Contrôles d`identité: à Londres, la police remet un reçu depuis 1986

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Contrôles d`identité: à Londres, la police remet un reçu depuis 1986
Contrôles d'identité: à Londres, la police remet un reçu
depuis 1986
17 octobre 2012 | Par Louise Fessard
Au Royaume-Uni, les policiers remettent, depuis 1986, un reçu à l'issue de chaque Stop and
search (fouille). Ce ticket indique notamment l'origine ethnique déclarée par la personne
fouillée. C’est d’ailleurs le seul État membre de l'Union européenne qui collecte de façon
systématique des données de contrôles policiers en relation avec l'appartenance ethnique.
Entretien avec l'inspecteur en chef Carl Lindley, entré en 1985 dans la Metropolitan Police
(MET), la police du Grand Londres.
Quand les policiers britanniques ont-ils commencé à remettre une fiche aux personnes
fouillées et pourquoi ?
Carl Lindley : Nous avons commencé à devoir motiver les raisons du contrôle et de la fouille
en 1986, en application du Police and Criminal Evidence Act (PACE) voté deux ans plus tôt.
Cette loi faisait suite aux émeutes de Brixton en avril 1981. La communauté noire (issue des
Caraïbes – ndlr) était vraiment mécontente des contrôles vécus comme discriminatoires. (En
mars 1981, une vaste opération de lutte contre les cambriolages eut lieu à Brixton. En six
jours, 943 personnes, pour la plupart noires, furent fouillées par la police et 118 arrêtées –
ndlr.)
Le rapport Scarman, commandé par le gouvernement après les émeutes, a montré que la
population ne faisait pas confiance à sa police et à sa façon de faire régner l’ordre. Plusieurs
lois anciennes furent supprimées au passage, comme une loi sur le vagabondage datant de
1824 qui permettait aux fonctionnaires de police de fouiller une personne suspecte, mais sans
avoir à définir la raison pour laquelle elle était suspecte, ou une autre datant de 1839, qui
autorisait les policiers de la MET à fouiller quelqu’un s’ils pensaient que la personne portait
des objets volés.
La nouvelle loi PACE impose au fonctionnaire de justifier objectivement ses raisons de
soupçonner la personne qu’il veut fouiller, en remplissant un formulaire. Le policier relève le
nom, l’adresse, la date de la naissance de la personne fouillée, ainsi que l’ethnie donnée par le
policier et celle donnée par la personne, sa taille, son genre, les motifs du contrôle, son
résultat, ainsi que l'identité du policier et le commissariat où il/elle travaille. À l’origine, la
personne fouillée pouvait seulement obtenir une copie de cette fiche si elle en faisait la
demande au commissariat de quartier, dans l’année suivant le contrôle. Tout ça s’est mis en
place progressivement en Angleterre et au pays de Galles.
Formulaire rempli par les policiers londoniens à chaque fouille.
À quand remontent les statistiques ethniques sur ces Stop and Search ?
À Londres, nous avons commencé à rassembler ces informations en 1992. Ça a été aussi le
cas à peu près à la même période dans le reste de l’Angleterre et du pays de Galles, mais
comme nous avons 43 unités de police indépendantes différentes, je ne connais pas les dates
pour chacune. Au début, c’était uniquement le policier qui déterminait l’appartenance de la
personne fouillée avec six grandes catégories. Aujourd’hui, nous demandons aussi à la
personne concernée de la définir.
Il y a 17 catégories : blanc britannique, blanc irlandais, etc. Nous avons beaucoup de relations
avec les communautés et nous tenons compte de leurs avis afin d’essayer d’inclure tout le
monde dans la façon dont nous gérons la police de nos villes. Quand les gens nous
demandent : « Contrôlez-vous plus les gens de cette appartenance ethnique ? », nous devons
pouvoir répondre.
Ces données sont donc publiques ?
Oui, nous publions les chiffres tous les mois pour chacun des 32 secteurs (boroughs) de
Londres. Nous n’avons rien à cacher. Entre octobre et décembre 2011, les policiers de la MET
ont fouillé 116 000 personnes, dont 33 900 se définissant comme “noires” et 18 700
originaires d'Inde ou du Pakistan. Ces chiffres montrent une disproportionnalité des fouilles,
puisque, à Londres, il y a 5 à 6 fois plus de personnes blanches que noires. Mais montrer ces
chiffres est un pas de géant pour s’assurer de la confiance de ces communautés.
La tenue de ces statistiques et la remise de tickets lors des fouilles ont-elles permis de
faire baisser cette disproportion ?
Ça a un peu baissé, mais depuis plusieurs années, les chiffres ne bougent plus. Une personne
noire a 4,5 fois plus de risques d’être contrôlée qu’une personne blanche à Londres, et plus
globalement une personne issue d’une minorité ethnique 3,8 fois plus de risques. Il y a donc
toujours une disproportion.
Feuillet remis à la personne fouillée avec les codes des catégories ethniques, les motifs du
contrôle et son résultat.
Comment l’expliquez-vous ? Est-ce un échec ?
Notre but n’est pas de faire évoluer les pratiques des policiers, mais de conserver la confiance
des communautés et leur montrer que nous agissons de façon juste. Il y a des raisons à ce
manque de proportionnalité.
D’abord, le recensement de la population londonienne, qui sert d’échantillon représentatif,
remonte à 2001. En dix ans, il y a eu beaucoup de mouvements de populations, comme à
Newham avec une arrivée importante d'immigrés somaliens par exemple. (Newham est le
quartier londonien comportant le plus de résidents appartenant à une minorité ethnique :
70 % en 2008. Et également, le plus gros turnover de populations, 19 % des habitants de
Newham ayant quitté ou rejoint le quartier entre 2001 et 2007 – ndlr.)
De plus, ce recensement ne prend en compte que les résidents, alors que beaucoup de gens
viennent de l’extérieur de Londres pour y travailler, aller à l’école, ou étudier par exemple. Ce
qui fait que la population sur laquelle on se base pour dire qu’il y a une disproportion des
contrôles envers certaines minorités n’est pas très représentative des gens qu’on croise
réellement dans les rues londoniennes.
À partir d’un certain âge également, on est moins enclin à passer du temps dans la rue avec
ses amis. Or la population âgée à Londres est plutôt blanche, donc voilà autant de « blancs »
qui ont moins de chance de se faire contrôler. Mais il ne s'agit pas de discrimination.
Autre facteur important, certaines communautés sont beaucoup plus victimes de crimes que
d’autres. Par exemple, à Londres, les trois quarts des victimes de crime par arme à feu sont
noires (Mediapart n'a pas pu vérifier ce chiffre, mais une étude de 2011 du ministère de
l'intérieur britannique note que 63 % des victimes noires d'homicide au Royaume-Uni ont été
tuées sur la zone du Grand Londres, soit la zone gérée par la MET – ndlr). De même,
beaucoup de crimes sont commis dans des quartiers très pauvres, souvent habités par des
minorités ethniques. C’est donc là que la police va concentrer ses contrôles, mais sans volonté
de discriminer. Il s’agit plutôt de protéger la population de ces quartiers.
À quoi servent ces statistiques, en dehors de l'information du public ?
Ces statistiques nous permettent surtout d’avoir un suivi de la performance de nos services.
Aujourd’hui, 16,5 % des contrôles aboutissent à un résultat positif (arrestation, procès-verbal
ou avertissement, par exemple pour port de drogue), nous visons 20 %. Nous voulons aussi
réduire de moitié les fouilles pour port de drogue qui représentent actuellement 55 % des
fouilles réalisées, car notre priorité est plutôt de lutter contre le port d’armes.
Par ailleurs, nous tentons également de réduire de moitié le nombre de fouilles menées dans le
cadre de la section 60 du Criminal Justice and public Order Act de 1994. Selon cette loi (très
critiquée par les organisations défendant les droits de l’homme – ndlr), en cas de suspicion de
violences ou de détention d’armes dans un secteur donné, les responsables policiers locaux
peuvent ponctuellement autoriser leurs agents à mener des contrôles, sans avoir à justifier de
l’existence d’un « soupçon raisonnable »*.
Pourtant, en 2010, un rapport de l'Equality and Human Rights Commission pointait
encore des discriminations raciales lors de contrôles ?
Je ne connais pas ce rapport. Je ne peux pas dire que nous ayons éliminé ces contrôles
discriminatoires, mais j’aimerais bien. Les fonctionnaires de police restent des êtres humains,
mais nous avons fait beaucoup, sur le plan de la formation, de la surveillance de leur activité,
de l’examen scrupuleux des plaintes, pour éliminer ces pratiques.
Ici, tout le monde commence comme gardien de la paix, même le préfet de police de Londres.
Depuis que je suis entré dans la MET, le professionnalisme des fonctionnaires de police s’est
beaucoup amélioré. J’ai vu des améliorations énormes dans le respect pour les gens fouillés,
la façon de leur parler, etc. Nous avons beaucoup appris de nos erreurs, par exemple des
erreurs dans l’enquête menée après la mort de Stephen Lawrence (un étudiant noir de 18 ans
tué de plusieurs coups de couteau à un arrêt de bus londonien, le 22 avril 1993 – ndlr). Ce
meurtre a été très important dans l’évolution des relations entre la police et les communautés.
En 1999, le juge Sir William Macpherson, qui examina la première enquête de la police
londonienne, avait conclu que la force policière était « institutionnellement raciste ». Ce
document a provoqué beaucoup de changements dans notre façon d’agir.
------------------------* La législation britannique permet également aux policiers de contrôler des personnes, en
l'absence de soupçon raisonnable, dans le cadre de la lutte antiterroriste (section 44 du
Terrorism Act de 2000). En janvier 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé
que ces contrôles d'exception étaient illégaux et violaient les libertés individuelles. Selon le
Guardian, aucune de ces fouilles menées dans le cadre de l'antiterrorisme n'a conduit, en 2010
et 2011, à des arrestations pour terrorisme. Et moins de 1 % ont conduit à des arrestations
pour d'autres infractions.
Pour les syndicats de police français, le fait de devoir remplir un ticket serait trop long
et pesant. Comment cela se passe-t-il à Londres ?
Effectivement, il y a deux arguments contre la remise d’un formulaire : d’abord, le policier
doit prendre le temps de le remplir, et, de ce fait, il doit garder la personne contrôlée à
disposition dans la rue pendant plus longtemps. Je pense qu’il faut environ un petit quart
d’heure. Il faut donc expliquer aux citoyens pourquoi nous leur demandons tous ces détails.
S’ils ne veulent pas donner leur nom, ils ont le droit. Mais la plupart le donnent, car ils nous
font confiance. Aujourd’hui, beaucoup des policiers de la MET sont dotés d’un outil
électronique, semblable à un smartphone, qui leur permet d’entrer tous les détails et de les
transmettre immédiatement. Si la personne veut une copie, celle-ci lui est envoyée par
courrier.
Les données recueillies sont nominatives, et permettent de savoir qui se trouvait où, en
compagnie de qui, à un moment précis. Peuvent-elles être utilisées ensuite comme un
fichier de police lors d’investigations criminelles ?
Oui, ça peut être utilisé. Mais si la personne a été contrôlée à proximité d’un lieu de crime,
cela ne veut pas dire qu’elle est coupable. C’est parfaitement connu et si la personne contrôlée
n’a rien à se reprocher, cela ne pose pas de problème. De toutes façons, nous avons des
caméras partout à Londres ! Garder les noms permet surtout, en cas de plainte, de savoir
combien de fois la personne a été contrôlée et si elle a effectivement été victime de
discrimination. En cas de recours, c’est à la police de justifier chaque contrôle effectué. Au
départ, beaucoup de plaintes portaient sur le comportement des policiers pendant le contrôle.
Aujourd’hui, c’est moitié-moitié avec les plaintes sur le fait d’être contrôlé.
Vous étiez invité le 8 octobre 2012 au colloque du Défenseur des droits, que pensez-vous
des relations entre police et citoyens en France ?
J’ai beaucoup travaillé avec la police française, mais ce n’est pas comparable. L’histoire, les
raisons d’être de la police française, les lois qui l’encadrent, son organisation, son lien avec
les communautés, sont totalement différents.
C'est une réponse très politiquement correcte.
Non, je le pense vraiment, il n'y a pas de comparaison possible. Par exemple, une grande
partie du territoire français est contrôlée par les gendarmes, qui sont des militaires. Chez nous,
l’armée n’a pas ce pouvoir.

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