A Micheline, Le S3 de Poitiers est en deuil après le décès subit de

Transcription

A Micheline, Le S3 de Poitiers est en deuil après le décès subit de
A Micheline,
Le S3 de Poitiers est en deuil après le décès subit de Micheline.
Elle n’avait que 66 ans. Nous n’arrivons pas à imaginer qu’elle ne sera plus parmi nous, que
nous n’entendrons plus résonner sa voix sonore dans cette salle, où elle a participé à tant de
réunions, préparé tant de mouvements, interpellé plus d’un ou d’une d’entre nous.
Bien d’autres que moi, ayant milité auprès d’elle durant de longues années, auraient pu
prendre la parole, pour que cette CA lui rende l’hommage qu’elle mérite.
C’est sans doute parce que je suis le plus ancien que me revient la douloureuse tâche de
parler. Pour nous souvenir, nous ses amis, ses camarades, dénomination qui n’était pas un
vain mot pour elle, tant elle était attachée à cette fraternité qui nous unit dans le combat pour
une société plus juste, plus humaine et plus fraternelle.
J’ai retrouvé, il y a quelque temps, une photo où, lors d’un colloque organisé par le SNES à
Paris sur les enseignements scientifiques, nous représentions ensemble, avec Joseph Grivel, le
S3 de Poitiers. C’était en 1976, la première année où j’en devins le secrétaire. Il y a 35 ans
bientôt. Et depuis, nous ne nous sommes pas quittés dans le militantisme au SNES, et en
dehors, elle, conservant bien plus longtemps que moi des responsabilités.
J’ai recherché dans les archives les dates de la succession de ses différents mandats, sans y
parvenir complètement car, bien sûr, je ne m’étais préparé à une telle recherche. Elle n’est
entrée à la CA du S3 qu’en 1978, alors que j’étais persuadé que c’était beaucoup plus tôt, tant
il m’a toujours semblé que nous avions toujours milité côte à côte. En réalité c’est Raymond,
son mari, qui était élu de la CA depuis 1974, dans un partage et une association des rôles qui
s’est poursuivie, jusqu’à hier. Il leur fallait en effet s’occuper notamment à l’époque de leurs
deux petits garçons, Bernard et Christian, et s’organiser en conséquences.
Micheline militait cependant déjà dans les années 1970 dans le S1 du lycée Merleau-Ponty où,
jeunes certifiés de mathématiques, ils venaient d’être nommés après un séjour en coopération
en Tunisie, et où ils feront ensuite toute leur carrière. Elle ne tarda pas à entrer dans le bureau
du S2 de la Charente-maritime au côté de Guy Birolleau qui en était le secrétaire depuis 1971.
Auprès de lui, elle apprit le métier de syndicaliste. A l’époque où internet n’existait pas, pas
plus que les téléphones portables, ils partaient en voiture faire la tournée des S1 sillonnant un
département tout en longueur où abondaient et abondent toujours les tout petits collèges,
anciens CEG, où les certifiés étaient rares et où l’implantation du SNES n’était pas facile. Elle
siégeait à la CA départementale de la FEN où il fallait ferrailler ferme avec des militants
majoritaires UID particulièrement pugnaces. Elle s’occupait déjà de cas personnels pour
lesquels elle se déplaçait à l’inspection académique voire au rectorat. Guy Birolleau, estimant
qu’il fallait faire la place aux jeunes et aux femmes, lui passa donc le témoin de secrétaire du
S2 en 1982. Elle devint alors une des rares femmes à être secrétaire départementale, qui plus
est, mère de famille.
C’est dans ces années 1980 qu’elle s’investit encore plus dans la vie syndicale, au plan
académique cette fois. Elle ne tarda pas à venir renforcer le secrétariat du S3 et, durant la
période où je partis au secrétariat national de 1984 à 1989, elle fut, après le départ de Monique
Pelorson, la cheville ouvrière du fonctionnement du S3 avec Danièle Blanc et Marie-Hélène
Aubineau, tandis qu’Alain Tournier présidait aux destinées du SNES charentais et poussait les
feux avec pugnacité dans les nouveaux CTPA et CAEN… Et nous fîmes en sorte qu’elle soit
élue membre de la CA nationale aux élections de 1987 pour représenter le S3 de Poitiers,
siège qu’elle occupera jusqu’en 1997, y compris donc après que Jean-Pierre Gay m’a succédé
comme secrétaire général du S3 en 1992 et après la création de la FSU.
Tête de liste à la commission paritaire des certifiés, elle eut à partir du milieu des années 1980
de plus en plus tendance à s’occuper principalement des affaires personnelles qui, pour elle,
constituaient une des bases principales du syndicalisme, comme le lui avait appris Joseph
Grivel, qu’elle considérait comme un autre maître. Et presque naturellement, elle fut ainsi
conduite, d’abord à passer le témoin de secrétaire du S2 à Dominique Guillot, une autre
femme mère de famille, puis à être moins présente au S3 pour devenir commissaire paritaire
nationale, collaboratrice du secteur emploi.
Après avoir fait pendant une quinzaine d’années des voyages Rochefort-Poitiers plusieurs fois
par semaine, au cours desquels elle usa plusieurs voitures, elle fit donc le voyage RochefortParis, où elle retrouva Raymond qui apportait ses compétences au développement de
l’informatique au secteur FTS. La retraite venue, elle resta, j’allais dire sans affectation
quelques années, avant de devenir secrétaire départementale des retraités de Charentemaritime puis secrétaire académique, succédant à Jean-Pierre Menéghin. Et c’est à ce titre
qu’elle était encore parmi nous lors de la dernière réunion de la CA.
On ne saurait se limiter à ce rappel des étapes de son long parcours, déjà éclairant en soi, pour
évoquer la part qu’elle a prise dans la vie de notre syndicat.
J’ai dit à l’instant que la plupart des militants, qui l’ont connue, savent qu’elle donna toute la
mesure de son engagement et de sa disponibilité, dans le domaine des affaires dites
« personnelles », sans doute parce que chacun connaissait l’efficacité de ses interventions et
que d’innombrables collègues lui doivent quelque chose pour une mutation, une promotion,
un congé, un rappel de traitement… Mais on ne saurait limiter son activité au traitement des
cas particuliers.
Elle avait en effet pleinement conscience que ses interventions s’inséraient dans un travail
collectif, qu’il fallait d’abord organiser et qui prenait sens dans le cadre d’une politique
syndicale. Bref, pour aller à l’essentiel, que le syndicalisme repose d’abord dans la bonne
articulation de la défense des intérêts individuels et collectifs des personnels, sans qu’il y ait
jamais de hiatus entre la revendication corporative et la défense de la connaissance et d’une
conception de la culture et de l’éducation, et plus largement la perspective de la
transformation sociale vers plus de justice, de démocratie et de liberté. Elle eut à souffrir
parfois que certains, dans l’organisation syndicale, mésestiment ce volet essentiel des
« affaires personnelles », le renvoient au rang de l’intendance.
Or Micheline, sans être experte en tout, était parfaitement polyvalente, tout en étant
consciente de ses compétences et de ses limites. Elle était surtout habitée par des convictions
qui lui permirent de pousser son militantisme jusqu’à une sorte d’apostolat.
Cela lui donnait la force d’être une incomparable animatrice. Dont l’enthousiasme était si
utile dans tous les compartiments de notre activité et notamment dans l’action, en particulier
pour la réussite de nos manifestations. Je m’en rendis compte pour la 1 ère fois, certains s’en
souviennent peut-être encore, lors de la 1ère manifestation nationale du SNES le 27 janvier
1979, où les banderoles et calicots divers de la Charente-Maritime furent remarqués tandis
que Micheline hurlait au micro nos revendications adressées au ministre de l’Education
nationale de l’époque, Beuh ! llac, qu’elle faisait reprendre par la troupe des militants
emmitouflés.
Est-il possible de compter les jours, les nuits, les harassants voyages, les vacances écourtées
quand il fallait organiser les épisodes estivaux du mouvement des auxiliaires et délégations
rectorales puis du mouvement académique tout court ? Tant que le travail n’avait pas été fait
sérieusement, jusqu’au bout, elle ne démissionnait pas, malgré la fatigue qui devint un peu
plus pesante avec le temps. Et ce n’est qu’ensuite qu’elle acceptait de faire la fête où elle
n’était pas la dernière, à danser, rire, trinquer…
Ce qui l’aida aussi et surtout et nous aida par la même occasion, c’était sa rayonnante
humanité communicative, qui rimait avec son désintéressement, sans lequel le militantisme
perd de sa substance et de sa fécondité. Sans vouloir être un exemple, elle accomplissait une
sorte de devoir au service des autres.
Elevée dans une famille populaire nombreuse de huit enfants, elle considérait aussi le SNES
un peu comme une sorte de grande famille. Tout à la fois protectrice et directive, comme une
soeur aînée, parfois un peu trop, de sorte qu’il y eut des cris et mêmes quelques pleurs. Mais
tous et toutes se réconciliaient vite. Rien ne lui était plus insupportable que l’idée qu’elle ait
pu blesser quelqu’un ou quelqu’une. Elle pardonnait facilement comme elle aimait qu’on lui
pardonnât.
En égrenant tous ses mérites, je sais que la grande amitié et la profonde complicité qui nous
unissaient ne me prédisposent pas à être objectif dans mes jugements. Mais je suis persuadé
que ceux et celles qui l’ont bien connue savent que je ne mens pas. Elle avait même réussi à
obtenir l’estime des chefs de bureaux et des personnels du rectorat, tout comme du secrétaire
général, il est vrai homme proche de nous, Monsieur Chauveau, ce qui lui permettait de régler
plus facilement bien des cas difficiles.
Si je m’efforce maintenant de prendre un peu de recul, comme il convient à l’historien que je
suis et qui consacre beaucoup de temps à écrire des biographies de militants, je dirais que
Micheline fut l’exemple même de la militante, dont l’action s’inscrit dans la longue marche de
ceux et celles qui ont combattu, combattent et combattront je l’espère du côté des opprimés
pour un monde meilleur.
A cet égard, j’aime souvent citer cette appréciation d’un historien du Mouvement ouvrier
qu’on ne cite plus guère dans les biographies, Edouard Dolléans qui écrivait en 1938-39 :
« L'œuvre interrompue, doit être sans cesse reprise par les militants, plus lucides et plus
obstinés que leurs frères. Par-delà les déceptions et les reculs, leur persévérant courage a relié
entre eux des efforts qui se heurtent aux circonstances économiques et à la résistance des
individus dont l'incompréhension explique le manque d'équité. » Et il en concluait la nécessité
pour l’historien d’ « expliquer les faits en dépeignant les hommes. Et dévoiler les raisons
profondes en cédant souvent la parole aux artisans, connus ou obscurs, du mouvement. »
Micheline était de la race de ces militants, ni connus ni obscurs, mais de ceux qui ont joué et
jouent encore un rôle déterminant dans les organisations de travailleurs et dans le Mouvement
social.
Pour ces raisons, nous lui devons reconnaissance, dans laquelle je ne saurais oublier
d’associer Raymond à qui va toute notre amitié indéfectible et fraternelle. Cette
reconnaissance vaut bien ce court hommage que nous rendons à Micheline, chargé de sens, et
donc d’une certaine solennité. C’est la raison pour laquelle je vous demande que nous
observions un moment de silence pour partager par la pensée tout ce qui nous rattache à elle.
Alain Dalançon
Le 16 décembre 2010