Synthèse de l`étude Les métiers d`art, du design et du patrimoine en

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Synthèse de l`étude Les métiers d`art, du design et du patrimoine en
SYNTHÈSE DE L'ÉTUDE
LES MÉTIERS D’ART, DU DESIGN ET DU PATRIMOINE
EN RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE
C’est dans le cadre d’un partenariat entre l’ORBEm, la Maison des Métiers d’Art et du Patrimoine
(MMAP asbl), et l’Office de Promotion du Tourisme (OPT) qu’un projet d’étude s’est construit, visant à
dresser un état des lieux des métiers d’art, du design et du patrimoine en Région de BruxellesCapitale, en incluant les dimensions économiques, les aspects juridiques liés à ces professions, les
perspectives d’emploi et les pratiques de formation. La constitution d’un comité d’accompagnement de
l’étude a permis d’associer au projet les principaux organismes concernés1.
Cette étude a pour objectif de relever un des défis de la Région bruxelloise qui est celui de
sauvegarder, conserver, restaurer et développer son patrimoine architectural, artistique et culturel. Le
développement de ces métiers favorise l’embellissement de la ville, participe directement à l’activité
culturelle et économique de la Région mais aussi, indirectement, au niveau des retombées
économiques que le patrimoine bruxellois génère. L’avenir des métiers d’art, du design et du
patrimoine dépendra fortement de l’intervention des pouvoirs publics pour protéger et promouvoir ces
métiers rares. Il ne suffit plus de penser la sauvegarde du patrimoine, il faut également sauvegarder
les métiers du patrimoine. L’étude permet aussi d’identifier et de développer de nouvelles filières
d’insertion professionnelle dans une région fortement confrontée au chômage. Ces métiers artistiques
à forte composante manuelle peuvent constituer des débouchés intéressants et originaux pour des
individus faiblement qualifiés désireux de développer des compétences dans ces secteurs
"prometteurs de croissance".
Le cadre théorique de l’analyse éclaire, sous un angle nouveau, les mondes de l’art, du design et de la
restauration du patrimoine, comme une réalité socio-économique incontournable à Bruxelles ; les
constats et recommandations doivent contribuer aux progrès, en cours ou à venir, dans le domaine
des conditions d’accès à la profession, des qualifications requises, et de la reconnaissance du statut de
l’artisan, du designer et du restaurateur.
Le rapport se compose de cinq parties distinctes :
1. Tout d’abord, un bref historique des métiers d’art, du design et du patrimoine permet de mieux
cerner la complexité et l’originalité de l’objet d’étude, et son inscription dans le contexte bruxellois.
2. Ensuite, nous proposons au lecteur de situer brièvement le cadre théorique dans lequel s’inscrit
notre étude : nous empruntons à H.S. Becker2, sociologue interactionniste de l’école de Chicago, le
concept de "monde de l’art", particulièrement utile pour rendre compte de la dimension collective
de l’activité artistique et artisanale à Bruxelles (division et répartition sociale du travail, légitimation
des compétences, construction collective des savoirs, chaînes de coopération, …).
3. Nous présentons les résultats d’une enquête par questionnaire, menée à Bruxelles, auprès de
travailleurs issus de quatre mondes professionnels distincts : les professionnels de l’artisanat, les
professionnels de la restauration du patrimoine mobilier et immobilier, les professionnels de
l’architecture et les professionnels du design. Notre enquête touche 126 professionnels œuvrant
dans 112 entreprises. Trois grands types d’activités sont explorés: la création, la restauration et la
conception.
4. En contrepoint d’une analyse compréhensive des métiers d’art, du design et du patrimoine, nous
consacrerons un volet de ce rapport à une analyse plus extensive de l’emploi dans ces secteurs,
visant à construire un tableau de bord d’indicateurs comprenant les données suivantes :
caractéristiques des offres d’emploi (effectif, description du poste de travail, qualification
1
2
Le Service des Monuments et Sites de la Région de Bruxelles-Capitale (Administration de l’Aménagement du Territoire et du
Logement), le Centre Urbain asbl, Erfgoed Vlaanderen, le Vlaams Instituut voor Zelfstandig Ondernemen (VIZO), l’Union
professionnelle des Designers de Belgique (UDB), l’Institut de Formation Permanente pour les Classes moyennes et les
Petites et Moyennes Entreprises (IFPME), l'Institut supérieur de Formation Artisanale et Commerciale (INFAC), la
Confédération de la Construction de la Région de Bruxelles-Capitale.
H.S. Becker, Les Mondes de l'art, Flammarion, 1986.
requise, …) caractéristiques des demandeurs d’emploi (effectif et répartition selon le sexe, l’âge, le
niveau d’étude, le niveau de qualification, la durée d’inactivité, …), évolution des offres et
demandes d’emploi, taux de satisfaction des offres, …
5. Enfin, la dernière partie du rapport se compose d’une galerie de profils de métiers : 39 profils de
métiers, spécifiques aux mondes de l’artisanat, de la restauration, de l’architecture et du design,
construits sur base des entretiens menés auprès des 126 professionnels bruxellois. De nombreuses
sources seront mobilisées pour délimiter, définir, documenter, et valider ces profils3; ceux-ci se
composent d’une définition générale des métiers (et de leur délimitation suivant différentes
nomenclatures), d’une description sommaire des activités et conditions de travail, d’un inventaire
des compétences (théoriques, artistiques, techniques, relationnelles,…) nécessaires à l’exercice du
métier, d’un inventaire des filières de formation dispensées à Bruxelles. En outre, ces profils
contiennent les informations relatives à l’encadrement juridique des professions. Nous présentons
également, de manière succincte, certaines remarques ou recommandations, mises en évidence
par les acteurs de terrain lors des entretiens, relatives à l’évolution des métiers, aux difficultés
rencontrées par ces professionnels, aux besoins en formation, …
Les profils de métiers pris en compte dans le cadre de l’étude sont extrêmement variés, comme en
témoigne le tableau ci-dessous, étant donné la grande diversité des matières ou matériaux utilisés par
ces professionnels, les différentes activités propres aux mondes de l’art (restauration, création,
conception), les différents secteurs d’activité dans lesquels ces professionnels évoluent.
Types de métiers
Profils spécifiques
Métiers du bois
Métiers de l’architecture
Métiers du papier
Charpentier, menuisier, ébéniste, encadreur, luthier, artisan de jouets et poupées
Architecte, architecte d’intérieur, architecte paysagiste, urbaniste
Imprimeur, relieur, restaurateur d’œuvres sur papier, graveur (lithographe,
sérigraphe, …)
Créateur - imprimeur textile, dentellier, passementier, modiste - styliste,
garnisseur, maroquinier, sellier
Designer produit, designer d’environnement, designer graphique, web-designer
Céramiste, mosaïste, mouleur, staffeur - stucateur, …
Ferronnier, fondeur, frappeur de monnaies, serrurier, coutelier, dinandier
Bijoutier, joaillier, orfèvre, ciseleur, horloger
Tailleur de pierre, marbrier, rocailleur
Maître verrier, vitrailliste
Métiers du textile et du cuir
Métiers
Métiers
Métiers
Métiers
Métiers
Métiers
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du design
de la terre et du plâtre
du métal
des pierres et métaux précieux
de la pierre
du verre
Nomenclature et dictionnaire des emplois ROME de l’ANPE (Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois réalisé par
l’Agence Nationale Pour l’Emploi), les fiches métiers COBRA (Competentie en Beroepenrepertorium voor de Arbeidsmarkt)
du VDAB (Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling en Beroepsopleiding), les profils de qualification et de formation de la
CCPQ (Commission Communautaire des Professions et des Qualifications), les ouvrages du SIEP (Service d’Information sur
les Études et les Professions), des guides professionnels, des études sectorielles, de la documentation en ligne,…
2
Les conclusions de l’étude aboutissent à la formulation de trois recommandations :
1. Les statuts professionnels
Tant les artisans que les restaurateurs d’œuvres d’art et du patrimoine manquent de cadres
réglementaires spécifiques à leurs activités ; aucun des cadres réglementaires auxquels ils sont
assimilés (commerçants, catégories professionnelles industrielles ou artistes) ne s’adapte à leur réalité
de travail.
A l’heure actuelle, sur les 39 profils de métiers étudiés, seules les professions d’architecte, de
menuisier, de charpentier, d’horloger, de tailleur de pierre, de marbrier, de couvreur, de carreleur, de
plafonneur, de maçon, de tapissier et de vitrier bénéficient d’un accès réglementé à la profession.
En ce qui concerne la profession de restaurateur d’œuvres d’art et du patrimoine ou d’artisanat d’art,
le vide normatif est total. Actuellement rien ne distingue, sur un plan légal, un professionnel de la
restauration d’un amateur d’art qui s’adonnerait à des activités de restauration. Or les œuvres d’art ou
d’artisanat d’art sont uniques et irremplaçables et, outre leur valeur artistique, elles ont souvent une
valeur religieuse, historique et/ou scientifique. De plus, la restauration ne constituant pas un métier
en tant que tel, il faut acquérir au préalable une formation dans un métier de l’artisanat avant
d’entamer un perfectionnement rigoureux et approfondi en restauration.
Il est donc indispensable que ce profil d’« excellence » soit légalement reconnu et protégé, et ce de
manière distincte du profil d’artisan : la reconnaissance légale de la profession devrait s’opérer en
impliquant les acteurs de terrain concernés, et déjà regroupés en association (APROA - L’Association
Professionnelle de conservateurs - restaurateurs d’œuvres d’art).
2. La formation aux métiers d’art, du design et du patrimoine
Parallèlement à la problématique des statuts professionnels, s’est posée à maintes reprises dans le
cadre des enquêtes de terrain, la question des formations aux métiers d’art, du design et du
patrimoine. Tout d’abord, une rationalisation de l’offre bruxelloise de formation par filière s’impose, en
tenant compte des contenus, des types de certification délivrée, des horaires et de types de
pédagogies proposées (alternance, théorie, pratique, …). Nous avons identifié des profils de métiers
pour lesquels, il n’existe pas de filières de formation à Bruxelles; en revanche, d’autres filières sont
surinvesties par une multitude d’opérateurs.
La question des types de certifications est également déterminante dans un processus de
rationalisation de l’offre de formation à l’échelle bruxelloise. Se pose aussi la question de la
valorisation de ces filières : d’une manière générale, le manque d’attractivité des dispositifs
d’enseignement et de formation aux métiers de l’artisanat s’inscrit plus globalement dans la
problématique d’un enseignement technique et professionnel dévalorisé. En effet, rappelons que ces
filières d’enseignement technique et professionnel concentrent un nombre important d’élèves issus
d’un processus de relégation. Un autre déterminant de la dévalorisation des filières d’enseignement et
de formation aux métiers d’art est l’inadéquation des contenus enseignés par rapport à ce que
valorisent les employeurs. Sur ce point, notons que le développement récent de la pédagogie dite "en
alternance" constitue une tentative de réponse par rapprochement des mondes scolaire et
économique.
Lorsqu’on compare les perspectives de l’apprentissage aux métiers d’art à Bruxelles, dans le cadre des
formations en alternance proposées par l’IFPME ou les CEFA, et en France, avec les pratiques de
compagnonnage, on est en présence de réalités très différentes : d’un côté des filières "de
relégation", d’un autre côté des filières élitistes d’excellence. On pourrait imaginer de développer,
dans ces filières dévalorisées, des systèmes d’échanges européens d’apprentis, financés par l’Europe.
Comment rendre plus attractives des filières d’enseignement et de formation aux métiers d’art, au sein
d’un système d’enseignement technique et professionnel puissamment dévalorisé, et plus globalement
dans une société "de tradition humaniste" qui contribue à entretenir une forte hiérarchie des métiers
et des positions sociales (dévalorisation des métiers manuels) ?
On pourrait déjà renforcer la sensibilisation des élèves, par quelques activités insérées dans le cursus
scolaire, à l’artisanat et à la restauration du patrimoine. On pourrait également insérer, dans les
programmes de cours, des options centrées sur les savoir-faire traditionnels en voie de disparition. Il
semble également essentiel, pour bon nombre de professionnels rencontrés de donner à tous les
futurs créateurs et concepteurs de meilleures bases en matière de restauration et offrir à certains la
possibilité de perfectionnement efficace dans ce domaine. En effet, si les filières d’apprentissage des
métiers de l’artisanat ou du bâtiment jouissent, à Bruxelles et plus globalement en Belgique, d’une
bonne réputation à l’étranger, c’est en matière de perfectionnement dans les techniques de
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restauration que le bât blesse. Enfin, le secteur attend un investissement inconditionnel, de la part des
pouvoirs publics, dans la formation de formateurs en restauration.
3. La promotion des métiers d’art, du design et du patrimoine
Si les problématiques de statuts professionnels et de valorisation des filières d’enseignement et de
formation concernent surtout les artisans et les restaurateurs, la question de la promotion des métiers
concerne également les designers et les architectes impliqués dans la restauration du patrimoine
architectural. La promotion de ces métiers doit impérativement combiner des actions de sensibilisation
auprès du grand public et des mesures ciblées au niveau des professionnels de ces secteurs.
Vis-à-vis du grand public, il faut encourager le développement d’actions "pédagogiques" visant à
amener la population à mieux comprendre et apprécier son environnement bâti au sens large, créer et
soutenir des services d’information auprès de particuliers propriétaires d’édifices patrimoniaux, et
mettre à la disposition du public des documents de vulgarisation concernant des bonnes pratiques à
appliquer en matière de restauration du patrimoine mobilier et immobilier. Il faut également informer
le grand public des créations bruxelloises en matière d’artisanat et de design, dans le cadre de
publications, d’événements, d’expositions, de concours, … Notons qu’au niveau du grand public de
nombreuses mesures ont déjà été prises, qu’il conviendra d’encourager ou de renforcer : un numéro
vert "Info-Patrimoine"4, les Journées du Patrimoine, les publications et activités de La Fonderie, les
publications et activités de la MMAP, les salons "Artisanart", …
Vis-à-vis des professionnels, il semble important de créer et soutenir des espaces de rencontre entre
professionnels autour de thèmes de travail concrets (les statuts, les pratiques de formation et
d’apprentissage, la promotion, …). Parallèlement, la création des centres d’entreprises artisanales ou
de collectifs de restaurateurs, designers, architectes, … contribuerait positivement à (re)dynamiser ces
secteurs d’activités, en permettant à des professionnels d’un même "monde" de bénéficier, dans un
même lieu, de services communs (administratif, comptable, informatique, juridique, …) et d’une
visibilité plus grande de leurs activités : on pourrait imaginer de restaurer, à Bruxelles, certains vieux
édifices industriels et de les mettre à la disposition de collectifs d’artisans, de restaurateurs, de
designers … Enfin, on pourrait envisager de relancer, à Bruxelles, la production de certains matériaux
en voie de disparition, utilisés dans l’artisanat ou dans la restauration : une politique de promotion des
métiers passe inévitablement par une politique de revalorisation des matériaux indispensables à
l’exercice de ces métiers.
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Les propriétaires d’un bien classé ou repris sur la liste de sauvegarde peuvent obtenir des conseils sur les démarches à
effectuer s'ils souhaitent introduire un dossier de travaux au numéro gratuit "Info-Patrimoine".
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