L`Odyssée de l`extase
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L`Odyssée de l`extase
Sylvain Houde L’ODYSSÉE DE L’EXTASE REMIX 2007 Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication, et la SODEC pour son appui financier en vertu du Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. Gouvernement du Québec – Programme de crédits d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC Conception graphique de la couverture : Marc-Antoine Rousseau Composition typographique : Nicolas Calvé Révision linguistique : Christine Villeneuve Correction d’épreuves : Louison Rousseau © Sylvain Houde et Coups de tête, 2007 Dépôt légal – 2e trimestre 2007 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada ISBN 978-2-923603-02-5 Diffusion au Canada : Diffusion Dimedia Diffusion en Europe : Le Seuil Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur. Tous droits réservés Imprimé au Canada sur les presses de l’Imprimerie Gauvin Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Houde, Sylvain, 1961L’odyssée de l’extase : remix 2007 (Coups de tête) ISBN 978-2-923603-02-5 I. Titre. PS8565.O764O39 2007 PS9565.O764O39 2007 C843'.6 C2007-940806-0 Les gens heureux n’ont pas d’histoire J’ai choisi d’être malheureux Concept Variable V-1 Le premier maillon de la chaîne Personne n’entend le coup de feu. Le tueur a sans doute utilisé un silencieux. C’est peut-être la musique, brutalement forte, qui enterre la détonation. La victime travaille au sein de l’équipe de sécurité, au demeurant excessivement bien rodée, du nightclub le plus destroy en ville, le plus branché sur la fin du monde, L’Odyssée de l’extase. Le nom de cette victime n’a aucune importance ; nous l’appellerons simplement V-1. Ce qui laisse supposer qu’il y en aura d’autres. V-1 vient d’être abattu à bout portant dans les toilettes des filles, celles juste à côté de l’escalier de secours qui mène au cul-de-sac de la ruelle derrière la boîte de nuit. Juste avant de rendre l’âme, V-1 est mandaté pour aller voir ce qui se passe dans un des cinq cabinets de toilette, verrouillé depuis trop longtemps. Personne ne répond lorsqu’il frappe à la porte. Le portier, tout de 10 L’ODYSSÉE DE L’EXTASE noir vêtu, contracte les muscles débordant de son polo de fonction. Le logo de L’Odyssée de l’extase, avec l’inscription Sécurité brodée en fil d’argent, sursaute au rythme des battements de son cœur. Il secoue tendrement, malgré ses allures paramilitaires, la poignée de la porte du cabinet, sous le regard scintillant des filles intriguées. Il n’obtient aucune réaction. Avant de prendre une décision, V-1 allume le système de communication interne de l’équipe de sécurité en appuyant sur le bouton rouge en plastique d’une petite boîte métallique fixée à sa ceinture. Alors qu’il ajuste le microphone relié à ses écouteurs pour bien le placer devant sa bouche, afin d’avertir ses collègues de sa position et de les informer de la situation, la porte du cabinet vole en éclats. V-1 s’effondre aussitôt. Le meurtrier s’enfuit comme une torpille par la sortie de secours. Personne ne voit de véhicule, mais on entend des crissements de pneus et on sent l’odeur du caoutchouc brûlé. On imagine aisément la suite no 1 : La petite histoire de L’Odyssée de l’extase Les autres portiers entendent la trame sonore de la scène du crime par l’intermédiaire de leur système de communication sophistiqué. Neuf géants brodés Sécurité en fil d’argent convergent au pas de course vers le même point, les toilettes des filles. En dépit de la brutalité du volume de la musique, un brouhaha généralisé crépite dans le sillon de leur passage. Un remix de soundtrack combinant les cris hystériques des filles présentes dans les toilettes, les L’ODYSSÉE DE L’EXTASE 11 gémissements virils de V-1, la seconde séquence de crissements de pneus, venant cette fois des voitures de police et de l’ambulance qui freinent au pied de l’escalier de secours, dans la ruelle, au moment même où apparaît le gérant de L’Odyssée qui tente de gérer la panique. Un meurtre dans un club, ce n’est jamais bon pour les affaires. Ça rameute les flics. Comme si on avait besoin de ça. Toujours, la musique gicle non-stop. Chose certaine, V-1 est une innocente victime. Au moment de passer à l’acte, le tueur ne pouvait savoir qui allait tenter de percer le mystère de la porte verrouillée. Une cliente affligée d’une gastro pressée de vomir ? Un minable junkie en quête d’une cachette pour se fixer ? Un géant brodé de fil d’argent ? La police a donc renoncé à la piste de l’ennemi personnel. Si bien que les hypothèses se bousculent au portillon du bureau de l’enquêteur chargé de l’affaire. Et pour cause : L’Odyssée de l’extase n’est pas un bar comme les autres. Bien sûr, comme partout ailleurs, il s’y deale de la coke, il s’y blanchit du cash sale, il y travaille des illégaux. Bien sûr. Mais en plus, de la sueur d’âme transpire des murs de l’édifice. Depuis la dernière décennie, la trajectoire de L’Odyssée de l’extase se confond avec la conquête de l’espace. Il y a très longtemps, bien avant que ne s’amorce L’Odyssée, au milieu d’un autre siècle, dans les années folles, le bâtiment, situé en plein cœur du district chaud de la ville, abritait un cabaret frivole qui faisait 12 L’ODYSSÉE DE L’EXTASE enrager les curés, où les artistes, petits et grands, côtoyaient les malfrats, petits et grands. En rénovant la bâtisse, on a même trouvé dans un faux mur, poussiéreux, le coffre-fort secret du parrain de la mafia locale de l’époque, au grand émoi du grand patron et de son équipe. Mais la course au trésor s’est achevée devant un coffre vide. L’Odyssée s’est déployée au fil des ans ; de petit boui-boui de cent cinquante personnes, ce bar mal famé est devenu un complexe récréo-culturel underground pouvant accueillir jusqu’à mille cinq cents visiteurs, avec deux terrasses, un petit resto, un bar galerie, une salle de spectacle transformable en discothèque, une mezzanine qui surplombe la scène et où se trouve la cabine de DJ et la loge des artistes, trois bureaux et d’énormes frigos. On y emploie plus de cinquante personnes, des jeunes pour la plupart, des gens bizarres qui peuvent gagner leur vie sans trop faire de compromis, des barmen, des barmaids, des busboys, des DJ, des techniciens de son et d’éclairage, le duo Prod et Promo, respectivement producteur et promoteur des spectacles, des graphistes, des comptables... Et, bien sûr, à preuve la mort d’un des leurs, des responsables de la sécurité. S’y enfilent expositions d’œuvres de jeunes artistes, projections vidéo, performances, poésie, concerts pré-post-néo... L’Odyssée de l’extase incarne dans l’imaginaire populaire (et policier) le symbole de la dissidence, de la marginalité, de la subversion, L’ODYSSÉE DE L’EXTASE 13 avec sa faune bigarrée, ses spectacles de rock hors normes, ses soirées mémorables sur le dancefloor. Et cette reconnaissance à l’échelle planétaire lui vaut le statut de lieu mythique. Les Parisiens le veulent chez eux. Les Hollandais s’en inspirent. Les Allemands s’y identifient. Les États-uniens s’y réfugient, parce qu’ils savent fort bien qu’un tel espace de liberté ne fait pas partie des plans du rêve américain. Un genre de no man’s land culturel, qu’aucune frontière n’emprisonne. Bref, l’endroit idéal pour que bourgeonnent les problèmes.