Critères d`admission en réanimation des
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Critères d`admission en réanimation des
NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2013) 13, 327—330 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ÉVALUATION Critères d’admission en réanimation des personnes âgées de plus de 80 ans Criteria for intensive care unit admission of very elderly people E. Parmentier-Decrucq (Praticien hospitalier) Centre de réanimation, hôpital Salengro, entrée EST, rue P.-Decoulx, 59037 Lille cedex„ France Disponible sur Internet le 5 octobre 2013 MOTS CLÉS Critères d’admission ; Réanimation ; Personnes âgées KEYWORDS Admission criteria; Intensive Care; Very elderly people Résumé Admettre un patient âgé en réanimation est difficile. D’une part, le patient âgé arrivant aux urgences avec une défaillance d’organe est insuffisamment proposé aux réanimateurs. D’autre part, les réanimateurs ont souvent, comme critère majeur de refus, l’âge chronologique du patient. Les critères d’admission favorables sont une bonne autonomie, un état nutritionnel satisfaisant et l’absence de cancer évolutif. Les critères d’admission défavorables sont un état de gravité où la réanimation est déraisonnable, de lourdes comorbidités, et le risque de dépendance définitive aux techniques de suppléance. Réanimateurs et gériatres doivent se comprendre autour du « grand âge » et des techniques raisonnables inhérentes à la réanimation. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Unjustified restriction to intensive care unit (ICU) admission of elderly patients still exists. It can occur in the emergency department where elderly patients may be insufficiently proposed for ICU admission. Moreover, ICU admission criteria for elderly patients rely too often on chronological age only. Admission criteria are self-sufficiency, good nutritional status and no active cancer. Non-admission criteria are severity where resuscitation is unreasonable, heavy co-morbidities and risk of permanent dependence on technology substitution. Intensivists and Geriatricians should discuss what are considered as ‘‘Very elderly patients’’ and reasonable resuscitation. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Adresse e-mail : [email protected] 1627-4830/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2013.08.001 328 L’admission ou non d’un patient en réanimation est difficile. Elle dépend du patient, de la gravité de la situation médicale, de l’indication, mais aussi de la disponibilité des lits de réanimation [1,2]. Il faut rendre service au patient et à sa famille sans entraîner un coût inutile pour la société (une journée d’hospitalisation en réanimation en France coûte 2598 euros par jour). Malheureusement, les données scientifiques actuelles ne permettent pas de définir des critères d’admission unanimes. Les décisions prises quant à l’admission d’un patient en réanimation peuvent donc être très différentes selon le réanimateur appelé, mais aussi selon le médecin qui propose le patient. Le risque est double : risque d’acharnement thérapeutique mais aussi risque d’abandon thérapeutique. Ces deux risques sont particulièrement vrais chez la personne âgée. L’objectif de cet article est de discuter des critères d’admission en réanimation des personnes âgées de plus de 80 ans. Admission en réanimation : déjà un problème Il n’existe aucune recommandation propre aux personnes âgées concernant leur admission en réanimation. Seules existent des recommandations générales, pour exemple aux États-Unis : « Du fait du coût des soins en réanimation, les services de réanimation doivent être en général réservés aux patients qui ont des pathologies réversibles et pour lesquels il y a une perspective raisonnable de récupération. » [3]. Ainsi, l’admission en réanimation des personnes âgées dépend du pays, du réanimateur, de l’urgentiste qui le propose, des informations connues du patient, mais pas du patient lui-même. En effet, il est rarement demandé l’avis d’une personne âgée en amont de la réanimation [4]. Le nombre de lits de réanimation disponibles pour la population varie selon chaque pays. Il est de 9,3 pour 100 000 habitants en France alors que les extrêmes varient en Europe de 3,5 en Grande-Bretagne à24,6 pour 100 000 habitants en Allemagne [5]. Cette admission dépend également du réanimateur. Il a été montré que l’âge est un critère indépendant de refus d’admission. Dans une étude multicentrique internationale, l’âge était un critère indépendant de refus en réanimation : 36 % des plus de 85 ans étaient ainsi refusés en réanimation contre 16,7 % des moins de 85 ans [6]. En France, GarrousteOrgeas a également montré qu’avoir plus de 85 ans est un facteur de risque indépendant de refus en réanimation avec un odd ratio (OR) de 4,1 (intervalle de confiance à 95 % (IC95) : 1,44—12,0) [7]. Les autres facteurs de risque indépendants de refus sont une admission pour raison non chirurgicale et l’absence de place en réanimation. Le fait que le patient n’ait pas besoin d’aide pour sa toilette est un facteur facilitant l’admission en réanimation [7]. Si on met en compétition pour le dernier lit disponible en réanimation, deux patients avec la même pathologie sans autres détails, l’âge est le facteur pris en compte par les médecins pour l’admission (81 % des réanimateurs acceptent le patient jeune). Si d’autres facteurs médicaux et sociaux sont décrits (obèse, buveur ou fumeur pour le patient jeune, ancien professeur pour le patient âgé), la décision est facilement modifiée [8]. E. Parmentier-Decrucq Les personnes âgées admises en service de réanimation pour motif médical proviennent, pour près de la moitié d’entre-elles des services d’urgence [1]. Dans une étude prospective multicentrique française sur un an (ICE-CUB) incluant 2646 patients âgés de plus de 80 ans et se présentant aux urgences pour un motif potentiel d’admission en réanimation, 1 patient sur 4 était proposé par les urgentistes aux réanimateurs et seulement la moitié, soit 1 patient sur 8était admis en réanimation [4]. La probabilité qu’une personne très âgée soit admise en réanimation variait considérablement (de 5 à 38 %) d’un hôpital à l’autre [4]. Décider une admission en réanimation avec peu de données sur une personne âgée est difficile. Pour de nombreux réanimateurs, il apparaît licite, dans le doute, d’admettre une personne âgée en réanimation le temps d’obtenir des informations sur ses antécédents et son mode de vie, mais aussi le temps de recueillir son avis et celui de ses proches. Ensuite, il peut être décidé collégialement de la poursuite ou non des soins de réanimation [1]. Cette réanimation d’attente permet d’éviter la perte de chance mais nécessite un investissement en termes de temps médical et peut épuiser les équipes si les arrêts thérapeutiques précoces sont fréquents. C’est pourquoi l’avis du patient doit être sollicité le plus précocement possible. Dans l’étude ICE-CUB, les familles étaient présentes dans 41,3 % des cas mais leurs avis n’étaient demandés que dans moins de 10 % des cas. Un refus d’admission en réanimation par le patient ou la famille était rare (1,3 % des cas) [4]. Quel pronostic en réanimation ? L’âge chronologique est un marqueur peu pertinent par rapport à la gravité initiale et aux comorbidités. Mais la survie des patients de plus de 80 ans admis en réanimation est inférieure à celles des autres patients après ajustement sur la sévérité, l’autonomie et le motif d’admission [9]. Cette surmortalité est-elle liée à l’âge ou est-elle un abandon thérapeutique ? Les patients très âgés admis en réanimation bénéficient d’un investissement thérapeutique moindre que les patients plus jeunes (65—79 ans), même après ajustement sur les antécédents et la sévérité [10]. Dans l’étude multicentrique de Boumendil et al. [10], appariant 3175 patients de plus de 80 ans à 3175 patients de 65 à 79 ans, les patients les plus âgés étaient moins susceptibles de recevoir une ventilation mécanique (OR : 0,69 ; IC95 : 0,61—0,78), une trachéotomie (OR : 0,37 ; IC95 : 0,28—0,50) ou une hémodialyse (OR : 0,52 ; IC95 : 0,41—0,66) que les patients âgés de 65 à 79 ans. La durée de séjour en réanimation de ces patients est identique ou plus courte que celle des patients plus jeunes. Elle était de 7,7 ± 13,2 jours en moyenne pour les 65—79 ans versus 6 ± 12,0 jours pour les plus de 80 ans (p < 0,001) dans cette étude [10]. L’explication pourrait donc être une décision de limitation thérapeutique plus rapide [11]. Le bénéfice global de l’admission en réanimation pour les patients très âgés demeure inconnu, car les différentes études observationnelles donnent des données contradictoires sur l’intérêt de la réanimation chez la personne âgée. De manière générale, une meilleure survie est décrite pour les patients admis en réanimation par rapport à ceux refusés [12], mais cette donnée est remise en question chez Critères d’admission en réanimation des personnes âgées de plus de 80 ans Tableau 1 Critères d’admission en réanimation des patients de plus de 80 ans. Critères d’admission favorables Critères d’admission défavorables Bonne autonomie État nutritionnel satisfaisant Absence de cancer Gravité initiale Comorbidité Risque de dépendance définitive aux techniques de suppléance Troubles cognitifs ? la personne âgée depuis une analyse secondaire de l’étude ICE-CUB. Une comparaison concernant la survie des patients de plus de 80 ans admis ou refusés en réanimation a été réalisée, ajustée sur l’âge, le sexe, le diagnostic principal, l’état fonctionnel et nutritionnel, la présence d’un cancer et stratifiée sur la gravité initiale. Non-ajustée, la survie est la même dans les deux groupes. Après ajustement, on découvre une survie moindre des patients admis en réanimation par rapport à ceux qui n’ont pas été admis [13]. Ces résultats ne sont pour le moment pas expliqués. Il est admis par la majorité des réanimateurs que l’existence de troubles cognitifs, d’autant plus s’ils sont accompagnés d’une dépendance, est un critère de nonadmission en réanimation [7,14] car le bénéfice attendu de la réanimation est faible. Pourtant la démence n’entraîne pas de modification du pronostic en réanimation à court terme [15], mais nous manquons de données sur le long terme. Il manque ainsi un consensus quant à l’admission en réanimation de ces patients. Beaucoup préfèrent s’intéresser à la survie à 6 mois et à la qualité de vie. La mortalité des patients de plus de 80 ans est plus élevée en fonction du mode d’admission (médical versus chirurgical). Une admission dans les suites d’une chirurgie programmée est de bien meilleur pronostic que ce soit à court ou long terme[16]. Dans l’étude ICE-CUB, les facteurs positifs influençant la survie à 6 mois des candidats à la réanimation sont un bon niveau d’autonomie, un bon état nutritionnel et l’absence de cancer (Tableau 1) [4]. Mais ces mêmes patients arrivant dans un service d’urgences avec au moins une défaillance d’organe nécessitant la mise en œuvre de techniques spécifiques à la réanimation ne sont admis que dans 23 % des cas [4]. À la question « préférezvous une longue durée de vie ou une vie plus courte mais en meilleure forme ? », 41 % refusaient une quelconque réduction d’espérance de vie [17]. C’est pour cette raison que l’avis du patient est primordial et non celui des proches. Concernant la qualité de vie, les données sont discordantes dans les nombreuses études disponibles [14], mais les biais méthodologiques et la façon d’interpréter la qualité de vie sont nombreux [14]. Les données les plus récentes sur la qualité de vie des patients âgés de plus de 70 ans après une hospitalisation en réanimation, montrent que la majorité des patients ont rapporté une qualité de vie stable ou améliorée [7,16,18—20]. La qualité de vie est différente en fonction de l’âge des sujets et de leur vécu, rendant les études difficiles. La seule certitude est qu’il nous faut adapter les soins en réanimation à nos patients âgés afin de limiter la perte d’autonomie et de préserver leur qualité de vie [14]. 329 Réanimation mais pas obstination Certains critères de non-admission en réanimation semblent logiques compte-tenu de l’état clinique du patient. Ainsi, un patient dont la gravité est telle que la réanimation est déraisonnable car le décès est inévitable quelle que soit la réanimation entreprise. Les patients aux lourdes comorbidités avec par exemple une défaillance chronique d’organe terminale sans traitement curatif possible (BPCO stade IV ou insuffisance cardiaque terminale ou cirrhose Child C) qui n’auront comme conséquence, s’ils sont pris en charge en réanimation, qu’un risque de dépendance définitive aux techniques de suppléance (pour exemple la trachéotomie définitive et la ventilation mécanique définitive du BPCO stade IV) (Tableau 1). Un séjour en réanimation est une étape difficile pour le patient et pour ses proches. Au-delà des raisons médicales, le patient y est hospitalisé dans une ambiance bruyante, douloureuse, stressante, où il reçoit peu de visites, où il a du mal à dormir, et où il est dépendant des autres. Malgré des conférences de consensus de « mieux vivre en réanimation », ces conditions de vie restent très difficiles [21]. Les proches sont soumis à l’angoisse de la disparition possible d’un proche, et confrontés à un milieu hospitalier et technique choquant dans lequel l’humanité peut paraître absente ou négligée [22]. Décider en amont de ne pas admettre un patient en réanimation permet de ne pas vivre la réanimation et d’éviter les décisions de limitation thérapeutique plus tardive pour le patient et pour la famille. Mais comment décider lorsqu’il manque des informations ? La réanimation d’attente évite la perte de chance. Mais l’admission inappropriée entraîne une augmentation du risque d’infection nosocomiale, de complications iatrogènes, de complications de décubitus, de pertes de repères avec une désorientation temporo-spatiale, un délire, une dépression, des douleurs, ou un sentiment d’abandon et une décision de limitation thérapeutique plus tardive [14]. Une limitation thérapeutique n’est cependant pas toujours synonyme de décès et n’est pas un abandon du patient. Cette décision permet un projet plus proche des besoins du patient avec des soins de confort souvent plus appropriés et mieux vécus par tous les intervenants plutôt qu’une technicité accrue en réanimation. Pour ces raisons il semble licite de parler le plus précocement possible de ces décisions en équipe, avec le patient et ses proches. Après une limitation thérapeutique, près de la moitié des patients survivent à l’issue du séjour en réanimation, car ils peuvent ne jamais présenter les complications envisagées. Dans ces situations, il a été relevé que dans près de la moitié des cas, le patient s’associe au sens de la décision qui est bien de ne pas provoquer la mort mais de laisser le processus physiologique se dérouler sans intervention technique ou médicamenteuse jugée sans bénéfice pour lui-même [23]. Intérêt de l’étude ICE-CUB II Sur cette thématique difficile, une étude interventionnelle randomisée multicentrique de grande envergure française a commencé. Elle concernera 20 à 24 centres durant 30 mois afin d’inclure 2802 patients pour un suivi de 6 mois chacun. 330 Cette étude a pour but de déterminer si une intervention auprès des médecins, basée sur des recommandations d’admission systématique en réanimation de malades âgés (> 75 ans) présentant des facteurs de bons pronostics et au moins une défaillance d’organe nécessitant la mise en œuvre d’actes de réanimation, permet de réduire significativement le taux de décès à six mois de ces patients par rapport à la pratique courante. Il est ainsi attendu une différence de mortalité d’au moins 6 % entre les deux groupes. Les critères de non-inclusion sont une dénutrition sévère (évaluée sur l’aspect clinique du patient par l’urgentiste ou le réanimateur), un cancer évolutif connu, une autonomie évaluée par l’échelle ADL de Katz [24] < 4 (si évaluable). Conclusion Avant de parler d’admission en réanimation, il faut probablement discuter avec le patient, notamment d’éventuelles directives anticipées. Dans la majorité des cas, les patients ne sont pas opposés à une réanimation, surtout si elle leur est adaptée. Les critères d’admission favorables sont une bonne autonomie, un état nutritionnel satisfaisant et l’absence de cancer évolutif. Les critères d’admission défavorables sont un état de gravité où la réanimation est déraisonnable, de lourdes comorbidités, et le risque de dépendance définitive aux techniques de suppléance. Réanimateurs et gériatres doivent se comprendre autour du « grand âge » et des techniques raisonnables inhérentes à la réanimation. À quand l’ouverture de structures intermédiaires comme des unités de surveillance continue ou intensive gériatriques ? Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Guidet B, Boumendil A, Garrousteorgeas M, et al. Admission en réanimation du sujet âgé à partir du service des urgences. État des lieux. Reanimation 2008;17:790—801. [2] Boumendil A, Guidet B. Elderly patients and intensive care medicine. Intensive Care Med 2006;32:965—7. [3] Society of Critical Care Medicine. Recommendations for intensive care unit admission and discharge criteria. Task Force on Guidelines. Crit Care Med 1988;16:807—8. [4] Boumendil A, Angus DC, Guitonneau AL, et al. Variability of intensive care admission decisions for the very elderly. PloS One 2012;7:e34387. [5] Wunsch H, Angus DC, Harrison DA, et al. Variation in critical care services across North America and Western Europe. Crit Care Med 2008;36:2787—93 [e1-9]. E. 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