Juin 1941 Escalade en Indochine

Transcription

Juin 1941 Escalade en Indochine
Juin 1941
2 – La tension en Asie-Pacifique
Escalade en Indochine
1er juin
Pluie de galons
Chine et Indochine – Le chef de corps du BMICC, François Artigue, est officiellement
promu aujourd’hui au grade de lieutenant-colonel.
A Hanoi, le lieutenant-colonel Marcel Alessandri est promu colonel ; il prend le poste de chef
de corps du 5e Régiment Etranger d’Infanterie. C’est le lieutenant-colonel Lapierre, ancien
chef d’état-major de la division du Tonkin, qui le remplace au poste de chef d’état-major de
l’Indochine ; il accède par la même occasion au grade de colonel.
2 juin
3 juin
4 juin
Un plan sans faille ?
Fort Bayard, territoire du Kouang-Tchéou-Wan – C’est avec un certain soulagement que
le sous-secrétaire d’Etat Roland de Margerie peut enfin lancer « sa » conférence diplomatique
dans ce petit Territoire, qui n’a pas bénéficié d’autant d’attention depuis sa création, une
quarantaine d’années plus tôt ! Il faut dire que si les Japonais ont su faire preuve d’amabilité
avec les Français, ils ne se sont pas privés, à l’occasion, de faire traîner certaines formalités.
Du coup, l’organisation de la conférence a pris plusieurs jours de retard par rapport au
programme prévu.
Pour l’occasion, Margerie est entouré de M. Le Prévost, administrateur du Territoire, de
l’amiral Decoux, gouverneur de l’Indochine, et du colonel Henri Casseville, conseiller
militaire du ministre des Colonies, Marius Moutet. Sont également présents tous les consuls
français en Chine : MM. Cadol, en poste à Swatow ; Chaloin, en poste à Chengtu ; Colin,
consul à Tientsin ; Gandon, en poste à Kunming ; Germain, secrétaire-interprète, chargé du
consulat de Moukden ; Reynaud, consul à Shanghai ; Salade, consul à Nankin ; Siguret,
consul à Hankéou ; Simon, consul à Canton. Ces Messieurs sont réunis à l’Hôtel du Résident
supérieur.
En parallèle à cette conférence se tient au Pavillon des Officiers une réunion carrément
militaire. Autour du commissaire Jacquet, chef des forces de police présentes sur le Territoire,
elle réunit le colonel Eissautier, commandant les Troupes Françaises en Chine ; les
lieutenants-colonels Artigue et Onno, chefs de corps des deux Bataillons Mixtes d’Infanterie
Coloniale en Chine ; l’inspecteur Robert Jobez, numéro 2 de la police de Shanghai ; le
capitaine Robert Van Weyenbergh, détaché du 5e REI pour l’instruction des recrues
étrangères qui seront regroupées à Fort Bayard.
La première conférence entérine l’indépendance du Kouang-Tchéou-Wan par rapport à
l’Indochine, avec un statut de colonie à part entière. Excepté sur un point : le budget ! En
effet, Decoux a négocié que le budget du Territoire ne devienne autonome qu’à la fin de
l’année 1941 « afin de ne pas contrarier le fonctionnement de nos deux territoires ». L’amiral
est pragmatique : l’Incident du Printemps a montré que l’Indochine était en situation précaire,
et dans ces conditions, il préfère concentrer ses moyens pour renforcer au maximum sa
défense, fût-ce au détriment d’un territoire secondaire dont l’ennemi potentiel est encore
éloigné.
La question de la mobilisation des ressortissants français des différentes concessions et villes
chinoises est aussi évoquée. En effet, si certains d’entre eux participent aux combats depuis la
déclaration de guerre, il s’agit en grande majorité de personnes qui se trouvaient en Métropole
ou en Afrique du Nord en 1939 et ont donc été normalement incorporées. Depuis, seuls des
volontaires particulièrement motivés ont rejoint l’Indochine pour s’engager (généralement
dans les unités d’artillerie ou les RIC). Il convient donc d’organiser une mobilisation générale
sur les territoires français en Chine : tout ressortissant français répondant aux critères de
mobilisation (moins de 40 ans, sexe masculin, apte physiquement) devra être transféré à Fort
Bayard. Dans chaque consulat, un bureau de recrutement devra être créé pour organiser ce
transfert. Pour éviter que les autorités japonaises n’y fassent obstacle, Margerie précise qu’il
sera possible de donner à Tokyo « l’assurance que les engagés français de Chine seront
incorporés dans des unités ne se situant pas en Asie ». Il en sera de même pour les
ressortissants étrangers désireux de s’engager dans la Légion. Dans le même esprit, les
autorités consulaires françaises devront faire preuve d’une attitude « bienveillante » dans le
conflit sino-japonais, « dans les limites de notre neutralité ».
Bien entendu, des fonds seront débloqués pour aménager le futur QG des TFC à Fort Bayard.
Ce qui conduit l’administrateur Le Prévost, qui devrait partir à la retraite dans les prochaines
semaines – mais où ? – à faire une sortie remarquée et teintée d’amertume : « En septembre
1939, j’ai demandé trois mitrailleuses pour assurer la défense du Territoire. J’ai dû avoir
recours à une conscription pour nous les payer ! »
La conférence du Pavillon des Officiers, elle, a pour fonction première de déterminer quelles
unités seront concentrées au Kouang-Tchéou-Wan. Il est convenu qu’une compagnie du
BMICCN et deux du BMICC gagneront le Territoire, avec une section de chars FT et des
éléments provenant des détachements des autres possessions françaises de Chine. La police de
Shanghai transférera à Fort Bayard deux compagnies d’Annamites et Tonkinois, ainsi qu’une
compagnie “russe” et la moitié de la compagnie des Volontaires Français. Il est convenu que,
dans un premier temps, le transfert se fera sur la base du volontariat.
Le capitaine Van Weyenbergh, du 5e REI, aidé par un petit groupe de sous-officiers et
d’hommes de troupe détachés du Régiment du Tonkin, accueillera les recrues étrangères afin
de procéder à leur instruction. Quant à l’artillerie, pratiquement inexistante dans les TFC, le
Territoire devrait en recevoir « prochainement » quelques éléments, selon l’envoyé du général
Noguès. Enfin, à l’automne, le Francis-Garnier rejoindra l’Indochine, mais l’appui d’un
croiseur auxiliaire « au moins » est promis à Fort Bayard.
Cependant, au grand désarroi des principaux participants, tous ont reçu de leur hiérarchie une
note les informant que le 5e REI et même le régiment-cadre du 1er REI à Alger se réservaient
le droit de ponctionner les troupes ainsi concentrées au Kouang-Tchéou-Wan en fonction des
besoins en hommes en Indochine ou en Méditerranée.
Tout est planifié. Il ne reste plus aux Troupes Françaises en Chine qu’à mettre en œuvre ces
plans, alors qu’à Alger on pense principalement à la Méditerranée et qu’en Indochine on
pense principalement à soi.
5 juin
6 juin
7 juin
8 juin
Tokyo – Le gouvernement japonais envoie une lettre au Premier ministre thaï et au HautCommissaire français en Indochine, réclamant le droit de stationner des troupes à la frontière
entre la Thaïlande et l’Indochine « pour prévenir de nouveaux affrontements et préserver la
paix après l’accord provisoire franco-thaïlandais ». Cette demande est rejetée par le HautCommissaire.
9 juin
10 juin
11 juin
12 juin
Bangkok – Le gouvernement thaï accepte officiellement le déploiement de forces japonaises
en Thaïlande.
Mer de Chine – Un grand convoi japonais se dirigeant vers le Golfe de Siam est détecté par
le sous-marin français Sidi-Ferruch. Le “pacha” de celui-ci, le commandant L’Herminier, se
demande un moment s’il ne ferait pas mieux d’attaquer carrément ces cargos, qui transportent
évidemment des troupes et du matériel lourd appelés à être utilisés contre les Français. La
discipline finit par prévaloir et L’Herminier doit se contenter, à regret, de transmettre
l’information au QG français à Hanoi.
13 juin
Tokyo – Le gouvernement japonais annonce officiellement le déploiement en Thaïlande de la
15e Armée, commandée par le Lt-Général Shojiro Ida, afin de « prévenir une guerre de
revanche française » contre la Thaïlande et de « faire respecter l’accord franco-thaïlandais ».
14 juin
Alger – Le gouvernement français adresse à Tokyo une protestation diplomatique, soutenue
de manière officielle par une note du Secrétaire d’Etat américain Cordell Hull au ministère
japonais des Affaires Etrangères.
15 juin
Hanoi – Avec l’accord télégraphique de Georges Mandel et de Jean Zay, l’amiral Decoux se
résigne à interdire le Clairon du Tonkin. Ce quotidien apparu en novembre 1940 avait été créé
avec des fonds provenant des plus grandes entreprises de la colonie, notamment la Compagnie
des Charbonnages de Hongaï et la Société des Brasseries et Glacières de l’Indochine. Il tirait à
plus de 20 000 exemplaires, rédigés par une équipe de journalistes dissidents, pour la plupart,
du très conformiste – et assez ennuyeux – Journal de l’Indochine qui, prétendait-on, ne vivait
que des fonds, à peine secrets, du Gouvernement général. Certains typographes du Clairon
évoquaient leurs séjours à Poulo Condor, au titre du PCI ou des mouvements nationalistes,
comme des briscards étalent leurs états de service. Le lectorat comprenait autant d’Européens,
fonctionnaires en particulier, que d’Indochinois instruits.
Le Clairon s’était tout de suite signalé par ses positions de patriotisme intransigeant, à
l’encontre de l’Empire du Soleil Levant comme de l’Allemagne. Exaspérés par ses articles
incendiaires, les Japonais n’en voulaient plus. Ils ont fait un casus belli du maintien de sa
parution.
16 juin
14 juin
18 juin
19 juin
Un Franco-Américain bien peu tranquille
Shanghai – Depuis plusieurs jours, l’ordre de mobilisation générale a été lancé dans
l’ensemble des concessions françaises en Chine et le recrutement de volontaires pour Fort
Bayard a commencé parmi les militaires et policiers. Du coup, la police de la Concession
Française de Shanghai a commencé à anticiper la baisse de ses effectifs en assouplissant ses
critères de recrutement. Des candidatures qui, un an plus tôt, n’auraient même pas été étudiées
se retrouvent maintenant considérées favorablement. Dans ces conditions, la grande peur du
Directeur Fabre est de se faire infiltrer par des espions de l’Axe, voire par des hommes de la
Bande Verte. Shanghai est la ville de tous les dangers, mais ce serait pour lui la plus grave des
défaites : il est justement arrivé en 1932, à l’initiative du consul Meyrier, pour prendre la tête
du service politique de la police de la Concession afin de briser l’emprise de ce gang sur la
Concession Française en général et sur sa police en particulier.
Cependant, des candidatures improbables qu’il a pu avoir sous les yeux ces derniers jours,
celle-ci bat tous les records.
Hilaire du Berrier, né Harold Berrier en 1905 (ou 06…) dans le Dakota du Nord, près d’une
réserve sioux, est arrivé en France au début des années 30, à la suite d’un oncle venu faire des
affaires. A cette occasion, il a changé son prénom, qu’il n’aimait pas, et il a officiellement
ajouté une particule à son nom de famille, affirmant qu’il s’agissait du nom originel de ses
ancêtres huguenots. Il utilisait d’ailleurs déjà cette particule quelques années plus tôt, alors
qu’il était pilote dans un cirque volant.
A peine en France, il multiplie les activités : directeur d’une bijouterie à Nice, manager d’une
boîte de nuit à Monte-Carlo pour le compte d’une princesse russe… Les affaires ne lui
suffisent pas, il touche à la politique et adhère à l’Action Française.
En 1935, il part pour l’Ethiopie où il devient, affirme-t-il, fournisseur d’armes pour le Négus.
Fait prisonnier par les Italiens, il réussit à s’évader puis se fait remarquer en aidant à la
protection de la légation américaine à Addis-Abeba. Après un bref intérim comme chef du
protocole et conseiller militaire du Nawab du Tigré, il rentre en Europe où il tombe en pleine
guerre d’Espagne.
Ayant rencontré le roi Alphonse XIII, il décide de rejoindre ses partisans, mais se rendant
compte qu’il combattrait aux côtés des Italiens, il préfère finalement passer du côté des
Républicains, comme pilote de chasse. Il fait quand même un peu d’espionnage au profit des
Nationalistes, qu’il renseigne sur les matériels soviétiques reçus. Cela ne l’empêche pas de
remporter une victoire aérienne contre un avion franquiste !
En 1937, il quitte l’Espagne. Toujours attiré par l’odeur de la poudre, il décide d’aller tâter de
la guerre sino-japonaise et se retrouve à Shanghai. Il tente de se lancer dans le commerce des
armes, mais sans succès. Depuis, il s’agite beaucoup (d’aucuns diraient qu’il grenouille). Il a
ajouté à son nom un titre de noblesse – comte de Berrier, rien moins ! Il est devenu intime
avec un certain Wagner, agent théoriquement secret au service des Japonais. En 1939, un
rapport anonyme fait du “comte Hilaire de Berrier” l’un des conseillers de Liu Yehcheng,
général chinois qui dépense chaque mois l’équivalent de plusieurs centaines de milliers de
dollars dans la propagande pro-Wang Jingwei (donc pro-japonaise) à Shanghai. Il semble
cependant qu’il se soit depuis quelques mois éloigné de ce douteux personnage ; c’est sans
doute pour cela qu’il a récemment multiplié les candidatures auprès de la police municipale
de la Concession Française.
Au vu de la tournure des événements et du départ de nombre de ses hommes pour le KouangTchéou-Wan, Fabre est tenté d’accepter. Bien sûr, l’homme est rien moins que fiable, mais
correctement utilisé (ou manipulé), il pourrait se révéler précieux dans la guerre de l’ombre
que les services français livrent aux Japonais, à l’Abwehr, à la Bande Verte… Entre autres.
20 juin
21 juin
22 juin
23 juin
Tokyo – Alors que les troupes de la 15e Armée japonaise arrivent par pleins bateaux en
Thaïlande, le gouvernement japonais envoie au gouvernement français une note diplomatique
officielle, réclamant la fermeture de la ligne de chemin de fer Hanoi-Kunming, seul lien de la
Chine de Chang Kaï-Chek avec le monde extérieur.
24 juin
Alger – A la suite de l’ultimatum japonais de la veille, Paul Reynaud s’envole pour
Washington afin de discuter la situation en Indochine avec le gouvernement américain. Pour
gagner du temps, il demande au Haut-Commissaire français à Hanoi de suspendre
provisoirement le trafic des trains Hanoi-Kunming à partir du 1er juillet.
25 juin
Washington – Avant même l’arrivée de Reynaud, le gouvernement américain envoie à
Tokyo une note diplomatique protestant avec fermeté contre les exigences japonaises
concernant la liaison ferroviaire Hanoi-Kunming.
26 juin
Washington – Déclaration conjointe Roosevelt-Reynaud sur la situation en Extrême-Orient.
Le gouvernement américain s’engage publiquement à soutenir « le droit de la France de
commercer librement avec la Chine » et décrit la note japonaise comme « un document
ouvertement hostile envers une nation amie ». Par ailleurs, un memorandum of understanding
secret signé par la France et les Etats-Unis prévoit une coopération navale et aérienne entre
l’Asiatic Fleet et les unités de l’USAAC aux Philippines d’une part, les forces françaises de
mer et de l’air en Indochine d’autre part.
Par ailleurs, Reynaud demande personnellement à Roosevelt d’accélérer l’envoi d’armes
selon la procédure Prêt-bail. Le gouvernement américain accepte d’allouer immédiatement à
la France 200 chasseurs Hawk 81-A2 et Hawk 87 initialement destinés aux squadrons de
l’USAAC. Le Normandie, relâchant à ce moment à New York, doit transporter en Afrique du
Nord 60 de ces appareils, en caisses, et le porte-avions USS Ranger doit escorter le grand
paquebot, tout en emportant lui-même 60 autres avions, entiers ceux-ci.
27 juin
Tonkin – Les ouvriers manifestent à Hanoi et à Haiphong contre de possibles licenciements
provoqués par la suspension du trafic ferroviaire avec la Chine.
28 juin
Tonkin – Pour le deuxième jour consécutif, des ouvriers en chômage manifestent dans les
rues de Hanoi et de Haiphong. Cette manifestation devient ouvertement anti-japonaise et la
résidence du consul du Japon est lapidée avant que la police puisse (ou se décide à) intervenir.
D’Alger, Georges Mandel, qui a la charge de la direction du gouvernement jusqu’au retour de
Paul Reynaud de Washington, ordonne au Haut-Commissaire d’autoriser la circulation d’un
train par semaine entre Hanoi et Kunming à partir du 1er juillet, au lieu de suspendre
entièrement le trafic.
29 juin
Tokyo – Le gouvernement japonais proteste officiellement contre « l’injustifiable agression
subie à Hanoi par les intérêts japonais ». Tokyo menace « d’envoyer des troupes assurer la
protection des intérêts japonais et de la population civile paisible contre des manifestants
visiblement manipulés par les communistes ». Cette note est dûment rejetée par le
gouvernement français.
Washington – En fin d’après-midi (heure de la Côte Est), l’Hon. Cordell Hull, Secrétaire
d’Etat, convoque l’ambassadeur du Japon pour l’avertir que toute action militaire contre
l’Indochine aurait des conséquences « spectaculaires et des plus négatives » sur les relations
américano-japonaises.
30 juin

Documents pareils