Texte de Descartes, Discours de la méthode, VIème partie, extrait :

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Texte de Descartes, Discours de la méthode, VIème partie, extrait :
Texte de Descartes, Discours de la méthode, VIème partie, extrait :
Remarques liminaires : a) ce qui suit n’est qu’un plan détaillé, et non un commentaire de texte philosophique : lors de la rédaction
finale, il conviendra surtout de ne pas se contenter de juxtaposer les arguments, et de développer certainement davantage ; b) tout ce
qui figure ici entre crochets droits, toute indication correspondant à la démarche suivie, comme les numéros des paragraphes, devront
disparaître dans un devoir.
[Introduction]
[Objet du texte]
Il est ici question du rapport de la pratique technique à la raison issue de la science telle que la conçoit
l’auteur. Descartes oppose une technique rationnelle qui était encore largement à constituer en son temps,
dont l’utilité pour les hommes eux-mêmes s’avèrerait tout à fait indéniable, aux techniques empiriques déjà
connues, dont le développement ne doit rien à la science.
[Position du problème]
Doit-on se satisfaire des techniques déjà constituées, ou bien ne serait-il pas possible d’en constituer de
nouvelles comme autant d’applications des sciences modernes dans le domaine pratique ?
[Moments de l’argumentation]
Dans un premier moment, Descartes distingue une philosophie spéculative d’une philosophie pratique, et
oppose la seconde à la première pour les avantages qu’elle permettrait aux hommes de tirer.
Le second moment précise ces avantages :
a) pour le développement de l’industrie
b) pour les progrès de la médecine, ce qui permettrait selon lui de fonder une hygiène morale sur les
principes de l’hygiène physique.
[1ère partie : explication du premier moment]
1) L’auteur commence par opposer deux méthodes, c’est-à-dire deux ordres dans lesquels conduire ses
pensées, radicalement distinctes. L’expérimentation dans les sciences physiques, c’est-à-dire l’étude de la
nature en général, au sens du grec , permet à l’esprit humain d’être confronté à des problèmes pratiques
où les « notions générales » – théoriques, scientifiques – acquises par l’étude des sciences ont une valeur
opératoire bien plus grande que les principes généraux – causes premières et premiers principes – de la
métaphysique traditionnelle héritée pour l’essentiel de l’aristotélisme. Leur applicabilité technique – la
technique est ici nécessairement rationnelle, fondée sur la science – les rendraient réellement utiles à tous les
hommes auxquelles elles pourraient profiter. Les « difficultés particulières » évoquées sont selon toute
vraisemblance les problèmes d’optique sur lesquels travailla Descartes, liés à la construction des lunettes. Il
est à remarquer que Descartes, tout autant philosophe que savant, oppose à la métaphysique classique la
philosophie nouvelle, c’est-à-dire moderne, dont il est le défenseur, intégrant les sciences, mais non les
techniques rationnelles qui n’en sont que les prolongements dans le domaine pratique.
2) La loi morale nous oblige : il est de notre devoir de travailler pour la réalisation du bien commun de
l’humanité dès lors que nous avons les moyens de le faire. Si nous pouvons par exemple remédier ou faire
disparaître les causes des misères ordinaires des hommes, alors nous le leur devons, par solidarité avec cette
humanité dont nous sommes.
3) La justification vient immédiatement après l’affirmation : la métaphysique traditionnelle, telle qu’elle était
enseignée au XVIIème siècle dans les collèges tenus par les Jésuites, maîtres de Descartes au collège de La
Flèche, est ici qualifiée de « philosophie spéculative » – du latin speculativus, qui s’attache uniquement à la
théorie, sans se préoccuper de l’application –, à la différence de la philosophie pratique – du grec ,
de , « faire », qui a rapport à l’action, à l’application –, telle que la définit Francis Bacon – « on ne
commande à la nature qu’en lui obéissant » –. L’esprit n’est pas du tout le même. Il n’est que de faire
mention des découvertes déjà faites en dehors des « écoles » dans l’esprit de l’empirisme moderne, avant
1636, par les savants et les ingénieurs de la Renaissance sur « la force – c’est-à-dire les pouvoirs – et les
actions – c’est-à-dire la manière dont ils agissent ou produisent leurs effets – du feu, de l’eau, etc. » :
Léonard de Vinci, Kepler, Galilée, Harvey, etc., mais aussi déjà dans l’Antiquité Archimède ou Hiéron
d’Alexandrie par exemple. La méthode expérimentale définit de même l’esprit propre aux « divers métiers »,
c’est-à-dire les techniques, « de nos artisans » : le mécanisme dont Descartes est le défenseur est le même.
Entre les deux manières de faire, il ne se trouve qu’une différence de grandeur et de complexité.
4) Ainsi les hommes seraient-ils en mesure de se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». C’est
là l’idéal baconien de la science : s’asservir la nature, se la soumettre à des fins humaines rationnelles,
conformément à une conception instrumentale de la technique. La technique moderne ainsi définie
arraisonne la nature (Heidegger), c’est-à-dire la subordonne tout entière au principe de raison en même
temps qu’elle en exploite les énergies cachées, ou les forces, par un dévoilement pro-vocateur de son
essence, et pour le seul usage des hommes, dont les capacités propres se trouvent par elle décuplées.
[2ème partie : explication du second moment]
1) L’exploitation de la nature que permettrait la technique moderne rationnelle suivant Descartes « n’est pas
seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices », c’est-à-dire à des fins qui seraient celles du
développement de la raison technicienne pour elle-même – la technique en soi-même ne prescrirait aux
hommes aucune fin –. Les « artifices », au sens étymologique, sont ici les arts de l’ingénieur, les arts et
métiers ou les arts appliqués. C’est l’utilité réelle des hommes qui se trouve visée, en particulier dans les
domaines de l’agriculture – « fruits de la terre » –, où l’usage des machines simples permettrait de diminuer
considérablement la peine que prennent dans leur travail les laboureurs, de l’exploitation minière – « toutes
les commodités qui s’y trouvent » –, considérablement développée à partir de la Renaissance en Europe, de
l’industrie humaine en général et des travaux publics. Descartes lui-même s’est à plusieurs reprises occupé
de la construction de machines qui permettraient d’alléger le travail des hommes : leviers, grues, miroirs
elliptiques, etc.
2) Mais la méthode pratique serait aussi avantageuse « pour la conservation de la santé » : les hommes
seraient par suite d’autant plus attachés à la vie qu’elle en deviendrait de beaucoup plus aisée. Mais pourquoi
cette importance accordée ici à la santé ? « La conservation de la santé a été de tout temps le principal but de
mes études », écrit ailleurs Descartes (Lettre au marquis de Newcastle, octobre 1645). Cf. aussi À Élisabeth,
mai-juin 1645. La santé du corps est dans l’esprit du cartésianisme la condition première de l’exercice de la
raison. Les dispositions d’esprit dans lesquelles se trouvent les individus en dépendent.
3) La morale elle-même comme les passions dépendraient de la physiologie individuelle – le
« tempérament », c’est-à-dire la « disposition des organes », au sens propre de l’expression –. Cette thèse
sera plus tard réaffirmée entre autres par le marquis de Sade. Là est tout l’esprit du rationalisme moderne,
fondé sur la science, à l’opposé d’autres croyances. Cf. a contrario Pascal, pour qui « la maladie est l’état
naturel du chrétien ». Il se trouve même chez Pascal une « Prière pour demander à Dieu le bon usage des
maladies ».
[3ème partie : approfondissement réflexif et critique]
1) Dans cet extrait de Descartes se trouve en substance tout l’esprit de la science moderne, en opposition
complète avec celui cultivé dans les Universités médiévales tel qu’il fut souvent décrié. L’esprit d’autorité se
trouvait prétendument substitué à la raison : magister dixit. Les textes anciens, soutient-on fréquemment,
n’étaient pas même lus dans leur langue originale, au point que lorsque les professeurs rencontraient une
citation grecque dans la traduction latine d’usage ils ne pouvaient que faire aveu d’ignorance : Graecum est,
non legitur. Aristote lui-même était devenu méconnaissable, parce que traduit du grec en syriaque, du
syriaque à l’arabe, puis retraduit de l’arabe en latin. Le raisonnement pur était préféré à l’expérimentation, ce
qui fit que les scolastiques passèrent à côté de bien des découvertes majeures qu’ils auraient pu faire : celles
de la pesanteur, de la gravitation, de la circulation sanguine, du vide. Mais ce fut surtout en médecine que
l’ignorance et la présomption des docteurs furent les plus préjudiciables, comme en portent témoignage les
comédies de Molière.
2) Il conviendrait cependant d’éviter en ce domaine la caricature. Non seulement la méthode expérimentale
se trouvait déjà à l’honneur avant même qu’elle ne soit bien plus tard théorisée par Claude Bernard, mais ce
n’est pas même celle que Descartes lui-même appliquait le plus souvent. Il lui préférait à l’évidence une
méthode déductive inspirée de la géométrie, même s’il met ici en avant l’induction tel qu’il a pu la pratiquer
en plusieurs occasions, notamment dans l’étude du corps humain, et dont il a pu apprécier l’utilité.
3) On trouve néanmoins ici en germe une autre opposition qui se trouvera plus particulièrement soulignée au
siècle suivant : celle entre les croyances religieuses qui ne feraient qu’encourager l’ignorance, en réprouvant
l’usage de la méthode expérimentale, et la science moderne. Ernest Renan, dans ses Discours et Conférences,
en mars 1888, a bien montré que s’il s’est trouvé entre les VIIIe et XIIIe siècles d’authentiques penseurs et
savants dans le monde musulman par exemple, c’est en raison de ce que l’islamisme n’avait pas encore
définitivement triomphé du rationalisme hérité des anciens Grecs, en particulier en Espagne, en dépit de
Mahomet, au temps d’Averroès : « Ce qui distingue essentiellement le monde musulman, c’est la persuasion
que la recherche est inutile, frivole, presque impie ; impie la science de la nature, parce qu’elle est une
concurrence faite à Dieu ; impie la science historique parce que, en s’appliquant à des temps antérieurs à
l’islam, elle pourrait raviver d’anciennes erreurs. Conséquences : la paresse d’esprit, l’indifférence
deviennent des vertus. Allah aalam, « Dieu sait mieux ce qui en est », est le dernier mot de toute discussion
musulmane. » L’esprit de la Renaissance et des temps modernes fut exactement contraire à celui-là. Et
l’enthousiasme de Descartes pour les applications encore possibles de la science moderne dans le domaine
pratique est quelque peu exclusif, mais somme toute bien naturel.
[Conclusion]
[Résumé de la démarche suivie]
Dans une première partie, nous avons montré comment se concevait selon Descartes l’opposition entre la
philosophie scolastique et la philosophie moderne dont les applications, même encore attendues, au domaine
pratique sont indéniables. Dans une deuxième partie, nous avons fait ressortir le double avantage de la
méthode pratique, en vue de l’exploitation de la nature comme pour la médecine. Dans une troisième partie
enfin, nous avons légitimement opposé l’esprit de la science moderne à celui des Universités médiévales
comme de la croyance religieuse, en particulier musulmane.
[Solution du problème posé]
Il n’est aucune raison, semble-t-il, de se priver des techniques rationnelles que les sciences nouvelles
permettent de constituer. La défiance actuelle à l’égard de la technique moderne s’avèrerait bien suspecte.
Tout au plus conviendrait-il de se méfier de certains de ses usages que les hommes eux-mêmes pourraient
être tentés de faire.