Document 5610720

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Document 5610720
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2
TITRE I.
LE DROIT FONDAMENTAL A LA VIE PRIVEE
ET LE DROIT FONDAMENTAL A LA
PROTECTION DES DONNEES
A CARACTERE PERSONNEL
TABLE DES MATIERES
Introduction
5
Chapitre 1 – Que sont les droits constitutionnels?9
1.1. Contexte général
1.1.1.
1.1.2.
9
Terminologie
Historique
9
10
1.2. Situation et codifications importantes des droits de l’homme
1.2.1.
Objectifs de la codification
13
1.2.2. Déclaration d’indépendance américaine (1776)
& Bill of Rights (1791)
14
1.2.3.
La déclaration française de 1789
15
1.2.4.
La Déclaration Universelle de 1948
16
1.2.5.
La CEDH
17
1.2.6.
La procédure devant la Cour européenne
18
1.2.7.
Article 8 de la CEDH
20
1.2.8.
La Charte sociale européenne
21
1.2.9.
Le Pacte des NU (EcSoCu) de 1966
22
1.2.10.
Le Pacte des NU (CiPo) de 1966
22
1.2.11.Convention américaine relative aux droits de l’homme
1.2.12.Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
1.2.13.
Charte arabe des droits de l’homme
25
1.2.14.La Convention relative aux droits de l’enfant de 1989
1.2.15.
La Charte européenne de 2000
27
1.2.16.
La Constitution belge (Const.)
30
1.2.17.Une comparaison entre l’article 8 de la CEDH et
l’article 22 de la Constitution
32
13
1.3. Le problème de l’effet horizontal des droits fondamentaux
1.3.1.Les droits fondamentaux n’ont qu’un effet vertical
1.3.2.
D’importants problèmes subsistent
36
34
34
1.4. Guide de lecture sur les droits de l’homme
24
24
25
37
Chapitre 2 – Le droit fondamental à la vie privée 43
2.1. Origine
43
2.1.1.
La vie privée existait-elle par le passé?
2.1.2.
La vie privée en Occident
2.1.3.L’avènement de la vie privée dans le droit du
43
45
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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3
vingtième siècle
46
2.2. La valeur du droit fondamental ressort de l’existence de
nombreuses lois
48
2.2.1.Le droit fondamental est soutenu par d’autres droits
fondamentaux
48
2.2.2.Le droit fondamental est soutenu par des lois de
droit pénal
49
2.2.3.D’autres lois et domaines juridiques soutiennent
également le droit fondamental
51
2.3. La vie privée est de plus en plus importante dans le droit
du travail
52
2.3.1.Formes directes de protection de la vie privée des
travailleurs
52
2.3.2.
Une tendance de normes ouvertes comme
réglementations spécifiques
54
2.3.3.La vie privée et les entreprises de pompes funèbres
54
2.3.4.La vie privée et la surveillance par caméra des
travailleurs
55
2.3.5.La vie privée et le contrôle Internet des travailleurs 56
2.4. Le droit fondamental est toutefois sujet à discussion 57
2.4.1.
Le rôle de la vie privée
57
2.4.2.Résistance contre la vie privée dans l’opinion publique
58
2.4.3.Critique communitariste et ultra-libérale de la vie privée
60
2.4.4.
Critique marxiste de la vie privée
61
2.4.5.
Critique féministe de la vie privée
63
2.4.6.Techniques juridiques pour affaiblir le droit
fondamental à la vie privée
64
2.4.7.
Cynisme ou objectivité?
66
2.4.8.Conséquences de cette jurisprudence sur le droit
fondamental à la vie privée
69
2.4.9.
Question clé
70
2.4.10.
Désaccord avec léger contrôle de qualité
71
2.4.11.
Conclusion
71
Chapitre 3 – L’article 8 CEDH
75
3.1. Commentaire général de l’article 8 CEDH
75
3.1.1.
Introduction
75
3.2. Le régime des exceptions
76
3.2.1.Toute limitation de la vie privée n’est pas illégale
3.2.2.La notion ‘d’ingérence d’une autorité publique’ 77
3.2.3.
Ingérences par des particuliers
80
3.2.4.
Le contrôle de légalité
81
3.2.4.
L’importance du contrôle de la légalité
82
3.2.5.
Le contrôle de la légitimité
83
3.2.6.
Le contrôle de la nécessité
84
3.2.7.Contrôle par rapport à des obligations positives 85
3.3. L’importance du droit à la vie privée figurant dans la CEDH
76
86
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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4
3.3.1.
Une notion large de vie privée
86
3.3.2.Droits de la vie privée et personnes physiques
87
3.3.3.Droits de la vie privée, groupements et personnes
morales
90
3.4. Aperçu de jurisprudence européenne sur la vie privée
3.4.1.
Protection de l’intégrité
3.4.2.
Santé
3.4.3.
Sexualité
3.4.4.
Ceintures de sécurité
3.4.5.
Le nom
93
93
94
97
99
101
3.5. Le droit fondamental à la protection de la famille 102
3.5.1.
Famille et mariage
102
3.5.2.
La notion ouverte de ‘vie familiale’
103
3.5.3.Interprétation évolutive dans le sens d’une plus
grande autodétermination individuelle
105
3.6. Le droit fondamental à la protection du domicile 107
3.6.1.
Généralités
3.6.2.
Qui est protégé?
3.6.3.
La notion de ‘domicile’
3.6.4.
Un point de discussion actuel: les locaux
professionnels
107
109
110
111
3.7. Aperçu de la jurisprudence européenne sur le domicile 115
3.7.1.Les limites à prendre en considération lors d’une
visite domiciliaire
115
3.7.2.
Expulsions, incendie d’habitations…
117
3.7.3.Protection contre les nuisances environnementales
118
3.8. Le droit fondamental au respect des communications 119
3.8.1.
Généralités
119
3.8.2.
Télécommunications et communications
professionnelles et publiques
122
3.9. Aperçu de la jurisprudence européenne sur les
communications
123
3.9.1.
Limitations des communications et détenus
123
3.9.2. Communication entre le détenu et son avocat
125
3.9.3.
Ecoutes et enregistrement par l’autorité
128
3.9.4.Limitations des communications par des particuliers
3.9.5.
Le secret des lettres en Belgique
131
3.9.6. Le secret des télécommunications en Belgique
132
3.9.7. La compétence du juge d’instruction de faire
procéder
à des écoutes
3.9.8.Le participant à une conversation peut-il enregistrer
secrètement sa propre conversation?
135
130
134
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5
INTRODUCTION
Paul De Hert
L’Etat de droit démocratique crée les conditions de la protection et de la gestion d’une société
pluraliste et diversifiée.1 Une condition de base est que le droit organise l’Etat de telle manière que la
protection de la liberté individuelle y occupe une position centrale. Cela signifie que les dirigeants de
l’Etat sont eux-mêmes limités dans leurs agissements conformément à la Constitution et qu’ils doivent
respecter les droits et libertés fondamentaux reconnus (également par la Constitution) à tous les
administrés.2 Chaque individu reçoit ainsi de l’espace pour agir selon sa propre conception de la vie.
L’Etat de droit doit le garantir au moyen du droit et plus précisément par la reconnaissance de droits
constitutionnels dans la Constitution3 et dans les déclarations internationales sur les droits de l’homme.
Par ailleurs, l’Etat de droit démocratique est également responsable de la cohabitation pacifique de ses
membres, ce qui implique que l’autorité doit jouer le rôle de l’arbitre, si son projet de société est remis
en question. L’Etat de droit démocratique exclut toutefois que l’autorité-arbitre essaie de tricher dans
ce cadre. Elle ne peut en effet s’acquitter de sa tâche en excluant préalablement et de manière générale
un certain nombre de conflits par le biais de la limitation de conceptions de vie possibles. L’intérêt de
la société au maintien de sa propre intégrité morale implique dans toutes les circonstances le respect de
la protection des droits et libertés de chaque individu. La violation des droits de l’homme, par exemple
lors d’une information n’est par conséquent pas seulement nuisible au suspect, mais aussi à l’Etat de
droit démocratique. Les droits de l’homme ne protègent que les intérêts de la défense.4 En réalité sont
aussi protégés les intérêts de la société de veiller sur l’intégrité de la procédure judiciaire. Il serait
erroné d’apprécier uniquement la qualité de la procédure judiciaire à l’aune du respect des droits de la
défense.
Parler de droits constitutionnels ou de droits de l’homme dans un contexte juridique signifie tout
d’abord parler de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales de 19505 et de la jurisprudence relative à cette Convention qui a vu le jour dans le giron
de la Cour européenne des droits de l’homme. La jurisprudence la plus ancienne de la Cour européenne
des droits de l’homme qui est en rapport avec la police date des années septante et concerne les limites
des compétences policières autorisées dans la lutte contre le terrorisme au Royaume-Uni et en Grèce.
Au cours des quarante années qui suivirent, la Cour européenne et la Commission des droits de
1
‘t HART, A.C., De meerwaarde van het strafrecht, Den Haag, Sdu, 1997, 244; GUTWIRTH, S., « Le droit à
l’autodétermination entre le sujet individuel et le sujet collectif. Réflexions sur le cas particulier des peuples indigènes », Revue
de droit international et de droit comparé, 1998, 53.
2
GUTWIRTH, S., « De polyfonie van de democratische rechtsstaat » dans M. ELCHARDUS (ed.), Wantrouwen en onbehagen,
Bruxelles, VUBPress, 1998, (137) 166. La démocratie et les droits de l’homme ne sont pas nécessairement sur pied d’égalité. Au
contraire, du point de vue historique on parle plutôt d’une grande parenté. Les droits constitutionnels au sens des droits à la
liberté individuelle se sont développés avec l’arrivée de la démocratie parlementaire au 17e siècle. Avant cela, par ex. dans la
Magna Charta anglaise (1215), les droits n’étaient reconnus qu’à certains groupes. Ce n’est donc pas par hasard que la
démocratie est une notion clé des conventions modernes sur les droits de l’homme. Les dispositions sur la liberté des idéaux des
droits de l’homme peuvent uniquement être réalisées sous la forme de la démocratie qui garantit la liberté d’expression des
opinions, la prise de décision par la discussion publique, le vote secret et l’octroi de droits aux minorités. Les termes état de droit
impliquent que, dans une démocratie, ces droits ne peuvent pas être suspendus par une minorité de la moitié plus un.
3
‘t HART, A.C., « Inkleuring van het recht. Over rechtsbegrip en multiculturele samenleving » dans M.C. FOBLETS, B.
HUBEAU et S. PARMENTIER (éd.), Migranten kleuren het recht in, Leuven, Acco, 1997, (243) 246-249.
4
GARE, D., « De interne openbaarheid in het geding », dans BRANTS, Ch., MEVIS, P. & PRAKKEN, T., (réd.), Legitieme
strafvordering. Rechten van de mens als inspiratie in de 21ste eeuw, Antwerpen-Groningen, Intersentia Rechtswetenschappen,
2001, 103.
5
M.B., 19 août 1955. On consultera les codes privés (Larcier, Kluwer…) pour les dates de ratification des protocoles
complémentaires de la Convention qui soit prévoient des droits complémentaires, soit modifient le texte de la Convention et le
fonctionnement des trois organes juridictionnels de la Convention (la cour, la commission et le comité des ministres).
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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l’homme ont constitué une importante jurisprudence sur la CEDH. A partir de 1990, on peut parler
d’une véritable avalanche de jurisprudence. Ces nombreux arrêts de la Cour et considérations de la
Commission concernent de nombreuses affaires qui relatives à des problèmes de vie privée et de
protection des données à caractère personnel dans les différents Etats membres du Conseil de l’Europe.
Toutes les décisions ne concernent pas la Belgique, bien au contraire; mais cela ne les rend pas pour
autant inintéressantes. Certains problèmes, voire tous, auxquels nous sommes confrontés dans notre
pays trouvent des points de correspondance dans cette jurisprudence européenne et il faut donc toujours
la consulter.
Dans le présent texte, nous examinons, sous l’angle juridique, le cadre constitutionnel existant pour les
problèmes de vie privée et pour les problèmes de protection des données à caractère personnel. Ce
cadre ne se limite pas à la CEDH. Nous aborderons ensuite l’histoire des droits de l’homme, en ce
compris la codification et les différentes conventions sur les droits de l’homme. Ces textes plus
généraux sur les droits de l’homme seront suivis par un chapitre consacré au droit fondamental à la
protection de la vie privée et d’un chapitre consacré au droit fondamental à la protection des données
personnels.
CHAPITRE 1
QUE SONT LES DROITS CONSTITUTIONNELS?6
Paul De Hert
1.1. CONTEXTE GÉNÉRAL
1.1.1.Terminologie
Les droits fondamentaux visent la protection de la personne, de l’individu, notamment contre
l’arbitraire des détenteurs du pouvoir. Dans certaines conceptions des droits de l’homme,
l’épanouissement de la personne est également souligné, comme dans la Constitution allemande
(article 2.1): ‘Chacun a le droit au libre épanouissement de sa personnalité...’ Une option voisine est
que les droits de l’homme sont fondés sur la dignité humaine. Dans la Constitution allemande,
l’article 1.1 stipule: ‘La dignité de l’homme est inviolable’. Le Pacte NU (PIDCP) garantit le droit à la
liberté et à la sécurité de la personne et le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique.
Les termes droits fondamentaux sont utilisés dans différentes acceptions, allant d’une interprétation
limitée à large. Dans l’acception limitée, on comprend des droits comme ceux à la vie et l’inviolabilité
de la personne (parfois aussi appelés droits à l’intégrité).
Généralement, on entend par les termes droits fondamentaux les droits de l’homme classiques (à savoir
les droits civils et politiques) comme la liberté d’expression et de réunion, le droit au traitement public
et indépendant des affaires judiciaires, ainsi que les droits de participation: droit de participer à la vie
publique.
Dans cette acception, les droits fondamentaux sont placés en regard des droits socio-économiques, qui
doivent permettre une existence digne à chacun, et des droits culturels.
Dans une dernière acception, les termes sont assimilés aux termes droits constitutionnels (droits
fondamentaux figurant dans la constitution).
6
Dans ce chapitre, il est fait usage de données présentées sur le site web relatif aux droits constitutionnels d’Amnesty
International (www.amnesty.nl). L’auteur a adapté la documentation utilisée aux aspets de la vie privée et l’a, à certains endroits,
complétée. Les autres donnnées relèvent de la plume de l’auteur.
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7
Les termes droits constitutionnels portent généralement sur les droits fondamentaux reconnus sur le
plan national, par la constitution ou les lois. Par contre, les termes droits de l’homme visent des droits
reconnus ou que l’on tend à atteindre sur le plan international. Les termes droits civils (civil rights ou
civil liberties) sont plutôt utilisés aux USA pour désigner les droits figurant dans la Constitution
américaine: liberté de croyance et d’expression, préservation de la torture et de l’ingérence dans la vie
privée, droit à un procès équitable et protection des minorités. En dehors des USA, les termes sont
généralement utilisés dans un sens plus limité: droits relatifs à la citoyenneté, par ex. le droit à la
nationalité. Le Pacte NU (CiPo) cite comme droits civils: participation à la direction des affaires
publiques, à des élections et aux fonctions publiques. Dans ce pacte, les droits civils et les droits
politiques constituent ensemble les droits de l’homme ‘classiques’.
Face aux droits de l’homme classiques se trouvent ce que l’on appelle les droits socio-économiques et
les droits culturels. Font partie de ces droits socio-économiques, le droit au développement
économique et à la protection, le travail et de bonnes conditions de travail, les congés payés, le congé
de maternité, des équipements sociaux et un standard de vie équitable. Des droits comme ceux de
constituer des syndicats sont des droits politiques et sont plus contraignants. Ces droits sont dans
presque tous les cas formulés comme des objectifs de réalisation auxquels doivent tendre les Etats, en
d’autres termes, ce ne sont pas des droits absolus, contraignants. Les droits classiques, au contraire,
sont souvent coulés dans des règles légales qui rendent l’autorité responsable en cas de non-respect. On
peut ainsi demander une compensation dans des cas de torture ou de détention illégale et la suppression
de la censure peut être obtenue via le juge. Les droits socio-économiques sont généralement formulés
comme des idéaux, comme les droits au travail ou au logement, dont l’autorité n’est pas légalement
responsable. Mais, de plus en plus de droits mènent à la responsabilité: un juge peut par exemple
infliger des sanctions si des femmes ou des membres de minorités sont discriminés lors de l’accès à
certains emplois.
1.1.2.Historique
L’histoire de l’apparition des droits de l’homme et des idées sous- jacentes fait l’objet de descriptions
variées dans la littérature. On fait souvent débuter cette histoire en l’an 399 avant J.C., année où
Socrate fut condamné à mort en raison de ses opinions et où son acte symbolique donna un aspect
dramatique à la liberté d’expression.
On fait également souvent référence à l’apport du christianisme7 et, un peu plus tard dans l’histoire, à
l’humanisme. Cette philosophie de vie, apparue comme un courant lors de la Renaissance en Italie, met
l’accent sur l’étude des classiques ainsi que sur la dignité humaine et la connaissance.8
En 1690, le philosophe anglais John Locke (1632-1704) utilisa pour la première fois les mots droits de
l’homme (Rights of Man). Ces termes furent dotés d’une signification concrète dans les pamphlets de
l’écrivain anglo-américain Thomas Paine (1737-1809), dans la Déclaration d’indépendance américaine
(1776) et dans la Déclaration française des droits de l’homme (1789). Une nouvelle signification y fut
ajoutée au dix-neuvième siècle où, sous la pression du mouvement syndical et ouvrier, on plaida pour
la reconnaissance de droits socio-économiques. Simultanément, l’idée de droits de l’homme fut
également mise sous pression par le socialisme et le communisme: en soulignant les droits individuels,
la classe dirigeante ne voulait que protéger ses droits traditionnels et empêcher la révolution.
Pendant des siècles, les droits de l’homme ont eu pour base philosophique les idées du droit naturel.
Certains droits seraient ‘innés’ et reviendraient toujours aux hommes par le seul fait qu’ils sont des
7
Certains concepts de la croyance chrétienne ont eu une grande influence sur la formulation des droits de l’homme, comme la
dignité et la valeur de l’individu, le respect de la personne, l’amour de son prochain et l’opposition à l’injustice. La conception
chrétienne des droits de l’homme est basée sur les textes de la Bible comme ceux du prophète Jesaja (58:1-11) dans lequel Dieu
appelle les opprimés à se libérer de leur joug, à partager le pain avec les personnes qui ont faim, à vêtir les dévêtus et à héberger
les sans abri. Selon les paroles de Jésus, tout ce que l’on fait pour autrui est fait pour Dieu.
8
Il y a lieu de remarquer que la supposition que la dignité humaine est propre à toutes les religions du monde comme
l’hindouisme, le bouddhisme, le droit chinois, le christianisme et l’islam, et à l’humanisme qui apparu dans l’antiquité grecque.
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8
hommes. De telles conceptions se retrouvent chez les philosophes grecs du Portique (à partir de 300
avant J.C.), chez Saint-Thomas d’Aquin (1224/5-1274) et chez Hugo de Groot (1583- 1645). A partir
du 17e siècle, l’idée d’un ‘contrat social’ trouva audience, ce qui ouvrit une première brèche dans la
base de droit naturel des droits de l’homme. Bien que cette base ne fut pas abandonnée par des adeptes
du contrat comme Locke, il fut possible de concevoir une base contractuelle, conçue par l’homme pour
les droits de l’homme.
Le 20e siècle allait amener des conceptions alternatives à l’idée de droits de l’homme. D’après le
philosophe André Glucksmann, les droits de l’homme doivent être considérés comme la satisfaction de
besoins humains (basic needs) et ils doivent être respectés par tous les moyens, la violence si
nécessaire. Le pragmatisme, comme chez Richard Rorty, dit que les valeurs de la démocratie et des
droits de l’homme ont acquis leur signification dans la pratique comme les ‘meilleures solutions
possibles’ aux questions de légitimité.
Cette dernière vision indique pourquoi les limites des droits constitutionnels ne sont pas entièrement
établies. A la différence des droits naturels inaliénables de Locke, les droits subjectifs n’apparaissent
pas aujourd’hui comme des données a priori qui posent des limites non-critiquables au débat
démocratique. Des philosophes contemporains en vue, comme Habermas et Rawls, soulignent que les
droits de l’homme doivent précisément être vus comme le résultat d’une sorte de débat
superdémocratique sous la forme d’une ‘herschaftsfreie Kommunikation’ ou d’une convention
constitutionnelle idéalisée.9 Dans une telle vision, les droits de l’homme ne sont pas totalement
soustraits à la discussion et à la prise de décision politique. Lors de l’établissement ou de la
modification de ces droits, des exigences procédurales plus strictes s’appliquent. Cette vision
contemporaine des droits de l’homme cadre bien avec la réalité juridique. La validité d’un droit
subjectif comme le droit à la vie privée doit en effet ressortir du droit positif. Cela signifie que le
législateur a lui-même généralement la possibilité d’adapter les limites de la vie privée.
La philosophie des droits de l’homme est toujours sujette à discussion dans la question de
l’universalité, la question de savoir si certaines valeurs (telles par ex. qu’elles sont établies par le droit
international des droits de l’homme) sont valables pour toute société. Dans cette optique, la position du
philosophe Isaiah Berlin (1909-1997) est intéressante. Il est partisan et défenseur de l’idée de valeurs
humaines universelles, à savoir des valeurs communes à une grande majorité de personnes partout dans
le monde et à travers les siècles et qui s’expriment implicitement ou explicitement dans le
comportement ou la pensée de ces personnes.10 Pour Berlin, les droits de l’homme sont un fait et une
nécessité empirique pour arriver à une vie humaine aboutie. La justification de ces droits n’est pas
rationnelle et ils ne demandent pas de justification en raison de leur caractère fondamental: « We
believe in human rights, because we experience that people through the recognition of these rights are
able to live decently », dit Berlin.11
1.2. SITUATION ET CODIFICATIONS IMPORTANTES DES DROITS DE
L’HOMME
1.2.1.Objectifs de la codification
En 1689, le parlement anglais adopta le Bill of Rights à l’égard de William III (William of Orange). Ce
‘statut’ stipulait notamment que des lois ne pouvaient être adoptées sans l’assentiment du parlement,
que les sujets avaient un droit de plainte à l’égard du Roi, que les membres du parlement seraient élus
librement et que les amendes et confiscations n’étaient pas valables si elles n’étaient pas prévues par un
9
HABERMAS,J., Faktizität und Geltung. Beiträge zur Diskurstheorie des Rechts und des demokratischen Rechtsstaats,
Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1992; RAWLS, J., Political Liberalism, New York, Columbia University Press, 1993.
10
Voir: BERLIN, I. & JAHANBEGLOO, R., Conversations with Isaiah Berlin, London, Peter Halban, 1992, 37.
11
BERLIN, I. & JAHANBEGLOO, R., o.c., 113-114. Berlin adds that the notion ‘decent’ cannot be defined, but « we all know
what it is ».
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9
jugement. Bien que l’on puisse parfois dire à juste titre que la définition légale de droits
constitutionnels a commencé avec le roi de Babylone Hammourabi vers 1750 avant J.C., ce statut
anglais constitue un des premiers documents importants en matière de droits de l’homme et nous
trouvons dans le document le début d’une longue tradition de codification des droits de l’homme.
La législation relative à la liberté d’expression, à la prévention de la torture et de l’esclavage ainsi que
le droit à la vie privée est généralement établie par les constitutions modernes des Etats. Par ailleurs, les
pays ont signé un ou plusieurs traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. La codification des
règles juridiques internationales est intervenue à la fin du 19e siècle, notamment dans les Conventions
de La Haye sur le droit en temps de guerre. La principale codification des droits de l’homme a eu lieu
dans les pactes des NU de 1966. D’autres conventions des NU portent sur l’esclavage, le génocide, les
droits des femmes, la torture et les droits de l’enfant. La plupart des droits socio- économiques, à
l’exception du droit à l’enseignement, ne sont codifiés en termes stricts ni dans les constitutions, ni
dans le droit international. Des droits comme le droit au travail, à un logement et à un standard de vie
sont, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, plus des déclarations d’intention que des règles de
responsabilité.
Plusieurs objectifs sont poursuivis par la codification des droits constitutionnels. Sur le plan pratique,
elle permet à l’autorité de confirmer l’existence de droits de l’homme et en même temps de les limiter
en décrivant leur portée avec précision. Cela se fait sous la forme de restrictions. C’est ainsi que
plusieurs traités internationaux citent la possibilité de limiter ou de suspendre des droits dans des
circonstances particulières, par ex. l’état d’urgence. Des restrictions ‘qui sont nécessaires dans une
société démocratique’ peuvent également être imposées. On considère que tous les droits
constitutionnels ne peuvent être ‘limités’ et aussi que certains droits ne peuvent être suspendus. Cela
vaut notamment pour le droit à la vie; à la prévention de la torture et de l’esclavage; et pour la liberté
de pensée, de conscience et de religion.
La caractéristique de ces codifications est qu’elles ne sont pas intemporelles, pas même dans la sphère
des droits constitutionnels, mais qu’elles doivent chaque fois être complétées. Cela se fait par exemple
sous la forme de révisons constitutionnelles. Cela a notamment été le cas en Belgique où la
Constitution de 1831 a été remplacée par une Constitution coordonnée le 17 février 1994 et où certains
nouveaux droits constitutionnels, comme le droit à la vie privée, ont été ajoutés. Au niveau
international, l’actualisation prend la forme soit de Protocoles (conventions complémentaires à des
conventions existantes), soit de conventions entièrement neuves qui sont indépendantes des
conventions existantes. C’est ainsi que l’on a rédigé la Convention relative aux droits de l’enfant à côté
des codifications des droits de l’homme existantes. Cette Convention de 1989 détaille les droits des
enfants ainsi que toutes les obligations (et les droits) des parents et des Etats.12
Dans ce qui suit, nous nous arrêterons à quelques codifications importantes.
1.2.2.Déclaration d’indépendance américaine (1776) & Bill of
Rights (1791)
La lutte des colons nord-américains pour l’indépendance de la patrie anglaise débuta par un
affrontement armé en 1774. Sous la direction de Thomas Jefferson (1743-1826), une Déclaration
d’indépendance (Declaration of Independence) fut rédigée et adoptée par le congrès des députés, à
Philadelphie le 4 juillet 1776. La déclaration était basée sur le droit naturel et confirmait le droit des
colons de rompre leur lien avec la couronne britannique, sur la base du fait que personne n’a le droit de
régner sans l’assentiment des sujets. La première partie de la déclaration comporte une énumération de
tous les actes illégitimes commis par le peuple anglais. Suit alors une énumération de droits: tous les
hommes sont créés égaux et ont le droit inaliénable à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.
Les gouvernements existent avec l’accord du peuple. Outre dans cette déclaration, Thomas Paine donne
12
Infra.
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
http://www.vub.ac.be/LSTS.
10
une justification à l’opposition dans son livre Common Sense. La Déclaration d’indépendance a été une
importante source d’inspiration pour les révolutionnaires d’Europe, principalement en France où la
‘Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen’ fut adoptée en 1789. La Déclaration
d’indépendance fait depuis figure de modèle d’autonomie et de protection contre l’oppression.
La Paix de Versailles (1783) a formellement donné leur indépendance aux Etats- Unis. La Constitution
américaine a été adoptée en 1788. Elle réglemente notamment les institutions du nouvel Etat. Il est
frappant que ce document important, qui donne notamment forme à l’idée de check and balances, ne
contient pas de droits constitutionnels. Ceux-ci y ont été ajoutés deux ans plus tard par le Bill of Rights.
Ce texte revêt la forme d’une série d’amendements à la Constitution américaine. Parmi ces
amendements, relevons la liberté de pensée, d’expression, de presse et de réunion ainsi que le droit
d’un accusé de connaître l’accusation et l’entendre des témoins. Le First Amendment a jusqu’à présent
joué un rôle important dans des affaires relatives à la liberté d’expression.
La Constitution contient une disposition qui concerne explicitement le droit à la vie privée. Elle
garantit une protection contre une fouille arbitraire de la maison, des communications et du corps.13 La
Cour suprême américaine devait consacrer l’existence d’un droit à la vie privée sur la base de ces
dispositions.14 Plus précisément, elle reconnaît que des ‘zones of privacy’ spéciales sont prises en
considération pour la protection constitutionnelle.15
La Constitution américaine contient également une disposition sur la protection des données à caractère
personnel. Dans son commentaire du droit américain publié dans le présent manuel Peter Blok a
montré que, aux Etats-Unis, les exigences figurant dans les lois de data protection existantes découlent
des cinquième et quatorzième Amendements à la Constitution américaine. Ces amendements stipulent
respectivement que ‘no person [...] shall [...] be deprived of life, liberty, or property, without due
process of law’, et que ‘no state [...] shall deprive any person of life, liberty, or property without due
process of law’. Ce droit à la ‘life, liberty and property’ des cinquième et quatorzième amendements
exige que les atteintes à la vie, à la liberté et à la propriété satisfassent à des exigences procédurales
strictes. Une gestion correcte des données sur la base de laquelle on conclut à une atteinte en est un
élément.
1.2.3.La déclaration française de 1789
La ‘Déclaration des droits de l’homme et du citoyen’ a été adoptée le 26 août 1789 par l’Assemblée
nationale à Paris. Elle était inspirée de la Déclaration d’indépendance américaine (1776) et des
pamphlets de l’écrivain anglo-américain Thomas Paine (1737-1809). D’après son préambule, la
Déclaration française expose ‘les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme’. La plupart des 17
articles sont consacrés aux droits civils et politiques. Ceux-ci stipulent notamment que l’on ne peut
interdire ce qui n’est pas défendu par la loi; que personne ne peut être arrêté arbitrairement; que tout
homme doit être présumé innocent tant que sa culpabilité n’est pas établie; que tout homme est libre de
ses convictions, pensées et expression d’opinion tant que cela ne trouble pas l’ordre public et ne viole
pas les lois. La déclaration stipule également que l’impôt doit être prélevé selon le patrimoine et que la
propriété est inviolable. La Déclaration française est moins explicite concernant les garanties pour les
droits de l’homme que le Bill of Rights de 1791 adopté presque simultanément aux USA. Le texte ne
contient aucun droit constitutionnel à la vie privée. Un tel droit constitutionnel n’apparaît pas non plus
dans les constitutions adoptées par la suite, ni dans la Constitution de 1958. Par contre, le Code Civil
français comprend depuis 1970 en son article 9 la reconnaissance du droit de chacun « au respect de sa
13
Voir le quatrième amendement de la Constitution américaine: « The right of the people to be secure in their persons, houses,
papers, and effects, against unreasonable searches and seizures, shall not be violated, and no warrants shall issue, but upon
probable cause, supported by Oath or affirmation, and particularly describing the place to be searched, or the persons or things
to be seized. »
14
Voir sur la construction de la notion américaine de vie privée à travers un siècle de jurisprudence de la Supreme Court:
VANDERVEEREN, C., « De ontwikkeling van het recht op privacy in de U.S.A. », T.B.P., 1984, partie 1: 169-186 et partie 2:
243- 260.
15
Griswold v. Connecticut, 381 U.S. 479 (1965).
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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11
vie privée ».16
1.2.4.La Déclaration Universelle de 1948
La Déclaration Universelle a été rédigée par la Commission des Droits de l’homme des NU et diffusée
notamment par Eleanor Roosevelt (1884-1962), la veuve du président américain Franklin D. Roosevelt.
La déclaration a été adoptée par les membres des NU le 10 décembre 1948, sans votes négatifs mais
avec huit abstentions (dont l’Union soviétique, l’Arabie Saoudite et l’Afrique du Sud).17 La déclaration
est la première confirmation internationale de l’universalité des droits de l’homme. La déclaration n’a
pas de force contraignante, mais a acquis au fil des ans une signification morale importante en tant que
standard international le plus important des droits de l’homme. Les pactes des NU de 1966 sont basées
là-dessus. La Déclaration Universelle comprend un Préambule reconnaissant ‘la dignité inhérente et les
droits inaliénables de l’homme’, et trente articles. Les articles 1 à 21 concernent les droits civils et les
droits politiques; les articles 22 à 27 les droits économiques, sociaux et culturels. Quelques articles de
la Déclaration Universelle formulent les grandes lignes d’un régime démocratique: le droit de prendre
part à la direction des affaires publiques, le droit d’accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions
publiques et le droit à des élections libres.
L’article 12 de la D.U.D.H. stipule que nul ne sera l’objet d’ingérences arbitraires dans sa vie privée, sa
famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute
personne a droit à la protection de la loi contre de telles ingérences ou de telles atteintes.
1.2.5.La CEDH
En entier: ‘Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales’. Cette
Convention, inspirée de la Déclaration Universelle, a été adoptée en 1950 par le Conseil de l’Europe.
Elle est entrée en vigueur en 1953. Les droits qui y figurent concernent notamment l’esclavage, la
liberté de la personne, le procès équitable, la liberté de pensée et de religion, le mariage et la vie
familiale. Plusieurs droits sont limités par d’autres dispositions. En vue d’assurer le respect de la
Convention, on a initialement eu recours à un double système: d’une part la Commission européenne
des droits de l’homme, d’autre part une Cour européenne des droits de l’homme. Seule cette dernière
constituait un tribunal au sens classique.18 Elle est établie à Strasbourg et se réunissait initialement au
moins une fois par an. La Cour rend des arrêts lourds de signification. En 2001, la Cour confirma par
exemple l’interdiction d’un parti islamique prononcée par le gouvernement turc. La Cour a dit que
certaines dispositions des lois de l’islam (charia) ne sont pas conformes aux normes internationales des
droits de l’homme.
Les plaintes peuvent être introduites devant la Cour tant par des Etats que, si l’Etat est partie au
protocole correspondant, par des individus. Les décisions sont prises à la majorité des juges et sont
contraignantes pour les parties. L’Etat concerné doit prendre les mesures pour assurer l’exécution de
l’arrêt.
Le contrôle de la Cour conserve une certaine supranationalité: la ratification de la CEDH a pour
conséquence pour chacun des Etats contractants que la Cour fonctionne comme une structure
européenne contraignante qui leur est supérieure. Les autres Etats contractants peuvent soumettre les
16
En ce qui concerne la France, nous pouvons notamment proposer les références suivantes: BADINTER, R., « Le droit au
respect de la vie privée », La semaine juridique, I- Doctrine, 1968, n° 2136 et KAYSER, P., La protection de la vie privée, Aixen- Provence et Paris, Presses Universitaires d’Aix-Marseille et Economica, 1990, deuxième édition, 457 p.
17
Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948,
M.B., 31 mars 1949.
18
La Commission joue le rôle d’un premier filtre pour les plaintes. S’il était constaté que les voies de recours nationales sont
épuisées et que la plainte était recevable, elle devait l’examiner et tenter d’aboutir à une solution. Si cela échouait, elle
transmettait la plainte au Comité des ministres. La Commission pouvait transmettre la plainte à la Cour si les Etats avaient
reconnu la compétence de la Cour.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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12
faits et gestes de chaque Etat membre à l’appréciation de la Cour (art. 33 CEDH); les personnes
physiques, les organisations non-gouvernementales et tout groupe de personnes qui prétendent être la
victime d’une atteinte à un droit protégé par la CEDH peuvent déposer plainte devant la Cour
européenne des droits de l’homme (art. 34 CEDH).
Le 4 novembre 2000, on a commémoré la naissance, 50 ans plus tôt, de la CEDH. La fête a été
couronnée par l’adoption d’un nouveau protocole pour compléter l’interdiction de la discrimination de
l’article 14 de la CEDH. Si l’article 14 interdit toute distinction illégitime dans la jouissance des droits
et libertés de la CEDH, le Douzième protocole élargit cette interdiction à tout droit reconnu par le droit
national.
1.2.6.La procédure devant la Cour européenne
L’entrée en vigueur du Onzième protocole additionnel à la Convention a mis fin à la structure initiale
(Commission et Cour).19 En lieu et place, il y a maintenant une seule Cour permanente assumant les
tâches des deux organes.20 La principale raison de cette modification était le gain de temps.21
–
Le nombre de juges qui composent la Cour est égal au nombre d’Etats membres du Conseil de
l’Europe (actuellement, 41 juges siègent). La Cour est divisée en quatre sections, qui doivent avoir
une composition équilibrée du point de vue géographique, répartition hommes-femmes et système
juridique. Des Comités de trois juges sont créés au sein de chaque section, qui assurent le travail
de filtre qui était effectué précédemment par la Commission. Des Chambres de 7 juges sont créées
au sein de chaque section. La Grande Chambre, sur laquelle nous reviendrons, est composée de 17
juges désignés pour une durée de 3 ans.
–
Comme nous l’avons déjà indiqué, tant un Etat qu’un individu peuvent introduire directement une
requête au greffe de la Cour européenne des droits de l’homme.
Un requérant individuel (individu, groupe ou organisation non- gouvernementale) doit avoir été
lui-même victime de la violation de la CEDH, ou apporter la preuve qu’il agit au nom de la
victime. Pour pouvoir introduire une plainte individuelle, le requérant doit d’abord essayer
d’obtenir réparation de son droit au niveau national (les voies de recours internes doivent être
épuisées). La plainte doit être introduite dans les six mois de la dernière décision judiciaire
nationale, et ne peut être anonyme ni manifestement non fondée. Une affaire ne sera pas non plus
acceptée si une plainte essentiellement la même a déjà été traitée par la Cour ou par une autre
instance internationale de rétablissement du droit. A moins que la chambre ou la Grande Chambre
en décide autrement pour des circonstances exceptionnelles, les séances, rapports et autres
documents déposés au greffe sont publics. Les requérants individuels doivent se faire représenter
par un avocat.
–
Toute requête individuelle est confiée à une section, dont le président désigne un rapporteur.
Après un examen préliminaire, le rapporteur décide si la requête doit ou non être examinée par un
comité de trois juges. Un comité peut déclarer une requête irrecevable à l’unanimité des voix ou la
rayer du rôle lorsqu’une telle décision peut être prise sans autre examen.
Outre les affaires attribuées directement par les rapporteurs, les chambres sont compétentes pour
19
Le rôle du Comité des ministres a également été modifié par le protocole. Le comité perd son pouvoir de décision par la
suppression de l’ancien caractère facultatif de l’acceptation du droit de recours individuel et de la juridiction de la Cour.
20
Le Onzième protocole soumis à la signature et à la ratification depuis le 11 mai 1994, a été ratifié par notre pays par la loi du
27 novembre 1996, M.B., 4 juillet 1997 (entrée en vigueur le: 1er novembre 1998).
21
On peut se poser la question de savoir si cet objectif est atteint. La CEDH risque de boire la tasse dans le flot des affaires. En
2001, la Cour a rendu 889 arrêts et a déclaré 8989 affaires irrecevables. Cela représente une augmentation de 30% par rapport à
l’année précédente – mais cela reste loin en deçà des 13.858 affaires enregistrées. Près de 31 000 affaires ont été reçues en 2001,
mais ne sont pas encore enregistrées. Cf. LAWSON, R. & VERHEIJ, L., « Kroniek van de grondrechten », Nederlands
Juristenblad, 2002, volume 77, n° 10, 513.
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13
prendre connaissance des requêtes introduites par des particuliers si ces requêtes ont été déclarées
recevables par un comité de trois juges. Les requêtes introduites par un Etat membre sont toujours
transmises à une chambre. Les chambres se prononcent tant sur la recevabilité de l’affaire que sur
son fond. Chaque fois qu’une affaire soulève une question grave relative à l’interprétation de la
Convention, ou si ses conclusions peuvent être contraires à un arrêt rendu antérieurement par la
Cour, les chambres peuvent renvoyer l’affaire à la Grande Chambre, à moins que l’une des parties
ne s’oppose à ce renvoi dans le mois. Les décisions de la chambre sur la recevabilité, prises à
l’unanimité, doivent être motivées et publiées.
–
Si l’affaire est déclarée recevable, la Chambre peut demander aux parties de communiquer des
preuves complémentaires et des remarques écrites. Elle peut également demander au requérant de
fixer une « satisfaction équitable » éventuelle et l’inviter à une séance publique sur le fond de
l’affaire. Le président de la chambre peut inviter tout Etat partie à la Convention ou toute personne
intéressée à présenter des observations écrites. La partie contractante dont le requérant est
ressortissant peut intervenir dans l’affaire. Pendant la procédure au fond, des négociations
confidentielles sur un règlement amiable peuvent avoir lieu via le greffe.
–
La décision des chambres est prise à la majorité des voix. Chaque juge qui a participé à l’examen
d’une affaire peut ajouter son opinion séparée ou sa déclaration de divergence d’opinion à l’arrêt.
Dans les trois mois qui suivent la décision d’une chambre, chaque partie peut demander le renvoi
de l’affaire devant la Grande Chambre, à condition que: l’affaire soulève une question grave
relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention et de ses protocoles, ou une question
grave de caractère général. Un collège de cinq juges de la Grande Chambre va examiner de telles
demandes. Sans une telle demande, ou lorsqu’elle a été rejetée par le collège, une décision d’une
chambre devient définitive après trois mois. Si une telle demande est acceptée par le collège, la
Grande Chambre se prononce sur l’affaire à la majorité des voix. Une telle décision est définitive.
–
Toutes les décisions définitives de la Cour sont contraignantes pour l’Etat défendeur. Le Comité
des ministres du Conseil de l’Europe est responsable de la surveillance de l’exécution des arrêts. Il
a également pour tâche de contrôler si les Etats condamnés pour violation de la Convention ont
pris les mesures nécessaires pour respecter les obligations qui leur ont été imposées par les arrêts
de la Cour.
A la demande du Comité des ministres, la Cour peut également rendre des avis consultatifs sur des
affaires juridiques en rapport avec l’interprétation de la Convention et de ses Protocoles.
1.2.7.Article 8 de la CEDH
L’article 8 de la Convention européenne reconnaît à chacun un droit au respect de sa vie privée, de sa
vie familiale, de son domicile et de sa correspondance. La formulation et le contenu de cette disposition
reposent en grande partie sur l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du
10 décembre 1948.22
La disposition stipule:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que
22
« Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes
à son honneur et à sa réputation.
Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » (article 12
Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948, M.B., 31 mars 1949. On lira à ce sujet VELU, J. et ERGEC,
R., « Convention Européenne des Droits de l’Homme », R.P.D.B., tome 17 (Complément VII), 1990, octobre, 161; RUSSO, C.,
avec la coll. de TRICHILO, P. et MAROTTA, F., « Article 8, § 1 » dans La Convention européenne des droits de l’homme.
Commentaire article par article, PETTITI, L.E., DECAUX, E. et IMBERT, P.H. (éd.), Paris, Economica, 1995, 305- 306.
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14
cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale à la sûreté publique, au bien-être économique du
pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou
de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Nous reviendrons de manière plus détaillée sur cette disposition plus loin. Nous nous contenterons de
souligner trois points ici. Premièrement, quatre choses, dont la vie privée, sont protégées par le
paragraphe premier. Deuxièmement, le deuxième paragraphe comprend les motifs d’exceptions. Ce
paragraphe très important précise à quelles conditions les pays peuvent apporter des limitations au droit
à la vie privée. Troisièmement, la CEDH ne contient pas de droit relatif à la protection des données à
caractère personnel. Une protection non négligeable est toutefois accordée à certaines formes délicates
d’utilisation des données à caractère personnel via la jurisprudence de la Cour européenne, et ce sur la
base de l’article 8 de la CEDH.
1.2.8.La Charte sociale européenne
La CEDH ne contient pas de droits socio-économiques; c’est pourquoi une Charte sociale européenne a
également été adoptée par la suite. Cette Convention du Conseil de l’Europe a été adoptée en 1961.
Elle compte 38 articles relatifs au travail et à l’emploi, aux conditions de travail, aux vacances et au
temps libre, à la rémunération, au licenciement, à l’association et la réunion, à l’association
professionnelle, à la négociation collective, au droit de grève, au travail des enfants, à la santé, au
contrôle médical, au congé de maternité et à la protection des femmes enceintes, à la formation
professionnelle, aux services, au chômage, à la famille, au départ du pays, aux immigrés et au
regroupement familial. La charte est beaucoup plus spécifique que le Pacte des NU (EcSoCu) sur les
mêmes thèmes. La plupart des articles sont formulés comme des recommandations ou des objectifs, et
non comme des prescriptions contraignantes.
Arrêtons-nous quelque peu sur une convention comme la charte sociale. Le lien avec la vie privée n’est
pas inexistant. Comment profiter de votre vie privée, si vous n’avez pas de temps libre?
1.2.9.Le Pacte des NU (EcSoCu) de 1966
Nous avons vu qu’une Convention universelle des droits de l’homme avait vu le jour au sein des
Nations Unies en 1948. Deux nouveaux pactes, sur les droits civils et politiques (CiPo) et sur les droits
économiques, sociaux et culturels (EcSoCu) ont été adoptés en 1966 et sont entrés en vigueur en 1976,
après 35 ratifications. Ils sont les développements contraignants de la Déclaration universelle. Les deux
pactes sont ratifiés par plus de 145 Etats. Le premier article des deux pactes est identique et traite du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de la gestion des ressources naturelles et des devoirs des
Etats.
Le Pacte des NU (EcSoCu), est le premier des deux pactes et contient 31 articles, notamment sur la
discrimination, l’égalité entre hommes et femmes, le travail, le choix du travail, les conditions de
travail, la rémunération, les associations professionnelles, le droit de grève, l’association et la réunion,
la famille, le mariage, le congé de maternité, l’alimentation, la santé, l’enseignement, la participation
culturelle et le progrès scientifique. La plupart de ces droits sont formulés comme des
recommandations ou des objectifs et sont donc moins contraignants que ceux du Pacte des NU (CiPo).
Tous ces droits sont susceptibles de suspension. Un Comité des droits économiques, sociaux et
culturels dépend de ce pacte.
1.2.10.
Le Pacte des NU (CiPo) de 1966
Le deuxième pacte des NU, le Pacte (CiPo)23, comprend 55 articles, concernant notamment les droits et
23
Pacte international relatif aux droits civils et politiques fait à New York le 19 décembre 1966 (I), M.B., 6 juillet 1983.
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15
protections relatifs à la discrimination, les voies recours efficaces, l’état de nécessité, la grâce, la
torture, l’esclavage, le service remplaçant le service militaire, le procès équitable, la compensation, le
reclassement, la liberté de mouvement, le départ d’un pays, les prisonniers, l’assistance judiciaire, la
profession, la pensée, la religion, l’expression d’opinion, l’éducation, l’association et la réunion, la
famille, le mariage, le droit de vote et l’égalité devant la loi. Certains de ces droits ne peuvent être
suspendus. Ce Pacte est complété par un protocole facultatif qui prévoit une procédure de plainte pour
les individus auprès du Comité des droits de l’homme des NU, et par un deuxième protocole facultatif
pour l’abolition de la peine de mort. La Belgique a ratifié le protocole complémentaire du Pacte des
NU (CiPo) en 1994, de sorte que le Comité des droits de l’homme des NU peut traiter les plaintes
individuelles contre la Belgique.24
Le Pacte des NU (CiPo) a été signé et approuvé par la Belgique25 et semble en principe être
contraignant pour l’ordre juridique belge et y trouver une application directe.26
L’article 17 du Pacte des NU (CiPo) stipule:
« 1. Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son
domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
Cette disposition est reprise pratiquement textuellement de l’article 8 de la C.E.D.H. Des tentatives
pour faire figurer dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques la mesure dans
laquelle des limitations sont possibles, ainsi que ce fut fait au paragraphe deux de l’article 8 de la
CEDH, ont été repoussées par certains Etats. Ces pays craignaient une limitation trop importante de
leur liberté de mouvement au nom des droits de l’homme. Sur le plan des droits de l’homme, la CEDH
présente donc une valeur protectrice supplémentaire évidente.27
L’article 24 du pacte doit également être repris ici.28
1.2.11.
de l’homme
Convention américaine relative aux droits
La ‘Convention américaine relative aux droits de l’homme’ a été adoptée en 1969 par l’Organisation
des Etats américains (OEA) et est entrée en vigueur en 1978. Le contenu de la Convention appelle
quelques remarques. On est frappé qu’il n’y soit pas fait mention d’un droit à la vie privée ou d’un
droit à la protection des données à caractère personnel.
La Convention a été ratifiée par la plupart des pays de l’OEA, mais pas par les USA (qui ne veulent pas
se lier à la disposition selon laquelle les mineurs délinquants ne peuvent pas se voir infliger la peine de
mort). La Convention a été à la base des activités de la Commission interaméricaine des droits de
l’homme et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. La commission est composée de sept
24
Cf. M.B., 23 juin 1994
P.I.D.C.P. Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 (New York), approuvé par la loi du
15 mai 1981, M.B., 6 juillet 1983, 8806-8807; avec traduction néerlandaise du P.I.D.C.P. pages 8815- 8828.
26
Cass., 17 janvier 1984, R.W., 1984-85, 1149. Voir aussi dans BRAQUENE, P., « De directe werking van het Internationale
Verdrag inzake burgerrechten en politieke rechten na het cassatiearrest van 17 januari 1984 », R.W., 1563-1572. Voir également
dans DE HOUWER, J., l.c., 573; DEJAEGERE, P., « Juridische waarborgen bij automatische verwerking van persoonsgegevens
in België », T.B.P., 1988, 653; VELU, J., Les effets directs des instruments internationaux en matière de droits de l’homme,
Bruxelles, Swinnen – Prolegomena, 1982, 33-53 et VELU, J. et ERGEC, R., La convention européenne des droits de l’homme,
Bruxelles, Bruylant, 1990, 83- 84.
27
RUSSO, C., avec la coll. de TRICHILO, P. et MAROTTA, F., « Article 8, § 1 » dans La Convention européenne des droits de
l’homme. Commentaire article par article, PETTITI, L.E., DECAUX, E. et IMBERT, P.H. (éd.), Paris, Economica, 1995, 306.
28
Article 24 PIDCP: « 1. Tout enfant, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion,
l’origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’Etat, aux mesures
de protection qu’exige sa condition de mineur. 2. Tout enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance et avoir un
nom. 3. Tout enfant a le droit d’acquérir une nationalité. »
25
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
http://www.vub.ac.be/LSTS.
16
membres qui sont élus pour quatre ans par l’Assemblée générale de l’OEA. La commission peut
recevoir des plaintes tant d’Etats que d’individus. La commission demande des réponses au
gouvernement concerné et fait des recommandations. Les sanctions possibles sont la publication des
conclusions ou la soumission de l’affaire à la Cour. La Cour, créée en 1979, est composée de sept
juges. Elle ne peut rendre des décisions que si l’Etat incriminé a reconnu cette compétence. La Cour a
notamment rendu des décisions sur les conditions de détention, la torture et les disparitions, dans
lesquelles les gouvernements ont dû payer des compensations. La Convention est complétée par un
protocole facultatif prévoyant l’abolition de la peine de mort.
1.2.12.
des peuples
Charte africaine des droits de l’homme et
La ‘Charte africaine des droits de l’homme et des peuples’ a été adoptée en 1981 par l’Organisation de
l’Unité africaine (OUA) et est entrée en vigueur le 21 octobre 1986. De nombreux articles
correspondent à ceux du Pacte des NU (CiPo). Quelques différences importantes sont:
–
–
–
–
Aucune mention d’un droit à la vie privée ou d’un droit à la protection des données à caractère
personnel.
Les peuples ont également des droits comme le droit à l’indépendance et à l’autodétermination.
L’individu a des devoirs envers l’Etat et la société. Il doit mettre ses capacités physiques et
intellectuelles au service de la société, ne pas mettre la sécurité de l’Etat en péril, accomplir son
service militaire, payer ses impôts, etc.
Il y a des droits particuliers sur les ressources naturelles et sur la protection de l’environnement.
La Commission africaine des droits de l’homme est composée de onze membres qui sont élus à titre
personnel. Elle contrôle le respect de la charte. La Commission peut traiter les plaintes relatives à des
violations graves ou massives émanant des Etats et des individus et les soumettre aux chefs d’Etat et de
gouvernement de l’OUA. Selon un Protocole (charte complémentaire) à la Charte africaine qui a été
adopté en 1998, une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples sera instituée lorsque quinze
pays auront ratifié la charte.
1.2.13.
Charte arabe des droits de l’homme
La Commission arabe permanente des droits de l’homme, créée en 1968 par la Ligue arabe, a pris
l’initiative de la rédaction d’une charte en 1979. Elle a été adoptée en 1994 et entrera en vigueur après
que sept Etats l’auront ratifiée (la Ligue compte 22 Etats membres). Dans les grandes lignes, la charte
suit les pactes des NU, avec quelques exceptions notables. Dans l’introduction, elle invoque Dieu et la
législation de l’islam (charia) et condamne le sionisme; elle accorde un droit limité à la liberté
d’expression; et déclare la peine de mort illégale si elle est infligée pour des délits politiques. Elle ne
contient aucune mention d’un droit à la vie privée ou d’un droit à la protection des données à caractère
personnel.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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17
1.2.14.
La Convention relative aux droits de
l’enfant de 1989
La Convention relative aux droits de l’enfant a été adoptée le 20 novembre 1989 à New York. Dans
notre pays, la Convention a été implémentée par le législateur national et par les trois Communautés.29
La Convention, qui a effet direct en Belgique, demande un important effort d’éducation aux parents. Ils
doivent constamment tenir compte de trois sortes de droits, même si la Convention reconnaît aussi des
droits explicites aux parents.30
Trois sortes de droits de l’enfant figurent en effet dans cette Convention.31 Primo, des droits de ‘basic
interest’, qui visent l’intérêt général de l’enfant dans le cadre des soins physiques, émotionnels et
psychologiques qui lui sont prodigués par les personnes qui ont la responsabilité immédiate de leur
garde et de leur éducation. Secundo, des droits de ‘development interests’ qui visent le droit de l’enfant
à développer ses capacités de manière optimale. Tertio, des droits d’’autonomy interests’, qui visent le
droit de l’enfant à choisir son propre mode de vie et à développer ses propres relations sociales, qui ne
peuvent lui être imposées par le monde des adultes.
L’article 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant fait partie de la troisième catégorie. Il
stipule: « 1. Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa
famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2.
L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
Soulignons une petite différence intéressante avec les dispositions de l’article 8 de la CEDH.
L’article 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant mentionne la protection de « l’honneur et
de la réputation », aspects qui ne se retrouvent pas textuellement dans l’article 8 de la CEDH, mais bien
dans l’article 10 de la CEDH, qui garantit la liberté d’expression.
1.2.15.
La Charte européenne de 2000
Jusqu’en 2000, l’Union européenne ne disposait pas d’un document propre reprenant les droits et
libertés fondamentaux qui sont respectés au niveau communautaire.32 En tant qu’organisation, l’UE n’a
29
La Convention relative aux droits de l’enfant a été adoptée le 20 novembre 1989 à New York. La Convention a été
implémentée dans notre pays par le législateur national et par les trois communautés (M.B., 17 janvier 1992; 13 juillet 1991;
9 août 1991 et 5 septembre 1991). On lira: FORDER, C., « Het gezin in internationale verdragen », RM Themis, 1997, n° 4, 137142. Ainsi que: Centre pour les droits de l’enfant, « Het V.N.- verdrag inzake de rechten van het Kind en zijn directe werking in
het Belgische (interne) recht », R.W., 1992-1993, 230; CLOSSET, G., « La Convention des droits de l’enfant et la Belgique »,
T.B.B.R., 1991, 583; VERHELLEN, E., « Kinderrechten en onderwijs. Een driedubbele taak », T.O.R.B., 1997-1998, n° 2, 7477; VERHELLEN, E., Monitoring Children’s Rights, Den Haag, Martinus Nijhoff Publishers, 1996, 940 p.; VERHELLEN, E.,
Verdrag inzake rechten van het kind, Leuven, Garant, 1997, 224 p. Par la loi du 25 novembre 1991 (M.B., 17 janvier 1992), le
législateur national a donné ‘exécution complète’ à la Convention. Les dispositions de la Convention trouvent donc directement à
s’appliquer en Belgique.
30
L’article 5 de la Convention, par exemple, donne aux parents ou tuteurs le droit de mener et d’accompagner leurs enfants dans
l’exercice des droits qui leur sont reconnus dans la Convention. Cette direction et accompagnement doivent toutefois
correspondre au développement des capacités de l’enfant. Cf. FORDER, C., l.c., 138.
31
FORDER, C., l.c., 138-139, avec réf.
32
Le 5 avril 1977, le Conseil européen, la Commission européenne et le Parlement européen ont fait une déclaration. Ils y
affirmaient qu’ils respecteraient les droits fondamentaux tels qu’ils découlent des constitutions des Etats membres et de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) (J.O. 1977, C 103/1). On trouve
également une référence à la CEDH dans le préambule de l’Acte européen de 1986. La première disposition contraignante de
l’acte qui renvoie à la CEDH constitue une codification de la jurisprudence et est insérée dans le Traité sur l’Union européenne.
L’actuel article 6, deuxième alinéa du Traité sur l’Union européenne (Ex article F deuxième alinéa du Traité sur l’Union
européenne) stipule: « L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des
traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. » Dans la
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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18
pas adhéré à la Convention européenne des
droits de l’homme (1950)33 et a donc rédigé un texte propre pour combler l’absence d’un document
propre. La ‘Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne’ a été proclamée à Nice le
7 décembre 2000.34 La Charte comporte une cinquantaine de dispositions énonçant des droits
fondamentaux qui doivent être respectés tant par l’Union européenne que par les Etats membres, pour
autant qu’ils exécutent le droit de l’Union. Les droits fondamentaux sont répartis selon une
systématique novatrice: Dignité; Liberté; Egalité; Solidarité; Citoyenneté et Justice. La charte
contourne ainsi la contradiction entre les droits ‘classiques’ et les droits socio-économiques en
regroupant les articles dans ces catégories. La Charte garantit des droits comme le droit à la liberté
d’opinion et de religion, le droit d’asile, le droit à la préservation contre la torture et l’esclavage. Elle
parle abondamment des droits des travailleurs, par exemple du droit de grève. Elle garantit des
allocations d’aide et interdit le travail des enfants. Elle introduit également un ‘droit à une bonne
administration’.
La Charte s’adresse avant tout aux institutions et organes de l’Union, mais aussi aux Etats membres qui
implémentent le droit de l’UE.
jurisprudence, on fait maintenant référence à cet article (Affaire C-7/98, 28 mars 2000. Affaires jointes C-174/98 P et C-189/98
P, Royaume des Pays-Bas et G. van der Wal contre Commission des Communautés européennes). Cette disposition est toutefois
un peu étonnante puisqu’elle fait référence aux principes généraux du droit communautaire alors que l’article lui-même ne fait
pas partie du Traité CE; une disposition qui vise également à soustraire cet article 46 (Ex article L du Traité sur l’Union
européenne) de ce même traité à la juridiction de la Cour de justice des CE (Cf. R.A.Lawson, « Tussen Scylla en Charybdis: de
nationale rechter en conflicten tussen EG-recht en EVRM », Trema, 1996, n° 9 (octobre), p. 278-284). Sur la base de l’article 7
du Traité sur l’Union européenne (Ex article F.1 du Traité sur l’Union européenne), le Conseil a la compétence de constater à la
majorité des voix et après accord du Parlement qu’un Etat membre viole de manière grave et persistante l’article 6, premier
alinéa du Traité sur l’Union européenne (l’alinéa 1er fait référence aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Ex
article F du Traité sur l’Union européenne). Si une telle constatation est faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut y
attacher des conséquences négatives pour l’Etat membre. Il peut s’agir de la suspension de certains droits découlant de
l’application de ce Traité à l’Etat membre en question. Comme nous l’avons déjà indiqué l’article 6 du Traité de Maastricht n’est
pas dans la juridiction de la Cour, mais maintenant que cet article est renforcé par la possibilité de sanctions, un contrôle
judiciaire est réalisé. L’article 11 du Traité sur l’Union (Ex article J.1 du Traité sur l’Union européenne) stipule en outre que la
politique étrangère et de sécurité commune a notamment pour objectif le développement et le renforcement de la démocratie et
de l’état de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’article 11 figure dans le titre relatif à
une politique étrangère et de sécurité commune pour laquelle la Cour de justice n’est pas compétente.
33
Depuis 1979, la Commission des Communautés européennes a tenté d’aboutir à une adhésion des Communautés à la
Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cf. NJCM-Bulletin 21-6 (1996), « EG en
Mensenrechten, Toetreding van de EG tot het EVRM: Het Hof van Justitie adviseert », avec note de H.G.Schermers Cela n’a,
jusqu’à présent, pas été jugé opportun. En avril 1994, un avis fut demandé à la Cour de justice des Communautés européennes
concernant la question de savoir si l’adhésion de la Communauté européenne à la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales était conciliable avec le Traité instituant la Communauté européenne. L’avis de la Cour ne
fut rendu qu’en mars 1996 et disait que dans l’état actuel du droit communautaire la Communauté n’est pas compétente pour
adhérer à la CEDH, étant donné qu’aucune disposition du Traité ne déclare les institutions de la Communauté compétentes au
sens général pour adopter des règles dans le domaine des droits de l’homme ou pour conclure des accords internationaux dans ce
domaine. L’article 308 du Traité CE (Ex article 235 Traité CE) ne peut pas non plus fournir de base juridique. Selon la Cour,
seule une modification du Traité pourrait permettre que la Communauté puisse prendre part à un système institutionnel distinct
avec une Cour propre. Hirsch Ballin doute que ce raisonnement de la Cour soit aussi solide sur tous les points. L’adhésion à la
CEDH n’attribuerait en effet pas de nouveaux terrains de compétence à la CE, mais l’obligerait à respecter les droits de l’homme
sur des terrains pour lesquels il existe déjà des compétences (Cf. E. HIRSCH BALLIN, « Het Handvest van de Grondrechten van
de Europese Unie: het eerste hoofdstuk van een Europese Constitutie? », Ars Aequi, 50 (2001) 2, p. 88-93). La modification du
Traité que la Cour estime nécessaire pour l’adhésion de la Communauté à la CEDH, aurait dû avoir lieu dans le Traité
d’Amsterdam. Cela n’a pourtant pas été le cas. On a considéré que d’autres sujets étaient plus importants et on craignait
probablement que les Etats membres n’aboutiraient pas à un accord sur ce point. La participation de l’Union européenne à la
CEDH est donc provisoirement mise de côté. Cf. H.G.SCHERMERS, « Mensenrechten in het Verdrag van Amsterdam »,
Nederlands Juristenblad, 23 avril 1999, supplément 16, p. 718.
34
J.O. CE, 2000, C 364/10, 18 décembre 2000. Voir notamment NJCM-Bull. 2000, 924- 967; Maastricht Journal, 2001, 1-114;
BULTERMAN, M.K. & LAWSON, R.A., « Het EU- grondrechtenhandvest: méér dan een festijn voor juristen », Int. Spectator,
2000, 423- 429; LENAERTS, K. & DE SMIJTER, E., « Een ‘Bill of Rights’ voor de Europese Unie », dans Bijdragen aan een
Europese Grondwet (Staatsrechtconferentie 2000), 107-138; HIRSCH BALLIN, E., « Het Handvest van de Grondrechten van de
Europese Unie: het eerste hoofdstuk van een Europese Constitutie », ArsAequi, 50 (2001) 2, p. 88-93.
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19
Dans sa forme actuelle, la Charte n’a aucune force contraignante. Le document est toutefois rédigé de
manière telle qu’il pourrait avoir une force juridique contraignante si on en décidait ainsi. Malgré le fait
qu’elle n’a actuellement pas de force contraignante, il ne faut pas en conclure que la Charte n’a aucune
signification. Tant le Parlement européen que la Commission européenne ont déclaré qu’elles
appliqueraient intégralement la Charte.
Le contenu et la façon dont elle a vu le jour font de la Charte un document difficile à nier. Le Conseil
européen part du principe que la Charte peut être considérée comme un résumé des droits
fondamentaux qui avaient déjà fait l’objet de plusieurs sources de droit. Le résultat atteint par la Charte
ne mène cependant pas encore à une protection des droits fondamentaux équivalente à celle des
constitutions nationales ou de la CEDH, même si – comme nous l’avons indiqué – il est parfaitement
imaginable que la Charte puisse se déployer par un fonctionnement jurisprudentiel normatif. On peut
imaginer que la jurisprudence européenne et/ou nationale s’oriente dessus, peut- être comme un
rétablissement d’autorité des traditions communautaires juridiques (constitutionnelles) des Etats
membres.
Tout ceci ne supprime toutefois pas le besoin d’une intégration correcte au système des traités de
création et surtout au régime de la juridiction et de l’interprétation par rapport à la CEDH. Le Conseil
européen de Nice n’a pas été plus loin que la mise à l’agenda de la question. L’acte final du Traité de
Nice décidera que la question devra être mise à l’ordre du jour d’une nouvelle Conférence
interministérielle à convoquer en 2004: ‘quel sera le statut, conformément aux conclusions du Conseil
européen de Cologne, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne signée à Nice?’ La
Charte pourrait par exemple devenir un chapitre de la Constitution européenne qui est en préparation.
Le contenu de la Charte est très proche, parfois identique, de la CEDH. Un point de différence avec la
CEDH est la manière dont sont régies les conditions auxquelles des limitations des droits
fondamentaux sont autorisées. On a opté pour un régime général de compétence de limitation, et non
comme dans la CEDH pour une compétence de limitation par article. En vue de la protection de la vie
privée, ce qui précède s’exprime par une reprise littérale de l’article 8, premier alinéa de la CEDH dans
l’article 7 de la Charte. Pour le contenu du deuxième alinéa de l’article 8 de la CEDH, c’est-à-dire la
limitation en droit contenu dans le premier paragraphe. Ceci se retrouve dans la Charte dans la
disposition générale de limitation figurant à l’article 52.
Notons que la Charte contient également un droit fondamental à la protection des données à caractère
personnel.35
L’article 8 de la Charte stipule:
« 1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.
2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement
de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a
le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification.
3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante. »
35
C’est dans la lignée de la Recommandation 4/99 du groupe de travail article 29. Recommandation 4/99 sur l’inclusion du droit
fondamental à la protection des données dans les droits fondamentaux européens. Approuvé le 7 septembre 1999. Dans cet avis,
le groupe de travail article 29 marque son appui au Conseil européen pour la rédaction d’une Charte des droits fondamentaux. Le
Groupe recommande de faire figurer le droit fondamental à la protection des données dans la Charte des droits fondamentaux.
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20
1.2.16.
La Constitution belge (Const.)
Une constitution constitue une source ou une partie du droit d’un pays définissant les institutions
politiques. Les droits fondamentaux y sont généralement aussi énumérés. Aux Pays-Bas et en Belgique,
la Constitution comprend une énumération des droits constitutionnels, mais dans la Constitution
française, par exemple, les droits constitutionnels ne sont pratiquement pas abordés. Certains Etats,
comme la Grande-Bretagne, n’ont pas de constitution. L’ensemble des lois et la jurisprudence y
déterminent la position des droits constitutionnels.
Aux Pays-Bas, un juge ne peut contrôler la constitutionnalité des lois, alors qu’il le peut en Allemagne
par exemple. En Belgique, la Cour d’arbitrage ne peut contrôler les lois que par rapport à certaines
dispositions sur les droits de l’homme (notamment l’article sur l’égalité), mais il y a des projets visant à
faire de cette Cour une véritable Cour constitutionnelle, compétente pour contrôler toutes les
prétendues violations des droits de l’homme par le législateur. En d’autres termes, la Belgique
disposera à l’avenir d’une jurisprudence sur la vie privée, comparable à celle de la Cour européenne qui
veille au respect de la CEDH.
La dernière révision constitutionnelle néerlandaise date de 1983. Elle portait notamment sur la
suppression de la peine de mort. En Belgique, la Constitution date de 1831. Elle a été adaptée à
plusieurs reprises, notamment en ce qui concerne le droit de vote général et l’autonomie des régions.
Cette Constitution de 1831 a finalement été remplacée par une Constitution coordonnée le 17 février
1994.36 Par rapport à 1831, ce texte comprend une série de nouveaux droits constitutionnels, comme le
droit à la vie privée et le droit à la publicité de l’administration.
La Constitution belge de 1831 a servi de modèle progressif, modérément libéral aux constitutions
d’autres pays européens. C’est ainsi que ce texte stipulait que personne n’avait besoin d’une
autorisation préalable pour exprimer des idées par le biais de la presse écrite. La Constitution stipulait
également: « Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas
prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit » (actuel art. 15 Const.) et « Le secret des lettres est
inviolable. La loi détermine quels sont les agents responsables de la violation du secret des lettres
confiées à la poste » (actuel art. 29 Const.).
Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, la Constitution a été complétée en 1994. Jusqu’à la révision de
1993/1994, le droit à la protection de la vie privée et familiale ne figurait pas explicitement dans la
Constitution belge. Celle-ci ne contenait alors que quelques dispositions fragmentaires relatives aux
droits contenus dans l’article 8 de la CEDH, à savoir l’inviolabilité du domicile, la protection du secret
des lettres et la protection contre la privation de liberté arbitraire. Pour le juriste belge, un recours à
l’article 8 de la CEDH et à l’article 17 du PIDCP était quasi inévitable37, ce qui n’était pas si
dramatique en soi puisque cette utilisation forcée de la Convention européenne et du PIDCP
présentaient certains avantages dus à quelques ‘particularités’ du droit constitutionnel belge.38
Comme nous l’avons dit précédemment, la révision constitutionnelle de 1993 modifia la situation belge
en insérant dans la Constitution un nouvel article 22 reconnaissant le droit à la vie privée et familiale.
Article 22 Const.: « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et
conditions fixés par la loi. La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection
de ce droit. »
36
Constitution coordonnée du 17 février 1994, M.B., 17 février 1994.
Les lacunes de la Constitution belge étaient tout bonnement trop importantes. L’intégrité physique, par exemple, protégée par
les articles 2, 3 et 8 de la CEDH, n’était pas expressément protégée par la Constitution, pas même dans l’article 7 (article 12 de
l’actuelle Constitution) qui ne protège que contre la privation arbitraire de liberté. Plus détaillé: VELAERS, J., « Het menselijk
lichaam en de grondrechten », dans Over zichzelf beschikken? Juridische en ethische bijdragen over het leven, het lichaam en de
dood, Antwerpen, Maklu, 1996, 129.
38
Par une particularité du droit constitutionnel belge, il est interdit aux juges nationaux de contrôler la conformité des lois,
décrets et ordonnances à la Constitution, alors qu’ils peuvent en contrôler la conformité aux traités internationaux, et donc aussi à
l’article 8 de la CEDH (BREMS, E., « De nieuwe grondrechten in de Belgische Grondwet en hun verhouding tot het
Internationale, inzonderheid het Europese Recht », T.B.P., 1995, 626). En outre, un organe de contrôle supranational pouvant se
prononcer en première instance est attaché tant à la CEDH qu’au PIDCP (BREMS, E., l.c., 626).
37
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21
La Constitution contient donc désormais un droit à la protection de la vie privée. Une disposition
séparée relative à la protection des données à caractère personnel n’a pas été prévue.
1.2.17.
Une comparaison entre l’article 8 de la
CEDH et l’article 22 de la Constitution
L’article 22 de la Constitution belge coordonnée du 17 février 1994 reconnaît de manière générale le
droit à la protection de la vie privée et familiale.
Le nouvel article a volontairement été ‘composé’ sur le modèle de l’article 8 de la CEDH. Le
constituant avait expressément cet objectif à l’esprit lors de la rédaction. L’article 8 de la CEDH
protège toutefois également le domicile et la correspondance. La protection de la correspondance et
celle du domicile ont été abandonnées par le constituant belge de 1994, puisqu’elles figuraient déjà aux
articles 29 Const.39 et 15 Const..40 Cette dernière concession ne fut pas des plus heureuses.41
L’obligation de respecter le domicile contenu dans l’article 8 de la CEDH crée une obligation plus
large que l’interdiction de violation du domicile de l’article 15 Const..42 Le droit à la correspondance de
l’article 8 de la CEDH protège plus que le secret des lettres de l’article 29 Const. L’article 8 de la
CEDH donne par conséquent plus d’informations sur ce qui est protégé.
L’article 22 Const. stipule que des exceptions au droit au respect de la vie privée ne sont possibles que
‘dans les cas et conditions fixés par la loi’. L’article 8 de la CEDH est beaucoup plus détaillé sur la
question du moment où ces exceptions sont possibles (infra). Comparativement à cette disposition,
deux motifs de limitation de la CEDH sont abandonnés dans la Constitution. A première vue, cela
confère au législateur belge plus d’espace pour limiter les droits constitutionnels.43 L’article 8 de la
CEDH reste toutefois applicable dans l’ordre juridique belge et a la primauté sur les dispositions de
droit interne.44 Le législateur belge doit donc prendre en considération les critères européens plus stricts
et plus détaillés.45
L’insertion de l’article 22 Const. ne permettra donc pas un assouplissement des possibilités d’ingérence
dans les droits constitutionnels. Au contraire, sur certains points, l’exigence de légalité de l’article 22
Const., telle qu’elle est interprétée par la jurisprudence, est plus stricte que l’exigence de légalité
européenne46 ce qui confère une légitimité propre à cette disposition. D’autres arguments peuvent
39
Article 29 Const.: « Le secret des lettres est inviolable.
La loi détermine quels sont les agents responsables de la violation des lettres confiées à la poste ».
40
Article 15: « Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans
la forme qu’elle prescrit ».
41
BREMS, E., l.c., 625.
42
Sur la base de l’article 8 de la CEDH, on peut soutenir qu’une habitation ne doit pas être seulement physiquement inviolable
mais aussi visuellement (LINDEKENS, M., L’offre des biens de sécurité en Belgique, Bruxelles, Ed. Politeia, 1992, 83), et doit
donc être protégée contre l’utilisation de caméras.
43
L’article 22 Const. ne cite qu’un seul motif de limitation, à savoir l’exigence de légalité. L’article contient les mots ‘sauf dans
les cas et conditions fixés par la loi’, alors que, pour le deuxième paragraphe de l’article 8 de la CEDH, ce n’est qu’un critère, à
côté du critère ‘nécessaire dans une société démocratique’ et du critère de l’objectif légitime.
44
BREMS, E., l.c., 625.
45
Bien que cela ne ressorte pas du texte, cela a toujours été l’objectif. Le constituant a expressément placé l’article 22 Const.
dans le prolongement de l’article 8 de la CEDH et a estimé que des infractions autorisées à l’article précité ne peuvent aller audelà de celles autorisées par le dernier article (Doc. Parl., Sénat, 1991-92, 100-4/5, 2).
46
L’article 8 de la CEDH exige que toutes les exceptions au droit à la vie privée reposent sur une base légale. La Cour
européenne a toutefois dit que cette base peut également consister par ex. en décisions judiciaires. Il ne faut donc pas toujours
qu’il y ait une loi votée ‘formellement’ par le parlement. Par contre, les mots « prévue par la loi » font en principe référence dans
la Constitution belge à la loi au sens formel: les ingérences dans ces droits ne peuvent en d’autres termes être que le fait du
pouvoir législatif et non du pouvoir exécutif, ce qui est moins souple que l’interprétation de l’exigence de légalité de la CEDH.
En d’autres termes, l’article 22 Const. est plus strict que l’article 8 de la CEDH et maintient la compétence du législateur ou du
législateur décrétal d’organiser des ingérences dans la vie privée. En Belgique, il faudra chaque fois créer des compétences ayant
un impact sur les droits fondamentaux de l’article 8 de la CEDH dans une base légale formelle. Il y a en outre lieu de tenir
compte des exigences de qualité de la prévisibilité et de l’accessibilité telles qu’elles sont définies par Strasbourg.
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
http://www.vub.ac.be/LSTS.
22
encore être cités pour souligner la légitimité de cette nouvelle disposition.47
1.3. LE PROBLÈME DE L’EFFET HORIZONTAL DES DROITS
FONDAMENTAUX
1.3.1.Les droits fondamentaux n’ont qu’un effet vertical
Une des principales lacunes de toutes ces déclarations sur les droits de l’homme dont nous venons de
parler est peut-être leur exclusivité. Elles ne règlent que les rapports entre le citoyen et l’autorité et pas
ceux entre les citoyens et les citoyens ou entre les citoyens et les entreprises. Les déclarations de droits
de l’homme ne prévoient en d’autres termes pas ce que l’on appelle le traitement horizontal.48 Cela a
d’importantes conséquences concrètes pour le citoyen. Prenons la CEDH. Les particuliers ne peuvent
pas être condamnés à Strasbourg pour une violation de la Convention, alors qu’il n’y a aucun doute que
les droits de l’homme peuvent être violés par des citoyens et des entreprises.49 Sur le plan éthique, il ne
fait aucun doute que les droits de l’homme doivent également fonctionner horizontalement. Dans les
entreprises, le management doit veiller à leur respect. Cela signifie notamment que les multinationales
doivent protéger les travailleurs contre des poursuites pour avoir exprimé une opinion contre la torture
et les mauvais traitements, contre le travail dangereux et contre des ‘formes inadmissibles’ de travail
des enfants. L’entreprise doit également garantir la liberté syndicale. En dehors de l’entreprise,
l’entreprise doit favoriser les droits de l’homme dans la mesure où cela se trouve dans sa ‘sphère
d’influence’. De plus grosses responsabilités reposent sur une grande entreprise multinationale que sur
une petite société, par exemple dans le choix de partenaires commerciaux ou dans la stigmatisation de
violations par les gouvernements.
Juridiquement, ce n’est pas une sinécure de faire respecter cette obligation. Les juristes utilisent
différents arguments pour faire en sorte que cette obligation devienne juridiquement contraignante.50 Ils
recourent au Préambule de la Déclaration universelle de 1948 qui stipule que « tous les individus et
tous les organes de la société » ont pour tâche de contribuer au respect des droits de l’homme.51 Le
47
L’insertion dans la Constitution élargit la compétence de contrôle de la Cour d’arbitrage, qui est la seule habilitée à contrôler
la conformité des lois, décrets et ordonnances à la Constitution. Une demande d’annulation ou une question préjudicielle adressée
à cette Cour (où l’article 22 Const. est évoqué en combinaison avec les articles 10 et 11 Const.) est beaucoup plus efficace
qu’une plainte à Strasbourg (BREMS, E., l.c., 626). L’article 22 Const., mieux que l’article 8 de la CEDH, donne également une
expression à l’idée que les Etats n’ont pas seulement l’obligation de s’abstenir d’ingérences dans les droits constitutionnels, mais
aussi une obligation de contribuer activement à la jouissance des droits constitutionnels par les citoyens. Plus précisément, le
deuxième alinéa de l’article 22 Const. impose aux législateurs fédéral et régionaux l’obligation positive de garantir la protection
du droit au respect de la vie privée et familiale. Pour éviter que ces obligations positives ne soient pas prises en considération
pour la vie privée et familiale, le constituant belge a explicité l’idée dans un deuxième alinéa (BREMS, E., l.c., 626).
48
Aussi appelé effet tiers: l’application des droits constitutionnels aux rapports entre citoyens (relations de droit privé).
49
Les droits et libertés qui sont garantis par la CEDH ne peuvent être invoqués devant la Cour que par une plainte contre un Etat
membre. La Cour est en effet uniquement compétente pour prendre connaissance de plaintes contre des Etats membres. Pour les
plaintes contre des particuliers, elle déclare qu’ « elle n’ a pas compétence, ratione personae, pour connaître des violations de la
Convention imputées aux particuliers » (VELU, J., Le droit au respect de la vie privée, Namur-Bruxelles, Presses Universitaires
de Namur, Larcier, 1974, p.49-50). Les droits et libertés fondamentaux font en effet partie du droit public: ils posent des limites
au pouvoir de l’autorité, ils impliquent donc en premier lieu des revendications à l’égard de l’autorité. Ils ont un ‘effet vertical’.
50
On lira: DRZEMCZEWSKI, A., European human rights convention in domestic law. A comparative study, Oxford, Clarendon
Press, 1983, pp. 199- 228; SPIELMANN, D., « Obligations positives et effet horizontal des dispositions de la Convention » in F.
SUDRE (éd.), L’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp.133-174;
SPIELMANN, D., L ‘effet potentiel de la Convention européenne des droits de l’homme entre personnes privées, Bruxelles,
Bruylant, 1995.
51
Les responsabilités d’entreprises dans le respect des droits de l’homme a, depuis, fait l’objet de directives notamment de
l’Organisation de Coopération et Développement Economiques (OCDE), de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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23
texte de la CEDH et la jurisprudence européenne et nationale présentent également des clés pour un
fonctionnement horizontal.52 Soulignons également que les arrêts de la Cour ont une certaine influence
sur le droit des particuliers53: les Etats sont responsables de l’application des principes de la CEDH et
doivent suivre la jurisprudence de la Cour. Enfin, on peut également trouver un argument en faveur du
fonctionnement horizontal dans la Constitution belge. Nous avons vu que l’article 22 de la Constitution
contient un droit constitutionnel à la vie privée. Le contenu de cette disposition est presque totalement
identique à celui de l’article 8 de la CEDH. Il est intéressant qu’un certain nombre d’aspects de la
notion de vie privée aient été précisés par le constituant lors des travaux parlementaires relatifs à cette
disposition. C’est ainsi que certaines formes de contrôle des travailleurs par les employeurs sont
interdites.54 Il ressort de ce genre d’exemples que le constituant estime que le droit constitutionnel doit
également jouer au niveau de relations horizontales, sans qu’il se soit explicitement prononcé à ce
sujet.
différents codes de conduite. Un « UN Draft Human Rights Guidelines for Companies », rédigé par le professeur américain des
droits de l’homme David Weissbrodt, a été discuté en 2001 par la Sous-commission NU.
52
A ce sujet: VANDE LANOTTE, J., HAECK, Y. e.a., o.c., 186-196, avec réf. Au niveau de la jurisprudence des organes de
Strasbourg, on peut citer plusieurs décisions dans lesquelles les plaintes concernent des violations des droits fondamentaux par
des particuliers. En application de la théorie des obligations positives, l’Etat membre est rendu responsable de telles infractions,
puisqu’il n’a pas rempli son obligation positive de permettre la jouissance d’un droit fondamental.
53
Par ex. « II nous apparaît (...) que l’article 8, paragraphe premier, s’impose aux particuliers comme aux autorités publiques »:
VELU, J., o.c., p.50.
54
Voir les réf. dans VAN LAETHEM, W., DECORTE, T. et BAS, R., Private politiezorg en grondrechten, Leuven,
Universitaire Pers Leuven, 1995, 208-209.
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24
1.3.2.D’importants problèmes subsistent
Ces éléments favorables ne peuvent toutefois pas dissimuler que l’application des dispositions relatives
aux droits de l’homme à des conflits horizontaux pose d’importants problèmes. Le fonctionnement
horizontal mène souvent à un conflit entre droits constitutionnels. C’est ainsi que le refus
d’homosexuels comme enseignants dans les écoles catholiques est défendu du point de vue du droit
constitutionnel au choix de l’école selon ses propres convictions religieuses, mais s’oppose au droit à la
protection contre la discrimination. Il y a également le problème de l’élargissement des motifs de
restriction. Trois motifs de restriction s’appliquent traditionnellement au droit constitutionnel à la vie
privée55, dont l’un porte sur l’exigence de légalité: l’article 8 de la CEDH ne permet une ingérence dans
le droit au respect de la vie privée, de la vie familiale, du domicile et de la correspondance que ‘pour
autant que cette ingérence est prévue par la loi’. Une loi doit par conséquent indiquer qu’une limitation
d’un droit constitutionnel est possible. Cette exigence de légalité n’a toutefois pas été mise à l’ordre du
jour dans l’arrêt belge du 27 février 2001 dans lequel la Cour de cassation semble accepter pour la
première fois le fonctionnement horizontal de la CEDH. Dans l’arrêt, la Cour estime qu’un employeur
– victime de vols – qui installe une caméra cachée dans son magasin ne commet pas en soi une atteinte
illégitime à la vie privée de son travailleur qu’il surprend à voler.56 Selon la Cour, par le placement
d’une caméra, l’employeur fait usage de son droit de contrôle et cela ne constitue pas une atteinte à la
vie privée du travailleur parce que trois conditions ont été respectées: la caméra est placée dans un lieu
accessible au public, l’employeur avait une suspicion légitime qu’un travailleur était impliqué dans les
vols et le but du placement de la caméra était de faire une déclaration à la police. Le placement de la
caméra est une mesure adéquate, utile et non excessive, conclut la Cour de cassation.
Il est frappant que la Cour ne s’arrête qu’aux conditions de légitimité et de proportionnalité. La
troisième exigence, à savoir celle de la transparence et de la légalité, n’est pas examinée, à moins que
l’on considère que le point de vue de la Cour transparaît de la phrase: ‘Que l’article 8, alinéa 2, de la
CEDH n’implique pas que la mesure ainsi prise doit être préalablement annoncée’. Cette réponse, si
c’en est une, est insuffisante. Le principe de légalité régit le domaine du droit constitutionnel à la vie
privée. L’effet de l’article 8 de la CEDH transforme l’adage ce qui n’est pas interdit est autorisé en
sans base légale, pas de limitation de la vie privée possible. La Cour de cassation ne montre d’aucune
manière clairement comment cette exigence constitutionnelle a été respectée en l’espèce. Elle ne dit
nulle part clairement comme l’employeur a satisfait à l’exigence de transparence par son initiative de
placement secret d’une caméra cachée.57 Notre expérience dans les écoles de police nous a appris que
cette jurisprudence relative aux conflits entre citoyens suscite beaucoup de confusion chez les
fonctionnaires de police. Ils ont le sentiment que tout est permis aux citoyens, du moment qu’ils
agissent prudemment; et qu’il ne faut pas qu’il y ait une base légale à toute technique de recherche, ce
qui est erroné.58
55
Les motifs de limitation de l’article 8, alinéa 2 de la CEDH peuvent être brièvement résumés comme suit: une limitation de la
vie privée est autorisée s’il existe une base légale (la transparence ou exigence de légalité), si un objectif légitime comme la lutte
contre la fraude est poursuivi (l’exigence de légitimité) et si la limitation est nécessaire (l’exigence de proportionnalité).
56
Cass; 27 février 2001, Vigiles, 2001, vol. 6, n° 4, 153-157, avec note P. DE HERT, « Droits de l’homme – vie privée –
placement de caméras dans des magasins – personnel ». Voir aussi: DE HERT, P. & GUTWIRTH, S., « Cassatie en geheime
camera’s: meer gaten dan kaas », Panopticon, 2001, 309-318. Le travailleur surpris avait été condamné en première instance et
en appel pour le vol qu’il avait commis sous l’objectif de la caméra cachée. Son employeur avait installé cette caméra sans en
informer son personnel. Il espérait mettre un terme aux vols qui étaient commis dans son magasin. Il avait également eu recours à
des détectives – identifiables et non identifiables.
57
C’est d’autant plus problématique qu’il faut déduire de l’article 53 de la CEDH et de la jurisprudence que la Cour de
Strasbourg qu’il faut accorder une large signification aux droits fondamentaux tandis que les motifs de limitation doivent être
interprétés restrictivement.
58
Ce qui précède doit en outre être lu à la lumière de l’étude sociologique réalisée dans les services de police étrangers dont il
ressort qu’il y a confusion dans ces services entre la définition juridique des tâches policières et les responsabilités et les
définitions données par les fonctionnaires de police eux-mêmes. En réalité, la police oriente les enquêtes pénales et les initiatives
en matière de maintien de l’ordre par sa large marge d’initiative. Il est établi que les fonctionnaires de police et en particulier les
officiers de police ont recours à leur expérience pratique dans leurs activités, mais rarement aux textes de la loi. Le droit est un
point de référence, mais ne semble pas leur commander. Le véritable impératif est l’efficacité, le résultat et dans cette optique le
droit doit provoquer le moins d’obstacles possible au nom de la doctrine policière même.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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25
1.4. GUIDE DE LECTURE SUR LES DROITS DE L’HOMME
–
Les organes de Strasbourg ne disposent pas d’un journal officiel comme cwa Cour, complets, avec
les dissenting opinions, étaient diffusés gratuitement en français et en anglais parmi les personnes
intéressées. Celles-ci recevaient également des communications de la Commission, des
communiqués de presse et d’autres informations de Strasbourg. A la mi-1996, ce formidable
service a été supprimé pour des raisons budgétaires et seuls les communiqués de presse sont
encore diffusés. Les arrêts de la Cour peuvent également être consultés sur Internet
(http://www.echr.coe.int/ )
–
La version anglaise des arrêts de la Cour est publiée intégralement dans la revue European Human
Rights Reports (EHRR), qui consacre chaque année un numéro entier aux décisions de la
Commission.
–
Chaque pays dispose d’un ouvrage de base reprenant la Convention européenne des droits de
l’homme et les organes de cette Convention, et qui comprend une présentation de la plupart des
arrêts et des décisions de la Commission. La France travaille notamment avec le livre de Pettiti59;
l’Angleterre avec ‘le’ Macdonald60; les Pays- Bas ont le ‘Van Dijk en Van Hoof’ en deux
langues61 et, chez nous, on utilise l’ouvrage de base de Velu et Ergec.62 Jusqu’il y a peu, la
Belgique néerlandophone n’avait pas d’ouvrage de base. Le livre publié en 1987 par Rimanque63
reste important mais est dépassé.
Cette situation a pris fin à la parution de la première partie (Algemene Beginselen) d’un ouvrage
néerlandophone en deux tomes sur la CEDH rédigé par des juristes de l’université de Gent.64
L’ouvrage remporte un succès important auprès des étudiants ce qui est on ne peut plus normal vu
la clarté avec laquelle le lecteur est transporté dans cette matière ardue: la présentation des organes
de contrôle, le traitement des plaintes et la procédure suivie (en ce compris les numéros de
téléphones et les adresses!) et l’exécution des arrêts de la Cour dans les Etats membres. Le
particulier qui veut par exemple s’adresser à Strasbourg parce qu’il n’est pas satisfait des services
de police belges trouvera tous les détails dans un chapitre séparé (‘De positie van de particulier’)
qui parle en détail de l’assouplissement du droit de plainte résultant de ce que l’on appelle le
Neuvième protocole à la Convention.65 Un deuxième volet de l’ouvrage traite de thèmes
spécifiques relatifs à la CEDH: la mise en œuvre directe ou non de la Convention dans les Etats
membres; les limitations possibles des droits fondamentaux; le rapport entre la Cour européenne
des droits de l’homme et la Cour de justice de Luxembourg et enfin la relation entre la CEDH et le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoit également un organe de
contrôle permettant au citoyen belge de d’abord tenter d’abord sa chance auprès d’un mécanisme
puis auprès de l’autre (cf. p. 67-68).
59
PETTITI, L.-E., DECAUX, E. et IMBERT, P.-H., La convention européenne des droits de l’homme, Paris, Economica, 1995,
1230p. Egalement: COHEN-JONATHAN, G., La Convention européenne des droits de l’homme, Paris, Economica, 1989, 616p.
60
MACDONALD, R., MATSCHER, F. et PETZOLD, H. (éd.), The European System for the Protection of Human Rights,
Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1993, 940p.
61
VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G., De Europese Conventie in theorie en praktijk, Nijmegen, Ars Aequi Libri, 1990, 587p;
VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G., Theory and Practice of the European Convention on Human Rights, Deventer, Kluwer Law
and Taxation Publishers, 1990, 657p.
62
VELU, J. et ERGEC, R., La convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1990, 1185p. Cet ouvrage a
également été repris comme partie 17 de la revue RPDB, 1990, octobre, 138 et suiv. Egalement: LAMBERT, P., La Convention
européenne des droits de l’homme dans la jurisprudence belge, Bruxelles, Nemesis, 1987, 143p.
63
RIMANQUE, K., De toepassing van het EVRM in de praktijk, Antwerpen, Kluwer rechtswetenschappen, 1987.
64
VANDE LANOTTE, J., HAECK, Y., LATHOUWERS, J., TOBBACK, B. et VAN DE PUTTE, M., Het Europees verdrag
tot bescherming van de rechten van de mens in hoofdlijnen, (Deel 1 Algemene Beginselen), Antwerpen, Maklu, 1997, 293p.
65
Sur ce protocole voyez aussi: JANSSEN- PEVTSCHIN, G., « Le protocole Additionnel n° 9 à la Convention européenne des
Droits de l’Homme », R.T.D.H., 1991, 199-202; HAECK, Y., « Het negende protocol bij het EVRM: een (phyrrhus)overwinning
voor de particuliere klager? », dans ICM-Jaaboek Mensenrechten 1995- 1996, Antwerpen, Maklu, 1996, 31-48.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
http://www.vub.ac.be/LSTS.
26
–
Sur le plan des revues, le lecteur maîtrisant l’anglais trouvera son bonheur dans les chroniques
annuelles de jurisprudence de Bert Swart dans la revue European Journal of Crime, Criminal Law
and Criminal Justice. Le Human Rights Law Journal (HRLJ) et l’European Law Review publient
une sélection d’affaires et des numéros spéciaux.
–
Il ne manque pas de chroniques en français. Outre la rubrique un peu sage mais spécialisée
‘Chronique Internationale’ dans la Revue de science criminelle (RScCrim notamment L.E.
PETTITI) et l’excellente chronique dans L’Actualité juridique-Droit Administratif (AJDA par J.F.
FLAUSS), les revues suivantes publient des chroniques annuelles générales: Revue universelle des
droits de l’homme (RUDH par F. SUDRE, e.a.), La Semaine Juridique (JCP par F. SUDRE),
Journal de droit international fr. (JDI par E. DECAUX et P. TAVERNIER), Journal des
tribunaux de droit européen (JTDE par O. DE SCHUTTER et J. FIERENS), Gazette du palais
(GdP par L.-E. PETTITI), Revue Belge de droit international (RBDI par J. VERHOEVEN et O.
DE SCHUTTER), Recueil Dalloz Sirey (RDS par J.F. RENUCCI).
–
La Revue trimestrielle de droits de l’homme (RTDH) publiée en Belgique publie une sélection des
décisions de la Cour, accompagnée ou non d’un commentaire détaillé.
–
Vigiles, la revue du droit de police, publie presque chaque année et dans les deux langues des
articles reprenant un aperçu de la jurisprudence européenne relative aux droits de l’homme. Dans
le dernier numéro est paru un article de Georges Pyl Violence des autorités et CEDH: un point de
la situation (Vigiles, 2002, n° 3, 42-52).
–
Excellente et indispensable, telle est la sélection des décisions publiée dans un livre et pourvue
d’un bref commentaire par Vincent Berger sous le titre Jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme, paru en 1994 chez Dalloz (Paris). Le professionnel qui veut rapidement arriver
au cœur de l’affaire même (et pas au commentaire d’un auteur) ne peut pas se passer de ce livre.
–
Les néerlandophones sont moins gâtés. Il y a les chroniques de jurisprudence de la revue de la
Ligue néerlandophone des droits de l’homme (Liga nieuwsbrief) et les résumés plus détaillés dans
la rubrique jurisprudence du Nederlandse Juristenblad (NJB). De qualité et de précision inégales:
les chroniques de jurisprudence des cahiers de la revue néerlandaise Ars Aequi (AA).
Indispensable aux néerlandophones: la rubrique de J. SCHOKKENBROEK, J. VAN DER
VELDE, A. HERRINGA et C. STAAL, ainsi que les annotations sur les affaires importantes dans
le NJCM-BULLETIN ou Nederlands Tijdschrift voor de Mensenrechten (NJCM).
–
Modeste mais prometteuse et d’excellente qualité est l’initiative de l’Interuniversitaire Centrum
Mensenrechten de publier sous forme de livre intitulé ‘Mensenrechten’ des Jaarboeken.66
L’initiative veut créer un forum pour tous les organes judiciaires nationaux et internationaux dans
le domaine des droits de l’homme. Chaque numéro publie de la jurisprudence, accompagnée ou
non de notes, de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de justice des
Communautés européennes, de la Cour d’arbitrage, de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat.
Outre la jurisprudence, chaque annuaire comprend également une grosse rubrique de doctrine.
Le Jaarboek 1993 comprend notamment des articles de Berkmoes, Traest, Scheers, Moons,
Winants et Fijnaut, respectivement consacrés à la criminalité organisée, à l’administration de la
preuve, à l’infiltration, aux écoutes, à la procédure accélérée et à la traite des blanches. Le
Jaarboek 1994 contient notamment des articles de De Ruyver et Vander Beken ainsi que de
Lemmens, respectivement consacrés à la confiscation dans une affaire de mafia italienne et à un
contrôle de la légalité dans le cadre de l’extradition.
66
RIMANQUE, K. (réd.), Mensenrechten Jaarboek 1993 van het Interuniversitair Centrum Mensenrechten, Antwerpen, Maklu,
1994, 472p. et Mensenrechten. Jaarboek 1994 van het Interuniversitair Centrum Mensenrechten, Antwerpen, Maklu, 1995,
387p.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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27
–
Spécialement pour la Belgique, soulignons la chronique de jurisprudence de R. ERGEC et A.
SCHAUS, ‘La Convention européenne des droits de l’homme. Examen de jurisprudence 19901994’, publiée dans la Revue critique de jurisprudence Belge (RCJB), 1995, 341-419. A certains
endroits, la jurisprudence européenne est confrontée à des décisions d’organes juridictionnels
belges. Très sommaire, mais rapide, fiable et contenant également de la jurisprudence belge: la
rubrique ‘Rechten van de mens’ dans le Tijdschrift rechtsdocumentatie (TRDr).
–
Le manuel français de la CEDH de Louis-Edmond Pettiti (voir ci-dessus) contient probablement
l’index de littérature le plus complet sur la Convention et la jurisprudence sur la Convention.
Seules les plus grandes bibliothèques universitaires sont encore en mesure d’acquérir cette
production de littérature. Il n’est plus possible de suivre le nombre d’ouvrages en hommage,
généralement publiés à l’occasion de la mise à la retraite d’un juge européen. Compte tenu des
ratifications massives de la Convention par les pays d’Europe de l’est et de l’extension
correspondante du nombre de membres de la Cour, cela devient inquiétant sur le plan financier.
Plutôt modeste est le Liber amicorum Marc- André Eissen publié chez l’éditeur bruxellois
Bruylant.67 Retenons parmi les vingt- sept contributions ‘L’article 3 de la Convention européenne:
une norme relativement absolue ou absolument relative?’ (J. Callewaert), ‘Pour un retour à une
interprétation stricte... du principe de la légalité criminelle’ (R. Koering- Joulin), le
malheureusement très sommaire ‘Quarante ans de Convention européenne pour la Belgique’ (S.
Marcus-Helmons), ‘Réflexions sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
concernant la présomption d’innocence’ (B. REPIK) et le très bon ‘Inhuman treatment by police
officers’ (H. Schermers).
–
La littérature sur la Convention est souvent monotone et uniforme. Des livres presque identiques
sont écrits dans chaque pays. Cela vaut également pour les ouvrages en hommage: toujours les
mêmes auteurs européens sur les mêmes sujets. Une exception intéressante est constituée par
l’ouvrage, paru il y a deux ans, ‘Mensenrechten tussen retoriek en realiteit’ de Stehphan
Parmentier (PARMENTIER, S. (éd.), Mensenrechten tussen retoriek en realiteit, Gent, Mys en
Breesch, 1994, 349p.). L’ouvrage a été rédigé pour commémorer le 40e anniversaire de l’entrée en
vigueur de la CEDH en Belgique. Il contient des articles directement intéressants pour le travail
policier (Smaers, Van Outrive), mais le véritable intérêt de cet ouvrage essentiellement rédigé par
des Belges réside dans la large prospection des domaines sociaux dans lesquels la problématique
des droits de l’homme revêt une actualité (outre la police, l’environnement, la vie privée en
entreprise, etc.) et dans l’accessibilité des contributions historiques et philosophiques (Ost, Raes,
Zwaak, Burgers, etc.). De la littérature sur les droits de l’homme écrite par et pour des personnes
intéressées.
–
Amnesty International a réalisé une encyclopédie on-line sur les droits de l’homme (actuellement
seulement en néerlandais). Ce document, que nous avons beaucoup consulté et utilisé, donne en
quelque sept cents mots clés des informations succinctes sur les droits, les violations, les normes,
les conventions, les organisations internationales, les visions des religions du monde, les régimes
juridiques, les personnes intéressantes et bien d’autres encore. Le droit international des réfugiés
et de l’asile ainsi que les procédures néerlandaises en matière d’asile y sont également reprises.
Les thèmes abordés dans cette encyclopédie ne se limitent pas aux terrains d’action d’Amnesty
International. Le choix des thèmes, le contenu et les points de vue développés dans cette
encyclopédie ne sont pas d’Amnesty International, mais de son concepteur, Daan Bronkhorst
(http://www.amnesty.nl/overamnesty_encyclopedie.shtml).
67
Liber amicorum Marc-André Eissen, Bruxelles, Bruylant, 1995, 487p.
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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CHAPITRE 2
LE DROIT FONDAMENTAL
À LA VIE PRIVÉE
Paul De Hert
2.1. ORIGINE
2.1.1.La vie privée existait-elle par le passé?
Dans le premier chapitre consacré aux droits fondamentaux, nous avons situé l’apparition de l’idée
moderne des droits fondamentaux dans le prolongement de l’œuvre du philosophe anglo-américain
John Locke qui utilisa les termes de droits de l’homme pour la première fois en 1690 (Rights of Man).
Un siècle plus tard, débutèrent les premières codifications de droits fondamentaux telles que nous les
connaissons aujourd’hui (cf. Déclaration d’indépendance américaine (1776) et Déclaration française
des droits de l’homme (1789)).
Il est frappant que la vie privée n’apparaisse pas dans ces codifications. La vie privée n’apparaît que
tardivement dans le droit (public) et dans les conventions internationales, en l’occurrence au vingtième
siècle.
Il ne faut pas seulement en chercher la raison dans le droit ou dans la reconnaissance juridique de la vie
privée, mais aussi dans la vie privée elle-même. La vie privée diffère selon les époques et n’est donc
pas une donnée naturelle dont les hommes sont pourvus depuis la nuit des temps. La vie privée est au
contraire une question d’époque. Des analyses cross-time montrent que la vie privée revêt des formes
très différentes à travers le temps et que la notion actuelle de vie privée est finalement assez récente.68
C’est ainsi que dans l’antiquité gréco-romaine, le privé est perçu négativement. Les personnes qui se
retirent dans la sphère privée (dans la sphère de ‘privation’) ne valent pas mieux qu’un esclave sans
influence sur la chose publique. C’est cette dernière qui prédomine. Aucune dignité personnelle ou
respect de soi ne peut être atteinte sans fonctions et responsabilités publiques. Les anciens Grecs
utilisaient une distinction entre, d’une part, la sphère de la polis qui était ouverte à tous les citoyens
libres et, d’autre part, la sphère propre du citoyen. Cette séparation des sphères correspondait plus ou
moins à la distinction entre, d’une part, l’homme en tant qu’être naturel et, d’autre part, l’homme en
tant qu’être rationnel.69
68
GUTWIRTH, S., Privacyvrijheid! De vrijheid om zichzelf te zijn, Den Haag, Rathenau Instituut, 1998, 30-40. Voir aussi
BLOK, P., Het grondrecht op de bescherming van de persoonlijke levenssfeer, thèse défendue à l’Universiteit van Tilburg, 2002,
chapitre 9. Tous deux renvoient à Histoire de la vie privée, sous la direction de ARIES, P. & DUBY, G., Paris, Seuil, 5 volumes:
Vol. 1: De l’empire romain à l’an mil, sous la direction de VEYNE, P., oct. 1985, 636 p.; Vol. 2: De l’Europe féodale à la
Renaissance, sous la direction de DUBY, G., déc. 1985, 636 p.; Vol. 3: De la Renaissance aux Lumières, sous la direction de
CHARTIER, R., nov. 1986, 636 p.; Vol. 4: De la Révolution à la Grande Guerre, sous la direction de PERROT, M., nov. 1987,
637 p. et Vol.5: De la Première Guerre mondiale à nos jours, sous la direction de PROST, A. & VINCENT, G., nov. 1987, 635
p. Voir aussi: ELIAS, N., Het civilisatieproces. Sociogenetische en psychogenetische onderzoekingen, Utrecht, Spectrum-Aula
paperback 148, 1987, 753 p.
69
ARENDT, H., The Human Condition, Chicago/Londen: University of Chicago Press 1958. Blok renvoie également à
HABERMAS, J. 1962; MOORE, B., Privacy. Studies in Social and Cultural History. New York / London: M.E. Sharpe Inc.,
1984, p. 81 et suiv.; Voir BOBBIO, N., « The Great Dichotomy: Public/Private », dans: BOBBIO, N., Democracy and
Dictatorship: The Nature and Limits of State Power, Oxford, Polity Press 1989, 1-21. La sphère privée était le domaine des
pulsions et des besoins naturels, dont la reproduction et l’alimentation. Le ménage était axé sur la satisfaction de ces besoins. La
sphère publique ou politique était la sphère de la rationalité et de la liberté. Dans cette sphère, le citoyen libre pourrait se libérer
de ses pulsions animales et développer sa nature rationnelle dans un débat libre avec ses semblables. On retrouve une telle
définition de la distinction privé-public dans le droit romain. La distinction entre le dominium du maître de maison sur sa sphère
privée et l’imperium de l’Etat à l’égard de la res publica constitue une des base du droit romain. Pour un commentaire critique de
cette interprétation de l’histoire que l’œuvre de Arendt a principalement fait connaître: SWANSON, J.A., The Public and the
Private in Aristotle’s Political Philosophy, Cornell University Press 1992.
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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Au Moyen Age, l’image était différente. La fragmentation féodale de l’autorité impliquait une structure
de l’autorité dans laquelle l’administration par le seigneur du château fort constituait le point central.
Le seigneur constituait sa cour de fidèles (chevaliers) qui étaient pour ainsi dire intégrés à sa famille.
Dans les couches supérieures de la société d’alors, l’individu fait partie d’un groupe dans lequel le
caractère public et privé des actes coïncide. Mais le reste de la population est également incorporé dans
la structure féodale. Le régime du servage implique que le seigneur et sa suite disposent à leur guise de
la vie des personnes. L’origine détermine l’inféodation, l’inféodation détermine le rôle. Dans la
féodalité, il n’y a que peu de place pour le privé, pour la raison paradoxale que tout pouvoir y est privé.
Il n’y a pas d’espace public où on se concerte sur l’intérêt général ou où l’on gère. La convivialité, la
communauté et la promiscuité rendent l’individu suspect.
La notion occidentale actuelle de vie privée n’est pas seulement relative dans la perspective historique,
elle l’est également à l’égard d’autres cultures. L’individu avec sa liberté, sa vie privée et sa propriété
ne sont pas mis sur un piédestal partout dans le monde. Cela ressort nettement de l’analyse crosscultural. Tant en Afrique noire, dans le monde islamique, bouddhique ou hindouiste qu’au Japon ou en
Chine, la vie privée est parfois conçue d’une manière différente, très différente parfois. Nous avons
ainsi vu dans le premier chapitre que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ne fait
notamment pas mention de la vie privée. Certains courants du monde islamique sont également très
prudents avec une notion comme la vie privée.
2.1.2.La vie privée en Occident
La vie privée n’a donc pas de signification univoque. Ce n’est pas une ‘chose’ tangible à laquelle
renvoie la notion. Il n’y a pas d’espace délimité qui y correspond. Il n’y a pas de sphère d’activités
humaines qui représente la sphère privée. La vie privée n’est pas une donnée naturelle ou une partie de
la réalité. Elle n’est ni séculaire ni universelle et n’a pas les mêmes conséquences dans toutes les
situations... La vie privée n’existe donc que dans un contexte, la vie privée est relative. La notion n’a de
signification que par une référence à un ensemble complexe de paramètres dont elle dépend. Sans
repères sociaux, institutionnels, étatiques, culturels, religieux, historiques, épistémologiques et
situationnels, on ne peut pas en faire grand-chose.
La vie privée ne fait pas toujours ni partout partie des valeurs de base. Il y a moins de vie privée là où
les comportements traditionnels et les structures de groupe sont prédominants; où les devoirs de
l’individu priment ses droits; ou encore où la Gemeinschaft prend le pas sur la Gesellschaft. Il y a
également moins de vie privée si le pouvoir étatique est totalitaire, despotique ou s’il est l’affaire
personnelle de quelques-uns. Enfin, il y a moins d’espace pour la vie privée si les valeurs de la société
ne sont pas sujettes à discussion mais que, pour des raisons religieuses, politiques ou épistémologiques,
elles sont une donnée qui peut et doit être imposée.
Dans ses écrits comme Principes de politique applicable à tous les gouvernements (1806-1810) et De
la liberté des anciens comparés à celle des modernes (1819), le penseur suisse Benjamin Constant fut
l’un des premiers à formuler une déclaration en faveur de l’émergence de la vie privée en Occident.70
En fin de compte, Constant argumente que l’antique liberté qui consistait à participer activement à la
vie politique des (petites) cités grecques et romaines, ne peut plus être réalisée dans la nouvelle réalité
des grands Etats nations et du commerce mondial tel qu’il est apparu aux dix-septième et dix-huitième
siècles. En lieu et place, la liberté moderne de développement qui consiste en l’indépendance
individuelle et en une jouissance paisible des possibilités sociales et économiques offertes par la société
moderne.
Blok souligne également l’importance du Romantisme avec sa mise en valeur du naturel dans
70
CONSTANT, B., Principes de politique applicable à tous les gouvernements, (1806-1810), HOFMANN, E. (éd.), Hachette,
Paris, 1997, 447p.; CONSTANT, B., De la liberté des anciens comparés à celle des modernes, Discours prononcé à l’Athénée
royal de Paris, (1819), dans HARPAZ, E. (éd.), De l’esprit de conquête et de l’usurpation de B. Constant, (1814), Paris,
Flammarion, 1986, 265-292.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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l’homme, en réaction à l’apologie de la raison pendant les Lumières.71 Les romantiques, et leur
précurseur Rousseau, admiraient les sentiments authentiques et les émotions créatives de l’homme
naturel et voulaient revenir à la nature. Ils voyaient la société civile comme une dégénérescence de la
bonté naturelle de l’homme. La famille comme unité naturelle habitant dans sa propre ferme dans la
campagne apparaît donc comme une image idéale dans l’œuvre de nombre de romantiques. C’est cette
conception positive de la sphère privée de la maison et de la famille qui est à la base de la notion de vie
privée telle quelle est utilisée en droit contemporain.
La notion occidentale usuelle de vie privée trouve donc ses racines dans l’Etat de droit démocratique
moderne, l’individualisme et le romantisme, le libéralisme philosophique politique et la sécularisation.
Elle est fortement liée à l’idée que des individus peuvent et veulent prendre leurs distances avec les
traditions, les habitudes, les religions et les relations de groupe. Ils veulent pouvoir se comporter
librement du moins jusqu’à un certain niveau par rapport à leurs racines et au contexte dans lequel ils
évoluent (se développent). La vie privée est également un concept de base d’un système social
‘polyphonique’ qui veut garantir tant l’intérêt général et la cohésion sociale que la liberté individuelle
et la diversité.72 Le public et le privé doivent pouvoir coexister souplement sans toutefois se chevaucher
totalement. Il faut non seulement une scène publique sur laquelle la chose sociale peut être débattue et
sur laquelle la volonté de tous les citoyens se manifeste; il faut également qu’il y ait de la vie privée
permettant à ces mêmes citoyens de donner forme à leur personnalité et à leur liberté. L’articulation et
la modulation des deux sphères sont un processus permanent qui doit indiquer les limites du
chevauchement dans toute circonstance, de manière contextuelle donc.
2.1.3.L’avènement de la vie privée dans le droit du vingtième
siècle
Ce n’est qu’au vingtième siècle que la vie privée fait son apparition dans le droit (public) et dans les
conventions internationales. Ce n’est pas un hasard et c’est notamment à mettre en rapport avec un
changement de la pensée relative aux droits fondamentaux au vingtième siècle.73 Précédemment, les
droits fondamentaux étaient des droits à la vie en tant qu’être humain; aujourd’hui, ce sont plutôt des
droits des êtres humains au développement. La vie privée est surtout importante dans cette deuxième
perspective. Le droit existait déjà précédemment, mais uniquement dans les relations privées. Ce n’est
que par la suite qu’il allait faire son entrée dans le droit constitutionnel et pouvoir être invoqué dans les
relations entre l’autorité et le citoyen.74 A cet égard, un des facteurs fut la disparition du consensus
moral suite à la sécularisation de la société.75 Plusieurs religions doivent désormais coexister dans la
même société, et accepter qu’un phénomène comme la libre-pensée se développe. Le concept de ‘vie
privée’ doit permettre cette diversité en laissant à chacun un droit à ses propres choix.76 Cette fonction
confère au concept une position élevée dans l’Etat de droit. A côté et en même temps que cette
déchristianisation, il y a le facteur de l’accroissement d’échelle. La société moderne revêt un caractère
massif, dans lequel les groupements traditionnels éclatent et les mass media font chaque jour des
révélations et des déclarations tapageuses. De nouvelles techniques et de nouvelles méthodes
statistiques (traduites dans l’utilisation de profils) sont présentes de manière contraignante, déterminent
71
BLOK, P., o.c., chapitre 9.
GUTWIRTH, S., « De polyfonie van de democratische rechtsstaat » in ELCHARDUS, M., (réd.), Wantrouwen en onbehagen,
Balans 14, Bruxelles, VUBPress, 1998, 137-193.
73
KAYSER, P., La protection de la vie privée, Aix-en- Provence et Paris, Presses Universitaires d’Aix-Marseille et Economica,
1990, deuxième édition, 8.
74
La vie privée est donc un droit de l’homme ‘récent’. Pourtant, il est pour KAYSER la liberté la plus ancienne et la plus
importante. Le droit canonique, par exemple, avait une conception si absolue de la liberté de se marier que la validité du mariage
de mineurs n’a jamais été soumise à l’autorisation des parents (KAYSER, P., o.c., 7).
75
RIGAUX, F., La protection de la vie privée et des autres biens de la personnalité, Bruxelles, Bruylant, 1990, 12.
76
Voir aussi RIGAUX, F., o.c., 647.
72
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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nos choix, et créent un schéma comportemental déterminé.77 A l’égard de toutes ces possibilités,
l’homme ressent une crainte que les autres ‘disposent’ de lui et il ressent en même temps un désir, celui
de disposer lui-même et d’être maître de ses propres conditions d’existence dans une société
déchristianisée. Le droit à la vie privée en tant que spécification du droit à disposer de soi-même donne
forme à cette crainte et à ce désir.78
2.2. LA VALEUR DU DROIT FONDAMENTAL RESSORT DE
L’EXISTENCE DE NOMBREUSES LOIS
2.2.1.Le droit fondamental est soutenu par d’autres droits
fondamentaux
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1er, on ne trouvait, avant 1994, aucune disposition dans le
droit belge qui prévoyait un droit général à la protection de la vie privée. Depuis 1955, cette lacune
constitutionnelle a été comblée en faisant appel à l’article 8 de la Convention européenne qui a un effet
direct dans l’ordre juridique belge.
Tout ceci ne veut toutefois pas dire que, avant 1994 (ou avant 1955), la Belgique était un désert
juridique dans le domaine de la vie privée. Des aspects fragmentaires et limités de la vie privée étaient
protégés via d’autres dispositions constitutionnelles et via la législation ordinaire (nous reviendrons sur
ce dernier point).
C’est ainsi que la Constitution initiale de 1831 comprenait, dans le chapitre consacré aux droits et
libertés fondamentaux, des dispositions spécifiques prévoyant l’inviolabilité du domicile (art. 10
Const.) et de la correspondance (art. 22 Const.). Ces dispositions ont déjà été commentées dans le
chapitre 1er. Les droits fondamentaux comme le droit à l’intégrité physique et morale et l’interdiction
de la discrimination renforcent également certains aspects de la vie privée.79 Enfin, l’article 7 de
l’ancienne Constitution est également intéressant pour la vie privée (art. 12 de la Const. actuelle): « La
liberté individuelle est garantie. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans
la forme qu’elle prescrit. Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de
l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans
les vingt-quatre heures. » Cette disposition exprime l’idée de légalité en cas d’arrestation et indique
qu’une loi doit préciser comment l’autorité peut procéder à des arrestations. La première phrase de la
disposition stipule que la liberté est garantie. Cela pourrait être une disposition constitutionnelle très
large (qui va au-delà de la vie privée), mais dans la pratique cette règle est interprétée très
respectivement par la jurisprudence et elle est axée sur la détention préventive. Dans cette
interprétation, il découle de l’article 7 de la Constitution que seule la phase de la détention préventive
doit être régie par la loi.
On peut encore mentionner d’autres droits fondamentaux intéressants pour la vie privée. C’est ainsi que
la protection des données criminelles dans le droit américain n’est pas (seulement) basée sur le droit à
la vie privée, mais aussi sur des principes constitutionnels tels que non bis in idem, l’interdiction de la
cruauté et des peines spéciales et le due process.80
77
L’Allemagne était en retard sur cette évolution historique. « Dans un Etat qui n’était que très partiellement démocratique, les
moyens de communications de masse pratiquaient l’autocensure et les risques d’atteinte à la vie privée étaient atténués »
(RIGAUX, F., La vie privée. Une liberté parmi les autres?, Bruxelles, Larcier, 1992, 128).
78
VELAERS, J., « Het menselijk lichaam en de grondrechten », dans Over zichzelf beschikken? Juridische en ethische
bijdragen over het leven, het lichaam en de dood, Antwerpen, Maklu, 1996, 120.
79
DELARUE, R., « Bescherming van de privacy in de onderneming en de begrenzing van de patronale prerogatieven »,
Soc.Kron., 1992, 4, 133.
80
ETZIONI, A., The Limits of Privacy, New York: Basic Books 1999, 56-58.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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2.2.2.Le droit fondamental est soutenu par des lois de droit
pénal
La vie privée et d’autres dispositions constitutionnelles comme celle sur le secret des lettres et de
l’habitation sont développées dans certaines dispositions du Code pénal et du Code d’instruction
criminelle. C’est ainsi que le domicile et le secret des lettres sont protégés via les incriminations
relatives à la visite domiciliaire illégale (art. 148 du Code pénal), à la violation du domicile (art. 439
et seq. du Code pénal) et au secret des lettres (art. 460 et 460bis du Code pénal).81 On peut également
renvoyer dans ce cadre à la procédure stricte applicable aux visites domiciliaires et aux moments où
celles-ci peuvent avoir lieu.82 Ces dispositions ont subsisté après 1994 et se trouvent donc toujours dans
les codes précités. La formulation d’une nouvelle disposition sur la vie privée ne rend nullement ces
dispositions superflues. Au contraire, on peut dire que ces dispositions développent, précisent ou
encadrent le droit fondamental.
D’autres dispositions du droit pénal recouvrent également des parties du domaine de la vie privée.
Nous pensons ici aux incriminations des atteintes (physiques) et des atteintes à l’honneur et à la
considération des personnes (art. 443 et seq. du Code pénal) et tout spécialement aux infractions de
calomnie et de diffamation. Le secret professionnel (art. 458 du Code pénal) imposé à certains
professionnels vise également la protection des informations confidentielles qui leur sont confiées.83 De
plus, une protection de la vie privée est également assurée par les dispositions pénales de la loi du
13 octobre 1930 concernant la télégraphie et la téléphonie avec fil84 et celle relative aux
radiocommunications dont on peut dire de manière générale qu’elles tendent à la protection du secret
des communications.85 Après une petite modification en 1991, cette loi devait être abrogée par une loi
de 1994 qui inséra la protection du secret des communications et des télécommunications dans le Code
pénal, plus précisément dans les articles 259bis et 314bis du Code pénal.86
On peut encore mentionner d’autres dispositions pénales intéressantes pour la vie privée. C’est ainsi
que le Code pénal a été profondément actualisé par la loi du 28 novembre 2000 en vue de lutter contre
la criminalité informatique. Soulignons particulièrement l’incrimination du hacking (article 550bis du
Code pénal). Ces nouvelles incriminations ont notamment été rendues nécessaires par ReDaTtAcK qui
81
La protection pénale du secret des lettres a été complétée par les art. 28 et seq. de la loi du 26 décembre 1956 sur le service des
postes, M.B., 30-31 décembre 1956, 8620. Voir à ce sujet VELU, J., Les effets directs des instruments internationaux en matière
de droits de l’homme, Bruxelles, Swinnen – Prolegomena, 1982, 6- 37.
82
Art. 16, 36-39, 87-90 C.I.Cr. et la loi du 7 juillet 1969 fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions
ou visites domiciliaires, F.B.W., Larcier – Bruylant, V.12. Sur la visite domiciliaire voir not. DE NAUW, A., « Recente
tendenzen in het onderzoek in strafzaken », Panopticon, 1988, 228-233.
83
Voir notamment: GUTWIRTH, S., « Beroepsgeheim en informaticacriminaliteit » dans Informaticacriminaliteit, DE
SCHUTTER, B. (Ed.), Kluwer, Antwerpen, 1988, 205-225.
84
En vertu de cette loi, l’interception, la dissimulation, la communication et l’écoute de communications téléphoniques et
télégraphiques sont sanctionnées; articles 17-20 loi du 13 octobre 1930 coordonnant les différentes dispositions législatives
concernant la télégraphie et la téléphonie avec fil, Verz. Wett. Besl., 1930, n° 342, 3352-3555. Sur la problématique des écoutes,
voir la troisième partie de notre article. Voir aussi not. in GULDIX, E, « Schending van de privacy door afluistering »,
Rechtskundig Weekblad., 1983-84, 2112-2119, note sous Corr. Turnhout, 24 mai 1983; GULDIX, E., o.c., 460; LEMMENS, P.,
« Het afluisteren van telefoongesprekken en het registreren van uitgaande en binnenkomende oproepen », Rechtskundig
Weekblad, 1984-85, 1735-1739. Pour les réglementations internationale et étrangère des écoutes, on consultera également
RIGAUX, F., o.c., 191-208. En ce qui concerne la période précédant l’insertion d’un nouvel art. 88 bis C.I.Cr: DE NAUW, A.,
« Het afluisteren van telefoongesprekken op bevel van de onderzoeksrechter », Rechtskundig Weekblad, 1982-83. Pour la France:
BLONTROCK, P. et DE HERT, P., « Telefoonaftap: Tournet, Peureux, Derrien, Hüvig, Kruslin et les autres », Rechtskundig
Weekblad, 1991- 92, 865-871.
85
La loi du 30 juillet 1979 relative aux radiocommunications, M.B., 3 août 1979, 9463 (infra, partie III). Voir not. GULDIX, E,
« Schending van de privacy door afluistering », Rechtskundig Weekblad, 1983-84, 2112-2119, note sous Corr. Turnhout, 24 mai
1983; POELMANS, P., « Telecommunicatie: Belgische toestanden » dans DE SCHUTTER, B., (éd.), Informaticacriminaliteit,
Reeks Informatica en Recht, n° 7, Kluwer Rechtswetenschappen, Antwerpen, 1987, 724-725.
86
Infra. La loi du 30 juin 1994 relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et
l’enregistrement de communications et de télécommunications privées insère de nouvelles dispositions dans le Code pénal et
dans le Code d’instruction criminelle. Elle règle également la commercialisation et le placement d’appareils d’écoute, de prise de
connaissance et d’enregistrement. La loi compte quatorze dispositions. La disposition la plus connue concerne la compétence du
juge d’instruction de procéder à des écoutes. Nous y reviendrons ultérieurement.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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33
avait dit à plusieurs reprises que la législation belge n’offrait aucune protection à la ‘vie privée’.
2.2.3.D’autres lois et domaines juridiques soutiennent
également le droit fondamental
Outre ces dispositions pénales, d’autres branches du droit proposent également des réglementations
touchant à des aspects de la protection de la vie privée. C’est le cas dans la procédure pénale87, le droit
civil88, le droit judiciaire89, le droit fiscal90, le droit d’auteur91, le droit relatif à la protection des
données à caractère personnel92 et le droit du travail. Ce dernier domaine juridique sera commenté
séparément ci-dessous.
En ce qui concerne le droit civil, il faut souligner plus spécialement l’importance de l’article 1382 du
Code civil (C.C.). Un travailleur ou toute autre personne dont une composante de la vie privée a été
violée peut invoquer l’article 1382 du Code civil. Dans un différend judiciaire, on peut en outre ne pas
utiliser les éléments de preuve recueillis ainsi. Toute atteinte à la vie privée peut à certaines conditions
être considérée comme une faute extra-contractuelle, qui permet de poursuivre ‘l’auteur’ en
dommages-intérêts. Il faut alors apporter la preuve du dommage, de la faute et du lien de causalité entre
les deux. Si la preuve est apportée, la personne (par ex. un travailleur) peut choisir entre les formes
connues de réparation du dommage: l’indemnité financière, la saisie, la désignation d’un séquestre et
l’interdiction de publication ou de diffusion, la suppression, la correction et la destruction. Le respect
de ces mesures peut être garanti par une astreinte qui peut être infligée tant par le juge en référés que
par le juge du fond.93
On trouve également des dispositions relatives à la vie privée dans de nombreuses lois spéciales. Nous
pensons notamment à la loi sur les entreprises de gardiennage.94 L’article 8 de cette loi stipule très
clairement que nul ne peut être l’objet d’une surveillance ou protection, sans y avoir donné son
consentement exprès. On peut également penser à la loi sur les détectives privés.95 Initialement, cette
loi contenait un article 5 qui interdisait aux détectives privés « d’espionner ou de faire espionner ou de
prendre ou de faire prendre intentionnellement des vues de personnes qui se trouvent dans des lieux
non accessibles au public, à l’aide d’un appareil quelconque, sans que le gestionnaire du lieu et les
personnes concernées aient donné leur consentement à cette fin ».96 La portée de cette disposition qui a
été modifiée par la suite est exposée au Titre V, chapitre III du manuel.
2.3. LA VIE PRIVÉE EST DE PLUS EN PLUS IMPORTANTE DANS LE
87
Art. 156, 322, 615 à 618 C.I.Cr.
Voir not. aussi les art. 215 et 218 du Code civil (C.C.) en ce qui concerne le domicile conjugal. Ainsi que les art. 657 à 680.
La théorie de l’acte illégal (art. 1382 C.C.) peut également être invoquée lorsqu’il est porté atteinte à la vie privée d’un
justiciable.
89
Par ex. article 1270 C. Jud. relatif à l’interdiction de la publication des débats dans les affaires de divorce. Ainsi que: 878, 882,
931 C. Jud.
90
Ex. article 244 C.I.R. relatif au secret professionnel des personnes concernées par l’application des lois fiscales.
91
Ex. l’art. 20 Loi sur le droit d’auteur réglemente la matière du portrait en interdisant à son auteur ou propriétaire de le diffuser
(reproductions) ou de l’exposer sans autorisation de la personne représentée. Voir à ce sujet in VOORHOOF, D., « Het recht op
afbeelding en de toestemming van de geportretteerde », Rechtskundig Weekblad, 1986- 87, 2386-2389. Sur cette possibilité et
d’autres contenues dans le droit d’auteur en vue de la protection de la vie privée, voir not. CORBET, J., « Middelen uit het
auteursrecht » dans Privacy en rechten van de mens, Leuven, ACCO, 1974, 123-134.
92
Nous reviendrons séparément sur ce dernier point dans le chapitre trois.
93
Cf. DE HERT, P. et GUTWIRTH, S., « Controletechnieken op de werkplaats: een stand van zaken », Oriëntatie, 1993, n° 4,
100-109 avec réf.
94
Loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, les entreprises de sécurité et les services internes de gardiennage,
M.B., 29 mai 1990.
95
Loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé, M.B., 2 octobre 1991.
96
Art. 5 modifié par art. 5 Loi 30 décembre 1996 modifiant la Loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé,
M.B., 14 février 1997.
88
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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34
DROIT DU TRAVAIL
2.3.1.Formes directes de protection de la vie privée des
travailleurs
Une des manières dont la protection de la vie privée du travailleur est réalisée consiste à instaurer des
séparations entre le travail et la vie privée. Une convention collective de travail relative au travail de
nuit a donc incontestablement une dimension protectrice de la vie privée.97 On peut toutefois souligner
des formes plus directes de protection de la vie privée, à savoir le fait de soumettre les relations entre le
travailleur et l’employeur à certaines règles du jeu. Il est par exemple interdit à l’employeur
d’interroger une candidate sur une possible grossesse.98 Les questions relatives à la vie privée du
candidat lors d’une procédure de sélection ne sont justifiées que si elles sont pertinentes pour la
fonction concernée.99 Le droit à la vie privée du candidat a fait l’objet de la ‘Charte du demandeur
d’emploi’ déposée le 23 octobre 1990 par le ministre flamand de l’Emploi. Cette charte prévoit
également un droit de consulter son propre dossier et la possibilité d’adresser des plaintes à un service
de médiation. La charte n’a toutefois pas de caractère juridique contraignant et ne remporte donc pas
beaucoup de succès (ne vaut de plus que pour la Flandre). Le 11 mars 1992, l’Exécutif flamand a
décidé de donner forme décrétale à la charte dans un avenir proche, ce qui en accroîtrait la force
contraignante.100
La vie privée ne s’arrête pas à la signature du contrat: toute clause stipulant que le mariage, la maternité
ou le fait d’atteindre l’âge légal ou conventionnel de la pension met fin au contrat est nulle en vertu de
la loi.101 Le législateur ne peut en principe infliger de sanctions disciplinaires que pour des faits dans
l’exécution du contrat de travail.102 Les articles 6, alinéa 2 et 5 de la Loi instituant les règlements de
travail relatifs aux mentions obligatoires devant figurer dans le règlement de travail, limitent également
la marge de manœuvre de l’employeur en ce qui concerne la vie privée du travailleur.
Les travailleurs ont également des obligations en matière de vie privée: ils doivent s’abstenir, au cours
du contrat et après la cessation de celui- ci, de divulguer des secrets relatifs à toute affaire à caractère
personnel ou confidentiel dont ils auraient eu connaissance dans l’exercice de leur activité
professionnelle.103
97
SPAEY, R. et SWENNEN, R., « De collectieve arbeidsovereenkomst nr. 46 inzake nachtarbeid en ploegenarbeid met
nachtprestaties », Soc. Kron., 1990, 8, 277 et suiv.
98
Ceci en vertu de l’article 125, alinéa 2°3 de la Loi du 4 août 1978 qui interdit toute discrimination sexuelle lors de
l’engagement; Cour du travail Liège, 8 novembre 1991, Soc. Kron., 1992, 122.
99
Cf. l’art. 11 – non rendu contraignant ou normatif mais obligatoire – de la C.C.T. n° 38 du 6 décembre 1983 conclue au sein
du Conseil national du travail, M.B., 28 juillet 1984. Sur cette problématique: OVERSTEYNS, B., « Recht op informatie van
werkgever, recht op privacy van sollicitant », Or., 1988, 178-186; RAUWS, W. et SCHYVENS, H., « De bescherming van
werknemersgrondrechten binnen de individuele arbeidsverhouding », dans De toepasselijkheid van de grondrechten in private
verhoudingen, RIMANQUE, K., Antwerpen, Kluwer, 1982, 218- 222.
100
« Charter van Werkzoekende is geen suksesnummer », De Morgen, 13 mai 1992, 3.
101
Cf. article 36 de la Loi sur les contrats de travail en vertu duquel sont nulles les clauses prevoyant que le mariage, la
maternité ou le fait d’avoir atteint l’âge de la pension légale ou conventionnelle mettent fin au contrat. On trouve une garantie
parallèle dans l’A.R. du 11 octobre 1991 déterminant les modalités de l’exercice du droit à un congé pour raisons impérieuses,
M.B., 6 décembre 1991. Il y a également lieu de rappeler ici que l’art. 11 – non rendu contraignant ou normatif mais obligatoire –
de la C.C.T. n° 38 du 6 décembre 1983 conclue au sein du Conseil national du travail qui stipule que la vie privée du candidat
doit être respectée lors de la procédure de sélection: des questions à ce sujet ne se justifient que si elles sont pertinentes pour la
fonction concernée.
102
PETIT, J., « Tuchtrecht in de onderneming », Oriëntatie, novembre 1985, 212.
103
Cf. article 17, alinéa 3 de la loi relative aux contrats de travail; à ce sujet GUTWIRTH, S., « De Wet op de
Arbeidsovereenkomsten en informaticacriminaliteit », dans Informaticacriminaliteit, DE SCHUTTER, B. (Ed.), Kluwer,
Antwerpen, 1988, 425-455; HERMAN, J., « Goede trouw van de werknemer bij de uitvoering van de arbeidsovereenkomst:
discretieplicht en concurrentieverbod », Or., novembre 1988, 221.
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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35
2.3.2.Une tendance de normes ouvertes comme réglementations
spécifiques
La protection du droit à la vie privée dans les relations de travail est également déterminée par ce que
l’on appelle les normes ouvertes du droit privé (par ex. l’obligation d’agir correctement, de bonne foi,
etc.), pour lesquelles on trouve très souvent un fondement juridique dans le droit du travail. C’est ainsi
que ‘l’obligation de bonne foi’ fait l’objet de l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats
de travail qui stipule que l’employeur et le travailleur se doivent le respect et des égards mutuels. Cette
disposition de sur la bonne foi va souvent de pair avec l’obligation pour l’employeur de ne pas chercher
à porter atteinte aux droits fondamentaux (notamment la vie privée) du travailleur. A l’opposé, on
trouve le droit d’ordonner de l’employeur: l’article 17 alinéa 2 de la même loi de 1978 oblige le
travailleur à agir conformément aux ordres et aux instructions qui lui sont donnés en vue de l’exécution
du contrat. Chaque fois qu’un nouveau problème (non réglementé) de droit privé se pose, il faut
notamment rechercher dans quelle mesure la bonne foi, la loyauté et le droit d’ordonner s’opposent à
une solution déterminée du problème.
Une tendance marquée des dernières années consiste toutefois à expliciter ces normes ouvertes dans
des conventions collectives de travail spécifiques. Ces instruments juridiques sont contraignants pour
les parties contractantes. Dans certains cas, elles sont rendues ‘obligatoires’ par le ministre compétent
et publiées au Moniteur belge. Dans ce cas, l’accord engage également les employeurs et les
travailleurs qui n’étaient pas représentés lors des négociations sur la convention. Les CCT sont soit
sectorielles, soit générales. Nous en examinerons trois.
2.3.3.La vie privée et les entreprises de pompes funèbres
Le Moniteur du 18 mars 2000 a publié l’arrêté royal du 7 décembre 1999 rendant obligatoire la
convention collective de travail du 19 juin 1995, conclue au sein de la Commission paritaire des
pompes funèbres, concernant les travailleurs séropositifs.
Cette convention collective est applicable aux employeurs et aux travailleurs qui ressortent à la
commission paritaire des pompes funèbres et on entend par travailleurs tant les ouvriers que les
employés, masculins et féminins.
Cette brève CCT rappelle l’importance fondamentale du respect de la vie privée et le besoin de garantir
ce droit dans les relations sociales entre employeurs et travailleurs. Les partenaires sociaux considèrent
qu’il est important de maintenir une personne séropositive dans son emploi.
Concrètement, cela se traduit par l’accord selon lequel la séropositivité ne peut donner lieu à un
traitement discriminatoire par les employeurs (art. 4). Un travailleur séropositif se verra, si possible,
offrir un travail approprié au sein de l’entreprise (art. 4) et l’(les) organisation(s) d’employeurs et de
travailleurs mettra(ont) en œuvre des moyens concrets en vue de ne pas discriminer des travailleurs
séropositifs dans l’exercice quotidien de leur tâche professionnelle (art. 6).
Le cœur de la convention est à notre avis constitué par deux engagements fermes des employeurs.
Primo, en dehors des cas prévus par la loi, les employeurs ne feront pas pratiquer de test en cours
d’exécution du contrat de travail dont le résultat permet d’établir ou de suspecter la séropositivité d’un
travailleur (art. 5). Secundo, les travailleurs ne peuvent être licenciés en raison de leur séropositivité
(art. 7).
2.3.4.La vie privée et la surveillance par caméra des
travailleurs
Le Conseil national du travail a adopté en 1998 une CCT relative à la protection de la vie privée des
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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travailleurs à l’égard de la surveillance par caméras sur le lieu du travail.104 Cette CCT qui est
commentée en détail dans le Titre V, Chapitre III, n’autorise le fait de filmer des travailleurs que dans
le but d’atteindre un des objectifs suivants:
– la sécurité et la santé;
– la protection des biens de l’entreprise;
– le contrôle du processus de production.105
– le contrôle du travail du travailleur conformément à l’article 9, § 2.
On soulignera l’importance accordée par la CCT à la différence entre surveillance par caméras
permanente et temporaire.106 A cet égard, on fait également une distinction entre les objectifs qui
peuvent être poursuivis lors de la surveillance permanente et/ou temporaire. La surveillance par
caméras permanente ou temporaire est autorisée en vue de la sécurité et de la santé, de la protection des
biens de l’entreprise et du contrôle du processus de production, en ce qu’il concerne uniquement les
machines (art. 6, par. 2). La surveillance par caméras ne peut être que temporaire si le contrôle du
processus de production concerne les travailleurs et dans le cas du contrôle du travail du travailleur
(art. 6 par. 3). Dans le commentaire de l’article en question, il est confirmé que la surveillance
permanente du travailleur par caméras n’est pas autorisée et que la surveillance permanente des
machines par caméras n’est autorisée n’est autorisée que dans la mesure où le but n’est pas de viser le
travailleur.
2.3.5.La vie privée et le contrôle Internet des travailleurs
Le Conseil national du travail a réglementé au printemps 2002 le contrôle par les employeurs des
données de communication électronique des travailleurs au sein de l’entreprise par la convention
collective de travail n° 81 (CCT).107 La réglementation confirme dans les grandes lignes les règles déjà
en vigueur telles qu’elles ont été définies par la jurisprudence et par la commission de la vie privée.108
Le travailleur doit reconnaître que l’employeur a le droit de contrôler ses e-mails privés et son trafic
internet. De son côté, l’employeur ne peut porter atteinte à la vie privée du travailleur par son contrôle.
La CCT n° 81 fixe les règles de contrôle pour les ‘données de communication électronique en réseau’.
Ces termes englobent toutes les technologies en réseau et répondent ainsi au développement rapide de
la technologie et du support.
La convention collective de travail donne à l’employeur quatre raisons de contrôler les e-mails et le
trafic Internet au sein de son entreprise. Le droit de contrôle vise en premier lieu la prévention de faits
diffamatoires et de faits contraires aux bonnes mœurs. Il s’agit par exemple de la prise de connaissance
non-autorisée de données de communication électronique en réseau relatives à la gestion du personnel
ou de fichiers médicaux confidentiels. Par ailleurs, cela concerne également la consultation de sites
web à caractère pornographique, pédophile ou raciste.
Une deuxième raison est la protection des intérêts commerciaux, économiques et financiers. Il s’agit ici
104
Arrêté royal du 20 septembre 1998 rendant obligatoire la convention collective de travail n° 68, conclue le 16 juin 1998 au
sein du Conseil national du Travail, relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard de la surveillance par
caméras sur le lieu du travail, M.B., 2 octobre 1998.
105
Le contrôle du processus de production peut porter tant sur les machines que sur les travailleurs. Si le contrôle porte
uniquement sur les machines, il a pour but d’en vérifier le bon fonctionnement. Si le contrôle porte sur les travailleurs, il a pour
but l’évaluation et l’amélioration de l’organisation du travail.
106
Les deux notions sont définies à l’art. 5 C.C.T. n0 68: « La surveillance par caméras est permanente lorsque la ou les
caméras fonctionnent en permanence. La surveillance par caméras est temporaire lorsque la ou les caméras sont installées soit à
titre temporaire soit de manière fixe mais ne fonctionnent que pendant une ou plusieurs périodes ». On fait remarquer dans
littérature que les imprécisions laissées par ces définitions, constituent la plus grosse faiblesse de la C.C.T.
107
Arrêté royal du 12 juin 2002 rendant obligatoire la convention collective de travail n° 81 du 26 avril 2002, conclue au sein du
Conseil national du Travail, relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard du contrôle des données de
communication électroniques en réseau, M.B., 29 juin 2002).
108
Cf. HERT, P., « Internetrechten in het bedrijf. Controle op e-mail en Internetgebruik in Belgisch en Europees perspectief »,
Auteur&Media, 2001, n° 1, 110-116 avec réf. à la doctrine et à la jurisprudence et au commentaire de l’avis de commission.
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des cas de publicité dénigrante, de divulgation de fichiers et la violation des secrets d’affaires y
compris la recherche et le développement, les processus de fabrication et toutes données
confidentielles.
La troisième raison reconnaît un droit de contrôle à l’employeur pour assurer la sécurité des systèmes
informatiques en réseau. Pour les trois premières raisons, l’employeur peut immédiatement rechercher
quel travailleur se rend coupable de faits diffamatoires pour protéger les intérêts de l’entreprise et
assurer la sécurité des systèmes informatiques en réseau.
Ce n’est pas le cas pour le quatrième et dernier objectif dans lequel l’employeur peut contrôler si les
règles de l’entreprise en matière d’utilisation d’Internet et de l’e-mail sont respectées. Si l’employeur
constate une irrégularité, il doit en premier lieu en informer tous les travailleurs et les avertir que les
données relatives au contrôle seront individualisées si les infractions perdurent ou se représentent.
Dans les quatre cas, l’employeur ne peut porter atteinte à la vie privée du travailleur. S’il ne peut
l’éviter, seules les données nécessaires au contrôle peuvent être traitées. Par ailleurs, un employeur doit
informer préalablement ses travailleurs du contrôle. Cela doit se faire de manière assez détaillée. Que
contrôle-t-il? Combien de temps dure le contrôle et les données sont-elles conservées? De plus les
droits, obligations, interdictions et sanctions doivent être communiqués. L’information sur le contrôle
doit se faire tant individuellement que collectivement. Sont informés collectivement, selon l’entreprise,
le conseil d’entreprise, le comité de prévention et de protection, la délégation syndicale ou tous les
travailleurs. L’employeur doit en outre discuter de l’infraction avec son auteur. Le travailleur a ainsi la
possibilité de justifier ses faits et de les éviter à l’avenir.
2.4. LE DROIT FONDAMENTAL EST TOUTEFOIS SUJET À
DISCUSSION
2.4.1.Le rôle de la vie privée
L’aperçu de la législation relative à la vie privée qui précède et les nombreux liens avec d’autres droits
fondamentaux peut faire penser que la vie privée est une valeur fermement ancrée dans le droit
occidental. Est- ce réellement le cas? L’éthicien américain Bernard Gert, auteur de Morality. Its Nature
and Justification109 ne voit dans la morale et a fortiori dans le droit qu’un espace pour cinq ‘rules’
fondamentales: do not kill, do not cause pain, do not disable, do not deprive of freedom, do not deprive
of pleasure. Les droits fondamentaux ne sont rien d’autre que le droit de faire respecter ces rules et en
fin de compte Gert ne voit donc de la place que pour cinq véritables droits fondamentaux. Tous les
autres droits sont une interprétation des cinq droits fondamentaux, ni plus ni moins. La vie privée ne
fait pas partie des cinq droits fondamentaux et ne constitue par conséquent rien de plus qu’un
instrument pour mettre en évidence, en fonction du lieu et du moment, des problèmes situés dans
l’ombre des cinq grands droits sur lesquels il y a, d’après Gert, un consensus.110
Bien que la vie privée ne figure pas dans les déclarations des droits de l’homme arabe, africaine et
américaine (voir le chapitre premier), la vision de Gert peut être un peu surprenante pour le juriste
belge. En effet, notre Constitution et les déclarations internationales de droits de l’homme énumèrent
de longues listes de droits fondamentaux, dans lesquelles on ne fait pas de distinction qualitative entre
le droit fondamental à l’intégrité physique (qui fait partie des ‘rules’ pour Gert) et le droit fondamental
à la vie privée.
Hormis le fait qu’elle figure relativement en fin de liste, rien ne laisse supposer que la vie privée soit un
droit fondamental douteux ou de moindre valeur. L’actualité sociale donne également une autre image.
109
Bernard Gert, Morality. Its Nature and Justification, Oxford: Oxford UP 1998.
« Except for the rights not to have the moral rules violated with regard to oneself (...) I do not claim that there are any
universal moral rights. I regard rights like the right of privacy as the way that a society determines what counts as a violation of
one of the first five moral rules. But since each society has its own right to privacy, even if a society has a right to privacy, it may
not provide the same interpretation of the moral rules as another society with a slightly different right. » Bernard Gert, o.c., p.
177.
110
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La civilisation de notre société semble avoir mis un terme au rôle joué par les droits fondamentaux
prémodernes qui étaient nécessaires pour mettre fin à l’Etat policier. Des droits comme l’interdiction de
la torture et l’interdiction de l’arbitraire en cas d’arrestation sont mis en veilleuse. L’autorité utilise
d’autres moyens qui font couler nettement moins de sang et qui permettent presque toujours
d’enregistrer un meilleur résultat. Les nouveaux instruments de l’autorité expliquent justement
pourquoi un droit fondamental à la vie privée a une telle signification sociale dans cette société. La vie
privée se lit comme une interdiction de l’arbitraire électronique et comme un protecteur contre la
violation digitale de domicile. En d’autres termes, la vie privée personnifie un instrument contemporain
permettant de faire contrepoids à un acteur social en mesure d’écraser l’individu; contrepoids jugé
nécessaire dans la théorie politique libérale.
2.4.2.Résistance contre la vie privée dans l’opinion publique
On peut mesurer le fait que la vie privée remplit ce rôle avec plus ou moins de succès aux résistances
que suscite le droit fondamental. Dans beaucoup de discussions sur le law and order, on argumente que
les criminels n’ont pas de droit à la vie privée, parce que le droit ne peut pas viser la protection
d’illégalités. Cet argument, qui bénéficie toujours de l’approbation de nombre de personnes, n’est pas
neuf111 et surtout pas propre au droit fondamental à la vie privée et à sa critique. En fait, l’argument
repose sur l’idée d’abus de droit.112 La légitimité de l’atteinte à la vie privée est évaluée en fonction de
la légitimité des actes qui sont mis en évidence par l’atteinte. Le fait de photographier ou de filmer une
personne sans son consentement est une atteinte au droit moral à l’image. Mais si une faute ou une
infraction apparaissait à cette occasion, l’illégalité de l’atteinte à la vie privée disparaîtrait. Le droit
fondamental n’accorde de protection qu’au comportement normal, consciencieux et habituel.
L’individu y a droit. Cette théorie est critiquée à juste titre. La vie privée perd ainsi la dimension
relationnelle qui caractérise la première idée. Elle dégénère en un droit fermé (‘autiste’) qui protège des
revendications de certaines formes de vie et de valeurs.113 Il y a également lieu de souligner qu’il n’y a
pas unanimité sur la signification de l’abus de droit, ni sur les critères permettant de déterminer si l’on
peut dire que le titulaire d’un droit l’exerce normalement ou s’il commet un abus de droit.114
L’acceptation de l’abus de droit dépend donc de l’appréciation du juge. Ce dernier constate souvent
l’abus de droit sur la base du critère de proportionnalité. Mais, dans la pratique, cela tourne presque
toujours au détriment du travailleur dans les litiges en matière d’emploi. On n’est jamais loin d’un
certain arbitraire dans l’application de l’abus de droit en droit du travail (notamment dans le droit au
licenciement). Il est donc indiqué d’avoir une certaine retenue avec les arguments en faveur de l’abus
de droit, d’autant plus que l’application de cette théorie facilite la tâche aux employeurs qui épient par
exemple. La conclusion est en effet que des enregistrements vocaux, des photos ou des films obtenus
par ruse ou tromperie ‘deviennent légitimes’ s’ils reflètent le comportement réel de la partie adverse.
Le fait de filmer des travailleurs en secret n’est pas autorisé, mais s’il ressort des images que les
travailleurs ont trafiqué quelque chose, ces images pourront quand même être utilisées. Par exemple,
les écoutes: elles sont interdites, mais si vous surprenez des travailleurs qui abusent du téléphone,
l’interdiction des écoutes passe au second plan. Une telle solution est un déni du droit à la vie privée du
travailleur qui n’apprendra que par la suite qu’il a été l’objet d’une atteinte à sa vie privée.
111
Voir notamment BENTHAM, J., « Principles of the Penal Code », dans Theory of Legislation, (based on manuscripts written
around 1788, collected by E. Dumont and first published in 1802), Oxford: Oxford UP, Vol. II, 1914, Part IV (Chapter LVI), p.
263- 264.
112
CORNELIS, L. et SIMONT, L., « Bewijsrecht en technologische evolutie: Enkele overwegingen » dans Technologie en
recht, DE VROEDE, P. (Ed.), Antwerpen, Kluwer, 1987, 146- 165.
113
GUTWIRTH, S., Privacyvrijheid! De vrijheid om zichzelf te zijn, o.c., 61 (chapitre 3 ‘Dubbelzinnige privacy’).
114
DE HERT, P. et GUTWIRTH, S., « Controletechnieken op de werkplaats: een stand van zaken », l.c., 104-108.
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2.4.3.Critique communitariste et ultra-libérale de la vie
privée
Il n’y a pas que l’opinion publique qui émette des critiques sur le droit fondamental à la vie privée.
Certains groupements politiques en émettent également. Nous pensons ici à de récents ouvrages qui
tentaient précisément de limiter les tentacules de ce droit afin de donner plus de liberté de mouvement
aux collectivités, au nom de l’intérêt général ou de l’intérêt de la communauté.115 Dans son livre The
limits of privacy, Etzioni s’oppose à l’idée libérale selon laquelle les droits individuels, comme le droit
à la vie privée, occupent une position privilégiée dans l’évaluation des intérêts. Dans son livre, Etzioni
souligne une série de questions actuelles en matière de vie privée, comme la nécessité de tester
obligatoirement l’infection HIV sur les nouveaux nés, la nécessité d’enfermer les délinquants sexuels à
vie ou de les faire connaître du public via des sites web, la nécessité pour la justice de pouvoir décoder
des messages cryptés, la nécessité d’une carte d’identité universelle, et la nécessité de mieux protéger
les données relatives à la santé. A l’exception du dernier point, Etzioni s’oppose chaque fois à
l’argument de la vie privé avec l’argument que l’intérêt général doit prévaloir. Il dit que la protection
du caractère privé des communications au moyen du cryptage empêcherait la police et la justice de
rechercher et de poursuivre la criminalité et que la sécurité publique serait ainsi mise en danger. C’est
la raison pour laquelle Etzioni propose d’abandonner l’inviolabilité de la vie privée et de mettre le droit
à la vie privée en balance avec d’autres valeurs et intérêts.
Les conceptions d’Etzioni sur la limitation du droit fondamental à la vie privée sont de la même veine
que le courant communitariste de la pensée politique d’aujourd’hui.116 Le communitarisme est un
courant de la philosophie politique qui s’oppose à l’image de l’homme asocial et individualiste qui est
à la base du libéralisme. Ce qui unit des communitaristes comme Sandel, MacIntyre, Taylor et Walzer
est l’idée qu’une personne ne peut être entièrement dissociée de la société dans laquelle elle vit.117
Partant de cette image plus sociale de l’homme, les communitaristes sont généralement plus attentifs
aux intérêts de la communauté dans son ensemble et aux limitations de l’individualisme libéral.118
On entend de telles critiques chez les membres de ce que l’on appelle le mouvement Law and
Economics dans le droit. La critique de Posner est connue.119 L’octroi d’un droit à la vie privée peut en
effet également faire obstacle à la réalisation de l’équité dans le sens du droit économique. Pour bien
fonctionner, le marché libre a besoin d’informations complètes sur les personnes et les produits qui se
trouvent sur le marché ainsi que sur les besoins des clients potentiels. Si les informations sont
incomplètes, un employeur risque de payer un prix trop élevé pour un travailleur qui a omis de
mentionner des informations défavorables lors de son entretien d’embauche.120 Le manque
d’informations sur les souhaits du consommateur peut mener à ce que des personnes ne reçoivent pas
les produits qu’elles veulent. L’octroi d’un droit à la vie privée au travailleur et au consommateur peut
donc avoir pour conséquence que le marché ne fonctionne pas correctement et faire obstacle à la
réalisation d’objectifs économiques.
115
Voir par exemple Amitai Etzioni, The Limits of Privacy, New York: Basic Books 1999.
Ce paragraphe repose sur BLOK, P., Het grondrecht op de bescherming van de persoonlijke levenssfeer, thèse défendue à
l’Universiteit van Tilburg, 2002, chapitre 9.
117
Mulhall, S. & Swift, A., Liberals and Communitarians, Oxford/Cambridge, Mass.: Blackwell’s 1996, 157-60.
118
Le communitarisme n’est pas nécessairement opposé à la protection de la vie privée. Dans son livre Democracy’s Discontent,
le communitariste Sandel fait par exemple un chaleureux plaidoyer pour la protection de la vie privée relationnelle; Voir
SANDEL, M.J., Democracy’s Discontent. America in Search of a Public Philosophy, Cambridge: Harvard University Press
1996, chapitre 4.
119
POSNER, R.A., « An Economic Theory of Privacy », Regulation: 19-26; aussi dans: F.D. Schoeman (réd.), Philosophical
Dimensions of Privacy: an Anthology, Cambridge: Cambridge University Press 1984, p. 333- 345.
120
Voir pour une formulation récente de cet argument BERGKAMP, L., « EU Data Protection Policy The Privacy Fallacy:
Adverse Effects of Europe’s Data Protection Policy in an Information-Driven Economy », Computer Law & Security Report,
2002, vol. 18, n° 1, 16- 46.
116
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
http://www.vub.ac.be/LSTS.
40
2.4.4.Critique marxiste de la vie privée
Face à cette critique ultra-libérale, se trouve la critique marxiste qui n’a pas une opinion positive de la
vie privée mais l’associe avec un individualisme égoïste et petit bourgeois.121 Dans cette critique, la vie
privée est présentée comme un symbole d’une société atomisée et soupçonneuse dans laquelle les
individus sont incités à avoir un comportement indifférent, isolé, anti-solidaire et autarcique. De cette
manière, la vie privée protège le citoyen calculateur qui défend ses petites affaires et ses intérêts, sans
tenir compte d’une quelconque dimension publique ou sociale. Cela fait de la vie privée un credo ultralibéral qui peut être utilisé par une élite contre l’Etat et l’autorité, mais aussi contre autrui. Au lieu
d’accorder une protection à une liberté d’autodétermination ouverte qui entraîne la participation de
chacun à la chose publique, elle stimule le repli dans la sphère privée et la défiance vis-à-vis des
institutions juridiques et politiques. Une telle vie privée est l’expression d’une culture hypocrite et
élitiste plutôt que tolérante et pluraliste. Elle ne se soucie pas d’émancipation. Les marxistes disent
donc que la vie privée est illusoire; elle crée une fausse conscience et ne contribue qu’au renforcement
de l’individualisme possessif petit bourgeois.
Les commentateurs marxistes croient en outre que l’économie de marché capitaliste est contradictoire à
la revendication de vie privée. En effet, un marché libre idéal qui s’autorégule doit également être un
marché dans lequel tous les acteurs ont accès à des informations intéressantes pour pouvoir faire les
bons choix concernant leur activité économique. Cela vaut également pour des données sur les
individus lorsqu’ils sont actifs sur le marché du travail, comme travailleur, comme contractant et
comme consommateur. Il faut également qu’ils recueillent des informations optimales pour optimaliser
la transaction. Des données personnelles sont généralement demandées ou exigées lors de la
candidature à un emploi, lors de la demande d’un crédit, lors de la conclusion de contrats d’assurance,
etc. Il s’agit bel et bien d’une communication à sens unique, dans laquelle la partie la plus faible est
obligée de dévoiler sa vie privée légalement, contractuellement ou par nécessité. Le marché libre a une
aversion pour la vie privée. La reconnaissance légale de la vie privée est contraire au principe de
transparence du marché. Pour les marxistes, la distorsion entre les prérogatives du marché et les
discours sur la vie privée mène à une impasse. Une société qui vénère le capitalisme n’est pas en
mesure de garantir la vie privée, parce que bon nombre d’atteintes à la vie privée sont inhérentes aux
pratiques économiques capitalistes.
Gutwirth fait remarquer à juste titre que les ultra-libéraux comme Posner et les marxistes sont en fait de
manière assez touchante d’accord pour dire que la vie privée est incompatible avec l’économie de
marché capitaliste. Pour eux, cela revient à rejeter la législation sur la vie privée, tout comme toutes les
réglementations par définition condamnables. Pour les ultra-libéraux, il n’y a que trop de législation sur
la vie privée. Ceux qui veulent la vie privée doivent la mériter sur le marché. Ceux qui trouvent que les
acteurs économiques portent atteinte à leur vie privée sont libres d’aller voir ailleurs ou pas. Le
cynisme habituel donc, qui trouve que les ‘lois’ du marché priment celle de l’homme.
2.4.5.Critique féministe de la vie privée
Les critiques les plus virulentes de la protection de la vie privée viennent des milieux féministes.122 Les
chercheurs féministes voient la distinction privé-public, sur laquelle repose la notion de vie privée,
121
Ce paragraphe repose sur GUTWIRTH, S., Privacyvrijheid! De vrijheid om zichzelf te zijn, o.c., 61-73 (chapitre 3
« Dubbelzinnige privacy ») avec réf. notamment à WILLEKENS, H., « Het grondrecht op privacy, de afbakening van de privésfeer en publieke sfeer en de maatschappelijke allocatie van bestaansmiddelen » dans Het recht op privacy en de sluiers van het
recht, Tegenspraak Cahiers 5, Antwerpen, Kluwer rechtswetenschappen, 1988, 50 et suiv. et MORTIER, F., « Waarom privacy
belangrijk is. Een sociogenetisch standpunt » dans Het recht op privacy en de sluiers van het recht, Tegenspraak Cahiers 5,
Antwerpen, Kluwer rechtswetenschappen, 1988,120-137.
122
Le paragraphe suivant est emprunté à BLOK, P., Het grondrecht op de bescherming van de persoonlijke levenssfeer, thèse
défendue à l’Universiteit van Tilburg, 2002, chapitre 9.
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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comme un des principaux concepts qui maintient l’oppression et l’inégalité de traitement des femmes
et donne une apparence de légitimité.123 Les féministes ont montré que la vie de famille ne correspond
dans la pratique pas toujours à l’image idéalisée qu’en donnent certains partisans de la distinction
privé-public. A l’image idéale d’une unité d’intérêts basée sur l’amour, les féministes opposent l’image
des femmes et des enfants impuissants soumis aux volontés du despote patriarcal. En protégeant la vie
privée, les injustices commises par le patriarche dans la sphère familiale restent à l’abri des critiques.
La protection de la vie privée contribue ainsi à la violence familiale contre les femmes et les enfants et
le respect de la vie privée maintient la répartition inégale du travail au sein de la famille. Une grande
partie de la critique féministe vise donc l’inviolabilité de la vie privée.
Dans sa thèse, Peter Blok parle de la plupart des critiques qui sont formulées à l’égard de la vie privée.
En ce qui concerne la critique féministe, il remarque qu’elle est difficilement défendable dans le droit
actuel.124 Tout d’abord, il y a longtemps que le droit au respect de la vie privée et familiale n’est plus
un droit collectif mais qu’il ne peut être invoqué que par le maître de maison. Le droit actuel à la vie
privée est un droit individuel qui s’applique erga omnes. Les femmes peuvent donc également avoir
recours au droit à la vie privée et l’invoquer contre les hommes (leurs maris). Le viol dans les liens du
mariage est actuellement contraire au droit au respect de la vie privée voisin du droit à l’intégrité
physique.125 Par ailleurs, la signification donnée actuellement au droit à la vie privée relationnelle
garantit qu’une personne peut elle-même décider si elle entame une relation intime et si oui à quelles
conditions. De cette manière, le droit au respect de la vie privée garantit le caractère consensuel de
relations. C’est la raison pour laquelle on peut prétendre que les injustices commises au sein de la
famille ne sont pas la conséquence d’un excès de protection de la vie privée mais mettent plutôt en
évidence une insuffisance de protection de la vie privée.126
2.4.6.Techniques juridiques pour affaiblir le droit
fondamental à la vie privée
Tant dans la jurisprudence européenne que dans la jurisprudence américaine, de nombreuses décisions
montrent que les juges sont sensibles à certaines critiques relatives au droit fondamental à la vie privée
et qu’ils lui accordent, dans leurs jugements, un moindre poids au profit d’autres intérêts ou points de
vue.127 Notons qu’il y a beaucoup de discussions sur la définition précise de la vie privée. La puissance
du droit fondamental – la souplesse de la notion qui permet de thématiser les nouveaux problèmes de
manière dynamique – est pour ainsi dire utilisée contre lui- même. Comme un certain flou entoure la
vie privée, il est également possible de dire qu’il n’y a pas de vie privée. La technique consistant à
vider le droit fondamental de son sens est une technique éprouvée. Tant le Nederlandse Hoge Raad
dans sa jurisprudence sur l’observation systématique que la Cour européenne des droits de l’homme
dans l’arrêt Lüdi ont appliqué la technique avec succès: une technique policière donnée (caméra,
observation, infiltration) ne peut, selon ces juridictions, pas subir de contrôle de constitutionnalité,
puisqu’elle ne pose tout simplement aucun problème de vie privée. Dans la jurisprudence européenne
et néerlandaise, cette opération d’évidement de sens repose surtout sur la doctrine américaine de la
reasonable expectation of privacy. Il s’agit d’une théorie subjective qui pose la question des attentes
123
GAVISON, R., « Feminism and the Public/Private Distinction », Stanford Law Review 1992, p. 1-45; PATEMAN, C.,
« Feminist Critiques of the Public/Private Dichotomy », dans: BENN S.I. & GAUS, G.F., Public and Private in Social Life, New
York: St. Martins Press 1983, p. 281- 303; MOLLER OKIN, S., Justice, Gender and the Family, New York: Basic Books 1989;
MACKINNON, C., Toward a Feminist Theory of the State, Harvard University Press 1989.
124
BLOK, P., o.c., chapitre 9.
125
Il faut dire que l’interdiction pénale du viol dans les liens du mariage s’est longtemps fait attendre, probablement en
conséquence d’un respect mal placé pour la vie privée de la vie familiale. Le Royaume-Uni fut le dernier pays européen qui
n’accordait pas de protection aux femmes qui étaient violées dans les liens du mariage et il a été justement condamnée pour cela.
Cf. DE HERT, P., « Liefde en mensenrechten », dans RAES, K. (éd.), Liefde’s onrecht, Gent, Mys en Breesch, 1998, 78-103.
126
Blok fait notamment référence ici à KYMLICKA W., Contemporary Political Philosophy, Oxford: Clarendon Press 1990,
247-62.
127
Les paragraphes suivants sont empruntés à: DE HERT, P. & B.-J. KOOPS, « Privacy is nog steeds een grondrecht. Pleidooi
voor de uitsluiting van onrechtmatig bewijs », Ars Aequi, 2001, décembre, (vol. 50), 972-975.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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d’une personne en matière de vie privée, avec comme point d’appui étonnant l’idée que les délinquants
doivent tenir compte des enquêteurs et ne doivent donc avoir que peu ou pas d’attentes en matière de
vie privée.128
Le caractère évident de la vie privée a récemment atteint un nouveau seuil d’impudence. Le droit
fondamental n’est cette fois plus nié ou vidé de son sens. Son importance est reconnue, mais dans le
même temps relativisée de telle manière que l’on ne peut plus en attendre de rayonnement digne de ce
nom. Dans l’arrêt Khan du 12 mai 2000, la Cour européenne a estimé à l’unanimité que l’installation
d’un appareillage d’écoute et que l’enregistrement de la conversation à laquelle le suspect a participé
constituaient une violation du droit à la vie privée reconnu par l’article 8 CEDH, et qu’aucune voie de
recours effective n’était ouverte contre ce fait au Royaume-Uni, de sorte que l’article 13 CEDH avait
également été violé.129
La violation de l’article 8 ne devait toutefois, selon la Cour, pas avoir de conséquence pour la
procédure pénale. En effet, l’exigence d’avoir un procès équitable prévue à l’article 6 CEDH est
réalisée lorsque la procédure et équitable dans son ensemble. La Cour ne se prononce pas sur le
caractère admissible de la preuve obtenue illégalement en tant que telle, mais se contente d’examiner si
l’on pouvait parler dans ce cas d’un procès équitable, compte tenu de toutes les circonstances. Et la
Cour dit, à une majorité de 6 voix contre 1, que c’était le cas. Elle utilise pour ce faire l’argumentation
suivante.
–
Dans Schenk, la Cour avait déjà estimé que les données provenant des écoutes illégales pouvaient
être utilisées. Dans ce cas, le fait qu’il y avait d’autres éléments de preuve avait cependant joué un
rôle.130 Bien que chez Khan, la déclaration ayant fait l’objet de l’écoute constituait le seul élément
de preuve, contrairement donc à Schenk, il s’agit d’une preuve particulièrement solide et fiable, de
sorte que le besoin d’autres éléments de preuve est moins important.
–
Les écoutes effectuées dans l’affaire Khan n’étaient pas contraires au droit anglais parce que
comme le disait en son temps Lord Nolan dans son discours devant la House of Lords: « en droit
anglais, il n’y a en général rien d’irrégulier à une atteinte à la vie privée ». Par ailleurs, Khan avait
fait volontairement les déclarations (il ne savait toutefois pas qu’il faisait l’objet d’écoutes). La
seule raison de l’illégalité des écoutes était la non-conformité à l’article 8 CEDH.
–
Khan avait largement la possibilité de contester l’authenticité et l’utilisation de la déclaration
ayant fait l’objet des écoutes. Et à chaque étape de la procédure nationale, le juge avait estimé si
les éléments de preuve devaient être jugés admissibles à la lumière de l’article 78 PACE.131 Et si
le juge national avait estimé que l’usage était illégal, il aurait donc pu l’exclure.
Le juge Loucaides n’était pas d’accord avec cette partie de la décision. Dans son opinion
dissidente imagée, il indique qu’un tel raisonnement vide les droits fondamentaux de la CEDH de
leur sens. En dissociant ainsi les garanties de l’article 6 et de l’article 8, il n’y a plus de protection
128
Voir l’analyse TOM BLOM, « Privacy, EVRM en (straf)rechtshandhaving », dans: Chrisje Brants, Paul Mevis et Ties
Prakken (red.), Legitieme strafvordering. Rechten van de mens als inspiratie in de 21ste eeuw, Antwerpen-Groningen: Intersentia
Rechtswetenschappen 2001, p. 119-137 et in Paul De Hert, The idea of liberty in Western Legal Systems. The unchallenged rise
of social control explained, 2001, édition commerciale à paraître de P. De Hert, Early constitutionalism and social control.
Liberal democracy hesitating between liberty thinking and rights thinking, thèse de doctorat défendue en public à la Vrije
Universiteit Brussel le 22 septembre 2000.
129
Cour Eur. DH, Khan c. Royaume-Uni, 12 mai 2000, NJCM-Bulletin 2000, 1255-1261 avec note, disponible sur
<http://www.dhcour.coe.fr/eng/>.
130
Cour Eur. DH, Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, Série A, vol.140, NJCM-Bulletin 1988, 570-575.
131
L’article 78, alinéa 1er Police and Criminal Evidence Act 1984 permet l’exclusion d’éléments de preuve s’ils ont un effet
tellement négatif sur le caractère équitable de la procédure que le juge ne devrait pas les autoriser. Bien qu’elle ne soit pas
véritablement une tautologie, la disposition est entièrement dépourvue de norme juridique concrète.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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juridique effective: « If violating Article 8 can be accepted as ‘fair’ then I cannot see how the
police can be effectively deterred from repeating their impermissible conduct. (...) The exclusion
of evidence obtained contrary to the protected right to privacy should be considered as an
essential corollary of the right, if such right is to be of any value. » Il donne en passant des contrearguments à chacun des arguments de la majorité.
Une différence importante entre Khan et Schenk, qui n’est pas précisée dans la décision, est liée à
l’article 8 CEDH. Dans Schenk, l’attention a été axée uniquement sur l’article 6 CEDH et
l’article 8 CEDH n’a pas été pris en considération. Dans Khan, par contre, on invoque et constate
tout d’abord une violation de l’article 8 CEDH, avant de passer à l’article 6 CEDH. Il est ainsi dit
explicitement pour la première fois qu’une procédure pénale ne doit pas tourner court sur une
violation établie du droit fondamental à la vie privée.
2.4.7.Cynisme ou objectivité?
Khan n’est pas seul. Nous trouvons un écho à cette affaire dans un récent cas de jurisprudence du
travail qui accepte que des employeurs violent la vie privée de travailleurs en luttant contre la fraude, le
surf sur des sites pornographiques ou l’usage privé du courrier électronique. Ici non plus, il n’est pas
contesté que des intérêts de vie privée jouent dans un conflit et il n’est ensuite donné pratiquement
aucun poids à cette constatation. C’est ainsi que le Hoge Raad a rendu une décision le 27 avril 2001 sur
une vendeuse qui avait été surprise par une caméra cachée et secrète qui filmait les opérations à la
caisse: « Attendu d’une part que la défenderesse avait un intérêt légitime à effectuer des prises de vue
au moyen d’une caméra vidéo, sans avertir préalablement ses travailleurs, et que d’autre part les
prises de vue ne concernaient que le comportement du personnel de la caisse, il faut considérer que
même si la défenderesse avait ainsi commis une atteinte à la vie privée de la demanderesse, cela ne
signifie pas pour autant que ces éléments de preuve ne peuvent être utilisés dans une procédure comme
celle qui nous occupe » (trad. libre). Dans cette affaire, l’avocat général avait également estimé, par
référence à l’arrêt Khan (!), que le caractère illégal de l’obtention d’une preuve n’a pas pour
conséquence que celle- ci ne peut pas être utilisée.132
Il faut remarquer que la vie privée constitue rarement une base de litige indépendante pour les
tribunaux. Elle constitue très souvent un argument avancé par la partie défenderesse (le suspect, le
travailleur surpris) dans un litige existant. Les juges ont traditionnellement des difficultés avec des
arguments sur la légalité de la preuve apportée. En effet, il leur est demandé de décider sur des
agissements de la partie défenderesse, pas sur les agissements du demandeur (le ministère public,
l’employeur). Il y a des affaires de droit du travail dans lesquelles le juge ne réfléchit absolument pas
de manière critique sur la façon dont l’employeur a réuni ses preuves, alors qu’il n’y a en l’espèce
132
Hoge Raad, 27 avril 2001, Rechtspraak.nl, ELRO-nummer AB1347,
http://www.rechtspraak.nl/uitspraak/frameset.asp?ui_id=25087. Voir aussi par exemple Tribunal du travail Bruxelles, 2 mai
2000, Computerrecht 2001, n° 1, p. 26-29, avec note Casaer; Kantonrechter Emmen 29 novembre 2000, Jurisprudentie
Arbeidsrecht 2000 (1), n° 4, p. 17-19. Dans la dernière décision, on évalue les intérêts sans contrôler si les deux intérêts en jeu
ont un statut de droit fondamental. Au contraire, on pourrait déduire erronément du paragraphe suivant que la vie privée ne
bénéficie pas d’un tel statut: « la vie privée sur le lieu de travail est une notion relative. Il existe une gradation entre le droit à la
vie privée sur le lieu de travail et le droit d’un établissement d’enseignement de ne pas être concernée par des activités sexuelles.
Lors d’une évaluation d’intérêts, ce dernier prévaut » (trad. libre). Comp. arrêt du 27 février 2001 de la Cour de cassation belge
relative au placement d’une caméra secrète par un employeur: « Attendu que le droit au respect de la vie privée, prévu à
l’article 8, alinéa 1er, de la CEDH, n’est pas un droit absolu; Que cette disposition conventionnelle n’empêche pas que, sur la
base d’une présomption légitime de l’implication de son employé dans des infractions commises à son détriment, un employeur
prenne des mesures afin de prévenir ou de constater de nouveaux faits punissables au moyen de vidéosurveillance dans un
espace accessible au public du magasin qu’il exploite ». L’arrêt est disponible sur http://www.just.fgov.be et est commenté dans
DE HERT, P. & GUTWIRTH, S., « Cassatie en geheime camera’s: meer gaten dan kaas », Panopticon, 2001, 309-318.. Un
aperçu de jurisprudence relatif au contrôle du courrier électronique et d’Internet est donné par: DE HERT, P., « Internetrechten in
het bedrijf. Controle op e-mail en Internetgebruik in Belgisch en Europees perspectief », Auteur&Media, 2001, n° 1, 110- 116.
Voir aussi les différents articles du numéro thématique de la revue Privacy & Informatie (année 2002, n° 1).
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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aucune transparence sur la surveillance exercée par l’employeur.133 Il y a également des affaires dans
lesquelles le juge s’emporte presque contre l’argument de la vie privée du travailleur, parce que ce
n’est pas cela qui lui est soumis.134
Il est possible que d’autres motifs qu’un simple cynisme sur la vie privée jouent également un rôle dans
les affaires citées. La structure du procès ne permet pas ou très difficilement un examen des contrearguments basés sur l’illégalité de la preuve; par ailleurs, les juges ne peuvent pas s’empêcher d’agir
lorsque les faits sont établis.135
On peut faire encore bien plus de remarques à ce sujet. Bien qu’il soit impossible de sonder la pensée
des juges, on peut déceler un fil conducteur dans leurs décisions lorsqu’ils abordent les questions
relatives à la preuve apportée. La preuve est souvent considérée comme admissible si on estime que
l’atteinte à la vie privée contestée peut être réparée dans le temps. Ce caractère réparable peut consister
à créer ultérieurement une base légale pour un acte de recherche (qui faisait défaut dans Khan) ou dans
la réglementation a posteriori d’un système de surveillance du personnel conformément à la Loi
relative à la protection des données à caractère personnel et de la Loi sur les conseils d’entreprise
(réglementation qui fait souvent défaut dans les nombreuses affaires de surveillance par les
employeurs). La question centrale dans l’approche objective des litiges en matière de vie privée est
donc souvent la question de la limite de ce qui peut être réparé.
2.4.8.Conséquences de cette jurisprudence sur le droit
fondamental à la vie privée
Voyons un peu quelles pourraient être les conséquences possibles de cette approche. Que penserait la
Cour d’une violation de l’article 3 CEDH pour l’admissibilité de la preuve? Imaginons qu’un Etat
(ré)introduise la torture et qu’il stipule en outre dans son droit qu’il n’y a rien d’illégal à porter atteinte
à l’intégrité physique ou à la dignité humaine. Lors de la torture de Mehmet C., celui-ci indique
l’endroit où le couteau ayant servi au meurtre est enterré. Et le couteau s’y trouve effectivement, ce qui
a permis d’obtenir une preuve solide et fiable que C. savait où se trouvait l’arme du crime. Dans la
procédure qui le condamna à la réclusion à perpétuité il a eu assez d’occasions de contester qu’il a
commis le meurtre – il peut en effet donner une autre explication aux indications qu’il a données
concernant le lieu où a été trouvée l’arme du crime. Tout cela pourrait être admissible selon la CEDH
133
Comp. Kantonrechter Utrecht 13 juillet 2000, Jurisprudentie Arbeidsrecht 2000, n° 199 (version électronique): « Sur la base
des pièces, il a été constaté (...) que Veldhoen a utilisé Internet de manière totalement inadmissible à des fins privées dans tous
les cas pendant plusieurs mois et dans tous les cas pendant plus d’une heure par jour. Il visitait à de nombreuses reprises des
sites pornographiques. Cette manière d’agir peut de l’avis du juge cantonal en principe justifier la dissolution du contrat de
travail. Toutefois, dans l’appréciation de l’attitude reprochée, d’autres facteurs pertinents jouent également un rôle. Il s’agit
comme l’invoque à juste titre Veldhoen de la nature de l’emploi, de la durée du contrat de travail, du fonctionnement et des
circonstances personnelle du travailleur. Il est évident que les faits reprochés sont graves. Le juge cantonal souligne à cet égard
qu’aucunes règles ou codes écrits ne sont rédigées chez Campina en ce qui concerne l’utilisation d’Internet à des fins privées.
Cela ne justifie pas les agissements incorrects mais cela peut mener à ce que les travailleurs dépassent plus facilement les
bornes » (trad. libre). Comp. aussi Kantonrechter Haarlem 16 juin 2000, Computerrecht 2001 (1), p. 37-38: « Reinders conteste
qu’il a reçu des communications à ce sujet, mais même s’il a raison sur ce point, on peut comprendre sans avertissement qu’un
réseau d’entreprise n’a pas cette destination. Un employeur est libre de contrôler ce type d’utilisation qui est faite de son réseau.
Il n’y a donc pas de preuve illégale, quelle que puisse être la signification de cette notion dans une procédure comme la
présente » (trad. libre).
134
Kantonrechter Almelo 30 septembre 1999, PRG 1999, n° 5365 (version électronique). A l’objection de la défense (Kunst):
« Il considère que Wierdens Houthandel a porté atteinte à sa vie privée en ouvrant son courrier électronique personnel après
avoir manifestement forcé le mot de passe », le tribunal répond comme suit: « Kunst ne peut pas objecter qu’il est possible que
Wierdens Houthandel a violé la vie privée de Kunst. Dans le cadre de l’enquête sur l’usage abusif d’Internet chez Wierdens
Houthandel, on ne peut échapper à une enquête sur l’utilisation personnelle qui est faite d’internet » (trad. libre).
135
Tout cela n’est bien entendu qu’apparemment comme cela. Le fait que la théorie que la preuve obtenue illégalement peut
parfaitement être appréciée et appliquée dans le cadre d’un procès en cours ressort de Arrondissementsrechtbank Roermond
15 mai 2000 (juge de police), Computerrecht 2001 (1), p. 39-41 (la demande de données d’identité par la police à des
fournisseurs d’accès à Internet en contradiction avec la WPR constitue une preuve illégale et mène à l’acquittement de personnes
soupçonnées de la tenue et de la diffusion de certaines images contraires à l’article 240b du Wetboek van Strafrecht).
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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(bien que pas selon l’art. 15 Convention contre la torture).136 Une différence avec Khan est que C.
n’avait pas coopéré volontairement, mais dans l’arrêt de la Cour cela ne constitue qu’un point
subalterne (en fin de compte, il est apparu que l’attribution de poids au fait que dans Schenk d’autres
éléments de preuve étaient disponibles n’était soudain plus si important dans Khan).
Ou imaginons que l’on mette au point un petit casier génial qui capterait les ondes du cerveau et
permettrait de lire les pensées. Cela porte bien sûr atteinte à la vie privée, mais les éléments de preuve
que cela fournit sont fantastiques. Il n’y a pas encore de réglementation légale mais la méthode est
utilisée pour condamner des suspects. C’est permis, parce qu’il y a effectivement une violation de
l’article 8 CEDH, mais la procédure est équitable – il suffisait en fin de compte au suspect de ne pas
penser au meurtre et il aurait tout aussi bien pu dire que l’on avait voulu interpréter ses pensées
différemment.
Les exemples sont imaginaires et extrêmes, mais les conséquences de Khan le sont tout autant.
2.4.9.Question clé
Cette jurisprudence nous amène à répondre à la question clé de savoir quel rôle peut (encore) jouer le
droit fondamental à la vie privée dans l’Etat de droit européen et plus particulièrement pour les acteurs
concernés. Comment éviter le scénario catastrophe de l’évidemment complet du sens de la vie privée?
Que restera-t-il des droits fondamentaux si la justice peut violer un droit fondamental pour condamner
une personne? Y a-t-il encore une véritable garantie pour éviter les violations dans la pratique?
L’autorité se fait bien sûr taper sur les doigts pour la violation de l’article 8 ou 3, paie quelques
dédommagements et continue à rechercher et à poursuivre les délinquants. Le droit au procès équitable
reste donc le seul qui subsiste dans une ville fantôme de droits fondamentaux disparus.
Une autre voie est de rejeter Khan et la jurisprudence du travail et de sanctionner les atteintes à la vie
privée commises par l’autorité ou l’employeur en excluant des éléments de preuve. C’est ainsi que,
dans le cas de Khan, le lien entre l’article 6 et l’article 8 a été rétabli et l’unité des droits fondamentaux
de la CEDH confirmée. Comme le dit Loucaides: « The (...) authorities have an obligation under
Article 1 of the European Convention on Human Rights ‘to secure to everyone within their jurisdiction
the rights and freedoms defined in Section 1 of this Convention’. I believe that this casts an obligation
on the (...) courts not to admit or rely on evidence in judicial proceedings which was obtained contrary
to the Convention. »
Une troisième approche poursuit l’approche objective tout en tentant d’en limiter certains effets
négatifs en luttant contre les atteintes à la vie privée commises par l’autorité ou l’employeur et en
maintenant ainsi l’idée centrale de dissuasion que recèle la théorie de la preuve illégale. Dans cette
approche, l’exigence de l’Etat de droit selon laquelle le citoyen mais aussi l’autorité doit se tenir aux
règles, devra être réalisée via d’autres instruments. Dans le domaine du droit pénal, il devrait être
pensable que les dépositaires de l’ordre, les avocats ou les groupes d’action membres de la police et de
la justice doivent rendre des comptes sur le plan pénal, disciplinaire et civil en cas d’atteintes à la vie
privée. Dans le domaine du droit du travail, on peut penser à une action du conseil d’entreprise contre
un employeur qui a utilisé des techniques de surveillance secrètes en méconnaissance du droit du
travail et des règles de la vie privée. Pas de procès parallèles, mais des procès connexes dans l’intérêt
non du suspect ou du travailleur concerné, mais bien dans l’intérêt de la société.
2.4.10.
Désaccord avec léger contrôle de qualité
Nous pensons que cette troisième approche n’est pas de nature à convaincre tout le monde. Il lui
manque un système procédural opérationnel qui mène automatiquement à de tels procès connexes. Par
ailleurs, toutes les atteintes à la vie privée (ou plus largement: les atteintes aux droits fondamentaux) ne
136
En considérant que la Cour Eur. DH persévérerait dans la ligne de Saunders (Cour Eur. DH 17 décembre 1996, NJ 1997, 699
avec note Kn) que cela constituerait la remise de matériel qui est indépendante de la volonté du suspect et ne constituerait donc
pas une infraction au principe nemo tenetur.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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sont pas réparables dans le temps. Une fois que de la législation ou des codes de conduite nouveaux ou
corrigés sont introduits, la justice ou l’employeur peut toujours dépasser les bornes et fouler aux pieds
la protection juridique qui vient d’être rétablie. Toutes les atteintes ne peuvent pas donner lieu à une
nouvelle adaptation de la réglementation – les limites de la CEDH ne sont pas extensibles à l’infini.
Dans ces cas, la vie privée devrait continuer à fonctionner comme un droit fondamental indépendant
auquel l’Etat de droit confère un poids et devrait pouvoir mener à l’exclusion de la preuve ou à une
déclaration de non-recevabilité. A la lumière de Khan, on peut toutefois se poser la question de savoir
si cela pourra apporter une protection suffisante contre les violations de la norme par l’autorité.
Dans cette troisième approche, la vie privée constitue également avant tout un instrument interprétatif.
Il s’agit d’une norme légère de contrôle de la qualité qui attire l’attention des législateurs sur les
lacunes de la législation (Khan peut être condamné, mais les écoutes directes doivent faire l’objet de
normes plus précises) et des employeurs sur les procédures non respectées (le travailleur accro du
porno est licencié mais, pour assurer la paix de l’entreprise, nous passons des accords plus clairs avec
le conseil d’entreprise et le Collège pour la Protection des Données à caractère personnel).
Sans vouloir méconnaître l’intérêt social de cette fonction de signal, il est ici clairement porté atteinte
au caractère fondamental du droit fondamental à la vie privée. Un droit fondamental qui ne peut pas
être utilisé dans des différends concrets, perd sa signification. Khan n’a en effet rien à faire d’un
recours objectif. Seule compte pour lui l’utilisation d’un droit fondamental à l’occasion d’un recours
subjectif. La question est de savoir si la procédure dans son ensemble peut être qualifiée d’ ‘équitable’
pour lui de cette manière.
2.4.11.
Conclusion
La question clé reste de savoir si la violation d’un droit fondamental doit avoir des répercussions sur le
droit à un procès équitable, que ce soit un procès en matière de droit du travail ou de droit pénal.
L’exclusion d’une preuve est-elle un « essential corollary » du droit à la vie privée? Nous le pensons.
Plus encore, l’exclusion d’une preuve dans le cas de violations de droits fondamentaux par des organes
chargés des recherches ou des employeurs nous semble constituer un élément tout aussi essentiel d’un
procès équitable qui veut également être un procès légitime, c’est-à-dire adéquat et intègre.137
L’exclusion de la preuve doit donc se faire dans le cadre du procès, puisqu’un procès ne peut être
qualifié de légitime que si la voie empruntée est légitime. Ni la réduction de la peine (dans un procès
pénal), ni les sanctions organisées en dehors de la procédure pénale ou la procédure de droit du travail
n’apportent de réponse adéquate à cette exigence de légitimité pour les organes chargés des poursuites
ou pour les parties au procès.138
Si, comme 6 des 7 juges de la Cour Eur. DH, on trouve que ce n’est pas le cas, on devra laisser
fonctionner la vie privée comme un droit réparable dans le temps en dehors du procès – au sens
général, mais pas pour l’individu dont les droits ont été bafoués. La vie privée fonctionne toutefois
comme une norme marginale pour obliger l’autorité à rester dans des limites, mais il n’est pas question
d’une action directe sur la pratique, certainement pas tant que les violations des droits fondamentaux ne
sont pas ou ne peuvent être maintenues d’une manière différente et sérieuse (par ex. disciplinaire).139
137
Sur ces notions, on lira l’introduction dans Chrisje Brants, Paul Mevis et Ties Prakken (réd.), Legitieme strafvordering.
Rechten van de mens als inspiratie in de 21ste eeuw, Antwerpen-Groningen: Intersentia Rechtswetenschappen 2001, p. 1-23. On
lira également l’article de D. Garé dans cet ouvrage (« De interne openbaarheid in het geding », p. 103-117). Cet auteur souligne
que « probablement sous l’influence de la jurisprudence de la Cour Eur. DH, les accords généraux sur la qualité d’une
procédure pénale correcte sont dans la pratique de plus en plus souvent approchés unilatéralement et appréciés comme un
simple intérêt de la défense » (trad. libre) (p. 103). C’est donc à juste titre qu’il plaide pour que l’on présente l’intérêt du contrôle
de la qualité des éléments de preuve non seulement comme un intérêt de la défense, mais aussi comme un intérêt général (p.
107). Cela s’exprime via l’exigence d’une procédure pénale légitime.
138
Selon T. Prakken dans son discours inaugural du colloque Legitieme strafvordering. Rechten van de mens als inspiratie in de
21ste eeuw organisé à Maastricht le 1er juin 2001. On peut toutefois imaginer une position plus pragmatique, même dans le cadre
d’une conception légitime du procès pénal. Voir la citation de P. Mevis, J. Reijntjes et J. Wöretshofer dans la note suivante.
139
Comp. « Nous rejetons la conception attribuée au Hoge Raad, selon laquelle des irrégularités ne nécessitent de sanction que
si l’intérêt de l’inculpé est lésé. Par ailleurs, nous estimons acceptable de ne pas appliquer de sanction de procédure lorsque le
droit civil ou disciplinaire permettent une possibilité de réparation suffisante (ce qui ne sera d’ailleurs pas souvent le cas) et
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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On dépouille ainsi la vie privée de son statut de droit fondamental et il faut, tout à fait dans la lignée de
Bernard Gert, introduire dans les déclarations des droits de l’homme une distinction entre droits
fondamentaux fondamentaux et « droits fondamentaux non-fondamentaux », de manière à éviter les
fausses illusions. Il va de soi que cette conclusion est inacceptable pour nous. La vie privée est un droit
fondamental. La CEDH ne fait pas de distinction entre droits fondamentaux selon l’importance. Les
délinquants et les travailleurs accros du surf pornographique ne sont pas exclus de la protection de la
CEDH. Les atteintes aux droits fondamentaux doivent être sanctionnées. La CEDH ne dit pas comment
il faut sanctionner. Une sanction n’est pas l’autre. A l’exception de la sanction de l’exclusion de la
preuve, aucune sanction effective n’a encore été développée jusqu’à présent pour protéger les droits de
la CEDH dans leur ensemble. Dans l’affaire Khan, la Cour européenne a clairement méconnu le droit
fondamental à la vie privée.
lorsque la prévention de la récidive ne nécessite aucune sanction de procédure. Mais, le juge pénal doit toujours rendre un
jugement explicite sur la légalité l’intervention de l’autorité, si elle est sujette à discussion » (trad. libre) (MEVIS, P.,
REIJNTJES J. et WÖRETSHOFER, J., « Rechtmatigheid in het nieuwe millennium », dans Chrisje Brants, Paul Mevis et Ties
Prakken (réd.), Legitieme strafvordering. Rechten van de mens als inspiratie in de 21ste eeuw, Antwerpen-Groningen: Intersentia
Rechtswetenschappen 2001, p. 55).
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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CHAPITRE 3
L’ARTICLE 8 CEDH
Paul De Hert
3.1. COMMENTAIRE GÉNÉRAL DE L’ARTICLE 8 CEDH
3.1.1.Introduction
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance.
2. Il ne peut y avoir d’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant
que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être
économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
L’article 8 de la Convention européenne reconnaît à chacun un droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Quatre droits distincts peuvent donc être déduits du texte de l’article 8 (respect de la vie privée et
familiale, du domicile et des communications140), dont la caractéristique commune ne saute pas aux
yeux. Tout comme l’article 6 CEDH, qui énumère une série de garanties procédurales, l’article 8
CEDH énumère un ‘certain nombre’141 de droits touchant à l’individualité du citoyen, et dont la
protection doit garantir un épanouissement de sa personnalité et de son bien-être.142 Cette énumération
commune explique peut-être pourquoi le droit à la vie privée est le plus connu et le plus souvent
invoqué de ces quatre droits.143 Nous trouvons cependant que la mention du droit à la vie familiale
n’est pas si évidente dans l’énumération, parce que la vie privée, le domicile et la correspondance
constituent plutôt des valeurs axées sur l’individu, tandis que la vie familiale vise autre chose qui
présente des similitudes et des différences. Nous ne nous pencherons donc pas en détail sur la vie
familiale, mais nous nous limiterons à un bref commentaire de ce droit fondamental (infra, sub 5).
140
Notre raison de parler d’un droit fondamental à la protection des ‘communications’ plutôt que de la protection de la
‘correspondance’ est exposé plus loin.
141
Nous disons « un certain nombre ». Le droit de se marier et de fonder une famille, par exemple, doivent assurément être
repris de manière thématique dans la liste figurant à l’article 8 CEDH. Les rédacteurs de la convention ont toutefois choisi de
regrouper ces droits sous un article distinct, en l’occurrence l’article 12 CEDH.
142
Comp. « (...) le droit des requérants au respect de leur ‘domicile’, lequel relève de leurs sécurité et bien-être personnels.
Pour déterminer l’ampleur de la marge d’appréciation laissée à l’Etat, il faut garder à l’esprit l’importance d’un tel droit pour
l’individu. » (Cour EDH, Joseph Gillow c. Royaume-Uni, 24 novembre 1986, Série A, vol. 109, par. 55).
143
La notion semble fonctionner comme un terme générique qui englobe les trois autres éléments (famille correspondance et
domicile). La ‘vie familiale’, les ‘communication’ et le ‘domicile’ sont donc certains types normaux de la vie privée et leur
mention comme droit fondamental peut être considérée comme un contenu donné à cette vie privée conforme à la convention
(DE BOER, J. dans « Verslag van de op 8 juni 1990 te Utrecht gehouden algemene vergadering over artikel 8 EVRM »,
Handelingen Nederlandse Juristenverengiging, 1990, II, 45). Cf. KOERING-JOULIN, qui dit qu’il faut entendre par vie privée:
« tout ce réseau de droits et libertés individuels à la confluence desquels se forge ce qu’on appelle une personnalité »
(KOERING-JOULIN, R., « Des implications répressives du droit au respect de la vie privée de l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme », R.S.C.D.P.C., 1986, p. 721). Egalement: KRABBE, H., « Artikel 8. De eerbiediging van het
privé- leven », dans HARTEVELD, A., KEULEN, B. et KRABBE, H., Het EVRM en het Nederlandse strafprocesrecht,
Groningen, Wolters-Noordhoff, 1992, 129.
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3.2. LE RÉGIME DES EXCEPTIONS
3.2.1.Toute limitation de la vie privée n’est pas illégale
Dans un deuxième paragraphe, l’article 8 CEDH comprend une série d’exceptions au respect des droits
de l’alinéa 1er. Cette structure implique que toute atteinte n’est pas ipso facto contraire aux droits
fondamentaux. Si une ingérence est constatée, il faut contrôler si les trois conditions énumérées à
l’article 8, deuxième alinéa sont satisfaites: à savoir l’ingérence dans la vie privée ou familiale doit être
prévue par la loi (contrôle de la légalité), est nécessaire dans une société démocratique (contrôle de la
nécessité) et poursuit un but légitime (contrôle de la légitimité). Un contrôle positif de ces trois critères
fait que l’ingérence est conforme à la CEDH. Ces motifs de limitation144 se trouvent dans le deuxième
alinéa de l’article 8 CEDH. Ils sont l’expression que pratiquement aucun droit fondamental ne
bénéficie d’une protection absolue, mais trouve ses limitations dans les libertés d’autrui ou dans
l’intérêt général. Comme presque toujours, des dérogations juridiques valables sont possibles, mais
uniquement à la lumière d’une mise en balance des droits et intérêts.
Cette donnée ne peut mener à des abus. On oublie un peu vite que dans une telle mise en balance de
droits fondamentaux et intérêts, la liberté de la vie privée doit prévaloir parce qu’elle figure en tête de
la hiérarchie des normes.145 Dans l’arrêt Klass de 1975, il est dit que les compétences nationales de
déroger aux droits garantis par la convention doivent être interprétées de manière restrictive.146 Trois
ans plus tôt, dans l’affaire Golder de 1975, la Cour avait mis un terme à une autre incertitude en
décidant que l’article 8 CEDH ne tolérait aucune autre exception que celles mentionnées dans le
texte.147
3.2.2.La notion ‘d’ingérence d’une autorité publique’
Le deuxième alinéa de l’article 8 CEDH commence par la phrase ‘Il ne peut y avoir ingérence d’une
autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que...’. On peut tout d’abord poser la
question de savoir quand il est question d’une ‘ingérence’ au sens de cette disposition. Dans
l’interprétation stricte la plus usuelle de cette notion, on parle d’une ingérence si l’autorité agit
concrètement sur les droits du premier alinéa.148 Un premier élargissement de la notion ‘d’ingérence’ se
144
Cf. BELLEKOM, Th., « Het Hof voor de Rechten van de Mens en de beperkingsclausules van het EVRM », dans Veertig
jaar, EVRM, (NJCM-Bulletin -special 1990), 59-76; STAAL, C., De vaststelling van de reikwijdte van de rechten van de mens,
Nijmegen, Ars Aequi Libri, 1995, 730.
145
Cela est assurément en rapport avec le climat changeant que nous avons déjà décrit plus haut. Voir aussi le communiqué de
presse repris sous le titre « Privacy versus veiligheid » dans le Nederlands Juristenblad, 11 février 1994, 209.
146
Cour EDH, Gerhard Klass e.a. c. Allemagne, 6 septembre 1978, Série A, vol. 28, par. 42. Egalement: Cour EDH, Reuben
Silver e.a. c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, Série A, vol. 61, par. 97.
147
Pour justifier certaines limitations des droits fondamentaux des détenus, les Etats membres ont longtemps utilisé à Strasbourg
la théorie des ‘limitations implicites’: en vertu de cette théorie, les détenus pourraient être limités de manière plus stricte dans le
cadre de la liberté qu’ils puisent dans l’article 8 CEDH. La Cour se distancie nettement de la théorie des limitations implicites
dans l’arrêt Golder. Les droits des détenus ont la même valeur que ceux des autres individus. Les mesures prises à l’égard de
détenus doivent toujours satisfaire aux conditions de légalité, de légitimité et de nécessité. Le fait d’être détenu n’est pas en soi
un motif de commettre une atteinte à la vie privée telle que l’interception de lettres (Cour EDH, Sidney Golder c. Royaume-Uni,
21 février 1975, Série A, vol. 18, par. 37-40). L’énumération des conditions des exceptions dans l’article 8 alinéa 2 CEDH a donc
un caractère limitatif. Ce point de vue a été depuis confirmé plusieurs fois, notamment dans les arrêts Silver, Campbell et Fell,
Boyle et Rice et Schönenberger et Durmaz (Cour EDH, Reuben Silver e.a. c. Royaume- Uni, 25 mars 1983, Série A, vol. 61;
Cour EDH, Campbell et Fell, 28 juin 1984, Série A, vol. 80; Cour EDH, Boyle et Rice, 27 avril 1988, Série A, vol. 131; Cour
EDH, Schönenberger et Durmaz, 20 juin 1988, Série A, vol. 137). Voir aussi: SMAERS, G., « De toepassing van het CEDH op
de strafuitvoeringsfase », Panopticon, 1991, 32-38; KRABBE, H., l.c., 135- 136; VANDE LANOTTE, J., HAECK, Y. e.a., Het
Europees verdrag tot bescherming van de rechten van de mens in hoofdlijnen, Antwerpen, Maklu, 1997, Partie 1, 207-212. Voir
cependant l’évaluation critique de Velu et Ergec (VELU, J. et ERGEC, R., La convention européenne des droits de l’homme,
Bruxelles, Bruylant, 1990, n° 681).
148
C’est notamment le cas lorsque la correspondance de personnes privées de leur liberté est contrôlée (Cour EDH, De Wilde,
Ooms et Versyp c. Belgique, l.c., par. 93; Cour EDH, Golder 21 février 1975, Série A, vol. 18, par. 43; Cour EDH, Reuben Silver
e.a. c. Royaume-Uni, l.c., par. 84), ou lorsque des services de police (Cour EDH, Gerhard Klass e.a. c. Allemagne, l.c., par. 41)
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présente dans l’affaire Dudgeon de 1981, où la Cour constate que la simple existence de dispositions
pénales sur les relations homosexuelles entre hommes, constitue une atteinte à la vie privée de
l’homosexuel Dudgeon. Celui-ci doit en effet soit adapter son comportement, ce qui fait violence à sa
nature homosexuelle, soit poser des actes interdits pour lesquels il peut être poursuivi.149
Dans l’affaire Klass, qui est antérieure à Dudgeon, la notion ‘d’ingérence’ est fortement élargie. Cette
affaire nous apprend qu’une ingérence dans le sens de l’article 8 CEDH est présente non seulement si
l’autorité intervient concrètement dans les droits d’un sujet de droit, mais aussi si le droit national crée
la possibilité d’un tel comportement de l’autorité. En effet, même la simple menace peut constituer une
atteinte à la vie privée. La menace de surveillance secrète peut mener le citoyen à l’autocensure,
décourageant un comportement qui, bien que non punissable, pourrait néanmoins attirer l’attention de
l’autorité. C’est la raison pour laquelle il faut non seulement contrôler la conformité d’une mesure de
surveillance effective à l’article 8 CEDH, mais aussi celle d’une mesure de surveillance potentielle.150
Cet élargissement est plus que souhaitable. Les juges de Strasbourg ne disposent d’aucune compétence
pour contraindre les Etats membres de collaborer à la procédure et ils doivent donc s’armer
différemment pour permettre de contraindre au respect effectif de la convention.151
Même dans l’acception élargie utilisée dans l’affaire Klass, le contenu de la notion ‘d’ingérence’ peut
toujours être suspendu à (la menace) des actes concrets152 et on peut dire que sans agissements concrets
de l’autorité il n’y a pas ‘d’infraction’. Cette vision ne peut toutefois pas être soutenue à la lumière de
l’affaire Brüggemann et Scheuten c. Allemagne de 1977, dans laquelle deux femmes s’opposent à
l’interdiction de l’avortement en Allemagne alors qu’elles n’avaient aucunement l’intention d’y
recourir.153 Cette affaire célèbre constitue un cas, rare il est vrai, dans lequel on accepte que des
citoyens puissent s’opposer à une loi sans être concernés concrètement.
Le rôle de l’article 8 CEDH ne s’arrête toutefois pas là. La théorie des obligations positives, sur
laquelle nous reviendrons plus loin, a justement été développée par la Cour pour conformer les
agissements de l’autorité aux droits figurant à l’alinéa 1er de l’article 8 CEDH, par exemple lorsque les
droits fondamentaux ne sont pas menacés par un agissement de l’autorité (ou par une réglementation
qui le rend possible), mais par une inaction de l’autorité. La décision de la Cour dans l’affaire Marckx
de 1979, sur laquelle nous reviendrons en détail, a été décisive pour le développement de cette théorie.
Cette même année, la Cour a prononcé une décision sur l’impossibilité de madame Airey de divorcer
sur la base du droit irlandais. Pour la plaignante, cette législation constituait une atteinte à plusieurs
droits fondamentaux. L’un d’eux était le droit fondamental à la protection de la vie privée et familiale.
Selon la Cour, il n’y a pas d’infraction dans cette affaire. Le cœur de la plainte de Airey n’est pas que
l’Irlande a posé un acte, mais au contraire qu’elle n’a pas posé un acte.154 Dans les mêmes termes et en
ou l’appareil judiciaire (Cour EDH, James Malone c. Royaume-Uni, 20 août 1984, Série A., vol. 82, par. 64) ou des personnes
exercent secrètement une surveillance (sur leurs communications ou non). Il est question d’une ingérence dans le droit
fondamental à la protection du domicile si les propriétaires d’une habitation se voient dénier le droit d’y habiter et sont
poursuivis pour ce fait (Cour EDH, Joseph Gillow c. Royaume-Uni, l.c., par. 47).
149
Cour EDH, Jeffrey Dudgeon c. Irlande, 22 octobre 1981, Série A, vol. 45, par. 41, avec référence au par. 27 de l’arrêt
Marckx.
150
« De plus, la législation elle- même crée par sa simple existence, pour tous ceux auxquels on pourrait l’appliquer, une
menace de surveillance entravant forcément la liberté de communication entre usagers des services des postes et
télécommunications et constituant par là une ‘ingérence d’une autorité publique » (Cour EDH, Gerhard Klass e.a. c. Allemagne,
l.c., par. 41). Voir aussi: KRABBE, H., l.c., 137; DE SCHUTTER, O., « La vidéosurveillance et le droit au respect de la vie
privée », Journ. procès, 1996, n° 298, 11.
151
Le Royaume-Uni a adopté une ligne constante visant à ne pas laisser voir dans ses cartes dans le cadre de procédures à
Strasbourg. Les victimes prétendues de surveillance secrète ont donc beaucoup de difficultés à prouver une atteinte concrète à
leurs droits fondamentaux. Comme le Royaume-Uni ne laissait rien filtrer des mesures d’écoute éventuelles à l’égard de James
Malone, la Cour a estimé, à la suite de la Commission, que l’existence d’une atteinte était établie, compte tenu de la simple
existence d’une réglementation et de pratiques d’écoutes en Angleterre et au Pays de Galles (Cour EDH, James Malone c.
Royaume-Uni, l.c., par. 64).
152
Klass était un avocat et pouvait donc être en contact avec des personnes qui pouvaient faire l’objet d’écoutes.
153
Comm. EDH, Brüggemann et Scheuten c. Allemagne, 12 juillet 1977, requête n° 6959/75, D.R., vol. 10, 116.
154
« Aux yeux de la Cour, Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de l’Irlande une ‘ingérence’ dans sa vie
privée ou familiale: elle se plaint en substance non d’un acte, mais de l’inaction de l’Etat. Toutefois, si l’article 8 a
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51
faisant référence à cette décision, la Cour a dit dans l’affaire Gaskin de 1989 que le refus d’accorder à
Gaskin l’accès à un dossier sur sa jeunesse ne constitue pas de réelle atteinte à sa vie privée et familiale
parce que l’autorité britannique ne fait pas réellement quelque chose avec les données de Gaskin (en les
communiquant par exemple). Il pourrait toutefois être question de non- respect d’une obligation
positive dans le chef de l’autorité britannique pour rencontrer la demande de Gaskin.155
La combinaison des acquis Brüggemann et Scheuten et de la théorie des obligations positives de l’Etat,
nous font penser que l’on peut agir à Strasbourg contre l’inaction du législateur par exemple lorsque
des menaces contre des droits fondamentaux apparaissent par application de nouvelles techniques
comme des caméras. La plainte de la Ligue belge des droits de l’homme contre les lacunes de la
législation belge relative à la vidéosurveillance, a toutefois été déclarée irrecevable.156
3.2.3.Ingérences par des particuliers
Revenons à la phrase introductive du deuxième alinéa de l’article 8 CEDH (‘Il ne peut y avoir
ingérence d’une autorité publique...’). La phrase nous amène à la question de savoir si l’article 8 CEDH
formule uniquement des normes pour des agissements de l’autorité ou également pour ceux de
particuliers. La convention ne donne apparemment aucune réponse explicite à la question de savoir si
les droits fondamentaux reconnus par l’article 8 CEDH peuvent être opposé à des concitoyens.157 Bien
qu’il n’y ait aucune discussion sur le fait que des particuliers ne peuvent être condamnés à Strasbourg
pour une violation de la convention, la réponse est cependant en grande partie positive. Cela découle
implicitement de la jurisprudence des juridictions de Strasbourg158, plus précisément d’une certaine
jurisprudence dans les Etats membres, dans laquelle le recours à l’article 8 CEDH est accepté159 et
incontestablement des positions prises en doctrine en ce qui concerne ce que l’on appelle le
fonctionnement horizontal.160 Nous examinerons dans ce qui suit la portée concrète des critères de
légalité, de légitimité et de nécessité qui doivent être satisfaits chaque fois que l’on porte atteinte aux
droits fondamentaux de l’article 8 CEDH.
3.2.4.Le contrôle de légalité
L’article 8 CEDH ne permet une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, de la vie familiale,
du domicile et de la correspondance, ‘que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi’. Une loi
doit par conséquent indiquer qu’une limitation d’un droit fondamental est possible. Après que l’on ait
accepté en 1979, en ce qui concerne la Common Law, qu’une règle non-écrite pouvait également être
considérée comme fondement juridique161, la Cour européenne montra dans les arrêts Kruslin et Hüvig
essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas
d’astreindre l’Etat à s’abstenir de pareilles ingérences: à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations
positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale » (arrêt Marckx précité, p. 15, par. 31) (Cour EDH, Johanna
Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, Série A, vol. 32, par. 32).
155
Cour EDH, Graham Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, Série A, vol. 160, par. 41.
156
Comm. EDH, Pierre Herbecq et Ligue des droits de l’homme c. Belgique, 14 janvier 1998, requêtes n° 32200/96 et 32201/96,
J.T.D.E., 1998, 67-68; Algemeen Juridisch Tijdschrift, 1998, 504-511, note P. DE HERT et O. DE SCHUTTER.
157
Aucune attention n’a été consacrée à cette question lors de la préparation de l’article 22 Const., de sorte que le texte de cette
disposition n’apporte pas non plus de solution. Une forme d’ application horizontale a été implicitement prise en considération
(BREMS, E., l.c., 627, avec réf.).
158
Au niveau de la jurisprudence des organes de Strasbourg, on peut indiquer plusieurs décisions portant sur des plaintes sur des
violations des droits fondamentaux commises par des particuliers. En application de la théorie des obligations positives, l’Etat
membre concerné est rendu responsable de telles atteintes puisqu’il n’est pas parvenu à remplir ses obligations positives visant à
permettre l’exercice d’un droit fondamental (infra).
159
Notamment C. Trav. Antwerpen, 7 mai 1976, Rechtskundig Weekblad, 1976-77, 1249- 126, note J. DE JONGHE et note M.
RIGAUX. On lira les réf. DE HERT, P. et GUTWIRTH, S., « Controletechnieken op de werkplaats: herbeschouwing in het licht
van persoons-gegevensbeschermingsrecht », Oriëntatie, 1993, n° 5, 125-130; VAN LAETHEM, W., DECORTE, T. et BAS, R.,
o.c., 165 et suiv.
160
Cf. VANDE LANOTTE, J., HAECK, Y. e.a., o.c., 186-196, avec réf.
161
Cour EDH, Sunday Times c. Royaume-Uni, 26 avril 1979, Série A, vol. 30, par. 46-53.
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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52
de 1990 que, en Europe continentale également, une grande place devait être laissée à des
interprétations jurisprudentielles pour concrétiser l’exigence de légalité de l’article 8, alinéa 2
CEDH.162 La notion de ‘loi’ figurant dans le deuxième paragraphe doit également être comprise chez
nous dans sa signification matérielle ou substantielle, et pas dans sa signification formelle. Elle
comprend en plus des lois votées par le parlement également des arrêtés et ordonnances infralégales et
même du droit non-écrit. On entend donc par ‘loi’ la règle légale en vigueur, telle qu’elle est interprétée
par les juridictions internes. La Cour européenne accepte par exemple un recours à la jurisprudence
nationale pour combler les lacunes, mais ce recours ne peut avoir lieu qu’à condition que la
jurisprudence en question soit claire, abondante, détaillée, publiée et constante.
Cette définition souple de la notion de loi va de pair avec l’exigence de ce que l’on appelle des critères
de qualité dans la notion de loi: une ingérence n’est prévue par la loi au sens de la convention que si
elle est suffisamment accessible pour le justiciable et si le champ d’application et le contenu normatif
de la réglementation sont suffisamment précis pour en prévoir les conséquences avec suffisamment de
précision.163 Le fondement juridique d’une ingérence doit donc être ‘accessible’ et ‘prévisible’.
La Cour entend par ‘accessible’ que le citoyen doit pouvoir être au courant des règles importantes et
applicables en l’espèce. ‘Prévisible’ signifie qu’il faut que l’on ait donné suffisamment d’informations
sur l’existence, la portée et la manière d’exercer l’ingérence. Le justiciable doit donc, sur la base du
droit national en vigueur, pouvoir se faire une idée claire et précise de ce qui l’attend lors de l’exercice
de la liberté en question. Il devra pouvoir aligner son comportement dessus (‘foreseeability’). La
législation sur l’utilisation de moyens de contrainte secrets est nécessairement partiellement
imprévisible. Dans tous les cas, le fondement juridique doit au moins indiquer la portée ou ‘scope’
d’une ingérence (ou d’une compétence d’ingérence).164
3.2.4.L’importance du contrôle de la légalité
Il n’y a aucun doute sur le premier intérêt du contrôle de la légalité dans le régime des droits
fondamentaux. En principe, les droits fondamentaux sont la règle et les ingérences les exceptions.
Celles-ci doivent donc être spécifiées. Des ingérences qui ne reposent pas sur des fondements
juridiques connus sont beaucoup plus difficiles à contrôler. Dans le cas de moyens de contrainte
secrets, il est pratiquement impossible de prouver une atteinte concrète au droit fondamental et il ne
reste souvent plus qu’un contrôle de la législation applicable. Il est évident que Strasbourg commence
par un contrôle de l’exigence de légalité et ne procède au contrôle des autres exigences du paragraphe 2
de l’article 8 CEDH que lorsqu’elle est satisfaite.165 On peut toutefois constater que, en cas de doute sur
la question de savoir si une ingérence de l’autorité repose sur un fondement juridique suffisamment
précis et accessible, les juridictions de Strasbourg laissent le doute subsister et passent immédiatement
162
Cour EDH, Huvig c. France, 24 avril 1990, Série A, vol. 176-B, par. 28 et Kruslin c. France, 24 avril 1990, Série A, vol. 176A, par. 29. On lira: BLONTROCK, P. et DE HERT, P., « Telefoontap: Tournet, Peureur, Hüvig, Kruslin et les autres »,
Rechtskundig Weekblad, 1991-1992, 865-871. Concrètement, la Cour estime que pour permettre une ingérence secrète dans le
chef de la police et de la justice, il ne faut pas toujours une loi dans le sens d’un texte ratifié par le parlement. Des arrêtés et
règlements infralégaux et même du droit non-écrit peuvent constituer une base juridique suffisante. Dans ce cadre,
l’interprétation de la loi par les juridictions est très importante (Cour EDH, Huvig c. France, l.c., par. 28; Cour EDH, Kruslin c.
France, l.c., par. 29).
163
« Et que les exigences qui découlent de l’expression ‘prévue par la loi’ vont au- delà de la simple conformité à la loi
nationale. Il faut d’abord que la ‘loi’ soit suffisamment accessible: le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants,
dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer
comme une ‘loi’ qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s’entourant
au besoin de conseils éclairés (...) » (Cour EDH, Sunday Times c. Royaume-Uni, l.c., par. 49).
164
Cour EDH, James Malone c. Royaume-Uni, l.c., par. 67-68, avec réf. à l’arrêt Klass. Cette condition est affinée dans les
affaires d’écoutes ultérieures (infra).
165
Cf. Cour EDH, A c. France, 23 novembre 1993, Série A, vol. 277-B, par. 39, avec réf. à Cour EDH, Kruslin c. France,
24 avril 1990, l.c., par. 37. Voir aussi: Cour EDH, Istvan Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, Série A, vol. 244 (La
question de savoir si l’atteinte aux droits d’Herczegfalvy était nécessaire n’a pas reçu de réponse de la part de la Cour. D’abord le
contrôle de légalité, puis seulement l’examen des autres conditions).
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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au contrôle de la nécessité. Dans la mesure où l’ingérence de l’autorité est considérée comme nonnécessaire dans une société démocratique, les deux juridictions ne se prononcent pas sur l’exigence de
légalité.166 Le contrôle de la légalité risque donc de perdre son premier rôle, en tout cas en ce qui
concerne sa prééminence, mais aussi à notre avis en ce qui concerne sa signification (si ce n’est pas
déjà fait par la large définition de la notion de ‘loi’ (supra)). Il y a un réel danger que l’exigence soit
tout simplement oubliée ou négligée, même dans les cas où un contrôle s’impose.167
Soulignons que l’article 22 Const. est plus strict sur ce point que l’article 8 CEDH. La disposition
réserve au législateur ou au législateur décrétal la compétence d’organiser des ingérences dans la vie
privée.168
3.2.5.Le contrôle de la légitimité
Si une atteinte se présente, il faut, lors de l’examen de la compatibilité avec la convention, poser la
question de savoir si l’atteinte porte sur la protection d’un ou de plusieurs des intérêts juridiques
énumérés au deuxième alinéa de l’article 8 CEDH. Les intérêts énumérés à l’article 8 sont: la sécurité
nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre, la prévention des
infraction
pénales, la protection de la santé169 et de la morale. Dans son schéma de contrôle, la Cour va
généralement, à la suite du contrôle de la légalité, examiner si la législation en question vise une des
finalités précitées. La liste de ces motifs de limitation est limitative. Le texte même et son explication
par les organes de Strasbourg, sont toutefois si larges que pratiquement toutes les limitations de la
liberté peuvent y être placées.170
3.2.6.Le contrôle de la nécessité
Une autre exigence de la convention concerne la condition de la nécessité: même si une ingérence est
prévue par la loi et qu’elle satisfait aux objectifs énumérés à l’article 8 CEDH, il faut que la limitation
166
Cf. notre commentaire des trois arrêts français en matière de douanes de 1993 en ce qui concerne le droit fondamental à la
protection du domicile (infra comp. avec la jurisprudence sur l’article 10 CEDH: VOORHOOF, D., « De vrijheid van expressie
en informatie en de rechtspraak van de ECRM en het EHRM betreffende artikel 10 EVRM (1958-1994) », Mediaforum (Nl.),
1994, n° 11-12, 117.
167
Cf. Cour EDH, Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, Série A, vol. 238. La question de la compatibilité avec la convention du recours
à des infiltrants et de l’utilisation d’écoutes judiciaires proactives est posée dans cet arrêt. La Commission estimait que
l’infiltration touchait à la vie privée de l’intéressé et avait mis l’infiltration en balance avec l’alinéa 2. Lors de ce contrôle, la
Commission constata que la condition de la base légale claire ou de la légalité n’était pas remplie. La législation suisse sur
l’infiltration était en effet formulée avec trop peu de précision. Par contre, la Cour néglige le triple contrôle des prescrits de
l’article 8 CEDH dans le cas de la question de l’admissibilité de l’infiltrant. Il n’y a pas d’atteinte à la vie privée, dit la Cour,
parce que Lüdi aurait dû après le contact avec l’infiltrant se rendre compte qu’il était en train de commettre un fait punissable et
qu’il courait donc le risque de se trouver face à un agent undercover (Cour EDH, Lüdi c. Suisse, l.c., par. 40). La Cour applique
ici manifestement un simple truc pour ne pas devoir appliquer le contrôle de légalité qu’elle avait elle-même développé dans les
affaires Huvig et Kruslin. Plutôt que de s’engager dans une polémique avec la Commission, la Cour préfère mettre l’article 8
CEDH hors jeu.
168
« Il (ndt le législateur) est, à l’inverse, seul habilité à déterminer les cas et les conditions dans lesquels ce droit peut souffrir
certaines restrictions » (C. d’Et., avis du 2 juillet 1996, Doc. Parl., Chambre, 1995-1996, 638/1, 31; C. d’Et., avis du 30 octobre
1996, L. 25.704/2, non publié). Les dispositions de droit interne commentées, tirées de la Loi sur la fonction de police et de la
Constitution, ne sont pas sans importance pour l’interprétation de la convention. L’article 60 CEDH considère en effet qu’un Etat
membre protège de manière plus poussée les droits de l’homme et les libertés fondamentales que ne le fait la Convention
(LINDO, C., « Onze Straatsburgse rechter over het EVRM. Interview met Mr. S.K. Martens », Nederlands Juristenblad, 21 mars
1991, 474). S’il faut choisir entre une disposition de la convention et une disposition de droit interne qui garantit une protection
plus poussée, il faut donner la préférence à cette dernière. La disposition de droit interne qui est plus favorable au respect de la
vie privée prime donc sur l’article 8 CEDH et l’interprétation de cette disposition par les organes européens (C. d’Et., avis du
30 octobre 1996, L. 25.704/2, non publié).
169
Sur la protection de la santé comme motif de limitation, on lira ROSCAM ABBING, H., « Artikel 8: het recht op privéleven », dans Het EVRM en de gezondheidszorg, Nijmegen, Ars Aequi Libri, 1994, 105-118.
170
Comp. KRABBE, H., l.c., 136.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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soit nécessaire dans une société démocratique et ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire. La
question de savoir si l’ingérence est nécessaire dans une société démocratique constitue le noyau de
nombre d’arrêts de la Cour européenne. La Cour va formuler différents ‘principes’ afin de rendre ce
contrôle objectif. A partir de 1976, elle va notamment dire que pour être ‘nécessaire’, une ingérence
doit répondre à un ‘pressing social need’ (besoin social impérieux). Le principe de l’interprétation
limitative constitue un autre exemple (infra). Outre ces ‘principes’, il nous semble que la Cour fait
appel à une série de critères qui permettent de déterminer s’il y a réellement un tel besoin social.171 Il y
a tout d’abord le critère de la pertinence. L’application de ce critère signifie que pour qu’une mesure
soit nécessaire il faut qu’elle soit pertinente pour atteindre le but visé. La Cour examine si l’on peut
raisonnablement considérer que la mesure attaquée est utile, pertinente et efficace pour atteindre
l’objectif visé.172 Un deuxième critère, qui est également le plus utilisé, est celui de la proportionnalité.
La question essentielle est ici de savoir s’il existe un rapport raisonnable entre l’atteinte au droit d’une
part et l’objectif légitime qui est poursuivi d’autre part. Plus fort est ce rapport, plus importante peut
être l’atteinte. Cette appréciation est bien entendu très difficile, voire subjective.173 Le contrôle de
nécessité utilisé par Strasbourg a parcouru un long cheminement, au cours duquel des éléments ont été
ajoutés et retranchés. Un récent exemple du contrôle de nécessité est donné par le paragraphe 42 de
l’arrêt Laskey, Jaggard et Brown de 1997.174 Dans cette affaire, la Cour se penche sur la question de
savoir si l’ingérence du système judiciaire britannique dans le jeu sadomasochiste des personnes
précitées était nécessaire dans une société démocratique, à la lumière de l’article 8 CEDH. Pour
contrôler ce critère, on examine si la mesure répond à une nécessité sociale impérieuse et est
notamment proportionnelle au but poursuivi. Dans l’appréciation de la nécessité de l’intervention de
l’autorité britannique dans la vie sexuelle des plaignants, la Cour tient compte de la marge
d’appréciation reconnue à l’Etat, laquelle varie selon le contexte de l’affaire. Dans ce cadre, des
facteurs pertinents sont la nature du droit invoqué, l’intérêt de ce droit pour l’individu et la nature des
activités en question.175
3.2.7.Contrôle par rapport à des obligations positives
L’article 8 CEDH interdit non seulement les ingérences arbitraires, mais il oblige également les Etats
parties à la convention de prendre les mesures nécessaires pour assurer la jouissance effective de la vie
privée et des autres droits énuméré à l’article 8 CEDH. Ce n’est dit qu’en peu de mots dans la
convention, mais la Cour l’a déduit de la convention de manière prétorienne. Nous parlons
d’obligations négatives lorsque l’Etat doit s’abstenir d’une ingérence dans un droit fondamental et
d’obligations positives lorsque l’Etat doit intervenir en raison de l’exigence de ‘respect’ d’un droit
171
Sur cette condition: RIMANQUE, K., « Noodzakelijkheid in een democratische samenleving-een begrenzing van
beperkingen aan grondrechten », dans Liber Amicorum Frédéric Dumon, Antwerpen, Kluwer Rechtswetenschappen, 1983, partie
II, 1220.
172
Cour EDH, Richard Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, l.c., par. 48-50.
173
La Cour a toutefois mis au point plusieurs moyens techniques pour alléger la tâche. Elle examine parfois si des atteintes
alternatives et plus légères peuvent atteindre un résultat équivalent. S’il y a de telles alternatives, il est clair que l’atteinte n’est
pas proportionnelle. Il est également fréquemment fait usage du droit comparé, en examinant comment un problème similaire est
résolu dans d’autres pays. Le fait que toute une série de pays utilisent une solution similaire n’est, souligne la Cour, toutefois pas
un argument définitif pour considérer que l’atteinte est admissible, mais cette constatation joue une rôle important dans la
pratique (‘principe du consensus’).
174
Cour EDH, Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997, E.H.R.R., 1997, partie 1, par. 36; R.T.D.H., 1997,
733-745, note LEVINET, M.
175
Dans cette affaire, la Cour se penche sur la question de savoir si une ingérence du système judiciaire britannique dans des
pratiques sadomasochistes des personnes citées était nécessaire dans une société démocratique, à la lumière de l’article 8 CEDH.
Pour contrôler ce critère, on examine si la mesure répond à un besoin social impérieux et est notamment proportionnel au but
poursuivi. Lors de l’évaluation de la nécessité de l’intervention de l’autorité britannique dans la vie sexuelle des plaignants, la
Cour tient compte de la marge d’appréciation reconnue à l’Etat, marge qui varie selon le contexte de l’affaire. Dans ce cadre, des
facteurs pertinents sont la nature du droit invoqué, l’importance de ce droit pour l’individu et la nature des activités en question
(Cour EDH, Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, l.c., par. 42).
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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55
fondamental pour permettre la jouissance de ce droit fondamental par le citoyen.176
Depuis l’arrêt Rees de 1986, la Cour ne se considère en principe pas liée par la Convention pour mettre
le non-respect d’obligations positives en balance avec les cinq finalités légales figurant au deuxième
paragraphe de l’article 8 CEDH.177 La seule mesure pour déterminer la conformité à l’article 8 CEDH
est désormais un contrôle ‘fair balance’.178 Le seul critère disponible est donc celui du ‘bon équilibre’
entre les différents intérêts en conflit, ce qui est bien sûr plus vague si l’on fait la comparaison avec le
critère contenu dans l’article 8, deuxième paragraphe.179
3.3. L’IMPORTANCE DU DROIT À LA VIE PRIVÉE FIGURANT DANS
LA CEDH
3.3.1.Une notion large de vie privée
L'article 8 CEDH constitue une disposition 'normative ouverte', qui n'a pas été créée par le système
juridique mais qui renvoie à une prétendue réalité personnelle et/ou sociale.180 Ni la Commission ni la
Cour n'ont jamais tenté de définir la notion de manière limitative. La Commission a toutefois, suivie en
cela par la Cour, dit que la vie privée constitue un concept relationnel qui va au-delà d’un droit à
l’intimité.181 Cette décision nous apprend que la vie privée n’est donc pas seulement un droit de mener
une vie soustraire à des regards étrangers, mais un droit d’engager des relations avec d’autres êtres
humains.182 Un bref aperçu de la jurisprudence existante (infra), nous apprend que la notion de ‘vie
privée’ doit être expliquée de manière très large.183
On peut lire dans certains textes que la vie privée constitue en premier lieu un droit d’appréciation, un
droit de tenir l’autorité et les concitoyens à distance et de réaliser ainsi une intimité soustraite au regard
d’autrui.184 Cette conception de la vie privée remonte à la définition de la vie privée comme ‘the right
to be left alone’ par Warren et Brandeis dans leur article paru il y a cent ans dans la Harvard Law
Review.185 La jurisprudence de Strasbourg nous apprend cependant que le concept de Warren et
Brandeis a été abandonné totalement ou partiellement depuis longtemps. Cette jurisprudence présente
un développement d’un droit d’être laissé seul en direction d’un droit à l’autodétermination, ce qui est
plus large. Outre la compétence de défense, on met maintenant l’accent sur la compétence d’autonomie
sur le caractère libertaire de la vie privée. La Commission a particulièrement insisté sur un concept de
vie privée élargi, qui a ensuite été repris par la Cour.186 Ces éléments cadrent dans la conception plus
176
Sur les ‘obligations positives’ à la lumière de la Convention, voir: VANDE LANOTTE, J., HAECK, Y. e.a., o.c., 186-196.
Cour EDH, Mark Rees c. Royaume-Uni, 17 octobre 1986, Série A, vol. 106, par. 37.
178
Cour EDH, Mark Rees c. Royaume-Uni, l.c., par. 37; Cour EDH, Graham Gaskin, l.c., par. 42.
179
Dans l’arrêt Gaskin il est dit que dans, le cas d’une obligation positive, l’autorité doit mettre en balance d’une part l’intérêt
individuel de l’intéressé et d’autre part l’intérêt général (Cour EDH, Graham Gaskin, 7 juillet 1989, Série A, vol. 160, par. 42).
180
VERMEULEN, B., « Wie bepaalt de reikwijdte van de grondrechten? », R & R, 1992, n° 1, 34.
181
Comm. EDH, X c. Islande, 18 mai 1976, requête n° 6825/74, D.R., vol. 5, 87-89.
182
Comp. avec la définition de l’Assemblée du Conseil de l’Europe: « Le droit au respect de la vie privée consiste
essentiellement à pouvoir mener sa vie comme on l’entend avec un minimum d’ingérence » (Résolution 428 (1970), Ann., XIII,
65; Rec. Textes, 1978, 911). Sur cette définition: LEMMENS, P. « De veiligheidsgordel en het recht op eerbiediging van het
privé-leven », Rechtskundig Weekblad, 1979-80, 838.
183
Cf. VELU, J. et ERGEC, R., o.c., 542-546.
184
Récemment encore: VELAERS, J., « Het menselijk lichaam en de grondrechten », l.c., 130.
185
Nous devons ce dernier terme à l’un des articles les plus novateurs sur ce problème, à savoir celui de WARREN, S. et
BRANDEIS, L., « The Right to Privacy », Harv. Law Rev., 1890, 193- 220. L’article fait toutefois référence à de la jurisprudence
et à de la doctrine britanniques antérieures en la matière (cf. RIGAUX, F., La protection de la vie privée et des autres biens de la
personnalité, Bruxelles, Bruylant, 1990, 636 Rechter Brandeis zou de ‘right to be left alone’-definitie hernemen in zijn klassieke
dissenting opinion bij Olmstead c. Verenigde Staten uit 1928 (277 U.S. 438 (1928)).
186
Voir surtout: LEMMENS, P., « Het recht op eerbiediging van de persoonlijke levenssfeer, in het algemeen en ten opzichte
van de verwerking van persoonsgegevens », dans Liber Amicorum Armand Vandeplas, Gent, Mys & Breesch, 1994, 313- 326, en
part. 314 et 318- 319 et DE SCHUTTER, O., « La vidéosurveillance et le droit au respect de la vie privée », Journal des Procès,
1996, n° 296, 10-11. Voir aussi VELU, J. et ERGEC, R., « Convention européenne des droits de l’homme », dans R.P.D.B.,
177
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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large de Strasbourg de rendre tous les droits figurant à l’article 8 CEDH applicables à des éléments
visibles, publics de la personne humaine.
3.3.2.Droits de la vie privée et personnes physiques
Dans une affaire contre l’Islande, un amateur de chiens met en question la compatibilité de la
législation qui soumet la détention de chiens à une autorisation de l’autorité en Islande.187 L’homme
invoque son droit à la vie privée. La Commission rejette la plainte. L’article 8 CEDH ne peut pas être
interprété de telle manière que tout le monde obtient le droit de détenir des chiens.188 La Commission
écrit dans ce cadre un passage légendaire dans lequel il est dit que la vie privée est un concept
relationnel qui va au-delà du droit à l’intimité, mais pas aussi loin qu’il puisse également être appliqué
aux relations avec des êtres non-humains.189
L’article 8 CEDH contient donc (jusqu’à présent) des droits pour des personnes et ne peut donc être
invoqué que par des personnes et ce uniquement en ce qui concerne des problèmes interhumains. Dans
une décision connue de 1977 sur une plainte contre la loi allemande sur l’avortement, la Commission
refusa de se prononcer sur la question de savoir si la vie à naître peut être considérée comme la ‘vie’ au
sens de l’article 2 CEDH ou si elle peut être considérée comme une entité qui peut justifier une
ingérence au sens de l’article 8, paragraphe 2 pour ‘la protection des droits et libertés d’autrui’.190
Dans une récente décision, la Commission élude la question de savoir si le président d’une association
de défense des droits de l’homme peut prétendre être une victime au sens de la convention, à l’occasion
de sa plainte sur l’absence de législation sur la vidéosurveillance en Belgique.191 Il faut en tout cas tenir
compte des conditions de recevabilité décrites à l’article 34 de la convention: peut s’estimer victime
d’une violation de la convention, la personne qui est en mesure d’avancer des éléments dont on peut
déduire l’existence d’une violation dans son chef.192 Dans l’affaire de la vidéosurveillance précitée, la
Commission confirme sa jurisprudence selon laquelle la qualité de victime ne peut être reconnue à une
personne qui n’est pas en mesure de démontrer qu’elle est ‘personnellement’ touchée par la loi qu’elle
critique.193 Toutefois, si une ingérence dans le droit à la protection de la vie privée découle de l’état du
Complément VII, 1990, 341-342; GUTWIRTH, S., Waarheidsaanspraken in recht en wetenschap, Bruxelles, Maklu-VUBPress,
1993, 611-658; LEMMENS, P., « Het recht op eerbiediging van de persoonlijke levenssfeer », l.c., 313-326; VELAERS, J.,
« Het menselijk lichaam en de grondrechten », l.c., 153.
187
Comm. EDH, X c. Islande, 18 mai 1976, requête n° 6825/74, D.R., vol. 5, 86- 89.
188
Comm. EDH, X c. Islande, 18 mai 1976, requête n° 6825/74, D.R., vol 5, 87.
189
« For numerous anglo-saxon and French authors the right to respect for ‘private life’ is the right to privacy, the right to live,
as far as one wishes protected from publicity (cf. numerous references quoted by Velu, Privacy and Human Rights, Third
International Colloquy about the European Convention on Human Rights, Manchester University Press, pages 27-28. See also
Black’s Law Dictionary, 4th edition, 1951, under ‘privacy’ In the opinion of the Commission, however, the right to respect for
private life does not end there. It comprises also, to a certain degree, the right to establish and to develop relationships with
other human beings, especially in the emotional field for the development and fulfilment of one’s own personality. The
Commission cannot, however, accept that the protection afforded by Article 8 of the Convention extends to relationships of th
individual with his entire immediate surroundings, insofar as they do not involve human relationships and notwithstanding the
desire of the individual to keep such relationship within the private sphere. No doubt the dog has had close ties with man since
time immemorial (...) the keeping of dogs is by the very nature of that animal necessarily associated with certain interferences
with the life of others and even with public life (Comm. EDH, X c. Islande, 18 mai 1976, requête n° 6825/74, D.R., vol. 5, 87). »
190
Comm. EDH, Rose Marie Brüggemann et Adelheid Scheuten c. Allemagne, 12 juillet 1977, requête n° 6959/75, D.R., 10,
116, par. 60. La Commission fait toutefois la constatation que certains droits sont accordés dans la plupart des ordres judiciaires
et que l’article 6 PIDCP interdit la peine de mort en ce qui concerne les femmes enceintes.
191
Comm. EDH, Pierre Herbecq et Ligue des droits de l’homme c. Belgique, 14 janvier 1998, requêtes n° 32200/96 et 32201/96,
J.T.D.E., 1998, 67-68; Algemeen Juridisch Tijdschrift, 1998, note P. DE HERT et O. DE SCHUTTER, à paraître.
192
Inversement, l’absence de tout élément indiquant une violation permet rétrospectivement que des doutes apparaissent sur la
qualité de la victime du plaignant.
193
Comm. EDH, Pierre Herbecq et Ligue des droits de l’homme c. Belgique, 14 janvier 1998, l.c., 67 avec réf. à Comm. EDH,
Association X et 165 ‘syndics et administrateurs judiciaires’ c. France, 4 juillet 1983, requête n° 9939/82, D.R., vol. 34, 213
(irrecevabilité d’une requête d’une association professionnelle d’enseignants qui allègue une violation de l’article 2, du quatrième
protocole – le droit de choisir librement sa résidence –, parce que le droit fondamental n’est reconnu qu’aux membres de
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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57
droit interne qui ne prévoit pas suffisamment de garanties contre certaines mesures de
vidéosurveillance, la qualité de ‘victime’ doit être attribuée à toute personne qui se plaint de la simple
existence d’une loi qui prévoit l’application de mesures de surveillance sans garanties suffisantes ou à
toute personne qui se plaint de l’absence d’un quelconque cadre juridique applicable à la
surveillance.194
Il faut considérer que certains groupes de personnes peuvent être considérés comme détenteurs d’un
droit fondamental au respect de la vie privée.195 Cela peut être déduit d’une décision de la Commission
dans laquelle le droit au respect d’un mode de vie propre déduit de l’article 8 CEDH a été reconnu dans
le chef d’une communauté de Lapons qui aurait été obligée de chercher un autre territoire pour leurs
rennes suite à l’installation d’une centrale hydroélectrique.196 Une autre question est de savoir si les
groupements ou les personnes morales peuvent s’adresser à Strasbourg avec des plaintes sur l’article 8
CEDH.
3.3.3.Droits de la vie privée, groupements et personnes
morales
On admet généralement que, selon le droit en vigueur, les droits de la convention peuvent en partie
s’applique à des personnes morales.197 L’ancien article 25 CEDH stipulaitque ‘la Commission peut
recevoir des requêtes de toute personne physique, de toute organisation (autre qu’une organisation
gouvernementale) ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation de l’un des
droits de la convention’. La Commission a déclaré recevables des requêtes d’églises198, de syndicats199,
d’entreprises200 et de partis politiques.201 Initialement, la Commission a utilisé une interprétation
restrictive en ce qui concerne la question de savoir quels droits de la convention étaient reconnus à des
personnes non-physiques. Elle constate que tous les droits reconnus à des personnes physiques ne
reviennent pas également par exemple à des personnes morales.202 En ce qui concerne certains articles,
comme par exemple les articles 9 et 10 CEDH, une évolution s’est produite dans le sens d’une
interprétation plus large qui permet aux groupements d’invoquer ces articles.203 En ce qui concerne le
droit fondamental au respect de la vie privée énoncé à l’article 8 CEDH, l’interprétation restrictive
l’association et que l’association ne peut indiquer de cas concret dans lequel la mesure violant la convention a été prise à l’égard
d’un ou de plusieurs enseignants).
194
Cf. Cour EDH, Gerhard Klass e.a. c. Allemagne, 6 septembre 1978, Série A, vol. 28; Comm. EDH, Brüggemann et Scheuten
c. Allemagne, 12 juillet 1977, requête n° 6959/75, D.R., vol. 10, 116. On lira: DE HERT, P. et DE SCHUTTER, O.,
« Straatsburg, videosurveillance en het vorderingsrecht van verenigingen », Algemeen Juridisch Tijdschrift, 1998, 504-511.
195
LEMMENS, P., « Het recht op eerbiediging van de persoonlijke levenssfeer », l.c., 322.
196
Comm. EDH, G. et E. c. Norvège, 3 octobre 1983, requêtes n° 9278/81 et 9415/81, D.R., vol. 35, 30-42, par. 2.
197
VAN STRIEN, A., « Rechtspersonen en mensenrechten. De gelding van mensenrechten voor rechtspersonen in het
strafprocesrecht », RM Themis, 1996, 7 avec réf. à GOLSONG, H., « La Convention européenne des Droits de l’Homme et les
Personnes morales », dans Les droits de l’homme et les personnes morales, Bruxelles, 1970, 15-33. VAN STRIEN étudie
également l’application du PIDCP (p. 8 et suiv.).
198
Comm. EDH, Eglise de scientologie c. Suède, 5 mai 1979, requête n° 7805, D.R., vol. 16, 76.
199
Comm. EDH, Syndicat national de la police belge c. Belgique, requête n° 4464-70, Rec. 39, 26.
200
Comm. EDH, Entreprise X c. Autriche, 13 décembre 1979, requête n° 7897-77, D.R., vol. 18, 31.
201
Comm. EDH, Liberal Party c. Royaume-Uni, requête n° 8765-79, D.R., vol. 21, 211.
202
COHEN-JONATHAN, G., La Convention européenne des droits de l’homme, Aix-en- Provence et Paris, Presses
Universitaires d’Aix-Marseille et Economica, 1989, 59.
203
COHEN-JONATHAN, G., o.c., 457, 476, 482 et 487. En ce qui concerne l’article 6 CEDH, voir récemment encore: Hoge
Raad, 17 janvier 1990, n° 26282, Vakstudie Nieuws, 1990, 894-896; Hoge Raad, 1er juin 1993, Nederlandse Jurisprudentie,
1994, 52. Cf. WATTEL, P., « Heimelijke aantekeningen, negatieve uitdelingen en grondrechten van rechtspersonen », Weekblad
voor Fiscaal Recht, 1990, 1112.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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58
reste toutefois la règle.204 Dans une décision de 1995, il est dit que « Unlike Article 9, Article 8 of the
Convention has more an individual than a collective character, the essential object of Article 8 of the
Convention being to protect the individual against arbitrary action by the public authorities ».205 Dans
l’arrêt Dow Benelux N.V. c. Commission de 1989, la Cour de Justice de Luxembourg, qui veille au
respect de ce que l’on appelle le droit communautaire, excluait l’application de l’article 8 CEDH aux
personnes morales: d’après la Cour on ne peut tirer d’autre conclusion de l’article 8 CEDH parce que
« la protection offerte par cet article vise l’épanouissement de la liberté personnelle de l’homme et (...)
ne peut donc s’étendre à des locaux professionnels ».206 La Cour de Luxembourg ajoute
immédiatement un deuxième argument, à savoir qu’il n’existe aucune jurisprudence de la Cour des
droits de l’homme strasbourgeoise sur la question.207
La doctrine souligne que les deux arguments sont sujets à discussion.208 Non seulement la Cour
strasbourgeoise a bel et bien rendu de la jurisprudence sur cette question environ à la même période,
jurisprudence dont il ressort au moins implicitement que certains environnements professionnels sont
susceptibles d’être protégés sur la base de la vie privée.209 En ce qui concerne le premier argument, il
est parfaitement imaginable que le droit fondamental à la vie privée puisse être jugé applicable via une
interprétation210, de la même manière que la Cour a estimé l’article 10 CEDH applicable aux
entreprises.211 Il nous semble donc improbable que la Cour des droits de l’homme se prononce
négativement sur la question dans de tels termes généraux. Il n’est pas sûr non plus que la Commission
continue à soustraire les personnes morales à l’application de l’article 8 CEDH. Dans des affaires
comme celles de la Ligue belge des droits de l’homme (supra), la porte n’est nulle part entièrement
fermée à des associations ou personnes morales qui sont touchées ‘personnellement’ par une mesure
déterminée. Sur ce point, la jurisprudence relative à la qualité de victime est formulée en termes
généraux, ce qui implique que la Commission examine in concreto si une partie requérante qui n’est
pas une personne morale est touchée par la mesure contestée.212 Cet examen des droits fondamentaux
n’ouvre que peu de perspectives pour les groupes d’action qui agissent pour la protection des droits
fondamentaux.213 Pour les entreprises et autres personnes morales, cela ouvre par contre des
204
Comp. Comm. EDH, Julien Mersch e.a. c. Luxembourg, 10 mai 1985, requêtes n° 10439/83, 10440/83, 10441/83, 10452/83,
10512/83 et 10513/83, ouvrage à feuillets mobiles, p. 42; Comp. Comm. EDH, Brüggemann et Scheuten c. Allemagne, 12 juillet
1977, requête n° 6959/75, D.R., vol. 10, 101. Comp. le sort de la requête de D. Norris, avec celui de l’association de protection
des droits des homosexuels dont il était le président. Sa requête est déclarée recevable. Celle de l’association pas, parce que, dit la
Commission, elle « ne subit pas directement les effets de la législation attaquée » et la requête n’est donc pas recevable (Comm.
EDH, D. Norris et National Gay Federation c. Irlande, 16 mai 1985, requête n° 10581/83, D.R., vol. 44, 132).
205
Comm. EDH, Eglise de scientologie de Paris c. France, 9 janvier 1995, requête n° 19509/92 (irrecevabilité de la requête de
l’Eglise de scientologie dans laquelle l’article 8 CEDH est invoqué).
206
H.v.J., 17 octobre 1989, Dow Nederland N.V., S.E.W., 1990, 381; Nederlandse Jurisprudentie, 1990, 571, r.o. 28.
Egalement: H.v.J., 21 septembre 1989, n°. 46/87 et 227/88, Hoechst AG, Jurispr., 1989, 2859, r.o. 17. On lira sur ces
considérations: FINALY, R., « Grondrechtenbescherming van rechtspersonen », NJCM-Bulletin, 1991, n° 2, 105-106; CATH, I.,
« Hebben ondernemingen recht op bescherming van de privésfeer? De zaken Hoechst en Chappell vergeleken », NJCM-Bulletin,
1991, 34-35.
207
Dow, l.c., r.o. 29; Hoechst, l.c., r.o. 18.
208
CATH, I., l.c., 35.
209
Voir le commentaire de l’arrêt Chappell de 1988, dans le chapitre consacré à la protection du domicile.
210
CATH, I., l.c., 35.
211
Cour EDH, 26 avril 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni, Série A, n° 30; N.J., 1980, n° 146, note EAA.
212
Comp. « Or l’association requérante elle-même ne peut faire l’object d’une quelconque mesure de surveillance par
l’utilisation de systèmes de prise de vues » (Comm. EDH, Pierre Herbecq et Ligue des droits de l’homme c. Belgique, 14 janvier
1998, l.c., 67).
213
Critique de cette jurisprudence: DE HERT, P. et DE SCHUTTER, O., l.c., en part. numéro marginal 14. On lira sur cette
problématique: PETTITI, L.-E. et DE SCHUTTER, O., « Le rôle des associations dans le cadre de la Convention européenne des
droits de l’homme », J.T.D.E., 1996, 145; DE SCHUTTER, O., « Sur l’émergence de la société civile dans le droit international:
le rôle des associations devant la Cour européenne des droits de l’homme », J.E.D.I.-E.J.I.L., 1996, 372.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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59
perspectives214, lorsqu’elles sont, par exemple, confrontées à des accusations calomnieuses ou
génératrices de dommage215 ou lorsque leur ‘revendication’ d’une identité propre est mise en danger.216
Dans un arrêt de 1992 qui portait sur la question de savoir quelles données doivent être publiées
annuellement par des entreprises sur la base de l’obligation légale de publier les comptes annuels, le
Hoge Raad néerlandais ne semble pas exclure que des personnes morales puissent avoir un droit à la
vie privée.217 Cette décision peut être placée dans la perspective de la
convention pour la protection des données du Conseil de l’Europe de 1981 (infra). Cette convention de
Strasbourg protège en premier lieu les personnes physiques, lorsque des données les concernant sont
traitées. En vertu de la convention, les Etats peuvent éventuellement faire savoir, par une déclaration
adressée au Conseil de l’Europe, que la convention sera également appliquée aux groupements,
associations, fondations, sociétés ou à tout autre organisme regroupant directement ou indirectement
des personnes physiques et jouissant ou non de la personnalité juridique (art. 3, alinéa 2b).218
Enfin, il y a lieu de remarquer que plusieurs aspects de la vie professionnelle peuvent être protégés via
les droits fondamentaux à la protection du domicile et de la correspondance (art. 8 CEDH) ainsi que via
l’interdiction de ne pas s’accuser soi- même (art. 6, °2, CEDH).219
3.4. APERÇU DE JURISPRUDENCE EUROPÉENNE SUR LA VIE
PRIVÉE220
3.4.1.Protection de l’intégrité
Un chapitre classique de la vie privée concerne la protection contre les atteintes à l’intégrité physique,
morale et psychique accordée par l’article 8 CEDH. Cette protection ne ressort pas explicitement du
texte de la disposition, mais découle de la jurisprudence de Strasbourg.221 Un arrêt de principe en la
214
On lira: VAN STRIEN, A., l.c., 3-19; GIROT, C. et DE WIT, A., « Privacy van ondernemingen », dans NOUWT, S. et
VOERMANS, W. (réd.), Privacy in het informatietijdperk, Den Haag, SDU uitgevers, 1996, 139-156; FINALY, R., l.c., 105120; CATH, I., l.c., 28-54.
215
En ce qui concerne la Belgique: Antwerpen, 4 février 1992, Rechtskundig Weekblad, 1992-1993, 258, note A. CARETTE; C.
d’Et., 7 octobre 1993, Journal des Tribunaux, 1993, 647. On lira: MASSON, J.-P. et MASSAGE, N., « Chronique de
jurisprudence. Les personnes (1991 à 1993) », Journal des Tribunaux, 12 novembre 1994, 729. En ce qui concerne la France on
lira la note sous Cass. (Fr.), 23 mai 1995, Droit Pénal, 1995, octobre, 8. Au niveau européen, on peut renvoyer à Cour EDH,
Mohamed, Ali et Salah Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, Série A, vol. 294-B; Liga, 1995, n° 3-4; J.L.M.B., 1995, 367369, note. Dans cette affaire, les plaignants accusent le gouvernement britannique qui avait rendu un rapport défavorable sur leur
entreprise. Selon les plaignants, la manière d’agir du gouvernement a porté atteinte à leur notoriété, en tant qu’élément du droit à
la protection de la vie privée. Les trois frères et l’entreprise introduisent une plainte devant la Commission. Cette dernière retient
les plaintes sur les articles 6 et 13 CEDH, mais pas sur l’article 8 CEDH. La plainte de l’entreprise est déclarée irrecevable
(Comm. EDH, Mohamed, Ali et Salah Fayed et House of Fraser Holdings PLC c. Royaume-Uni, requête n° 17101/90, déclarée
irrecevable le 15 mai 1992. Le rapport de la Commission a été rendu le 7 avril 1993 et est repris en annexe dans Série A, vol.
294-B). L’application de l’article 6 CEDH requiert toutefois l’existence d’un droit civil, dont on peut déduire implicitement qu’il
a été porté atteinte à certains aspects de la vie privée de l’entreprise.
216
Commerce Bruxelles, 25 février 1992, T. Belg. Handelsrecht, 1992, 506-508 (le nom d’une société bénéficie de la protection
de l’article 28 L. Soc., même si le nom n’a aucun caractère original et que les sociétés concernées ont un objet différent).
217
Hoge Raad, 15 décembre 1992, Delikt & Delinkwent, 1993, 606. On lira: VAN STRIEN, A., l.c., 14-15.
218
Cf. DE HERT, P., « Mensenrechten en bescherming van persoonsgegevens. Overzicht en synthese van de Europese
rechtspraak 1955-1997 », dans Jaarboek ICM 1997, Antwerpen, Maklu, 1998, numéro marginal 14; DE JONGE, M.,
« Gegevensbescherming en privacywetten in West-Europa en de Verenigde Staten van Amerika: moeten ondernemingen
beschermd worden? », Computerrecht, 1990, n° 3, 113-119.
219
Voir aussi VAN STRIEN, A., l.c., 3-19.
220
« La plupart des arrêts de la Cour EDH, mais aussi des décisions de la Commission peuvent être retrouvés sur le site, en
anglais et parfois également en français. »
221
La protection de l’intégrité morale fait donc partie de la vie privée, mais est également protégée par les libertés relatives à
l’opinion, la conscience et la religion (LEMMENS, P., « Het recht op eerbiediging van de persoonlijke levenssfeer », l.c., 320).
La protection de l’intégrité physique et psychique n’est pas seulement possible via l’article 8 CEDH, mais aussi via l’article 3
CEDH, qui interdit notamment les traitements inhumains et dégradants. La protection offerte par l’article 8 CEDH est toutefois
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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60
matière date de 1985 et concerne des délits sexuels commis sur des enfants. La Cour dit d’une manière
générale que la notion de vie privée comprend l’intégrité physique et morale d’une personne, en ce
compris sa vie sexuelle.222 Lors de la discussion des obligations positives de l’article 8 CEDH, le
dispositif de cet arrêt a été commenté (supra). Les Pays-Bas furent condamnés parce qu’ils
n’accordaient de protection contre certains délits sexuels que par le droit civil et non par le droit pénal,
ne permettant pas une protection valable des droits mentionnés à l’article 8 CEDH.223
3.4.2.Santé
La santé constitue également un bien juridique à protéger. La vie privée veut que des données sur la
condition physique ou sur le psychique soient tenues secrètes par des tiers ou que l’on puisse soi-même
déterminer quel type de médecine on choisit et quels médicaments ou vaccins sont administrés. La
philosophie sous-jacente aux vaccins (intoxiquer légèrement des personnes pour renforcer leur
immunité) semble toutefois être fortement au goût des avocats de l’Etat providence, qui n’ont perçu
aucune résistance ni chez le juge belge ni à Strasbourg pour limiter la liberté individuelle sur ce point
au nom de la protection de la santé publique.224 La Commission a également décidé que la prise de
sang obligatoire par la police en vue de l’analyse
du taux d’alcoolémie225 ou pour effectuer une recherche de descendance226 constitue une atteinte à la
vie privée qui est toutefois nécessaire à la protection des droits d’autrui.227 La possibilité d’un test
H.I.V. dans le cadre d’un engagement n’est pas exclue mais doit également être mise en balance avec
l’article 8, alinéa 2. C’est ce que nous apprend un important arrêt du 5 octobre 1994 de la Cour de
plus large et peut en tout cas être invoquée plus rapidement. Sur le rapport entre les articles 3 et 8 CEDH on consultera l’affaire
Costello-Roberts c. Royaume-Uni (infra). Voir aussi VELAERS, J., l.c., 129.
222
Cour EDH, X. et Y. c. Pays-Bas, 26 mars 1985, Série A, vol. 91, par. 22. Trois ans plus tard, dans une affaire totalement
différente, la Commission décidera que la prostitution n’entre pas dans le champ d’application de l’article 8 CEDH (Comm.
EDH, F. c. Suisse, 10 mars 1988, requête n° 11680/85, D.R., vol. 55, 178). Nous ne sommes pas les seuls à croire qu’une telle
décision est anachronique et, pour ôter une éventuelle inquiétude à certains hommes, à nous en tenir à la conviction de principe
que les relations sexuelles entretenues contre de l’argent sont également dignes de protection dans certaines circonstances.
Remarquons que l’article 6 de la loi sur la vie privée (infra) protège de manière particulière les données à caractère personnel
relatives à la vie sexuelle. Le traitement de ces données par autrui est interdit. Ces données ne peuvent être traitées que pour des
finalités qui sont définies par ou en vertu de la loi (art. 6, alinéa 1er). Comp. LEMMENS, P., l.c., 318. Différent VELAERS, J.,
« Het menselijk lichaam en de grondrechten », l.c., 173 et ÄMS, P., « De verplichte HIV-test en de zelfbeschikking », dans Over
zichzelf beschikken? Juridische en ethische bijdragen over het leven, het lichaam en de dood, Antwerpen, Maklu, 1996, 409-410.
Ces auteurs – qui se penchent également sur le régime belge de la prostitution – disent que les personnes qui se prostituent font
usage d’une liberté de fait qui n’est protégée par aucun droit fondamental. La protection de l’article 8 CEDH est à leur avis
limitée à la vie sexuelle privée.
223
Comp. Cour EDH, Leslie Stubbings, J.L., J.P. et D.S. c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, R.A.D.-R.J.D., 1996 (il ne découle
pas nécessairement de l’article 8 CEDH l’obligation positive pour les Etats membres de garantir le respect pour la vie privée au
moyen d’actions civiles illimitées, dans les cas où il peut être fait appel à des sanctions pénales).
224
Cf. Comm. EDH, Acmanne e.a. c. Belgique, 10 décembre 1984, D.R., vol. 40, 251; Vl.T.Gez., 1984-85, 501-503. (Les tests
de cuti et la radiographie du thorax obligataires en Belgique sont nécessaires à la protection de la santé publique des intéressés. Il
y a une proportionnalité entre l’ingérence dans la vie privée et le but poursuivi). Voir aussi VELAERS, J., l.c., 144.
225
Comm. EDH, X c. Pays-Bas, requête n° 8239/78, D.R., vol. 16, (1979), 184. Voir également Cass., 4 avril 1977, Pas., 1977,
I, 831. En Belgique, le régime de l’analyse de sang et de l’analyse de l’haleine dans les affaires de roulage figure à l’article 34 de
la Loi sur la circulation routière (M.B., 27 mars 1968) et dans divers arrêtés d’exécution (notamment: A.R. 10 juin 1959 relatif au
prélèvement sanguin en vue du dosage de l’alcool, M.B., 26 juin 1995). On lira: HUTSEBAUT, F., « Ademtesten en bloedproef
in verkeerszaken » dans Strafrecht-Strafvordering, Kluwer, Antwerpen (ouvrage à feuillets mobiles).
226
Comm. EDH, X c. Autriche, 13 décembre 1979, requête n° 8278/78, D.R., vol. 18, 154- 155. Nous reviendrons sur la
problématique des tests H.I.V. (analyse du sang en vue de déceler une éventuelle contamination par le virus HIV).
227
Voir aussi: VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G., De Europese Conventie in theorie en praktijk, Nijmegen, Ars Aequi Libri,
1990, 413. Un raisonnement similaire vaut pour les examens psychiatriques et médicaux de candidats à un emploi public (Comm.
EDH, 16 juillet 1981, requête n° 8909/80, Digest, vol. 3, 249; Comm. EDH, A. c. Allemagne, requête n° 8355/78, s.l.) et de
demandeurs d’aide sociale (Comm. EDH, Meelder c. Pays-Bas, requête n° 10.996/84, E.H.H.R., 1987, 546) et pour les tests
d’urine obligatoire des détenus en ce qui concerne les stupéfiants (Comm. EDH, A.B. c. Suisse, 22 février 1995, requête n°
20872/92, D.R., (1995) vol 80, 61). On lira VELAERS, J., « Het menselijk lichaam en de grondrechten », l.c., 145. Voir aussi
Cass., 23 juin 1980, Rechtskundig Weekblad, 1980-81, 446, note P. LEMMENS.
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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61
justice qui fait application de l’article 8 CEDH228 et qui est important à plusieurs titres.229 Ainsi, la
Cour estime que le droit au respect de la vie privée figurant à l’article 8 CEDH implique notamment
qu’une personne a le droit de garder son état de santé secret, un droit que des tests ne soient pas
effectués contre sa volonté et qu’une personne a un droit de ‘ne pas savoir’ et donc à rester préservé
d’informations médicales négatives.230 Le caractère sensible pour la vie privée des tests médicaux ne
dépend pas de la nature d’un test, mais est lié à l’existence du test même.231 De plus, la Cour estime
que des tests médicaux effectués sans autorisation doivent être mis en balance avec les conditions de
légalité, de légitimité et de nécessité232 et que des tests effectués avec consentement doivent être jugés
nécessaires par le médecin; le consentement ne suffit pas en soi.233
La règle que sans consentement ni législation aucune ingérence dans l’intégrité morale ou psychique
n’est possible peut être adoucie dans des circonstances particulières. L’arrêt Herczegfalvy accepte le
principe que les autorités médicales puissent décider d’une médication forcée à l’égard d’incapables
dans l’optique de la santé mentale et physique des patients dont elles ont la responsabilité, bien qu’il
faille être très attentif à la compatibilité avec la convention (et à la nécessité) de la médication compte
tenu de l’impuissance et de la position d’infériorité des intéressés.234
Dans ses décisions sur les tests médicaux obligatoires, la Commission a décidé qu’une intervention
médicale contre la volonté de l’intéressé, si anodine soit-elle, doit être considérée comme une
ingérence dans la vie privée. Dans un arrêt de 1993 sur les châtiments corporels à l’école, la Cour a
cependant décidé qu’une atteinte à l’intégrité physique doit présenter une certaine gravité et qu’un
châtiment corporel sans gravité ne tombe pas dans le champ d’application de l’article 8 CEDH.235
Certains considèrent que la jurisprudence de la Commission doit désormais ‘peut-être’ être relativisée,
en ce sens qu’il faut tenir compte de la gravité de l’intervention ou de l’enquête pour déterminer si
l’article 8 CEDH peut être invoqué.236 Il ne faut donc pas toujours qu’il y ait correspondance entre ce
qu’est la vie privée pour l’observateur et ce qu’est la vie privée pour Strasbourg. Le justiciable doit
donc tenir la jurisprudence de Strasbourg à l’œil.
3.4.3.Sexualité
La sexualité constitue un autre aspect important de l’intégrité physique et morale. La jurisprudence
strasbourgeoise reconnaît que la vie sexuelle représente une partie importante de la vie privée d’une
personne (supra). Cette reconnaissance comme droit fondamental n’est pas sans valeur. L’autorité se
228
H.v.J., affaire n° C-404/92 P, 5 octobre 1994 (X. c. Commission), Jaarboek Mensenrechten 1994, 1995, 257, note J.TER
HEERDT.
229
On lira l’analyse de TER HEERDT, J., « Het recht om niet te weten en de weigering van een sollicitant om zich bij een
aanstellingskeuring aan een HIV-test te onderwerpen », Jaarboek Mensenrechten 1994, 1995, 265-266; DE SCHUTTER, O.,
« Les examens médicaux à l’embauche de la Commission européenne », R.T.D.H., 1995, 115-122. On lira également l’analyse
très nuancée d’ÄMS, M., l.c., 403-416. Cet auteur se penche également sur la question de savoir quelles mesures on peut prendre
à l’égard de personnes infectées. Peut-on par exemple infliger une interdiction professionnelle à des prostituées contaminées?
230
H.v.J., affaire n° C- 404/92 P, 5 octobre 1994, l.c., resp. r.o. 17, 20 et 23.
231
Les tests H.I.V. portent atteinte à la vie privée à un double niveau. Tout d’abord le test suppose une prise de sang ce qui
représente une intrusion dans le corps, deuxièmement, l’analyse du sang donne des informations médicales (SADLER, B.,
« When rape victim’s rights meet privacy rights: mandatory HIV testing, striking the fourth amendment balance », Washington
Law Review, 1992, 208).
232
Comp. DE SCHUTTER, O., « Epidémie du Sida et droits de l’homme », R.T.D.H., 1994, 63; TER HEERDT, J., l.c., 266267.
233
H.v.J., affaire n° C-404/92 P, 5 octobre 1994, l.c., r.o. 21; TER HEERDT, J., l.c., 267.
234
Cour EDH, Istvan Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, Série A, vol. 244, par. 82.
235
Cour EDH, Jeremy Costello-Roberts c. Royaume-Uni, 25 mars 1993, Série A, vol. 247-C, par. 36. On lira sur la
jurisprudence antérieure: VAN EMMERIK, M., « Lijfstraffen op Engelse privé-scholen », NJCM-Bulletin, 1993, n° 5, 570 et
suiv.; VELAERS, J., « Het menselijk lichaam en de grondrechten », l.c., 135-139.
236
LEMMENS, P., l.c., 320.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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62
mêle en effet activement de la vie sexuelle237 et les citoyens sont également fascinés par la vie sexuelle
de leurs semblables.238 Les droits de l’article 8 CEDH, combinés ou non à l’interdiction de
discrimination de l’article 14 CEDH, constituent un des instruments utilisés par les homosexuels pour
faire reconnaître la légitimité de leur différence. Dans la période qui a précédé 1981, la jurisprudence
strasbourgeoise est dominée par les décisions de la Commission, qui n’a pas fait preuve d’une grande
sensibilité pour les demandes de reconnaissance d’homosexuels.239 Un changement interviendra dans la
jurisprudence au début des années quatre-vingt, pas par la Commission, mais par la Cour. L’arrêt
Dudgeon de 1981 permet pour la première fois à la Cour de se prononcer dans une affaire
d’homosexuels.240 L’effet de la disposition pénale rédigée en termes généraux est que des hommes
homosexuels, privés qui sont en mesure de déterminer librement leur volonté sont également
criminalisés. Le caractère tellement large et absolu de la disposition pénale constitue une ingérence
disproportionnée dans la vie sexuelle de Dudgeon, par rapport à l’objectif visé.241
Outre des décisions sur le vécu sexuel propre, font également partie de la vie privée les décisions sur
l’interruption de grossesse242, les décisions sur un changement de sexe (infra) et les, très discutées,
décisions sur la mise d’un terme à la vie.243 Fait également partie de la liberté dans la vie privée
protégée par l’article 8 CEDH le fait de donner expression à sa personnalité244, ce qui peut être couplé à
la protection de l’intégrité morale et physique. Sur la base de l’article 8 CEDH, les personnes sont
libres de déterminer leur propre aspect extérieur. Elles peuvent en principe choisir elles-mêmes la
longueur et la forme de leurs cheveux245 ou choisir leurs vêtements246, ou encore décider de se faire
tatouer, de faire un piercing, de faire du banc solaire ou (même) de s’auto-mutiler.247
237
Pensons sur le plan purement législatif aux dispositions légales relatives à des actes sexuels interdits, à la réglementation de
la prostitution, de l’avortement et de la contraception, etc.
238
Plutôt que de faire référence à la presse, nous préférons faire référence au célèbre romancier belge qui encourut une
condamnation civile en 1996 en raison d’un livre dans lequel figuraient des passages portant sur la vie sexuelle de plusieurs
membres de la famille royale belge (Paris, 17 décembre 1996, Journal des Tribunaux, 1997, 372).
239
Donnent un aperçu de cette jurisprudence dépassée: VINCINEAU, M., « Les homosexuels devant la Commission européenne
des droits de l’homme », R.D.P., 1979, 2, 83- 104; VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G., o.c., 413-414; SPIRY, E.,
« Homosexualité et droit international des droits de l’homme », R.T.D.H. 1996, 46-50; VAN DER VEEN, E. et MATTIJSSEN,
A., « Homoseksualiteit en mensenrechten in Europa », Ars Aequi, 1990, 539-541.
240
Cour EDH, Jeffrey Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, Série A, vol. 45.
241
Cour EDH, Jeffrey Dudgeon c. Royaume-Uni, l.c., par. 52. Voir pour une jurisprudence identique plus récente: Cour EDH,
David Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, Série A, vol. 142; Cour EDH, Alecos Modinos c. Chypre, 22 avril 1993, Série A, vol.
259. La Commission a en outre récemment estimé que la vie privée considérée avec l’interdiction de la discrimination est en
cause si des actes homosexuels de personnes entre seize et dix-huit ans sont punissables, tandis que la limite d’âge pour les actes
hétérosexuels est de seize ans (Comm. EDH, Sutherland c. Royaume-Uni, requête n° 25186/94 cité par ALKEMA, E.,
« Toekomstige uitspraken van het Europese Hof voor de Rechten van de Mens », Ars Aequi, 1998, n° 2, 94).
242
Comm. EDH, Brüggemann et Scheuten c. Allemagne, 12 juillet 1977, requête n° 6959/75, D.R., vol. 10, 116.
243
On lira les articles de VELAERS, VAN NESTE et TANGHE dans Over zichzelf beschikken? Juridische en ethische
bijdragen over het leven, het lichaam en de dood, Antwerpen, Maklu, 1996, 628p.; DE GROOT, E., Leven tot in de dood.
Omtrent Euthanasie, Bruxelles, VUB press, 1995, 214p. et les articles dans les numéros thématiques suivants Journ. Procès,
1994, n° 276 et T. Gez., 1995- 1996, 261-289.
244
LEMMENS, P., « Het recht op eerbiediging van de persoonlijke levenssfeer », l.c., 320.
245
Cette problématique est présente dans Comm. EDH, Sutter c. Suisse, 1er mars 1979, requête n° 8209/78, D.R., vol. 16, 168.
A sa base se trouvait une plainte d’un milicien rappelé qui devait se faire couper les cheveux. Sur cette affaire: VELAERS, J.,
« Het menselijk lichaam en de grondrechten », l.c., 180; LEMMENS, P., l.c., 320.
246
Comm. EDH McFeeley c. Royaume-Uni, 15 mai 1980, requête 8317/78, D.R., vol. 20, 148, par. 83; Comm. EDH, X c.
Royaume-Uni, 6 mars 1982, requête 8231/78, D.R., vol. 28, 64. Différent: Comm. EDH, Stevens c. Royaume-Uni, 3 mars 1986,
requête n° 11647/85, D.R., vol. 46, 249. Dans cette affaire, la Commission décida que l’obligation pour des enfants de porter un
uniforme scolaire n’était pas considérée comme une violation de l’article 8 CEDH parce que l’uniforme n’avait rien de dénigrant
et que la mesure n’était pas suffisamment sérieuse. A ce sujet: LEMMENS, P., l.c., 320.
247
Voir à ce sujet très détaillé, avec réf. notamment à la jurisprudence belge: VELAERS, J., l.c., 180-183.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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63
3.4.4.Ceintures de sécurité
Le port obligatoire de la ceinture de sécurité dans la voiture, ne constitue d’après Strasbourg pas une
atteinte à la vie privée248, pas plus que le stationnement d’un véhicule sur un lieu public.249 Un contrôle
d’identité par la police ne constituerait pas non plus une ingérence dans la vie privée.250
Ce dernier point nous semble sujet à discussion. Un contrôle d’identité constitue dans tous les cas une
limitation du droit fondamental à la liberté de mouvement (article 2 du quatrième protocole additionnel
de la CEDH).
Nous sommes convaincus que la réglementation sur le contrôle d’identité est très souple dans la loi
belge sur la fonction de police.251 Tout comme pour la fouille (art. 28 LFP) et pour la fouille de
véhicules (art. 29 LFP), une compétence judiciaire et administrative a été créée dans le chef de la police
pour le contrôle d’identité (art. 34 LFP). Les définitions font défaut. Nous trouvons pourtant dans
l’article 34 de la loi une définition des cas dans lesquels soit l’une des compétences est possible
soit l’autre.252 Pour la légalité du contrôle d’identité, il suffit que le contrôle d’identité soit raisonnable
à la lumière de ‘circonstances de temps et de lieu’ (cf. art. 34, par. 1er, LFP). Ainsi, un juge a décidé
que ‘lorsque des personnes errent apparemment sans but sur ce parking d’un cinémaen pleine séance de
cinéma’ peut légalement donner lieu à un contrôle d’identité compte tenu des ‘vols (...) (qui) se
248
Comm. EDH, X. c. Belgique, 13 décembre 1979, requête n° 8707/79, D.R., vol. 18, 255. Dans une décision antérieure, la
Commission avait déjà dit que le port obligatoire d’un casque n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 8 CEDH
(Comm. EDH, X c. Royaume-Uni, 13 mars 1975, requête 6454/74, inédit., cité par LEMMENS, P. « De veiligheidsgordel », l.c.,
838).
249
Comm. EDH, Van den Noort c. Pays-Bas, 26 mai 1975, requête n° 6170/73, Nederlandse Jurisprudentie, 1975, n° 508, note
Th. W.v.V.
250
Si la carte d’identité ne contient pas au moins plus de données que le nom, le sexe, la date de naissance et le lieu de
naissance, l’adresse et le nom de l’époux(se) (Comm. EDH, Filip Reyntjens c. Belgique, 9 septembre 1992, requête n° 1680/90,
D.R., vol. 73, 137, NJCM-Bulletin, 1993, n° 3, 337-341, note A. HERINGA). Voir aussi X., « Identificatieplicht in België niet
strijdig met E.V.R.M. Europese Commissie stelt Reyntjes in het ongelijk », Liga Nieuwsbrief voor mensenrechten, 1993, n° 56,
p. 1112. Dans son commentaire, HERINGA remarque que la Commission n’a pas répondu à la question de savoir si
l’interrogation de l’ordinateur et l’introduction de données par la police à l’occasion du contrôle d’identité, ne place pas
l’incident dans le champ d’application de l’article 8. L’auteur se penche également sur la question de savoir s’il existe un droit de
pouvoir circuler en rue sans être contrôlé.
251
DE HERT, P., « Concernant des suspects néerlandais et des consommateurs de drogues douces armés » note sous Corr.
Antwerpen, 12 mai 1998, Vigiles, 1998, 4, 37-44; DE HERT, P., « Artikel 35 wet politieambt en beeldgaring van burgers door
pers en politie. Drie juridische leerstukken n.a.v. de door de pers gefilmde politierazzia’s te Kortrijk », Panopticon, 1998, 413441.
252
L’art. 34 stipule: « § 1er. Les fonctionnaires de police contrôlent l’identité de toute personne qui est privée de sa liberté ou
qui a commis une infraction.
Ils peuvent contrôler l’identité de toute personne s’ils ont des motifs raisonnables de croire, en fonction de son
comportement, d’indices matériels ou de circonstances de temps et de lieu, qu’elle est recherchée, qu’elle a tenté de
commettre une infraction ou se prépare à la commettre, qu’elle pourrait troubler l’ordre public ou qu’elle l’a troublé.
§ 2. Conformément aux instructions et sous la responsabilité d’un officier de police administrative, tout (fonctionnaire de
police) peut également contrôler l’identité de toute personne qui souhaite pénétrer en un lieu faisant l’objet d’une menace au
sens de l’article 28, § 1er, 3° et 4°.
§ 3. Dans les limites de leurs compétences, les autorités de police administrative peuvent, afin de maintenir la sécurité
publique ou d’assurer le respect des dispositions légales relatives à l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à
l’éloignement des étrangers, prescrire des contrôles d’identité à effectuer par les services de police dans des circonstances
qu’elles déterminent.
§ 4. Les pièces d’identité qui sont remises au fonctionnaire de police ne peuvent être retenues que pendant le temps
nécessaire à la vérification de l’identité et doivent ensuite être immédiatement remises à l’intéressé.
Si la personne visée aux paragraphes précédents refuse ou est dans l’impossibilité de faire la preuve de son identité, de même
que si son identité est douteuse, elle peut être retenue pendant le temps nécessaire à la vérification de son identité.
La possibilité doit lui être donnée de prouver son identité de quelque manière que ce soit. En aucun cas, l’intéressé ne peut
être retenu plus de douze heures à cet effet.
Si l’intéressé est privé de sa liberté en vue de la vérification de son identité, le fonctionnaire de police qui procède à cette
opération en fait mention dans le registre visé à l’article 33, alinéa 3. »
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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64
produisent (...) sur le parking’.253 Ce jugement semble défendable sur la base du critère légal des
‘circonstances de temps et de lieu’. La question est toutefois de savoir si le jugement est également
défendable à la lumière des droits fondamentaux. Il nous semble que le critère légal des ‘circonstances
de temps et de lieu’ peut être invoqué trop facilement de sorte que tout motif policier peut être justifié
par lui.254 Des personnes qui présentent un comportement différent, mais non suspect peuvent être
interpellées par la police sur cette base et peuvent être obligées de justifier leur propre comportement.
Toutefois, un comportement différent n’est pas toujours illégal. Le fait d’agir légalement en dehors des
normes de temps et de lieu est donc soumis à un contrôle social poussé par la loi sur la fonction de
police. Cette situation est contraire au régime des droits fondamentaux qui ne permet des contrôles
d’identité que lorsqu’ils sont nécessaires.255 En cas de comportement légal qui s’écarte de la norme, la
police n’a pas suffisamment de raisons pour faire prévaloir l’intérêt de la sécurité. Les circonstances
invoquées pour le contrôle d’identité doivent pouvoir être objectivées. Ni l’intuition ni l’expérience
d’un fonctionnaire de police ne suffisent.256
3.4.5.Le nom
Des éléments de personnalité comme le nom, peuvent être protégés via l’article 8 CEDH, sur la base de
la jurisprudence existante. Contrairement à d’autres conventions internationales, la CEDH ne comporte
aucune disposition explicite sur le droit de porter un nom257, mais il n’y a aucun doute sur le fait que le
nom est protégé par l’article 8 CEDH comme moyen de réaliser le droit à une identité (propre).258 Ce
droit à une identité propre explique également pourquoi un individu peut en principe exiger que des
données recueillies sur sa jeunesse soient mises à sa disposition.259 Un droit peut être construit sur la
base de l’article 8 CEDH pour changer de nom lorsqu’il y a certaines raisons de le faire. Il découle
toutefois de l’arrêt Stjerna que le changement de nom de famille, qui donne lieu à certaines difficultés
en raison d’un nom de famille très ancien, historique, ne répond pas (nécessairement) à un intérêt
général ou à un intérêt individuel prépondérant.260 En cette matière, les Etats disposent d’une large
marge d’appréciation, étant donné la diversité en matière de changement de nom dans les pratiques
253
Corr. Antwerpen, 12 mai 1998, Vigiles, 1998, 4, 37-44.
Un membre de la Chambre a sans succès essayé de faire supprimer par voie d’amendement le critère des ‘circonstances de
temps et de lieu’ de l’article 34, premier par. LFP (cf. l’amendement n° 90 à l’art. 34 LFP de Mr Bertouille, Doc. Parl., Chambre,
S.O. 1990-1991, n° 1637/8, 2-3). L’auteur mettait en garde contre « le cas de l’hypothèse trop subjective où le fonctionnaire de
police aurait des raisons de croire qu’une personne ‘pourrait’ troubler l’ordre » et expliquait l’objectif visé par son amendement
comme suit: « Il doit exister au moins (un) indice sérieux qu’elle s’y prépare. De même, les seules circonstances de lieux – non
autrement précisées – ou de temps ne peuvent suffire » (Doc. Parl., Chambre, S.O. 1990-1991, n° 1637/8, 3). L’amendement a
été rejeté sans beaucoup de commentaire par le ministre compétent (Doc. Parl., Chambre, S.O. 1990-1991, n° 1637/12, 107).
255
Cette situation a toutefois été très clairement voulue par le législateur. La réglementation souple du contrôle d’identité permet
à la police de se confronter physiquement à une personne, de la screener et de l’évaluer mentalement et sur la base de son
expérience. On ne vise pas tellement ici le contrôle de l’identité mais plutôt le contrôle (des intentions) de l’individu. On lira
cependant sur la pénalisation des comportements à risque et autres comportements déviants: LEMMENS, P. « De
veiligheidsgordel en het recht op eerbiediging van het privé-leven », R.W., 1979-80, 838. Egalement: GUTWIRTH, S.,
Privacyvrijheid! De vrijheid om zichzelf te zijn, Den Haag, Rathenau Instituut, 1998, 152p.
256
Comp. l’interprétation des termes ‘feiten en omstandigheden’ figurant à l’art. 8 de la Politiewet néerlandaise, in CLEIREN,
C. et NIJBOER, J. (réd.), Strafvordering. Tekst en commentaar, Deventer, Kluwer, 1997, 1400.
257
Article 24, alinéa 2 PIDCP; articles 7 et 8 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant; article 18 de la
Convention américaine des droits de l’homme.
258
LEMMENS, P., « Het recht op eerbiediging van de persoonlijke levenssfeer », l.c., 319. Dans l’arrêt Burghartz (Cour EDH,
Susanna et Albert Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, Série A, vol. 280-B) et dans l’arrêt Stjerna (Cour EDH, Stjerna c.
Finlande, 25 novembre 1994, Série A, vol. 299-B), la Cour dit que, bien que l’article de la CEDH n’en dise mot, le nom d’une
personne concerne la vie privée et familiale comme moyen d’identification et d’ancrage dans une famille (infra).
259
Cour EDH, Graham Gaskin c. Royaume-Uni, l.c., par. 36-37.
260
Cour EDH, Stjerna c. Finlande, 25 novembre 1994, Série A, vol. 299-B. Monsieur Stjerna vit à Helsinki (Finlande), et porte
un nom suédois. Il suit une procédure de changement de nom et propose le nom ‘Tavaststjerna’. Tant la préfecture que la cour
suprême administrative (en appel) ont rejeté la proposition de changement de nom de Stjerna, notamment parce qu’elles ne
voient en quoi consiste l’amélioration et aussi parce que la raison particulière de s’appeler Tavaststjerna n’est pas pertinente étant
donné que le lien avec le dernier ancêtre qui portait ce nom remonte à plus de deux cents ans. Ce raisonnement sera repris à
Strasbourg.
254
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65
étatiques.261
Le fait de ne pas empêcher ou d’empêcher le moins possible les citoyens de choisir le nom de leurs
enfants constitue dans certains cas également une obligation positive qui peut être soumise à
Strasbourg.262
3.5. LE DROIT FONDAMENTAL À LA PROTECTION DE LA FAMILLE
3.5.1.Famille et mariage
Comme nous l’avons vu, l’article 8 CEDH protège également la famille, en plus de la vie privée. Nous
avons déjà dit plus haut que nous limiterions notre commentaire de ce droit parce que le lien avec le
droit fondamental à la vie privée n’est pas toujours très évident. Le terme famille ne concerne pas
seulement le noyau familial, mais aussi d’autres parents ou personnes qui sont impliqués de manière
étroite dans une forme de cohabitation. Les pactes des NU de 1966 définissent la famille comme
l’élément naturel et fondamental de la société. Ils garantissent notamment le droit de fonder une famille
et de l’entretenir, la protection de la famille par l’Etat et la protection contre l’ingérence arbitraire. La
CEDH dit que toute personne a droit au respect de sa vie familiale. Cet article est par exemple cité dans
des procès sur le droit de visite de parents et sur le regroupement familial pour les étrangers. Après le
divorce, le parent a en principe un droit de visite avec les enfants, mais celui-ci peut être limité dans
l’intérêt de l’enfant. Par le droit à la protection de la famille, les immigrants peuvent faire venir leur
conjoint et les membres de leur famille. Si les pays refusent un regroupement familial, une violation de
la CEDH est envisageable. Dans l’affaire Sen263, une demande de regroupement familial a été refusée
parce que la fille restée en Turquie aurait entre-temps été prise en charge par la famille de sa tante.
C’était à tort, a dit la Cour à l’unanimité.
Le mariage est également protégé comme droit fondamental. L’article 12 CEDH reconnaît un droit
fondamental à la protection du mariage.264 Le pacte NU (PIDCP) stipule le libre et plein consentement
à un mariage et l’égalité de droits durant le mariage et lors de sa dissolution. Un employeur ne peut
exiger qu’un travailleur reste célibataire. On ne peut dénier le droit au mariage à un détenu. Les agents
de police, chez qui on peut constater un taux élevé de divorces, doivent envisager d’invoquer le droit à
la protection du mariage contre leurs supérieurs. Combien de fois n’entendons-nous pas que les
horaires irréguliers et les heures supplémentaires rendent toute vie familiale impossible?
3.5.2.La notion ouverte de ‘vie familiale’
Le droit fondamental à la protection de la vie familiale suppose l’existence d’une ‘famille’.265 Dans une
vie familiale, il y a toujours des relations entre adultes et enfants, entre adultes ou entre enfants.266 La
notion de ‘family life’ de l’article 8 CEDH est une notion autonome, qui doit être interprétée
indépendamment du droit national des Etats parties à la convention.267 Depuis l’arrêt Marckx268, il est
261
Cour EDH, Stjerna c. Finlande, 25 novembre 1994, l.c., par. 39.
Cour EDH, Marie-Patrice Lassauzet et Gérard Guillot c. France, 24 octobre 1996, R.A.D.-R.J.D., 1996; R.T.D.F., 1997, n° 2,
163-170; Nederlandse Jurisprudentie, 1997, n° 324 (le refus d’enregistrer le prénom ‘Fleur de Marie’, ne constitue pas un
désagrément suffisant pour les plaignants pour introduire une plainte pour non respect de la vie privée et familiale visée à
l’article 8, alinéa 1er CEDH. Il n’y a donc pas violation de l’article 8 CEDH.
263
Cour EDH 21 déc. 2001, Sen – Pays-Bas (Appl. No. 31 465/96); Nederlands Juristenblad, 2002, 225, nE 5.
264
L’article 12 CEDH stipule: « a partir de l’âge nubile, l’homme et le femme ont le droit de se marier et de fonder une famille
selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ».
265
Cour EDH, Roy Johnston, Janice et Nessa Williams-Johnston c. Irlande, l.c., par. 55. Voir également sur la notion de
‘famille’: RENCHON, J.-L., l.c., 95-97.
266
WORTMAN, S., « Ouderschap in verandering », Just. Verk., 1996, nE 8, 72.
267
Comm. EDH, Paula et Alexandra Marckx c. Belgique, 10 décembre 1977, cité dans VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G, o.c.,
419. On lira sur cette notion: FORDER, C., « Het gezin in internationale verdragen », l.c., 131-144.
262
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
http://www.vub.ac.be/LSTS.
66
clair que la jurisprudence relative à ce droit fondamental favorise un système ouvert de droit familial.269
Le droit à la protection de la vie familiale peut être invoqué par tous les sujets de droit qui constituent
de facto une famille. Une situation familiale vécue de manière effective suffit donc pour pouvoir parler
d’une vie familiale au sens de l’article 8 CEDH. Les relations ne doivent pas nécessairement trouver
leur base dans le mariage, d’autres liens familiaux ‘de facto’ peuvent également en faire partie.270 Il
peut notamment être question d’un lien familial au sens de l’article 8 CEDH pour la cohabitation
d’époux, la cohabitation de parent(s) et d’enfants, la famille d’adoption271 et les relations entre parents,
par exemple les grands-parents et les petits-enfants.272 L’adoption peut également faire apparaître un
lien familial à protéger (entre l’adoptant et l’enfant adopté).273
Une vie familiale de iure n’est pas une nécessité. Le droit fondamental pour la famille ‘légale’ et pour
la famille ‘naturelle’. En effet, le texte de l’article 8 CEDH protège la vie familiale sans plus, et ne
distingue pas la famille légitime ou non-légitime.274 De manière plus systématique, Strasbourg utilise
deux critères pour conclure à l’existence d’une vie familiale. Premièrement, elle examine l’existence
d’un lien de parenté ou d’alliance. Deuxièmement, il faut que ce lien familial soit suffisamment
‘solide’.275 Le deuxième critère est décisif. Un contrôle positif de ce deuxième critère rend le contrôle
du premier critère superflu. La parenté ou l’alliance n’est donc pas une condition nécessaire. L’arrêt X,
Y et Z c. Royaume-Uni, de 1997 donne la possibilité à la Cour de résumer comme suit le chemin
parcouru dans la jurisprudence depuis Marckx: la notion de ‘vie familiale’ visée à l’article 8 CEDH ne
se limite pas seulement aux familles qui sont basées sur le mariage, mais peut également comprendre
d’autres relations de fait. Pour déterminer si une relation constitue une ‘vie familiale’, il peut être utile
de tenir compte d’un certain nombre d’éléments, comme le fait de savoir si les membres du couple
cohabitent et depuis combien de temps, et s’ils ont ou non eu des enfants de manière naturelle, ce qui
est une preuve de leur engagement mutuel.276
3.5.3.Interprétation évolutive dans le sens d’une plus grande
autodétermination individuelle
Le fait que la ‘vie familiale’ telle quelle existe en fait dans la société soit directement prise comme
point de départ, et que le mariage soit ‘seulement’ une forme très fréquente de celle-ci, s’inscrit dans
l’interprétation évolutive que la Cour des droits de l’homme pense devoir donner des notions figurant
268
Cour EDH, Paula et Alexandra Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, Série A, vol. 31.
ALKEMA, E., intervention in « Verslag van de op 8 juin 1990 te Utrecht gehouden algemene vergadering over artikel 8
EVRM », Handelingen Nederlandse Juristenverengiging, 1990, II, 13.
270
HEYVAERT, A. et WILLEKENS, H., Beginselen van het gezin- en familierecht na het Marckx- arrest, Antwerpen, Kluwer,
1981, 101; HEYVAERT, A., « Het gelijkheidsbeginsel in het Belgisch internationaal huwelijk-, echtscheidings- en
afstammingsrecht », Rechtskundig Weekblad, 1991- 92, 1200.
271
Comm. EDH, nE 8257/78, 10 juillet 1978, X. c. Suisse, D.R., vol. 13, 248.
272
Cour EDH, Paula et Alexandra Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, l.c., par. 45; Comm. EDH, nE 8924/80, 10 mars 1981, X.
c. Suisse, D.R., vol. 24, 183.
273
Comm. EDH, X. c. Belgique et Pays-Bas, 10 juillet 1975, requête nE 6482/ 74, D.R., vol. 7, 76; Comm. EDH, X. c. France,
5 octobre 1982, requête nE 9993/82, D.R., vol. 31, 241. La Commission estime qu’une famille au sens de l’article 12 CEDH peut
également être fondée par adoption (Comm. EDH, X. et Y. c. Royaume-Uni, requête nE 7229/75, D.R., vol 12, 32), mais refuse
de déduire de cette disposition un droit d’adopter des enfants (qui ne sont pas les enfants biologiques) ou de les englober dans la
famille (Comm. EDH, Van Oosterwijck c. Belgique, 1er mars 1979, ouvrage à feuillets mobiles, p. 28). Critique: VAN DIJK, P.
et VAN HOOF, G, o.c., 496.
274
Cour EDH, Paula et Alexandra Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, l.c., par. 31. Il y a une vie familiale entre la mère et
l’enfant du fait même de la naissance, même dans le cas où la mère est célibataire, ainsi qu’entre les grands-parents et les enfants
(biologiques), puisque de tels parents peuvent jouer un rôle important dans la vie familiale. Voir également infra concernant cet
arrêt. Egalement: Cour EDH, Roy Johnston, Janice et Nessa Williams-Johnston c. Irlande, l.c., par. 55, avec réf. à ce paragraphe.
275
Voir le rapport de la Commission dans l’affaire Berrehab, où il est dit que: « (...) il ne faut pas rechercher seulement s’il
existe une relation, mais aussi s’il existe concrètement un lien pouvant être considéré comme créant une vie de famille, au sens
de l’article 8 de la Convention » (Comm. EDH, A. et R. Berrehab c. Pays-Bas, requête nE 10.730/84, rapport du 7 octobre 1986,
par. 71; NJCM-Bulletin, 1988, 449-457, note H. STEENBERGEN; D.R., vol. 41, 196).
276
Cour EDH, X, Y, et Z. c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, E.H.R.R., 1997 (vol. 24), 143- 180, par. 36, avec réf. aux arrêts
Marckx, Keegan et Kroon. Le par. 30 de l’arrêt Kroon est invoqué deux fois.
269
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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67
dans la Convention.277 Ce développement dans le sens d’une interprétation plus large, liée à l’époque,
de la notion de ‘vie familiale’ est notamment nettement marquée par l’arrêt Marckx de 1979 très
important pour l’ordre juridique belge, la Cour y déclare interpréter l’article 8 CEDH ‘à la lumière des
conditions d’aujourd’hui’ et déclare concrètement que les termes ‘vie familiale’ sont applicables aux
situations familiales non-classiques (hors des liens du mariage). La différence créée dans la législation
belge sur le plan des droits (successoraux) patrimoniaux entre membres d’une famille naturelle et
membres d’une famille légale est donc considérée comme étant incompatible avec la convention.
Cette interprétation évolutive revient en fait à une nouvelle interprétation du droit à la protection de la
vie familiale à la lumière d’une plus grande attention pour l’individu et ses préférences. Plus haut, nous
avons mis l’accent sur le noyau du droit fondamental à la vie privée, qui consiste à ce que la liberté
d’établir des contacts humains et des liens sociaux soit donnée à l’individu. Le droit fondamental à la
protection de la vie familiale constitue une ‘spécification’ de cette liberté et se trouve donc
parfaitement à sa place dans l’article 8 CEDH. Le droit fondamental n’institue pas seulement une
obligation pour l’autorité de s’abstenir d’ingérences dans la vie familiale, mais il confère également
une base aux personnes faisant partie d’une même famille pour faire valoir leurs intérêts en justice.
Le droit fondamental à la protection de la vie familiale a en premier lieu une fonction de facilitation par
rapport à des relations qui sont considérées comme devant être protégé.278 Ce droit fondamental tend en
d’autres termes à favoriser certaines relations, comme celles entre personnes mariées et membres d’une
famille.279 En deuxième lieu, le droit fondamental indique quelles limitations l’autorité peut mettre à la
vie familiale. Si nous traduisons les conditions générales du paragraphe 2 de l’article 8 CEDH en
direction de ce droit fondamental concret, on peut notamment déduire que les règles qui limitent ces
relations doivent être claires (légalité), qu’elles doivent tendre à la protection d’intérêts légitimes et ne
peuvent donc être basées sur l’arbitraire (légitimité) et être nécessaires dans une société démocratique
(nécessité). Le contrôle de la nécessité jouera un rôle important dans l’appréciation des plaintes sur le
placement d’enfants en famille d’accueil par exemple.
Cette remarque nous ramène à notre sujet, la vie privée, et à la question de savoir quand celle-ci peut
être limitée par les Etats.
3.6. LE DROIT FONDAMENTAL À LA PROTECTION DU DOMICILE
3.6.1.Généralités
Le pacte NU (PIDCP) interdit les immixtions arbitraires dans la vie privée, le domicile et la
277
DE RUITER, J., « Drie treden in het familierecht », RM Themis, 1990, p. 201.
THOMASSEN, W., « Liefde in Europeesrechtelijk perspectief » dans MARIS, C., LISSENBERG, E. et PESSERS, D., Recht
en liefde, Nijmegen, Ars Aequi Libri, 1996, 30.
279
Des exemple de cette faveur juridique sont le droit de visite et le droit de consultation ainsi que le droit d’être entendu lors de
l’adoption ou la figure de l’autorité parentale. La Cour européenne ne s’est pas encore prononcée sur la question de savoir si
l’article 8 CEDH entraîne un droit à l’adoption. (La descendance adoptive est couverte par la protection de l’article 8 CEDH en
tant que lien de la vie familiale). La Commission européenne est d’avis qu’un tel droit n’existe pas (Comm. EDH X c. Belgique
et Pays- Bas, 10 juillet 1975, requête nE 6482/74, D.R., vol. 7, 75; Comm. EDH, X c. France, 5 octobre 1982, requête nE
9993/82, D.R., vol. 31, 241; Comm. EDH, S. c. Royaume-Uni, 14 mai 1986, requête nE 11716/85, D.R., vol. 47, 274). On lira:
FORDER, C., « Het gezin in internationale verdragen », RM Themis, 1997, nE 4, 135-136; BAETEMAN, G., Overzicht van het
personen- en gezinsrecht, Antwerpen, Kluwer rechtswetenschappen, 1992, II, 662; SENAEVE, P., « Het personen- en
familierecht, de Grondwet en het CEDH », dans Gezin en recht in een postmoderne samenleving, Gent, Mys en Breesch, 1994,
362-363. Un tribunal amstellodamois a par contre dit que l’article 8 CEDH peut dans certaines circonstances entraîner un droit à
l’adoption (Hof Amsterdam, 13 avril 1995, Nederlandse Jurisprudentie, 1996, nE 240). Le Hoge Raad néerlandais y était
initialement opposé (Hoge Raad, 22 juillet 1986, Nederlandse Jurisprudentie, 1987, nE 316), mais a modifié sa position en 1994
(Hoge Raad, 25 février 1994, R.v.d.Week, 1994, nE 65; Hoge Raad, 25 février 1994, R.v.d.Week, 1994, nE 66).
278
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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68
correspondance. Le droit à un logement adapté est fixé par le pacte NU (PIDESC) et oblige les Etats à
faire des démarches en direction de la réalisation de ce droit. Ce droit est notamment invoqué par des
cambrioleurs. Il doit alors être mis en balance avec le droit à la propriété.
Le droit à la protection du domicile ou à l’inviolabilité du domicile est également mentionné à
l’article 8 CEDH, mais ne fait pas toujours l’objet de beaucoup d’attention dans la littérature sur les
droits fondamentaux. A tort, parce que ces dernières années, une jurisprudence importante a été
consacrée à ce thème. Peut-être est-ce dû au fait qu’il s’agit d’un droit fondamental qui est rarement
mis en question et qui fait l’objet d’un consensus important. Très tôt dans l’histoire, on a ressenti le
besoin d’une liberté individuelle minimale par la protection du domicile.280
Le fait que ce droit fondamental figure dans le groupe de droits mentionnés à l’article 8 CEDH indique
que le droit fondamental vise la liberté personnelle de l’individu.281 Il contribue à la liberté personnelle
et au bien- être des habitants.282 Le droit fondamental ne tend donc pas à la protection de la propriété283
et ne doit pas non plus être confondu avec d’autres droits fondamentaux comme le droit de choisir
librement son domicile.284
Classiquement, le droit fondamental est invoqué dans des cas où il est question de violation du
domicile. L’article 8 CEDH constitue également la base permettant d’obtenir le droit de pouvoir utiliser
un logement285, à en avoir la jouissance286 et à pouvoir séjourner à un endroit exempt de nuisances
environnementales. Les lois et règlement qui déterminent l’aménagement et l’utilisation de l’espace –
pensons à l’aménagement du territoire, aux règlements sur les emplacements pour gens du voyage et à
la législation environnementale287 – peuvent être mis en balance avec le droit fondamental. L’utilisation
de stupéfiants, lorsque cela se passe dans la sphère privée, est protégée par ce droit. Dans une affaire de
1980 contre la Belgique, la Commission estimait que la condamnation pénale d’un hôtelier belge parce
qu’il conservait des boissons alcoolisées dans son logement privé (voisin de son hôtel), constituait une
ingérence dans sa vie privée et qu’il avait droit à la protection de son domicile.288 On peut déduire de
280
VANDE LANOTTE, J. et GOEDERTIER, G., Overzicht van het publiek recht, Brugge, Die Keure, 1997, 291 avec réf. à une
clause de protection de l’habitation dans la Charte du Prince-Evêque de Liège de 1198.
281
KRABBE, H., l.c., 133.
282
Cour EDH, Joseph Gillow c. Royaume-Uni, 24 novembre 1986, Série A, vol. 109, par. 55; Cour EDH, June Buckley c.
Royaume-Uni, 25 septembre 1996, Nederlandse Jurisprudentie, 1997, nE 555, par. 76.
283
Cour EDH, Loizidou c. Turquie, 18 septembre 1996, R.U.D.H., 1996, 286; Nederlands Juristenblad, 1997, 1178.
284
C. d’Et., 23 mai 1989, nE 32.632, Arr. C. d’Et., 19901, s.p., Rechtskundig Weekblad, 1990- 91, 606; Pas., 1992, IV, 82;
T.B.P., 1990, 129.
285
L’arrêt Gillow c. Royaume-Uni, infra.
286
KRABBE, H., l.c., 133.
287
Dans l’arrêt Buckley de 1996, l’attitude britannique à l’égard d’une famille de tziganes campant illégalement est en cause. Il
n’y avait pas de discussion sur la légitimité d’une politique en matière d’aménagement du territoire qui pouvait cadrer dans des
objectifs tels que la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la protection de la santé et la protection des droits d’autrui
(Cour EDH, June Buckley c. Royaume-Uni, 25 septembre 1996, Nederlandse Jurisprudentie, 1997, nE 555, par. 62-63). La Cour
dit ensuite que les Etats disposent d’une marge d’appréciation en ce qui concerne l’aménagement du territoire et la politique en
matière d’emplacement pour gens du voyage (dans ce cadre, les organes de Strasbourg ont comme toujours le dernier mot). En ce
qui concerne le choix et l’exécution de planning policies, cette marge est large, compte tenu des nombreux facteurs locaux
inhérents à une telle politique (Cour EDH, June Buckley c. Royaume-Uni, l.c., par. 75). Il faut toutefois (toujours) qui y ait une
mise en balance des intérêts de la communauté et ceux du respect du domicile (Cour EDH, June Buckley c. Royaume-Uni, l.c.,
par. 76). Lors du contrôle de la nécessité de l’intervention britannique, la Cour examine les garanties procédurales disponibles en
droit anglais (Cour EDH, June Buckley c. Royaume-Uni, l.c., par. 80-83) et détermine ensuite si les raisons alléguées par
l’autorité britannique sont pertinentes et suffisantes. A la différence de la Commission, la Cour estime que les mesures prises ne
sont pas disproportionnées et que les limites de la liberté d’appréciation n’ont pas été dépassées. Il n’y a pas violation de
l’article 8 CEDH (Cour EDH, June Buckley c. Royaume-Uni, l.c., par. 84-85). L’utilisation de la théorie de la marge
d’appréciation a été justement critiquée dans la littérature et par les trois juges ‘dissidents’ (cf. DE SCHUTTER, O., « Le droit au
mode de vie tsigane devant la Cour européenne des droits de l’homme: droits culturels, droit des minorités, discrimination
positive », R.T.D.H., 1997, 75-93). Le contrôle n’est pas non plus exempt de critiques. La Cour parcourt notamment un rapport
d’un inspecteur qui ne voyait pas quel problème d’esthétique paysagère pouvait poser la caravane de Bucley. De plus le contrôle
de la proportionnalité a été particulièrement bref.
288
Comm. EDH, Deklerck c. Belgique, 11 juillet 1980, requête nE 8307/78, D.R., vol. 21, 116. L’ingérence dans l’intérêt de la
santé publique était néanmoins défendable sous l’article 8, paragraphe 2 CEDH pour éviter que l’interdiction de servir imposée à
l’hôtel en vertu de la Loi Vandervelde soit contournée. L’ingérence n’était pas exagérée et le requérant pouvait en outre se
soustraire à l’interdiction en se déplaçant jusqu’à son domicile privé. Voir sur cette affaire: VELAERS, J., « Het menselijk
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l’affaire qu’une interdiction de consommer des boissons alcoolisées chez soi n’est pas conciliable avec
la convention, à moins qu’il n’y ait des circonstances spécifiques.289
L’inviolabilité du domicile n’est toutefois pas un blanc-seing pour toutes les activités qui s’y
déroulent.290 Les chambres de torture pour les ébats sadomasochistes de Laskey, Jaggard et Brown, se
situaient intra muros291, mais cela n’a pas pu empêcher que leur condamnation pénale soit considérée
comme conforme à la convention.
Le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile implique également et enfin une série ‘d’obligations
positives’ dans le chef de l’autorité. Celles-ci ne sont pas non plus illimitées. Les obligations positives
ne vont par exemple pas jusqu’à permettre de déduire un droit au logement ou à un logement ‘décent’
de l’article 8 CEDH.292
3.6.2.Qui est protégé?
Le logement est protégé ainsi que ceux qui y habitent.293 Le droit fondamental n’est pas limité au
logement qui est la propriété de celui qui y habite, puisque le droit fondamental ne coïncide pas avec le
droit de propriété. Plus encore, dans des conflits locatifs et autres, ce n’est pas le (nu-)propriétaire qui
peut invoquer le droit fondamental, mais bien le locataire ou sous-locataire qui habite la maison.294 Le
cambrioleur d’un logement peut également invoquer l’article 8 CEDH295, bien que ce soit très difficile
pour certains.296 Dans une affaire britannique récente297, une tzigane avait déposé plainte parce qu’elle
n’avait pas reçu de ‘planning permission’298 des autorités, de sorte qu’elle ne pouvait habiter
légalement dans une caravane sur le terrain dont elle était propriétaire et où elle habitait depuis quelque
temps. Bien que la Cour rejette finalement sa plainte299, elle estime que l’article 8 CEDH est bel et bien
lichaam en de grondrechten », l.c., 179-180 et dans le même ouvrage: VANHEULE, D., « Recht op roes: genieten naar keuze »,
363.
289
VELAERS, J., l.c., 180.
290
VELAERS, J., l.c., 180; RIGAUX, F., La protection de la vie privée, o.c., 190.
291
Cour EDH, Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997, E.H.R.R., 1997, partie 1; R.T.D.H., 1997, 733-745,
note LEVINET, M.
292
VELU, J. et ERGEC, R., o.c., nE 679. Voir aussi: Comm. EDH, 29 septembre 1959, requête nE 159/56, Ann.Conv., vol. I,
202; Comm. EDH, 21 mai 1975, requête nE 4560/70, Digest, vol. 3, 162 et suiv.; Comm. EDH, 15 juillet 1976, requêtes nE
5727/72, 5744/72 et 5858/72, Digest, vol. 3, 162 et suiv. Voir aussi: HUBEAU, B. et VANDE LANOTTE, J., « Het concept
woonzekerheid en elementen voor een woonzekerheidsvriendelijk huur en huisvestingsbeleid », dans Wonen in (on)zekerheid,
HUBEAU, B. et VANDE LANOTTE, J. (éds.), Antwerpen, Kluwer rechtswetenschappen, 1988, 11.
293
KRABBE, H., l.c., 134.
294
Dans l’affaire Gillow, les choses étaient compliquées (infra).
295
KRABBE, H., l.c., 134. Un regard positif sur ce phénomène est jeté par: VERSLUYS, L., « Le ‘kraken’: pourquoi ne pas
aller habiter dans une maison abandonnée? », Journ. procès, 1994, no. 259, 16-17.
296
Cf. VANDEPLAS, A., « Huiszoeking in een gekraakt pand », note sous Corr. Leuven, 3 juin 1977, Rechtskundig Weekblad,
1977-78, 1770-1773.
297
Cour EDH, June Buckley c. Royaume-Uni, 25 septembre 1996, Nederlandse Jurisprudentie, 1997, nE 555, note EJD;
Nederlands Juristenblad, 2 mai 1997, 813-815: R.T.D.H., 1997, 64-93, note O. DE SCHUTTER.
298
Il s’agit d’un permis temporaire d’installation. June a acheté le morceau de terrain à sa sœur qui avait elle-même obtenu la
propriété du terrain ainsi qu’un permis temporaire pour y installer une unité d’habitation se composant de deux caravanes.
299
Depuis 1988, June Buckley habite plusieurs caravanes avec ses enfants sur un morceau de terrain dont elle est propriétaire.
En 1989, elle demande rétroactivement un permis d’aménagement foncier pour les caravanes. Elle obtient le contraire, à savoir
une mise en demeure d’enlever ses caravanes. Les autorités britanniques se fondent sur le plan local d’aménagement en vigueur
qui prévoit de protéger le caractère rural et dégagé du paysage contre tous les développements non-indispensables. En outre, il y
avait des capacité d’accueil pour les tziganes ailleurs dans la région. En 1992, un site d’accueil pour les tziganes a été ouvert à
700 mètres du lieu contesté, et il lui fut proposé un emplacement, invitation à laquelle elle n’a pas donné suite. Son refus
d’obtempérer à la mise en demeure délivrée précédemment débouchera sur une condamnation pénale. L’affaire est soumise à
Strasbourg. Devant la Commission, elle se plaint d’être empêchée de vivre avec sa famille dans des caravanes sur son propre
terrain afin de perpétuer le mode de vie tzigane traditionnel, ce qui est contraire à l’article 8 CEDH. Dans un rapport du
11 janvier 1995, la Commission estime la plainte fondée. L’affaire est transmise à la Cour. Etonnamment, l’arrêt de la Cour, qui
ne suit pas la Commission et rejette les plaintes de Buckley, ramène la manière dont la plainte de Buckley est formulée en termes
d’autodétermination (cf. la plainte devant la Commission) à une plainte sur la violation du droit fondamental à la protection du
domicile. Plus encore, une fois constatée l’applicabilité de ce droit fondamental, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner si
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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applicable, malgré les objections du gouvernement britannique qui indiquait que la femme habitait sans
autorisation et agissait donc en infraction avec le droit britannique. La Cour remarquait toutefois que la
plaignante a acheté le terrain pour y habiter, qu’elle y a habité de manière quasi permanente depuis
1988 et que rien n’indique qu’elle souhaite s’établir ailleurs. Sa plainte doit par conséquent être mise en
balance avec le droit fondamental à la protection du domicile.300
3.6.3.La notion de ‘domicile’
La notion de ‘domicile’ figurant dans la convention est considérée dans son sens le plus large. Tout
comme en droit belge, cette notion ne concerne pas seulement le logement proprement mais aussi
l’ensemble du territoire qui contribue à définir l’essence de la jouissance du logement, comme le jardin
et le garage.301 La notion recouvre également des caravanes lorsqu’elles constituent la résidence
principale ou le domicile unique302, ainsi que les chambres d’hôtel, les chambres d’hôte et les lieux de
résidence temporaires. La durée et l’intensité de l’utilisation ne jouent aucun rôle303, à condition que
l’on puisse considérer l’espace concerne comme un logement.304 Ces points sont raisonnables étant
donné que la protection offerte vise le développement de la liberté personnelle.
Malgré ce qui précède, il y a des limites (dans l’espace) à l’application du droit fondamental. On peut
déduire de la jurisprudence de la Commission qu’une cellule de prison ne peut pas être considérée
comme un logement privé, qui bénéficie d’une protection particulière. Dans l’affaire Wemhoff, la
Commission a en effet estimé que les règles relatives à la visite domiciliaire ne s’appliquaient pas à une
visite de cellule et que le détenu concerné ne peut faire valoir aucun droit à être présent lorsque la visite
de la cellule est effectuée.305 Dans la récente affaire Loizidou, la Cour a estimé que l’extension de la
notion de ‘domicile’ de l’article 8 CEDH à un bien immobilier sur lequel on veut construire une maison
pour y habiter constitue une interprétation trop large de cette notion. Ce terme ne peut pas non plus être
interprété comme recouvrant une région dans laquelle on a grandi et où la famille a ses racines, mais où
on ne vit pas.306
les droits fondamentaux à la protection de la vie privée et familiale sont également applicables (Cour EDH, June Buckley c.
Royaume-Uni, l.c., par. 55). Très critique sur cette limitation: le juge Pettiti dans son opinion dissidente sur l’arrêt (reprise en
annexe de l’arrêt). Celui- ci souligne la pertinence du droit fondamental à la protection de la vie familiale, ainsi que le droit
fondamental (non-invoqué) à la protection de la propriété et dit que la Cour a mal évalué les intérêts en accordant plus de poids à
l’aménagement du territoire applicable (qui n’est pas protégé par un droit fondamental) qu’aux droits fondamentaux de Buckley.
300
Cour EDH, June Buckley c. Royaume-Uni, l.c., par. 54, avec réf. à l’arrêt Gillow c. Royaume-Uni de 1986.
301
KRABBE, H., l.c., 133.
302
Hormis l’affaire Buckley (supra), on peut faire référence à une autre affaire de tziganes, en l’occurrence: Comm. EDH,
Turner c. Royaume-Uni, requête nE 30294/96, E.H.R.R., 1997, janvier-juin, (vol 23), CD, 181-185. Il n’est pas certain que tous
les ‘campingcars’ soient visés. Comp. Comm. EDH, Kanthak c. Allemagne, 11 octobre 1988, requête nE 12474/86, D.R., vol. 58,
94. Il nous semble toutefois évident que des campingcars ou des caravanes puissent également être un domicile au sens de
l’article 8 CEDH, à condition qu’ils servent de résidence principale ou unique.
303
Cour EDH, Joseph Gillow c. Royaume-Uni, 24 novembre 1986, Série A, vol. 109.
304
Voir également à ce sujet: VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G., o.c., 433.
305
Comm. EDH, Wemhoff c. Allemagne, 17 mai 1969, requête nE 3448/67, Coll., 30, 56; SMAERS, G., o.c., 253.
306
Cour EDH, Loizidou c. Turquie, 18 décembre 1996, R.U.D.H., 1996, 286; Nederlands Juristenblad, 1997, 1178.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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3.6.4.Un point de discussion actuel: les locaux professionnels
Comme, ainsi que nous l’avons dit, la protection accordée vise le développement de la liberté
personnelle, il est évident de rendre la notion de ‘domicile’ de l’article 8 CEDH applicable à (certains)
des locaux professionnels. Des activités humaines à protéger ont également pour cadre de tels lieux. La
Cour a en effet dit dans plusieurs arrêts importants que certains espaces professionnels, à savoir des
lieux où on exerce une activité commerciale ou une profession, entrent également dans le
champ d’application du droit fondamental à la protection du domicile.307 L’arrêt de principe est sans
conteste Niemietz c. Allemagne de 1992.308 Cette affaire concerne une plainte suite à une visite
domiciliaire et une saisie dans le cabinet d’un avocat. Celui-ci soutient que les devoirs de recherche
visés étaient excessifs. Dans sa défense, le gouvernement allemand alléguait que la convention ne
protégeait que la vie privée et le domicile, mais pas la vie professionnelle ou commerciale ou des
locaux professionnels. Niemietz ne peut par conséquent pas invoquer l’article 8 CEDH et la visite
domiciliaire et la saisie ne doivent donc pas être mises en balance avec cette disposition. La Cour
rejette ce point de vue: la protection de la vie privée au sens de l’article 8 CEDH n’est pas seulement la
protection du cercle intime d’une personne, mais aussi celui de celui dans lequel un individu établit des
relations avec autrui.309 C’est en particulier le cas de ce que l’on appelle les professions libérales, où
toute distinction entre activités professionnelles et autres est vouée à l’échec et mène à une inégalité de
traitement sur le plan des droits fondamentaux bénéficiant aux personnes qui peuvent clairement
séparer leur vie privée de leur vie professionnelle. En outre, l’article 8 CEDH ne protège pas seulement
la vie privée, mais aussi le domicile. Le terme de ‘domicile’ dans la version française de la convention
indique qu’il s’agit d’une notion large qui peut également porter sur des bureaux (« par exemple, le
bureau d’un membre d’une profession libérale »). Ici aussi, une interprétation limitative stricte pourrait
mener à un traitement inégal.310 La Cour considère par conséquent que certaines activités et lieux
professionnels et commerciaux entrent dans le champ d’application du droit à la protection de la vie
privée et du domicile. Elle ajoute dans la foulée que cette vision n’empêche pas que des limitations
plus importantes des droits de l’article 8 CEDH soient possibles pour de tels lieux et activités que pour
d’autres lieux et activités.311
Cette jurisprudence, qui a été répétée dans des arrêts ultérieurs et qui peut partiellement être ramenée à
l’arrêt Chappell de 1988312, est étonnante parce qu’elle contraste avec la jurisprudence belge313 et avec
307
Cour EDH, Ian Chappell c. Royaume-Uni, 30 mars 1989, Série A, vol. 152-A; Cour EDH, Niemietz c. Allemagne,
16 décembre 1992, Série A, vol. 251-B (bureau d’avocat); Cour EDH, Gustave Funke c. France, 25 février 1993, Série A, vol.
265-A, Cour EDH, Paul Crémieux c. France, 25 février 1993, Série A, vol. 265-B et Cour EDH, Miailhe c. France, 25 février
1993, Série A, vol. 265-C (siège de société).
308
Cour EDH, Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, Série A, vol. 251-B. En décembre 1985, un juge allemand reçoit une
lettre lui annonçant qu’il sera fait de la publicité sur l’abus de pouvoir que commet de juge dans l’exercice de sa fonction. Selon
la lettre, celui-ci avait ordonné l’examen psychiatrique d’un employeur qui refusait de retenir l’impôt ecclésial sur le salaire de
ses travailleurs. La lettre était signée par un certain Klaus Wegner qui parlait au nom de l’Antiklerikaler Arbeitskreis du Freiburg
Bunte Liste. Environ un an plus tard (novembre 1986), la justice pénètre dans le bureau de l’avocat Niemietz à la recherche
d’informations sur ce Klaus Wegner. Le bureau de poste de l’ancien président du Freiburg Bunte Liste, Niemietz, figurait en
effet sur la lettre en question. Les enquêteurs recherchaient des ‘documents pouvant révéler l’identité de Klaus Wegner’ et
fouillèrent les armoires et les dossiers de Niemietz à cet effet. Celui-ci n’en resta pas là et s’adressa d’abord aux instances
nationales puis à Strasbourg, en invoquant l’article 8 CEDH.
309
« Il paraît, en outre, n’y avoir aucune raison de principe de considérer cette manière de comprendre la notion de vie privée
comme excluant les activités professionnelles ou commerciales: après tout, c’est dans leur travail que la majorité des gens ont
beaucoup, voire le maximum d’occasions de resserrer leurs liens avec le monde extérieur » (Cour EDH, Niemietz c. Allemagne,
l.c., par. 29).
310
Cour EDH, Niemietz c. Allemagne, l.c., par. 30.
311
Cour EDH, Niemietz c. Allemagne, l.c., par. 31.
312
Cet arrêt concerne une plainte contre une double visite domiciliaire mise sur pied par des membres de sociétés
cinématographiques et des organisation de défense des droits d’auteurs ainsi que la police britannique et ce dans le bâtiment où
Chappell avait ses bureaux et où il habitait avec son épouse. Le gouvernement britannique attaqué accepta l’application du droit
fondamental à la vie privée et du domicile à cette affaire, un point de vue que la Cour fait sien: « le Gouvernement reconnaît
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la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes. En effet, la Cour européenne de
Justice de Luxembourg refuse d’élargir le champ d’application de l’article 8 CEDH à des espaces
commerciaux.314 Certains parlent de « deux vérités européennes ».315 Dans ce cas, la voix des juges de
Strasbourg a cependant le plus d’autorité. Il ne fait donc aucun doute que tant les juges belges que ceux
de la Cour de Luxembourg devront s’aligner sur la jurisprudence de Strasbourg.316 Ce n’est en tout cas
pas insurmontable. La large conception de Strasbourg n’implique pas que le même niveau de protection
juridique doive être assuré à des habitations et à des locaux professionnels317, ce qu’a d’ailleurs
souligné la Cour dans l’affaire Niemietz (supra). La Cour a également dès le départ dit que tous les
locaux professionnels ne sont pas protégés sur la base de l’article 8 CEDH. ‘Certains’ locaux et
activités professionnels et commerciaux entrent dans le champ d’application du droit à la protection de
la vie privée et du domicile.318
Après Niemietz, il a fallu attendre que la Cour indique plus clairement dans sa jurisprudence quels
locaux professionnels et commerciaux étaient protégés par l’article 8 CEDH. Dans l’affaire Crémieux,
qui est plus récente que l’affaire Niemietz, une visite domiciliaire est effectuée tant dans l’habitation
privée qu’au siège de la société de Crémieux. Sans plus d’explication, la Cour va estimer le droit à la
protection de la vie privée applicable ainsi que celui à la protection du domicile.319 Chez Miailhe on
effectue des recherches tant dans des bâtiments qui servent à son entreprise que dans le bâtiment qui est
utilisé comme consulat philippin. Miailhe et sa famille n’habitent pas ces locaux, mais y font adresser
toute leur correspondance privée. La Commission considère que tant le droit à la protection de la vie
privée et de la correspondance que du domicile sont visés. La Cour fait étonnamment un pas en arrière
et ne retient que le droit à la protection de la vie privée et de la correspondance. Elle refuse de se
prononcer sur la question de savoir si le droit à la protection du domicile est également applicable.320 Il
faudra apparemment attendre des affaires dans lesquelles la vie privée et les bâtiments concernés seront
suffisamment séparés pour obtenir plus de clarté sur le champ d’application du droit à la protection du
domicile. Dans une affaire devant la Commission, Rudolf Reiss invoque sans succès une atteinte à ses
droits reconnus par l’article 8 CEDH, en faisant référence à la protection des locaux professionnels et
commerciaux dans Niemietz.321 La Commission estime la disposition non applicable: « While business
premises therefore enjoy to a certain extent the protection of Article 8 of the Convention, regard must
be paid in this respect to the nature of such premises, the business activities exercised therein and the
qu’il y a eu ingérence dans l’exercice du droit du requérant au respect de sa ‘vie privée’ et de son ‘domicile’. (...) La Cour
n’aperçoit aucune raison de marquer un désaccord sur l’un ou l’autre points » (Cour EDH, Ian Chappell c. Royaume-Uni,
30 mars 1989, Série A, vol. 152-A, par. 51).
313
D’après la jurisprudence, les locaux professionnels n’entreraient pas dans le champ d’application de l’article 15 Const.
(Cass., 21 octobre 1992, Arr. Cass., 1992, 1223; Journal des Tribunaux, 1993, 161; Pas., 1992, I, 1180, concl. B Janssens de
Bisthoven. Egalement: Cass., 23 juin 1993, Rechtskundig Weekblad, 1993-1994, 467; J.L.M.B., 1993, 1058).
314
H.v.J., nE 46/87 et 227/88 du 21 septembre 1989, Hoechst AG, Jurispr., 1989, 2859; H.v.J., 17 octobre 1989, Dow
Nederland N.V., S.E.W., 1990, 381; Nederlandse Jurisprudentie, 1990, 571, avec conclusions divergentes de l’avocat général
Mischo. Les deux affaires sont analysées en détail dans: CATH, I., « Hebben ondernemingen recht op bescherming van de
privésfeer? De zaken Hoechst en Chappell vergeleken », NJCM-Bulletin, 1991, 28-54. On lira: FINALY, R.,
« Grondrechtenbescherming van rechtspersonen », NJCM-Bulletin, 1991, nE 2, 105-106.
315
FLAUSS, J.F., « Actualité de la Convention européenne des Droits de l’homme », A.J.D.A., 1993, 114. Voir aussi: ALEN,
A., avec la collaboration de CLEMENT, J., VAN HAEGENDOREN, G. et VAN NIEUWENHOVE, J., Handboek van het
Belgisch Staatsrecht, Antwerpen, Kluwer rechtswetenschappen, 1995, 583, nE 607.
316
ALEN, A., o.c., 583.
317
KRABBE, H., l.c., 133; DE BOER, J., Handelingen NJV over Artikel 8 CEDH, Zwolle, 1990, 45 et suiv.
318
Cour EDH, Niemietz c. Allemagne, l.c., par. 31.
319
Cour EDH, Paul Crémieux c. France, 25 février 1993, Série A, vol. 265-B, par. 31.
320
« La Cour estime inutile en l’occurrence de rechercher si les locaux occupés par eux pouvaient passer pour un domicile; elle
renvoie sur ce point, mutatis mutandis, à son arrêt NIEMIETZ c. ALLEMAGNE du 16 décembre 1992. En l’espèce, il lui suffit de
constater une immixtion dans la vie privée et la correspondance des intéressés » (Cour EDH, Miailhe c. France, 25 février 1993,
Série A, vol. 265-C, par. 28.
321
Comm. EDH, Rudolf Reiss c. Autriche, 6 septembre 1995, requête nE 23953/94, E.H.R.R., 1995, décembre, CD, 90-92; D.R.,
vol. 82 (1995), 51-54 (condamnation du barman d’un bar homo qui présentait des vidéos pornographiques dans son bar, malgré
un contrôle d’accès et le refus d’accès à des mineurs d’âge).
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73
nature of the allegd interference ».322
3.7. APERÇU DE LA JURISPRUDENCE EUROPÉENNE SUR LE
DOMICILE
3.7.1.Les limites à prendre en considération lors d’une visite
domiciliaire
L’article 8 CEDH protège le domicile contre toute sorte d’atteintes. On pense à cet égard classiquement
à la pénétration illicite dans une habitation. Le droit fondamental n’est toutefois pas absolu. Dans tous
les Etats membres, la loi (au sens large) organise des compétences de visite domiciliaire. De telles
compétences doivent être compatibles avec les conditions du deuxième paragraphe de l’article 8
CEDH, ce qui implique qu’elles doivent reposer sur une base légale, qu’elles doivent poursuivre un
objectif légitime et être nécessaires. Cette appréciation a une nature triple (bien que Strasbourg
s’abstienne généralement de la première de ces trois appréciations): il faut contrôler si la compétence
organisée par la loi est compatible avec la convention, si le mandat de visite domiciliaire concret est
compatible avec la convention (‘est-il vague ou spécifique?’…) et si l’exécution concrète de la visite
domiciliaire est compatible avec la convention.323
Certains considèrent que l’article 8, alinéa 2 exige implicitement qu’une visite domiciliaire aille de pair
avec un mandant de visite domiciliaire délivré par un juge.324 Nous allons nuancer cette position par
après. Quoi qu’il en soit, la Cour attache beaucoup d’importance au contrôle préalable par un juge.325
Jusqu’il y a peu, on pouvait dire que vu la très large interprétation donnée par la Cour au deuxième
alinéa de l’article 8, les autorités nationales disposaient d’une compétence presque illimitée de visite
domiciliaire.326 La convention est ainsi en grande mesure dépouillée de toute pertinence. Dans les
affaires de douane, que nous allons commenter, la Cour arrive cependant à la conclusion qu’il y a eu
violation de l’article 8 CEDH. Ces arrêts et d’autres327 nous apprennent qu’une jurisprudence aussi
volumineuse et impérative que celle sur les écoutes téléphoniques se développe en ce qui concerne la
visite domiciliaire et la saisie.
Le 25 février 1993, la Cour européenne a rendu trois arrêts dans des affaires de douane dirigées contre
la France. Il s’agit des arrêts Funke, Crémieux et Miailhe.328 Un des éléments récurrents qui fait l’objet
d’une plainte dans les trois affaires est la visite domiciliaire et la saisie. Celles- ci sont effectuées sur la
322
Comm. EDH, Rudolf Reiss c. Autriche, 6 septembre 1995, requête nE 23953/94, D.R., vol. 82 (1995), 54.
Cour EDH, Ian Chappell c. Royaume-Uni, 30 mars 1989, Série A, vol. 152-A. Dans cet arrêt, la Cour fait une double analyse:
tout d’abord le mandat de visite domiciliaire et la précision des termes et instructions qui y figurent est mis en balance avec
l’article 8 CEDH, ensuite c’est le tour de l’exécution du mandat (Cour EDH, Ian Chappell c. Royaume-Uni, l.c., par. 62). Sur ce
point, la jurisprudence de la Cour est en contradiction avec celle de la Cour de Luxembourg qui, dans les affaires Hoechst et
Dow, n’a examiné que le but et l’objet d’une fouille (visite domiciliaire) et n’examine que peu ou pas l’exécution effective de
l’enquête. En détail à ce sujet: CATH, I., l.c., 42 avec réf.
324
VELU, J. et ERGEC, R., o.c., nE 678.
325
Notamment Cour EDH, Ian Chappell, l.c., par. 59.
326
VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G., o.c., 433.
327
Nous ne détaillerons pas les affaires suivantes qui concernent la pénétration dans des habitations: Cour EDH, Murray c.
Royaume-Uni, 28 octobre 1994, Série A, vol. 300-8; Comm. EDH, McLeod c. Royaume-Uni, requête nE 24755/94 cité par
ALKEMA, E., ‘Toekomstige uitspraken van het Europese Hof voor de Rechten van de Mens’, Ars Aequi, 1998, nE 2, 96. Dans
l’affaire Murray de 1994 (Cour EDH, Murray c. Royaume- Uni, 28 octobre 1994, Série A, vol. 300-8) une violation de l’article 8
CEDH par la visite domiciliaire est invoquée pour absence de la nécessité requise. La Cour estima toutefois que la visite
domiciliaire et les moyens employés n’étaient pas disproportionnés et a donc estimé qu’il n’y avait pas eu de violation de
l’article 8 CEDH. La pénétration dans le domicile a été jugée légitime dans McLeod c. Royaume-Uni.
328
Cour EDH, Gustave Funke c. France, 25 février 1993, Série A, vol. 256-A; Cour EDH, Paul Crémieux c. France, 25 février
1993, Série A, vol. 256-B; Cour EDH, William Miailhe c. France, 25 février 1993, Série A, vol. 256-C.
323
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74
base de l’article 64 du Code des douanes français.329 Cette disposition est de nature plutôt générale et
peu détaillée en ce qui concerne la visite domiciliaire et la saisie (‘pour la recherche (...) les agents des
douanes peuvent...’). La disposition ne prévoit en outre aucun mandat du juge d’instruction. La
présence d’un officier de police est toutefois requise lors de toute visite domiciliaire.
Le gouvernement français estime les visites domiciliaires respectives absolument nécessaires. La Cour
se montre compréhensive pour une série de problèmes rencontrés par les Etats dans la lutte contre la
fraude fiscale330, et admet que des visites domiciliaires et des saisies poussées peuvent être utiles dans
la lutte contre certains délits fiscaux (douaniers) dans lesquels des preuves matérielles ou physiques
sont difficiles à établir.331 Il faut toutefois des garanties contre les abus dans de tels devoirs
d’instruction. Celles-ci font défaut dans l’article 64 dont la formulation est trop générale et qui confère
des compétences très larges aux autorités douanières d’estimer elles-mêmes l’opportunité, le nombre,
la durée et l’importance des opérations de contrôle, sans que des garanties suffisantes soient prévues.332
Cette législation incomplète et laxiste est surtout rendue problématique par l’absence de contrôle
judiciaire. Dans les trois cas, une violation de l’article 8 CEDH est constatée.
Le contrôle judiciaire sur la fréquence, le moment et l’intensité des contrôles et les visite domiciliaires
constitue par conséquent la garantie la plus évidente lors de toute visite domiciliaire et saisie, mais la
Cour ne va pas jusqu’à dire qu’il est requis dans tous les cas. Une procédure sans intervention du juge
est imaginable, mais elle doit alors comprendre suffisamment de garanties et fermer toutes les portes
pour éviter des abus.
3.7.2.Expulsions, incendie d’habitations…
Le droit fondamental à la protection du domicile n’est pas seulement limité par des visites domiciliaires
légales ou non, mais aussi par des mesures comme l’expulsion du logement, l’interdiction de pénétrer
dans le logement et l’incendie d’habitations.333 La protection de l’article 8 CEDH peut également être
invoqué contre ces mesures.
Dans ce que l’on appelle les affaires de Chypre, la Commission dit que le refus de l’autorité turque de
laisser retourner les Chypriotes grecs à leurs maisons situées dans la partie nord de l’île constituait une
atteinte injustifiée à leur droit à la protection du domicile.334 Dans une affaire plus ancienne, les Turcs
329
Cet article a depuis été modifié et prévoit dans sa forme actuelle un contrôle judiciaire des visites domiciliaires en matière de
douanes. La Cour européenne n’a donc pas inclus cette nouvelle disposition dans son appréciation.
330
L’arrêt Crémieux dit que, dans la lutte contre la fuite de capitaux et la fraude fiscale, les Etats sont confrontés à de graves
difficultés qui découlent de l’étendue et de la complexité des réseaux bancaires et des circuits financiers, ainsi que des
nombreuses possibilités offertes par les placements internationaux facilitées par la relative perméabilité des frontières (Cour
EDH, Paul Crémieux c. France, l.c., par. 39).
331
Notamment Cour EDH, Paul Crémieux c. France, l.c., par. 39.
332
« l’administration des douanes disposait de pouvoirs fort larges: elle avait notamment compétence pour apprécier seule
l’opportunité, le nombre, la durée et l’ampleur des opérations de contrôle. En l’absence surtout d’un mandat judiciaire, les
restrictions et conditions prévues par la loi (...) apparaissaient trop lâches et lacunaires pour que les ingérences dans les droits
du requérant fussent étroitement proportionnées au but légitime recherché » (par. 57 (Funke), par. 38 (Miailhe) et par. 40
(Crémieux).
333
Les destructions de maisons à titre de représailles sont fréquentes dans les situations de guerre. Israël a détruit des maisons de
Palestiniens dans les territoires occupés. En Amérique latine, l’armée a détruit des maisons de paysans soupçonnés de liens avec
la rébellion. Amnesty International a inclus explicitement des actions contre les destructions de maisons dans son mandat et en
considère les victimes comme des prisonniers d’opinion.
334
Comm. EDH, Chypre c. Turquie, 10 juillet 1978, requête nE 8007/77, D.R., vol. 72, 41, par. 130-131, avec référence à
Comm. EDH, Chypre c. Turquie, 10 juillet 1976, requêtes nE 6780/74 et 6950/75, par. 208-210. Pour une brève situation des
affaires sur Chypre, voir: KAMMINGA, M., « Is the European Convention on Human Rights Sufficiently Equipped to Cope with
Gross and Systematic Violations? », N.Q.H.R., 1994, 157. Pour un commentaire plus détaillé, voir: LOUCAIDES, L.,
« Expulsion of Settlers from Occupied Territories. The Case of Turkish Settlers in Cyprus », dans Essays on the Developing Law
of Human Rights, LOUCAIDES, L.G., Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1995, 108-138. Comp. Cour EDH, Loizidou c. Turquie,
18 décembre 1996, NJCM-Bulletin, 1997, 489- 490; R.U.D.H., 1996, 286; Nederlands Juristenblad, 1997, 1178. (pas de
violation de l’article 8 CEDH pour refus d’accès à et ingérence dans la propriété de la plaignante dans le nord de Chypre par les
autorités turques, puisque la plaignante n’a pas de domicile sur le morceau de terrain concerné et qu’il ne peut donc y être
question d’une ingérence dans les droits garantis par cette disposition).
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
http://www.vub.ac.be/LSTS.
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se sont entendu dire qu’aucune de bases mentionnées dans le deuxième alinéa ne constitue une
justification pour déloger des habitants et rendre leur retour impossible.335 Dans l’arrêt Akdivar, il est
dit que l’incendie volontaire de maisons et de tout ce qu’elles contiennent constitue une ingérence
grave dans le droit au respect de la vie familiale et du domicile ainsi que le la jouissance paisible de la
propriété (art. 1er, Premier Protocole).336 Il n’est question d’aucune marge d’appréciation laissée aux
Etats.337
Dans l’affaire Wiggins, la Commission a dit qu’une maison, qui a été obtenue de manière régulière par
une personne et a en outre été habitée par elle pendant plusieurs années ne cesse pas d’être son
‘domicile’ au sens de l’article 8 CEDH, simplement parce que, en raison de circonstances imprévues,
cette personne n’est plus autorisée à continuer à habiter cette maison.338 Dans l’affaire Gillow, un
couple veut recommencer à occuper son habitation sur l’île de Guernesey, après 18 ans d’absence, mais
cela leur est refusé par les autorités compétentes.339 La Cour conclut à une violation de l’article 8
CEDH et plus précisément du droit à la protection du domicile.340 En l’espèce, le refus d’accorder un
permis de séjour est contraire à l’article 8 CEDH. Le respect du domicile implique le droit de faire
usage d’une habitation qui a été construite de manière légale.
3.7.3.Protection contre les nuisances environnementales
Après la jurisprudence rendue par la Commission sur les nuisances environnementales, qui ne présente
toutefois pas de ligne claire341, la Cour rend en 1990 un premier arrêt sur l’applicabilité de l’article 8
CEDH à cette problématique. Dans l’arrêt Powell et Rayner c. Royaume-Uni de 1990 l’objet est la
nuisance occasionnée par le bruit d’un aéroport voisin.342 La Cour confirme que les avions influencent
négativement la vie privée des demandeurs et l’agrément de leurs foyers, mais conclut néanmoins que
les nuisances sonores ne constituent pas une violation de l’article 8, notamment en raison des mesures
prises par le gouvernement britannique pour protéger les propriétés des riverains de l’aéroport et en
raison de l’intérêt économique des aéroports.343 Des nuisances sonores excessives peuvent donc poser
des problèmes en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée et du domicile. En raison de ce
droit fondamental, les Etats doivent réaliser un équilibre entre l’intérêt avancé en cas de problème
environnemental et la jouissance effective du droit au respect du domicile et de la vie privée et
familiale. Dans l’affaire Lópze Ostra, l’Etat espagnol n’a pas ou pas suffisamment respecté cette
335
Comm. EDH, Chypre c. Turquie, 10 juillet 1976, l.c., par. 209-210.
Cour EDH, Akdivar c. Turquie, 16 septembre 1996, R.A.D.-R.J.D., 1996-III; Nederlands Juristenblad, 18 avril 1997
(abrégé), 729-730; NJCM-Bulletin, 1996, 1090-1114, note R. LAWSON; Comm. EDH, Selçuk et Asker c. Turquie, requête nE
23184 et 23185/94 cité par ALKEMA, E., « Toekomstige uitspraken van het Europese Hof voor de Rechten van de Mens », Ars
Aequi, 1998, nE 2, 94.
337
Cette marge est explicitement reconnue aux Etats notamment dans les trois affaires de douane.
338
Comm. EDH, Wiggins c. Royaume-Uni, 8 février 1978, requête nE 7456/76, D.R., vol. 13, 40.
339
Cour EDH, Joseph Gillow c. Royaume-Uni, 24 novembre 1986, Série A, vol. 109. Voir aussi: Comm. EDH, Y c. Pays-Bas,
requête nE 6202/73, D.R., vol. 1, 66-70 (le droit d’habiter dans une maison dont on est propriétaire).
340
Cour EDH, Joseph Gillow c. Royaume-Uni, l.c., par. 58.
341
Deux affaires sont réglées à l’amiable (Comm. EDH, Arrondelle c. Royaume-Uni, 15 juillet 1980, requête nE 7889/77, D.R.,
vol. 19, 186-189 et D.R., vol. 26, 5; Comm. EDH, Baggs c. Royaume-Uni, 16 octobre 1985, requête nE 9310/81, D.R., vol. 44,
13 et D.R., 52, 29). Dans une troisième affaire, la Commission arrive à la conclusion que le niveau de nuisance sonore due à la
proximité d’un stand de tir de l’armée de l’habitation des parties requérantes n’est pas de nature à permettre de constater une
violation des droits des intéressés (Comm. EDH, Vearncombe, Herbst, Clemens et Spielhagen c. Royaume-Uni et Allemagne,
18 janvier 1989, requête nE 12816/87, D.R., vol. 59, 186).
342
Cour EDH, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, Série A, vol. 172.
343
Les autorités britanniques avaient pris une série d’initiatives pour protéger les riverains de Heathrow du bruit, comme la
limitation des vols de nuit, la subsidiation de travaux d’isolation des maisons, etc. (Cour EDH, Powell et Rayner c. RoyaumeUni, l.c. par. 43). Plus détaillé: FLAUSS, J., « Le droit à un recours effectif contre les nuisances d’un aéroport », R.T.D.H., 1991,
247-260.
336
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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obligation.344
3.8. LE DROIT FONDAMENTAL AU RESPECT DES COMMUNICATIONS
3.8.1.Généralités
Le quatrième bien juridique protégé par l’article 8 CEDH concerne la ‘correspondance’. Le texte belge
néerlandais traduit cette notion par ‘briefwisseling’. Aux Pays-Bas, on a opté pour la notion de
‘correspondentie’ à l’occasion d’une nouvelle traduction345, ce qui est plus proche du texte original. Il
serait encore mieux que l’on parle tant dans le texte original que dans sa traduction de ‘communicatie’
(communications). Il ressort en effet de la jurisprudence européenne que toutes les formes de
communication peuvent être entendues sous le vocable de ‘correspondance’ et donc bénéficier de la
protection de l’article 8.346
Le droit fondamental protège donc les communications contre les atteintes. Des opérations de
privatisation de systèmes de communication n’ont pas d’impact sur la protection assurée.347 Le système
de communication concerné ne doit pas se trouver aux mains de l’autorité.
L’autorité et le citoyen ne doivent pas seulement s’abstenir de porter atteinte au droit fondamental aux
communications, mais aussi respecter des obligations positives. Le choix des mesures est toutefois
laissé aux autorités nationales qui disposent en l’espèce d’une large marge d’appréciation.
Le secret des lettres constitue l’application la plus ancienne du droit fondamental. La traduction initiale
de ‘correspondance’ (angl.) en ‘briefwisseling’, souligne cette application (classique) du droit
fondamental aux communications à la communication écrite. La majeure partie de la jurisprudence
existante sur la correspondance est générée par des détenus qui voient souvent leurs droits fortement
limités sur ce plan: les directions de prisons qui interceptent le courrier, le font ouvrir et (le cas
échéant) lire, ce qui ralentit également la réception et l’envoi de lettres, des détenus qui se voient
imposer des quotas en ce qui concerne le nombre de lettres à envoyer et le nombre de timbres
disponibles, des détenus qui se voient imposer l’interdiction d’écrire à certaines personnes, etc. Nous
verrons que le secret des lettres est encore limité dans certains autres cas.
Le terme de ‘correspondance’ doit être considéré dans sa signification la plus large. Non seulement des
lettres fermées, mais par exemple aussi des cartes postales sont protégées par cette disposition de la
convention, le mode de transport n’ayant aucune importance dans ce cadre. Le droit fondamental est
également applicable si une lettre n’a pas encore été envoyée. Un document se trouvant depuis
longtemps au lieu de destination reste une lettre.348 Certains excluent l’application du droit fondamental
aux journaux intimes étant donné qu’ils ne remplissent aucun rôle dans des contacts avec d’autres
personnes.349
344
Cour EDH, López Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, Série A, vol. 303-C, par. 51. Les autorités espagnoles n’ont pas
seulement négligé de prendre des mesures contre les nuisances, mais ont également entrepris des démarches pour contrecarrer les
décisions juridiques obtenues par la plaignante.
345
Voir la traduction de la convention publiée dans le Tractatenblad, 1990, 156. Le choix de la notion plus large de
‘correspondentie’ est plus judicieux compte tenu du fait que les textes français et anglais parlent respectivement de
‘correspondance’ et ‘correspondences’.
346
VELU, J. et ERGEC, R., o.c., nE 682; ERGEC, R. et SCHAUSS, A., « Examen de jurisprudence (1990 à 1994) », R.C.J.B.,
1995, 401, nE 138. Une éventuelle discussion sur l’opportunité de termes plus larges dans la convention resterait d’ailleurs plutôt
académique, étant donné que de telles communications ressortent dans la plupart des cas de la protection générale de la vie
privée. Nous verrons d’ailleurs que la Cour exprime elle-même une préférence pour l’application du droit fondamental à la
protection de la correspondance à des différends sur par exemple les écoutes téléphoniques, et souligne donc clairement le rôle de
premier plan joué par ce droit fondamental dans cette problématique. Des termes comme ‘briefwisseling’ et ‘correspondentie’ ne
recouvrent par conséquent pas le contenu donné à cette notion par les organes de Strasbourg.
347
KRABBE, H., l.c., 135.
348
KRABBE, H., l.c., 134.
349
KRABBE, H., l.c., 134.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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L’arrêt Klass est légendaire par cette petite phrase qui dit que bien que le texte de l’article 8, alinéa 1er,
CEDH ne fait pas mention de communications téléphoniques, elles « se trouvent comprises dans les
notions de vie privée et de correspondance, visées par ce texte ».350 La Cour comprend par conséquent
les communications téléphoniques dans les notions de ‘vie privée’ et de ‘correspondance’ et les laisse
donc bénéficier de la protection de l’article 8 CEDH. Il est également indiqué un peu plus loin dans
l’arrêt que l’interception de communications peut également porter atteinte au droit fondamental à la
protection de la vie familiale.351 Dans l’affaire Malone, l’article 8 CEDH n’est pas seulement déclaré
applicable à l’interception de communications téléphoniques, mais aussi à l’interception de données sur
les connexions concernées par les communications téléphoniques et sur les moments et la durée des
communications.352 Cet arrêt met également les écoutes en rapport avec plusieurs droits
fondamentaux.353
Cette jurisprudence montre clairement que pas moins de trois droits sont en jeu lorsqu’on ouvre le
courrier et les colis postaux, lorsqu’on lit des télégrammes et lorsqu’on écoute des communications
téléphoniques, dont la vie privée n’est que l’un d’eux. C’est important parce que les violations des
communications sont souvent appréciées sous l’angle de la vie privée, ce qui est trop limité. Nous
pouvons imaginer plus de droits fondamentaux qui sont menacés par les écoutes354, mais ne l’estimons
pas utile puisque le droit fondamental qui protège les communications nous dégage de l’obligation de
démontrer que le contenu des communications devait être protégé. Ce droit fondamental offre en
d’autres termes la protection la plus large possible, puisqu’il protège les communications, quel que soit
leur contenu. C’est la raison pour laquelle nous acquiesçons à l’étape conceptuelle franchie par la Cour
en matière de secret des communications en 1992. Alors qu’avant cette date, la Cour laisse ouvert le
statut exact des communications téléphoniques dans l’optique de l’article 8 CEDH, en 1992, plus
précisément dans l’arrêt Niemietz c. Allemagne, elle opte résolument pour l’assimilation des
conversations téléphoniques à la ‘correspondance’.355 On peut sans aucun doute dire sur la base de cet
arrêt que l’article 8 CEDH doit être lu dans le sens qu’il reconnaît un droit fondamental à la protection
des ‘communications’. Cette manière de voir présente un double avantage. On évite l’ancienne attitude
de ne considérer les communications comme étant devant être protégées, que si des données intimes ou
strictement personnelles sont échangées356 et on crée un cadre plus cohérent pour le droit fondamental
qui réserve un régime à toutes les formes de communication existantes, tant les anciennes (les lettres)
que les nouvelles (télécommunications).
3.8.2.Télécommunications et communications professionnelles et
publiques
L’arrêt Niemietz de 1992 que nous venons de citer concerne une visite domiciliaire et la saisie dans le
bureau de l’avocat Niemietz, qui s’adresse à Strasbourg à propos de ces devoirs d’instruction. Le
gouvernement allemand allègue notamment que la convention ne protège que la vie privée et le
domicile, mais pas la vie professionnelle et commerciale ou les locaux professionnels. La Cour rejette
cette position par une série d’arguments (supra). Elle avance notamment l’argument textuel selon
lequel le terme ‘domicile’ figurant dans la convention peut également porter sur des bureaux (« par
exemple, le bureau d’un membre d’une profession libérale »). Un autre argument est important pour
350
Cour EDH, Gerhard Klass e.a. c. Allemagne, 6 septembre 1978, Série A, vol. 28, par. 41. Voir également peu après Klass:
Comm. EDH, X. c. Royaume-Uni, 11 mai 1981, requête nE 7990/77, D.R., vol. 24, 57.
Cf. Cour EDH, Gerhard Klass e.a. c. Allemagne, l.c., par. 41.
352
Cour EDH, James Malone c. Royaume-Uni, 20 août 1984, Série A., vol. 82, par. 84.
353
Dans l’arrêt Malone, la Cour répète que le contenu des conversations téléphoniques est protégé par l’article 8 CEDH, mais la
Cour laisse une nouvelle fois la question précise dans le vague: « Les communications téléphoniques se trouvant comprises dans
les notions de vie privée et de correspondance au sens de l’article 8 » (Cour EDH, James Malone c. Royaume-Uni, l.c., par. 64).
354
Ainsi on peut soutenir que le droit fondamental à l’expression d’opinion est menacé si des entreprises procèdent à des écoutes
des communications téléphoniques de délégués syndicaux, etc.
355
Cour EDH, Niemietz c. Allemagne, l.c., par. 32.
356
Cf. l’adjectif ‘privé’ dans le droit fondamental à la protection de la vie privée.
351
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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nous, à savoir que le droit à la protection de la correspondance figurant à l’article 8 CEDH est
également applicable aux documents consultés et saisis de l’avocat. Comme l’article 8 CEDH passe de
manière générale sur la protection de la ‘correspondance’, il faut considérer que le droit fondamental
s’applique à toute la correspondance, donc également à la correspondance professionnelle.357 Depuis
l’arrêt Niemietz, il n’y a plus aucun doute sur la protection de la correspondance professionnelle358, ce
qui ressort d’abondance de l’affaire Halford de 1997.359
L’arrêt du 25 septembre 2001, P.G. et J.H. contre le Royaume-Uni360, traite d’une plainte relative au
placement d’un appareillage d’écoute dans un appartement et dans une cellule en contradiction avec
l’article 8 CEDH. La Cour EDH est d’avis que c’est effectivement le cas. En ce qui concerne le fait de
procéder à des enregistrements secrets dans un appartement d’un suspect, la Cour remarque que les
écoutes portent atteinte au droit à la vie privée des plaignants sans qu’il existe une base légale pour ce
faire. La Cour était d’avis que la compétence d’écoute qui n’était régie que par une directive qui n’était
ni contraignante, ni directement accessible au public (§ 37), ne constituait pas de base suffisante au
sens de l’article 8 CEDH. Dans la même affaire, la plainte portait également sur l’enregistrement secret
de la voix de personnes en détention préventive. La Cour est d’avis que l’enregistrement des voix
tombe dans le champ d’application de l’article 8 CEDH. Dans cette affaire, il était question d’un
enregistrement permanent (permanent record) des bruits de voix. Grâce à l’enregistrement, les voix
pouvaient être analysées et l’identité des personnes (se trouvant dans l’appartement) pouvait être
retrouvée. La Cour EDH est d’avis que l’enregistrement des bruits de voix doit être considéré comme
un traitement de données à caractère personnel (§ 59) et qu’il entre dans le champ d’application de
l’article 8 CEDH (§ 60).
3.9. APERÇU DE LA JURISPRUDENCE EUROPÉENNE SUR LES
COMMUNICATIONS
3.9.1.Limitations des communications et détenus
Après une jurisprudence de la Commission pas très favorable au détenu361, l’arrêt Silver de 1983362
constitue une première occasion pour la Cour européenne de prendre position en matière de contrôle du
courrier ou de la correspondance de détenus. Il y est dit « qu’un certain contrôle de la correspondance
des détenus se recommande et ne se heurte pas en soi à la Convention ».363 La Cour n’est en d’autres
termes pas opposée à d’éventuelles mesures de contrôle. Celles-ci doivent toutefois satisfaire aux
exigences du deuxième alinéa de l’article 8 CEDH (prévues par la loi, pour protéger un bien juridique
déterminé, nécessaires dans une société démocratique). Dans l’arrêt Silver, la Cour européenne va
conclure à la violation de la convention sur deux points. Tout d’abord, elle estime que dans un certain
357
Cour EDH, Niemietz c. Allemagne, l.c., par. 32.
Dans l’affaire Chappell, la décision de la Commission laisse ouverte la question de savoir si certains documents de Chappell,
qui concentrait les activités de son entreprise à son domicile, sont compris dans la notion de ‘correspondance’ au sens de l’article
8 CEDH, probablement parce que la Commission doutait alors encore de la portée exacte de la notion. On lira sur la décision de
la Commission: VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G., o.c., 418.
359
« Pour la Cour, il ressort clairement de sa jurisprudence que les appels téléphoniques émanant de locaux professionnels,
tout comme ceux provenant du domicile, peuvent se trouver compris dans les notions de ‘vie privée’ et de ‘correspondance’
visées à l’article 8 par. 1er » (Cour EDH, Allison Halford c. Royaume-Uni, 25 juin 1997, R.A.D.- R.J.D., 1997, III, par. 44).
360
Cour EDH, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, 25 septembre 2001, disponible sur http://www.echr.coe.int/Fr/Judgments.htm.
361
Cf. VAN DIJK, P. et VAN HOOF, G., o.c., 432.
362
Cour EDH, Reuben Silver e.a. c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, Série A, vol. 61. Cf. SMAERS, G., l.c., 38-39; LEMMENS,
P., « Censuur op de correspondentie van gedetineerden », (note sous Silver), Rechtskundig Weekblad, 1983-84, 197-199.
363
Cour EDH, Reuben Silver e.a. c. Royaume-Uni, l.c., par. 98; Cour EDH, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, Série
A, vol. 131, par. 62; Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, Série A, vol. 233, par. 45.
358
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nombre de cas, les atteintes alléguées ne satisfont pas à l’exigence qu’elles soient prévues par la loi.364
Deuxièmement, elle estime que l’interception de certaines lettres en raison de leur caractère insultant
pour le personnel pénitentiaire ou de lettres dans lesquelles il est question, malgré l’interdiction d’écrire
à ce sujet, de plaintes sur l’affaire pénale ou encore de lettres qui traitent du régime pénitentiaire, ou
reprenant des textes destinés à être publiés, n’est pas nécessaire dans une société démocratique.365
L’intérêt de l’arrêt Silver ne réside pas tant dans la méthode utilisée, mais plutôt dans la décision au
fond qui témoigne d’une plus grande sensibilité pour les problèmes de détenus. L’arrêt met pour ainsi
dire la jurisprudence antérieure de la Commission au placard. La nouvelle position de Strasbourg à
l’égard des détenus ressort très bien d’un arrêt de 1992, dans lequel la Cour dit que, lors de
l’appréciation de la nécessité d’une mesure à l’égard d’un détenu, il ne faut pas perdre de vue que la
possibilité pour celui-ci d’écrire et de recevoir des lettres est parfois le seul lien avec le monde
extérieur, ce dont il faut tenir compte pour fixer le niveau de contrôle autorisé.366
Un an après Silver, la Cour a estimé que le refus de laisser un détenu correspondre avec certaines
personnes parce qu’elles n’étaient pas des parents ou amis, viole le droit au respect de la
correspondance.367 Des limitations dues à l’identité du destinataire de la correspondance ne sont donc
pas autorisées.368 En 1992, il a également été estimé que le fait de barrer ou de rendre illisibles certains
passages insultant le personnel pénitentiaire constitue une violation disproportionnée de l’article 8
CEDH.369 Un peu avant, soit en 1990, la Cour avait estimé que l’interdiction de correspondance de 28
jours imposée comme sanction disciplinaire à un détenu viole l’article 8 CEDH.370 Une telle sanction
disciplinaire n’est conciliable avec la convention que si un détenu abuse du droit à la
correspondance.371
Dans un certain nombre d’affaires, des détenus allèguent sans succès que l’autorité ne prend en charge
que les frais d’envoi d’une seule lettre par semaine. Le détenu doit lui-même payer les timbres pour les
lettres supplémentaires avec l’argent qu’il gagne en prison. Pour ceux qui ne travaillent pas et ne
peuvent pas non plus puiser dans d’autres sources financières, cela entraîne une limitation grave du
droit à la correspondance. Tant la Cour que la Commission sont toutefois d’avis que cette règle n’est
pas déraisonnable.372 D’autres affaires où des détenus attaquaient la règle les obligeant à utiliser le
papier à lettres de l’établissement pénitentiaire sont également rejetées. Une telle obligation n’est pas
une ingérence dans le droit au respect de la correspondance, du moins si suffisamment de papier à
lettres est mis à la disposition du détenu. L’article 8 CEDH ne garantit en effet nullement un droit au
choix du papier à lettres.373
364
Cour EDH, Reuben Silver e.a., l.c., par. 85-95. L’infraction était fondée sur des circulaires ministérielles qui n’avaient pas été
portées à la connaissance des détenus ou sur une réglementation qui était trop vague et des compétences discrétionnaires pas
suffisamment décrites dans le chef de l’autorité.
365
Cour EDH, Reuben Silver e.a., l.c., par. 97-105 et en particulier le par. 99.
366
Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, l.c., par. 45.
367
Cour EDH, John Campbell et Patrick Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, Série A, vol. 80, par. 118-120.
368
Voir aussi: Cour EDH, Reuben Silver e.a., l.c., par. 99; Cour EDH, McCallum c. Royaume-Uni, 30 août 1990, Série A, vol.
183, par. 10, 28 et 31: Comm. EDH, Farrant c. Royaume-Uni, 18 octobre 1985, requête nE 7291/75, D.R., vol. 50.
369
Cour EDH, Pfeifer et Plankl, 25 février 1992, Série A, vol. 227, par. 47-48.
370
Cour EDH, McCallum c. Royaume-Uni, 30 août 1990, Série A, vol. 183, par. 11, 28 et 31.
371
SMAERS, G., o.c., 257, qui déduit cela d’une décision de la Commission dans laquelle on avait opté comme sanction
disciplinaire pour une limitation des journaux et périodiques et donc de l’article 10 CEDH. La problématique de l’admissibilité
de telles limitations peut selon cet auteur parfaitement être étendue à l’article 8 (Comm. EDH, nE 8231/78, 12 octobre 1983, T. c.
Royaume-Uni, D.R., vol. 49).
372
Cour EDH, Boyle et Rice, 27 avril 1988, Série A, vol. 131, par. 56-58; Comm. EDH, nE 8231/78, 6 mars 1982, X. c.
Royaume-Uni, D.R., vol. 28, 40.
373
Comm. EDH, Farrant c. Royaume-Uni, 18 octobre 1985, requête nE 7291/75, D.R., vol. 50; Comm. EDH, T. c. RoyaumeUni, 12 octobre 1983, requête nE 8231/78, D.R., vol. 49.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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3.9.2.Communication entre le détenu et son avocat
Les instances de Strasbourg sont particulièrement strictes sur des limitations éventuelles pouvant
rendre les contacts entre le détenu et son avocat plus difficiles.374
L’affaire de principe en la matière est l’arrêt Thomas Campbell c. Royaume-Uni de 1992, dans lequel
la Cour dit que l’avocat et le client bénéficient d’un statut privilégié.375 Dans des affaires plus
anciennes, la Cour reconnaissait déjà un droit pour le détenu de parler à son avocat hors de portée
d’oreille d’un surveillant.376 Dans l’affaire Campbell, ce régime privilégié est étendu à la
correspondance entre le détenu et son avocat en ce qui concerne une procédure à lancer ou en cours, et
en particulier lorsqu’il s’agit de plaintes dirigées contre les autorités pénitentiaires. Un contrôle
systématique de cette correspondance ne cadre pas avec le principe de confidentialité inhérent aux
contacts entre un avocat et son client.377 La Cour ne voit pas de raison de faire une distinction entre les
différentes sortes ou le contenu de la correspondance avec un avocat: quel que soit l’objet de la
correspondance, il s’agit de sujets de nature confidentielle et privée qui bénéficient donc en principe
aussi d’un statut privilégié.378 Tout le raisonnement doit également être suivi lorsque l’avocat prend (le
premier) contact avec une personne privée de sa liberté.379
La protection de la correspondance entre l’avocat et son client n’est toutefois pas absolue,
contrairement à leurs entretiens oraux. La correspondance entre l’avocat et le détenu peut être ouverte,
s’il y a des motifs plausibles ou fondés de supposer que la lettre en question contient un élément illicite
non révélé par les moyens normaux de détection.380 La lettre peut toutefois uniquement être ouverte,
mais pas lue. Des garanties suffisantes doivent être prévues pour éviter que la lettre soit lue, par
exemple en l’ouvrant en présence du détenu.381 La lettre peut néanmoins quand même être lue s’il y a
374
On lira: RUDLOFF, Droits et libertés de l’avocat dans la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles,
Bruylant, 1995, 23-51. Dans ce qui suit, nous examinons plusieurs affaires plus anciennes sur cette question: Voir également:
Cour EDH, Calogero Diana c. Italie, 15 novembre 1996, R.A.D.-R.J.D., 1996; NJCM-Bulletin, 1997, 329-330 (violation de
l’exigence de légalité parce que la loi laissait une trop grande liberté d’appréciation aux autorités); Cour EDH, Domenichini c.
Italie, R.A.D.- R.J.D., 1996; NJCM- Bulletin, 1997, 330 (idem). Soulignons en passant qu’aux Pays-Bas l’interdiction d’un
directeur de prison de faire interviewer un détenu par une chaîne de télévision a été mise en balance avec les dispositions de
l’article 10 CEDH. En l’espèce, les juges ont estimé que l’intérêt du directeur dans le cadre de l’isolement social et de la sobriété
des contacts devait prévaloir sur l’article 10 CEDH et sur l’intérêt de la chaîne de télévision (Hof ‘s-Gravenhage (Ned),
24 octobre 1996, Mediaforum, 1997, 10).
375
Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, l.c., par. 46.
376
Cour EDH, John Campbell et Patrick Fell c. Royaume-Uni, l.c., par. 111-113; Cour EDH, S. c. Suisse, 28 novembre 1991,
Série A, vol. 220, par. 48. Voir aussi; Comm. EDH, Byrne, McFadden, McCluskey et McLarnon c. Royaume-Uni, 3 décembre
1985, non publié.
377
Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, l.c., par. 47.
378
Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, Série A, vol. 233, par. 48.
379
Cour EDH, Schönenberger et Durmaz c. Suisse, 20 juin 1988, Série A, vol. 137; Nederlands Juristenblad, 1988, 1089. (La
non remise à une personne en détention préventive d’une lettre, qui ne peut faire obstacle à l’instruction ou aux poursuites, porte
atteinte au droit au respect de la correspondance. La limitation, bien que prévue par la loi et imposée dans un but légitime (éviter
de porter atteinte à l’instruction), n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
380
Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, l.c., par. 48. La ‘plausibilité’ des motifs doit être évaluée à la lumière de
l’ensemble des circonstances, mais suppose des faits ou des informations qui peuvent convaincre un observateur objectif que l’on
abuse de cette forme privilégiée de communication.
381
Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, l.c., par. 48. On lira également: Cour EDH, S. c. Suisse, 28 novembre 1991,
Série A, vol. 220 (violation de l’article 6 CEDH). Pendant six mois, le suspect en détention préventive n’a pu parler et
correspondre avec son avocat que sous surveillance de crainte que l’avocat agisse comme personne de contact entre son client et
d’autres suspects. Dans l’affaire Leech c. Royaume-Uni on n’a pas donné suite à la plainte sur la violation de la correspondance
avec l’avocat parce que Leech n’avait pas d’abord utilisé tous les instruments juridiques internes (Comm. EDH, Leech c.
Royaume-Uni, août 1994, plainte nE 20075/92, E.H.R.R., (Commission Supplement), vol 18, 116-117). La correspondance de
détenus et d’autres personnes privées de leur liberté avec des instances judiciaires (avocats, la Commission européenne…) ne
peut donc pas être lue, tout au plus contrôlée. Aucune censure de la correspondance ‘juridique’ n’est donc possible. La censure
d’autres lettres est par contre possible, notamment si cela vise à prévenir la commission d’infractions et à condition qu’il y ait
nécessité ou proportionnalité: la censure systématique de passages sur des problèmes ou avec des insultes à l’adresse du personne
pénitentiaire viole l’exigence de nécessité (Cour EDH, Pfeifer et Planck c. Autriche, 25 février 1992, Série A, vol 227; Cour
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Please refer to the published article – A.U.B. refereren aan het gepubliceerde artikel: PAUL DE HERT, “Le droit fondamental à
la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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81
des indices sérieux qu’il est fait un usage abusif de ce privilège parce que le contenu de la lettre
constitue un danger pour la sécurité de l’établissement ou de tiers, ou présente un caractère
délictueux.382
Un aspect particulier de cette problématique concerne la communication entre le détenu et les organes
de Strasbourg. L’article 34 CEDH interdit aux Etats membres qui ont reconnu le droit de plainte
individuel, de prendre des mesures qui risquent d’entraver ou de rendre impossible l’introduction de
plaintes. On peut donc également en déduire que les détenus doivent avoir en tout temps la possibilité
de correspondre avec la Commission en ce qui concerne leur plainte.383 Dans l’affaire Campbell c’était
l’inverse. Dans cette affaire, des lettres adressées aux détenus émanant de la Commission de Strasbourg
étaient ouvertes. La Cour souligne qu’ici aussi il est important de respecter la confidentialité. Les
lettres de la Commission pourraient par exemple concerner des accusations contre le personnel
pénitentiaire. Leur ouverture permet qu’elles soient lues et il est imaginable que cela puisse mener le
cas échéant à des représailles contre les détenus. Il n’y a en outre, selon la Cour, aucune raison
contraignante obligeant à ouvrir de telles lettres. Le risque que des objets interdits comprenant un faux
soient introduits frauduleusement en prison via des enveloppes est négligeable. Il n’est donc pas
nécessaire de procéder à l’ouverture dans une société démocratique.384
La charge de la preuve dans les litiges relatifs à la censure repose principalement sur les épaules de
l’Etat responsable, compte tenu de la situation d’impuissance de l’intéressé. Ainsi, l’Italie a été
condamnée parce qu’elle ne pouvait pas prouver, sur la base de documents ou de toute autre preuve,
que toute la correspondance qui lui était adressée avait été remise à Messina pendant sa détention
préventive.385
3.9.3.Ecoutes et enregistrement par l’autorité
La jurisprudence de la Cour en matière d’écoutes et d’enregistrement constitue un chapitre de base en
ce qui concerne l’article 8 CEDH. La remarque s’applique en particulier pour l’arrêt Klass c.
Allemagne de 1978, dans lequel la Cour estime que lors de l’organisation de compétences d’écoute et
autres ingérences secrètes, des garanties suffisantes et adéquates doivent être prises contre les abus. Ces
garanties sont évaluées à la lumière de toutes les circonstances de l’affaire, comme la nature,
l’importance et la durée de l’ingérence, les raisons d’y procéder, l’autorité compétente pour ordonner,
exécuter et contrôler l’ingérence, ainsi que la nature du recours prévu par le droit interne.386 Dans
l’arrêt Malone, la Cour précise que la transmission à des autorités policières de ‘données
d’enregistrement’, à savoir des données sur les connexions concernées par des conversations
téléphoniques et sur les moments et la durée des conversations, constitue une ingérence dans le droit au
respect de la correspondance au sens de l’article 8 CEDH, dont l’admissibilité doit être appréciée dans
les limites et aux conditions du paragraphe 2.387 Comme l’utilisation de moyens de contrainte secrets
EDH, Mc.Callum c. Royaume-Uni, 30 août 1990, Série A, vol. 183) de la même manière qu’une interdiction absolue de
correspondance (Cour EDH, Silver e.a. c. Royaume-Uni, 25 mars 1983 et 24 octobre 1983, Série A, vol. 61 et 67; Cour EDH,
John Campbell et Patrick Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, Série A, vol. 80).
382
Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, l.c., par. 49.
383
Voir notamment ROBERTSON, A. et MERRILLS, J., Human Rights in Europe. A study of the European Convention on
Human Rights, Manchester, Manchester University Press, 1993, 144.
384
Cour EDH, Thomas Campbell c. Royaume-Uni, l.c., par. 61-64.
385
Cour EDH, Messina c. Italie, 26 février 1993, Série A, vol. 257-A (un Etat partie à la convention ne respecte pas ses
obligations découlant de l’article 8 CEDH en présentant un compte rendu du courrier reçu par le détenu. A défaut de preuve du
contraire, la Cour ne peut savoir avec certitude si les documents en question sont parvenus au destinataire. Elle doit donc
conclure à une violation de l’article 8 CEDH. Messina avait notamment soutenu que la correspondance lui adressée par la
Commission ne lui était pas parvenue.
386
Cour EDH, Gerhard Klass e.a., 6 septembre 1978, Série A, vol. 28. Supra, l’exigence de la nécessité commentée dans
l’introduction générale sur l’article 8 CEDH.
387
Cour EDH, James Malone c. Royaume-Uni, 20 août 1984, Série A, vol. 82. Dans l’arrêt la Cour pose le principe que les
écoutes de conversations téléphoniques seront souvent nécessaires pour permettre à la police d’accomplir correctement ses
missions, surtout en raison de la criminalité en croissance constante qui va de pair avec une plus grande mobilité et inventivité
des criminels organisés. Par conséquent, une telle pratique peut être considérée comme ‘nécessaire dans une société
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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82
doit nécessairement rester partiellement imprévisible si l’on veut qu’ils soient efficaces388, l’exigence
de la prévisibilité est adoucie de manière pragmatique. Il suffit que la base juridique indique la portée
ou ‘scope’ d’une ingérence (ou d’une compétence de procéder à une ingérence). Il y a lieu d’entendre
par là que la loi doit au minimum comprendre des règles suffisamment claires sur les circonstances
dans lesquelles et les conditions auxquelles de telles techniques d’écoute peuvent être utilisées par
l’autorité.389 Dans les arrêts Kruslin et Huvig, les pratiques d’écoutes des autorités françaises sont
considérées comme contraires à l’article 8, alinéa 2, justement au motif que la loi française en la
matière ne décrivait pas avec suffisamment de précision les cas dans lesquels les écoutes peuvent être
appliquées, ne contenait aucune disposition sur la durée maximale d’une telle mesure et n’offrait
aucune garantie que le tribunal puisse exercer un contrôle a posteriori sur la base des bandes ou de
leurs transcriptions.390
Dans l’arrêt déjà cité du 25 septembre 2001, P.G. et J.H. contre le Royaume- Uni391, le placement
d’appareils d’enregistrement par la police britannique sur la base d’une directive qui n’était ni
contraignante ni directement accessible au public (§ 37) est condamné. Dans la même affaire, la plainte
porte également sur l’enregistrement secret de voix de personnes en détention préventive. En ce qui
concerne la base légale de tels enregistrements de bruits de voix, le gouvernement britannique avait
allégué que la compétence générale de recherche de la police constituait une base suffisante son avis.
La Cour EDH n’est pas de cet avis, parce qu’il faut une réglementation légale plus spécifique pour une
telle intervention, réglementation qui doit offrir plus de garanties au citoyen contre une utilisation
arbitraire de la compétence en question (§ 62). La Cour EDH est donc d’avis que l’atteinte à la vie
privée suite à l’enregistrement des voix n’est pas conforme au droit et arrive à la conclusion que l’on a
agi en contradiction avec l’article 8 CEDH (§ 63).
3.9.4.Limitations des communications par des particuliers
L’arrêt Schenk de 1988 concerne une plainte d’une personne condamnée pénalement dans son propre
pays, notamment sur la base d’un enregistrement d’une conversation téléphonique qu’elle a eue.392
L’enregistrement avait été réalisé par une personne qui informa la police d’intentions criminelles de
l’intéressé, et voulait y apporter une preuve complémentaire. L’enregistrement n’avait pas été fait sur
ordre de la police. Il est allégué que ces preuves donnent un caractère inéquitable au procès dans le sens
de l’article 6, alinéas 1er et 2, CEDH et avaient été obtenues en violation de l’article 8 CEDH. La Cour
estime toutefois qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6: le requérant a dans l’ensemble eu un procès
équitable393, notamment parce que la personne est en mesure de contester les données lors du procès et
parce que le matériel provenant des écoutes ne constituait pas la seule preuve.394 La plainte sur la
violation de l’article 8 CEDH a été examinée à la lumière de l’article 6 CEDH, ou mieux n’a tout
simplement pas été examinée. La Cour était en effet d’avis qu’un traitement de la plainte sur la base
des exigences de l’article 8 CEDH pouvait passer au second plan puisque l’intervention de l’autorité
démocratique’, à condition qu’elle soit entourée des garanties nécessaires qui rendent impossible son application arbitraire (Cour
EDH, James Malone c. Royaume- Uni, l.c., par. 81. Voir aussi Cour EDH, Gerhard Klass e.a., l.c., par. 48-50) et à condition que
les infractions examinées soient suffisamment graves et si cela reste limité au strict nécessaire, notamment en ce qui concerne la
durée et la fréquence (COHEN-JONATHAN, G., « La Cour européenne des droits de l’homme et les écoutes téléphoniques »,
R.U.D.H., 1990, 187 et 190).
388
Dans l’arrêt, la Cour dit que, dans le cas particulier des écoutes ou de l’enregistrement des conversations téléphoniques par
les services de police (et en général toutes les méthodes de surveillance non visible), l’exigence de la prévisibilité n’implique pas
que l’intéressé doive savoir comment et quand ses conversations téléphoniques peuvent faire ou feront l’objet d’écoutes, de sorte
qu’il peut y adapter son comportement.
389
Cour EDH, James Malone c. Royaume-Uni, l.c., par. 67-68, avec réf. à l’arrêt Klass.
390
Cour EDH, Huvig c. France, 24 avril 1990, Série A, vol. 176-B, par. 34; Cour EDH, Kruslin c. France, 24 avril 1990, Série A,
vol. 176-A, par. 35. Il était en l’occurrence impossible de contrôler si tous les enregistrements avaient été produits.
391
Cour EDH, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, 25 septembre 2001, http://www.echr.coe.int/Fr/ Judgments.htm.
392
Cour EDH, Pierre Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, Série A., vol. 140.
393
Cour EDH, Pierre Schenk c. Suisse, l.c., par. 46-50.
394
Cour EDH, Pierre Schenk c. Suisse, l.c., resp. par. 47 et 48.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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83
avait déjà été examinée sur la base de l’article 6 et jugée conforme à la convention.395
Il n’en va pas de même dans l’arrêt A. c. France de 1993. Ici, la police procède à des écoutes d’une
ligne téléphonique alors qu’un des participants à la conversation en est informé.396 La Cour met
l’affaire en balance avec l’article 8 CEDH et constate qu’il n’y a pas de base légale dans le droit
français pour ces écoutes policières par un citoyen sans autorisation du juge d’instruction. Comme ce
cadre légal est inexistant, il y a violation de l’article 8 CEDH et l’enregistrement doit être considéré
comme illégal.397
Dans l’arrêt Halfort c. Royaume-Uni enfin, des conversations téléphoniques données par la plaignante
depuis son lieu de travail ont fait l’objet d’écoutes.398 La Cour estime que les droits fondamentaux à la
correspondance et à la vie privée de l’article 8 CEDH sont applicables.399 La plaignante, madame
Halford, n’avait pas été informée de la possibilité de procéder à des écoutes téléphoniques sur le lieu de
travail. ‘Elle pouvait raisonnablement croire au caractère privé de ce type d’appels’.400 Cette attente fut
encore renforcée par le fait qu’elle disposait d’un bureau équipé de deux téléphones, dont un
spécialement destiné à ses communications privées.401 Comme il n’existait aucune base légale à
l’interception des communications téléphoniques, l’article 8 CEDH a été violé.402
On peut déduire de l’aperçu de ces affaires que l’article 8 CEDH doit être considéré comme applicable,
indépendamment de l’identité de la personne (autorité ou particulier) qui permet ou exécute
concrètement l’enregistrement. De plus, et cela ressort de la dernière affaire commentée, le contexte
dans lequel un enregistrement a lieu (privé ou professionnel) n’a pas d’influence sur la conformité
d’une mesure à la convention. Des ‘conversations privées sont possibles’ également dans la sphère
professionnelle et l’employeur doit en principe s’abstenir d’interventions (non annoncées) dans le trafic
des communications. Les personnes ont également en dehors du domaine strict de leur propre domicile
une ‘attente raisonnable que leur vie privée soit préservée’ (trad. libre).403 Enfin, il semble que, dans les
deux derniers arrêts, la Cour se distancie de la position de principe souple de l’affaire Schenk à l’égard
des enregistrements secrets par les participants à la conversation, et ce en posant la question de la base
légale de cette pratique, tant dans l’arrêt A. que dans l’arrêt Halford. Sans base légale au sens de la
convention, cette pratique doit donc être considérée comme blâmable.
3.9.5.Le secret des lettres en Belgique
Dans notre pays, le secret des lettres est protégé par l’article 29 Const. En vertu de cette disposition, le
secret des lettres est inviolable et la loi détermine quels sont les agents responsables de la violation du
secret des lettres confiées à la poste. L’article 29 Const. doit être lu en parallèle avec un certain nombre
de dispositions, notamment du Code pénal. Hormis les limitations prévues par la loi, il est pénalement
interdit de détruire, d’ouvrir et de faire connaître l’existence ou le contenu d’une lettre confiée à la
poste.404 Toutes les ingérences possibles dans le trafic de courrier ne sont pas protégées par ces
395
Cour EDH, Pierre Schenk c. Suisse, l.c., par. 53.
Cour EDH, A c. France, 23 novembre 1993, Série A, vol. 277-B.
397
« Avec la Commission, la Cour note que l’enregistrement incriminé ne possédait aucune base en droit interne; elle conclut
donc à la méconnaissance de l’article 8. Pareil constat la dispense de se prononcer sur le respect des autres impératifs du
paragraphe 2 dudit article » (Cour EDH, A c. France, l.c., par. 39, avec réf. à Cour EDH, Kruslin c. France, l.c., par. 37).
398
Cour EDH, Allison Halford c. Royaume-Uni, 25 juin 1997, R.A.D.-R.J.D., 1997, III, 1004-1038.
399
Cour EDH, Allison Halford c. Royaume-Uni, l.c., par. 44.
400
Cour EDH, Allison Halford c. Royaume-Uni, l.c., par. 45.
401
Cour EDH, Allison Halford c. Royaume-Uni, l.c., par. 45.
402
Cour EDH, Allison Halford c. Royaume-Uni, l.c., par. 51.
403
IPPEL, P. et HULSMAN, B., « Privacy in publieke ruimtes. Een zorg voor zonderlingen? », NJCM-Bulletin, 1997, nE 8,
970.
404
Cf. art. 151, 460 et 461 C.P.; art. 2, 28 et 29 Loi 26 décembre 1956 (M.B., 30 décembre 1956). On lira: DE NAUW, A.,
Inleiding tot het bijzonder strafrecht, Gent, Story-Scientia, 1984, 118.
396
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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84
dispositions pénales405, ce qui amène beaucoup de monde à dire que ce qui n’est pas visé par les
dispositions, est autorisé. Cette lecture du droit, qui se limite au droit pénal, oublie toutefois la
protection constitutionnelle accordée aux lettres, protection qui n’est pas limitée par le champ
d’application de certaines dispositions pénales. Un récent arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles relatif à
la preuve dans une affaire de divorce justifie l’interception de lettres par l’argument que la protection
du secret des lettres est ‘atténuée’ par ‘un droit légitime à la curiosité, corollaire des devoirs de
cohabitation et de fidélité’.406
L’article 29 Const. permet aux organes de l’autorité désignés par la loi de violer le secret des lettres
confiées à la poste (supra). Etonnamment, une telle loi est inexistante en droit belge, mais des lettres
sont réellement saisies. Il n’y a donc aucun doute sur la base légale de la saisie et de l’ouverture des
lettres confiées à la poste dans le cadre de l’instruction en Belgique. Celle-ci n’est pas régie par une loi,
comme le prévoit la Constitution, mais par des Instructions générales sur le fonctionnement des
postes407, qui ne sont pas publiées. D’après ce texte, une violation du secret des lettres est possible sur
mandat du juge d’instruction ou du procureur du Roi, et il y a violation du secret des lettres ‘sans
mandat du juge d’instruction ou du procureur du Roi’ et ‘hors le cas de flagrant délit’, quoi que puisse
signifier ce dernier point dans le contexte de la poste. Il va de soi que cette situation est inconciliable
avec l’exigence de légalité de la convention et de la Constitution.408
3.9.6.Le secret des télécommunications en Belgique
La Constitution belge ne parle pas d’un droit fondamental à la protection du secret des
communications. Lors de la révision de la Constitution de 1993/1994, on n’a pas saisi l’opportunité,
alors qu’il n’y avait pas moins de deux pistes en ce sens. Le nouvel article 22 Const. modelé sur
l’article 8 CEDH protège uniquement la vie privée et familiale. Le droit fondamental à la protection de
la ‘correspondance’ n’a pas été repris à l’article 8 CEDH. En outre, on n’a pas touché au contenu de
l’article 29 Const. qui protège le secret des lettres. Conformément à la jurisprudence européenne, on
aurait dû étendre la protection offerte par cette disposition aux nouvelles formes de communication.
Pour réaliser cette extension de l’article 29 Const., la disposition a été reprise dans la déclaration de
révision de la Constitution du 12 avril 1995.409
Comme nous l’avons indiqué plus haut, il y a également lieu de tenir compte de la loi du 30 juin
1994.410 La loi formule une interdiction de l’espionnage d’activités humaines par des moyens
techniques et les inscrit dans le Code pénal sous les articles 259bis et 314bis. Il est interdit de (faire)
écouter, prendre connaissance, enregistrer des communications et des télécommunications privées à
l’aide d’un appareil quelconque si cela se fait sans le consentement de tous les participants. Il est
405
La violation par un particulier du secret des lettres d’une lettre non confiée à la poste n’est pas punissable (DE NAUW, A.,
o.c., 118). L’article 460 C.P. n’est pas applicable à la correspondance qui est de nouveau confiée à la poste après avoir été
présentée à destination (Liège, 12 juin 1910, Pas., 1910, II, 319). De tels actes peuvent toutefois être punissables sur la base du
vol.
406
Bruxelles, 24 avril 1997, J.L.M.B., 1998, 359-363.
407
VAN DEN WYNGAERT, C., Strafrecht en strafprocesrecht in hoofdlijnen, Antwerpen, Maklu, 1990, Partie II, 652-653.
408
Ibid, 653. La compétence du juge d’instruction et du procureur du Roi repose également sur les dispositions générales en
matière de visite domiciliaire, à savoir les art. 87 et 36 (flagrant délit) C.P. (VAN DEN WYNGAERT, C., o.c., 652). Cette
construction, qui ne peut être déduite du texte des dispositions précitées, doit également être considérée comme inconciliable
avec la convention, à. la lumière de la jurisprudence Kruslin et Huvig (infra).
409
M.B., 12 avril 1995.
410
Loi du 30 juin 1994 relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l’enregistrement de
communications et de télécommunications privées, M.B., 24 janvier 1995, 1542-1547; DE HERT, P., « (Tele)communicatie: een
nieuwe, ambivalente wet », Journal des Procès, 1994, octobre, 22-23; DE SWAEF, M., « Tapverbod en tapvergunning. Enkele
kanttekeningen bij de ‘Afluisterwet’ van 30 juin 1994 », Rechtskundig Weekblad, 1995-96, 449-453; HENRION, Th., « Les
écoutes téléphoniques », Journal des Tribunaux, 1995, 205-213; ARNOU, L., « Het respecteren van het telefoongeheim in
Belgique na de afluisterwet van 30 juin 1994 », Computerrecht, 1995, 156-164 et 202-211; MINNAERT, M., « De wet ter
bescherming van de persoonlijke levenssfeer tegen het afluisteren, kennisnemen en opnemen van privé-communicatie en telecommunicatie. Overzicht aan de hand van het verslag namens de senaatscommissie voor de justitie », dans Nieuwe wetgeving
inzake echtscheiding, enz., Gent, Mys & Breesch, 1994, 153-201.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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également interdit de (faire) placer un appareil d’écoute ou d’utiliser des informations obtenues via une
atteinte au secret des (télé)communications.
Malgré les pressions de l’opposition, seul l’espionnage auditif est visé; aucune interdiction générale de
l’espionnage visuel n’est formulée. Les nouveaux articles 259bis et 314bis C.P. ne protègent par
conséquent que certaines formes de (télé)communication, comme les conversations téléphoniques et les
conversations ordinaires. Les fonctionnaires qui procèdent à des écoutes sont sanctionnés plus
lourdement que les particuliers. Les arguments du législateur ne sont pas convaincants: des dispositions
pénales existantes sur le secret des télécommunications sanctionnent les fonctionnaires et les
particuliers de manière identique. Si aucun moyen technique de procéder à des écoutes n’est utilisé, les
faits ne sont pas punissables. L’œil de bœuf mais aussi les écouteurs échappent à la sanction. Il est
également interdit d’utiliser un enregistrement dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.
Une peine sévère est prévue en cas de tentative et de récidive.
Le Roi peut fixer des règles relatives à la publicité, la vente, la fabrication, etc. l’appareils permettant
l’écoute (articles 5 et 6 Loi 1994). Cette nouvelle compétence permet d’éviter que n’importe qui vende
librement des appareils d’espionnage. Les articles 7, 8, 9 et 10 de la loi de 1994 régissent les
compétences des fonctionnaires qui doivent veiller au respect de ces A.R. La loi prévoit en d’autres
termes une procédure pénale ad hoc en ce qui concerne les appareils d’espionnage. L’article 14 prévoit
que l’avis de la Commission de la protection de la vie privée soit recueilli pour tout arrêté royal portant
sur des appareils permettant les écoutes. Bien que le gouvernement craignait qu’une telle procédure
d’avis ait un effet retardateur, l’amendement (qui a mené à l’article 14) a été adopté. Les articles 11, 12
et 13 de la loi, enfin, harmonisent et modifient les dispositions relatives au secret des
télécommunications existantes.
3.9.7.La compétence du juge d’instruction de faire procéder à
des écoutes
La loi de 1994 n’était pas seulement une loi sur la vie privée. La loi créait pour la première fois dans
notre pays la possibilité légale de procéder à des écoutes de conversations (téléphoniques) sur mandat
du juge d’instruction par ce que l’on appelle la loi sur les écoutes du 30 juin 1994. Quelques années
auparavant, une disposition avait déjà été créée en vue de permettre au juge d’instruction de placer un
Zoller (enregistrement des numéros composés).411 La loi de 1994 permit également les écoutes.
Les conditions auxquelles cela peut se faire sont assez fidèlement reprises aux arrêts Huvig et Kruslin.
L’article 3 de la loi du 30 juin 1994 insère les articles 90ter à 90decies dans le Code d’instruction
criminelle. Le juge d’instruction se voit confier la compétence de procéder à des écoutes de
communications ou de télécommunications privées, d’en prendre connaissance, de les enregistrer ou de
le faire faire. Des garanties encadrent cette compétence et déterminent quand on peut procéder à des
écoutes – avec une réglementation spéciale pour les avocats ou médecins suspects – et à quelles
conditions les preuves peuvent être utilisées. On ne peut procéder à des écoutes que pour certains faits
punissables graves énumérés et si les autres moyens d’investigation ne suffisent pas à la manifestation
de la vérité. Cette dernière condition est particulièrement intéressante: la marge d’appréciation laissée à
la justice déterminera l’aspect de ce moyen de contrainte. Le délai pendant lequel on peut procéder à
des écoutes est d’un mois, prorogeable jusqu’à maximum six mois. Le sénat a prolongé le délai initial
de quatre jours. Il était ainsi satisfait à des remarques du monde judiciaire. En effet, pour des
infractions graves, une période de quatre jours était considérée comme insuffisante.
411
Cf. La loi du 11 février 1991 insérant un article 88bis dans le Code d’instruction criminelle relatif au repérage de
communications téléphoniques. On lira: DERUYCK, F., « De wet van 11 février 1991 tot invoeging van een artikel 88bis in het
Wetboek van Strafvordering betreffende het opsporen van telefonische mededelingen », Rechtskundig Weekblad, 1991-1992, 1015; DE SCHUTTER, B., SPRUYT, B., BLONTROCK, P. et DE HERT, P., Informaticagebeuren en strafvorderingrecht, in de
reeks Informatica en recht, Antwerpen, Kluwer rechtswetenschappen, 1992, 68-98.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
la vie privée et la protection des données, Bruxelles, Ed. Politéia, feuillets mobiles, mise à jour No. 9 (2002), also available at
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3.9.8.Le participant à une conversation peut-il enregistrer
secrètement sa propre conversation?
Dans un arrêt du 9 janvier 2001412, la Cour de cassation prend position dans une discussion sur la
question de savoir si un participant à une conversation peut lui-même enregistrer secrètement la
conversation à laquelle il participe. Cette question n’est pas réglée par la législation existante. Les faits
de l’affaire qui allait mener à l’arrêt peuvent être résumés comme suit: une personne (le prévenu)
menace verbalement plusieurs personnes par téléphone dans une affaire de divorce. Ces dernières
enregistrent les conversations téléphoniques et lancent une procédure pénale dans laquelle les
enregistrements sont utilisés comme preuve.
La défense allègue que les enregistrements sont contraires à l’article 8 CEDH (le droit au respect de la
vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance). En l’espèce, elle n’avait pas connaissance
d’un quelconque enregistrement et il ne pouvait donc être question de consentement. Les
enregistrements ont été obtenus en violation de l’article 8 CEDH et devaient donc être écartés des
débats comme preuve inadmissible, disait la défense du prévenu.
La Cour de cassation rejette en termes succincts cet argument de la défense: Attendu que celui qui tient
une conversation téléphonique ne peut invoquer le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son
domicile et de sa correspondance, mentionné aux articles précités, à l’égard de l’intervenant à cette
conversation, faisant lui-même participer cet intervenant à l’objet de ce droit.
Cette décision, qui a suscité plusieurs commentaires négatifs, doit à notre avis être lue à la lumière de
l’arrêt déjà évoqué P.G. et J.H. contre Royaume-Uni (supra) et de l’arrêt A c. France.413 Pendant l’été
1980, madame A. est appelée par Gehrling au sujet d’un projet de meurtre. L’affaire était en fait
montée de toutes pièces. Un peu avant, Gehrling avait informé un fonctionnaire de police (supérieur)
du projet de meurtre et, en accord avec lui, avait donné le coup de téléphone depuis le bureau de police
où il avait été enregistré. Le fonctionnaire de police informa le juge d’instruction du projet de meurtre,
mais ne dit rien de Gehrling et de la conversation téléphonique. Un an plus tard, une instruction
judiciaire est entamée à charge de madame A., instruction au cours de laquelle le juge d’instruction
interroge le fonctionnaire de police qui le met cette fois au courant de l’enregistrement. Les poursuites
sont arrêtées en 1991 par manque de preuves. Entre-temps, A. avait eu connaissance de l’existence de
l’enregistrement et s’était, en 1981, constitué partie civile contre Gehrling pour violation de son droit
fondamental au respect de la vie privée et des dispositions pénales relatives à la confidentialité de
conversations, demande qui est rejetée par les juges français. Devant la Commission et la Cour, le
gouvernement français soutint que lui-même ou ses organes n’avait pas procédé à l’écoute de la
conversation, mais un citoyen (Gehrling). Il n’y aurait pas eu non plus d’atteinte à la vie privée: la
conversation avait un caractère plutôt impersonnel et une des deux parties à la conversation avait
consenti à la divulgation. La Cour ne répond pas à tous les arguments, mais fait droit à la plainte de
madame A. Il n’y a aucun doute sur la responsabilité de l’Etat français: la police a apporté une
contribution capitale à l’enregistrement (notamment en mettant le bureau, le téléphone et l’enregistreur
à disposition). L’Etat était également responsable parce qu’il s’agissait d’une atteinte au droit des
communications protégé par l’article 8 CEDH, et le système judiciaire français devait veiller à son
respect. A la suite de la Commission, la Cour examine ensuite si l’ingérence était conciliable avec les
dispositions de l’article 8 CEDH. La manière dont la Cour procède illustre l’importance de la condition
que toutes les actions policières doivent avoir une base légale ou l’autre. La Cour examine en premier
lieu s’il y a en droit français une base légale pour ces écoutes policières effectuées par un citoyen sans
autorisation du juge d’instruction. Comme cette base légale est inexistante, il y a violation de l’article 8
CEDH et l’enregistrement doit être considéré comme illégal.
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L’arrêt est notamment publié dans RPO-T, 2001, nE 1, 26-30; Computerrecht, 2001, nE 4, 199-202, note Dumortier; Vigiles,
2001, nE 4, 145-149. On lira également ARNOU, L., « Eigen telefoongesprekken opnemen mag van Cassatie », Juristenkrant,
16 mars 2001, 5.
413
Cour EDH, A c. France, 23 novembre 1993, Série A, vol. 277- B.
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la vie privée et le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel”, Titre I in DE HERT, P. (ed.), Manuel sur
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