La renaissance des communs

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La renaissance des communs
La renaissance des communs
David Bollier
Editions Charles-Léopold Mayer
ISBN: 978-2-84377-182-8
Notes des lecture
La notion de "communs" a acquis une prééminence nouvelle avec le web, grâce aux communs
numériques, l'encyclopédie Wikipédia étant au premier plan. Toutefois, le concept est loin d'être
nouveau, d'où le titre de cet ouvrage, qui s'attache à définir précisément ce que sont les
communs et nous entraîne dans leurs racines historiques, avant de revenir au présent. L'ouvrage
décrit également en détail le principe des "enclosures", opposé et ennemi des communs, qui est
l'acte par lequel un bien commun bascule dans un usage privé et exclusif, souvent à but
uniquement lucratif.
Ces notes de lecture représentent un résumé forcément partial et incomplet de l'ouvrage. Si le
sujet vous intéresse, lisez l'original! Les mots sont parfois ceux de l'auteur, parfois mes propres
reformulations. Les erreurs et approximations sont entièrement miennes.
Chapitre 1: La redécouverte des communs
Ce chapitre commence avec la présentation de quelques communautés d'intouchables en Inde,
qui se sont battus pour préserver les semences de plantes endémiques pour leur agriculture, bien
plus appropriées au climat de leur région que celles vendues par les grands semenciers qui
dominent ce marché. Ces banques de semences locales sont gérées en commun dans les villages
de la région.
Cet exemple est censé illustrer que, non seulement, les communs existent dans tous les endroits,
mais aussi qu'ils n'ont rien de nouveau. Au contraire, ils ont un long historique derrière eux.
L'exemple, de plus, démontre que, contrairement à ce que l'on veut nous faire croire, il existe des
alternatives à l'état et à l'économie de marché, souvent présentés comme les seules manières de
gérer les biens.
Le chapitre se poursuit par un exemple radicalement différent, la création de Linux, sous
l'impulsion de Linus Torvald, qui a défié la pensée économique canonique en démontrant qu'un
produit efficace et de grande qualité pouvait être créé hors du cadre de l'économie de marché.
Un commun n'est pas juste une ressource. Il s'agit de la conjonction de trois éléments:
une ressource + une communauté + un ensemble de règles sociales
En effet, le bien commun doit être géré, ce qui implique un groupe de personnes et des règles de
fonctionnement. Une ressource qui est un bien public, mais dont personne ne s'occupe n'est
qu'un "commun en puissance".
Les communs sont mal vus par les systèmes dominants. Dans les cas des entreprises, car ce sont
des biens qui échappent à l'économie de marché. Dans le cas des pouvoirs publiques, car ces
derniers sont réticents, voire hostiles, au fait que les citoyens prennent en main leur destinée.
Les participants à un commun sont appelés des "commoneurs".
Les règles de gestion d'un commun forment ce que l'on peut appeler un "droit vernaculaire", un
ensemble de règles et des lois, qui ne sont pas publiés officiellement, souvent même pas écrits,
mais qui sont respectés par l'ensemble de la communauté impliquée.
Ce qui est essentiel pour faire vivre un commun est l'intention de ses membres de "faire
commun", autrement dit d'agir pour le bien commun et non pour le seul intérêt personnel. Cet
engagement agit comme une boussole morale et sociale. Il permet de bâtir un système dont le
but est le partage d'énergie en vue de créer une bénéfice durable pour tous.
Chapitre 2: La tyrannie du mythe de la "tragédie"
Si l'on s'intéresse un tant soit peu à l'économie alternative, on a des chances d'avoir entendu
parler de la "tragédie des communs". Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il ne s'agit pas
du drame de la disparition de ceux-ci, mais bien d'un article à charge contre ce principe, écrit
en 1968 par l'économiste Garrett Hardin.
Hardin prend l'exemple d'un pâturage commun, comme il en existait beaucoup dans l'histoire.
Rien ne semble empêcher un éleveur de placer un peu plus d'animaux que les autres à cet
endroit. Puis de plus en plus. Et comme chacun va en faire autant, le pâturage s'en trouve ruiné.
Le problème de cet article est qu'il est enseigné à tous les étudiants en économie, afin de
démonter la possibilité de l'action collective. Le potentiel des communs est ainsi durablement
endommagé. Or, ce que montre Hardin n'est pas un vrai commun. Son exemple ne prend en
compte ni communauté, ni règles de gestion. C'est, au contraire, un exemple de ressource en
accès libre, un no man's land dont n'importe qui peut abuser.
Hardin ne fait que perpétuer la pensée de personnes comme Locke, qui déclara au XVIIe siècle
que le Nouveau Monde n'appartenait à personne, balayant l'existence des peuples indigènes. Les
fautes de raisonnement de Hardin se retrouvent chez bien d'autres économistes et penseurs et
alimentent, entre autres, des modèles simplistes démontrant l'impossibilité d'une collaboration,
comme le fameux dilemme du prisonnier.
Malgré le fait qu'il n'existe pas, le modèle de l'Homo Economicus reste dominant, celui d'un être
humain entièrement rationnel qui cherche à maximiser sa "fonction d'utilité personnelle" par
tous les moyens, sans aucune considération pour ses congénères, même proches. Ce modèle
mène à tous les mécanismes d'accumulation abusive propres à l'économie de marché. On devrait
donc bien plutôt parler de tragédie du marché.
Heureusement, les mentalités évoluent et de nombreuses études se penchent à l'heure actuelle
sur les communs, dans le but premier de comprendre comment ils fonctionnent et ce qui fait
qu'ils réussissent.
Le premier point est que la ressource commune doit avoir une portée limitée et bien précise. Ce
peut être une forêt, une rivière, un logiciel. De même, le groupe qui a accès à (et qui gère) la
ressource commune doit être bien défini. De plus, il est crucial de tenir compte des particularités
locales de la ressource (la saison, par exemple) et de ne pas en faire un objet commercial.
Les commoneurs doivent avoir la capacité et le droit de fixer eux-mêmes les règles d'usage du
commun, ainsi que les sanctions en cas d'abus. Ils doivent, de plus, disposer d'un mécanisme
d'arbitrage. Une intervention extérieure, par exemple gouvernementale, dans la gestion du
commun résulte généralement en un écroulement de ce dernier.
Enfin, un commun fonctionne généralement à une échelle relativement limitée, mais peut
s'inscrire dans un système plus vaste. Les diverses fonctions de gouvernance doivent alors être
partagées avec les échelons supérieurs, dans un système imbriqué de gestion.
La manière dont un commun est géré est fortement influencée par la nature de la ressource.
L'expérience et l'engagement des acteurs du commun est également un facteur essentiel de
réussite dans la durée. Sans oublier les facteurs socio-culturels.
Ce qui semble animer la majorité des commoneurs est la volonté de créer des espaces protégés,
libérés du marché, dans un monde de plus en plus dominé par la propriété privée et l'économie
de marché.
Chapitre 3: L'enclosure des communs
Les biens publics, notre richesse partagée, font l'objet d'une privatisation et d'une
marchandisation sans précédent dans l'histoire de notre civilisation. Un véritable scandale. Ce
phénomène est appelé l'enclosure des communs.
Le débat sur le sujet est souvent ramener à une simple opposition entre privatisation et propriété
publique, mais cela ne suffit pas, car l’État fait rarement un contrepoids suffisant. Au contraire, il
n'a de cesse de discuter avec les industriels d'une gestion privée, c'est-à-dire commerciale, des
biens publics.
La terre, l'eau, le corps humain, les espaces publics, l'atmosphère sont autant de "matières
premières" que l’État peut délaisser au profit des marchés. Les intérêts privés exploitent ces
ressources et rejettent bien souvent les déchets sur le domaine public.
Ces enclosures sont souvent parées des atours du progrès, mais il s'agit, derrière la façade, d'un
accaparement pur et simple de biens publics. L'appétit sans limite des industries les pousse à se
tourner vers des ressources moins directement accessibles, telles que notre patrimoine génétique
ou le fond des océans.
Au-delà de l'accaparement des biens publics, les enclosures détruisent également le "faire
commun". Quand un commun disparaît, ses coutumes disparaissent également et cela mène bien
souvent à l'éclatement de la communauté elle-même, en tout cas à la dissolution du lien social
fort qu'engendrait le commun. La ressource perd également son contexte, pour devenir une
simple marchandise. Une part de culture locale disparaît avec cela.
Le terme d'enclosure est généralement associé à l'histoire anglaise. C'est en effet dans ce pays, au
Moyen Age, que l'on a assisté à un vaste mouvement d'accaparement des forêts et des pâturages
par les seigneurs locaux pour constituer leur domaine. Les commoneurs perdaient alors leur
moyens de subsistance, en même que des ressources autrefois disponibles "naturellement, telle
que la nourriture, devenaient des marchandises à acheter.
Ce phénomène se poursuit de nos jours dans le monde entier. Le drame de nombreux habitants
de la planète est de vivre de terres qui ne leur appartiennent pas officiellement. Ceci s'appelle le
"droit coutumier". L’État est libre de vendre ces terres à tout moment, que ce soit pour
l'exploitation minière ou, plus récemment, pour une exploitation agricole intensive dirigée de
loin par des investisseurs étrangers.
Cette privatisation des terres est souvent présentée comme une amélioration, car leur
exploitation va devenir plus rationnelle, plus performante. Mais on retrouve rapidement les
pathologies propres aux enclosures: abus écologiques, communautés décimées, insécurité
alimentaire, inégalités et migrations vers les villes. Ces terres sont souvent cédées avec des baux
à long terme, par exemple de 99 ans, ce qui correspond à 4 générations. Largement de quoi
détruire une culture et même son souvenir.
Les ressources communes sont d'autant plus vulnérables aux enclosures quand il n'existe pas
communauté pour les gérer. Les ressources génétiques sont un exemple de choix, d'où l'aisance
avec laquelle se fait dans la plupart des cas la biopiraterie. De nouveau, la culture suit ce
processus de perte. Avec la diminution de la biodiversité et la standardisation de l'alimentation,
de nombreuses recettes locales ont également disparu, parfois avec les fêtes qui accompagnaient
tel ou tel repas traditionnel.
Une forme récente et particulièrement pernicieuse d'enclosure est la financiarisation des
ressources naturelles. Ainsi, certains hedge funds ont commencé à titriser les revenus engendrés
par des systèmes naturels renouvelables, tels que le débit de l'eau, le bois récoltable ou les stocks
de poisson. Cette financiarisation, qui ne devrait faire que se répandre dans un futur proche,
augmente la pression exercée sur les gouvernements pour faire passer ces biens publics en mains
privées.
Chapitre 4: Les enclosures d'espaces et d'infrastructures publics
Les villes sont une cible favorite des enclosures. Les espaces publics se couvrent de panneaux
publicitaires, les parcs, stades et autres infrastructures publiques portent le nom de leur sponsor
principal. La technologie actuelle permet même de superposer en temps réel des publicités sur
des terrains de jeu pendant la retransmission d'un match.
Dans les rues d'un nombre croissant de villes, les mêmes enseignes se retrouvent, contribuant au
laminage de notre héritage culturel. Par exemple, aux Etats-Unis, boire un café est synonyme
d'aller au Starbucks du coin.
Dans l'optique des commoneurs, au contraire, la ville est un espace collectif qui appartient à
ceux qui y habitent, et qui devraient avoir le droit de définir les conditions de leur
épanouissement politique, social, écologique et économique, ainsi que les devoirs de solidarité à
assumer.
Les entreprises apprécient particulièrement de pouvoir s'approprier des infrastructures
publiques, telles des autoroutes, des aéroports ou encore Internet, car elles peuvent asseoir des
structures monopolistiques, généralement rentables et peu risquées. Lorsqu'une infrastructure
reste ouverte à tous, cela permet de protéger des objectifs sociaux, non commerciaux ou encore
de prendre en compte le besoin des générations futures.
Une infrastructure fortement menacée d'enclosure à l'heure actuelle est Internet. Divers acteurs
veulent s'en approprier des parties, afin de favoriser leurs contenus ou faire payer à d'autres le
droit de faire passer leurs contenus. Un large mouvement s'est formé pour tenter d'empêcher
cette enclosure qui pourrait déboucher sur de véritables droits de véto, non seulement sur les
contenus, mais aussi sur des développements technologiques que certains acteurs pourraient
trouver nuisibles à leurs intérêts. On peut imaginer que YouTube, par exemple, aurait été tué
dans l'oeuf si les majors du divertissement avaient eu leur mot à dire sur le sujet.
Le spectre électromagnétique est également un bien public livré aux enclosures. En effet, les
différentes fréquences sont vendues par le gouvernement à des acteurs privés, qui détiennent
alors les droits exclusifs sur ce qui n'est qu'un spectre de fréquence d'ondes. Pendant longtemps,
ce droit d'utilisation était assorti d'obligations telles que programmer des actualités locales,
diffuser des émissions à caractère pédagogiques, etc. Dans bien des pays, ces dispositions ont été
abolies, laissant libre cours aux intérêts commerciaux, qui se nourrissent bien mieux de reality
shows, de vulgarité, de violence et d'une part toujours croissante de spots publicitaires.
Lorsque les infrastructures sont livrées en main privées, l’État, et donc ses citoyens, perdent la
possibilité ce contrôler la gestion de ces infrastructures, notamment la tarification de leur usage.
Les prix ne tardent pas à prendre l'ascenseur alors que la qualité du service se réduit. La plupart
des "partenariats public-privé" sont des escroqueries, dont le coût réel se révèle à long terme.
Chapitre 5: Les enclosures du savoir et de la culture
Nous considérons généralement la musique, les films ou les photographies comme faisant partie
de notre patrimoine culturel. Ce n'est pas le cas: la plupart du temps, ce ne sont que des unités
commercialisables de propriété intellectuelle. Une chanson aussi banale que Joyeux anniversaire
est protégée, et l'on devrait, en fait, payer des droits à chaque qu'on la chante dans un lieu public
(comme un restaurant, par exemple).
Le système actuel de propriété intellectuelle met en péril la créativité. Depuis des temps
immémoriaux, les êtres humains ont partagé leurs créations. Quel courant musical peut
honnêtement prétendre ne pas avoir été influencé par un ou plusieurs de ses prédécesseurs?
En 1976, aux Etats-Unis, la législation a été modifiée de telle sorte que tout brouillon oeuvre,
aussi incomplet soit il, tombe déjà sous le régime du copyright. Cette notion est désormais
reconnue par une majorité de pays. D'intenses campagnes de relations publiques de la part de
l'industrie du divertissement ont cherché à nous convaincre que les biens culturels devaient être
considérés comme de la propriété privée, au même titre que notre voiture ou notre maison. En
abuser est donc une forme de vol. L'inclination humaine naturelle à l'imitation et au partage s'en
est trouvée criminalisée.
Nous nous trouvons ainsi au milieu d'un vaste mouvement d'enclosure, d'autant plus virulent que
les majors du divertissement tentent de bloquer par tous les moyens les facilités amenées par le
web: facilité de partage, bien sûr, mais également, et sans doute même plus important, facilité de
diffusion de créations personnels, qui minent le marché "traditionnel" du divertissement.
Il devient de plus en plus difficile de faire valoir le droit d'"utilisation acceptable" (fair use).
La recherche scientifique est également prise dans ce vaste mouvement d'enclosure. On peut en
effet considérer les universités comme des communs. La vocation première d'une université est
de générer du savoir à vocation universelle en s'appuyant sur les ressources partagées du campus
et la collaboration entre chercheurs.
Depuis 1980, année où Ronald Reagan et Margaret Thatcher sont arrivés au pouvoir, cette
tendance s'est inversée. Le dépôt de brevets et la commercialisation des découvertes faites au
sein des universités ont pris le pas sur la démarche publique. Les universités ont maintenant le
droit, dans la plupart des pays, de privatiser le résultat de recherches financées par des fonds
publics, en déposant de brevets, qui sont ensuite exploités par des entreprises commerciales.
Depuis lors, les entreprises investissent massivement dans les universités, profitant de la vaste
main-d'oeuvre que l'on y trouve, financée essentiellement par des fonds publics. Pour ne citer
qu'un exemple, c'est l'argent des contribuables américains qui a servi à financer la création du
Prozac.
Ces partenariats orientent les recherches des universités vers les besoins des entreprises et non
ceux du plus grand nombre. Ainsi, au lieu de voir les universités étudier l'agriculture biologique,
on trouve des chaires de génie génétique financées par Monsanto. Des travaux ont montré que la
formation médicale aux Etats-Unis a été fondamentalement corrompue par l'industrie
pharmaceutique.
Cette enclosure des communs académiques a entraîné une diminution de la collaboration et du
partage. De plus, certains travaux de recherche sont censurés s'ils nuisent aux intérêts
commerciaux des entreprises sponsors. Qui plus est, l'augmentation du nombre de brevets finit
par créer une sorte de "jungle de brevets" qui rend parfois presque impossible de savoir ce qui est
utilisable et ce qui ne l'est pas, au point de décourager des chercheurs d'aborder un domaine
particulier.
L’État peut être le garant du bien public, mais aussi son fossoyeur.
Connaître les communs est aussi un outil pour identifier les abus de biens publics.
Chapitre 6: L'histoire éclipsée des communs
L'effet le plus insidieux des enclosures est l'effacement de la mémoire et de l'histoire des
communs. Cette histoire est pourtant riche d'expériences démontrant comment des groupes de
gens ont construit collectivement des institutions sociales servant des objectifs partagés, malgré
le système dominant (qu'ils soit féodal, autoritaire ou capitaliste).
Les communs ont tendance à prospérer dans les "interstices" du pouvoir, dans des zones
protégées ou tolérées, voire accidentellement ignorées par ce dernier. On ne connaît pas
d'exemple de communs devenus des institutions dominantes.
La tendance à la coopération et à la réciprocité est aussi vieille que l'humanité. Le besoin de se
protéger poussent les humains à collaborer, même si ce n'est pas de manière altruiste. On
oppose généralement individualisme et collectivisme, mais ceux-ci se rejoignent et se fondent
dans un commun.
En abordant l'histoire des communs, il s'agit de redresser la vision qui voudrait que l'Homo
economicus ait été de tout temps le fondement de l'humanité. Au contraire, aucune autre époque
que la nôtre n'a connu pareille organisation où tout se structure autour de la concurrence, du
marché et de l'accumulation du capital.
Si l'on perçoit l'homme comme un individualiste forcené, il en découle logiquement que le
monde ne peut devenir qu'un endroit horrible si l’État n'intervenait plus. Cette vision de
philosophie politique est bien ancrée dans notre inconscient et remonte à des figures comme
Hobbes, Locke et Hume.
Et si cela n'était pas vrai? Et s'il était prouvé que la coopération et la réciprocité, ainsi que
d'autres comportements soi-disant non rationnels étaient des facteurs d'évolution aussi
importants que la compétitivité et la maximisation de l'utilité? C'est la conclusion à laquelle
parviennent de nombreuses études récentes, dans des domaines aussi variés que la neurologie, la
génétique, l'anthropologie et bien d'autres encore.
Il est ainsi prouvé que l'être humain peut agir pour le bien du groupe, même si cela n'est pas à
son avantage direct. Au niveau individuel, l'égoïsme peut l'emporter sur l'altruisme, mais les
groupes altruistes sont plus forts que les groupes égoïstes.
Certains scientifiques préconisent d'ajouter la notion de "coopération naturelle" à côté de celle de
"sélection naturelle". On notera d'ailleurs que cette dernière a coïncidé avec l'essor de l'économie
de marché, à tel point que l'on peut se demander si cette théorie scientifique n'a pas été biaisée
par la culture de son époque.
L'héritage juridique des communs est lui aussi largement ignoré. Il remonte pourtant à l'Empire
romain, voire à l'Egypte ancienne, et compte des documents aussi fondamentaux que la Magna
Carta. Ce rejet vient du fait que la tradition juridique des communs est largement orale alors que
le droit moderne s'appuie exclusivement sur l'écrit, et que la société libérale n'accorde que peu
ou pas de place à la propriété collective par opposition à la propriété individuelle.
La loi traditionnelle, définie par l'état, est nécessaire, mais elle ne doit pas faire disparaître les
traditions juridiques moins formelles, qui peuvent apparaître au sein des communs. Le loi
devient tyrannique si elle est déconnectée de la "rue". Les commoneurs ont une approche
pragmatique: ils cherchent à résoudre un problème avant de créer des lois autour de ce
problème.
On peut ainsi voir les communs comme une forme vivante du droit, vivante dans le sens d'une
évolution et d'une adaptation constantes. La question se pose alors de savoir si la loi formelle est
capable de ménager un espace dans lequel les droits des communs peuvent exister.
Le droit des communs, aussi appelé "droit vernaculaire", a parfois été intégré dans l'appareil
juridique de l'état, comme sous l'Empire romain ou en Grande-Bretagne, avec la Magna Carta.
Ces clauses reconnaissaient qu'il y avait une catégorie de biens communs, différents des biens
publics, qui pouvaient être gérés de manière autonome (ou partiellement autonomes) par des
groupes de personnes.
La disparition progressive des communs s'est faite en parallèle avec l'émergence d'un nouveau
genre de personne. Alors que l'occupation essentielle des gens, auparavant, était d'extraire leur
subsistance de la nature, ceux qui avaient été expulsés de leurs communs se mettaient à
travailler pour quelqu'un d'autre, à percevoir un salaire et à rentrer dans un système
d'accumulation de biens matériels. Dans ce mouvement, les liens sociaux se sont distendus et la
gestion harmonieuse des écosystèmes effectuée par les commoneurs s'est perdue.
Certaines pratiques sont alors apparues, qui ont renoué avec l'esprit du "faire commun", telles
que les assurances mutuelles ou les coopératives de consommateurs, mais elles ont presque
toutes été récupérées par le système état/marché.
La régulation étatique permet de pallier aux plus gros défauts du capitalisme et l'on voit mal
comment on pourrait s'en passer. Néanmoins, il ne relève pas des communs et n'engendre pas la
gestion optimisée que l'on trouve dans ces derniers. Qui plus est, l'état se montre toujours et
encore peu fiable dans son engagement et cède souvent face aux exigences du marché. Ce
d'autant plus qu'il est facile pour les puissants lobbies industriels d'influer sur la régulation
étatique en amont déjà de la création de nouvelles règles.
Chapitre 7: L'empire de la propriété privée
Le concept de propriété privée n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. La manière dont la loi le
définit est évidemment crucial, car elle affecte également comment les gens l'imaginent. Dans
l'imaginaire commun occidental, le concept est trivial: la propriété privée est le fait de posséder
quelque chose (que ce soit de la terre, une voiture ou un smartphone) pour son usage exclusif,
alors qu'il paraît évident que l'on ne peut pas traiter tous les biens ou ressources de la même
manière. Nous ignorons généralement la portée sociale et écologique de la propriété privée.
Ainsi, la terre peut bien être soumise à la propriété privée, mais il faut réaliser que ce n'est
qu'une marchandise fictive. Un lopin de terre a bien d'autres dimensions que ses seuls mètres
carrés ou la qualité de son voisinage. D'autres système de propriété sont possibles, telle que la
fiducie publique, qui confie à un groupe la gestion d'une ressource publique.
Bien sûr, la propriété privée a ses mérites. En particulier, elle a permis aux gens de s'affranchir
de la tutelle des rois et autres tyrans, en possédant leurs propres biens. Néanmoins, elle est
l'instrument des enclosures et de l'éclatement social.
La propriété privée de l'un finit toujours par empiéter sur celle de l'autre.
La propriété privée peut très bien se combiner avec une notion de partage. Ainsi, les "land
trusts" anglo-saxons ("fiducies foncières"), dans lesquels une organisation à but non lucratif est
propriétaire d'un terrain et le gère de manière autonome, ou les créations numériques sous
licence Creative Commons, qui peuvent être partagées et remixées tout en conservant la trace de
la propriété intellectuelle originale, sans oublier les coopératives.
Précisons que les communs ne sont pas simplement une "non-propriété", qui ne serait alors
qu'un no man's land ouvert à être pris par n'importe qui. Il n'y a d'ailleurs pas de notion de
"possession" dans les communs, mais plutôt de "gestion responsable".
Les droits de propriété privée sont congruent avec l'économie de marché, car ils peuvent se
vendre et s'acheter. Avec les communs, on peut envisager des droits inaliénables, dans le sens où
ils ne peuvent pas être négociés sur les marchés. Les communs pourraient être une meilleure
manière de respecter les droits de l'homme, plutôt que des normes abstraites dont l'état est censé
être garant.
La vision occidentale de la propriété privée a été et est encore très influencée par la pensée de
John Locke. Ce dernier cherchait à justifier l'émancipation de la classe d'hommes d'affaires qui
émergeait au XVIIème siècle. Il a ainsi postulé que, lorsque quelqu'un augmentait la valeur d'un
bien donné, il pouvait légitimement prétendre en devenir le propriétaire. Cet argumentaire a
largement servi les puissances occidentales lors de la conquête du Nouveau Monde.
La théorie de Locke ne considère la nature que comme un objet que l'on peut posséder. Elle
ignore les usages locaux existants. La terre n'appartient à personne, donc tout le monde peut la
prendre. Cette logique du res nullius est encore appliquée aujourd'hui, à des ressources telles que
les océans, l'espace sidéral, la biodiversité ou Internet.
On reproche encore souvent de nos jours aux commoneurs de ne pas créer de la valeur, reproche
utilisé ensuite comme justification pour les déposséder de leurs ressources.
Alors que le capitalisme repose sur la fabrication de la rareté, les communs fonctionnent dans
une logique de régime d'abondance (non pas dans le sens où il y a des biens illimités pour tous,
mais dans celui d'une jouissance égale, satisfaisante et surtout durable pour tous).
Une fois qu'un bien est passé dans le régime de la propriété privée, il se retrouve affublé d'un
prix et, donc, soumis au marché. Ceci est généralement considéré comme un progrès, car la
"main invisible" du marché est censée fixer le juste prix. Or, il existe de nombreuses valeurs
extérieures au marché. Se baser sur le seul prix d'un bien pour évaluer sa valeur mène à de
nombreuses catastrophes. Comment peut-on donner une valeur commerciale à une atmosphère
non polluée, à une rivière propre ou à des bébés qui naissent sans malformations?
Le prix n'est qu'une valeur d'échange pas une valeur d'usage. La pauvreté engendrée par le
système de propriété privée n'est jamais mesurée. Seule compte l’agrégation de toutes les
transactions commerciales dans le produit intérieur brut.
John Ruskin a proposé la notion de "illth" par opposition à "wealth", qui serait utilisée pour
mesurer les maux et nuisances engendrés par les marchés. Cette mesure semble particulièrement
importante quand l'on voit que, bien souvent, les marchés se servent généreusement et
gratuitement dans la nature et rejettent leur déchets et leur pollution dans l'espace commun.
Bien plus que de "tragédie des communs", on devrait parler de "tragédie des marchés".
De quelles moyens disposent les commoneurs pour protéger leurs ressources de l'empiètement
des marchés? Dans le système actuel, ceci est un vrai problème.
Chapitre 8: L'essor des communs numériques
Le World Wide Web est très vite devenu un terrain d'expérimentation extrêmement riche, car
tout un chacun peut venir y ajouter sa brique. Alors que les entreprises traditionnelles (surtout
les médias) ont eu de la peine à s'adapter à cette nouvelle technologie, de nombreuses personnes
se la sont appropriée et ont commencé à créer, en particulier, des communs numériques. Les
premiers furent les logiciels libres, puis vint Wikipédia, et bien d'autres.
A noter qu'il ne faut pas confondre le contenu partagé sur le web de manière générale et le
contenu saisi dans les réseaux sociaux à but commercial, comme Facebook ou Twitter, pour
lesquels le public n'a aucune prise sur les "termes et conditions".
L'avènement des communs numériques a eu l'avantage de remettre la notion de communs sur le
devant de la scène. Il est également à l'origine des combats récents menés autour du copyright,
comme discuté dans la chapitre 5. Le privilège des médias de créer du contenu est maintenant
partagé par tous. On peut voir ce phénomène comme une révolution culturelle menée par les
usagers.
Les communs numériques n'auraient pas connu un tel épanouissement, voire n'auraient jamais
existé, sans la création de deux outils juridiques assurant le partage: la General Public License
(GPL) et les Creative Commons.
La première est l'oeuvre de Richard Stallman est impose que tout logiciel protégé par la GPL ne
peut être "inclus" dans un autre logiciel que si ce dernier est également sous licence GPL. On a
qualifié cette licence de "virale", car elle peut se transmettre d'un logiciel à l'autre. Quant aux
Creative Commons, comme déjà évoqué, ils permettent à un auteur de définir dans quelle mesure
et à quelles conditions son oeuvre peut être réutilisée ou partagée.
Ces deux licences constituent une infrastructure juridique permettant de lutter contre les
enclosures en rendant les ressources qu'elles protègent partageables de manière permanente.
Elles ont engendré d'autres licences dans le même esprit pour protéger le partage de ressources
différentes (bases de données, échantillons de laboratoire, etc.).
L'idée s'est répandue dans les institutions publiques et de nombreux musées, universités ou
autres agences gouvernementales utilisent maintenant également la licence Creative Commons.
Ce mouvement de partage a touché, en particulier, le domaine de la publication scientifique. Si
les grands éditeurs ont rendus de fiers services à une époque, en termes de diffusion
d'information, ils sont aujourd'hui plus souvent devenus des blocages, monnayant très cher leurs
publications. Un mouvement pour une publication libre a démarré en 2001. Il s'est accéléré
quand des universités prestigieuses comme Harvard ont conseillé à leurs chercheurs de ne plus
publier dans les revues payantes. Début 2013, on recensait 8'400 revues académiques en accès
libre.
Le mouvement s'est étendu aux ressources pédagogiques. D'innombrables cours sont désormais
disponibles en ligne, gratuitement, dont, par exemple, une bonne partie du corpus du MIT.
De nombreux autres projets open source ont vu le jour, étendant le champ du partage de
connaissances, notamment pour la production d'objets (on peut citer le projet Arduino, par
exemple). Il faut aussi mentionner les projets d'"observation participative", dans lesquels tout
citoyen peut contribuer par l'observation d'oiseaux, de papillons ou autres, pour alimenter des
bases de données souvent dans un but de préservation.
Chapitre 9: Les multiples galaxies des communs
Il ne semble pas possible de classifier les communs, tant ceux-ci sont divers et, surtout, ancrés
chacun dans leur réalité historique, géographique et sociale. On peut toutefois définir de grands
groupes, qui peuvent aider des communs à s'identifier à certaines pratiques.
Les communs traditionnels sont les communs de subsistance. Ils sont généralement centrés
autour d'une ressource naturelle (rivière, forêt, champs) et fournissent de la nourriture ou
couvrent d'autres besoin de base. Les défis principaux de tels communs et de garantir un accès
égal à tous les membres de la communauté, à se prévenir de l'accaparement ou du parasitisme et
de gérer durablement la ressource.
Ces communs apparaissent rétrogrades à notre époque. Ils sont ignorés par les économistes, car
existant en dehors du marché. Pourtant, on estime que 2 milliards de personnes dans le monde
doivent leur survie à des communs de subsistance.
Les communs des peuples indigènes recouvrent les nombreux savoirs accumulés par ces
peuples et les ressources qui y sont liées, typiquement des espèces végétales utilisées non
seulement comme nourriture, mais à des fins thérapeutiques. Cela peut aussi des lieux sacrés.
Les espèces végétales indigènes sont particulièrement menacées d'enclosure par le dépôt de
brevets par des multinationales, selon le phénomène bien connu de la biopiraterie.
Ces communs se caractérisent généralement par la croyance en un lien avec les autres êtres
vivants, que la terre est essentielle à l'identité du peuple qui vit dessus et qu'il faut préserver les
biens pour les générations futures. Ces communs sont souvent mal vus dans les pays
occidentaux, car ils ne relèvent pas d'un individualisme strict.
Les communs sociaux et civiques sont essentiellement axés sur le partage. On y trouve
notamment les "banques de temps" ou "systèmes d'échanges locaux" (SEL). Souvent non
reconnus comme tels, le don du sang et le don d'organes sont aussi des exemples de communs
sociaux.
Les communs sociaux relèvent de l'économie du don. Contrairement aux échanges économiques
classiques, dans l'économie du don, les frontières entre individus s'estompent voire s'effacent. Il
s'agit plus d'établir des relations durables que de calculer exactement la valeur des services
échangés.
On voit également se multiplier des communs de "consommation collaborative", où des gens
partagent des voitures, des vélos, des outils, etc., auxquels on peut encore ajouter les associations
de quartier, les éco-villages, les AMAP et d'autres encore.
Les communs et l'économie de marché peuvent-ils coexister harmonieusement? Peu de communs
peuvent exister en autonomie totale. Ils interagissent forcément avec l'état, les marchés ou les
deux. Les communs doivent être capables de résistes aux enclosures, à l'appât de l'accumulation
et autres travers du capitalisme. Chaque commun doit trouver les règles et les principes de
gouvernance qui lui permettent de se préserver, son ancrage local et social étant aussi un atour.
Les licences du monde numériques (GPL et Creative Commons) sont des exemples de systèmes
de protection efficaces.
Il existe enfin des ressources qui profitent à tous, mais qui ne sont pas des communs, car elles ne
sont pas gérées par un groupe précis. Ainsi, par exemple, les parcs nationaux, l'atmosphère ou
les ondes électromagnétiques. On les regroupe sous le terme de common-pool resources. Une
manière de gérer ces ressources à grande échelle sont les communs sous garantie publique. Il
s'agit, dans ce cas, de réfléchir à comment l'état peut favoriser la création de communs et un
engagement citoyen dans le cadre des politiques publiques.
Aux Etats-Unis, par exemple, l'état loue les pâturages aux fermiers, vend des droits
d'exploitation du sous-sol ou d'émissions sur certains spectre des ondes électromagnétiques.
Aucune consultation citoyenne n'a lieu dans ce cadre et l'état fait bien souvent de véritables
cadeaux aux entreprises. De telles ressources pourraient faire l'objet d'un contrôle citoyen via des
communs sous garantie publique, qui seraient garants de partage et de transparence. La
difficulté de créer de telles structures est encore plus imposante à l'échelle globale, pour, par
exemple, la gestion des océans ou de l'atmosphère. Des modèles tels que le crowdsourcing ont
toutefois prouvé leur efficacité à trouver des solutions plus innovantes que des groupes d'experts
attitrés.
Ces communs globaux s'éloignent de la notion traditionnelle de communs, mais pourraient
fournir une réponse aux problèmes généraux de notre monde. Ils fonctionneraient par
imbrication d'échelons (local, régional, national, transnational et global) qui permettrait à chaque
gestion locale d'une ressource de s'inscrire dans un cadre global et cohérent.
Pour espérer réaliser cette vision un jour, il faut redonner un rôle central aux communs. Au lieu
du duo état/marché, on devrait avoir un trio état/marché/communs, dans lequel l'état se fait le
véritable curateur des ressources publiques, plutôt que de les brader aux seuls appétits de
l'économie. Les communs doivent se fédérer pour faire reconnaître leur utilités par les états.
Chapitre 10: Les communs, une manière différente de voir et d'être
Nous sommes immergés dans le paradigme politique libéral et les principes de l'évolution
darwinienne. Nous percevons ainsi notre vie comme une lutte féroce et compétitive, où chacun
tente de maximiser ses gains, tout en étant ballottés par des forces qui nous dépassent. Des
recherches récentes remettent cette métaphysique en cause et voient plutôt la vie comme un
ensemble d'agents coopératifs, qui tentent de nouer autant de relations que possible afin
d'échanger des dons.
Dans cette nouvelle approche, la subjectivité n'est pas une illusion, c'est au contraire le centre
d'une "écologie existentielle" dans laquelle les sujets sont aussi importants que les objets. La
conscience et la subjectivité ne peuvent plus être exclues des sciences de la vie. Cette notion est
appelée "biopoétique" par Andreas Weber.
Cette prise en compte des ressentis et de la subjectivité est centrale dans les communs, qui
amènent un sens à leurs membres au-delà de simples gains personnels. Selon Weber, la pratique
des communs n'est rien moins que la pratique de la vie.
Voir les communs fonctionner demande à l'heure actuelle un effort d'imagination, car notre
vision du monde a été hypertrophiée par le culture du marché. Or, la logique coopérative peut
marcher, avec les structures et les normes sociales adéquates. Avec les communs, nous pouvons
devenir les protagonistes des nos propres vies et appliquer nos compétences et nos aspirations à
la résolution de problèmes réels.
Un des aspects les plus séduisants des communs est le principe de localisme. Les communs sont
des structures locales et cela attire les gens, qui y trouvent un moyen de célébrer et protéger
leurs contextes locaux. On peut ainsi retrouve une caractère spécifique à un lieu, à la place de
l'uniformisation qui domine actuellement. Le caractère local se retrouve dans des initiatives aussi
variées que le Slow Food, les monnaies locales ou encore le mouvement des Villes en transition.
Le local n'est toutefois pas la solution à tous les problèmes, il y aura toujours besoin de
structures à plus large échelle. Reste à savoir comment celles-ci pourraient reprendre des
principes des communs.
Les communs peuvent permettre de redéfinir la notion de développement, pour aller vers plus
d'équilibre et d'équité. Cela pose la question de la relation entre état et communs. L'état devrait
reconnaître les principes suivants:
•
une gouvernance écologique fondée sur les communs et sur les droits comme alternative
pratique à l'état et au marché;
•
le principe que la Terre appartient à tous;
•
le devoir de l'état d'empêcher l'enclosure des ressources des communs;
•
des communs sous garantie publique comme moyen de protéger des ressources
communes à grande échelle;
•
la reconnaissance officielle des communs par l'état, au même titre que les entreprises
servant le bien public;
•
les limitations légales à la propriété privée;
•
le droit humain à établir et à maintenir des communs écologiques.
Les communs doivent parvenir à être vus comme un partenaire à part entière et non pas juste
comme des associations de citoyens défendant certains intérêts. Bien sûr, se pose la question de
la supervision des communs, afin d'éviter les abus de l'autorité qui leur serait déléguée et qu'ils
respectent leurs engagements écologiques et sociaux. Dans l'autre sens, il faudrait aussi veiller à
ce que les gouvernements ne se déchargent pas simplement de certaines tâches sur les communs.
Tout cela ne peut se faire qu'avec de grands changements et de nouveaux paradigmes encore à
imaginer.
Conclusion
Il n'est pas forcément difficile de se lancer dans l'aventure des communs. Il faut commencer par
sa passion et par l'endroit où l'on habite. Les projets de communs se multiplient et commencent
à s'interconnecter. Les commoneurs ont généralement une approche très pragmatique, qui fait
leur force. Ils ne cherchent pas à théoriser à propos des communs, mais à résoudre les problèmes
auxquels ils font face en collaborant avec ceux qui leurs sont proches physiquement et
spirituellement. C'est l'art de faire commun.
La décentralisation des communs et leur ancrage dans le concret, rend ces mouvements moins
susceptibles d'être récupérés au niveau politique.
Pour s'étendre à l'avenir, les communs doivent trouver le moyen de développer une plateforme
commune pour construire une nouvelle vision de l'avenir, une nouvelle éthique culturelle et une
nouvelle mouvance politique. Ces nouvelles valeurs émergeront de la pratique des commoneurs
eux-mêmes.
On ne peut attendre de grands changements de la part de nos gouvernements, corrompus, à
l'efficacité déclinante. C'est aux commoneurs de répandre leur mouvement et leurs valeurs afin
de les ancrer dans la réalité de ce monde et combattre les enclosures.
Un nombre croissant de "tribus transnationales" émergent, qui partagent les valeurs
fondamentales que sont la participation, l'ouverture, l'équité, l'innovation à la base et la
responsabilité. Parmi ces tribus, on peut citer l'économie sociale et solidaire, les Villes en
transition, la Via Campesina, les communautés de logiciels libres, les wikipédiens, les
mouvements Occupy, etc. Les communs pourraient devenir le point focal de toute cette énergie,
de par leur vision du monde et leur sensibilité oecuméniques. Ils peuvent aussi s'appuyer sur leur
longue histoire juridique. Troisièmement, les communs offrent un cadre et un discours
intellectuel sérieux pour permettre la critique de la culture de marché et légitimer la coopération
humaine et la communauté. Enfin, les communs proposent une riche panoplie de modèles
pratiques et fonctionnels.
Le penseur français Alain Lipietz fait remonter l'étymologie du mot "commun" au latin "munus",
qui signifie à la fois "don" et "contre-don" (= "devoir"). Ceci touche au coeur du problème. Il est
extrêmement important de retrouver un monde où nous recevons tous des dons et où nous avons
tous des devoirs. C'est là une manière fondamentale d'être humain, qui a été éclipsée par
l'économie de marché.
A un moment où les vieilles structures et les vieux récits ne fonctionnent tout simplement plus,
les communs nous donnent une raison d'espérer.
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Baskervald, police open source créée par Arkandis Digital Foundry.
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