction de l'espérance de vie de la cellule.
Et surtout, on identifie :
- Des modifications létales, qui aboutissent à la mort cellulaire selon divers mécanismes,
- Des modifications viables, qui provoquent des mutations, des transformations sans mort
cellulaire, pouvant conduire notamment à une cancérisation.
VI – 1 : MORT CELLULAIRE
La mort par nécrose cellulaire, avec arrêt des fonctions cellulaires et cytolyse, donne des
images caractéristiques en cytologie (picnose, images de cytolyse…). Ce processus, observé
très tôt, a été considéré pendant longtemps comme le seul processus de mort cellulaire en
intercinèse (entre les mitoses).
L'apoptose ou mort génétiquement programmée, a été longtemps ignorée du fait de l'absence
d'images caractéristiques en cytologie (absence de cadavres). Elle est aujourd'hui considérée
comme un mode essentiel de mort cellulaire.
L'exécution de ce programme de mort cellulaire dépend de la présence de modérateurs
intracellulaires (parmi lesquels la protéine p53).
Tout se passe comme si chaque cellule contient un programme suicidaire, dans un état inhibé
quand la cellule et son environnement sont normaux, et activé dès que la cellule présente une
anomalie ou que son environnement est perturbé.
L'apoptose intervient en radiopathologie, soit en venant en addition des "morts nécrotiques",
soit par élimination de cellules porteuses d'anomalies viables après réparation fautive. Il
s'agirait alors d'un mécanisme de contrôle important de la cancérisation en particulier, en
éliminant un maximum de cellules douteuses.
VI-1-1 : Mort cellulaire immédiate ou rapide
La mort cellulaire immédiate ou rapide survient pour des doses énormes, de l'ordre du millier
de Gy.
C'est un phénomène rare.
2 types cellulaires font cependant exception à cette règle et meurent rapidement pour des doses
moindres (de l'ordre du Gy) : les lymphocytes et les ovocytes.
23
Nous verrons plus loin que cette particularité des lymphocytes revêt une grande importance
pour la dosimétrie (Cf. XI-4-2).
VI-1-2 : Mort mitotique ou "mort cellulaire radioinduite"
La mort à l'occasion de la division cellulaire est le cas général de mort cellulaire radioinduite et
explique une part importante de la radiopathologie.
Elle se définit comme la perte irréversible de la capacité de prolifération de la cellule.
C'est la mort différée dont parlent les radiobiologistes.
Les cellules irradiées semblent normales au point de vue morphologique et fonctionnel. Ce
n'est qu'au moment de la mitose que s'exprimeront les lésions, entraînant un déficit cellulaire.
Cette perte peut avoir lieu lors de la première mitose ou après quelques mitoses efficaces.
On peut en fait la voir comme l'extinction de la lignée cellulaire normalement issue de la
cellule irradiée, par "stérilisation", et on considère classiquement qu'il n'y a pas mort mitotique
quand la descendance de la cellule lésée a pu franchir 6générations.
Cela ne présage pas des anomalies géniques ou chromosomiques no létales dont les cellules
survivantes peuvent rester porteuses, ni de l'éventualité pour elles d'avoir franchi les premières
étapes d'une transformation (Cf. XI-1).
Les caractéristiques de la mort cellulaire radioinduite (mort mitotique) qu'il convient
d'avoir à l'esprit pour comprendre la chronologie des effets liés à la mort cellulaire (Cf. X-2) sont :
- Une mort différée,
- Un phénomène statistique (stochastique) au niveau de la population cellulaire. Le nombre
de cellules mortes est proportionnel à la dose. La notion de seuil, qui sera applicable au
niveau des tissus, n'intervient pas encore à ce niveau (un rayon unique peut
théoriquement tuer une cellule),
- Un délai d'expression fonction de la cinétique de reproduction cellulaire. La mort
cellulaire apparaîtra d'autant plus vite que les mitoses sont rapprochées,
- La mort ou l'insuffisance fonctionnelle d'organe survient quand un nombre suffisant de
cellules sont tuées (c'est à ce niveau qu'intervient la notion de seuil).
La notion d’instabilité génomique :
On avait jusqu'à présent une difficulté à expliquer en particulier les morts très tardives, après
plusieurs mitoses, alors que les lignées issues de la cellule irradiée semblaient passer l'obstacle
des premières mitoses avec succès, pour n'échouer que plus tard.
Une explication moderne de la mort radioinduite après plusieurs mitoses est l’instabilité
génomique (Cf. VII). Selon cette notion, il n’y aurait pas véritablement de modifications de
l’ADN de la cellule irradiée, mais une simple fragilisation de celui-ci.
Les anomalies n’apparaitraient que plus tard, à l’occasion de mitoses, dans l’ADN fragile des
cellules filles de la cellule irradiée. Elles entraîneraient ainsi les morts cellulaires tardives que
l’on a pu observer.
Remarque :
Comme pour les effets épigénétiques évoqués plus haut (Cf. IV-2-3), il ne faut pas voir dans
cette notion la découverte d'un nouveau risque radiologique qui s'ajouterait à ceux qui
24
sont déjà connus, mais une nouvelle explication pour un risque jusque là inexpliqué, mais
déjà connu.
VI-1-3 : Courbes de survie cellulaire
La survie ou la mort d'une population cellulaire en fonction de la dose peut se décrire par
l'intermédiaire de courbes de survie, où le taux de survie (S) est la proportion de cellules
survivantes.
- La première étape de la description consiste à obtenir des points expérimentaux, que l'on
reporte sur un graphe en coordonnées semi logarithmiques.
- On construit ensuite la courbe qui passe au mieux par ces points.
- On recherche ensuite la ou les fonctions mathématiques qui rendent compte au mieux de
cette courbe.
- On obtient ainsi deux allures de courbes de survie :
- Des courbes exponentielles,
- Des courbes avec épaulement.
Courbes de survie exponentielles
1
2
3
4
Dose (Gy)
1
10-1
10
Cette relation est observée dans les
organismes simples (virus, bactéries,
levures...) et pour quelques types de
cellules de mammifères (cellules
hématopoïétiques, cellules irradiées
par rayonnements à TLE élevé).
La relation est de la forme :
S = e -αD
-2
α est un coefficient représentant la
pente de la courbe (en coordonnées
semi-log)
S
Courbes de survie avec épaulement
1
2
3
4
Dose (Gy)
1
-αD
Epaulement
10
-1
10-2
S
-αD - βD²
Ce type de courbe décrit la survie de la
plupart des cellules de mammifères avec :
- Une pente à l'origine négative (-α),
- Une partie initiale plus convexe,
l'épaulement,
- Une partie distale qui tend à se
linéariser.
Diverses fonctions ont été proposées pour
décrire ces courbes. Les plus satisfaisantes
à l'heure actuelle sont les fonctions
linéaires quadratiques, de la forme :
S = e -(α D + β D²)
25
VI-1-4 : Interprétation des courbes de survie
L’interprétation de ces courbes conduit à considérer deux catégories de lésions (Cf. VI-1-5).
Elle peut faire appel à deux modèles d'interprétation :
- Le modèle balistique,
- Le modèle de réparation cellulaire.
VI-1-4-1 : Interprétation par le modèle balistique
Les courbes exponentielles correspondent à un modèle simple, selon lequel les cellules sont
porteuses d'une cible qui, si elle est atteinte, provoque
systématiquement la mort de la cellule.
La probabilité d'atteinte de cette cible est proportionnelle à
la dose (au nombre de projectiles).
Ce modèle signifie que la mort cellulaire est ici un
phénomène de tout ou rien. Une seule atteinte est nécessaire
et suffisante. Les cellules sont soit mortes soit intactes et il
S = e-αD
n'y a pas de réparation cellulaire possible.
Les courbes avec épaulement sont considérées comme issues de 2 composantes et font admettre
que les cellules peuvent être tuées de 2 façons :
- Par atteinte d'une cible létale d'emblée, comme dans le
cas précédent. Ces atteintes sont représentées par la
pente initiale (-α) de la courbe,
- Par une accumulation d'atteintes de cibles non suffisantes
-αD
individuellement pour entraîner la mort cellulaire. Pour
une composante quadratique, on admet qu'il existe une
cible cellulaire qui doit être atteinte 2 fois de façon quasi
concomitante pour interdire tout processus de réparation
-αD - βD²
entre les 2 événements, ou que la cellule contient 2 cibles
S = e-(αD + βD²) qui doivent être toutes deux atteintes pour que la cellule
meure.
VI-1-4-2 : Interprétation par un modèle de réparation cellulaire
−α
Atteintes
non réparables
Capacité
maximale
de
Dans ce modèle, et pour les courbes à
épaulement,
l'irradiation
entraîne
des
événements qui peuvent être létaux, mais aussi
être réparés rapidement.
La capacité de réparation cellulaire diminue
quand la dose augmente, par saturation des
mécanismes face au nombre d'événements.
La pente initiale de la courbe s'explique par
l'existence de lésions non réparables,
-L'épaulement s'explique par la baisse
progressive de la capacité de réparation par
S
saturation des mécanismes,
- La partie distale, linéarisée, correspond à la mort cellulaire pour chaque nouvel événement.
Courbe
s'il n'y avait
pas de
réparation
26
La courbe est alors parallèle à la courbe "s'il n'y avait pas de réparation". Les mécanismes de
réparation sont alors au maximum de leur capacité.
VI-1-5 : Les lésions cellulaires létales ou sub-létales
Les modèles qui viennent d'être évoqués ne sont que de simples images sans support réel, qui
permettent d'interpréter les constatations.
Le support physique de ces faits est représenté par les lésions moléculaires puis cellulaires dont
on distingue deux grands types :
- Les lésions létales d'emblée
Elles ne sont pas réparables et provoquent la mort cellulaire d'office.
- Les lésions sublétales
Elles ne sont pas fatales individuellement mais ne le deviennent que si plusieurs
coexistent ou si elles le deviennent par leur accumulation. Sinon, elles sont réparables.
Cela signifie que la létalité est liée à leur accumulation rapide dans le temps et l'espace,
prenant de court ou saturant les mécanismes de réparation. Une telle concentration est
une fonction directe de la dose et du débit de dose.
VI-2 : AUTRES EFFETS SUR LA CELLULE ET TRANSFORMATION CELLULAIRE ;
La description de l'action létale des rayonnements sur la
cellule qui vient d'être faite convient également, de
manière générale, pour d'autres effets sur les fonctions
cellulaires
(synthèses
protéiques,
excrétions,
performances diverses...), et surtout pour des lésions
non létales, qui persisteront dans le patrimoine de la
cellule et de ses descendantes.
Effet
Dose
On obtiendrait ainsi des courbes "effet = f(D)" d’allure
générale linéaire ou linéaire quadratique, symétriques
des courbes de survie (E = e-αD, E = e -(αD + βD²)).
Les mutations ou transformations cellulaire entre autres, capables de conduire notamment à la
cancérisation, peuvent donc survenir théoriquement quelle que soit la dose, dans la mesure où
toute radiolésion peut être mal réparée et devenir "indélébile" dans la descendance de la cellule
atteinte.
Ces mutations ou transformations seront d'autant plus nombreuses que la dose est forte et nous
verrons plus loin que la relation "dose-effet" est une relation "dose-fréquence" (Cf.XIII) qui
traduit une probabilité d'apparition en fonction de la dose.
27
VII - EFFETS SUR DES CELLULES NON IRRADIEES :
EFFETS NON CIBLES
On avait observé depuis longtemps que les lésions provoquées par les rayonnements ionisants,
entrainant des morts cellulaires ou des transformations, pouvaient être observées dans des
territoires débordant le champ d'irradiation, voire à distance de ce champ, ainsi que chez des
Dose
cellules descendant de cellules irradiées, alors que ces dernières ne
semblaient pas avoir
souffert.
Aucune explication satisfaisante n'avait pu être sérieusement avancée devant ce qui n'était
qu'un constat.
Une explication aujourd'hui avancée, notamment dans les rapports les plus récents de
l'UNSCEAR 1, repose sur des effets qui concernent des cellules non irradiées soit parce qu'elles
n'étaient pas dans ce champ d'irradiation, soit parce qu'elles n'étaient pas encore présentes au
moment de cette irradiation.
Ces effets, qui apportent des explications aux lésions de cellules qui n'étaient pas elles mêmes
la cible du rayonnement, sont appelés "effets non ciblés".
Remarque :
Les cellules ainsi lésées n'ont effectivement pas reçu de dose, mais il y a bien eu
délivrance d'une dose à l'organisme, à l'organe ou au tissu concernés.
Outre que, comme dans le cas des effets épigénétiques déjà évoqués, il ne faut pas voir
dans cette explication l'émergence d'un risque nouveau (Cf. IV-2-3), on n'a pas le droit,
comme cela a parfois été entendu, d'en conclure que même les doses nulles ou quasi
nulles sont délétères.
VII-1 : L’effet Bystander
Cet effet est un effet de proximité, concernant les cellules voisines des cellules irradiées.
Tout se passe comme si des signaux de dommage étaient transmis des cellules irradiées vers
ces cellules voisines, conduisant sur ces dernières à des effets du même type que les effets
constatés sur les cellules irradiées elles-mêmes.
Le signal peut être transmis par le milieu (facteurs clastogéniques) ou directement entre
cellules voisines. Les vecteurs de ce signal sont très probablement des médiateurs chimiques.
VII-2 : L’effet abscopal
Il s'agit d'un effet de même type, mais à distance, dans des tissus distincts des tissus irradiés, et
non plus d'un effet de proximité.
Il a été observé chez l’homme, dans des territoires non irradiés, après des traitements par
radiothérapie (doses très élevées).
1
United Nations Scientific Commette for Effects of Atomic Radiations.
28
On imagine un mécanisme faisant appel à des médiateurs chimiques (facteurs clastogéniques)
du même type que ceux évoqués à propos de l'effet Bystander.
VII-3 : L’instabilité génomique
Cette instabilité, liée à une fragilisation de l'ADN (ou de molécules intervenant dans les effets
épigénétiques) a déjà évoquée plus haut pour les cellules irradiées (Cf. VI-1-2).
Elle est également connue pour des cellules environnant des cellules irradiées et pour des
cellules souches non irradiées. Il s'agirait alors d'une instabilité génomique due à un effet
Bystander.
Dans les deux cas, il s'agit bien d'effets non ciblés (la cellule quyi souffre n'est pas la cellule
irradiée).
Cette instabilité transmissible peut expliquer une part des anomalies chromosomiques tardives
bien qu'instables que l’on peut observer (certaines anomalies chromosomiques chez des
lymphocytes des années après l'exposition).
29
VIII - FACTEURS JOUANT SUR L'EFFET CELLULAIRE
DES RAYONNEMENTS IONISANTS
Les éléments présentés jusqu'ici ont déjà permis de pressentir que les conditions d'irradiation
ont une influence importante sur l'effet produit (TLE, débit de dose, nature de la cellule…).
Le présent chapitre se propose d'apporter des précisions sur ces facteurs.
Dans un but de clarté et de simplification, les exemples présentés s'appuieront sur des courbes
de survie cellulaires théoriques. Il est bien entendu que ces considérations sont globalement
valables pour les autres effets sur la cellule, ainsi que pour les effets sur les tissus, les organes
et l'organisme, qui seront abordés dans d'autres chapitres.
Le rôle de la dose a déjà été évoqué. Il ne sera pas repris ici.
VIII-1 : LE TYPE CELLULAIRE
On a constaté que les courbes de survie de cellules de mammifères sont très différentes selon le
type cellulaire, mais moins selon l'espèce pour un même type cellulaire.
Cette observation est très importante car elle permet de considérer que les modèles cellulaire et
animaux sont des modèles convenables pour la radiobiologie de l'homme.
Globalement, les cellules les plus sensibles sont :
- Les cellules pluripotentes de la moelle osseuse (cellules souches des différentes lignées
sanguines),
- Les spermatogonies (cellules souches des spermatozoïdes),
Les courbes de survie de ces cellules présentent un faible épaulement. Il y a donc peu de
lésions réparables. Elles présentent aussi une pente (-α) importante, traduisant leur
grande sensibilité.
Des cellules encore très radiosensibles (avec une courbe présentant un épaulement) sont :
- Les cellules des muqueuses (les épithéliums),
- Les cellules basales de l'épiderme.
D'autres cellules, enfin, sont plus radiorésistantes (courbe présentant un épaulement très
marqué et une pente plus faible) :
- Les fibroblastes,
- L'endothélium vasculaire,
- Les cellules musculaires, les neurones…
1
10-1
10-2
6
12
Dose (Gy)
Cellules
hématopoïétiques
Cellules rénales
Cellules de crypte
intestinale
10-3
Survie
Courbes de survie pour différentes souches cellulaires,
pour un même rayonnement et pour une même espèce
30
Cette observation a été synthétisée dès le début du XXème siècle (1906) par les lois de Bergonié
et Tribondeau, qui avaient défini les grandes lignes de la sensibilité cellulaire de la manière
suivante :
Plus une cellule est:
- Jeune,
- Peu différenciée,
- A forte activité mitotique,
Plus elle est radiosensible
Cette loi fondamentale apporte une explication simple à une grande part de la radiopathologie.
VIII-2 : FRACTIONNEMENT DE DOSE
Le fractionnement de dose est à la base des expériences d'Elkind et Sutton, qui ont mis en
évidence la notion de réparation des lésions.
L'observation pourrait se résumer ainsi :
- On considère une gamme de dose, et l'effet, létal par exemple, qu'elle produit sur une
population cellulaire donnée,
- On établit la courbe "dose- effet", la dose étant délivrée en une seule fois,
- On établit, de la même manière, une courbe pour la même gamme de dose, délivrée en 2
fractions égales séparées par un certain intervalle de temps.
Les constatations sont les suivantes :
Dose
-α
-α
Dose délivrée
en une fois
Survie
Dose délivrée en deux fois
- La dose fractionnée est moins efficace
que la dose unique,
- La deuxième fraction de dose engendre
une courbe "dose-effet" superposable à
la partie initiale de la courbe "dose
unique", ou à la première fraction, mais
débutant là où en était resté l'effet après
la première fraction d'irradiation.
-Tout s'est passé comme si l'intervalle de
temps entre les deux expositions avait
été mis à profit par les cellules
survivantes
pour
réparer
leurs
radiolésions, puis subir la deuxième
fraction d'irradiation dans les mêmes
conditions que la première.
31
Pour un intervalle de temps plus court entre les deux irradiations, on aurait constaté que la
deuxième partie de courbe ne reprenait pas tout à fait le début de la première, comme si les
réparations n'étaient pas complètes.
Si l'on augmente le nombre de fractions (pour une même dose globale), on constate une
augmentation de la radiorésistance globale des cellules.
On peut ainsi établir des courbes isoeffet, en fonction de la dose par fraction.
Dose
Survie
1
2
4
Nombre
de fractions
Lorsque l'irradiation est délivrée en N
fractions, séparées par un intervalle de
temps suffisant, le taux de survie est
d'autant plus fort, pour une même dose
globale, que le nombre de fractions est
important ou que chaque fraction est
plus faible.
A la limite, si la dose est suffisamment
fractionnée, avec des temps de repos
assez longs, ne devraient persister que
les lésions létales d'emblée et la courbe
de survie résultante devrait se confondre
avec la droite de pente initiale -α (Cf. VI-13).
On peut considérer simplement que ces observations confortent l'idée de bon sens selon
laquelle, à dose totale égale, l'efficacité d'un toxique est moindre s'il est délivré en plusieurs
fois ou en petites fractions.
VIII-3 : DEBIT DE DOSE
Dose
Survie
Débit de dose (valeurs décroissantes)
On peut voir un faible débit de dose comme
un fractionnement très fin de dose, avec une
infinité d'e petits intervalles de temps entre
chaque fraction, durant lesquels la cellule
peut se réparer, au cours même de son
agression. La courbe "dose-effet" se
rapproche alors de la droite de pente -α, au
fur et à mesure que le débit diminue (ou que
le temps d'irradiation augmente
Comme précédemment, l'observation de
bon sens selon laquelle un toxique est
d'autant moins efficace que le débit avec
lequel il est administré est faible, se trouve
ainsi conforté.
VIII-4 : TYPE DE RAYONNEMENT, NOTION D'EFFICACITE BIOLOGIQUE RELATIVE
32
Le rôle du type de rayonnement et de son TLE ont déjà été suggérés au chapitre relatif aux
effets physico-chimiques (Cf. III-1-2). On peut le dcrire à travers l'observation suivante :
On considère :
- Un type unique de cellules,
- Issues d'un même organisme,
- Un effet donné (qualitatif et quantitatif), ici le taux de survie,
- Des conditions expérimentales fixées et précises,
- Une gamme de dose donnée.
Dans ces conditions expérimentales précises et constantes, on irradie les cellules à des doses
croissantes, avec deux types de rayonnements ionisants.
On peut établir une courbe "dose-effet" pour le 1er type de rayonnement, qu'on considérera
comme rayonnement de référence (quand on ne précise pas, on admet que le rayonnement de
référence est un rayonnement γ).
On établit la même courbe pour l'autre rayonnement, que l'on veut étudier, et on compare à la
courbe de référence.
2
4
6
8
Dose (Gy)
L'observation des deux courbes
montre, pour obtenir un même
niveau d'effet, la nécessité de
EBR = 2
10-1
recourir à des doses différentes
selon le rayonnement incident. Cette
observation met en évidence une
toxicité
différente
des
deux
10-2
rayonnements.
EBR = 1,7
De façon à pouvoir comparer ces
différents rayonnements en termes
Neutrons
Gammas
d'effets biologiques, on définit entre
Survie
eux un coefficient, l'efficacité
biologique relative (EBR).
EBR est égale au rapport des doses nécessaires dans chacun des cas pour obtenir le même
niveau d'effet (et non au rapport des effets pour une même dose).
1
Dréférence
EBR =
Détudié
Dans le cas illustré, si on considère une survie de 10% des cellules, il a fallu une irradiation
γ de 4 Gy, considérée comme irradiation de référence, et seulement 2 Gy pour l'irradiation par
des neutrons.
L'EBR des neutrons, par rapport aux γ, pour cet effet, à ce niveau et dans ces conditions
expérimentales, est :
Dγ
n
= 2
EBR /γ =
Dn
Unités : On peut dire ici que 1 Gy neutron = 2 Gy équivalent gamma, et non 2 Sv (Cf. XVIII-5-1).
33
L'EBR fluctue en fonction des gammes de dose étudiées.
Toujours dans le cas illustré, pour une survie de 10-3, on constate que l'EBR n/γ est ici égal à
1,6.
Relation TLE/EBR
EBR
1
1
γ
10
e-
100
n
TLE (keV/μ)
De façon générale, plus un
rayonnement a un fort TLE, plus
son EBR est élevée.
Au delà d'un TLE de 175 keV/µ,
l'EBR chute. La concentration
des lésions est alors telle que les
cellules sont "tuées plusieurs
fois", ce qui constitue un
véritable
gâchis
d'énergie
(overkilling).
α
L'EBR est une notion de base en
radiobiologie. Elle rend possible la comparaison entre différents rayonnements, mais le carcan
dans lequel elle doit être manipulée (conditions expérimentales précises...) la rend inutilisable
en radioprotection ou elle est remplacée par le facteur de pondération radiologique (Wr) qui
sera exposé plus loin (Cf. XVIII-5-1).
34
R E T E N I R (Chap. VI à VIII)
Les effets cellulaires des rayonnements ionisants, conséquences des effets sur leurs
contituants, sont de deux ordres :
- Des modifications létales,
- Des modifications viables.
La mort cellulaire fait appel à divers mécanismes (nécrose, apoptose…) :
- Il s'agit d'une mort rapide, indépendante de la reproduction, pour les très fortes
doses.
- Dans le cas général, il s'agit d'une mort mitotique dont les principales
caractéristiques sont :
- Une mort différée fonction de la cinétique de reproduction cellulaire,
- Conduisant alors à une déficience du tissu concerné, par perte de la capacité à se
renouveler.
Les courbes de survie cellulaire permettent de montrer que le taux de perte est
croissant avec la dose et que la nature des lésions produites sont soit des lésions létales
d'emblée (non réparables), soit des lésions réparables sous réserve que les mécanismes
de réparation ne soient pas pris de court ou saturés.
Les autres effets sur la cellule (non létaux), qui comprennent des lésions géniques et le
risque de transformation (cancérisation) suivent les mêmes lois générales.
Les cellules non irradiées directement peuvent également présenter le même type de
lésions. Il s'agit des effets non ciblés : effet Bystander dans le voisinage de la cellule
irradiée, effet abscopal à distance, instabilité génétique pour les cellules de la
descendance.
Différents facteurs sont importants à considérer :
- La dose.
Les effets des rayonnements augmentent avec la dose.
- Le type cellulaire dont les lois de Bergonié Tribondeau rendent compte : plus une
cellule est jeune, peu différenciée et à forte activité mitotique, plus elle est
radiosensible.
Es cellules hématopoïétique sont les plus radiosensibles,
Les cellules des épithéliums (muqueuses, basale de l'épiderme…) conservent une
sensibilité importante,
Les cellules très différenciées (foie, rein, tissu nerveux…) sont les plus radiorésistantes.
- Le débit et le fractionnement de dose. De manière générale, plus une ose est délivrée à
faible débit (ou plus elle est fractionnée), plus son effet est atténué.
- Le type de rayonnement et la notion d'EBR.
35
Les différents types de rayonnements ionisants présentent une efficacité (une toxicité)
différente, qui croît avec leur TLE.
Cette efficacité est évaluée par l'efficacité biologique relative (EBR).
L'EBR est le rapport des doses nécessaires pour obtenir le même effet :
EBR = Dréférence/D R étudié.
L'unité employée est le Gy équivalent (et non le Sv).
Une traduction de l'EBR, réservée aux effets stochastique chez l'homme dans les
conditions habituelles de vie ou de travail, est le facteur de pondération radiologique
WR.
Dans ce cas, et dan ce cas seulement, la dose affectée de ce facteur devient la dose
équivalente et s'exprime en Sv.
36
IX - EFFETS AU NIVEAU DES TISSUS
ET DES ORGANES
Il est important de considérer les effets des rayonnements ionisants sur les tissus et les organes
surtout pour mieux comprendre les effets de fortes doses, pour lesquelles les morts cellulaires
entraînent des déficiences des tissus et organes.
On s'intéressera onc une fois encore aux effets de la mort cellulaire.
_____oOo_____
Les effets des rayonnements ionisants sur les tissus et organes sont multi paramétriques. Ils
sont liés en particulier à :
- une grande diversité de cellules, de sensibilités variables,
- une interdépendance des diverses cellules dans un tissu,
- une interdépendance des tissus dans un organe,
- l'importance des fonctions assurées par les tissus atteints,
- rôle des tissu de soutien…
On a déjà aperçu quelques éléments de cette radiosensibilité. On peut les résumer ainsi :
MORT CELLULAIRE
PERTE DE
PROLIFERATION
(phénomène
probabiliste)
Au cours de mitoses
TISSU :
PROPORTION DE
CELLULES TUEES
JAMAIS NULLE
Peu de mitoses
Renouvellement rapide
Mitoses fréquentes
RETENTISSEMENT
SI LES CELLULES
TUEES SONT
ASSEZ NOMBREUSES
Seuil
clinique
Peu de conséquences
Elimination des cellules
souches
- Les observations de Bergonié et Tribondeau à propos des cellules sont transposables au
niveau des tissus.
- On comprend bien que les tissus à renouvellement rapide, constitués de cellules jeunes et aux
mitoses nombreuses, sont les plus sensibles. Une part importante de ces cellules (souches) est
en effet pas ou peu différenciée.
- Ces observations concernent, au sein des tissus et organes, tant les cellules irradiées que les
effets non ciblés.
Les effets des rayonnements sur les organes et tissus sont étroitement liés à de nombreux
facteurs tissulaires :
37
- Blocages et retards à la mitose,
- Régulation et repopulation cellulaire des tissus,
- Réparations lentes,
- Surtout les types de tissus (tissus compartimentaux ou non compartimentaux).
IX-1 : BLOCAGES ET RETARDS A LA MITOSE
L'irradiation conduit à un blocage du cycle cellulaire en phase prémitotique. C'est ainsi que le
tissu irradié s'enrichit en cellules bloquées en phase G2 (phase précédant la division cellulaire).
Ce blocage finit par être levé grâce aux régulations tissulaires. Il y a alors reprise des mitoses,
de manière plus tardive que la normale, mais également de manière plus concentrée, voire
simultanée, dans le temps.
Ce processus est responsable de deux conséquences essentielles :
- Un ralentissement temporaire de l'évolution tissulaire,
- Une reprise en phase de mitoses qui peuvent alors être abortives et à l'origine de
phénomènes d'avalanches (Cf. IX-7).
IX-2 : REPOPULATION CELLULAIRE
L'homéostasie régule la population cellulaire des tissus en assurant un équilibre entre les
mécanismes de stimulation de la prolifération cellulaire, qui vise compenser les pertes dues au
vieillissement ou aux lésions, et l'inhibition de ces mécanismes quand les pertes sont
effectivement compensées.
L'atteinte radiologique est l'une de ces agressions pouvant induire une prolifération pour
compenser les pertes cellulaires.
Les mitoses ainsi induites peuvent toutefois être abortives (mécanismes de mort mitotique déjà
évoqués) et déclencher à leur tour de nouvelles stimulations, aboutissant à des phénomènes
d'avalanche éventuellement tardifs, mais explosifs (Cf. IX-7).
IX-3 : REPARATION LENTE
Il s'agit d'une réparation mal élucidée, incomplète, intéressant uniquement les tissus à
renouvellement lent ou non compartimentaux, qu'il faut différencier de la repopulation par
prolifération cellulaire.
On se borne aujourd'hui à constater une amélioration progressive et tardive de la qualité de
tissus où plusieurs semaines séparent irradiation et mitoses.
IX-4 : REPONSE ADAPTATIVE
On a constaté que, pour les plus faibles doses et débit de dose, le taux de morts cellulaires par
unité par mGy dans le tissu était plus élevé.
Le tissu semble se comporter comme si le stress était insuffisant pour déclencher les processus
de réparation cellulaire ou comme si le tissu jugeait suffisamment peu importante la perte
cellulaire pour ne pas mettre en oeuvre ces processus de réparation.
38
La réparation n'interviendrait que pour des doses plus élevées.
Cette réponse adaptative est un argument allant à l'encontre de l'hypothèse 'une absence de
seuil des effets stochastiques et de la relation linéaire sans seuil (Cf. XVIII-2-2).
IX-5 : TYPES ET ORGANISATIONS TISSULAIRES
On oppose deux types de tissus, en fonction de leur organisation du point de vue de la
reproduction cellulaire :
- Des tissus compartimentaux, encore dits "à renouvellement rapide", ou "hiérarchisés",
- Des tissus non compartimentaux, à renouvellement lent, encore appelés "non hiérarchisés"
ou "flexibles".
Cette distinction est fondamentale pour la compréhension des conséquences de la mort
cellulaire radioinduite sur les tissus et organes.
D'autres caractéristiques des tissus revêtent également une importance, essentiellement en
fonction du volume irradié.
On peut ainsi considérer:
- Des tissus en ligne pour lesquels une irradiation localisée amenant une destruction très
localisée peut avoir des conséquences plus importantes que ne le laissait prévoir le
volume irradié.
C'est le cas de la moelle épinière où une destruction locale peut être à l'origine de
paraplégies ou tétraplégies.
C'est aussi le cas de l'intestin grêle, pour lequel une irradiation localisée peut amener une
sclérose annulaire puis une sténose qui provoquera occlusions et perforations.
- Des Tissue Rescuing Units (TRU) propres à certains tissus comme l'intestin grêle ou le
rein.
Il s'agit de zones tissulaires (néphron pour le rein, crypte pour la muqueuse intestinale)
capables de se régénérer à partir d'une seule cellule.
Théoriquement, une irradiation très localisée mais stérilisant un TRU aura des
conséquences cicatricielles définitives tandis qu'une irradiation, même plus vaste, qui
laissera persister au moins une cellule par TRU n'empêchera pas la régénération.
IX-6 : TISSUS COMPARTIMENTAUX
IX-6-1 : Organisation générale :
Ce sont les tissus à renouvellement rapide.
Ils sont composés d'au moins 3 compartiments cellulaires successifs, parcourus dans le temps
par leurs cellules constitutives.
Ces trois compartiments sont :
- Le compartiment souche, formé de cellules très peu différenciées, jeunes, à activité
mitotique importante (cellules souches).
Son rôle est double :
39
- Fabriquer des cellules jeunes qui seront ensuite dirigées vers la maturation,
- S'autoalimenter en cellules souches,
Les cellules de ce compartiment sont les plus radiosensibles (lois de Bergonié et
Tribondeau).
- Le compartiment de maturation, composé de cellules issues du compartiment souche. Ces
cellules commencent à se différencier en même temps que se perd ou s'amoindrit leur
capacité de reproduction.
Il présente une radiosensibilité intermédiaire.
- Le compartiment fonctionnel, constitué des cellules adultes, opérationnelles, sans
mitoses.
Ces cellules sont les plus radiorésistantes à deux exceptions près, les ovocytes et les
lymphocytes.
COMPARTIMENT
SOUCHE
Nombreuses mitoses
Cellules indifférenciées
TRES RADIOSENSIBLE
COMPARTIMENT
DE MATURATION
Moins de mitoses
Différentiation en cours
PEU RADIOSENSIBLE
COMPARTIMENT
FONCTIONNEL
Pas de mitoses
Cellules différenciées
RADIORESISTANT
Les principaux tissus compartimentaux sont :
- La moelle hématopoïétique,
- Les épithéliums,
- Le tissu séminifère.
IX-6-2 : Expression de l'atteinte radiologique
Pour une dose modérée, les seules cellules lésées sont les cellules souches, très radiosensibles.
Les cellules adultes, pour leur part, continuent leur évolution normale jusqu'à leur mort par
sénescence.
Elles sont alors remplacées tout à fait normalement par les cellules du compartiment de
maturation, elles aussi encore normales.
Mais ce dernier compartiment n'est plus alimenté par le compartiment souche, victime de
l'irradiation. Il se tarira et, par la suite, le compartiment fonctionnel subira le même sort.
L'expression de la radiolésion se fera donc, après une période de latence correspondant au
temps de transit cellulaire entre les compartiments souche et fonctionnel, sous la forme d'une
aplasie ou d'une hypoplasie.
Pour une dose plus importante, les cellules du compartiment de maturation, qui ont gardé une
certaine sensibilité, sont également atteintes.
La latence sera donc plus courte (et l'expression pourra être plus intense).
40
On peut cependant retenir que la latence reste dépendante surtout du temps de maturation
cellulaire ou du temps de vie moyen des cellules adultes.
Des effets plus tardifs, de physiopathologie plus complexe, peuvent survenir ensuite. Ils sont en
fait probablement dus à des atteintes d'autres tissus, de soutien ou du voisinage.
L’instabilité génomique joue certainement également un rôle important à ce niveau.
IX-6-3 : Exemples de tissus compartimentaux
Tissu hématopoïétique
Cellules
souches
pluripotentes
COMPARTIMEN
T
Progéniteurs
(BFU, CFU,
GM-CFC…)
Multiplication
Maturation
(blastes)
MATURATION
Réticulocytes
hématies
Polynucléaires
macrophages
lymphocytes
plaquettes
COMPARTIMENT
FONCTIONNEL
- Le compartiment souche et le compartiment de maturation sont médullaires.
- Le compartiment fonctionnel est sanguin circulant.
Le temps de transit moyen et l'espérance de vie moyenne des cellules adultes présentes à un
instant donné est de l'ordre de 20 à 30 jours.
L'atteinte hématopoïétique se traduit par :
- Une désertification rapide du territoire de moelle osseuse exposé,
- Une pancytopénie sanguine vers 20 jours, avec un maximum vers 30 jours,
- L'anémie s'installe aussi en 20 à 30 jours, par le biais des saignements plus que du fait de
la durée de vie des hématies (120 jours, avec une espérance de vie moyenne de 40 à 50
jours),
- Les lymphocytes adultes meurent rapidement (48 heures). Cette particularité est utilisée
dans le cadre d'une technique de dosimétrie biologique exposée plus loin (Cf. XI-4-2).
Des effets à moyen terme peuvent être observés :
- Une hématopoïèse restant inefficace,
- Des lésions des tissus de soutien (stroma, lit vasculaire) qui entraînent une inefficacité de
la repopulation médullaire (autogreffe) pour des doses importantes.
41
Muqueuse de l'intestin grêle
Cellules sénescentes
(1 semaine)
Assises
J + 1, J + 2
Cellules
souches
VILLOSITES
CRYPTES
La muqueuse de l'intestin grêle est organisée en cryptes et villosités.
Les cellules migrent d'un compartiment souche, situé au fond des cryptes, vers la surface et
finalement le sommet des villosités, en poursuivant leur maturation.
Le temps de transit est de l'ordre de la semaine.
Les effets des rayonnements ionisants sur la muqueuse intestinale sont :
- L'apparition de lésions dans les cryptes (compartiment souche) en 6 heures, puis une perte
de qualité du revêtement en surface en 2 jours, maximale en une semaine,
- Une stérilisation complète des cryptes pour des doses de l'ordre de10 Gy,
- Des ulcérations et une destruction des tissus sous-jacents pour les plus fortes doses (>10
Gy).
Les effets à moyen terme sont des fibroses sous muqueuses, des sténoses liées à des atteintes
microvasculaires, apparaissent plus tardivement, en un an ou plus.
Epiderme :
Couche cornée (kératinocytes morts)
Kértinocytes (fin de maturation)
Couche basale (cellules souches)
La couche basale constitue les compartiments souche et de début de maturation (avec mitoses
nombreuses).
La maturation se poursuit tandis que la cellule monte vers la surface (kératinisation).
La couche superficielle est constituée de cellules adultes et mortes, les kératinocytes.
Les effets à court terme sont :
- Une épidermite sèche (<10 Gy),
- Une épidermite exsudative (15 Gy).
Les effets à moyen terme sont des lésions du derme sous-jacent (microvascularisation),
- Amincissement, fragilisation,
- Télangiectasies,
42
- Fibroses...
Le tissu séminifère :
La chute du spermogramme se situe vers 50 jours après l'exposition (le temps de la
spermatogenèse est de 70 jours) pour la plupart des doses.
Seule les doses les plus fortes (4 Gy), qui affectent le compartiment de maturation, provoquent
une chute plus précoce (et définitive),
Cette observation illustre parfaitement le fait que les cellules sensibles sont bien les cellules
souches (les spermatogonies).
Le cristallin
Le cristallin est considéré comme un tissu compartimental à évolution lente.
Le compartiment souche est constitué par les cellules du pôle antérieur. Ces cellules migrent
progressivement vers le pôle postérieur pour former les fibres matures (compartiment
fonctionnel).
L'atteinte se traduit par une accumulation progressive, vers le pôle postérieur, de cellules
dysmorphiques et de débris cellulaires qui conduiront à une perte des qualités de transparence
cellulaire.
La cataracte radioinduite apparaît ainsi en 6 mois à 2 ans et est plutôt une cataracte postérieure.
Elle apparaît classiquement pour des doses de l'ordre de 2 Gy et est constante pour 6 Gy. Des
études plus récentes évoquent en fait une augmentation du taux de cataractes pour des doses de
l'ordre de 700, voire de 350 mGy.
IX-7: TISSUS NON COMPARTIMENTAUX
LESION
STIMULATION
MITOSE
REGENERATION
INHIBITION
ARRET DES MITOSES
Ce sont les tissus pour lesquels on ne
peut pas individualiser de compartiment
cellulaire spécialisé dans leur propre
reproduction.
Le renouvellement se fait, à la demande,
par mitoses de cellules fonctionnelles,
selon un schéma du type illustré cicontre
Les tissus intéressés sont des tissus à
renouvellement lent. Leurs cellules ont
une vie longue et leur taux de
renouvellement reste faible (tissus
hépatique, rénal...).
43
Expression de la radiosensibilité
LESION
MITOSES
STIMULATION
MITOSE
Lésions
REGENERATION
INHIBITION
ARRET DES
Le peu de mitoses, la
différenciation des cellules,
la durée de vie longue qui
laisse
le
temps
aux
réparations de se faire,
expliquent
la
faible
radiosensibilité de ces tissus,
ainsi que l'expression tardive
des lésions.
Cependant, lorsque les premières cellules meurent, l'induction de mitoses déclenche,
tardivement, des mitoses abortives et des phénomènes d'avalanches selon le schéma ci-dessus.
L'expression, bien que tardive (éventuellement au bout de plusieurs années), peut alors être
intense et spectaculaire, voire explosive. Le résultat est d'une manière générale l'apparition de
fibroses, d'insuffisance tissulaire, de nécroses...
RETENIR
Les effets des rayonnements ionisants sur les tissus et organes constituent la dernière
étape conduisant aux effets sur la santé.
Ils sont importants à considérer surtout du point de vue des effets liés à la mort
cellulaire (effets déterministes).
Leur importance est certainement moindre (mais pas nulle) pour ce qui est des effets
stochastiques, dont la genèse est unicellulaire.
Des morts cellulaires, essentiellement par perte de la capacité de prolifération,
surviennent même pour toutes les doses, même les plus faibles. Elles n'entraînent
cependant des lésions tissulaires que si elles sont suffisamment nombreuses pour
rendre ce tissu déficient. Ce nombre suffisant de morts cellulaires dans le tissu est
directement lié à une dose qui doit être elle-même suffisante et constitue un seuil
clinique.
Les tissus les plus sensibles, qui subiront de plus les effets les plus précoces, sont les
tissus à renouvellement rapide 'extension des lois de Bergonié et Tribondeau).
De nombreux facteurs conditionnent les effets des rayonnements ionisants sur les
tissus. Parmi eux, l'organisation tissulaire, soit en tissus compartimentaux soit en tissus
non compartimentaux, revêt une importance particulière.
Les tissus compartimentaux sont des tissus à renouvellement rapide dans lesquels on
identifie un compartiment souche chargés d'assurer le renouvellement permanent, un
compartiment de maturation et un compartiment fonctionnel.
44
Les principaux tissus compartimentaux sont la moelle hématopoïétique et les
épithéliums.
Ce sont les tissus les plus radiosensibles.
L'irradiation stérilise préférentiellement le compartiment souche et les effets sur la
santé se manifesteront de manière différée, quand le compartiment fonctionnel,
sénescent, ne sera pas renouvelé.
Le temps de latence de ces manifestations est caractéristique du tissu (de sa vitesse de
renouvellement).
D'autres lésions des organes pourront survenir ultérieurement, par atteinte des tissus
de soutien.
Les tissus non compartimentaux, ou flexibles, ou non hiérarchisés sont au contraire des
tissus à renouvellement lent, dans lesquels on n'individualise pas de compartiment
souche (foie, rein, os…).
Ces tissus sont radiorésistants (seuil clinique élevé).
Les effets des rayonnements ionisants seront plus tardifs mais, du fait des phénomènes
d'avalanche liés aux mitoses abortives, pourront être explosifs.
45
X - EFFETS SUR L'ORGANISME, RADIOPATHOLOGIE :
GENERALITES
Les effets des rayonnements ionisants sur l'organisme sont connus essentiellement à travers 4
grands types d'observations :
- Hiroshima et Nagasaki,
- Un certain nombre de populations particulières (irradiés thérapeutiques, expositions
professionnelles…),
- Des accidents,
- L'expérimentation animale.
Les éléments de radiobiologie moléculaire, cellulaire et tissulaire qui viennent d'être présentés
avaient pour but d'expliquer selon quels mécanismes essentiels ces effets apparaissaient. Ils
laissent d'ores et déjà présager des différents types d'effets que l'on rencontrera, selon le schéma
suivant :
Rayonnement
LESION
REPARATIO
REPARATION
PAS DE
REPARATION
ALTERATION VIABLE
PAS
EFFETS ALEATOIRES
SOMATIQUE
MORT
EFFETS OBLIGATOIRES
GENETIQUES
Nous verrons à la fin de ce chapitre qu'un autre classement des effets sur la santé, essayant de
mieux tenir compte de certains effets tardifs, peut également être proposé (Cf. X-5).
Nous nous en tiendrons cependant au classement classique, proposé par le schéma ci-dessus.
46
X- 1 : RELATION ENTRE EFFETS BIOLOGIQUES ET RADIOPATHOLOGIE
Il est fondamental de comprendre qu’un effet cellulaire ou tissulaire (effet biologique) ne
signifie pas nécessairement qu’il y a un effet sur la santé (pathologie).
De nombreux mécanismes de régulation, sélection, homéostasie, réparation… entrent en ligne
et peuvent se solder par une absence de conséquences de certains effets biologiques sur la
santé.
Nous avons déjà insisté sur le fait que la description de mécanismes jusque là ignorés, comme
les effets non ciblés, apportent un éclairage nouveau, et peuvent même remettre en cause
certaines hypothèses ainsi que cela sera évoqué plus loin, mais cela ne signifie en aucune
manière qu’il y aurait un risque ou un effet nouveau sur la santé, jusque là sous estimé.
X-2 : LES EFFETS LIES A LA MORT CELLULAIRE
On les appelle également "effets obligatoires" ou "effets déterministes". Ces termes seront
explicités un peu plus loin (Cf. X-4-b).
Ils se manifestent au-delà d'un seuil clinique car il faut suffisamment de morts cellulaires pour
que la lésion s'exprime sous la forme d'une maladie.
Ces effets font l'objet des chapitres XI et XII.
Ils comprennent :
- Des effets précoces :
- Qui apparaissant avant 6 mois,
- Qui intéressent les tissus compartimentaux et apparaissent après une latence liée à la
cinétique cellulaire dans le tissu,
- Dont la latence varie peu en fonction de la dose pour un même tissu (atteinte de cellules
plus ou moins avancées dans leur maturation),
- Dont la réparation peut être relativement rapide et complète, par multiplication et
réensemencement à partir des cellules souches restantes. Cette réparation complète n'est
cependant pas la règle. Elle peut laisser au contraire des séquelles importantes
(cicatricielles, fonctionnelles…),
- Qui change d'aspect en fonction de la dose, de sa distribution et de la sensibilité des
compartiments souches des différents tissus atteints (Cf. XI-3).
Des effets tardifs :
- Qui apparaissant après 6 mois,
- Qui intéressent tous les tissus :
- Les tissus compartimentaux par épuisement des compartiments souches ou
atteinte des tissus de soutien,
- Les tissus non compartimentaux par le biais des avalanches de mitoses
abortives, ou des lésions des tissus de soutien, en particulier du tissu vasculaire,
- Les tissus compartimentaux ou non par instabilité génomique.
- Qui se traduisent de façon globale par des scléroses, des atrophies, des insuffisances
tissulaires...
47
- Qui sont à l'origine, après la guérison apparente des effets précoces liés à l'atteinte des
tissus compartimentaux, de rechutes liées surtout à l'atteinte des tissus non
compartimentaux (tissu vasculaire, tissu musculaire sous muqueux, derme, stroma...).
X-3 : DES EFFETS LIES A LA REPARATION FAUTIVE VIABLE
Il s'agit d'effets à long terme, appelés "effets stochastiques" ou "effets aléatoires". Ces termes
seront également explicités un peu plus loin.
On verra aussi que tout les oppose aux effets déterministes.
Leur point de départ est unicellulaire.
Ils intéressent tous les tissus.
Ce sont les cancérisations et mutations.
_________oOo__________
X-4 : CLASSIFICATION DES EFFETS DES RAYONNEMENTS IONISANTS SUR LA
SANTE
RETENIR
On peut grouper les effets des rayonnements sur l'organisme en deux rubriques, résumées dans
le tableau suivant et les notes qui l'accompagnent :
EFFETS DETERMINISTES
(obligatoires, non stochastiques)
EFFETS STOCHASTIQUES
(aléatoires, non déterministes)
Morts cellulaires
Cellules lésées survivantes
Seuil (a)
Obligatoires (b)
Gravité proportionnelle à la dose (c)
Eventuellement réversibles (d)
Caractéristiques (e)
Généralement précoces ou à moyen terme (f)
Pas de seuil reconnu (g)
Aléatoires (h)
Gravité indépendante de la dose (i)
Probabilité proportionnelle à la dose (j)
Généralement irréversibles (k)
Non caractéristiques (l)
Tardifs (m)
Syndrome d'irradiation globale aiguë
"brûlures radiologiques"
Cancers
Effets génétiques
Effets déterministes :
48
b:
c:
d:
e:
f:
a : La maladie n'apparaît pas si la dose n'atteint pas un seuil clinique.
Ce seuil est élevé et les effets obligatoires ne s'observent que lors d'accidents
d'irradiation importants.
Au-delà de ce seuil clinique, toutes les personnes atteintes seront malades (à quelques
fluctuations individuelles près, liées à la sensibilité ou l'état de santé préexistant du
sujet).
Pour chaque personne malade, la gravité individuelle ou l'intensité de la maladie
développée sera d'autant plus grande que la dose reçue est forte. Cette dose peut aussi
déterminer le type de maladie (Cf. XI-3).
Si la dose n'est pas très élevée et n'entraîne pas la mort du sujet, il y a une guérison ou
une amélioration spontanée, lente, de qualité variable. Celle-ci peut éventuellement se
faire au prix de séquelles importantes et être très incomplète.
Sur la notion d'accident, les symptômes présentés et la chronologie, on peut affirmer
raisonnablement que la maladie est due ou n'est pas due aux rayonnements ionisants.
Cependant, le diagnostic reste difficile à établir et, en l'absence de connaissance de
l'accident, elle peut tout à fait être confondue avec une maladie non radioinduite
(surtout pour les premiers signes).
Ces effets surviennent généralement en quelques jours, quelques semaines, au maximum
en 18 mois. On décrit cependant aujourd’hui, pour une faible proportion des personnes
irradiées et pour des doses modérées (de l’ordre de 0,5 Gy), des pathologies
cardiovasculaires très tardives (plusieurs décennies).
Effets stochastiques :
g:
On ne sait pas si ces effets aléatoires ont ou non un seuil. Leur mécanisme d'apparition
(au départ une seule cellule lésée) ne permet pas d'affirmer qu'il y aurait un seuil. En
radioprotection et au nom du principe de précaution, on considère donc, par prudence,
qu'il n'y en n'a pas. Cela revient à dire que "le risque nul n'existe pas".
h : La maladie frappe au hasard parmi les sujets exposés. Quelle que soit la dose, on n'est
jamais certain d'être ou de ne pas être malade. Si le risque nul n'existe pas, le risque
absolu non plus.
i : La gravité de la maladie, si elle est déclarée, dépend du type de cellule atteinte et de la
lésion créée. On peut tout à fait présenter un cancer gravissime pour une dose faible (ou
pour une raison non radiologique), comme on peut présenter une forme moins agressive
pour une dose plus forte.
j : Plus la dose est forte, plus la probabilité de créer la lésion capable de provoquer l'effet
délétère est importante. Cela se traduit par une augmentation du risque de contracter
cette maladie ou, dans une population exposée, une augmentation du taux de malades
(de l'incidence) avec la dose moyenne.
k : On n'observe pas de guérison spontanée de ces maladies.
l : Les effets stochastiques (cancers, effets génétiques qui seront présentés plus loin) sont,
en l'état actuel de la science, strictement les mêmes que ceux qui ne sont pas dus aux
rayonnements ionisants. On ne connaît aucun marqueur spécifique et aucun moyen de
les reconnaître ou les différencier.
m : Ils apparaissent après une latence de plusieurs années ou décennies.
49
X-5 : AUTRE PROPOSITION DE CLASSIFICATION
L'explication des différents types d'effets par la mort ou la survie cellulaire reste globalement
satisfaisante.
Elle est cependant parfois considérée comme insuffisante, pour certains cas.
L'ampleur des réactions à forte dose ne s'explique pas par la seule mort cellulaire (Cf. XI-3-5).
De même, toujours pour de relativement fortes doses, (de l'ordre de 1 Gy), on constate
l'apparition très tardive, et peu fréquente, de maladies cardiovasculaires dont les caractéristiques
interdisent de les classer simplement "déterministes " ou "stochastiques".
On cherche à contourner la difficulté en essayant un classement "avec réaction tissulaire" (la
plus grande part des effets déterministes) ou "sans réaction tissulaire" (les effets stochastiques et
probablement les effets cardiovasculaires tardifs).
50
XI – EFFETS DETERMINISTES :
L'IRRADIATION GLOBALE AIGUE
L'irradiation globale aiguë accidentelle reste un fait rare (Goiânia,
Tchernobyl, Tokaï Mura...). Il s'agit surtout d'accidents de criticité
et de pertes ou non protection de sources.
L'irradiation thérapeutique ainsi que les bombardements
d'Hiroshima et Nagasaki ont apporté le plus grand nombre de
renseignements.
L'irradiation thérapeutique utilise cet effet pour détruire des
cellules indésirables.
Le syndrome d'irradiation globale aiguë (SAI) résulte d'une exposition de l'organisme entier de
manière relativement homogène, à un rayonnement pénétrant.
Pour une irradiation forte, à fort débit, il évolue selon les descriptions habituelles en 4 phases :
- Phase initiale ou prodromique,
- Phase de latence ou de rémission clinique,
- Phase d'état ou critique,
- Phase de restauration.
D'importantes variations sont observées en fonction des paramètres de l'irradiation :
- Dose moyenne,
- Répartition topographique (hétérogénéité),
- Répartition chronologique (débit de dose).
Ces variations touchent à la fois la gravité, la nature des lésions et la chronologie.
Le SAI peut être représenté par le schéma suivant, auquel on se contentera d'ajouter quelques
commentaires et précisions :
20
MORT
SYNDROME NERVEUX
SYNDROME
DOSE
12
6
SYNDROME
HEMATOPOIETIQUE
GRAVITE
1
TEMPS
51
Il apparaît caractérisé par 3 tableaux fonctions de la dose (ici donnée pour X ou γ à fort débit), et
de la radiosensibilité des tissus impliqués:
* 1 à 6-7 Gy : Syndrome hématopoïétique. C'est le syndrome habituellement décrit comme
"mal des rayons" type,
* 6-7 à 12 Gy : Syndrome digestif dominant,
* >12 Gy :
Syndrome nerveux central avec décès rapide
En deçà, un discret syndrome biologique (perturbation de la formule sanguine, EEG, caryotype)
apparaît vers 0,2 à 0,5 Gy.
Les 4 phases d'évolution, bien individualisées pour les plus faibles doses, se télescopent pour les
plus fortes.
XI-1 : PHASE INITIALE
- Elle apparait au dessus d'un seuil de 0,7 Gy,
-elle est constituée de prodromes d'ordre neurovégétatif autour de deux pôles :
- Neurologique : asthénie, apathie, prostration, hyper-sudation, fièvre, céphalées,
hypotension...
- Digestif : anorexie, nausées, vomissements, hyper salivation, parotidite, diarrhées...
La fréquence, l'intensité, le délai d'apparition et la durée de cette phase sont fonctions de la dose.
Leur observation serait une des données majeures du triage en cas d’évènement occasionnant des
victimes nombreuses.
Une dosimétrie clinique est par exemple établie sur l'observation des nausées et des
vomissements :
Les chiffres avancés sont à considérer avec précaution. Ils peuvent varier énormément
selon les auteurs et il faut voir là le peu de précision qu'on est en droit d'en attendre.
Incidence
estimée
5%
25%
100%
Délai
Diarrhées
>3h
"
>1h
<1h
"
0
+
+
++
++
Signes associés
Fièvre
Neuro
+
++
++
+
++
Dose
0,7 Gy
1 Gy
1,5 - 4 Gy
4 - 6 Gy
6 - 20 Gy
> 20 Gy
Des grilles plus complexes et plus élaborées ont été proposées. Elles n'apportent pas plus de
précision et celle-ci a au moins l'avantage d'être relativement facile d'emploi dans une situation
de crise.
52
De façon pratique, on est bien obligé d'admettre que la description de cette phase initiale
ressemble beaucoup à celle de phénomènes d'ordre psychologique comme une réaction de stress
dans le cadre d'un accident à caractère radiologique. Le diagnostic différentiel est délicat.
Il n'en reste pas moins que l'observation de cette phase, sans oublier sa chronologie, est
fondamentale car elle constitue l’un des piliers de l’évaluation dosimétrique qui déterminera les
conduites à tenir, les moyens à engager et le pronostic.
XI-2 : PHASE DE LATENCE CLINIQUE
Cette phase est encore appelée "phase de rémission".
La dérégulation physiologique initiale se stabilisant, et l'irradiation n'étant pas trop importante (<
10 Gy), les manifestations cliniques s'atténuent, voire disparaissent.
On doit bien comprendre qu'à ce stade, les lésions cellulaires sont constituées, que les
compartiments souches sont atteints, mais que le délai nécessaire à une expression clinique n'est
pas encore écoulé.
Il ne s'agit donc que d'une rémission de l'expression clinique.
Cette phase, de façon globale, est d'autant plus tardive, courte et de mauvaise qualité que
l'irradiation a été importante.
Pour des doses supérieures à 10 ou 15 Gy, elle est escamotée.
XI-3 : PHASE D'ETAT
Ce stade est le véritable "mal des rayons".
Son délai d'apparition et sa forme clinique sont étroitement liés aux radiosensibilités et aux
temps de transit cellulaires des différents tissus irradiés (essentiellement les tissus
compartimentaux (Cf. IX-6).
On distingue les trois grands syndromes déjà cités :
XI-3-1 : Pour D > 10 - 20 Gy, syndrome nerveux central.
Il s'agit en fait d'une pérennisation et d'une aggravation des prodromes, sans phase de rémission.
Les signes sont constitués de troubles de l'activité motrice, signes méningés, altérations
sensorielles précédant un coma profond. La mort survient dans un délai qui peut être de l'ordre
de 48 heures à une semaine. Ce syndrome est au-delà de tout recours thérapeutique.
XI-3-2 : Pour D > 6 Gy, syndrome intestinal.
L'expression clinique sera à dominante digestive et apparaîtra en 2 à 6 jours (le temps de transit
des cellules de la muqueuse intestinale est d'une semaine).
La phase de rémission est réduite.
Les manifestations sont celles qu'on imagine sur un intestin dont la muqueuse a été décapée :
53
- Anorexie,
- Diarrhées,
- Infections à porte d'entrée digestive,
- Déshydratation, pertes hydroélectrolytiques,
- Hémorragies digestives,
- Invaginations, occlusions, perforations...
Les éventuels survivants resteraient exposés au syndrome suivant (Cf. XI-3-3).
XI-3-3 : Pour D > 1 Gy, syndrome hématologique.
Ce syndrome est particulièrement intéressant car les doses en cause sont celles pour lesquelles la
thérapeutique a une influence importante sur le pronostic.
C'est la zone de la DL 50/30 (4 Gy chez l'Homme).
DL 50/30 (dose létale 50%/30 jours) signifie "dose pour laquelle 50% des victimes
meurent en 30 jours, en l'absence de traitement.
Il faut bien comprendre cependant que des morts (moins nombreuses) surviennent
pour des doses moindres et que des survies, également spontanées, existent pour des
doses supérieures.
Le pronostic à ce niveau est radicalement transformé par la thérapeutique.
Le syndrome initial a été modéré, relativement bref et tardif.
La latence est de l'ordre de la semaine ou plus (plutôt 2 semaines).
La phase d'état est l'expression d'une hypoplasie ou d'une aplasie médullaire avec pancytopénie.
Elle est à base de :
- Troubles infectieux,
- Troubles de la coagulation avec saignements, pétéchies, purpura... pour les mêmes doses
et avec les mêmes délais,
- Signes d'anémie progressive, liés d'abord aux hémorragies.
- Les lymphocytes ont disparu ou fortement diminué en 48 heures.
XI-3-4 : Pour D > 0,7 Gy.
On n'observe guère qu'une diminution transitoire du taux lymphocytaire (Cf. XI-4-2).
XI-3-5 : La défaillance multiviscérale :
Pour les doses moyennes ou fortes (> 5 Gy), aux lésions d'organes comme elles viennent d'être
décrites est associée une réponse de l'hôte à l'agression sous la forme d'un syndrome
inflammatoire excessif (par libération de médiateurs chimiques systémiques non contrôlés), puis
une défaillance multiviscérale.
Cette défaillance est de découverte relativement récente, avec les progrès thérapeutiques qui ont
allongé le temps de survie de victimes de syndrome d'irradiation globale aiguë.
Elle se traduit par des atteintes fonctionnelles des différents systèmes ou organes, sans lésion
morphologique préalable, et des défaillances successives de ces organes.
C'est ainsi qu'on a pu observer, chez un irradié grave (Tokaï Mura), après l'installation du
syndrome hématologique :
- Un œdème pulmonaire résolutif la première semaine,
- Un syndrome digestif vers la 3ème semaine,
- Un syndrome cutanéo-muqueux (exsudations) en 4 semaines,
54
- Un dysfonctionnement rénal vers 8 semaines,
- Un dysfonctionnement hépatique vers 8 semaines,
- Le décès est survenu à la 11ème semaine.
XI-4 : ELEMENTS DE CONDUITE A TENIR
La conduite à tenir comprend deux pôles :
- Le bilan, avec les dosimétries physique, clinique et biologique,
- Le traitement.
L'urgence est représentée par le bilan, qui permettra un pronostic et l'évaluation des moyens à
mettre en place, ainsi que par le traitement des éventuelles lésions non radiologiques associées.
XI-4-1 : La dosimétrie physique s'appuie sur :
- Les caractéristiques de la source (activité, rayonnements, constantes…),
- La géométrie source-sujet (distance, temps de présence, écrans, positions relatives…),
- La durée d'exposition,
- Les mesures physiques (dosimétrie, débit de dose…).
Elle recherche deux informations :
- Une gamme de doses, réajustable au fur et à mesure de l’acquisition des données
biologiques,
- Une cartographie dosimétrique relative à la recherche de territoires plus ou moins
épargnés.
XI-4-2 : La dosimétrie clinique et biologique.
Les indicateurs biologiques sont nombreux au stade de la recherche.
Aucun d'eux n'apporte actuellement d'élément décisif sur l'établissement de la dose ou sur le
pronostic.
Les examens actuellement reconnus sont :
- L'hématologie
Des numérations formules répétées sont nécessaires, de façon à saisir les modifications
transitoires ou la dynamique de certains comptages.
- Un pic granulocytaire est visible dans les 24 premières heures,
- La chute des réticulocytes circulants dans les 48 heures est la première image de l'atteinte
des lignées sanguines (réticulocytes = cellules en voie de maturation),
- La chute lymphocytaire en 48 heures.
55
Plaquettes Hémoglobine -
Neutrophiles Lymphocytes
-
1 Gy
jours
0
10
20
30
40
50
Plaquettes Hémoglobine -
Lymphocytes - 0
Neutrophiles
2 Gy
10
20
30
40
50
jours
Plaquettes -
Neutrophiles Lymphocytes -
Hémoglobine
3 Gy
jours
0
10
20
30
40
50
Exemple d'évolution de la numération formule sanguine en fonction de la dose
D'après A. GOULT, ANDREWS et R. GLOUTIER
La mesure de la chute lymphocytaire en 48 heures est un examen de base.
La pente de chute des lymphocytes est proportionnelle à la dose moyenne absorbée.
Il s'agit bien de la pente de la chute des lymphocytes et non du nombre absolu de lymphocytes
présents (ce nombre est très variable individuellement en fonction de nombreux autres
paramètres).
Elle est déterminée par des numérations sanguines répétées toutes les 6 heures pendant les 48
premières heures après l'exposition.
Un étalonnage est possible avec une culture de lymphocytes soumis à un champ de
rayonnements de même composition que celui subi par la victime.
56
Lympho
Lympho/mm3
103
1,6 γ + 0,45 n
2,6 γ + 0,65 n
3,3 γ + 0,9 n
3000
Modérée
2000
Grave
1000
500
3,4 γ + 0,9 n
102
5 γ + 0,5 n
Très grave
100
Mortelle
0
1
12
101
2 jours
D'après G.A.ANDREWS
1
2
jours
3
D'après JAMMET, NENOT
- La cytogénétique a déjà été présentée (caryotype, FISH… Cf. V-3).
- Les paramètres biochimiques sanguins, dans les 12 premières heures, se sont montrés
décevants et ne constituent qu'un complément.
On espérait par exemple obtenir une image de la gravité de l'atteinte par la mesure de 4
enzymes (amylases, SGOT, LDH, phosphatases alcalines).
- Les marqueurs de l'inflammation au cours de la phase initiale n'ont pas de valeur
particulière, sinon de souligner le processus inflammatoire initial. Au début et au cours de la
phase d'état, ils revêtent au contraire un sens pronostique important en mettant en évidence un
processus inflammatoire secondaire dont l'importance ne semble pas lié étroitement à la dose
mais plutôt au pronostic individuel (cytokines IL6 IL8..., CRP, fibrinogène).
Ils sont à mettre en relation avec le syndrome de défaillance multiviscérale.
XI-4-3 : Le traitement spécifique est un traitement symptomatique. Il ne présente donc pas de
caractère d'urgence puisque les symptômes traités apparaissent au terme d'une période de
latence.
Il s'envisage en milieu spécialisé et comprend 3 volets :
- Hématologique,
- Anti infectieux,
- Equilibres hydroélectrolytique et nutritionnel.
Le volet hématologique comprend :
- Le traitement compensatoire, à base de transfusions.
Les précautions à prendre sont particulières :
57
- Typage fait dans un maximum de systèmes,
- Limitation au maximum aux fractions sanguines,
- Donneurs limités en nombre (donneur unique?), excluant les donneurs potentiels de
moelle.
Ces précautions visent à préserver autant que faire se peut la possibilité de disposer d'un donneur
de moelle en cas de nécessité absolue.
- Le traitement substitutif :
L'irradiation aiguë globale accidentelle étant en règle une irradiation hétérogène, qui préserve
relativement certains territoires médullaires, la greffe de moelle osseuse, un temps considérée
comme le traitement de choix, est en fait dangereuse du fait des réactions de rejet.
Le consensus actuel va vers l'utilisation de facteurs de croissance hématopoïétiques (GMCSF…), qui stimulent les éventuels territoires médullaires qui ont pu être épargnés.
Divers autres traitements substitutifs plus ou moins héroïques ont pu être essayés, sans succès
(foie fœtal après Tchernobyl…).
Le volet anti infectieux
comprend les pôles habituels de :
- Confinement,
- Règles d'hygiène et anti-infectieuses,
- Antibiothérapie massive sur infection avérée et antibiogramme.
Le maintien des équilibres
Relève des règles en vigueur dans les services de réanimation.
58
R E T E N I R (Chap. XI)
Le syndrome d(irradiation globale aiguë (SAI) est consécutif à l'irradiation à forte dose
de l'organisme entier.
C'est un effet à seuil clinique (1 gy) dont la nature dépend de la dose.
Il évolue classiquement en 4 phases :
- Une phase initiale, de réaction à l'agression, ou phase des prodromes. Cette phase est
d'autant plus forte, précoce et intense que la dose est élevée. (6 heures pour 1 Gy, 10
minutes pour 10 Gy).
Elle est constituée de signes généraux neurologiques et digestifs.
- Une phase de rémission ou de guérison apparente, tandis que les lésions biologiques
dans les tissus continuent d'évoluer à bas bruit.
Cette phase est d'autant plus courte, tardive et de mauvaise qualité que la dose est
forte. Elle est escamotée pour les doses de l'ordre de 10 à 15 Gy.
- Une phase d'état dont la nature est fonction de la dose :
- Pour D > 10 Gy : syndrome nerveux central sans phase de rémission, conduisant à
une mort rapide,
- Pour 10 Gy > D > 6 Gy : Syndrome digestif en une semaine, par destruction de la
muqueuse intestinale.
- Pour 6 Gy> D > 1 Gy : syndrome hématologique par déficience généralisée de la
moelle osseuse hématopoïétique, avec effondrement des diverses lignées sanguines,
en 2 ou 3 semaines.
- Une éventuelle phase de guérison, émaillée de complications sous la forme de
défaillance multiviscérale.
La dose létale 50 (décès de 50% des victimes en absence de soins) est d'environ 4 Gy.
Le traitement du SAI est essentiellement symptomatique. L'urgence est en fait le recueil
des éléments qui permettront d'estimer la dose et prévoir à la fois la nature et le délai
d'apparition de la phase d'état.
La dosimétrie biologique, fondée initialement sur la pente de chute des lymphocytes et la
cytogénétique, est un examen très important.
59
-
XII – EFFETS DETERMINISTES :
IRRADIATIONS AIGUES LOCALISEES
La plupart des accidents d'irradiation aiguë externe (irradiation externe ou contamination externe
par émetteur β ou β−γ) provoquent en fait des irradiations localisées ou au moins des irradiations
très hétérogènes.
Ces accidents sont pour une grande part dus à des pertes de sources, notamment de
gammagraphie industrielle, mais on peut voir également des passages dans des faisceaux de
rayonnements et des erreurs de manipulation en radiothérapie ontrécemment défrayé la
chronique.
Hormis quelques accidents très particuliers (irradiation céphalique...), l'organe cible
prépondérant commun est la peau, pour de nombreuses raisons :
- Sa topographie,
- Sa radiosensibilité (l'épiderme est un tissu compartimental à renouvellement très
rapide),
- La distribution de dose en fonction de la profondeur, qui a l'allure générale
suivante, montre que la dose maximale se situe au niveau de la peau :
% Dm
Dm : Dose maximale
Zm : Profondeur d'absorption maximale
variable selon le type et l'énergie
du rayonnement (de l'ordre du mm)
1
Zone
de
Buil
d
Zm
Profondeur (cm)
DISTRIBUTION DE DOSE EN PROFONDEUR DANS UN TISSU
XII-1 : CARACTERES GENERAUX
Les irradiations atteignent en fait, à des degrés divers et en fonction de la dose ainsi que des
caractéristiques du rayonnement, tous les tissus :
- Epiderme,
- Peau entière,
- Plans profonds.
60
Ils n'induisent des effets déterministes qu'au delà de seuils très élevés (bien supérieurs à celui du
syndrome d'irradiation globale aiguë), d'abord sur les tissus compartimentaux (épiderme), puis
sur les autres (endothélium vasculaire...).
La symptomatologie est riche et variée. Elle fluctue avec les caractéristiques de l'irradiation et
les zones atteintes.
Leur multiplicité empêche d'en proposer une description type satisfaisante.
On dégage cependant deux caractères généraux constants :
* Une expression cutanée avec :
- Une forme a minima représentée par l'épidermite sèche,
- Une forme limitée à l'épithéliite exsudative,
- Une forme évoluant vers l'endothélite vasculaire.
* Une symptomatologie douloureuse ( pour les endothélites) :
- Majeure,
- Difficile à traiter.
XII-2 : L'EPIDERMITE SECHE
On la rencontre pour des doses à la peau de plus de 6 Gy.
L'évolution se présente avec :
- Une phase muette de 2 semaines,
- Un érythème accompagné ou non d'une pigmentation persistante,
- L'épidermite sèche, desquamation dont le degré et lié à la dose et au territoire irradié.
La couche basale est alors déjà réparée et l'épiderme quasiment reconstitué.
La restauration est la règle.
- Une épilation (D>3 Gy) est observée vers la troisième semaine. Elle est définitive pour
D>8 Gy.
XII-3 : L'EPITHELITE EXSUDATIVE
Elle traduit l'atteinte en profondeur de l'épiderme et équivaut aux
brûlures de degré intermédiaire.
On l'observe pour des irradiations de l'ordre de 15 Gy.
On observe :
- Un érythème initial discret et fugace chez un nombre important de sujets. Cette
observation est le signe d'une évolution probablement sévère,
- Une phase de latence clinique,
- L'apparition de phlyctènes qui éclosent dans un délai fonction de la dose (3 semaines
pour 15 Gy).
On a l'habitude de situer l'isodose 18 Gy sur le pourtour des phlyctènes quand on manque
de renseignements plus précis sur la dosimétrie.
En fonction de l'hétérogénéité des doses, on peut ainsi assister à une succession
d'éclosions de phlyctènes.
L'évolution se fait :
- Soit vers la restauration cutanée, lente (3 à 6 mois), avec ou sans séquelles,
- Soit vers l'ulcération superficielle puis la restauration.
61
XII-4 : L'ENDOTHELITE VASCULAIRE
L'endothélite vasculaire intéresse le derme et éventuellement les masses musculaires profondes.
Les premières phases de l'évolution sont les mêmes que celles de l'épithélite exsudative.
La phase suivante est l'apparition de nécroses et intéresse des territoires qui ont reçu plus de 25
Gy.
XII-4-1 : La chronologie type est la suivante :
- Epithélite exsudative d'apparition rapide, accompagnée d'un œdème qui signe une
irradiation très intense,
- Guérison apparente en quelques semaines,
- Reprise évolutive plus ou moins explosive après un délai allant jusqu’à 18 mois.
Il s'agit de poussées de vascularite :
- Annoncées et accompagnées par : une phase érythémateuse,
un œdème local,
un syndrome douloureux,
- Apparition d'une ulcération profonde,
à fond jaunâtre,
recouverte d'un exsudat fibrineux,
- Une nécrose noire peut être observée quand les extrémités sont concernées.
Pour les irradiations les plus intenses, les différentes étapes se télescopent pour constituer une
évolution continue rapide.
L'apparition de scléroses rétractiles (muscles, tendons, aponévroses), précoces ou séquellaires,
pouvant se stabiliser rapidement ou présenter un caractère évolutif, est une réponse fréquente à
une exposition à des rayonnements très pénétrants.
XII-4-2 : La douleur :
C'est un phénomène très constant :
- A type de brûlure ou de broiement,
- Très intense,
- A fond permanent, durant des heures ou des jours, avec des poussées paroxystiques,
- S'intensifiant lors des poussées de vascularite,
- Pouvant être à l'origine d'intentions suicidaires.
XII-5 : LES SEQUELLES
Elles constituent des effets chroniques polymorphes et parfois difficiles à différencier de la phase
évolutive qui peut elle-même s'étaler sur des années :
- Atrophie globale,
- Dystrophies cutanées (coloration, dyskératoses, fragilisation, télangiectasies,
modifications des phanères...),
- Troubles vasculaires douloureux (vasodilatation ou au contraire vasoconstriction
traduisant une sensibilité accrue au froid...),
62
- Ankylose,
- Sclérose rétractile tardive,
- Nécrose osseuse spécifique (séquestres osseux).
Ces séquelles sont régulièrement accompagnées de troubles neurologiques à type de douleurs ou
perturbations de la sensibilité.
Elles peuvent évoluer vers des cancers secondaires (Cf. "effets stochastiques")
XII-6 : FORMES CLINIQUES PARTICULIERES
Selon le siège de l'irradiation, et pour des rayonnements suffisamment pénétrants, la pathologie
dominante peut être spécifique d'un organe cible particulier.
C'est ainsi qu'un accident d'irradiation céphalique (ouvrier passant la tête dans un irradiateur
agricole) de l'ordre de 12 Gy a donné lieu au décès rapide dans un tableau de type "nerveux
central".
Des irradiations abdominales peuvent amener, avec un syndrome cutané discret, une maladie de
type "intestinal";
En radiothérapie thoracique, l'une des complications redoutées est le "poumon radique", sclérose
pulmonaire aboutissant à moyen terme à une insuffisance respiratoire fatale.
Mais surtout, dans des circonstances accidentelles, il faut se préparer à accueillir des victimes
d'irradiation globale hétérogène qui associeront:
- Un syndrome d'irradiation globale aigue,
- Des lésions localisées dans les territoires les plus exposés.
En fait, on peut supposer qu'on aura peut-être affaire à un SAI relativement homogène pour des
victimes éloignées de la source (sous réserve que le parcours des rayonnements soit suffisant),
mais à une irradiation très hétérogène pour des victimes proches.
XII-7 : ELEMENTS DE CONDUITE A TENIR
Comme pour l'irradiation globale, et l'éventuel problème de la contamination étant réglé,
l'urgence est la dosimétrie. C'est elle qui dictera le pronostic et les prévisions de moyens à mettre
en oeuvre.
La surveillance ultérieure sera à l'affût des poussées évolutives.
XII-7-1 : Dosimétrie physique
Elle repose sur les paramètres habituels :
- Caractéristiques de la source et du rayonnement (nature, énergie, activité...),
- Géométrie source-sujet. Elle est fondamentale et délicate à établir.
Schématiquement, elle est à peu près constante pour une irradiation brève et variable
pour une exposition longue.
63
La distance conditionne la dose (loi en 1/D²) mais aussi le rapport dose globale/dose
locale.
- Caractères morphologiques du sujet.
- Durée d'exposition. Elle est liée comme on vient de l'indiquer à la géométrie. Il faut en
retenir de plus qu'elle est d'autant plus difficile à évaluer précisément qu'elle est courte.
Ces paramètres sont pris en compte au cours de reconstitutions théoriques ou expérimentales qui
viseront à établir des cartes dosimétriques.
XII-7-2 : Dosimétrie clinique
Elle et fondée sur l'observation des manifestations les plus précoces : chronologie, topographie,
érythème initial, phlyctènes, œdème, sensation de chaleur...
Cette observation, très importante, commence avant l'accueil en milieu spécialisé et le rôle de
l'équipe de secours est bien sûr majeur.
XII-7-3 : Indicateurs paracliniques
Ils sont d'autant plus difficiles à interpréter qu'ils sont perturbés par les manifestations
intercurrentes.
Ces indicateurs sont multiples :
Thermométrie et thermographie :
- On ne dispose pas de "point 0",
- Les cartographes thermiques sont très variables entre individus et, pour un même
individu, en fonction des circonstances de la mesure.
Il faut cependant essayer de mettre en évidence une hyperthermie notable, mais transitoire, des
territoires irradiés dès le premier jour.
Cette mesure retrouve de l'intérêt ensuite, à moyen et long terme. Elle peut annoncer les
poussées de vascularite.
Aucune corrélation satisfaisante entre dose et température n'a pu être établie. On se contente de
retenir grossièrement pour la phase précoce :
1°c
2 Gy
4°c
Evolution sévère
5°c
Evolution nécrotique
Scintigraphie vasculaire
Elle recherche des modifications du débit vasculaire et des défauts de régulation du débit dans
les territoires irradiés.
L'IRM, encore au stade expérimental dans cette indication, pourrait devenir un moyen important
de diagnostic précoce des brûlures radiologiques.
64
XII-8 : TRAITEMENT
Il s'agit d'un traitement qui s'adresse aux différents aspects des lésions et s'organise autour de
deux pôles:
- Médical pour l'inflammation, l'épithélite et les ulcérations superficielles,
- Chirurgical pour les ulcérations profondes, la nécrose.
Les phénomènes inflammatoires qui accompagnent tant la clinique initiale que les poussées
ultérieures demandent un traitement massif qui risque d'être long. Le problème de la tolérance
finit systématiquement par se poser.
Le traitement des brûlures par greffe de cellules souches autologues (HIA Percy en 2007)
semble transformer fortement l'évolution et le pronostic. De très bons résultats ont en effet été
obtenus en termes de cicatrisation (qualité et rapidité). Une observation dans le temps reste
encore nécessaire.
L'infection fait l'objet de soins du même type que lors des brûlures:
- Asepsie,
- Antisepsie,
- Antibiothérapie (sur antibiogramme),
- Chirurgie (nécroses, ulcérations profondes...).
La douleur est un point crucial et difficile:
Les douleurs de la phase initiale cèdent aux anti-inflammatoires, antalgiques et analgésiques
classiques.
Mais rapidement elles deviennent rebelles et exigent l'emploi d'antalgiques majeurs,
morphiniques, avec le risque d'accoutumance qui s'y associe.
Aux stades ultérieurs, on peut être contraint à la chirurgie à visée antalgique. L'indication en est
particulièrement délicate, sur un membre encore apparemment sain et on reste confronté à des
douleurs de membre fantôme.
65
XIII - EFFETS STOCHASTIQUES
DES RAYONNEMENTS IONISANTS
GENERALITES
Les effets stochastiques sont les effets habituellement redoutés des rayonnements ionisants.
- Ils ne peuvent pas actuellement être distingués de la même pathologie non radioinduite,
laquelle est fréquente,
- Ils semblent frapper au hasard la population exposée,
- Ils n'impliquent pas obligatoirement des doses importantes,
- Ils sont lourds de conséquences.
Ce sont ou ce seraient :
- Les cancérisations,
- Les effets génétiques.
Leur mécanisme fondamental a déjà été décrit (lésion viable et mal réparée d'une cellule, par
effet direct ou effet non ciblé), ainsi que leurs principales caractéristiques :
RETENIR
Pas de seuil reconnu : La maladie peut théoriquement apparaitre quelle que soit la
dose. En fait, de nombreuses études sont en faveur de l'existence d'un seuil ou d'un
pseudo-seuil en deçà duquel on ne constate pas l'apparition de nouveaux cas de
maladie, mais sans en apporter la preuve.
Au nom du principe de précaution, on admet donc qu'il n'y a pas de seuil.
Caractère aléatoire : La maladie survient chez un certain nombre de sujets exposés,
mais pas chez tous. Certains, même parmi les plus exposés, ne présenteront pas de
maladie alors que des cas pourront survenir chez les moins exposés. La probabilité
d'apparition dans une population exposée n'est jamais égale à zéro ni à un.
Gravité indépendante de la dose : C'est le type de lésion et le type de cellule atteinte qui
déterminent les caractéristiques de la maladie et sa gravité, quelle que soit la dose
reçue.
Fréquence proportionnelle à la dose : La probabilité de créer dans une cellule une
anomalie génératrice d'un effet stochastique augmente avec la dose. La probabilité
de voir l'une de ces cellules survivre aux différents processus de régulation et
d'élimination augmente avec le nombre de cellules concernées, donc avec la dose.
Le taux de malades apparaissant (l'incidence) dans une population exposée
augmente avec la dose.
Non caractéristiques : Les lésions cellulaires crées ne présentent pas d'originalité
importante par rapport aux lésions qui peuvent avoir été induites par d'autres
66
agents agressifs. On ne peut, en l'état actuel de la science, pas distinguer un effet
stochastique des rayonnements ionisants de pathologies équivalentes spontanées ou
liées à d'autres toxiques. On ne connait aucun marqueur spécifique.
Tardifs : On parle d'effets tardifs des rayonnements ionisants quand ceux-ci
surviennent plus de 6 mois après l'exposition. Les effets stochastiques apparaissent
en règle générale plusieurs années, voire plusieurs décennies, après l'exposition.
Eléments influençant la probabilité de survenue d'un effet stochastique :
En fonction de la modification liée à la réparation fautive, la traduction en termes de santé peut
être :
- Nulle (altération d'une région non codante du génome…),
- Une modification qui conduit à une cellule transformée,
- Une mutation héréditaire s'il s'agit d'une cellule germinale.
Les mécanismes de régulation (apoptose, homéostasie, immunocompétence…) aboutissent
cependant le plus souvent à la suppression de la cellule lésée, donc à l'absence de traduction
clinique de la lésion.
Certains scientifiques avancent en outre aujourd'hui l'hypothèse d'une réponse adaptative, selon
laquelle l'organisme gère ses processus de réparation "à l'économie".
Les processus de réparation, qui engendrent un risque de réparation fautive, ne seraient
sollicités que quand les lésions sont nombreuses (fortes doses). Si peu de cellules sont
endommagées (dose faible), celles-ci seraient éliminées sans tentative de réparation.
Cette hypothèse est l'une de celles qui suggèrent que les effets stochastiques seraient, de fait,
des effets à seuil (dose pour laquelle suffisamment de cellules seraient endommagées pour
engendrer un processus de réparation avec ses risques d'erreur).
On conçoit néanmoins qu'une lésion unique, sur une cellule unique, puisse théoriquement
entraîner un effet stochastique et que l'on puisse nier l'existence d'un seuil, puisqu'elle n'est pas
démontrée.
C'est la position de précaution adoptée pour les besoins de la radioprotection. Cette position a
conduit à la notion de "relation linéaire sans seuil, qui sera exposée en conclusion (Cf. XVIII-2).
67
XIV - CANCERS RADIOINDUITS
La cancérisation radioinduite est connue depuis 1902. C'est l'effet considéré comme le plus
sensible des rayonnements ionisants.
Nous verrons cependant, au cours de ce chapitre, que la connaissance de la cancérisation, et de
la cancérisation radio induite, recèle encore de nombreuses incertitudes, interrogations,
imprécisions… Celles-ci suscitent des débats parfois passionnels. Nous essaierons donc de
nous cantonner à une présentation la plus factuelle possible.
XIV-1 : MECANISME GENERAL
L'évènement fondamental proposé à l'origine de la cancérisation radioinduite a déjà été abordé
puisqu'il s'agit de lésions de l'ADN ou de lésions épigénétiques, ayant fait l'objet de réparations
fautives mais viables.
A l'heure actuelle, on imagine un processus général de cancérisation en plusieurs étapes
fondamentales, présentées très rapidement et succinctement ici :
La première étape est l'initiation. Il s'agit de la première lésion ponctuelle, allant de la
modification de quelques codons à la perte d'un morceau de chromosome ou des mécanismes
épigénétiques, qui aboutit à la réparation fautive déjà évoquée.
Cette phase d'initiation se conclut par un changement cellulaire stable (on peut parler de
cellules "à potentiel de transformation"), caractérisé surtout par une atteinte de gènes de
régulation de la prolifération cellulaire.
La stabilité pourra être remise en cause au cours de nouvelles agressions, radiologiques ou non,
ou du fait de l'évolution ultérieure (instabilité génomique…).
La promotion est l'étape suivante, qui peut survenir à tout moment (éventuellement tardif),
sous l'influence de "promoteurs" (alcool, tabac, toxiques divers…).
Ces promoteurs induisent l'apparition de nouvelles mutations et conduisent à la prolifération
d'un clone à partir de la cellule mutée. Il s'agit d'un clone "prétransformé", encore incapable de
se différencier. Elle met en jeu une stimulation de la division cellulaire ou une inhibition de
l'apoptose. Les mécanismes de régulation du cycle cellulaire restent cependant encore actifs.
La dernière étape est la progression. Son origine est à rechercher dans d'ultimes altérations
cellulaires qui donnent sa pleine indépendance au clone, avec les caractéristiques de la cellule
cancéreuse (indépendance vis à vis des facteurs de croissance, métastases, capacité d'invasion,
immortalité...). Les processus de régularisation (apoptose, coopération cellulaire...) ont disparu
et les cellules sont capables de se reproduire de manière anarchique, sans stimulation par des
promoteurs.
68
A chaque étape agit donc une ou plusieurs agressions qui peuvent être radiologiques ou non.
C'est entre autres en cela que le processus cancérogène est multifactoriel, avec l'intervention
nécessaire de lésions multiples.
Défenses de l'organisme :
Toute une cascade de défenses, qu'on pourrait qualifier de défense en profondeur en raison de
leur succession, et qui ont déjà été évoquées dans les chapitres précédents, font barrage au
développement du cancer :
- Réparation cellulaires et réponse adaptative,
- Apoptose,
- Immunosurveillance et homéostasie
- …
Cette succession d'évènements nécessaires apporte une explication aux temps de latence longs
observés en cancérologie et à l'excès d'incidence sommes toutes limité constaté pour les
rayonnements ionisants.
Sensibilité individuelle
Les variations individuelles de la radiosensibilité prennent aujourd’hui une importance accrue,
pour le monde du travail, le public ou l’exposition médicale.
On connait depuis longtemps un petit nombre de maladies génétiques qui sont associées à une
radiosensibilité importante aux fortes doses (atélectasie télangiectasique, xéroderma
pigmentosum, anémie de Fanconi…).
Ces maladies comportent en particulier des défauts de la capacité de réparation de l’ADN et ont
pour conséquence l'apparition précoce et quasi systématique de cancers, liés ou non à des
agents agressifs extérieurs (rayons UV, rayonnements ionisants, autres agents physiques ou
chimiques…).
Les variations de sensibilité à des faibles doses n’apparaissent pas avec la même évidence, du
fait des limites de l’épidémiologie (Cf. XIV-4 et annexe 4).
Cependant, une radiosensibilité accrue est décrite chez des porteurs de gènes de prédisposition
à certains cancers (femmes porteuses du gène BRAC1/2, de prédisposition au cancer du
sein…).
En fait, il s'agit de gènes de prédisposition à certains cancers (ici, le sein), quels que soient les
facteurs extérieurs favorisants. Si un tel gène est détecté chez un malade, qui a été soumis à
divers facteurs favorisants extérieurs, cette détection n'autorise en aucune manière de mettre en
cause préférentiellement l'un ou l'autre de ces facteurs extérieurs.
Par exemple, un gène de sensibilité au cancer du poumon a été décrit il y a quelques années
(2007). Il augmente le risque de cancer de 30% chez un porteur hétérozygote, de 80% chez un
porteur homozygote.
Cette susceptibilité prend toute son importance chez les fumeurs mais, si une personne porteuse
de ce gène est fumeuse et a été soumise à une contamination radioactive pulmonaire par
exemple, rien ne permettra de dire que la part de responsabilité de la fumée, par rapport aux
rayonnements, a augmenté ou diminué du fait de la présence de ce gène.
69
La présence de tels gènes de susceptibilité signe une plus grande sensibilité de leur porteur au
cancer concerné, mais ne désigne en aucune manière une origine, radioinduite ou autre.
Ces gènes ne sont donc pas des marqueurs spécifiques des cancers radioinduits.
_________ooOoo___________
L'observation de la carcinogenèse radioinduite est difficile en raison de nombreux facteurs :
- Cancers non caractéristiques, difficiles à isoler des autres,
- Incidence naturelle des cancers élevée, masquant l'incidence des cancers radioinduits,
- Apparition tardive,
- Phénomènes complexes et multifactoriels,
- Autres facteurs d'influence et facteurs de confusion, parfois ignorés.
Elle fait appel à 3 approches principales :
- Les études subcellulaires et cellulaires,
- L'expérimentation animale,
- L'épidémiologie humaine.
Nous nous attacherons surtout aux deux dernières approches.
XIV-2 : LES ETUDES SUBCELLULAIRES ET CELLULAIRES
Elles permettent de démonter les mécanismes de la transformation cellulaire et l'analyse de
certains facteurs d'influence.
Elles permettent aussi de tester les effets conjoints de différents facteurs (synergie de toxiques
cellulaires par exemple).
Elles sont limitées par l'extrapolation que l'on peut faire aux tissus, à l'organisme et à l'homme.
On peut par exemple, par l'action de certains mutagènes, induire l'immortalisation de cellules de
rongeur. On n'y est jamais parvenu avec des cellules humaines.
Elles ne permettent donc pas de mettre en évidence les facteurs autres que cellulaires (facteurs
tissulaires, régulations et défenses de l'organisme…).
XIV-3 : L'EXPERIMENTATION ANIMALE
XIV-3-1 : Intérêt et limites de l'expérimentation animale :
Elle permet l'exposition de populations animales et leur surveillance avec des paramètres
contrôlables :
- Etude séparée des différents facteurs que l'on souhaite étudier,
- Etude de l'évolution contrôlée des paramètres,
- Elimination de facteurs intercurrents du fait des conditions expérimentales,
- Possibilité d'étude de fortes doses, forts débits de dose,
- Possibilité d'étude de synergies ("radon-tabac" par exemple),
- Utilisation d'espèces très sensibles à l'effet étudié.
Mais elle présente un certain nombre de limites :
70
- L'utilisation d'espèces simples facilite l'élevage (coût, rapidité d'expression…) mais
éloigne de l'homme (faible homotypie 2),
- L'utilisation d'espèces plus proches de l'homme paraît plus satisfaisante mais se heurte à
des difficultés d'élevage (coût, conditions, protection des espèces…) et d'interprétation
(délais, petits nombres…).
On sait qu'il existe d'importantes variations individuelles de sensibilité ou d'incidence au
sein d'une même espèce (race, sexe, variété, âge, conditions de vie…). On comprend donc
que les comparaisons entre espèces différentes soient délicates.
La difficulté majeure est donc celle d'une extrapolation :
- De l'animal à l'homme,
- D'irradiations dans les conditions expérimentales (fortes doses, forts débits) aux doses et
débits de dose plus faibles qui intéressent l'exposition humaine.
L'animal d'expérimentation modèle le plus utilisé est le rat :
- Elevage aisé,
- Espérance de vie longue (> 3 ans),
- Homotypie satisfaisante (mammifère).
XIV-3-2 : Les apports essentiels de l'expérimentation animale :
Sans reprendre les apports historiques, l'apport essentiel à retenir aujourd'hui est une
confirmation globale de la relation "dose-fréquence" de la cancérisation radioinduite, avec
cependant de grandes variations entre les espèces et les cancers étudiés.
En fait, la relation "dose-fréquence" apparait souvent complexe, avec :
- un effet amoindri des doses les plus modérées 3 (un effet moindre par unité de dose, donc
une efficacité moindre de chaque mGy, dans cette gamme),
- pas ou peu d'effet visible pour des doses inférieures
Fréquence
à 0,5 Gy,
- parfois un phénomène d'hormésis, qui entraine une
diminution de la fréquence de cancers pour les plus
faibles doses. Ce phénomène a été observé
également en clinique humaine (Cf. XIV-4-3) mais est
resté ignoré car inexpliqué. Il pourrait être lié à la
stimulation
de
défenses
de
l'organisme
(mithridatisation?) ou à des réponses adaptatives
Dose
(Cf.XI-4). Il se traduit par des courbes en "J" du modèle
ci-contre.
XIV-4 : LES ETUDES EPIDEMIOLOGIQUES
2
Homotypie : Proportion de patrimoine génétique identique entre deux espèces. Il y a une forte homotypie entre les
différents mammifères. L'animal le plus proche génétiquement de l'homme est le chimpanzé
(homotypie de l'ordre de 98%).
3
On parle volontiers de faibles doses. Ce terme est employé avec une signification un peu différente en
radioprotection (doses pour lesquelles aucun effet n'est visible). C'est pourquoi, afin de ne pas introduire de
confusion, on a choisi de parler ici de doses modérées.
71
On a dit que les effets stochastiques n'étaient pas caractéristiques. Rien ne distingue, en l'état
actuel de la science, un cancer radioinduit d'un autre cancer et on ne peut jamais affirmer qu'un
cancer constaté chez un malade est dû ou non aux rayonnements ionisants.
On ne peut donc décrire cet effet chez l'homme qu'en termes de risque d'apparition de maladies
d'apparence naturelle.
De plus, on verra que l'effet cancérigène des rayonnements ionisants apporte une faible
augmentation sur un fond naturel de cancers important (de l'ordre de 25% des décès dans les
sociétés évoluées sont dus aux cancers).
Le principe général de l'étude épidémiologique est de comparer la fréquence d'apparition des
cancers entre des groupes soumis au risque étudié et des groupes témoins, les plus proches
possible, mais non soumis au risque, ou à l'inverse de comparer les facteurs de risques entre une
population malade et une population saine.
Les données épidémiologiques constituent un apport fondamental sur la radiocancérogenèse.
Elles restent cependant difficiles à manipuler à cause de :
- La difficulté de définir des groupes témoins,
- La "non reproductibilité" des études,
- Les biais statistiques multiples, éventuellement peu apparents, qu'il convient de déceler
puis de caractériser ou d'éliminer,
- L'imprécision des données (tenue ou existence de registres, qualité de diagnostic…),
- La représentativité limitée des grandes études (en général de fortes expositions à fort débit
de dose, dans des circonstances particulières).
XIV-4-1 : Méthodes d'analyse et expression des résultats :
On trouvera en annexe 4 quelques rappels sur les notions de base ou de vocabulaire utiles pour
une meilleure compréhension des publications en la matière ainsi que des propos tenus dans les
paragraphes qui suivent.
XIV-4-2 : Caractères requis pour une étude épidémiologique : notion de causalité
Une étude épidémiologique doit répondre à un certain nombre de critères pour que ses
conclusions soient acceptables :
- Méthodologie rigoureuse qui permet d'éliminer au maximum les biais statistiques. Ces
biais peuvent être liés à des différences de constitution ou de recrutement du groupe
témoin et du groupe étudié, à une différence de dénombrement entre les deux groupes (par
exemple plus exhaustif dans un cas que dans l'autre), à des méthodes de diagnostic
différentes…
- Respect de critères de causalité qui sont :
· Séquence dans le temps. L'apparition du facteur doit précéder l'effet,
· Constance (relative) de l'association,
· Concordance de résultats dans plusieurs enquêtes,
· Existence d'une relation "dose effet" (excès croissant avec la dose),
· Plausibilité,
72
·
Disparition de l'effet avec la disparition de la cause (tenant compte de
la latence).
De très nombreux travaux, après avoir défrayé la chronique, se sont révélés faux pour n'avoir pas
respecté ces critères et n'avoir pas décelé des facteurs de confusion importants.
Trois études fondamentales ont servi de bases à l'édification des normes de radioprotection :
- survivants d'Hiroshima et Nagasaki,
- radiothérapie pour spondylarthrite ankylosante,
- curie thérapie pour cancer du col utérin.
XIV-4-3 : Les survivants d'Hiroshima et Nagasaki
C'est l'exemple du débit de dose élevé, pour un rayonnement de faible TLE moyen.
C'est également l'enquête majeure pour laquelle on dispose d'une population témoin et d'une
population exposée importantes.
La gamme de dose reçue est large (0,01 à 4 Gy).
C'est enfin une population suivie maintenant depuis longtemps.
Parmi 285 000 survivants répertoriés, une population de 86 000, dont 40 000 irradiés et 46 000
constituant le groupe témoin, a été constituée. Elle est connue sous le terme "LSS = Life Span
Study".
On peut retenir les résultats présentés ci-dessous, qui datent des années 1990 :
Pour 40 000 personnes
1950-1987
Leucémies
Cancers solides
Cas attendus
Cas observés
Excès
156
8100
231
8600
75
500
575
(Engels, Holmstock, Van Mieghem, Données épidémiologiques chez l'homme,
in "Rayonnements ionisants", 1996,ONDRAF-Bruxelles
Il ne s'agit ni des premiers ni des derniers résultats relatifs à cette étude.
Les résultats les plus anciens faisaient apparaitre un excès global de cancers de l'ordre de 1500.
Les plus récents évoquent maintenant des valeurs de l'ordre de 300.
Cette évolution dans le temps est intéressante car elle appelle plusieurs commentaires :
- Le nombre de cancers supplémentaires dus à ces explosions reste modeste, sans commune
mesure avec ce que leur accorde l'imagination populaire ou certains groupes d'opinion,
- La diminution progressive de l'excès constaté (peut-être liée à l'évolution de l'âge moyen
de la population concernée) montre la nécessité de réviser dans le temps les prédictions qui
auraient pu être faites d'après les modèles mathématiques (Cf annexe 4),
- On est en droit de se demander s'il s'agit bien de cancers en excès, qui n'auraient jamais du
apparaitre, ou s'il s'agit "simplement", pour une part au moins, de cancers qui seraient
survenus de toutes manières, mais qui se sont déclarés plus tôt.
Les leucémies chez les survivants japonais :
73
C'est l'effet le plus connu, le plus incontestable et peut être le plus sensible des rayonnements
ionisants.
Il constitue la plus grosse pathologie stochastique décrite chez les survivants d'Hiroshima et
Nagasaki (en pourcentage d'excès), ainsi que pour les maladies professionnelles des radiologues,
surtout avant la dernière guerre mondiale.
Toutes les formes de leucémies peuvent être radioinduites sauf la leucémie lymphoïde
chronique.
Extrapolation
Une relation "dose-effet" a pu être établie
en particulier chez les survivants
d'Hiroshima et Nagasaki.
Elle a l'allure ci-contre.
Hormesis ?
On remarque la partie initiale de cette
courbe, qui pourrait indiquer un effet
d'hormésis, effet bénéfique des faibles
doses.
Dose (rad)
200
400
Risque
2,5 relatif
2,0
1,5
1 o
o
o
o
0,5
L'hormésis n'est pas pris en compte à
l'heure actuelle dans les recommandations
internationales
en
matière
de
radioprotection.
o
o
0,0
0,1
On constate cependant que les intervalles
de confiance (représentés par les barres
verticales sur la deuxième courbe) dans le
domaine de ce que l'on pourrait considérer
comme celui de l'hormésis, comprennent la
valeur RR=1 (Cf. annexe 4).
On considère donc que les valeurs
observées ne sont donc en fait pas
significatives et on s'abstient de conclure à
un effet bénéfique de ces doses.
0,2
0,3
0,4 Dose (Sv)
Risque relatif de leucémies chez les survivants
d'Hiroshima et Nagasaki (Y. Shimizu, 1992)
La latence d'apparition de ces leucémies est de l'ordre de 4 à 20 ans, avec une variation en
fonction de l'âge au moment de l'irradiation et du type de leucémie.
On considère que l'excès maximum se situe vers 8 ans après l'exposition.
On n'a pas constaté à ce jour d'excès de leucémies après l'accident de Tchernobyl.
XIV-4-4 : Patients irradiés pour spondylarthrite ankylosante :
14 000 patients masculins ont été traités par rayons X entre 1935 et 1954.
La radiothérapie visait à ralentir le processus d'ankylose.
La dose moyenne cumulée était de 10 Gy à la colonne vertébrale, supérieure à 30 Gy à la peau.
74
On a constaté une augmentation de l'incidence des leucémies (36 décès pour 11,9 attendus) ainsi
qu'une forte incidence des cancers cutanés de la région lombaire (épithéliomas).
XIV-4-5 : Femmes traitées en curie thérapie pour cancer du col utérin :
83 000 femmes de 8 pays différents, traitées par implantation locale d'aiguilles de radium pour
cancer du col utérin, ont été suives pendant 5 à 30 ans.
La recherche portait sur l'incidence de nouveaux cancers, du rectum ou du colon.
Le choix de ces cancers était justifié par leur localisation (proche du lieu d'irradiation) et leur
nature différente (élimination statistique du biais lié à des récidives de cancers du col).
_____oOo_____
A ces études de base s'ajoutent de très nombreuses autres études. Nous n'en citerons que
quelques unes, de grande notoriété ou qui peuvent susciter des commentaires particuliers.
XIV-4-6 : Irradiation médicales "historiques"
- Hypertrophie thymique du nourrisson :
Incidence de cancers chez 2600 personnes traitées par rayons X pour hypertrophie
thymique dans l'enfance (USA, 1926-1957)
Cas observés
Cas attendus
Dose moyenne (Gy)
Thyroïde
sein
Cancer thyroïdien
37
2,7
1,4
Cancer du sein
22
7,8
0,76
(Engels, Holmstock, Van Mieghem, Données épidémiologiques chez l'homme,
in "Rayonnements ionisants", 1996,ONDRAF-Bruxelles)
- Teigne du cuir chevelu (teigne tondante)
Incidence de cancers chez 10 800 personnes traitées par rayons X
dans l'enfance pour teigne tondante (Israël, 1949-1960)
Cas observés Cas attendus
Dose moyenne (Gy)
Cancer de la thyroïde
Cancer cutané
Cancer du SNC*
43
42
60
10,7
10
8,1
Thyroïde
0,1
Peau
SNC*
6,8
1,5
* SNC : Système nerveux central
(Engels, Holmstock, Van Mieghem, Données épidémiologiques chez l'homme,
in "Rayonnements ionisants", 1996,ONDRAF-Bruxelles)
75
- Femmes traitées pour tuberculose pulmonaire
Avant la découverte des antibiotiques antituberculeux, la tuberculose pulmonaire était traitée
par pneumothorax artificiel, pour "mettre le poumon malade au repos". Les malades étaient
surveillés par radioscopie itérative délivrant des doses importantes aux seins.
Mortalité par cancer du sein chez 19 000 femmes suivies par
radioscopie pulmonaire pour tuberculose pulmonaire
Cas observés
Cas attendus
Dose moyenne
au sein (Gy)
Cancer du sein
212
157,5
0,43
(Engels, Holmstock, Van Mieghem, Données épidémiologiques chez l'homme,
in "Rayonnements ionisants", 1996,ONDRAF-Bruxelles)
- Scintigraphies thyroïdiennes,
De nombreuses études ont porté sur le suivi des malades ayant été soumis à des examens de scintigraphie
thyroïdienne ainsi qu'à des actes de radiothérapie métabolique, avec injection d'iode 131 (Cf. irradiations
accidentelles).
Aucun excès de cancer de la thyroïde n'a été mis en évidence. Il convient de noter que ces patients étaient
des adultes.
- Radiographies vasculaires avec thorothrast ®
Des artériographies étaient pratiquées de 1930 à 1950 par injection de thorotrast® (contenant du
232
Th, en raison de sa grande densité et de son opacité aux rayons X), sans tenir compte de ce
que le thorium est radioactifs et se fixe sur le foie, la moelle osseuse rouge et la rate.
Une étude allemande, entre autres, sur 2300 personnes a montré une forte augmentation des
choliangiosarcomes (cancers du foie) et des leucémies, après une latence d'une dizaine d'années.
L'ERR pour le foie est de 200.
La dose engagée moyenne au foie était de 2 Gy.
XIV-4-7 : Expositions professionnelles
Radiologues
Les radiologues d'avant la dernière guerre mondiale, qui pratiquaient leur spécialité avec un
appareillage très dosant (radioscopie en particulier) et sans notions précises de radioprotection,
recevaient des doses annuelles de l'ordre de 1 à plusieurs Gy.
On a constaté chez eux un excès important de leucémies et de cancers cutanés (avec un excès de
risque relatif = ERR de 10.
Les recommandations émises lors d'un congrès de radiologie ont conduit, dans les années 40 et
50, à des doses annuelles de quelques dizaines de mGy, et un ERR de 3.
Actuellement, avec des doses moyennes de 1 mGy par an, aucun excès de risque n'est observé.
76
Peintres en cadrans lumineux
Il s'agissait de femmes qui appliquaient au pinceau des peintures luminescentes, aux sels de
radium, sur des cadrans de montres, aux USA dans les années 20.
L'usage voulait que le pinceau soit lissé avec les lèvres pour en affiner la pointe.
Les sels de radium sont solubles et traversent assez facilement la muqueuse buccale pour se fixer
préférentiellement à l'os.
Le résultat de cette pratique a été une contamination osseuse sévère.
1700 femmes ont été suivies médicalement, avec une dose engagée moyenne à l'os de 17 Gy (Cf.
annexe 1).
Parmi elles, 86 ont présenté un ostéosarcome ou un carcinome de la mastoïde, alors qu'il s'agit
naturellement
affection
0,04 d'une
Ostéosarcome
parrare après l'âge de 15 ans, exceptionnelle après 40 ans.
année-personne
•
0,03
0,02
•
0,01
0
10-1
•
•
• •• • • •
100
101
102
103
•
104
226
μCi
Ra + 2,5 μCi
226
µCi Ra + 2,5 µCi 228Ra
Ostéosarcomes chez des femmes appliquant des peintures luminescentes à base de sels de radium
D'après Rowland, Stehney, Lucas. Rad. Res., 766, 374, 1978
La latence d'apparition était de 10 à 20 ans et on pouvait observer un pseudo seuil pour des
quantités incorporées de 3 à 4.10² μCi de Ra (15 MBq).
Cette pathologie a complètement disparu parmi les personnels embauchés après 1927, date à
laquelle les conditions de travail ont été améliorées et le "lissage labial" proscrit.
Enquêtes concernant les mineurs : Ces enquêtes se rapportent au risque "radon".
Mortalité par cancer du poumon dans des populations de mineurs
Population étudiée
Période
Nombre Dose efficace Cas observés Cas attendus
d'observation
moyenne (Sv)
Mines d'uranium
Colorado
1951-82
2975
2,55
157
48,7
Nouveau Mexique
1957-85
3469
0,55
68
17
Bohème (Tchéquie)
1953-85
4042
1,13
574
122
Mines de fer
Malmberget (Suède)
1951-76
1292
0,49
51
14,9
(Engels, Holmstock, Van Mieghem, Données épidémiologiques chez l'homme,
in "Rayonnements ionisants", 1996,ONDRAF-Bruxelles)
77
Dans cette compilation, on note que le nombre de cas attendus (population témoin standardisée)
dans chaque étude ne représente pas la même proportion de la population (par exemple 48 pour
2975 au Colorado et 17 pour 3469 au Nouveau Mexique).
Cette observation illustre parfaitement l’importance de choisir convenablement le groupe
témoin, sous peine d'introduire des biais considérables et conclure de manière erronée.
Établissements industriels ou de recherche nucléaire
De nombreuses études ont été menées dans diverses installations.
Les résultats sont très dispersés d'une étude à l'autre et on en retient la tendance globale suivante
:
- La mortalité par cancers serait inférieure à celle attendue (effet du travailleur sain),
- La mortalité par leucémie serait plus élevée.
L'interférence avec d'autres toxiques industriels n'a pas toujours été prise en compte.
Les principaux résultats ont été rassemblés en une méta analyse qui concerne 96 000 sujets et qui
constitue l'étude actuellement la plus précise.
Ses conclusions sont :
- Aucune relation entre dose et mortalité par cancer,
- Augmentation de risque pour les leucémies évaluée par ERR = 2,2/Sv.
XIV-4-8 : Expositions accidentelles
Deux expositions accidentelles particulièrement sévères permettent d'évoquer la problématique
des cancers de la thyroïde.
Ces deux expositions sont d'une part les retombées sur les Iles Marshall de l'essai "bravo", essai
thermonucléaire des USA sur l'atoll de Bikini en 1953, et l'accident de Tchernobyl.
Les cancers de la thyroïde sont actuellement particulièrement observés et décrits, à la suite de
l'accident de Tchernobyl.
On avait pu observer une augmentation de ces cancers, avec un pseudo seuil vers 1,1 Gy (Cf. XIV-4au cours d'irradiations externes chez les enfants (pour teigne du cuir chevelu ou pour
hypertrophie du thymus),
6)
Au cours d'irradiation chez l'adulte au contraire (administration d'iode 131 à titre thérapeutique
ou diagnostic), on n'avait pas mis en évidence d'excès de pathologie thyroïdienne.
Au cours de contaminations par produits de fission frais (Iles Marshall après le tir "Bravo" de
Bikini), on a constaté une augmentation du nombre de nodules thyroïdiens à tous les âges. Le
petit volume de population n'avait en fait pas vraiment permis d'en tirer des conclusions
épidémiologiques précises mais l'excès était incontestable. Les doses engagées en cause étaient
très importantes puisqu'on évoquait jusqu'à des centaines de Gy à la thyroïde.
Après l'accident de Tchernobyl, alors qu'on attendait une augmentation des cas de leucémies et
que l'on n'en n'a pas observée, on a signalé à partir de 1992 une augmentation importante des cas
de cancers de la thyroïde chez l'enfant.
Cet excès est resté circonscrit aux régions de Gomel et Belarus, proches de Tchernobyl.
On estime le nombre de cas entre 4000 et 8000.
78
On observe que :
- Cette pathologie concerne uniquement des enfants,
- Les régions plus éloignées, en particulier la Pologne ou 18 000 000 de comprimés d'iode
stable ont été distribués, n'ont pas enregistré d'excès de cancers de la thyroïde.
Un certain nombre de facteurs sont à prendre en considération :
- La proximité des lieux de l'accident, faisant intervenir des iodes à période courte et donc
des débits de dose importants (Cf. VIII-3),
- L'âge au moment de l'exposition, avec en particulier l'activité intense de la fonction
thyroïdienne chez les enfants,
- La relative carence en iode des populations locales, les rendant plus avides d'iode.
Remarque :
On a annoncé par la suite en France une augmentation du nombre de diagnostics de
cancer de la thyroïde, chez l'adulte.
Il s'agit d'une augmentation aussi forte à l’ouest qu’à l’est, et qu’aux Etats-Unis.
Cette augmentation régulière est en fait observée depuis 1975, 10 ans avant l'accident de
Tchernobyl (Cf .XIV-4-2).
Ces éléments ne sont bien sûr pas en faveur d’un lien avec l’accident de Tchernobyl et
l'explication la plus sérieuse est certainement le progrès du diagnostic de cette affection.
XIV-5 : FACTEURS JOUANT SUR LA CANCEROGENESE
Les facteurs pouvant jouer sur la cancérogenèse sont nombreux et divers.
Ils sont liés aux caractéristiques de l'irradiation ainsi qu'à celles des sujets ou des organes
exposés.
Ce sont en réalité les facteurs qui ont déjà être présentés à propos de la radiosensibilité cellulaire
ou tissulaire (Cf.VIII).
XIV-5-1 : La dose absorbée :
C'est le facteur le plus important et, quand il s'agit de présenter ces phénomènes très simplement,
parfois le seul retenu.
On a déjà indiqué dans les caractéristiques des effets stochastiques quels étaient les deux
principaux points à retenir :
- La gravité du cancer déclaré n'est pas liée à la dose,
- Le risque de cancérisation augmente avec la dose absorbée. Cela peut s'exprimer au
niveau d'une population irradiée par une augmentation du nombre de cas quand la dose
moyenne ou collective augmente.
Des courbes "dose- effets" nombreuses ont été établies, pour différents cancers, mais une
représentation générale de cette relation peut être réalisée par une courbe "linéaire quadratique"
qui rappelle les courbes décrivant les effets cellulaires. Il s'agit ici d'une courbe "dose-incidence"
et non "dose-gravité". Elle ne tient pas compte de certaines particularités comme les courbes en J
(Cf. XIV-3-2 et XIV-4-3).
79
Pour les doses les plus faibles (de
l'ordre de 0,1 Gy), le taux
d'apparition de cancers se
confond avec le taux naturel (axe
des abscisses) et on ne peut pas
E = In + A e-αD.e-βD²
mettre en évidence de relation
E = incidence après irradiation
"dose-effet".
In = incidence naturelle
A, α, β : coefficients expérimentaux Dans cette gamme de doses, on
ne constate pas d'augmentation
Dose
du risque mais on ne peut pas
affirmer s'il y a un effet ou non.
Représentation générale d'une courbe linéaire quadratique
Cette difficulté a déjà été
signalée (Cf. X-4,g).
C'est le domaine des faibles doses et des extrapolations qui sera abordé en conclusion (Cf. XVIII-2).
Effet
XIV-5-2 : Le débit de dose :
L'expérimentation animale met clairement en évidence que l'effet est moindre pour les faibles
débits de dose.
Ces observations sont en accord avec l'effet cellulaire du débit et du fractionnement de dose,
ainsi qu'avec le rôle important que l'on reconnaît aux phénomènes de réparation cellulaire, plus
efficaces pour les faibles débits.
L'influence du débit de dose semble varier avec le type de rayonnement en cause.
Il apparaît plus faible pour les rayonnements de fort transfert linéique d'énergie (α, neutrons), et
maximum pour les rayonnements de faible TLE (X, β,γ).
XIV-5-3 : La nature du rayonnement
L'influence de la nature du rayonnement sur les effets biologiques est décrite par la notion
d'efficacité biologique relative (EBR) (Cf. VIII-4).
Pour ce qui concerne la cancérogenèse, les enquêtes avaient en particulier montré un excès fort
de cancers chez les mineurs d'uranium, spath fluor, et les peintres en cadran lumineux,
contaminés par des radioéléments émetteurs α, de fort TLE, alors qu'à Hiroshima et Nagasaki,
où le flux de rayonnement était essentiellement "γ – neutrons", de plus faible TLE global, l'excès
de cancers reste plus modeste (malgré un débit de dose plus élevé).
EBR est un coefficient de laboratoire, qui permet de comparer différents rayonnements en termes
d'effets.
Cependant, ce coefficient reste difficile d'emploi hors du laboratoire du fait de la précision des
conditions expérimentales nécessaires.
Dans le domaine de la radioprotection, où l'on se protège contre l'effet carcinogène qui est l'effet
le plus sensible des rayonnements ionisants, l'EBR est mal adaptée et difficile d'emploi à cause
de ses conditions d'utilisation trop étroites.
80
Elle a été remplacée, dans ce domaine, par le facteur de pondération radiologique (WR), qui sera
présenté en conclusion, pour l'estimation du risque (Cf. XVIII-5).
XIV-5-4 : La nature du tissu ou de l'organe irradié :
La nature du tissu irradié conditionne :
- Le type de cancer,
- La latence,
- La probabilité d'apparition en fonction de la dose,
- La notion de "pseudo seuil" ou de "seuil de visibilité".
La considération de la nature du tissu irradié et de la gravité de la pathologie pouvant survenir
est à l'origine de la définition d'un facteur d'estimation du dommage subi, analogue au facteur de
pondération radiologique WR, mais qui se rapporte au tissu ou organe irradié.
Il s'agit du facteur de pondération tissulaire : WT, dont la définition et l'utilisation seront
également abordées en conclusion (Cf. XVIII-6).
XIV-6 : BILAN DES CANCERS SUSCEPTIBLES D'ETRE RADIOINDUITS :
Quelques exemples d'études, parmi les plus anciennes, les plus démonstratives ou les plus
connues, viennent d'être donnés.
Les études portant sur la relation entre rayonnements ionisants et cancers sont en fait
extrêmement nombreuses et il est nécessaire de faire apparaitre clairement les principaux
résultats réellement solides, objectifs et dépassionnés.
Un certain nombre de grands organismes internationaux, au premier rang desquels figure
l'UNSCEAR tiennent ce rôle, à travers la publication de rapports.
Les rapports de l'UNSCEAR font la synthèse des articles scientifiques consolidés (publiés dans
des revues scientifiques à comité de lecture), dans des rapports périodiques considérés comme
le point sur l'état actuel de la connaissance, tel qu'il est admis par la communauté scientifique
internationale.
Pour ce qui concerne les cancers radioinduits, le rapport UNSCEAR 2007 permet de dresser le
bilan suivant :
Cancers pour lesquels il existe une relation "dose-effet" visible dès des doses de l'ordre de100
mSv :
- Leucémies (sauf leucémie lymphoïde chronique),
- Colon,
- Sein,
- Poumon,
- Peau (sauf mélanome malin),
- Thyroïde (pour une exposition dans l'enfance).
Cancers pour lesquels il peut y avoir un excès de risque, sans qu'une relation "dose-effet" puisse
être caractérisée :
81
- Foie,
- Vessie,
- Glandes salivaires,
- Œsophage,
- Estomac,
- Système nerveux central.
Cancers pour les quels un lien n'apparait que pour de fortes doses (1 à 10 Gy) :
- Intestin grêle,
- Rectum,
- Os,
- Utérus,
- Rein.
Cancers pour lesquels on n'a pas pu mettre en évidence de lien, y compris pour de fortes doses :
- Pancréas,
- Prostate,
- Mélanome malin,
- Maladie de Hodgkin,
- Lymphomes,
- Myélomes multiples.
Les trois dernières maladies doivent être considérées avec prudence car les données restent peu
nombreuses.
Il serait plus juste de dire que, dans leur cas, on manque de données épidémiologiques pour
mettre en évidence une relation.
Ce rapport de l'UNSCEAR insiste par ailleurs sur le fait que l'épidémiologie ne sera
vraisemblablement pas capable de répondre à la question de savoir s'il existe ou non un seuil de
dose au dessous duquel il n'y aurait pas de risque.
L'établissement de cette liste est aussi l'occasion de rappeler qu'il n'y a pas une maladie "cancer"
mais qu'il s'agit bien de tout une série de maladies qui n'ont que quelques points communs (liés
au défaut de contrôle de la prolifération cellulaire), mais qui restent par ailleurs très diverses.
82
RETENIR
Les cancers sont des maladies particulièrement fréquentes (25% des causes de décès
dans les sociétés avancées), multiples, complexes; mettant en cause une grande
diversité de facteurs environnementaux, individuels, familiaux, et les rayonnements
ionisants sont "un élément parmi d'autres".
Les cancers radioinduits sont des effets stochastiques dont les caractères généraux ont
été présentés au chapitre XIII.
Ce sont les effets stochastiques les plus connus, les plus sensibles et les plus
incontestables des rayonnements ionisants.
L'expérimentation animale a permis de préciser l'existence et la forme générale des
relations "dose-fréquence" au dessus d'un seuil de visibilité objectif. Elle ne permet
pas de conclure pour des doses inférieures à ce seuil.
L'épidémiologie humaine confirme ces résultats à travers de très nombreuses études
concernant des populations très diverses.
On en retient que :
- Les rayonnements ionisants induisent un excès de cancers incontestable. Cet excès
reste objectivement modeste face à l'incidence naturelle.
- L'excès augmente avec la dose
- Aucun excès n'est constaté au dessous d'un seuil de visibilité variable selon le type
de cancer. Les seuils de visibilité les plus bas sont d'environ 100 à 200 mSv.
- On ne peut cependant pas formellement conclure qu'il existe ou non un risque (qui
serait faible) pour des doses inférieures.
- Différents facteurs influent sur l'incidence des cancers radioinduits.
- Les deux à retenir sont :
- La nature du rayonnement en cause, représentée par l'EBR et sa traduction, en
radioprotection par WR. Les rayonnements à fort TLE (α, n) sont les plus
efficaces.
- La nature du tissu irradié, qui détermine le type de cancer. Cette nature est prise
en compte en radioprotection sous la forme de WT.
- Tous les cancers n'ont pas la même faculté à être radioinduits. Parmi les plus
sensibles on retient les leucémies et les cancers de la thyroïde chez l'enfant.
D'autres ont une sensibilité intermédiaire et certains semblent n'avoir aucun lien
avec les rayonnements ionisants.
83
XV – EFFETS TARDIFS NON CANCEREUX
Les effets radioinduits autres que les cancers ou les effets héréditaires (Cf. XVI) sont réputés liés à
un mécanisme de mort cellulaire et on considère qu'ils surviennent à des doses élevées, de
manière relativement précoce.
Diverses publications, reprises par le rapport de l'UNSCEAR déjà cité, font cependant état d'une
augmentation de la fréquence de certaines maladies non cancéreuses chez les survivants
d'Hiroshima et Nagasaki, depuis 1992.
Il s'agit d'affections cardiovasculaires et vasculaires cérébrales qui n'ont été observées en excès
que pour des doses supérieures à 0,5 ou 1 Gy.
Ces maladies en excès avaient été observées, pour des doses beaucoup plus fortes, chez des
patients traités par radiothérapie.
Ces maladies, dont le mécanisme n'est pour le moment pas précisé, ont certains caractères des
effets déterministes (il ne semble pas qu'elles soient liées à des survies de cellules lésées) et
certains caractères d'effets stochastiques (non obligatoires, fréquence liée à la dose, tardifs…).
La constatation de ces effets est l'un des éléments qui conduisent aujourd'hui à envisager un
nouveau classement des effets des rayonnements sur la santé (Cf. X-5 n).
84
XVI - EFFETS HEREDITAIRES DES
RAYONNEMENTS IONISANTS
Pour limiter la confusion qui peut règner dans l'opinion publique, voire dans des milieux
éclairés, entre effets (ou maladies) génétiques (ou héréditaires), tératogènes et congénitaux, il
est utile, en préambule, de rappeler les définitions simples suivantes :
maladie transmissible à la descendance par l'intermédiaire de cellules
germinales ayant subi une mutation. Ces maladies peuvent apparaître à la
naissance (elles sont alors congénitales) ou plus tard (elles ne sont alors
pas congénitales).
On admet que ces maladies sont liées à des anomalies ou des mutations
génétiques, mais on a vu dans les chapitres précédents que des
phénomènes épigénétiques pouvaient également être transmissibles. On
préfèrera donc parler ici d'effets ou de maladies héréditaires.
Il s'agit d'effets stochastiques.
Maladie tératogène : maladie liée à une atteinte de l'embryon après la fécondation.
Cette maladie est d'origine somatique.
Pour les rayonnements ionisants, on décrit des effets en majorité de type
déterministe.
Maladie congénitale : maladie qui apparaît à la naissance.
Cette maladie peut être d'origine génétique ou tératogène.
Maladie héréditaire:
Nous nous intéresserons dans ce chapitre aux seuls effets héréditaires.
Il apparait également opportun, avant d'aborder les effets héréditaires des rayonnements
ionisants, de présenter quelques rappels sur les lésions héréditaires.
XVI-1 : ANOMALIES HEREDITAIRES NATURELLES
Un taux de nouvelles anomalies héréditaires apparaît naturellement à chaque génération, de
manière apparemment spontanée et au hasard.
Cependant, de nombreux facteurs extérieurs l'influencent (mode de vie, conditions
d'environnement…).
Un équilibre s'instaure entre le taux d'apparition de nouvelles mutations et la disparition de
celles-ci, par perte de fécondité ou mortalité plus élevée des sujets porteurs de l'anomalie.
Cet équilibre aboutit chez l'homme à un taux d'anomalies stable, présentes dans environ 5% des
naissances.
Les anomalies héréditaires seraient en fait plus nombreuses au moment de la conception mais la
plupart sont éliminées avant la naissance, au cours des différentes étapes du processus de
reproduction :
85
-
Gamétogenèse (formation des cellules germinales),
Fécondation,
Nidation,
Embryogenèse,
Organogenèse.
Un certain nombre d'anomalies mineures passent par ailleurs inaperçues.
On peut enfin faire observer que ces mutations peuvent être positives ou négatives et que, par le
biais de la sélection naturelle, elles constituent pour partie au moins une explication de
l'évolution des espèces.
XVI-2 : NATURE DES LESIONS HEREDITAIRES
Des modifications du matériel génétique peuvent se produire sous l'influence de nombreux
agents, et aboutissent à la transmission aux cellules filles de caractères différents de ceux de la
cellule mère.
On distingue deux grands types de lésions du matériel génétique :
XVI-2-1 : Les lésions chromosomiques :
Variations du nombre de chromosomes :
Les variations du nombre de chromosomes constituent des "aneuploïdies" :
- Les trisomies viables principalement rencontrées sont :
- La trisomie 21 (syndrome de Down ou mongolisme), en moyenne 1/750 naissances,
dont l'incidence augmente avec l'âge de la mère,
- Le syndrome de Klinefelter (XXY au lieu de XY pour le garçon),
- Les monosomies (sauf Turner : X au lieu de XX pour une fille) sont incompatibles avec la
survie, ainsi que la plupart des trisomies.
- Les aneuploïdies viables sont généralement incompatibles avec la procréation. Chaque cas
est donc le résultat d'une mutation nouvelle.
Variations de la structure des chromosomes :
Les lésions de l'ADN peuvent entraîner des cassures et des remaniements des chromosomes
(Cf.V), qui peuvent intéresser les lignées germinales comme les autres.
Ces anomalies sont transmissibles mais les porteurs ne se reproduisent pratiquement pas.
Leur incidence réelle est donc très faible.
XVI-2-2 : Les mutations géniques :
Ces mutations résultent de réparations fautives de l'ADN, sans modification de la structure
générale des chromosomes.
Elles sont de gravité très variable, allant de l'anomalie tout à fait bénigne, voire inaperçue ou
sans traduction physique, jusqu'à des pathologies très lourdes et létales.
On distingue :
86
Les maladies dominantes, qui apparaissent alors qu'un seul des deux chromosomes est porteur
de l'anomalie. Elles apparaissent dès la première génération qui suit la mutation.
On connaît environ 1000 maladies autosomiques dominantes, chacune d'elles restant très rare.
Les maladies récessives, qui n'apparaissent que si les deux chromosomes homologues sont
porteurs de l'anomalie (homozygotes). Elles n'apparaissent pas à la première génération.
La maladie ne surviendra que chez certains descendants, à condition que les deux parents soient
porteurs sains ou eux-mêmes malades.
On peut les mettre plus facilement en évidence chez l'animal en pratiquant des reproductions
consanguines.
Les maladies liées au chromosome X : Elles n'apparaissent à la première génération que chez
les garçons.
Les femmes, porteuses de 2 X dont un allèle est sain, sont porteuses saines et transmettent la
maladie.
Un garçon sur deux, porteur d'un X muté issu de sa mère, et cet X muté n'étant pas masqué par le
chromosome Y, est malade.
Parmi ces maladies on peut retenir l'hémophilie, certains albinismes, le daltonisme…
Cette vision simple et ancienne des maladies génétiques, dites "medéliennes, du nom de leur
découvreur, s'est complétée et compliquée tout au long du XXème siècle.
On décrit ainsi :
Les maladies à déterminisme complexe : Ce sont des maladies héréditaires polygéniques
(nécessitant le port simultané de plusieurs anomalies) ou des maladies multifactorielles,
(comprenant un aspect génétique et d'autres facteurs, environnementaux, liés au mode de vie,
épigénétiques…).
Ces maladies apparaissent classiquement de façon tardive (à l'adolescence ou à l'âge adulte).
Ce pourraient être de loin les maladies les plus fréquentes puisqu'on cherche une composante
génétique dans un grand nombre de maladies courantes (maladies cardiovasculaires, maladies
dégénératives…).
On a déjà dit (Cf. XIV-1) que certains cancers au moins avaient une composante héréditaire avec les
gènes de sensibilité.
XVI-3 : EFFETS HEREDITAIRES DES RAYONNEMENTS IONISANTS
L'action mutagène des rayonnements ionisants est connue depuis 1927 (MULLER).
Ces rayonnements sont certainement les mieux connus des nombreux agents mutagènes
physiques ou chimiques.
L'évaluation des effets génétiques des rayonnements, comme celle des autres effets
stochastiques, s'appuie sur les résultats des études de biologie cellulaire, l'expérimentation
animale et l'épidémiologie humaine.
XVI-3-1 : Données de biologie cellulaire
On a vu, notamment dans les chapitres Iv et V, que les rayonnements ionisants induisaient en
grand nombre des dommages du patrimoine génétique, et que les processus de réparation, s'ils
87
étaient globalement très efficaces, pouvaient laisser persister quelques réparations fautives
viables. Ceci explique en partie au moins la cancérogenèse radioinduite.
Les mêmes anomalies sont identifiables sur les cellules germinales et il est tout à fait légitime de
supposer que de telles lésions, sur des cellules a priori plus fragiles (elles n'ont qu'un exemplaire
du patrimoine génétique au lieu de deux comme les autres, donc pas de "copie de sauvegarde"),
conduisent à un risque d'effet héréditaire très élevé.
Une nouvelle voie d'approche s'est en outre ouverte avec la génétique moléculaire, qui permettra
peut-être de mettre en évidence des modifications du génome passées inaperçues avec les
techniques actuelles.
Le développement de l'épigénétique (hérédité non liée au séquençage de l'ADN) pourra apporter
d'autres éléments.
XVI-3-2 : Epidémiologie humaine
De nombreuses observations et études ont été menées, à propos de diverses populations ou
groupes humains.
Ces étudescouvrent de nombreux domaines, dont nous ne ferons que citer quelques exemples :
Populations soumises à une irradiation naturelle intense :
Il s'agit de populations soumises à une irradiation d'origine tellurique (liée en particulier à des
affleurements de thorium ou à des concentrations importantes de radon).
Il s'agit aussi de populations vivant à haute altitude (Cordillère des Andes), soumises au
rayonnement d'origine cosmique.
Les résultats obtenus n'ont jamais pu mettre en évidence d'effet héréditaire de cette exposition.
Malades traités par radiothérapie :
Après une phase de stérilité transitoire (chez l'homme), aucun excès d'anomalies n'a pu être
constaté dans la descendance.
Cependant, les cohortes d'enfants nés après l'irradiation parentale restent faibles. Les résultats
manquent par conséquent de précision et de solidité.
Irradiations professionnelles :
Aucun excès d'anomalie n'a pu être mis en évidence chez les descendants de radiologues et de
manipulateurs d'électroradiologie, ainsi que chez les descendants de travailleurs du nucléaire.
Les résultats obtenus chez les radiologues sont certainement plus intéressants car la profession,
et l'exposition, est plus ancienne (on observe plus de générations) et les doses reçues par les
parents sont plus élevées (exercice de la profession antérieur à l'application des principes actuels
de la radioprotection).
88
Irradiations accidentelles :
L'étude de la descendance de 23 pêcheurs japonais, pris sous la retombée du tir "bravo" des USA
sur l'atoll de Bikini en 1953 (essai thermonucléaire en surface), n'a révélé aucune anomalie.
Ces pêcheurs ont eu 45 enfants.
Une étude est en cours sur les suites de l'accident de Tchernobyl.
Aucun effet héréditaire n'a pu être mis en évidence à ce jour.
La presse a pu se faire l'écho d'affirmations spectaculaires sur les "malformations de
Tchernobyl". Les cas présentés sont des anomalies congénitales, mais pour autant qu'on puisse
en juger, non héréditaires. De plus, il s'agit de malformations bien connues en dehors du contexte
nucléaire et dont le taux d'apparition n'a pas augmenté après l'accident.
Il convient cependant, par principe, de rester prudent dans les conclusions car cet accident est
encore récent au regard des générations humaines (25 ans).
Hiroshima et Nagasaki :
C'est l'enquête majeure, tant pour le nombre d'enfants suivis (31 000 jusqu'à l'âge de 20 ans),
que pour l'ancienneté (ces études englobent maintenant la 4ème génération).
Les critères étudiés sont nombreux, allant des anomalies spectaculaires à la recherche de
modifications discrètes de protéines, et comprenant l'apparition de cancers dans la descendance.
On a en particulier étudié :
- La fréquence des naissances compliquées, enfants morts nés, décès précoces, anomalies
congénitales majeures,
- Les causes de décès jusqu'à l'âge de 17 ans,
- L'existence d'aneuploïdies et de modifications de structure chromosomiques équilibrées
(trisomies 21, Klinefelter, Turner…),
- Les anomalies sanguines détectables par électrophorèse (28 protéines sanguines et 8
enzymes érythrocytaires),
- Le sex-ratio (proportion de naissances de chaque sexe).
Les rapports issus de ces études s'accordent pour conclure qu'aucune différence significative
entre exposés et témoins n'a pu être retenue.
Conclusion de l'épidémiologie humaine :
Il ressort des études épidémiologiques que :
- L'effet génétique des rayonnements ionisants, s'il existe, a une incidence trop faible pour
pouvoir être mis en évidence par des études épidémiologiques,
- Les valeurs que l'on obtiendrait par ces méthodes sont très imprécises et n'ont qu'une
valeur d'ordre de grandeur. Les estimations sont gênées par l'incidence des affections
héréditaires spontanées et la difficulté de les différencier des pathologies embryonnaires,
des avortements spontanés connus ou inaperçus,
- On ne doit pas s'attendre à voir apparaître, après exposition aux rayonnements ionisants,
des mutants spectaculaires ou même originaux,
- Tout se passe comme si l'espèce humaine présentait une résistance particulière aux effets
génétiques (plus qu'aux autres effets stochastiques). Cette résistance pourrait être due à un
haut degré d'hétérozygotie (très faible consanguinité), à une sélection remarquablement
89
efficace des gamètes aboutissant effectivement à la reproduction ou encore à une sélection
naturelle performante des produits de conception,
L'approche de ces effets, si on veut définir et quantifier un risque génétique, ne peut donc se faire
que par l'expérimentation animale, puis son extrapolation à l'homme.
XVI-3-3 : L'expérimentation animale
Elle offre les avantages déjà évoqués à propos de l'étude des effets cancérigènes :
- Bonne maîtrise des conditions d'irradiation,
- Possibilité d'obtenir de fortes populations,
- Possibilité d'appliquer de fortes doses,
- Homogénéité des populations irradiées,
- Potentialisation des effets par sélection de modèles animaux très sensibles.
Elle offre de plus :
- Possibilité d'étudier de longues filiations,
- Possibilité d'appliquer des doses à chaque génération,
- Mise en évidence des mutations récessives par la maîtrise des reproductions consanguines.
De nombreuses études ont été menées sur la souris (mammifère, génétiquement assez proche de
l'homme, et facile à élever) jusqu'à la fin des années 1960.
On a considéré que ces études pouvaient être extrapolables à l'homme.
Les résultats globaux peuvent être résumés de la manière suivante :
- L'irradiation, même relativement faible, entraîne une stérilité transitoire chez le mâle,
- On a pu obtenir des aberrations chromosomiques après irradiation chez le père, mais
uniquement si la conception avait lieu rapidement après l'irradiation, donc avec des
spermatozoïdes déjà formés à ce moment.
Des fécondations plus tardives, avec des spermatozoïdes formés après l'irradiation, n'ont
pas d'effet, montrant ainsi le rôle déterminant des processus de réparation et des processus
de sélection cellulaire.
La conséquence en matière de prophylaxie humaine de ces remarques est la définition de
conseil génétique chez les irradiés (contraception de 3 mois en cas d'irradiation importante
masculine).
- Des résultats voisins sont obtenus chez la souris femelle, avec une disparition des
mutations en 7 semaines, illustrant encore l'importance des processus de réparation
cellulaire.
- Les anomalies chromosomiques radioinduites chez la femelle entraînent des morts très
précoces des embryons et n'ont donc pas de réelle incidence génétique.
- Une irradiation tardive (au moment de la fécondation) serait particulièrement sensible,
avec une induction d'anomalies chromosomiques (perte d'un chromosome).
- Le débit de dose joue un rôle majeur chez le mâle comme chez la femelle. L'irradiation
chronique semble 3 fois moins efficace que l'irradiation aiguë.
- Les expériences de Spalding, irradiation de 83 générations de souris à raison de 2 Gy par
génération pour les mâles, et reproduction consanguine, n'a pas pu mettre évidence d'effet
génétique significatif (durée de vie, croissance, résistance aux maladies, activité
physique…). Seul un amoindrissement du nombre de portées a été noté.
90
La biologie cellulaire met cependant en évidence des effets des rayonnements sur le patrimoine
génétique, sous forme de lésions de l'ADN telles qu'elles ont pu être décrites au début de
l'exposé (Cf. V).
Les études sur l'animal ont permis de mettre en évidence une résistance particulière des
mammifères à la transmission de ces dommages radioinduits. Cette résistance apparaît très
supérieure à la résistance vis-à-vis des mutations somatiques, à l'origine des cancers.
Cette résistance s'appuie sur les mécanismes eux aussi déjà évoqués (réparations, apoptose…).
S'y ajoutent certainement des processus de sélection des gamètes aptes à la reproduction (les
gamètes sans lésions étant "plus performants") et des processus d'élimination des produits de
conception lésés.
XVI-4 : METHODES D'ESTIMATION ET D'EXTRAPOLATION À L'HOMME
Dans la mesure où l'épidémiologie humaine reste sans résultat, les données obtenues par
l'expérimentation animale, extrapolées à l'homme, sont les seuls moyens d'approcher le risque
humain, au moins théorique dans une optique sécuritaire. Il faut cependant rester prudent sur
l'extrapolation nécessaire, qui porte sur le passage des fortes aux faibles doses, et sur le passage
de l'animal à l'homme.
Ces extrapolations supposent en particulier qu'il existe la relation "dose – effet" linéaire sans
seuil (Cf. XVIII-2)? Cette supposition ne tient pas compte des phénomènes de réparation ou de
régulation cellulaire. Elle sera évoquée dans l'exposé consacré au détriment et au problème des
faibles doses.
XVI-5 : EXPRESSION DES RESULTATS EXTRAPOLES
L'estimation du risque génétique s'exprime, comme les autres risques d'effets stochastiques, en
termes de risque ou d'excès de risque absolu ou relatif (Cf. annexe 4).
En l'absence de résultats significatifs de l'épidémiologie humaine, cette estimation se fonde bien
sur une extrapolation de l'expérimentation animale à l'homme, avec tout ce que cela comporte
d'approximations et tout ce que cela demande de précautions.
L'unité employée est en général le risque par Sv et par million de naissances vivantes, en
supposant, comme cela a déjà été dit, que la relation "dose-risque" est linéaire et sans seuil.
Le tableau suivant résume quelques estimations du risque d'effets héréditaires pour 1 Gy, dans
les conditions qui viennent d'être évoquées.
Incidence pour 1 Gy
Incidence pour 1 Gy
Incidence naturelle
à la 1ère génération
à la 2ème génération
Pour 106 naissances
Maladies dominantes
10 000 – 17 000
750 - 1500
1300
Maladies récessives
2500 - 7500
0-5
0–5
Maladies multifactorielles*
600 000 – 700 000
250 ?
250
* : Les maladies multifactorielles comprennent l'ensemble des maladies cardiovasculaires, cancéreuses,
dégénératives survenant au cours de la vie. Ces maladies ont éventuellement une origine en partie génétique.
Maladie
91
XVII - EFFETS TERATOGENES
DES RAYONNEMENTS IONISANTS
Les effets tératogènes sont des anomalies ou des malformations provoquées par des agents
extérieurs, dont les rayonnements ionisants, sur l'embryon ou le fœtus, au cours de la grossesse.
Ce sont des agressions directes des cellules de l'embryon ou du fœtus et non d'une cellule
parentale, à la différence des effets héréditaires.
Ils déterminent des morts in utero, des affections congénitales ou des affections plus tardives, par
atteinte de certaines cellules embryonnaires.
On aurait pu les classer parmi les affections déterministes ou stochastiques, mais ils présentent
un certain nombre de spécificités qui justifient leur traitement dans un chapitre particulier.
Leur compréhension générale s'appuie sur la connaissance des étapes du développement intra
utérin, rappelées en annexe 5.
XVII-1 : ACTION GENERALE DES AGENTS TERATOGENES
On répertorie aujourd'hui plus de 4000 agents tératogènes potentiels, dont environ 1500 ont été
expérimentalement confirmés chez l'animal et 500 sont répertoriés « suspects » chez l'homme
(agents physiques, chimiques, médicaments, infectieux…).
Par ailleurs, 1/3 seulement des malformations constatées à la naissance (malformations
congénitales) reçoivent une explication (anomalies génétiques ou tératogènes répertoriées).
Ce bilan global révèle que les effets des agents tératogènes sont encore pour une grande part très
mal connus.
La simple suspicion entraîne l'application du principe de précaution, bien que les cas où l'action
tératogène est démontrée restent rares, comme le démontre par exemple le nombre de
médicaments déconseillés chez la femme enceinte.
Les accidents connus les plus graves sont liés à :
-
La thalidomide avec l'apparition de phocomélies,
Le diéthyl stilbestrol avec une augmentation de l'incidence des cancers génitaux chez la
jeune fille,
La rubéole avec des malformations variables selon l'âge de la grossese,
Le méthylmercure avec la survenue de handicaps nerveux centraux majeurs.
92
Notions essentielles sur les effets des agents tératogènes
- La sensibilité à ces agents varie selon le stade de développement de l'embryon (Cf. annexe 5),
- L'action des agents tératogènes est d'avantage liée au moment où ils agissent (le stade de
développement) qu'à leur nature. Des agents différents auront des effets largement
similaires s'ils interviennent au même moment,
- Elle concerne d'abord l'organe ou le tissu dont l'ébauche est en cours de mise en place ou
de différenciation,
- Un même agent peut avoir des effets différents s'il intervient à des moments différents de
la gestation,
- La sensibilité maximale se situe au moment de l'embryogenèse (10ème jour à la fin du 2ème
mois chez l'homme),
- Les effets tératogènes sont en général spontanément irréversibles.
- Le seuil d'action des agents tératogènes est plus bas que l'action toxique des mêmes agents
après la naissance,
XVII-2 : EFFETS TERATOGENES EN FONCTION DU STADE DE DEVELOPPEMENT
Les rayonnements ionisants sont certainement les agents tératogènes les plus étudiés et les plus
connus.
Cette étude repose sur les mêmes méthodes fondamentales que les autres effets : expérimentation
animale et épidémiologie humaine.
XVII-2-1 : L'expérimentation animale
Elle est essentielle mais pose des difficultés d'extrapolation car :
- Les caractéristiques de la gestation varient considérablement d'une espèce à l'autre (durée,
proportion des différentes phases…),
- On observe de grandes variations de résultats d'une espèce à l'autre (souris, rats…),
- Le caractère "hétérozygote" est plus marqué dans l'espèce humaine que dans les espèces
animales. Ce caractère confère une plus grande résistance aux effets génétiques mais aussi
aux effets tératogènes.
XVII-2-2 : L'épidémiologie humaine
Elle présente les mêmes facteurs de confusion que ceux déjà signalés à propos des effets
stochastiques :
- Imprécision des doses,
- Imprécision de l'âge de l'embryon lors de l'exposition,
- Biais d'interrogatoire,
- Conditions de vie associées (alimentaires, maladies…),
- Autres agents tératogènes,
- Critiques méthodologiques,
- Discordances entre différentes enquêtes,
- Difficultés de trouver des groupes témoins.
93
XVII-2-3 : Effets biologiques des rayonnements ionisants aux différents stades du
développement (Cf. annexe 5)
On trouvera ici des éléments relatifs aux mécanismes généraux qui conduisent à ces effets. Le
paragraphe suivant (XVII-3) s'intéressera aux conséquences de ces mécanismes sur la santé
humaine;
Stade préimplantatoire
Les études humaines à ce stade sont rares et de fait quasiment impossibles.
On admet en effet que de nombreuses grossesses aboutissent à des avortements spontanés très
précoces, avant même d'être diagnostiquées (peut-être 30 à 50%?).
Les études de référence sont par conséquent essentiellement des études expérimentales menées
sur l'animal.
Les effets des rayonnements ionisants à ce stade se traduisent finalement par :
- Une augmentation de la mortalité prénatale,
- Très peu d'anomalies parmi les survivants.
Ces observations s'expliquent par le fait que l'irradiation provoque des morts de cellules
totipotentes :
- De l'œuf avec avortement spontané,
- De quelques cellules dont le remplacement est assuré par d'autres cellules également
totipotentes, aboutissant soit à la mort de l'embryon soit à sa régénération complète.
On a pu obtenir occasionnellement chez quelques animaux des malformations (malformations
digestives chez la souris) pour des irradiations précoces.
Ces résultats n'ont pas pu être confirmés et on n'a pas pu montrer d'autres effets tératogènes à ce
stade.
Il apparaît finalement que l'effet des rayonnements ionisants au stade préimplantatoire
répond à une loi "du tout ou rien".
La mortalité embryonnaire précoce constitue le risque principal et le risque d'anomalie
congénitale au stade préimplantatoire, au moins chez l'homme, est très faible.
Stade d'organogenèse ou d'embryogenèse (10ème jour à la fin du 2ème mois)
A ce stade, la grossesse est connue et l'embryon est constitué d'une mosaïque de cellules qui se
différencient et évoluent rapidement.
Le nombre de cellules est encore peu important.
Le mécanisme des lésions, de type déterministe, repose sur la mort de quelques cellules, qui ont
perdu leur caractère totipotent.
Les pertes cellulaires se traduiront donc par l'arrêt de développement des organes concernés par
cette perte. Aucune autre population cellulaire, engagée dans une autre voie de différenciation,
ne vient en effet suppléer ce manque.
Elles aboutissent à des malformations majeures qui peuvent être :
94
- Létales (mort prénatale, néonatale, post natale),
- Viables (compatibles avec la survie, de type lié à la période d'irradiation par rapport à
l'embryogenèse).
On considère que cette phase est la phase critique, au cours de laquelle la tératogenèse est la
plus efficace.
La relation "dose-effet" est de forme sigmoïde, correspondant aux relations observées pour les
effets déterministes des rayonnements ionisants en général.
Ces effets sont des effets à seuil. Expérimentalement, ces seuils semblent bas (0,05 Gy pour
l'observation d'anomalies de squelette chez la souris).
Période fœtale :
La fréquence et la gravité des anomalies en fonction de la dose diminuent.
0,25 Gy est considéré comme un seuil en deçà duquel il n'y a pas d'effet décelable chez la souris.
Les lésions se traduisent d'une manière générale par des anomalies de développement des tissus,
avec des retards généralisés ou localisés de croissance.
Cette période, qui reste sensible comme l'ensemble de la période de gestation, l'est cependant
moins que la phase précédente
Le système nerveux central constitue un cas particulier, décrit plus loin, pour lequel le stade de
mise en place des ébauches se poursuit au cours de la vie fœtale et même après la naissance.
Il conserve donc une sensibilité particulière qui se prolonge au cours du stade fœtal.
XVII-3 : BILAN DES EFFETS TERATOGENES DES RAYONNEMENTS IONISANTS
L'embryon et le fœtus doivent être considérés du point de vue de l'effet deS rayonnements
ionisants comme des individus au même titre que l'enfant né.
- Ils sont susceptibles de présenter après irradiation des effets déterministes représentés par les
anomalies qui viennent d'être évoquées.
- Ils sont également susceptibles de présenter des effets stochastiques, sous la forme de
cancers qui se manifestent surtout chez le jeune enfant.
XVII-3-1 : Mortalité radioinduite :
Elle peut se manifester par une mortalité immédiate ainsi que par une mortalité différée,
néonatale ou même postnatale.
Pour les données humaines :
- L'irradiation thérapeutique (de l'ordre de 5 Gy) entraîne un avortement spontané dans la
majorité des cas.
- A Hiroshima et Nagasaki :
· pour 30 femmes enceintes irradiées à une dose supérieure à 3 Gy, on relève 30% de
morts in utero (43% de morts pré et périnatales),
· Pour 68 femmes ayant subi une irradiation plus faible, 6,2% de morts pré ou
périnatales,
95
· Pour 1300 enfants irradiés in utero, une augmentation de la mortalité infantile (dans
la 1ère année) corrélée avec la dose mais aussi avec les conditions de vie ultérieure
précaires.
XVII-3-2 : Malformations diverses (système nerveux exclu)
Chez l'animal, ces malformations peuvent toucher des organes très divers (cardiaques,
urogénitales, digestives, pulmonaires) mais concernent surtout le squelette.
Elles augmentent avec la dose et ne sont pas spécifiques (identiques aux malformations
spontanées).
En épidémiologie humaine, ces malformations sont très rares.
Quelques cas sont décrits pour l'iris et le squelette à l'issue d'irradiations thérapeutiques
maternelles de 2,5 Gy, entre la 3ème et la 11ème semaine de gestation.
XVII-3-3 : Retards de croissance
Ces retards de croissance concernent des doses modérées ou moyennes :
- A Hiroshima et Nagasaki, les enfants irradiés à plus de 1 Gy (bilan à l'âge de 17 ans)
présentent :
- Taille : - 2,3 cm,
- Poids : - 3 kg,
- Diamètre crânien : - 1 cm,
- Retard d'ossification et de puberté.
- Pour les irradiations maternelles à 2,5 Gy, ces retards de croissance ont été observés pour
une exposition avant la 20ème semaine de grossesse.
XVII-3-4 : Malformations du système nerveux central
Ces malformations constituent le problème essentiel de la tératogenèse radioinduite.
Le risque est maximal entre la 8ème et la 16ème semaine (période critique) mais il se poursuit
durant toute la période embryonnaire et fœtale (migration cellulaire et établissement des
réseaux).
Microcéphalie (diminution du diamètre crânien) :
37 microcéphalies ont été recensées après Hiroshima et Nagasaki, surtout chez des sujets irradiés
dans la période critique.
17 s'accompagnaient de retard mental.
Retard mental sévère
Ces retards mentaux sévères se définissent comme des incapacités à former des phrases simples,
à réaliser des calculs élémentaires et comme des manques d'autonomie.
Ils peuvent être associés à une microcéphalie et à des crises d'épilepsie.
Un exemple du bilan, pour les victimes des tirs d'Hiroshima et Nagasaki, est représenté par le
tableau suivant :
96
Cas de retard mental sévère chez des individus exposés in utero pendant les explosions
nucléaires d'Hiroshima et Nagasaki (UNSCEAR 1993)
Age lors de
Nombre
Groupes, selon la dose reçue (mGy)
TOTAL
l'exposition
par groupe
< 10
10-99 100-499 500-999 > 1000
avec RMS*
8
3
1
3
12
27
Tous âges
sans RMS
1059
198
205
38
14
1514
(0 à 9 mois)
Total
1067
407
67
1541
% de RMS 0,7%
1,5%
0,5%
7,3%
46,2%
1,8%
Groupe à risque avec RMS
2
2
1
3
9
17
(8 à 15 semaines) sans RMS
253
42
56
12
3
378
% de RMS 0,8%
4,5%
1,8%
20%
75%
4,4%
* : RMS : Retard mental sévère
D'après Jacquet, Reyners, effets d'une irradiation prénatale, in "Rayonnements ionisants, effets
des faibles doses, NIROND-96-03
Ce tableau fait apparaître :
- Une corrélation (en %) des retards mentaux sévères avec la dose, pour la population générale
et le groupe à risque,
- Une incidence des retards mentaux sévères plus forte dans le groupe à risque (8 à 15
semaines de gestation),
- Une incidence pour des doses inférieures à 500 mGy identique à l'incidence naturelle,
- Ces valeurs suggèrent un seuil clinique vers 500 mGy.
En fait, il est impossible de déterminer réellement un seuil car la fréquence très faible et les
cohortes de petite taille limitent la signification statistique des observations (intervalles de
confiance très larges).
Retard mental léger
Il est mesuré par les résultats scolaires, le quotient intellectuel (QI) et le contrôle de l'activité
musculaire (valeur moyenne du QI = 100 par définition).
Valeurs du QI chez 166 individus exposés entre la 8ème et la 15ème semaine de la
grossesse, lors des explosions d'Hiroshima et Nagasaki (d'après Yoshimaru et al, 1995)
Dose (mGy)
< 10
10-99
100-499
500-999
>1000
QI
104,7±2,4
112,7±7
100,6±6
99,2±18
75,4±5,5
D'après Jacquet, Reyners, effets d'une irradiation prénatale, in "Rayonnements ionisants, effets
des faibles doses, NIROND-96-03
Ces résultats montrent une baisse, légère mais générale, du QI pour D > 100 mGy.
Les résultats scolaires sont en rapport avec le QI.
L'ensemble des résultats concernant les retards mentaux présentés amène à conclure qu'on
n'observe pas d'effet pour des doses inférieures à 0,1 Gy, y compris au cours de la phase critique.
Un seuil d'apparition d'anomalies anatomiques, vers 0,4 Gy, a par ailleurs été décrit chez l'animal
(modifications anatomique et ectopies).
XVII-3-5 : Cancers infantiles
97
Ces effets stochastiques sont étudiés, comme chez l'adulte, par les études expérimentales chez
l'animal et par les données épidémiologiques.
Expérimentation animale
L'irradiation prénatale à des doses de 200 à 800 mGy amène une augmentation du nombre de
cancers solides et de leucémies.
La sensibilité semble maximale pour des irradiations en période périnatale.
Epidémiologie humaine
- Hiroshima Nagasaki :
Aucune leucémie n'a été observée chez des sujets de moins de 15 ans.
Aucun excès d'autre cancer n'a été observé.
- Irradiation médicale maternelle :
Certaines études ont suggéré que l'irradiation prénatale serait plus cancérigène que
l'irradiation postnatale (de l'adulte et de l'enfant).
L'étude principale est l'étude appelée "Oxford Survey".
- Elle est entretenue depuis 1955 et est régulièrement réévaluée.
- Elle prend en compte des irradiations par radiographie maternelle (essentiellement des
pelvimétries).
- Elle conclut à un excès de risque global de 1,4 à 1,9, mais des études plus récentes
suggèrent un niveau de risque moindre.
- On peut noter qu'une telle augmentation, d'une pathologie rare à cet âge, se traduit en
fait par une augmentation qui reste faible en chiffres absolus (incidence naturelle = 0,2 à
0,3%, devenant 0,3 à 0,4% soit 0,5 à 1/1000 pour 20 mGy).
- Ce risque était plus fort avant les années 1960, avant l'apport des améliorations
techniques et de pratique réduisant les doses délivrées.
- Il semble concerner uniquement l'apparition de leucémies.
- Une controverse est née de ce que l'on ne peut pas affirmer a priori si ce risque accru est
effectivement lié à l'irradiation ou s'il s'agit d'un biais statistique lié au fait que les
examens radiologiques sont prescrits pour des cas pathologiques donc au sein de
groupes à risque.
- Des études complémentaires sur des grossesses gémellaires (indications d'examens
radiologiques sans pathologie préexistante, levant ce facteur de confusion) ont confirmé
les résultats de l'étude "Oxford Survey" : existence d'un excès de risque d'apparition de
leucémies.
Cependant, de nombreuses études vont à l'encontre de ces résultats :
- Etudes épidémiologiques concernant les irradiations naturelles élevées,
- Survivants d'Hiroshima et Nagasaki :
·
1630 enfants ayant reçu 0,6 à 1,4 Gy,
·
2 cas de leucémie en 14 ans
·
estimation extrapolée du risque : 280/10 000.
98
Malgré l'incertitude, l'étude est une base de la CIPR 4 pour estimer le risque de cancérisation
infantile après irradiation in utero.
XVII-3-6 : Accident de Tchernobyl et tératogenèse
La survenue de l'accident de Tchernobyl et la surveillance de ses conséquences sanitaires ont été
l'occasion de publications et de déclarations tapageuses, qui ont suscité émoi et idées fausses
dans l'opinion publique.
Le bilan actualisé de cet accident, établi par l'UNSCEAR en 2000 pour les effets tératogènes, est
le suivant :
- Aucune augmentation du nombre d'avortements spontanés,
- Aucune augmentation du nombre de malformations ou de morts périnatales,
- Pas d'augmentation du nombre de naissances prématurées,
- Aucune augmentation du nombre ou de la sévérité des retards mentaux.
XVII-4 : CONCLUSION
Les effets tératogènes humains des rayonnements ionisants n'ont été objectivement mis en
évidence que dans 2 circonstances :
- L'irradiation médicale maternelle,
- Les victimes des tirs nucléaires d'Hiroshima et Nagasaki.
Ils n'ont, dans ces 2 cas, été observés que pour des doses relativement élevées (plus de 0,1 Gy).
Le principe de précaution a cependant conduit la CIPR (CIPR 60) à recommander une limitation
de l'exposition de l'embryon et du fœtus (1 mSv).
Des recommandations aux médecins, face au risque d'irradiation des femmes enceintes, ont été
établies par la CIPR (CIPR 84) et par divers groupes d'experts.
Ces recommandations préconisent une conduite générale à tenir :
- La déclaration de grossesse doit être la plus précoce possible,
- Le risque radiologique doit être évalué à sa juste mesure,
- Il faut se prémunir contre une surprotection qui peut aboutir à un sexisme professionnel
injustifié,
- En cas d'irradiation intempestive, la conduite thérapeutique générale serait :
· Pour D < 100 mSv, aucune indication d'interruption de grossesse,
· Pour 100 mSv < D < 200 mSv, discussion au cas par cas d'une interruption de
grossesse, après information des parents sur la nature et le niveau de risque, en
fonction du contexte familial et clinique,
· Pour D > 200 mSv, conseil d'interruption de grossesse (la décision restant aux
parents).
· Pour les cas où l'interruption de grossesse se discute, la période à laquelle
l'exposition a eu lieu doit être particulièrement prise en compte (période critique).
R E T E N I R (chap. XVI et XVII)
4
Commission Internationale de protection contre les Rayonnements.
99
Les effets des rayonnements ionisants sur l'enfant à naître sont de deux types très
différents :
- Les effets génétiques ou héréditaires, consécutifs à l'irradiation de l'un ou l'autre
des futurs parents avant la conception.
- Les effets tératogènes consécutifs à l'irradiation de l'enfant lui-même, à travers sa
mère en cours de grossesse.
Les effets héréditaires :
Ce sont des effets stochastiques dont les caractères généraux ont été décrits au chapitre
XIII.
La cytogénétique peut montrer des lésions fautives de l'ADN des cellules germinales
compatibles avec la reproduction.
Cependant, les études épidémiologiques humaines n'ont pu mettre en évidence aucun
effet héréditaire des rayonnements ionisants, y compris dans les circonstances les plus
dramatiques (Hiroshima et Nagasaki, Tchernobyl…).
Ces effets apparaissent donc très faibles ou inexistants.
L'expérimentation animale montre au contraire, de manière inconstante et dans des
conditions favorables, des effets héréditaires des rayonnements ionisants.
Considérant que les études épidémiologiques restent imprécises et que, par définition
des effets stochastiques, il n'existerait pas de seuil, on extrapole à l'Homme les résultats
de l'expérimentation animale pour déterminer une relation "dose-fréquence de ces effets
et définir un "risque génétique".
Il s'agit d'un risque théorique, voire hypothétique, enveloppant très largement le risque
réel s'il existe, défini pour les besoins de la normalisation en radioprotection.
Les effets tératogènes :
Ces effets peuvent être déterministes ou stochastiques. Leurs caractères généraux ont
été décrits au chapitre X-4.
Certaines études suggèrent que l'irradiation prénatale présente un risque cancérigène
(stochastique) plus élevé que l'irradiation post-natale. Toutes les études ne partagent pas
cette conclusion.
Les effets tératogènes des rayonnements ionisants qu'il convient de prendre en
considération en priorité sont des effets d'allure déterministe qui présnetent les
particularités suivantes :
- Ils dépendent de la période à laquelle l'irradiation a lieu :
- En période préimplantatoire (1ère semaine), ils obéissent à une loi du tout ou rien
conduisant à un avortement spontané ou un enfant sain,
- En période embryonnaire (avant la fin du 2ème mois), ils conduisent aux effets les
plus importants, par destruction des ébauches d'organes,
100
- En période fœtale (après le 2ème mois), la sensibilité semble un peu moindre mais
reste très importante, notamment pour le système nerveux central.
- Le bilan humain montre très peu d'anomalies autres que nerveuses centrales.
- Les atteintes du système nerveux central, qui peuvent être consécutifs à une
irradiation à tout moment de la grossesse, sont plus marquées au cours d'une
période critique qui s'étend de la 8ème à la 15ème semaine.
- Il s'agit surtout de retards mentaux plus ou moins sévères, pouvant s'accompagner
de crise d'épilepsie.
On retient un seuil d'apparition e 100 à 500 mGy.
Cette observation justifie une information particulière aux femmes enceintes.
101
XVIII – CONCLUSION
ESTIMATION DU RISQUE RADIOINDUIT
ET RADIOPROTECTION
Il a été indiqué en préambule que ce document était destiné à des responsables d'activités sous
rayonnements ionisants, afin de les aider dans la compréhension et la mise en place de la
protection qu'ils doivent au personnel et au public, ou à desformateurs qui y trouveront un fond
documentaire.
Du point de vue de tels lecteurs, et de manière très simpliste, on peut retenir que les effets des
rayonnements ionisants sur la santé posent deux types de problèmes très différents :
- Les effets déterministes, à seuil, sont les plus faciles à éviter, par le simple respect de
limites inférieures à ce seuil. Ce point, très consensuel, ne suscite pas de polémique.
- Les effets stochastiques (essentiellement les cancers), pour lesquels l'existence ou non
d'un seuil reste incertaine, sont des maladies dont le lien avec l'exposition ou l'absence de
ce lien, ne sont par définition jamais établis avec une certitude absolue. Outre que cette
incertitude stimule les imaginations et les polémiques, elle conduit à rechercher, au nom
du principe de précaution, la protection la plus prudente possible. Cette protection doit
cependant rester réaliste (raisonnable) et, pour cela, s'appuyer sur une évaluation
convenable du risque.
L'édification de ces principes et de ce système de radioprotection sera exposée dans un
autre document.
Nous conclurons donc en expliquant comment les effets stochastiques des rayonnements
ionisants sont pris en compte pour les besoins de la radioprotection.
Cette prise en compte s'appuie sur trois notions fondamentales :
- La notion de faible dose, problème de fond de tous les effets stochastiques pour
l'établissement des normes de radioprotection.
- L'estimation du risque et la notion de détriment,
- La mise en place d'outils permettant de traduire la dose en un détriment, qui évalue à la
fois la probabilité et la gravité des risques potentiellement encourus.
XVIII-1 : LE PROBLEME DES FAIBLES DOSES
On a clairement établi des relations "dose-effet" pour la cancérisation radioinduite à des doses
importantes (relation "dose- fréquence"). Ces relations ont été évoquées à de multiples reprises.
Cependant, aucune augmentation n'est décelable au dessous d'une certaine dose (de l'ordre de
0,1 à 0,2 Gy pour les effets les plus sensibles). Il n'y a donc pas d'effet apparent de doses
modestes, sans que l'on puisse dire s'il n'y a réellement pas d'effet (existence d'un seuil), s'il y a
102
un effet masqué (seuil réel plus bas que le seuil visible) ou s'il n'y a pas de seuil. La courbe
"dose-effet" se confond alors avec le bruit de fond et c'est le domaine des faibles doses.
Excès
statistique
Domaine des
faibles doses
Taux
spontané
0,2 Gy
"Pseudo seuil"
Dose
Relation "Dose-effet" générale pour l'apparition de cancers
Définition: Les faibles doses sont les doses pour lesquelles aucun effet stochastique
n'est observé dans la population exposée.
Remarque: Cette définition est celle du radiobiologiste ou de l'épidémiologiste. Les
radioprotectionnistes parlent de faible dose quand ils ont affaire à des fractions des
limites de dose (valeurs très inférieures à celles dont il est question ici).
XVIII-2 : HYPOTHESES DANS LE DOMAINE DES FAIBLES DOSES
Les nécessités de la radioprotection conduisent à fixer des niveaux de sécurité très bas pour
préserver la santé des travailleurs et des populations. Ils correspondent à des niveaux de dose
inférieurs à la limite des faibles doses du radiobiologiste.
Dans l'incapacité de connaître la forme de la relation "dose-effet" dans ce domaine des faibles
doses, on a été conduit à émettre 5 hypothèses prudentes et simplificatrices (sécuritaires) qui
permettent d'extrapoler des résultats connus pour des doses importantes vers les faibles doses.
XVIII-2-1 : Absence de seuil :
Le mécanisme déjà décrit de ces effets (atteinte d'une cellule unique) conforte cette hypothèse
de l'absence de seuil, si l'on ne tient pas compte des phénomènes de réparation et de défense de
l'organisme.
Cette hypothèse fait admettre implicitement, en l'absence de preuve contraire, que tout effet
biologique (toute interaction "rayonnement-matière vivante") peut entraîner un effet
stochastique.
Pourtant, dans un certain nombre de cas, un seuil pratique évident a pu être mis en lumière
(ostéosarcome lié au radium, épithélioma cutané...) et même, comme on l'a vu, un effet
d'hormésis n'est pas impossible.
103
Cette hypothèse amène deux conclusions :
- Toute dose, si petite soit-elle, compte. Elle doit donc être justifiée par le bénéfice qu'on
attend (principe de justification),
- Les doses, quand elles ne peuvent être évitées, doivent être les plus basses possible
(principe ALARA).
Ces deux principes seront développes dans le document cit en préambule de laprésente
conclusion.
XVIII-2-2 : Proportionnalité entre dose et risque :
L'absence de seuil suppose qu'une relation "dose-effet" existe dans le domaine des faibles doses
et cette relation ne peut être décrite, par définition, qu'à partir d'une extrapolation dont on ne
connaît pas la forme a priori.
L'extrapolation
pourrait
être
Excès de
risque
théoriquement :
- supralinéaire,
Extrapolation Effet visible
linéaire
- linéaire,
le plus faible
- linéaire quadratique,
Extrapolation
- linéaire à seuil,
supralinéaire
Extrapolation linéaire
quadratique
Extrapolation avec hormésis
La relation supralinéaire serait le
fruit
d'une
imagination
catastrophiste que rien ne justifie.
Elle n'a pas été retenue.
Les extrapolations linéaire à seuil et
déterminant un effet d'hormésis,
Extrapolation linéaire à seuil
bien
qu'un
certain
nombre
Seuil?
d'observations les rendent tout à fait
recevables, ne sont pas retenues car elles contredisent la première hypothèse (absence de seuil).
Dose
- L'extrapolation linéaire quadratique semble encore réaliste. Elle a la même forme que les
relations "dose-effet" pour la plupart des effets pathologiques des rayonnements, quand il
n'apparaît pas de pseudo-seuil.
Cette extrapolation est cependant rejetée au nom du principe de prudence qui a déjà fait rejeter
la notion de seuil.
En effet, si elle permet une approche satisfaisante de la réalité, on ne sait pas si elle le fait par
excès ou par défaut, ce qui est contraire au principe de précaution.
On admet le postulat d'une relation linéaire sans seuil, entre 0 et l'effet visible le plus
faible, pour les faibles doses et les effets stochastiques.
Ce postulat est peut-être moins réaliste que les autres, mais il permet d'affirmer que le risque
réel encouru ne peut pas être supérieur à cette enveloppe.
XVIII-2-3 : Absence d'influence des conditions d'irradiation :
104
On admet que le risque serait le même quelles que soient les conditions de l'irradiation, en
particulier quel qu'en soit le débit de dose.
Cette hypothèse revient à dire que seul compte le cumul de dose, sans influence du débit ou du
fractionnement de dose. Elle ne prend pas en compte l'existence de processus de réparation.
Elle est conservatrice car les études qui lui servent de base concernent en général des
conditions pénalisantes.
Elle est actuellement remise en cause puisque les recommandations de la CIPR 60
reconnaissent un facteur de réduction de dose aux faibles débits (facteur 3).
XVIII-2-4 : Absence d'influence de la composition de la population :
L'influence de facteurs liés à la population exposée (âge, sex-ratio, origine ethnique,
expositions à) d'autres agents...) n'est pas prise en considération.
Cela revient à affirmer que tous les individus sont censés réagir de la même manière à
l'irradiation (alors même que l'on sait que tous ces facteurs sont des éléments importants de
variabilité des cancers).
XVIII-2-5 : Persistance d'un risque d'apparition sur toute la vie :
La survenue de cancers très tardifs après Hiroshima et Nagasaki (cancers digestifs) a fait
émettre cette hypothèse selon laquelle l'excès de risque persisterait jusqu'à la disparition
naturelle de la cohorte et les délais de prise en charge des maladies professionnelles
radioinduites ont été allongées (50 ans pour les sarcomes osseux).
Cette hypothèse correspond aux modèles (additif et multiplicatif) exposés plus haut, mais les
données disponibles montrent en fait certains résultats différents (leucémies à Hiroshima et
Nagasaki, spondylarthrite ankylosante) avec un affaiblissement de l'excès au bout d'un certain
temps.
XVIII-2-6 : Estimation du risque stochastique :
Ces cinq hypothèses surestiment le risque et donnent incontestablement une importance
exagérée aux faibles doses.
Elles permettent en fait de faire une estimation enveloppe des risques liés aux faibles doses et
d'en proposer une valeur calculée.
L'unité qui permet ces calculs est: l'homme-sievert (h.Sv)
Cette unité conduit à considérer que le risque couru par une population de 1000 individus
soumis chacun à 1 Sv est le même que celui couru par 100 000 individus ayant reçu chacun
0,01 Sv.
La dose collective est 1000 h.Sv dans les deux cas.
Ce mode d'estimation a permis de proposer diverses évaluations du risque de cancer mortel
radioinduit, variant de 10 à 75/1000 h.Sv.
Il faut bien comprendre que cette évaluation des effets des faibles doses est une enveloppe
large, qui donne un risque maximal théorique uniquement destiné à établir des normes très
prudentes, et ne prétend pas approcher au plus près la réalité.
105
Il n'est pas légitime de les utiliser pour estimer les conséquences d'une exposition accidentelle
par exemple, sous peine de se livrer à de prévisions aussi alarmistes et spectaculaires que
fausses.
RETENIR
Les effets stochastiques des rayonnements ionisants sont clairement établis pour des
doses modérées ou importantes, sous la forme de relations "dose-fréquence",
supérieures à certains seuils.
Pour des doses plus faibles, ils ne sont pas visibles, sans que l'on puisse trancher le
point de savoir s'ils existent encore ou non.
Au nom du principe de précaution, pour les besoins de la normalisation en
radioprotection, cette incertitude est inacceptable et on postule qu'il n'y a pas de seuil.
C'est le domaine des faibles doses.
S'agissant de définir la forme de la relation "dose-fréquence" dans ce domaine,
plusieurs hypothèses sont envisageables.
On retient la plus conservative (la plus pénalisante), représentée par une droite passant
par l'effet le plus faible visible et le point 0 pour la dose et l'excès de risque.
C'est la relation linéaire sans seuil (RLSS).
Il est important de garder à l'esprit que cette relation linéaire sans seuil est un choix de
sécurité, surestimant le risque réel, destiné à établir des normes de sécurité. Elle n'est
pas utilisable pour prédire les conséquences d'un accident d'irradiation par exemple.
XVIII-3 : ESTIMATION DU RISQUE ET NOTION DE DETRIMENT
La notion de détriment est apparue explicitement comme un concept fondamental en
radioprotection dans la publication 26 de la CIPR, en 1997, pour quantifier les effets
stochastiques des rayonnements ionisants.
Définition
Détriment = probabilité de l'effet . gravité de l'effet.
Les facteurs permettant d'estimer sa gravité, exposés plus loin, sont établis pour les effets
stochastiques et sont inadaptés aux conséquences des effets déterministes.
Les principales composantes entrant dans la détermination du détriment sont les grandeurs
suivantes :
- Probabilité de cancer mortel attribuable,
- Probabilité pondérée 5 de cancer non mortel attribuable,
- Probabilité pondérée d'effet héréditaire grave,
- Durée de vie perdue en cas d'atteinte par l'effet considéré.
XVIII-4 : LES FACTEURS LIANT LA DOSE AU RISQUE
5
Probabilité pondérée par un facteur de gravité inférieur à 1. 1 est la facteur de gravité affecté à un cancer mortel.
106
Ces facteurs prennent en compte la qualité du rayonnement donc, sous une forme qui doit être
adaptée, son efficacité biologique relative (Cf. VIII-4), ainsi que les caractéristiques des tissus et
organes irradiés.
Ils peuvent être résumés par le schéma suivant (CIPR 73) :
SOURC
E
inside or
outside
the body
Emission
Absorbed
doses, DT
[Gy]
ORGANS
Radiation
weighting
factors
WR
Equivalent
doses, HT
[Sv]
ORGANS
Tissue
weighting
factors
WT
and
summation
Effective
dose, E
[Sv]
Relation entre dose absorbée, DT, dose équivalente, HT, et dose efficace, E. (CIPR 73)
XVIII-5 : FACTEUR DE PONDERATION RADIOLOGIQUE WR ET DOSE EQUIVALENTE
XVIII-5-1 : Définition de WR et de la dose équivalente :
Pour la survenue d'effets stochastiques (cancérisation essentiellement) chez l'homme et dans les
conditions particulières de dose et de débit de dose susceptibles d'être rencontrées au travail ou
dans la vie courante, on peut concevoir qu'une EBR particulière, dont l'utilisation serait moins
malaisée que celle de l'EBR soit appliquée.
Cette EBR particulière est le facteur de pondération radiologique WR, défini ainsi :
WR : "Facteur choisi pour un type et une énergie de rayonnement,
pour être représentatif des valeurs de l'EBR dans le déclenchement d'effets stochastiques
chez l'homme à faible dose et faible débit de dose."
WR s'applique à la dose moyenne reçue par un tissu ou un organe. Il regroupe tous les facteurs
annexes qui pouvaient intervenir auparavant à côté du facteur de qualité.
La dose absorbée par un tissu ou un organe (DT), affectée de ce coefficient WR, devient la dose
équivalente HT. Son unité est le sievert (Sv).
HT = WR . DTR
Dose équivalente
Dose moyenne dans l'organe T
à l'organe T irradié
due au rayonnement R
Sv
Gy
Pour un champ de rayonnements complexe :
HT =
Σ
R
WR . DTR
Cette dernière formule sera illustrée en XVIII-5-2 (2).
Les valeurs de WR retenues par la CIPR 60 sont :
Facteurs de pondération pour les rayonnements1
Type et énergie
Facteur de pondération pour les rayonnements WR
107
Photons, toutes énergies
1
Electrons et muons, toutes énergies2
1
Neutrons, énergie < 10 keV
5
10 keV à 100 keV
10
100 keV à 2 MeV
20
2 MeV à 20 MeV
10
> 20 MeV
5
Protons autres que les protons de recul énergie > 2 MeV
5
Particules alpha, fragments de fission, noyaux lourds
20
1
Toutes les valeurs se rapportent au rayonnement ayant une incidence sur le corps ou, pour les sources internes,
émises à partir de la source.
2
Sauf les électrons Auger émis à partir de noyaux liés à l'ADN.
Le rôle de WR est de standardiser l'expression des doses absorbées en fonction de la toxicité
relative des différents rayonnements en cause et, si l'on veut donner une définition plus
accessible de WR, on peut dire qu'il s'agit du coefficient de toxicité du rayonnement ionisant.
En somme, si DT est la dose absorbée, (une concentration d'énergie déposée exprimée en Gy ou
J/kg sans tenir compte des effets produits), la dose équivalente H est la "dose toxique".
XVIII-5-2 : Intérêt de WR
L'intérêt de WR et de la dose équivalente réside dans la possibilité de comparer ou additionner
les risques générés par des rayonnements de nature différente, dans un même organe ou tissu.
Les deux exemples qui suivent illustrent cet intérêt :
1) Intérêt pour comparer des risques :
Soit un sujet qui subit une irradiation de l'organisme entier par des neutrons d'énergie 50
keV (WR = 10). La dose absorbée est Doe =1 mGy.
Hoe = Doe . WR = 10 mSv
Le niveau de risque encouru par ce sujet est le même que s'il avait reçu 10 mGy par un
rayonnement γ (WR des rayons γ = 1)
2) Intérêt pour additionner des risques :
Si ce sujet avait été soumis à une irradiation mixte neutrons + γ, entraînant Dγ = 10 mGy et
Dn = 1 mGy :
Il aurait reçu une dose absorbée de 11 mGy.
Cette valeur purement physique ne reflète pas convenablement le risque encouru du fait de
l'irradiation (les neutrons en cause sont 10 fois plus toxiques que les γ).
Elle aurait reçu une dose équivalente H = Hγ + Hn = Dγ .WRγ + Dn . WRn = 20 mSv
(la même dose équivalente que pour 20 mGy γ ou 2 mGy neutrons)
XVIII-5-3 : Limite d'utilisation de WR et de la dose équivalente :
Les doses absorbées ne peuvent être comparées ou additionnées que si elles sont délivrées par les
mêmes rayonnements, au même champ d'irradiation.
108
Les doses équivalentes ne peuvent être comparées que si elles sont délivrées au même champ
d'irradiation.
On ne peut pas comparer ou additionner une dose absorbée et une dose équivalente.
On rappelle par ailleurs que H est réservée aux seuls effets stochastiques.
XVIII-6 : FACTEUR DE PONDERATION TISSULAIRE WT ET DOSE EFFICACE
XVIII-6-1 : Définition de WT et de la dose efficace :
Le principe posé par la CIPR était qu'il fallait exprimer le détriment de la même manière, que
l'irradiation ait lieu à l'organisme entier ou qu'elle ait été partielle, en tenant compte des
inégalités des conséquences pour la santé en fonction des différents tissus ou organes irradiés.
Le facteur qui exprime ces phénomènes et qui représente la contribution relative d'un
organe ou tissu au détriment total subi par l'organisme est :
le facteur de pondération tissulaire WT
XVIII-6-2 : Facteurs pris en compte dans l'établissement et valeurs de WT :
- La probabilité de cancer mortel attribuable et la perte de vie liée à ce cancer,
- Les effets génétiques graves,
- Le détriment dû aux cancers non mortels (estimation d'une composante non mortelle des
cancers, avec une fraction de létalité, perte de qualité de vie…).
La CIPR 60 propose les valeurs suivantes en prenant en compte l'appréciation du poids de la
morbidité et de la perte d'espérance de vie liées aux effets stochastiques.
Valeurs des facteurs de pondération tissulaire (WT) (extrait de la CIPR 60)
Tissu ou organe
Facteur de pondération pour les tissus, WT
Gonades
0,20
Moëlle osseuse (rouge)
0,12
Colon
0,12
Poumon
0,12
Estomac
0,12
Vessie
0,05
Sein
0,05
Foie
0,05
Œsophage
0,05
Thyroïde
0,05
Peau
0,01
Surface des os
0,01
Autres tissus ou organes
0,05
La somme des facteurs de pondération est égale à 1
(la somme des organes étant l’organisme entier)
La détermination de WT est indépendante de la nature du rayonnement, de la même façon que la
détermination de WR avait été faite indépendamment de la nature du tissu ou de l'organe irradié.
La dose équivalente HT à un organe, affectée de WT, devient la dose efficace E.
L'unité de dose efficace est le Sv.
109
Cette unité est la même que celle de la dose équivalente.
Il convient de prendre le plus grand soin à ne pas confondre les deux notions.
Un bon moyen est de préciser, pour une dose équivalente, l'endroit où elle a été délivrée (par
exemple 10 mSv à la thyroïde, ou à l'organisme entier), alors qu'on n'indque pas de champ pour
une dose efficace (Cf. XVIII-6-3).
HT . WT = E
dose équivalente
dose efficace
à l'organe T
Sv
Sv
XVIII-6-3 : Signification de la dose efficace (E) :
Le sujet qui a reçu une dose équivalente à un organe T, reçoit une dose efficace E = HT . WT.
Il subit un détriment égal à celui qu'il aurait subi s'il avait reçu une dose équivalente à
l'organisme entier Hoe = E. (WT pour l'organisme entier = 1).
Exemple :
Si un sujet reçoit une dose équivalente de 100 mSv à la thyroïde (WT = 0,05), il a reçu une
dose efficace E = 5 mSv.
Cela signifie qu'il subit le même détriment que s'il avait reçu une dose équivalente à
l'organisme entier de 5 mSv.
Remarque :
La dose efficace E mesure un niveau de détriment mais ne prétend pas décrire le type de
risque ou de lésion susceptible d'apparaître. Dans l'exemple pris plus haut, le niveau de risque
lié à l'irradiation thyroïdienne était équivalent à celui d'une Hoe de 5 mSv, mais la pathologie
la plus probable n'est pas la même (thyroïdienne dans un cas, hématologique dans l'autre).
Le concept de dose efficace permet de quantifier et comparer des irradiations partielles ou
hétérogènes complexes, intéressant des organes différents ou l'organisme entier, y compris par
des rayonnements de natures différentes.
E =
Σ
HT . WT
On a bien noté par ailleurs que, lorsque l'on parle de dose efficace, on prend bien soin de ne pas
préciser l'endroit ou cette dose s'appliquerait (y compris si c'est à l'organisme entier).
Il conviendrait en fait de considérer qu'il s'agit d'une "dose de détriment" à l'individu et non une
dose de rayonnements à tout ou partie de son organisme.
XVIII-7 : UTILISATION DES FACTEURS DE PONDERATION, DE LA DOSE
EQUIVALENTE ET DE LA DOSE EFFICACE
L'utilisation et la signification de WR, WT, H et E peuvent être illustrées par l'exemple tout à fait
théorique suivant :
110
Lors d'une intervention en situation d'urgence radiologique auprès d'un réacteur, un personnel
d'intervention a été soumis à une exposition complexe, dont le bilan radiologique en fin
d'opération est le suivant :
Irradiation de l'organisme entier (rayonnement γ)
Irradiation de l'organisme entier (neutrons de 50 à 100 keV)
Irradiation cutanée (rayonnement β des produits de fission)
Irradiation pulmonaire (gaz rares émetteurs βγ)
Contamination pulmonaire par matière fissile (quantité incorporée)
10 mGy
1 mGy
100 mGy
15 mGy
238
U : 0,5 kBq
235
U : 0,5 kBq
Ce bilan apparaît initialement complexe et ne donne pas facilement une vision claire du
détriment :
- Les doses absorbées n'ont pas la même "toxicité" selon le rayonnement considéré (WR),
- Les doses reçues par différents organes ne peuvent pas s'additionner (ce sont des
concentrations dans des localisations différents).
- Le résultat de la contamination interne utilise d'autres unités (Bq) qu'il faut traduire en termes
de risque pour les prendre en compte (Cf. annexe 1).
L'utilisation des facteurs WR, WT et l'expression en termes de "dose efficace" répond à cette
nécessité.
Elle permet d'additionner les détriments partiels ainsi définis, puis d'exprimer un détriment
global, que l'on pourra comparer aux limites d'exposition, à travers un tableau comme le suivant :
Irradiation externe
Organisme entier (γ)
Organisme entier (neutrons)
Peau (β)
poumon (βγ)
contamination interne
D (mGy) x WR = HT (mSv) x
10
1
10
1
10
10
100
1
100
10
1
10
Activité incorporée
h(g)*
(µSv/Bq)
Poumon
238
U
235
U
105 Bq
5,7 10-6
100 Bq
6,0 10-6
Dose efficace totale
WT
1
1
0,01
0,12
=
E (mSv)
10
10
1
1,2
E engagée
(mSv)
0,6
0,6
23,4 mSv
* :h(g), encore appelé "dose par unité incorporée", est un coefficient qui permet de traduire directement la
contamination (Bq incorporés) en dose efficace engagée (dose efficace qui sera reçue à la suite de la
contamination, compte tenu de la décroissance radioactive, des processus d'élimination biologique et de la
distribution dans l'organisme) (Cf. annexe 1).
Dans cet exemple :
- On n'a pas le droit d'additionner ou de comparer les doses absorbées (D). Toutes sont liées
à des organes ou des rayonnements différents.
- On peut comparer ou additionner les doses équivalents (H) γ et neutrons, intéressant toutes
deux le même organe (ici l'organisme entier), mais pas les doses équivalentes à la peau, au
poumon et à l'organisme entier.
111
- On ne peut pas additionner non plus les activités incorporées au poumon (les
radionucléides sont différents et peuvent émettre des rayonnements différents).
- Par contre, on peut comparer et additionner toutes les doses efficaces dues aux expositions
des différents organes, par les différents rayonnements ou radionucléides, pour en déduire
une dose efficace totale.
Ce bilan montre finalement un dépassement de la limite annuelle fixée par la réglementation du
travail en temps normal pour un travailleur professionnellement exposé (20 mSv), mais il montre
aussi que l'on reste largement dans le domaine des faibles doses et permet de rassurer, s'il en est
besoin, l'intervenant sur l'avenir de sa santé.
L'utilisation de la dose efficace revient à traduire, pour l’individu, l'ensemble des détriments liés
à des irradiations partielles ou de natures différentes.
Elle rend possible la comparaison et l'addition de ces détriments partiels, jusque là interdites.
Elle permet de définir un système de limitation simple puisqu'il suffit de définir une seule limite,
exprimée en dose efficace, au lieu d'un système plus complexe et forcément incomplet, dans
lequel on définirait une série de limites pour différents organes.
Les doses exprimées en mSv, notamment lors des développements ayant trait aux effets
stochastiques et aux études épidémiologiques, sont, sauf indication contraire, des doses efficaces.
112
RETENIR
Pour les besoins de la radioprotection et de la normalisation, et en ce qui concerne les
effets stochastiques des rayonnements ionisants, il est nécessaire de prendre en
compte 2 facteurs essentiels contribuant au détriment du à l'irradiation :
- La nature des rayonnements,
- La nature des tissus ou organes irradiés.
La prise en considération de ces deux facteurs conduit à de nouvelles définitions de la
dose, fondées non plus sur la seule énergie délivrée, mais sur ses conséquences pour la
santé :
- La dose équivalente,
- La dose efficace.
WR est le facteur de pondération radiologique.
Il prend en compte la nature du rayonnement, indépendamment de l'organe irradié.
On peut le considérer comme le coefficient de toxicité du rayonnement.
C'est un coefficient sans unité.
La dose équivalente H est la dose absorbée (Gy) affectée de WR.
Elle s'exprime en Sv.
H (Sv) = D (Gy) . WR
On peut la considérer comme la "dose toxique à l'organe irradié".
WT est le facteur de pondération tissulaire.
Il prend en compte l'organe irradié (sa sensibilité, son importance, la gravité de la
maladie induite), indépendamment de la nature du rayonnement, déjà prise en
compte par WR.
C'est un coefficient sans unité.
La dose efficace E est la dose équivalente à l'organe affectée de WT de cet organe.
Elle s'exprime en Sv.
E (Sv) = H (Sv) . WT
On doit la considérer comme la "dose de conséquences pour la santé de la personne
qui a reçu la dose D ou la dose équivalent H, dans un ou plusieurs organe, ou à
l'organisme entier.
E est reçue par la personne, mais pas par un organe ni même par l'organisme entier.
Utilisation :
- On ne peut comparer ou additionner des doses absorbées (D) que si elles sont
délivrées au même endroit par le même type de rayonnements,
- On ne peut comparer ou additionner des doses équivalentes (H) que si elles sont
délivrées au même endroit (y compris par des rayonnements différents),
- On peut comparer ou additionner toutes les doses efficaces € quelques soient les
rayonnements ou les organes concernés.
113
Annexe 1
NOTION DE DOSE EN CONTAMINATION INTERNE
La contamination interne est l'incorporation de radionucléides et conduit au maintien de leur
présence dans l'organisme, au-delà du moment où la contamination a eu lieu, jusqu'à leur
élimination progressive.
Les durées et conditions de cette présence, de l'accumulation ou la concentration dans les
organes et de l'élimination sont liées à de nombreux facteurs dont les principaux sont la nature
physico-chimique du radionucléide et les conditions métaboliques.
LA CONSTANTE ET LA PERIODE EFFECTIVES
Si l'on considère que la contamination a eu lieu à un instant zéro, le radionucléide initialement
présent disparait effectivement de l'organisme selon deux processus :
Activité incorporée
Débit de dose délivré
- Sa décroissance radioactive, décrite par
la constante radioactive λr, que l'on peut
définir comme la proportion qui se
100%
désintègre à chaque instant, et sa période
radioactive Tr.
- Son
élimination
progressive
par
Disparition effective = f(λeff)
l'organisme, indépendante de ses
caractères radioactifs. Cette élimination
Décroissance radioactive = f(λr)
peut faire appel à des mécanismes plus
Elimination métabolique =f(λb)
50%
ou moins complexes mais on considère
que, sauf cas particuliers, elle est
progressive et peut être décrite par une
constante d'élimination biologique λb
(proportion éliminée à chaque instant) et
une période biologique Tb.
- La proportion qui disparait effectivement
Teff Tr Tb
Temps
de l'organisme à chaque instant est alors
la somme des deux processus :
λeff = λr + λb
λeff est la constante effective et on peut définir une période effective, Teff, liée à λeff.
Teff est toujours la plus courte des trois périodes.
114
LA DOSE ENGAGEE
Débit
de
dose
Aux facteurs de conversion près (facteurs
définissant la dose délivrée par une
désintégration), le débit de dose (dose
délivrée
à
chaque
instant
après
l'incorporation) diminue comme l'activité
effectivement présente à cet instant.
Ce qui importe réellement est cependant la
dose totale qui sera reçue, au cours du
temps, du fait de la contamination à l'instant
initial, dose qui continue à s'accumuler
après cet instant initial.
DED = f(λeff)
Dose efficace
engagée
50 ans
Cette dose est la dose engagée. Elle est
représentée sur le graphique par la surface
Temps
sous la courbe f(λeff) ou, en termes
mathématiques, par l'intégrale de la
fonction qui décrit cette courbe.
Une définition de la dose engagée pourrait être la suivante :
"La dose engagée est la dose cumulée dans le temps qui sera finalement reçue du fait d'une
contamination à l'instant initial."
1) Le facteur de conversion cité plus haut, déterminant la dose engagée par un Bq incorporé, est
la dose par unité incorporée (DPUI), notée h(g) dans les tableaux de conversion de la
réglementation.
La dose ainsi calculée est la dose efficace engagée.
Eengagée (Sv) = A (Bq) . h(g)(Sv/Bq)
2) La dose efficace engagée est, sauf indication contraire, généralement calculée sur 50 ans pour
les travailleurs et le public adulte, jusqu'à l'âge de 70 ans pour les enfants.
Cependant, pour un agent contaminant de période effective courte, la quasi-totalité de la dose
efficace sera engagée dans les premiers temps.
Par exemple, pour l'iode 131, de période radioactive 8 jours et de période biologique 120 jours,
donc de période effective 7,5 jours, la quasi-totalité de la dose sera engagée dans le 1er trimestre
(environ 10 Teff).
115
Annexe 2
NOTIONS D'EPIGENETIQUE
La génétique classique explique l'ensemble de la transmission et de l'expression du patrimoine
génétique par la cellule et par l'organisme grâce à l'écriture du code génétique dans l'ADN.
Cette écriture est habituellement comparée à une succession de lettres (les bases ou nucléotides),
formant des mots (les codons), constituant eux-mêmes des phrases ou des consignes (les gènes).
Pour terminer la comparaison, le patrimoine génétique est un livre.
Cette vision apparaît aujourd'hui trop simple et doit être complétée pour apporter des
explications plus satisfaisantes à diverses observations :
- Certains caractères acquis semblent transmissibles entre cellules, voire entre organismes,
sans modification de l'ADN (on a ainsi évoqué une "mémoire cellulaire"),
- Des différenciations cellulaires ont lieu, au sein 'un même organisme, avec un patrimoine
génétique parfaitement commun,
- Les vrais jumeaux, qui peuvent être considérés comme des copies conformes du point e
vue du patrimoine génétique, ne sont pas strictement identiques,
- Les lois de Mendel, initialement simples avec les notions de gènes dominants et récessifs,
se sont compliquées de manière apparaissant parfois peu logique, avec les notions de
dominance intermédiaire, multifactorielle…
- Des anomalies apparemment transmissibles ont pu être observées chez des descendants de
mères ayant subi un traumatisme important (par exemple augmentation du cortisol chez
des enfants dont la mère a été impliquée dans les attentats du 11 septembre 2001, avant la
grossesse).
Pour reprendre la comparaison classique proposée plus haut, l'expression du code génétique est
bien sûr liée à son écriture (la génétique classique), mais aussi à sa lecture, avec les nuances
d'interprétation du texte originel que peuvent apporter d'autres facteurs liés aux conditions de
l'environnement ou à la qualité des moyens de lecture. Ces facteurs pourraient être eux-mêmes
transmissibles.
L'épigénétique s'intéresse à cette lecture (à écriture constante).
On la définit comme l'expression ou la transmission de caractères décrits par le séquençage de
l'ADN, cette expression ou cette transmission dépendant pour partie de l'environnement
cellulaire (voisinage d'autres cellules, stress, conditions de vie…).
Différents supports ont été envisagés :
- Modification de parties "non codantes" de l'ADN lui-même, modifiant la lecture et non
l'écriture,
- Modifications chimiques de nucléotides (sans changer un nucléotide par un autre), telles
que des méthylations ou déméthylations, stimulant ou inactivant les régions intéressées (les
rendant lisibles ou non),
116
- Modifications de protéines participant à la lecture (activation ou inactivation de gènes),
dont en particulier les histones (protéines liées aux chromosomes),
- Modifications de l'ARN intervenant dans la transcription des gènes,
-…
L'épigénétique suggère des explications plus satisfaisantes à un certain nombre d'interrogations
dont certaines ont été indiquées ici.
Il ne s'agit cependant encore, pour une part importante, que d'hypothèses ou de voies de
recherche encore très incertaines.
Pour la radiobiologie, elles signifient que la lésion de l'ADN, dans sa description habituelle, n'est
pas le support unique des effets que l'on constate.
117
Annexe 3
REPARATION DE L'ADN
L'ADN subit en permanence de nombreuses agressions, qui déterminent de nombreuses lésions.
Mais il est doté de mécanismes de réparation capables d'éliminer ces lésions et reconstituer sa
structure.
Ces réparations peuvent aboutir à 2 types de résultats :
- Reconstitution intégrale de l'ADN. On parle de réparations fidèles,
- Reconstitution d'un ADN modifié. On parle de réparations fautives et on se trouve face
à la gestion de mutations ou de morts cellulaires.
Les principaux mécanismes de réparation mis en évidence sont :
L'action d'une simple ligase
(enzyme "recollant" des extrémités cassées)
Pour des ruptures monobrin simples et propres.
Une ligase est capable de ressouder les 2 extrémités en quelques minutes.
L'excision resynthèse
Elle s'adresse à des lésions plus complexes, ou à des lésions des bases, peut-être à des
pontages.
Elle met en jeu un certain nombre d'étapes successives dont l'existence a été montrée pour
les cellules de mammifères, avec l'intervention d'une succession d'enzymes :
- Glycosylase (pour certaines bases),
- Endonucléases (enzymes de reconnaissance),
- Exonucléases (excisions de chaîne d'une vingtaine de nucléotides),
- Polymérases (synthèse de nouveaux fragments en prenant modèle sur le brin sain),
- ligases (soudage final).
Le mécanisme intervient en intercinèse et est un mécanisme de réparation fidèle.
A) Altération de l'DN (ici dimère de thymine)
B) Une endonucléase coupe l'ADN de part et
d'autre de la lésion
C) La partie lésée est éliminée
-
D) Une polymérase et une ligase synthétisent
et lient une fraction neuve d'ADN
118
Recombinaison ou réparation post réplicative
Le processus concerne les cellules en cours de réplication (phase S).
A) En face d'une lésion (chaîne mère),
Se créé une brèche (chaîne fille),
B) Cette brèche est comblée par le transfert
d'un segment provenant de la chaîne mère
de l'autre brin,
Les 2 brins ont alors une lésion ou une
brèche face à une chaîne saine
C) Chaque brin subit un processus d'excision
resynthèse
La recombinaison ou réparation post réplicative est un mécanisme de réparation fidèle.
Réparation SOS (Save Our Synthesis) ou synthèse trans lésion
Ce système a été mis en évidence chez les virus et en partie chez les bactéries (E. Coli). Il
est possible chez les mammifères.
A) En face d'une lésion, la synthèse sur la
chaîne fille est bloquée,
B) La synthèse de la chaîne fille reprend
face à la lésion, sans modèle, ou selon
un modèle faux (plutôt que rester
bloquée),
C) Une des cellules filles dispose d'une
molécule d'ADN intacte.
L'autre cellule fille a un ADN porteur
d'une lésion sur ses 2 brins.
119
La synthèse trans-lésion ou système "SOS" est un processus de réparation fautive, qui
engendre une population de cellules filles porteuses d'une nouvelle anomalie génétique.
Réparation de ruptures double brin
Ce mécanisme n'est également que supposé chez les mammifères mais non démontré.
Il s'appuie sur une recombinaison entre la molécule d'ADN lésée et l'autre molécule
homologue, supposée saine.
Les modalités de fonctionnement de ce mécanisme restent à préciser.
_____oOo_____
Il convient en somme de retenir que l'ADN, qui subit en permanence de nombreuses
agressions, dispose d'une batterie de processus de réparation qui lui permet dans la quasitotalité des cas de se reconstituer "ad integrum".
Il est cependant possible, même si c'est de manière marginale, que ces processus soient pris en
défaut et conduisent à des réparations fautives dont le résultat peut être l'apparition de cellules
pathologiques.
La protection de l'organisme dispose d'une forme de défense en profondeur qui s'appuiera alors
sur d'autres moyens d'élimination de ces cellules (apoptose, immunocompétence…).
120
Annexe 4
RAPPELS SUR LES NOTIONS UTILISEES EN EPIDEMIOLOGIE
I : EXPRESSION DES RESULTATS D'ETUDES EPIDEMIOLOGIQUE
Incidence et prévalence
Il existe 2 grandes manières de décrire la présence d'une affection dans une population.
L'incidence :
C'est la fréquence d'apparition d'une affection dans une population et un laps de temps donnés :
Incidence =
Nombre de nouveaux malades
Population . temps
Par exemple :
Incidence = 50 pour 100 000 personnes.années :
Signifie que si l'on a observé 100 000 personnes pendant un an, ou 50 000 personnes pendant 2
ans, 50 nouveaux malades sont apparus.
Les malades plus anciens mais encore présents ne sont pas pris en compte.
La prévalence :
C'est la proportion d'une population qui présente une affection donnée (nouvelle ou ancienne) à
un moment donné.
Prévalence =
Nombre de malades
Population
La notion d'apparition de nouveaux malades n'apparait pas.
Remarque :
Les notions d'incidence et de prévalence sont complémentaires.
Des affections ayant une incidence élevée mais guérissant rapidement ou étant rapidement
fatales peuvent avoir une prévalence faible.
Au contraire, une maladie de longue durée peut, malgré une incidence faible, avoir une
prévalence forte.
Risque absolu (RA)
C'est la différence entre le nombre de cas observés dans la population soumise au risque étudié
et le nombre de cas attendus dans la population témoin (personnes non exposées).
RA = Cas observés – cas attendus
121
Il exprime le nombre de maladies dans un groupe exposé, qui peuvent être attribuées à
l'exposition.
Risque absolu standardisé :
L'expression généralement utilisée du risque absolu, dans un souci de compréhension et de
comparaison entre les différentes études ou les différentes populations (qui peuvent être de
volumes très différents, sur des périodes variables…), est le risque absolu standardisé (RAS).
C'est le risque absolu exprimé pour une durée et un volume de population standard.
Risque absolu standardisé
=
Cas observés – cas attendus
Personnes . an
On utilise habituellement un risque standardisé pour 10 000 ou 100 000 personnes an.
Risque relatif (RR)
C'est le rapport entre le nombre de cas observés et le nombre de cas attendus .
Risque relatif
=
Nombre chez les exposés
Nombre chez les non exposés
=
Cas observés
Cas attendus
Le risque relatif mesure la force de l'association entre l'exposition et l'affection.
Alors que le risque absolu exprimait dans une population le nombre de cas supplémentaires, le
risque relatif exprime le pourcentage de cas en excès.
On définit aussi un excès de risque relatif (ERR) :
Nombre chez les exposés - Nombre chez les non exposés
ERR = RR – 1 =
Nombre chez les non exposés
La notion est strictement la même que celle de risque relatif. Seule la présentation change, pour
être plus pédagogique (Cf. page suivante).
Risque relatif (ou ERR) standardisé :
Le risque (RR ou ERR) peut également être exprimé par unité de dose (on présuppose alors que
la relation "dose-effet" est linéaire et sans seuil) :
Nombre chez les exposés - Nombre chez les non exposés
ERR /Sv =
Nombre chez les non exposés . Dose
Interprétation de la notion de risque :
122
RR = 1 ou ERR = 0 ⇒ Pas de risque ajouté
RR > 1 ou ERR > 0 ⇒ Effet délétère
RR < 1 ou ERR < 0 ⇒ Effet protecteur
Intervalle de confiance :
Les valeurs indiquées (RR, ERR…) sont issues de données statistiques.
Elles ne sont en fait pas la réalité mais une simple image de celle-ci, avec toutes les
imprécisions, les erreurs, les biais que l'on peut redouter.
Elles sont donc données avec un intervalle de confiance. Cet intervalle est une fourchette de
valeurs encadrant la valeur mesurée ou calculée par l'étude, qui reflète l'incertitude statistique et
indique la probabilité que la valeur annoncée soit proche de la valeur vraie.
L'intervalle de confiance de 95%, généralement utilisé, est l'intervalle, autour de la valeur
mesurée ou calculée, qui a 95% de chances de contenir la valeur vraie.
On considère en pratique qu'un résultat cherchant à mettre en évidence un risque ajouté réel non
nul (RR > 1) est significatif (correspond à une réalité) si l'intervalle de confiance ne comprend
pas la valeur 1.
On considère de la même manière qu'un résultat cherchant à mettre en évidence un excès de
risque (ERR) non nul est significatif si l'intervalle de confiance ne comprend pas la valeur 0.
En règle générale, plus la population étudiée est importante, plus l'intervalle de confiance se
réduit et plus l'étude est précise.
Exemple (théorique) :
Cas observés
10
1000
Cas attendus
5
500
Risque relatif
IC 95%
2
[0,95 – 3,68]*
2
[1,88 – 2,13]
* : Ici, RR = 2 est un risque mesuré par l'étude. On n'est pas certain qu'il soit exact.
L'intervalle de confiance permet de dire que l'on a 95% de chance pour que la valeur exacte
soit comprise entre 0,95 et 3,68.
L'étude montre dans les 2 cas le même risque relatif mesuré (RR = 2 suggérant que l'exposition
au facteur de risque amène un doublement du risque naturel).
La 1ère étude, de faible effectif, ne permet cependant pas de conclure que le risque est réel, car
l'intervalle de confiance comprend la valeur 1, alors que la 2ème étude, avec un effectif plus fort, a
un intervalle de confiance plus réduit autour de 2. Elle ne comprend pas la valeur 1. Son résultat
est donc significatif et permet de conclure que le risque est réel.
La notion d'intervalle de confiance est fondamentale. Une étude épidémiologique (ou un
sondage) sans intervalle de confiance n'a, a priori, aucune valeur scientifique.
123
II : TYPES D'ETUDES EPIDEMIOLOGIQUES
Les définitions précédentes ont permis de souligner que les études épidémiologiques
comprennent deux populations (l'une faisant l'objet de l'étude, l'autre servant de témoin)
Ces études peuvent aborder la question de deux manières opposées (mais pouvant être
complémentaires) : les études de cohorte et les études "cas-témoin".
Les études de cohortes :
Dans une étude de cohorte, on observe pendant une durée déterminée un groupe de sujets soumis
au risque étudié.
A la fin de l'étude, on compare les incidences ou les prévalences des différentes pathologies
observées dans les 2 groupes.
POPULATION
Perdus de vue
Exposés
BILAN
DES
DIFFERENTS
EFFETS
CONSTATES
Témoins
Décès
Pour ce qui concerne des effets comme les effets stochastiques des rayonnements ionisants,
l'effet recherché reste en règle général rare, tardif et les paramètres nombreux. La cohorte doit
par conséquent être importante et il est nécessaire de suivre de très fortes populations, pendant
un temps très long, pour pouvoir obtenir un résultat significatif.
Ces études :
- Prennent en compte le temps (études prospectives),
- Voient tous les effets d'une exposition, mais ne voient qu'un facteur,
- Sont inadaptées aux maladies rares (trop grands intervalles de confiance),
- Sont longues (et chères).
Les études de cas témoins ou cas contrôle :
Dans une étude "cas témoin", on étudie au contraire des sujets présentant une affection
déterminée et on compare individuellement leurs conditions de vie à celles de sujets témoins,
non malades, les plus appariés possible (âge, sexe, autres facteurs…). Très souvent, on associe
plusieurs témoins à un malade.
Ce type d'étude demande des populations moins importantes et peut être particulièrement utile
pour faire la part entre différents facteurs.
·
·
·
MISE EN EVIDENCE
DES FACTEURS DE
RISQUE
RECONSTITUTION
DES EXPOSITIONS
CALCUL DE RISQUE
Recherche des
facteurs possibles
d'exposition
Malades
Témoins sains
124
Elles donnent une estimation moins directe du risque relatif que l'étude de cohortes, mais
permettent d'obtenir plus rapidement des résultats.
Un risque majeur d'erreur est le mauvais appariement des 2 groupes.
Ce sont des études : - Rapides (rétrospectives), et peu coûteuses,
- Adaptées aux maladies rares,
- Voient toutes les causes d'une pathologie,
- Mais ne voient qu'une maladie.
III : MODELISATION DES RESULTATS
Les études épidémiologiques sont in fine une photographie de la situation au moment où elles
sont réalisées, mais il n'existe le plus souvent pas de suivi complet d'une population (par
exemple, une proportion importante de la population d'Hiroshima et Nagasaki suivie est encore
en vie). Il convient donc d'extrapoler les résultats déjà acquis vers l'avenir, en particulier pour ne
pas retarder les actions que pourraient suggérer les premiers de ces résultats.
On a ainsi défini deux modèles principaux de prédiction, afin de pouvoir utiliser sans retard des
résultats qui peuvent être importants pour la sécurité ou la prévention, même s'ils sont encore
incomplets :
Le modèle additif :
Selon ce modèle, l'incidence excédentaire annuelle augmente après une période de latence puis
reste constant, en valeur absolue (on ajoute un nombre constant de cas).
A = B
Incidence
Incidence après
irradiation
B
A
Incidence
naturelle
Temps
Moment de
l'exposition
Le modèle multiplicatif :
Le modèle multiplicatif fait l'hypothèse que l'excès de risque, après une période de latence, est
une proportion constante du risque naturel d'apparition de ces cancers au moment de
l'observation (le nombre de cas ajoutés augmente dans la même proportion que le nombre de cas
naturels).
Incidence
125
A
B
= C
D
Choix du modèle de prédiction :
Si aucun de ces deux modèles ne s'applique parfaitement à toutes les observations, du moins
pour ce qui concerne les rayonnements ionisants, l'un ou l'autre rend mieux compte de celui-ci,
selon le type de cancer étudié. Il est choisi en conséquence, au cas par cas.
De manière générale, le modèle choisi est assez fidèle pour les premiers temps, correspondant
aux observations réelles de l'étude épidémiologique.
Pour les périodes plus éloignées, non encore observées car la cohorte n'est pas encore éteinte, il
ne propose qu'une extrapolation dans le temps futur, qui devra être confrontée à l'observation le
moment venu et éventuellement révisée.
En règle générale, on constate que ces modèles font faire des prévisions excessives et que les
corrections qui doivent leur être apportées au cours du temps sont en fait des révisions à la baisse
de l'estimation du risque (Hiroshima, Nagasaki, curie thérapie…).
126
Annexe 5
LE DEVELOPPEMENT INTRA UTERIN
Le développement intra utérin est décrit classiquement en 3 étapes durant lesquelles le
comportement, la sensibilité et l'importance des différentes cellules ou lignées cellulaires varie
considérablement.
L'étape préimplantatoire :
Cette étape va de la fécondation, qui se produit dans le tiers supérieur d'une trompe, jusqu'à
l'arrivée du produit de conception dans l'utérus et son implantation dans la muqueuse (nidation).
Elle dure 7 à 9 jours dans l'espèce humaine.
Les cellules qui apparaissent au cours de cette étape sont "totipotentes", non différenciées et non
spécialisées. Chacune est capable soit de produire un embryon complet normal, soit de remplacer
une autre cellule défaillante du produit de conception.
Ces cellules restent très sensibles aux agents agressifs (lois de Bergonié et Tribondeaux).
Leur caractère "totipotent" et "remplaçables les unes par les autres " explique que les
conséquences d'une exposition à ce stade se traduisent par une loi du "tout ou rien", qui conduit
volontiers à la naissance d'un nouveau né normal ou à un avortement précoce, voire inaperçu.
La période d'embryogenèse :
Cette période s'étale du 10ème jour à la fin du 2ème mois.
Elle se traduit par :
- La pénétration de l'embryon dans la muqueuse utérine,
- Le début des relations "mère-embryon" (échanges placentaires),
- La mise en place des ébauches des différents organes (sauf les organes génitaux externes),
selon un calendrier précis et une programmation rigoureuse.
L'étape d'embryogenèse est l'étape de la différenciation cellulaire.
Chaque cellule se différencie et se spécialise dans l'ébauche puis le développement d'un organe
ou un tissu particulier.
Elle perd à cette occasion son caractère "totipotent".
Les pertes cellulaires subies à ce stade ne sont donc plus parfaitement compensées par d'autres
cellules. Elles se traduiront par des pertes partielles ou totales de fonctions ou d'organes.
Cette période est particulièrement sensible aux agents agressifs, avec des conséquences
majeures.
127
La période fœtale :
C'est la période de croissance générale et de maturation fonctionnelle des organes déjà ébauchés
et s'étend jusqu'à la naissance.
Deux organes essentiels ne sont pas encore mis en place au cours de cette période :
- Les organes génitaux externes,
- Le système nerveux central.
Le cerveau adulte est le résultat d'une séquence longue et complexe de croissance tissulaire
en deux étapes principales qui se prolongent après la naissance :
- Organogenèse : mise en place vers la 7ème semaine à partir de la fermeture de la gouttière
neurale, pour constituer le tube neural, et formation de la vésicule télécéphalique
(ébauche du cerveau).
- Histogenèse : période de croissance et de différenciation des tissus nerveux et cérébraux :
- 10-18ème semaine : apparition des précurseurs des neurones (neuroblastes),
- 17ème semaine : Croissance des cellules gliales (cellules de soutien),
- 8ème mois - 2ème année : connexions entre les neurones par mise en place de
dendrites et synapses, migration de neurones. La mise en place des
connexions préside à l'édification des réseaux nerveux et cérébraux.
La période de mise en place, et de sensibilité, du système nerveux central est donc très étendue.
De plus, contrairement à d'autres cellules embryonnaires, les neuroblastes migrant ont un
potentiel de division limité et toute perte à ce stade sera difficilement remplacée. Elle pourra se
traduire par des pertes irrémédiables de fonctionnalité des cellules concernées.
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