News Mili

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Chroniques d’un para – 5 mai 1944
Recherches et mise en page par
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Chroniques d'un para, René THOMAS
(Brevet 1807)
Il y a peu, lors d’une banale
pérégrination dans un temple
de la consommation, ma
mère, qui m’accompagnait,
me faisait remarquer les
discrets attributs accrochés au
revers du veston d’un fier
grand père.
Nous reconnaissons
instantanément l’insigne du
Premier Régiment de
Chasseurs Parachutistes.
Spontanément, mon regard
croisant le sien, je lui
déclamai : "641704 !" auquel il
me répondit aussi
promptement : "1807 "
Pour ceux qui ne seraient pas
"passés par la portière", nous
venions d’échanger nos
numéros de brevet
parachutiste.
Conversation engagée, nous
nous rendîmes compte que
nous avions foulé la terre de
Jebsheim tout deux, moi pour
commémorer le sang que lui
et ses camarades avaient
versés 60 ans auparavant
pour libérer les Vosges…
En 1940, il a 17 ans. Les années de guerre qui suivent vont être une véritable épopée, du STO au
1er RCP, d’évasions puis d’enfermements, de blessures et de faits d’héroïsme, des bunkers de
Cherbourg à la forteresse de Figuères, des camps d’entraînement au Maroc à la terrible bataille
de Jebsheim …
Aujourd’hui, René Thomas, 88 ans, offre aux lecteurs de Theatrum Belli deux extraits issus des
mémoires qu’il est en train d’écrire. Des entretiens filmés seront réalisés qui seront également mis
en ligne sur TB.
Pascal DUPONT
- Ancien du 1er RCP
- Auteur-réalisateur de documentaires pour la télévision ("Chroniques du 9.3.")
- Co-animateur de l'opération NUNTIUS BELLI en soutien des soldats français en Afghanistan.
Mon premier saut
Le Coup de sifflet pour le rapport de cinq heures vient de retentir. Nous bondissons hors de nos
tentes, telles une volée de moineau. Au centre du carré que nous formons, le moniteur est là,
bombant le torse et un sourire satisfait aux lèvres : "Ça y est les gars ! Le grand jour est venu !
Votre premier saut demain matin ! Rendez-vous au magasin, à sept heures pour percevoir votre
jeu de parachutes. Surtout du cran et pas de dégonflés. Tachez de faire honneur à votre moniteur
et aux anciens. Bonne chance et rompez les rangs."
L’événement tant attendu et tant redouté est arrivé : je ne sais si je dois m’en réjouir ou m’en
attrister tellement ma gorge est serrée. Enfin … contrairement à mon habitude, ce soir là, je n’ai
guère mangé et le sommeil tarde à venir. A l’aube, je suis réveillé : ce n’est pas ordinaire. Je
consulte mon bracelet montre : cinq heures. J’allume nerveusement une cigarette que je jette
presque aussitôt. Vraiment, ça ne va pas ce matin !
Je m’équipe et je prends bien soin d’enfiler sous ma combinaison de toile, de chauds vêtements
de laine.
Au magasin, un jeu de parachute m’est donné : un dorsal et un ventral. Ce sont des parachutes
Américains type T5 –SOA- à ouverture automatique.
J’ausculte le dorsal : je trouve qu’il est plat, qu’il a mauvaise mine ; suivant une expression chère
aux anciens, on pourrait y mettre quelques casse-croûte.
En groupe, nous nous dirigeons vers l’avion, un Dakota C47. Est-ce l’appréhension, mais il me
semble qu’il fait plus froid que de coutume ce matin.
Les moteurs sont mis en marche : ils se réchauffent à leur manière eux aussi.
L’adjudant nous dispose en colonne par un et par groupe de neuf, deux groupes par avion.
L’appel est fait. Dernières recommandations : "Alors … hein … N’oubliez pas de compter 331 …
332 … 333 … Vous levez la tête et si la voilure n’est pas déployée, n’hésitez pas, mettez vous en
position et larguez le ventral."
Machinalement, je caresse la petite poignée rouge, à droite, sur mon ventral. Les parachutes sont
lourds mais je ne les sens pas. Premier passage par ici. Le dernier à la file monte le premier à
l’avion et vice versa. Je suis le dernier à sauter.
Brusquement, le gros taxi s’ébranle. Nous nous cramponnons. Il vire, secoue ses gros membres
engourdis par le froid de la nuit.
Les moteurs tournent à plein rendement. Le vent glacial des hélices fait voler le sable sur l’aire de
départ. Brusquement, il démarre : la queue vient de se lever et bientôt, nous nous soulevons
lentement et sans heurts dans les airs.
Le gros oiseau argenté de Duralumin vient de décoller emportant dans ses flancs rebondis, dixhuit jeunes parachutistes, un peu pâles, car c’est leur premier saut.
Au commandement du moniteur, nous accrochons le mousqueton de la sangle de notre parachute
dorsal au câble d’acier qui longe le fuselage, au-dessus de nos têtes. Nous tirons un coup sec
pour nous assurer qu’il est bien fixé.
Quelques spirales dans le ciel : 500 … 600 … 700 mètres. L’altitude monte, la température
baisse, ce qui n’empêche pas de transpirer.
L’avion ralentit, pétarade. J’entends un bruit de clou sur du fer. Le premier vient de sauter. Cela
s’est fait tellement vite que je n’ai rien vu. Il est un fait : nous avons peur, c’est pourquoi nous
essayons de fredonner un semblant de chanson, dont les échos se perdent dans le bruit
assourdissant des moteurs.
Je sens mes jambes qui fléchissent et pour me calmer les nerfs, je mâchonne une grosse boule
de chewing-gum.
Mon prédécesseur vient de plonger. Maintenant, c’est à mon tour. Je suis à la porte, les mains
crispées à la carlingue. La peur est tombée d’un seul coup. Je souris même aux inscriptions qui
s’étalent sur le côté gauche :"Défense de se pencher au dehors." Malgré tout, mon cœur bat à
grands coups : "Est-ce que mon pépin va s’ouvrir ? …"
Tout à coup, le bras du moniteur vient de s’abaisser. C’est le signal du départ. Je porte vivement
la main à la poignée de mon ventral et je plonge. Allez ! Allez ! Bon Dieu et brusquement, je suis
dehors, sans m’en rendre compte. Instinctivement, je tends les bras pour me raccrocher à quelque
chose, mais en vain.
C’est incroyable comme je suis calme. Je me sens glisser sous l’appareil, ballotté dans tout les
sens au milieu des remous d’air et c’est la chute d’abords oblique, puis à la verticale. Je ne
compte pas : la tête dans les épaules, j’attends. Un choc, un mouvement de pendule assez
violent, je lève la tête : ma voilure est bien ouverte.
Tout à mon aise, j’admire les quelques vingt-huit pièces qui étoilent ma coupole de soie. Soudain
je me rappelle qu’il me faut atterrir . La terre ne semble pas venir. Je me balance doucement au
gré du vent à quelques cinq cent mètres d’altitude. Au lointain, les hangars et les tentes du
cantonnement : on dirait un campement d’indiens. A l’horizon, l’énorme disque pourpre du soleil
levant …
La terre monte d’un seul coup. J’ai l’impression que ma vitesse s’accroît. Le vent me pousse vers
le bout de la piste. Je réalise : "Vent debout" Je croise ms sangles au dessus de ma tête. D’en bas
me parviens un vague "Serre les jambes" et boum !
C’est le contact assez rude avec le sol. Un roulé-boulé stylé et me voilà debout. Comme une
énorme bulle de savon, le parachute se pose délicatement à une dizaine de pas. Je tire les
suspentes inférieures : la coupole s’affaisse.
Mes oreilles bourdonnent. J’ôte mon casque : une petite brise fraîche me caresse le visage. C’est
fini ! Que d’émotions et de joie ! Et quelle fierté aussi.
5 mai 1944
Le jour se lève. Il fait beau et le vent est pratiquement nul. La huitième compagnie est rassemblée
sur le tarmac de la piste de l’aérodrome, car nous allons effectuer un saut d’entraînement. Nous
embarquons dans les Dakotas qui nous attendent, moteurs tournant.
Une, deux, trois spirales : Trois cent, cinq cents, sept cent mètres.
Le stick au complet (équipe de parachutistes largués par le même avion) s’est levé et tout les
"gaziers" ont accrochés le mousqueton de la sangle du parachute dorsal au câble d’acier qui
longe le fuselage au dessus de nos têtes, après avoir tiré un coup sec pour s’assurer qu’il est bien
fixé.
Je suis calme, étonnamment calme …
Soudain, la lampe verte s’allume : c’est le "go" de départ. Je saute en avant-dernière position et je
plonge face à la queue de l’appareil.
Machinalement, je compte 331.332.333. J’attends le choc à l’ouverture du « pépin »J Je lève la
tête et je réalise que mon dorsal est en torche.
Face au ciel, main gauche sur mon ventral, de la droite, je tire la poignée. Libéré, le petit
extracteur sort, entraînant la voilure que, dans ma précipitation, je néglige, grosse erreur, mais
que voulez-vous, lorsque vous chutez à plus de cent cinquante kilomètres heure, les secondes
sont précieuses, de projeter en avant. Celle-ci, attirée par l’appel d’air du dorsal en torche,
s’entoure autour de celui-ci, c’est la double torche.
Je crie … je hurle … je me débats comme un beau diable, tirant sur les suspentes pour les
démêler. La terre monte, monte, à toute vitesse …
Et puis, ô miracle, un claquement sec, une grande secousse dans les épaules, mon ventral s’est
dégagé du dorsal.
Quelques secondes après, c’est le contact brutal avec le sol. J’ai la malchance d’atterrir "comme
un sac de noix" au milieu d’une vigne.
Ma tête, heureusement casquée, heurte et fracasse un gros cep de vigne. Le choc est si violent et
si grande la douleur que je m’évanouis.
Combien de temps a duré ma perte de connaissance ? … Je ne saurai le dire.
Je souffre atrocement. Du liquide chaud coule sur mes joues. Avec ma main, mon bras droit étant
encore valide, je tâte et je constate que c’est du sang.
Des bruits de voix me parviennent … je ne suis plus seul … les secours arrivent …
Les infirmiers, avec d’infinies précautions, me déposent sur une civière. Une piqûre – morphine
sans doute- et je sombre à nouveau.
Lorsque je me réveille, je suis allongé sur un lit de camp, à l’hôpital de campagne de Pacéco,
distant de quelques kilomètres.
Je suis au bon soin du Capitaine Manine, médecin-chef du deuxième bataillon et de l’infirmier
Spieser, qui deviendra par la suite un ami très cher.
Le toubib diagnostique une fêlure de la rotule du genou droit, l’épaule gauche déboîtée, les biceps
du bras gauche déchirés et de nombreuses "knocks" sur tout le corps. Il se veut rassurant : dans
quelques semaines, je serai sur pied.
Les jours sont longs … horriblement longs. Les nuits interminables, plus encore, dans mon
immobilité obligatoire. Heureusement, deux fois par jour, le médecin passe avec Spieser qui
change mes pansements.
J’ai de nombreuses visites : Le Capitaine Malfoy, l’aumônier du Régiment, un saint homme, à la
tête de Christ, qui me dispense ses paroles de réconfort.
Et puis, tout mes copains du peloton qui m’apportent des friandises et des nouvelles de la
compagnie.
Celles-ci ne sont pas bonnes : mon camarade Vimard s’est tué en s’écrasant, non loin de moi, son
parachute en torche et n’ayant pas eu ma chance.
Le 8 Mai, Visekioni qui est mort d’une méningite cérébro-spinale à l’hôpital de Palerme.
Quinze jours viennent de passer, aussi monotones.
Mes douleurs se sont atténuées : mes blessures sont cicatrisées et le toubib m’a autorisé à
bouger un peu et m’annonce ma sortie pour la semaine prochaine.
Je viens de réintégrer le cantonnement et c’est avec un plaisir évident que je retrouve tous les
camarades. Après cet événement douloureux, je me sens revivre …