Le maintien à domicile des immigrés vieillissants

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Le maintien à domicile des immigrés vieillissants
JDD
Côté terrain
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sur…
Le maintien à domicile
des immigrés vieillissants
Logeant historiquement des travailleurs migrants,
Adoma – anciennement Sonacotra – a réfléchi
aux moyens de prendre en charge le vieillissement
de cette population aujourd’hui à la retraite.
Objectif : assurer le maintien à domicile des
plus dépendants.
L’adaptation
des logements
Le Journal du Domicile & des services à la personne
No 21 - Juin/Juillet 2010
© J.W.- EHPA Presse
Depuis 2005, Adoma réhabilite
ses foyers de travailleurs migrants
en résidences sociales. Ses missions ont même été élargies aux
publics en situation de précarité
(familles monoparentales, jeunes marginaux ou encore gens
du voyage). Néanmoins, cette
société d’économie mixte s’est
engagée auprès de l’Etat – par
un contrat d’objectifs (20052010) – à adapter l’ergonomie
Le Docteur Anne Févotte, gériatre conseil pour Adoma des résidences à la perte d’autonomie. Un guide de préconisadoma, c’est l’ex-Sonacotra. Fondés tions architecturales et techniques a donc
dans le contexte très particulier de été mis au point pour rénover les unités de
la guerre d’Algérie pour héberger les vie. En 2010, le bailleur investira 4 millions
travailleurs migrants – essentiellement des d’euros dans ces restructurations, soit 10 %
ouvriers employés dans la voirie – les foyers du budget entretien-rénovation.
Sonacotra avaient été construits pour être
provisoires. Mais, ces travailleurs sont restés Le but n’est pas de se conformer aux noret sont aujourd’hui retraités ; le bailleur social mes handicapées, mais de permettre un
a donc dû réfléchir sur le tard à une politi- confort de vie aux retraités. « Nous mettons
que de prise en charge du vieillissement. en place les conditions du maintien à domiLe topo : environ 30 000 personnes, soit la cile. Mais en tant que bailleur social, nous
moitié des résidents Adoma, ont plus de 55 restons domicile, nous ne sommes pas des
ans et 38 %, plus de 60. Autre facteur non établissements médico-sociaux », rappelle le
négligeable : la précocité de la dépendance docteur Anne Févotte. Les rénovations préqui engendre des besoins d’aide trois fois voient de renforcer les éclairages, de faciliter
plus importants comparés à la même classe les accès aux locaux avec des ascenseurs,
d’âge.
d’installer des douches à l’italienne et des
barres d’appui. La résidence « Les Ruffins »
Adoma a ainsi axé son action sur le main- à Montreuil-sous-Bois (93), foyer datant des
tien à domicile et un médecin gériatre, le années 50, a par exemple été réhabilitée en
docteur Anne Févotte, a été recruté en 2005 2009. Le foyer, c’étaient des chambres de
pour piloter le projet. Sous son égide, deux 4,5 m2, avec une cuisine et des sanitaires
actions concrètes ont été mises en place : communs. Ici, le projet social - élaboré avec
l’adaptation du bâti aux personnes âgées et la Ddass, la ville et la préfecture – a tenu
leur accompagnement vers les dispositifs de compte de l’histoire de la résidence : « On
s’engage normalement sur du logement
droit commun.
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A
autonome [avec chambre, kitchenette et
douche privative], mais les résidents ne
voulaient pas être isolés dans des studios »,
explique Manya Adbeddaim, responsable
Adoma études et développement. À côté de
studios autonomes, des chambres ont donc
été maintenues : désormais plus spacieuses
avec leur 15 à 20 m2, elles sont adaptées
aux personnes à mobilité réduite. La cuisine
collective a également été conservée. Malgré
tout, certains sont nostalgiques de la vie
en communauté des Ruffins ex-génération.
« C’est pas comme avant », soupire Amar
Amokrane, 69 ans, dans la résidence depuis
1964, toutefois content de la rénovation.
Pour rendre le lieu plus convivial, un salon/
salle à manger proche de la cuisine sera
aménagé avec des fauteuils de repos et des
tables de jeux.
Une vigilance
administrative et sociale
Des études menées auprès des résidents de
plus de 60 ans, en 2005 et 2007, ont mis
en évidence que 5 % d’entre eux rencontraient des difficultés dans la vie quotidienne,
mais que seulement 1 sur 10 bénéficiaient
des aides auxquelles ils peuvent prétendre.
« Beaucoup sont arrivés jeunes et analphabètes. Nous les informons sur leurs droits,
notamment au moment du passage à
la retraite. Nous devenons un recours et
une interface entre le résident et l’administration », explique Dieudonné Kivouvou,
responsable de la résidence de Bagnolet
(93). Car l’autre objectif d’Adoma, c’est
l’accompagnement des personnes vers les
dispositifs de droit commun. Et les responsables de résidence ont un important travail
de veille au quotidien, à eux notamment de
repérer les changements de comportement
ou les maladies mal soignées. « On fait des
Le balbutiement
des services à domicile
Mais pour l’instant, aucune étude n’a été
faite sur l’état de santé ou la dépendance
des résidents. « Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer est sous-évalué », reconnaît
le docteur Anne Févotte. Avec la grande
dépendance, l’équipe de la résidence des
Ruffins avoue gérer les solutions au cas
par cas : retours au pays – dans des cas
très rares – ou en habitat diffus, placement
en maison de retraite – mais la plupart
des résidents y sont réfractaires – ou recours, encore
très timide, aux services à
domicile (SAD). Encore une
fois, Adoma peine à se faire
connaître : « Pendant longtemps, on a entendu que
les services à domicile ne
pouvaient pas venir dans
les foyers de vie », raconte
le docteur Anne Févotte.
Probablement parce que ces
services n’ont pas identifié la
présence de plus de 60 ans
dans ces logements.
De gauche à droite : Mohammed Bengeloune, responsable de
la résidence des Ruffins ; Manya Adbeddaim, responsable
études et développement ; Dieudonné Kivouvou, responsable
de la résidence de Bagnolet (93)
Mais deux autres facteurs
freinent le développement
Journal& Domicile
Le
du
des services à la personne
Responsables de services
Vous avez monté une structure innovante ?
Vous avez mis en place des procédures particulières ?
Le Journal du Domicile & des services à la personne est là
pour faire connaître vos réalisations.
E H PA
P r e s s e
Conseil
Formation
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Amar Amokrane,
ancien ouvrier du bâtiment
des SAD : premièrement, les retraités ne
sont pas habitués à se faire aider en dehors
de la famille. En cas de problème, ils ont tendance à aller directement à l’hôpital, au prix
d’allers-retours pénibles. Deuxièmement,
« ce n’est pas évident pour les résidents de
se faire aider par une femme, même une
infirmière », explique Manya Adbeddaim.
Un long travail de sensibilisation auprès du
public âgé est donc indispensable pour faire
accepter les professionnels du domicile.
Mais cela n’est pas suffisant : pour des prestations d’accompagnement aux gestes de la
vie quotidienne, de ménage ou de préparation de repas, les deux heures minimum
d’intervention imposées par les SAD ne sont
pas toujours tenables. « Peut-être faudrait-il
mutualiser les aides sur un même lieu ? »,
suggère le docteur Anne Févotte.
Jenane Wahby
No 21 - Juin/Juillet 2010
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Ils travaillent aussi main dans la main avec
les coordinateurs sociaux gérontologiques et
les médiateurs santé, de chez Adoma, pour
identifier un réseau de partenaires gérontologiques… qui n’est pas toujours très au fait des
foyers de travailleurs migrants. « Les centres
communaux d’action sociale ne nous connaissent même pas alors que nous existons depuis
les années 60, s’étonne Manya Adbeddaim, et
les hôpitaux ne font pas la différence avec les
foyers pour personnes âgées. »
Aux Ruffins, des actions de prévention ont
été menées en partenariat avec la caisse
régionale d’assurance maladie et la ville, par
exemple sous forme de forums santé sur le
diabète, de réunions de dépistage du cancer
colorectal ou d’actions de vaccination… Les
résidents se montrent preneurs, car « la
santé est un élément fédérateur », selon
Manya Adbeddaim.
Le Journal du Domicile & des services à la personne
fiches d’alertes qui concernent uniquement
les retraités », assure Mohamed Bengeloune,
responsable de la résidence des Ruffins. Les
informations recueillies peuvent être transmises le cas échéant aux services sociaux.
Et, « une fois les problèmes identifiés, nous
pouvons les aider à monter les dossiers. Il
n’y aurait jamais de demande d’APA, sinon »,
explique Dieudonné Kivouvou. Sans être des
assistants sociaux, les responsables de résidences ont en charge une gestion à la fois sociale
et administrative.
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