3. Le Misanthrope

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3. Le Misanthrope
Collège au théâtre
Saison 2013/2014
Fiche pédagogique n°3
LE MISANTHROPE
SOMMAIRE
1. L’œuvre et son contexte
1.1.
Molière en 1666
1.2.
Le contexte historique
1.3.
Le contexte socioculturel
1.4.
Le contexte dramaturgique
1.5.
Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux
2. Le Misanthrope de Molière
2.1.
Résumé de la pièce
2.2.
Synopsis
2.3.
Pour entrer dans la pièce : la scène d’exposition
2.4.
Les personnages et la distribution
3. Le Misanthrope des Cartoun Sardines
3.1.
Note d’intention
3.2.
Le travail sur la langue de Molière
3.3.
La mise en scène
4. Pour aller plus loin
1. L’œuvre et son contexte
1.1.
Molière en 1666
Depuis 1662, Molière connait bonheur et
succès. Il a épousé Armande Béjart de 20
ans sa cadette. L’Ecole des femmes est un
triomphe qui suscite jalousie et rivalité.
Mais il a su mettre les rieurs de son côté
avec La Critique de l’Ecole des femmes en
1663.
remarquable énergie de Molière toujours
prêt à combattre. Ce n’est pas un texte
de commande mais librement choisi.
La défaite d’Alceste l’aida-t-elle par
contrecoup à vaincre la tentation de
renoncer devant tant de difficultés ?
En 1664, le roi est le parrain de son 1er
enfant et il présente Le tartuffe, le 12 mai,
qui déchaine un véritable scandale. La
pièce est interdite. Voilà Molière objet de
calomnies, de rumeurs. Il écrit dans la
hâte Dom Juan qui est représenté en
1665.
Certes un grand succès, mais les
pressions s’exercent et la pièce est
supprimée.
Depuis deux
Misanthrope.
ans,
il
travaille
au
1666, c’est la première représentation
du Misanthrope avec un succès relatif.
C’est donc un Molière en proie à des
difficultés que celui interprétant le rôle
d’Alceste, rôle qu’il s’était réservé.
Le Misanthrope fut composé dans une
période difficile et témoigne de la
1.2.
Les Œuvres de Monsieur Molière. Paris : C. Barbin, 1673
Molière, Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673)
Frontispice, 1673
BNF, Réserve des livres rares, RES-YF-3141
Le contexte historique
En 1666, la France est en paix depuis 7 ans. Les guerres de religion sont officiellement
achevées depuis la promulgation de l’Edit de Nantes. Si les tensions religieuses persistent,
elles sont essentiellement au sein du catholicisme entre les tenants d’une foi austère
(jansénistes) et les adeptes d’une religion plus souple (jésuites). A l’époque du Misanthrope,
les conditions sont réunies pour le développement d’une vie sociale harmonieuse.
D’autre part, Louis XIV est jeune. Il aime les plaisirs. Il aime aussi la grandeur et les
honneurs. Il instaure autour de lui une vie de cour brillante avec ses activités intellectuelles,
artistiques et mondaines.
La cour est un phare qui attire les regards, un modèle de savoir-vivre, une petite
société à imiter.
1.3.
Le contexte socioculturel
Les aspirations de l’époque à une vie mondaine élégante se cristallisent autour d’un idéal
qui est celui de l’honnête homme. L’art de vivre honnête est né en réaction contre la
grossièreté des manières qui caractérisaient la cour d’Henri IV au début du siècle.
C’est une conception réservée aux courtisans. L’honnête homme beau, intelligent,
sage, cultivé, galant envers les femmes, rompu aux exercices physiques, au maniement des
armes ou à la danse, brillant dans la conversation et surtout susceptible de garder en tout
un juste milieu, réunit en lui les qualités morales de l’homme de bien et l’urbanité de
l’homme du monde.
A l’époque du Misanthrope, une nouvelle conception de l’honnêteté se fait jour. Il
s’agit moins d’être vertueux que de tenir sa place dans la société et d’être un parfait
acteur sur la scène du monde. On est davantage dans l’apparence, dans l’élégance
extérieure. Les moralistes dénoncent alors l’honnêteté comme un masque et montrent ce
qu’il y a d’artificiel et de faux dans cette culture de l’image.
Molière se fait le témoin de ce changement. Le Misanthrope est écrit à un moment où
non seulement son auteur veut peindre les mœurs de l’époque mais aussi participer
à l’élaboration d’un art de vivre adapté à son temps.
1.4.
Le contexte dramaturgique
Au XVIIème siècle la comédie a longtemps été un genre mineur. Ce n’est que dans les
années 1660 qu’elle arrive en tête des genres dramatiques avec Molière.
Il veut créer un rire nouveau, faire rire les honnêtes gens. Son idée est de proposer un rire
adapté à un public de qualité qui ne se satisfait pas d’un rire farcesque.
Le Misanthrope se déroule dans l’aristocratie parisienne, se rattache à la même veine
sérieuse que Les femmes savantes. Voilà d’ailleurs comme La Fontaine perçoit le
changement :
Nous avons changé de méthode
Jodelet n’est plus à la mode
Et maintenant il ne faut pas
Quitter la nature d’un pas
(Lettre à Monsieur de Maucroix)
Ne « pas quitter la nature d’un pas » voilà la clé de l’esthétique de Molière. Sa grande
comédie est en 5 actes et en vers comme une tragédie. Elle mêle autour d’un sujet sérieux
des scènes de farce empruntées à l’actualité (l’hypocrisie à la cour), à une peinture des
mœurs et de la société.
Le comique est fondé sur la peinture naturelle et vraisemblable des mœurs et des
situations de la vie quotidienne.
La comédie est un véritable miroir et le rire n’est pas artificiel.
1.5.
Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux
a. Le titre de la pièce
En 1666, en demandant l’autorisation d’imprimer Le Misanthrope, Molière a donné comme
sous-titre à sa pièce, L’atrabilaire amoureux.
Un misanthrope selon l’étymologie désigne celui qui hait les hommes.
On peut penser alors que la pièce va dépeindre un caractère. Quand on sait aussi
qu’Alceste signifie aussi en grec le champion, on s’attend à une confrontation avec autrui.
Quelle cause va alors défendre ce héros qui brave le monde ? Qu’est-ce qui l’amène à
tellement détester son prochain ?
Le sous-titre contribue à enrichir notre analyse. Atrabilaire renvoie à la théorie des
humeurs d’Hippocrate. Les caractères s’expliquent par l’équilibre ou le déséquilibre entre
les quatre humeurs qui baignent le corps humain : la bile, le flegme, le sang, l’atrabile ou
bile noire.
Alceste est bien victime d’une surabondance de bile noire qui le pousse à tous les
excès et qui l’amène d’un état dépressif à des accès de colère.
On peut y voir des allusions aux vers 89 à 92 et au vers 449. Philinte considère même les
égarements de son ami Alceste comme relevant de la pathologie (vers 105).
Donc, un homme excessif comme Alceste, quand il est amoureux, laisse prévoir de terribles
contradictions. Comment concilier l’insociabilité et l’amour ?
b. La scène est à Paris : voilà ce que nous indique la didascalie initiale.
Nous savons que nous nous trouvons chez Célimène dans un salon de la vie parisienne. Il
s’agit donc d’une cadre bien réel, inscrit dans une époque et dans une vie sociale.
D’autres salons sont évoqués et également la maison d’Alceste. La cour est un autre lieu
extérieur auquel il est fait allusion. Les personnages de cette pièce appartiennent tous à la
haute noblesse et se rendent fréquemment au Louvre. La cour est à la fois référence et
menace selon les influences et les rumeurs. C’est à ce système là qu’Alceste veut échapper.
Mais il fréquente le salon de Célimène et le salon est le reflet de la cour avec la même
hypocrisie, la même prétention et les mêmes rivalités (vers 1091 – 1098) L’amour explique
cette contradiction à fréquenter un endroit qu’il déteste et qu’il finira par quitter.
Ainsi le cadre de l’action contribue à mettre en valeur le comportement paradoxal du
héros.
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jean-Baptiste_Poquelin_dit_Molière/
2. Le Misanthrope de Molière
2.1.
Résumé de la pièce
Alceste entre irrité dans le salon de Célimène, une jeune coquette dont il est amoureux,
en compagnie de son ami Philinte, auquel il reproche d'avoir prodigué des marques
d'amitié excessives à un inconnu. Celui-ci invoque les usages mondains, mais Alceste, loin
de se montrer indulgent, s'emporte contre l'hypocrisie de l'humanité en général.
Oronte, un faiseur de sonnet, arrive alors, adresse à Alceste des protestations d'amitié et
insiste pour lui lire quelques vers de sa main. Alors que Philinte se répand en éloges,
Alceste finit par reconnaître que le sonnet est bon « à mettre au cabinet ». Oronte réagit, le
ton monte et la querelle éclate.
Alceste fait grief à Célimène de la complaisance qu'elle témoigne à ses soupirants et
s'apprête à la mettre au pied du mur, quand arrivent les marquis, Acaste et Clitandre,
ainsi que Philinte et Éliante, une cousine de l'héroïne. Célimène brosse avec esprit, mais
non sans médisance, selon l'usage mondain, quelques portraits d'amis absents, ce qui met
Alceste, jusque là silencieux, en fureur. Célimène réagit cruellement, mais, heureusement,
l'échange est interrompu par l'arrivée d'un garde : Alceste est convoqué devant le tribunal
des maréchaux pour l'affaire du sonnet.
Les deux marquis, restés seuls, font assaut de suffisance et de fatuité, puis se retirent à
l'arrivée d'Arsinoé, une fausse prude, qui rapporte perfidement à Célimène quelques
rumeurs relatives à sa conduite. Celle-ci répond sur le même ton de politesse hypocrite.
Décidée à se venger, Arsinoé tente en vain de séduire Alceste, puis promet de lui fournir
des preuves de l'inconstance de sa bien aimée.
Philinte s'entretient avec Éliante de la passion malheureuse d'Alceste pour Célimène. Le
héros entre, furieux, tenant à la main une lettre qui prouve la duplicité de la coquette. Dès
que celle-ci arrive, il la presse maladroitement de se justifier, mais elle retourne
magistralement la situation au point qu'il finit par implorer son pardon.
Enfin, ayant perdu son procès, le misanthrope veut quitter la société des hommes. Il presse
Célimène de déclarer publiquement ses sentiments, mais elle tergiverse alors que les
marquis, autres amants bafoués, entrent pour l'accabler à leur tour. Quand tous se sont
retirés, Alceste déclare à sa maîtresse qu'il est néanmoins prêt à l'épouser si elle consent à
renoncer au monde, ce à quoi elle ne peut se résoudre. Il décide de quitter Paris et de se
retirer dans la solitude.
2.2.
Synopsis
Acte 1
Dans le salon de Célimène, Alceste reproche à son ami Philinte sa complaisance et
l'amabilité artificielle qu'il témoigne à tous ceux qu'il rencontre. Il plaide pour une sincérité
absolue en toutes circonstances et critique avec véhémence l'hypocrisie et les
politesses intéressées. Ce combat dans lequel il s'investit, et qu'il a toutes les chances de
mener en vain, lui vaut d'éprouver une grande haine pour l'humanité. Philinte s'étonne
qu'avec de tels principes, son ami puisse aimer la coquette Célimène. Sincère jusqu'au
bout, Alceste avoue à son ami qu'il vient justement trouver Célimène pour avoir avec elle
une discussion décisive. Surgit alors Oronte, un gentilhomme vaniteux venu consulter
Alceste sur un sonnet dont il est l'auteur. Alceste se retient autant qu'il peut, mais après
quelques tergiversations, il s'exprime avec une franchise brutale : ce sonnet ne vaut rien.
Les deux hommes se fâchent.
Acte 2
Alceste a un entretien houleux avec Célimène. Il lui reproche d'avoir de trop nombreux
prétendants. Célimène l'assure de son amour mais Alceste fait une crise de jalousie.
Froissée, la jeune femme coupe court à l'entretien. Un valet annonce l'arrivée d'Acaste et
de Clitandre, deux "petits marquis". Leurs médisances inspirent Célimène qui dresse
avec brio et cruauté un portrait très drôle de plusieurs absents. Ce qui lui vaut un
certain succès auprès de ses visiteurs. Alceste reproche à ces deux importuns de flatter
l'humeur railleuse de Célimène, et se couvre de ridicule. Il est bien décidé à attendre le
départ de ces marquis, mais un garde fait son apparition : la querelle avec Oronte
s'envenime, Alceste est convoqué au tribunal des maréchaux.
Acte 3
Acaste se montre très satisfait de lui et confie à Clitandre la fierté qu'il éprouve de se sentir
autant aimé par Célimène. Ils se découvrent rivaux auprès de Célimène et tous deux sont
convaincus de pouvoir en apporter rapidement la preuve qu’ils sont l’unique objet de
l’amour de Célimène. Ils s'engagent à être loyaux : celui qui le premier obtiendra une
preuve décisive pourra exiger de l'autre qu'il se retire de la compétition. Célimène revient
et on la prévient de l'arrivée de la prude Arsinoé. Avec une complicité faussement
charitable, elle informe Célimène, de la fâcheuse réputation que suscite sa
coquetterie. Célimène lui répond sur le même ton, en lui indiquant que sa pruderie et son
austérité ne sont guère appréciées. Piquée au vif Arsinoé bat en retraite et profite d'un
tête-à-tête avec Alceste, qu'elle aime en secret, pour le détourner de sa rivale : elle lui
promet de lui apporter la preuve de la trahison de la jeune femme.
Acte 4
Eliante, cousine de Célimène, et Philinte discutent d'Alceste et évoquent son singulier
caractère. Eliante avoue à Philinte qu'elle aime Alceste et Philinte lui avoue, que tout
en respectant les sentiments qu'elle éprouve pour son ami, il espère qu'un jour elle
l'aimera comme lui l'aime. Alceste, de son côté, est révolté par une lettre que Célimène a
adressée à Oronte et qu'Arsinoé lui a montrée. Se croyant trahi par celle qu'il aime, il se
tourne vers Eliante et lui demande de l'épouser. Célimène parait. Elle subit les plaintes
de son amant qui l'accuse de trahison mais parvient à retourner la situation à son
avantage. La colère d'Alceste finit en déclaration d'amour. Leur réconciliation est
interrompue par un valet qui vient chercher Alceste de toute urgence et l'informe des
conséquences fâcheuses de son procès.
Acte 5
Alors qu'il avait toutes les raisons de gagner son procès, Alceste l'a perdu. Cette fois, il
décide de renoncer définitivement à la compagnie des hommes et souhaite avoir une
dernière entrevue avec Célimène. Apparaissent Oronte et Célimène. Alceste se joint à
son rival pour exiger de la jeune femme qu'elle choisisse entre eux deux. Puis c'est au tour
d'Acaste et de Clitandre, accompagnés d'Arsinoé. Ils se sont montrés la lettre qu'ils ont
chacun reçue de Célimène où elle se moque tour à tour de chacun d'eux. La lecture de ces
lettres confond Célimène. Clitandre, Acaste et Oronte se retirent en l'accablant de leur
mépris. Alceste, lui, accepte de lui pardonner, à condition qu'elle s'engage à le suivre, hors
du monde. Célimène refuse. Alceste part seul, non sans avoir approuvé l'union
d'Eliante et de Philinte.
2.3. Pour entrer dans la pièce : la scène d’exposition
ACTE PREMIER - SCENE PREMIERE
PHILINTE, ALCESTE
PHILINTE
Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ?
ALCESTE [, assis.]
Laissez-moi, je vous prie.
PHILINTE
Mais encor dites-moi quelle bizarrerie... .
A peine pouvez-vous dire comme il se nomme ;
Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent.
Morbleu ! c'est une chose indigne, lâche, infâme,
De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son âme;
Et si, par un malheur, j'en avais fait autant,
Je m'irais, de regret, pendre tout à l'instant.
ALCESTE
Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.
PHILINTE
Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable,
Et je vous supplierai d'avoir pour agréable
Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt,
Et ne me pende pas pour cela, s'il vous plaît.
PHILINTE
Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher.
ALCESTE
Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !
ALCESTE
Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.
PHILINTE
Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse ?
PHILINTE
Dans vos brusques chagrins je ne puis vous
comprendre,
Et quoique amis enfin, je suis tout des premiers...
ALCESTE
Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme
d'honneur,
On ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur.
ALCESTE [, se levant brusquement.]
Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J'ai fait jusques ici profession de l'être ;
Mais après ce qu'en vous je viens de voir paraître.
Je vous déclare net que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.
PHILINTE
Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnoie,
Répondre, comme on peut, à ses empressements,
Et rendre offre pour offre, et serments pour
serments.
PHILINTE
Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre
compte ?
ALCESTE
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l'honnête homme et le fat.
Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située
ALCESTE
Allez, vous devriez mourir de pure honte ;
Une telle action ne saurait s'excuser,
Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser.
Je vous vois accabler un homme de caresses,
Et témoigner pour lui les dernières tendresses ;
De protestations, d'offres et de serments,
Vous chargez la fureur de vos embrassements ;
Et quand je vous demande après quel est cet
homme,
Qui veuille d'une estime ainsi prostituée ;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout
l'univers :
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu ! vous n'êtes pas pour être de mes gens ;
Je refuse d'un coeur la vaste complaisance
2.4.
Qui ne fait de mérite aucune différence;
Je veux qu'on me distingue; et pour le trancher
net,
L'ami du genre humain n'est point du tout mon
fait.
[…]
Molière, Le Misanthrope [1666], Editions
Gallimard, Collection Folio Classique, 2000.
Les personnages et la distribution
ALCESTE, amant de Célimène
PHILINTE, ami d’Alceste
ORONTE, amant de Célimène
CELIMENE, amante d’Alceste
ELIANTE, cousine de Célimène
ARSINOE, amie de Célimène
ACASTE, CLITANDRE, marquis
BASQUE, valet de Célimène
DU BOIS, valet d’Alceste
Attention, dans la pièce des Cartoun Sardines Théâtre trois comédiens jouent
l’ensemble des personnages.
Bruno Bonomo, Patrick Ponce et Dominique Sicilia réussissent assurément le challenge de
rendre tout possible à seulement trois sur les planches :
-
-
-
on assiste à la confrontation entre l'infidèle
Célimène et la prude Arsinoé. Dominique Sicilia
est saisissante dans ce face à face public où elle ne
cesse de faire alterner les visages de ces deux
femmes qui excellent dans l'art de feindre et de se
torturer.
On jubile lors de la révélation publique des lettres
mensongères de Célimène devant Alceste et son
ami Philinte, devant Oronte, les deux marquis
Acaste et Clitandre et le valet Basque. Ces cinq
derniers rôles étant tous endossés par Bruno
Bonomo, véritable Arlequin farceur de cette
comédie atrabilaire.
Patrick Ponce compose un Alceste franc qui
critique la société du paraître et du divertissement.
C’est également lui qui a réalisé la mise en
scène. Son inflexible droiture offre un contraste
saisissant avec Célimène insouciante, légère,
frivole.
3. Le Misanthrope des Cartoun Sardines.
Texte intégral à l’appui mais entièrement digéré et revisité.
3.1.
Note d’intention
« Le Misanthrope est la comédie de la parole, elle donne la conversation en spectacle, et
tout naturellement, elle s’adresse au public. Avec ses règles et ses contraintes, la poésie de
Molière compose notre terrain de jeu, théâtre où les alexandrins expriment les sentiments
et font déferler les émotions. Leur énergie, leur musicalité et leur rythme sont en
communication directe, comme une nécessité immédiate de donner à voir et à entendre.
Alceste donne le ton :
Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur
On ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur.
Les courtisans et l’esprit de cour sont la cible de ses paroles acerbes, mais ce qui le
répugne l’attire aussi. Troublé par des sentiments contradictoires, il tente de conquérir
Célimène, modèle exemplaire de ce monde qu’il hait. L’humeur d’Alceste entraîne les
réactions de ses partenaires.
Des mots de Molière et de cette effusion de sentiments, nous voulons faire naître une sorte
d’émoi organique et sonore, un langage inventé, rimé comme les alexandrins, à la fois
inexprimables, éphémères, authentiques et passionnés.
Les personnages de la pièce sont comme des mannequins de laboratoire qui exposent
sans pudeur un biceps écorché ou des organes rangés dans l’abdomen. Rien n’est caché,
tout est langage, tout s’exprime physiquement et vocalement, de l’expression limpide à
l’humour ravageur.
Dans Le Misanthrope, le monarque semble exercer son pouvoir avec douceur, ses sujets y
répondent avec ferveur, devancent même ses désirs et sa volonté. Lui plaire est leur raison
de vivre. Plaire est la nature de la cour. Les courtisans n’ont de cesse qu’ils ne se donnent
corps et âme au tyran et ils édifient eux-mêmes une pyramide de servitudes. La pièce
démontre que plaire est une servitude volontaire. La cour dont on parle est la
représentation de ce pouvoir qui se dessine, tapie dans l’ombre comme une menace. Pour
Alceste, la cour est le lieu de la flatterie, de l’injustice, de l’intérêt, de la trahison, de la
fourberie… »
3.2.
Le travail sur la langue de Molière
Les comédiens jouent avec les sonorités des mots, avec le rythme des vers, avec les
fréquences de la voix. Ils confrontent ces modes de communication aux émotions que
génère le texte. Ce jeu ne demande pas seulement de l’habileté à dire les vers, il requiert
aussi de l’inventivité.
Les alexandrins n’ont pas comme une certaine forme de prose une mission informative ou
utilitaire, ils expriment les sentiments, ils font déferler les émotions.
Certaines tirades, très attendues, sont comme un trésor dans l’océan. Les comédiens
veulent explorer les différentes façons de dire ces mots, ces phrases, et traducteurs des
mots de Molière, ils les traduisent au public.
Ils les abordent avec l’esprit du musicien, avec une sensibilité, au-delà du savoir faire et de
la rationalité.
Les Cartoun Sardines s’écartent parfois du texte de Molière tout en conservant sa
structure et ses rimes, ils inventent des alexandrins fait maison puis, reviennent à
l’original, comme le musicien revient à sa partition. Interprètes et traducteurs, les
comédiens jouent exactement sur le sens des mots et l’expression de leurs émotions dit
presque la même chose que les vers de Molière.
Au milieu des alexandrins structurés, obéissants, réguliers comme un jardin à la française
ils débordent du texte et poussent les intentions jusqu’au burlesque. Les commentaires
méta-textuels sont bienvenus car ils sont didactiques et drôles et permettent
l’enchainement des personnages.
CELIMENE :
C’est un parleur étrange, et qui trouve toujours
L’art de ne rien dire avec de grands discours,
Dans les propos qu’il tient on ne voit jamais goutte,
Et ce n’est que du bruit que tout ce qu’on écoute.
Et justement, c’est entre le bruit et la parole que Les Cartoun Sardines choisissent de
s’exprimer : le bruit apparemment dénué de sens comme celui que décrit Célimène ou le
bruit qui en dit plus long que les mots. Le bruitage fait aussi bon ménage avec les mots, il
les soutient, les porte, et pousse le rire ou le drame.
Les comédiens qui entrent en scène sont trois. Dans leur constante volonté de ne rien
cacher, ce choix leur permet de jouer “à vue“ les changements de rôles et de s’amuser
au mélange des genres. C’est leur façon d’aborder chaque texte, ce sur quoi ils
travaillent depuis longtemps, une particularité qu’ils entretiennent.
En équilibrant ainsi la distribution, l’histoire se raconte ensemble et les possibilités se
multiplient en affirmant un esprit de groupe qui leur est cher.
Par ailleurs, ils ne situent pas Le Misanthrope dans une époque particulière, disons que
c’est la nôtre, celle que nous sommes en train de vivre dans le temps même du
déroulement du spectacle.
3.3.
La mise en scène
Ils sont trois sur le plateau et pourtant ils donnent au Misanthrope de Molière toute sa
puissance dramatique.
C’est une mise en scène résolument moderne, où trois comédiens à la complicité
communicative ne cessent de faire des entorses à l'illusion théâtrale en rappelant aux
spectateurs qu'ils doivent faire avec les moyens du bord, avec parfois des problèmes de
voix, d'ego etc…
a. Mise en espace : Un chemin de tapis traverse le plateau de cour à jardin et un
autre, partant du lointain, rejoint le premier à la face.
Au-dessus de ces allées perpendiculaires, sont suspendues une table, une chaise
et une lampe, encordées à quelques mètres du sol.
Le salon de Célimène flotte dans l’air. Les objets, libérés de manière artificielle de
la pesanteur, se prêtent à une manipulation facile, leur mobilité permet une
animation à la fois poétique et théâtrale. Ils peuvent être ramenés manuellement à
hauteur d’homme et utilisés naturellement mais comme ils ne touchent pas terre,
ils deviennent fragiles et instables. Chaque meuble est utilisé dans sa fonction
habituelle, mais c’est justement cette fonctionnalité qui est précaire. Grâce à leur
absence de poids, les objets sont transfigurés et la table se transforme en cadre de
fond et la chaise en balançoire. Les comédiens peuvent se les renvoyer à la tête
aussi légèrement que l’on jette un bibelot.
Sur la scène, les acteurs manipulent autant les mots que les objets, gérant leur
inertie ou leur énergie. Les objets du décor entrent donc en lévitation comme
pour signifier l’insoutenable légèreté de l’être.
En singeant les défilés de mode, les comédiens plaisantent sur cette notion
d’apparence qui pousse à l’hypocrisie et au mensonge.
b. L’accompagnement musical
Il faut distinguer la musicalité des alexandrins de la musique instrumentale.
La musique instrumentale se divise en deux perceptions distinctes :
- la première, la terrienne, se joue au moment des entrées et des sorties, entre les
scènes. Elle produit son émotion propre et sa poésie. Le musicien n’est pas sur
scène. C’est un grand changement dans la façon de travailler des Cartoun Sardines.
Il prend la place de l’ingénieur du son, en régie salle et va confondre et mixer
l’émission de la musique et sa diffusion.
Cette musique, enregistrée, ne fait aucunement référence aux musiques
contemporaines de Molière, mais cherche plutôt le choc des contrastes. Elle
envoie l’énergie électro-jazz des années 80 à la manière de Miles Davis. En
revanche, si le musicien ne compose pas la musique des vers de Molière, il aide les
acteurs à leur interprétation.
- La deuxième musique instrumentale, l’aérienne, est une tonalité, variable selon
les scènes. Jouée avec différents timbres, elle peut faire varier les climats, elle met
en valeur le texte, les ambiances, et renforce la tension dramatique.
Donc, si le musicien n’est pas sur scène, il y dépose tout de même sa musique
diffusée en direct, entre les acteurs, au milieu des objets et des corps.
4. Pour aller plus loin
4.1.
Le Misanthrope à Avignon en juillet 2012.
Voici l’avis d’un festivalier : « Ils prêtent corps et voix, avec la plus grande prestance,
tout en nous dévoilant avec humour l’envers du décor, à la dénonciation du paraitre et
du divertissement à laquelle s’attaque Molière dans un langage frisant la perfection.
C’est une poésie aux allures de prose dont les trois comédiens s’emparent, dans une
interprétation millimétrée et dépoussiérée avec une virtuosité énergique. Cette mise en
abime de l’homme de cour face à l’exigence d’un Misanthrope qui s’y frotte et s’y perd a
de forts accents d’actualité. Tout cela est bien servi par le jeu des acteurs et la mise en
scène résolument moderne. Une nouvelle réalisation des Cartoun qui ne laisse rien à
envier à la réussite des précédentes ».
A vous d’imaginer votre critique pour le journal du collège ou votre blog théâtre.
4.2.
Un Misanthrope dans le 7ème art :
Alceste
à
bicyclette (2013)
est
une comédie française réalisée
par
Philippe Le Guay avec Fabrice Luchini,
Lambert Wilson et Maya Sansa
Vous trouverez la bande annonce du film
ci-dessous :
http://www.youtube.com/watch?v=G98B
p6aPAtY
Ce peut être une occasion de voir l’actualité d’une pièce classique quand, avec une belle
mise en abîme, on propose à Fabrice Luchini en pleine crise de misanthropie de jouer avec
Lambert Wilson la pièce du Misanthrope.
4.3.
Histoire des Arts : Pierre Bruegel, Misanthrope, 1568.
Peter Bruegel l'Ancien (1525-1569) est considéré comme le peintre flamand le plus
important du milieu du 16ème siècle.
A la fin de sa formation artistique en 1551, Bruegel a voyagé en Italie. Malgré les influences
de ce voyage, il a continué durant toute sa vie à peindre des sujets et des modèles
fortement flamands. Une fine étude de ces œuvres permet tout de même de relever des
poses et des idées empruntées à l'art italien. Le voyage à travers les Alpes a eu un impact
plus évident sur l'imagination artistique de Bruegel. Dans un certain nombre de ses
œuvres, (Chasseurs dans la neige 1565), d’immenses montagnes sont placées au milieu de
vues panoramiques tandis que les premiers plans proposent des sujets typiques des Pays-
Bas. Le style de Bruegel a changé considérablement pendant sa courte carrière. Ses
premiers travaux (jusqu'en 1562) se caractérisent par une multiplicité de petits éléments
dans une composition globale. Un exemple typique est Les Proverbes Néerlandais (1559 ;
Musée, Berlin-Ouest).
Ici, comme dans plusieurs de ses peintures, Bruegel fait la satire la douce folie de
l'humanité. Deux peintures religieuses, Suicide de Saul (1562) et Conversion de Saint Paul
(1567; musée, Vienne Kunsthistorisches), donnent un exemple des changements qui sont
intervenus dans le style de Bruegel pendant les années 1560. Ces deux peintures montrent
également l’habitude de Bruegel de peindre des scènes religieuses en tant qu'événements
contemporains.
Après 1562, les compositions de Bruegel ont été de plus en plus concentrées et ont été
souvent plus structurées le long des diagonales ; l'action principale est présentée à hauteur
d'œil. Pendant les dernières années de sa vie, Bruegel a souvent peint des figures qui
semblent plus monumentales et plus proches du spectateur. Comme dans L'aveugle
menant les aveugles, ou le Misanthrope il a abaissé considérablement le nombre de
personnages afin de concentrer la composition sur l'histoire elle-même.
Pieter Bruegel l’Ancien,
Misanthrope,
Museo et gallerie nazionali di Capodimonte,
Naples, 1568.
SOURCES ET ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
Les documents réunis dans ce dossier proviennent de :
-
-
-
Cartoun Sardines Théâtre présente Le Misanthrope de Molière, dossier de présentation
Michèle Lajarrige, Molière Le Misanthrope, Paris, Ellipses, 1997.
Paul-Henry Rojat, Etude sur Molière Le Misanthrope, Paris, Ellipses, 1998.
Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Stéphane Braunschweig, dossier
pédagogique 2003-2004, Théâtre National de Strasbourg - Ecole supérieure d’art
dramatique
Le Misanthrope de Molière, mise en scène Jean-François Sivadier, dossier
pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, professeur du service éducatif, février
2013, Comédie de Reims
Illustration :http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/JeanBaptiste_Poquelin_dit_Molière

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