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L'oBservatoire - projections recherches
cinéma
Natures mortes (Dieu sait quoi)
séance du 25 mai 2007
« La mer, c'est son impassibilité qui fait peur. Quand l'événement sera relégué au passé, la mer sera
toujours là. Ce n'est pas un témoin, bien sûr, mais elle continue, elle recouvre... C'est vraiment la
permanence, alors que la végétation recommence, que les maisons se détruisent, que les civilisations
s'enterrent... Le niveau de la mer change beaucoup moins. » Jean-Daniel Pollet, Entretien avec
Médecine/Cinéma, 1967, repris dans
L'Entre vues, Editions de l'?il, 1998, p. 41.
« Tout ce qui nous entoure a sur nos idées, sur notre c?ur lui-même, des effets rapides, suprenants, et
inexplicables. » Jean-Daniel Pollet,Le Horla, 1966, 5ème minute.
Dieu sait quoi (1994), de Jean-Daniel Pollet.
2
Bonjour à tous,
Au programme de ce vendredi soir,Dieu sait quoi de Jean-Daniel Pollet. Voilà un film qui fait problème - au bon
sens du terme.
Pour préciser en quoi, on pourrait partir de ces propos de l'auteur : « Je considère ce film comme "naturel", et il me
déplairait qu'on le fasse entrer dans quelque catégorie que ce soit. Je pense qu'il n'a pas de véritable ascendant et
qu'il est inutile qu'il ait un successeur. »
Sur la première proposition : il faut en convenir, Dieu sait quoi est « naturel ». Il y a une évidence et une force qui
ne se discute pas face au film, alors que tout dans le projet fleure l'inédit et le littéraire : l'adaptation de l'univers de
Françis Ponge au cinéma, l'absence de corps d'acteurs (mais le grain de voix de Michael Lonsdale), le « monde
muet » (les choses), le grand écart entre la tradition de la « nature-morte » (les motifs) et la pratique plus
contemporaine du « dispositif » (répétition, rigueur du filmage et des mouvements d'appareil). Le film est donc bien
naturel et inclassable 'réfléchissez, c'est surprenant.
Deuxième proposition : pas d'ascendance, pas de succession. La proposition est à demi vraie - j'y reviens -, mais
c'est là, effectivement, que le film fait problème : on ne sait pas à quoi rattacherDieu sait quoi. C'est rare d'être
confronté à un film très fort (fût-il un chef d'?uvre) et ne pas savoir, dans le même temps, à quelle « culture » le
ramener. Ou pour le formuler autrement, ne pas savoir ce qu'on doit en dire au final. Sans références nettes,
Dieu
sait quoi laisse coi (d'où mon problème pour ce message'). La séance de vendredi soir vise à « réduire » cette
stupeur.
Jean-Daniel Pollet (1936-2004) fait partie de la deuxième génération de la Nouvelle Vague. Il a réalisé quelques
films à l'accent burlesque, qui lui ont valu une renommée chez les cinéphiles : de
Pourvu qu'on ait l'ivresse... (1957)
à L'Acrobate (1975) 'titres construits autour de la personnalité « keatonienne » de l'acteur Claude Melki.
Personnellement, cette filmo-là ne m'intéresse pas beaucoup.
Parallèlement, il a mené quelques projets ambitieux, qui l'ont singularisé au sein de la cinématographie frança
Méditerranée (1963) et
L'Ordre (1973). Si on doit rattacher
Dieu sait quoià quelque chose, c'est à cette seconde
partie de sa filmographie, c'est-à-dire à l'?uvre de Pollet lui-même.
Je ne m'attarde pas ici sur
L'Ordre. C'est un film capital sur un sujet difficile : Pollet filme des lêpreux grecs
longtemps cantonés et isolés sur l'île de Spinalonga (un extrait d'un échange avec Raimondakis est repris dans
3
Dieu sait quoi
). Il y a certainement un parallèle à faire entre les moyens formels utilisés iciNuit
et dans
et Brouillard
(1956) de Resnais. Ceci pour suggérer que Pollet, assimilé Nouvelle Vague et fréquentant la bande des Cahiers,
pratique finalement un cinéma assez proche de celui de la modernité Rive Gauche (et d'abord de Resnais, mais
aussi Marker et Varda), plus consciente politiquement. De fait, il y a un dialogue continu entre les deux cinéastes,
Pollet empruntant à Resnais une partie de son langage formel, souvent en le radicalisant : cf. l'usage de travellings
ne pouvant être rapporté à aucun point de vue particulier ; un rapport électif à la littérature ; dansDieu sait quoi, il y
a un écho très net aux tonalités voilées ou aux lumières blanches, indirectes
Mon
deOncle d'Amérique; de même
dans ces deux films, l'usage de la photographie, d'ailleurs thématiquement
plastiquement
ou
très proche; etc.
Pollet n'évoque pas beaucoup Resnais explicitement (essentiellement pour unLecourt,
Chant du Styrène
, 1958 ;
de même, il fait une allusion àLettre
Marker
de et
Sibérie
, 1957, cf. § 22 des "Notes avant le lever de rideau",
document préparatoire àDieu sait quoi
, voir plus bas), mais laisse entendre un écart ou une distance encore mal
formulée avec les grands noms de la Nouvelle Vague : "A la Cinémathèque, je ne m'asseyais pas au premier rang,
près de Chabrol, de Godard ou de Rivette. Je m'asseyais derrière avec Rozier. (...) J'avais cinq ans de moins que
mes aînés du premier rang, mais je sentais déjà confusément que j'étais ailleurs."Cahiers,
(
n° 509, 1997, pp.
33-36)
Ailleurs Méditerranée
:
est un essai expérimental qui préfigure plus Dieu
directement
sait quoi
: Pollet assemble
les plans tournés dans une quinzaine de pays méditerranéens, en trois mois de voyage, comme s'il s'agissait de
mots. « Mon seul principe pour le tournage deMéditerranée était de ne filmer qu'une seule chose par plan. Trouver
des images-signes, des images-mots. Un plan signe est radicalement différent, dans son essence même, d'un plan
où grouillent une dizaine de personnes. C'est au prix d'une grande austérité que j'ai pu faire fonctionner un film
comme Méditerranée, et plus tardContretemps et Dieu sait quoi » (Cahiers, n° 509, 1997, pp. 33-36).
Fréquentant alors l'avant-garde littéraire Tel quel, Pollet demande à Philippe Sollers de rédiger le commentaire du
film : « La rencontre d'éléments a priori inconciliables et la répétition presque à l'identique de séquences rythmées
par une musique d'Antoine Duhamel et un texte circonvolutif de Philippe Sollers donnent naissance à un film culte
de la modernité cinématographique » (Jean-Paul Combe,Universalis).
Idéalement, il faudrait accompagner Dieu sait quoi de la projection de Méditerranée. C'est peut-être bien ce qu'on
fera ce vendredi.
4
Je finirais cette présentation par une citation supplémentaire (signe de mon apathie), parce qu'elle exprime bien
cette ligne transversale du cinéma de Pollet, obsessionnelle et constituante, qui réunit
Méditerranée
aux
tous
derniers
films
(et
notamment Dieu
au
dyptique
sait Ceux
quoi
/
d'en
face
originellement
intitulé
Dieu
sait ). qui
Elle
est
tirée texte
d'un de
Stéphane
,Bouquet
l'un
des
meilleurs
disponible
en
ligne
consacré
à
« Pollet n'a jamais craint de recourir à la langue et de faire ce qu'on peut appeler un cinéma littéraire, non pas un
cinéma aux dialogues écrits (genre mots d'auteur et tutti quanti) mais un cinéma qui a l'ambition précise de filmer
les mots, de donner corps à ces signes impalpables, de trouver des images qui soient l'équivalent précis des
phrases. (...) Filmer le mot est une obsession qui ne quittera jamais le cinéaste. En 1996 (sic), il Dieu
réalise sait
quoi
à
partir
de
et
en
hommage
à Parti
Francispris Ponge,
des trèschoses
l'auteur
attaché on du
le sait à un précis
compte tenu des mots. Son idée première, ainsi qu'il le raconte dans un entretien aux Cahiers du cinéma, avait été
d'adapter les textes de Ponge par "pléonasme dépassé. Coller exactement les images sur les mots". On parle d'un
galet, d'un savon, d'un escargot et on voit un galet, un savon, un escargot. Puis cela se compliquera finalement
avec décalage, remontage du texte original, reprise, et répétition, comme toujours chez lui. Répéter, revenir de
parmi les morts, recommencer, encore re-chanter, c'est cela qu'essaya aussi Orphée, le premier poète. »
Pollet :
5
« Dans un film classique, Belmondo sort d'une voiture, entre dans un restaurant, va au téléphone. On le
suit. Ce n'est pas du montage, même s'il y a des raccords, plusieurs plans : on se contente de le suivre,
d'un plan à l'autre. L'ellipse - on coupe un peu dans le temps et le spectateur est censé comprendre ce
qu'on a coupé - ce n'est pas encore vraiment du montage, il faut couper encore plus - qu'on ne sache pas
pourquoi on passe d'un plan à l'autre. Alors on obtient une certaine logique, la poésie. » Jean-Daniel
Pollet, L'Entre vues, Editions de l'?il, 1998.
Venez nombreux, on procèdera à la distribution "Disque_de_programme"
du
n°0 , réalisé par L'oBservatoire et les
gars de simple appareil (c'est le moment de remercier tous ceux qui ont participé à la définition du projet).
La séance se déroulera chez Antoine.
8, Allée d'Andrézieux, Paris 18è.
code : 15A93. 8ème étage.
01 42 57 70 61
Consignes habituelles : pas plus tard que 21h, un peu plus tôt pour ceux qui viennent picknicker...
à vendredi, donc.
Arno.
« Il y a deux cinémas : le cinéma qui propose l'oubli et celui qui propose au spectateur ce qu'il est. Il y a
une définition des films qui peut être faite à travers l'attitude proposée au spectateur. C'est très important,
parce que, dans cette civilisation où les gens vivent toute la semaine dans un mécanisme de vie plutôt que
la vie elle-même, c'est-à-dire emportés par un mouvement qui leur est extérieur, si on leur propose, à la fin
de la semaine, d'aller passer deux heures dans une salle pour entrer dans quelque chose qui n'est pas
eux-mêmes non plus, si on leur propose de vivre par procuration à travers d'autres personnages et vivre
ailleurs que dans la salle où ils sont... C'est la fuite... » Jean-Daniel Pollet,
L'Entre vues, Editions de l'?il,
1998, p. 44.
6
Notes et documents divers
:
Et d'abord, cesNotes
«
avant le lever de rideau
», premiers jets pour un film consacré à Francis Ponge, qui
deviendra Dieu sait quoi
. Certaines de ces réflexions se retrouvent dans le film réalisé, d'autres pas : ce qui est une
manière de nous éclairer sur le processus de décantation qui mène au film ; je signale le § 3, particulièrement
caractéristique : on comprend qu'il s'agit de rétablir justice, de prendre le parti des choses (d'où Ponge).
Notes publiées dansL'Entre vues, Montreuil, Editions de l'?il, 1998, p.189.
Jean-Daniel Pollet : « Ces notes, hâtives, que j'intitule « Mise en scène Ponge », datent d'une première relecture
de l'?uvre de Francis Ponge, après sa disparition en août 1988, et de la décision de faire un film d'après elle.
1. Citer Ponge dans le sens : filmer, c'est comme écrire.
2. Principe du pléonasme dépassé. C'est-à-dire que les images collant au texte, il pourrait y avoir un effet de
multiplication.
3. La parole aux choses, aux animaux, aux végétaux,
sans anthropomorphisme (je souligne). Des choses à
l'écran : on n'en voit jamais vraiment que lorsqu'il s'agit de leur valeur ; exemple : vente aux enchères.
4. Pourquoi Pollet-Ponge ou l'inverse.
5. Le
son : une partition(je souligne).
6. Images : depuis la macro jusqu'à la voute céleste.
7. Les
quatre saisons (je souligne).
8. Les animaux : très proches, rien sur leurs m?urs.
9. Les vingt points fixes pour la caméra dans le verger et les tranchées-travellings.
10. L'alternance des travellings calculés d'après les textes et les plans fixes en transition.
11. Film épopée dans un verger.
12. Les passages de l'intérieur à l'extérieur et l'inverse.
13. Les multiples possibilités de sortir du verger et de la maison, lieux cependant toujours en premier pla
14. Les heures et les couleurs chez Ponge.
15. Les possibilités particulières du nouveau studio GTC.
16. Les trucages : voir livres Epstein.
17. Jeter des cartes comme au début
Contretemps.
de
18. « Théories » de Ponge mêlées aux séquences consacrées aux « choses » de Ponge.
19. Aller voir en Provence le « mas des Vergers » de Ponge.
20. Le vertige à la un
vue fossile,
d'
filmé comme un temple
(je souligne).
21. Arrêts sur image.
22. Essayer la méthode
Lettres de Sibérie
.
23. Les « exploits » : par exemple, avec un Steadycam, une grue, plusieurs caméras tournant de concert,
24. Miroir (ombres de Ponge ?)
25. Lieux subjectifs de Ponge, exemples : maison, musée, mer, etc.
26. Travelling(s) avant ou arrière sur photo(s) de Ponge très loin sur fond blanc, jusqu'à rentrer en elle ou la perdre
dans le blanc.
27. Prémonitions - réminiscences : des images fugaces hors séquences peuvent, au début du film, être des balises
conduisant à une séquence ultérieure. Vers la fin, des images courtes peuvent rappeler des séquences ultérieures.
»
Ensuite, extrait d'un Cahiers du cinéma, cet entretien avec Françoise Geissler, compagne et monteuse
Pollet.
La
technique
de
Pollet,
au
tournage
et
au
montage,
est
de
abordée
Aviez-vous
«
un
scénario,
un
découpage
?
technique
Non. Cette idée d'un film écrit avant d'être monté est étrangère à la démarche de Jean-Daniel. (...) En fait,
j'apprends par c?ur chacune des prises. Je les classe par séquences et ensuite je choisis avec Jean-Daniel les
points forts du film. Le film se construit au fur et à mesure que l'on monte tous les deux autour de ces points forts.
(...) L'ordre se crée par contagion. Ce sont les images elles-mêmes qui en décident. Le film progresse par blocs
d'images, par noyaux. Ces noyaux de plans tournoient, mélangés à des travellings ou à des plans fixes. Il y a un
principe de gravitation (je souligne) dansDieu sait quoi qui a été pensé au tournage, et qui rend très facile la mise
en place des plans les uns par rapport aux autres. (...)
7
L'idée, c'était de faire un film sur le passage d'une saison à une autre. (...) C'est finalement toujours autour de l'idée
de répétition (je souligne) que se fait le montage. (...)
Il y a un phénomène très étrange : il ne se passe presque rien dans les plans de Dieu sait quoi, et pourtant on a
une impression très forte suspense.
de
Je crois que cela tient à ce que les points forts sont bien placés, avec
alternance de mouvement et d'arrêt. Il y a des séquences fortes de mouvement qui sont celles de la table de jardin,
de la machine à écrire qui tourne, des objets qui gravitent dans l'espace. Associée à ce mouvement tournant, il y a
aussi une structure verticale, avec des moments d'arrêt, de fracture. (...)
Finalement, c'est un travail assez musical. Il s'agit de trouver une gamme. L'expérience de Jean-Daniel avec
Méditerranée a été décisive : après des semaines de montage, il a fini par trouver sa gamme, et il l'a répétée
pendant un heure. Il en a été de même pour moi Dieu
sur sait quoi: je me suis laissée guider par une gamme - qui
tient, en l'occurrence, beaucoup aux modulations des couleurs - et je l'ai montée indéfiniment, en recherchant la
plus grande fluidité possible. (...)
Revenons sur le rôle de la musique et des textes dans le film. Est-ce injurieux de dire qu'ils sont additionnels
?
Il est vrai que la musique et les textes reviennent sur les images une fois que tout est en place, comme pour en
démultiplier la puissance. Pour la musique, Jean-Daniel a une relation privilégiée avec Antoine Duhamel, qui a
travaillé plusieurs fois avec lui. C'est un travail d'une incroyable précision : au quart de seconde près. Cette
précision profite beaucoup à l'effet d'intensité que l'on ressent tout au long du film.
Pour les textes, en dehors de ceux de Ponge qui étaient prévus dès le départ, Jean-Daniel a besoin, pour que son
film soit terminé, d'un discours parallèle, enrichissant... (...) Pour Dieu sait quoi, Jean Thibaudeau a écrit son texte
sur la copie de travail : un prologue, et une digression sur les plans d'objets sous la tonnelle. (...)
Le travail de JDP correspond à l'idée que
la notion d'auteur devient très relative(je souligne). C'est-à-dire que
tous les collaborateurs de cette ?uvre sont appelés à mettre leur moi au second plan et à s'ouvrir à une énergie
plus fondamentale ?
Le rôle du monteur est de se mettre au service de l'énergie de l'?uvre. Et je pense que tous ceux qui travaillent sur
les films de Jean-Daniel Pollet se plient parce que l'?uvre est forte. Lui-même entretient une étrange relation
d'extériorité avec sa propre ?uvre, vers laquelle il revient sans cesse, comme pour prendre des leçons. (...)
Pour Jean-Daniel, tout est toujours d'un seul tenant : c'est comme si, à chaque nouveau montage, il faisait toujours
le même film. (...)
Est-ce que (Dieu sait quoi) a une qualité particulière qui vous frappe ?
Pour Jean-Daniel, je dirais que c'est un film de la maturité. C'est un film où il a réussi à faire passer des choses qui
lui tiennent très à c?ur, depuis longtemps. C'est vraiment un film très particulier dans sa filmographie.
Personnellement, je le compareMéditerranée.
à
(...) »
« Le montage des éléments. Entretien avec Françoise Geissler
Cahiers
», du cinéma
, n°
1997, pp. 38-39. Réalisé le 3 novembre 1997 à Cadenet par Laurent
509, janvier
Roth.
8
Pour rebondir sur l'idée de gravitation ou de circularité, Dieu
fondamentale
sait quoi
, jedans
joins ce paragraphe,
intitulé "Ile", emprunté à une compilation de propos tenus par J-D Pollet, réalisée par Laurent Roth, 1997. C'est une
manière d'évoquer le battement entre enfermement et évasion qui, d'après Pollet lui-même, a structuré son
existence et ses films (ici ou dans
L'Entre vues: voir la "filmographie" commentée par le cinéaste, selon les deux
temps de ce battement).
"Une île. Les îles, c'est le bonheur pour certains et l'enfermement pour d'autres. Pour moi, c'est quelquefois l'un,
quelquefois l'autre. D'ailleurs, dans mon travail, on pourrait voir non seulement la solitude, mais l'enfermement. Je
pense à L'Ordre, Tu imagines Robinson ?, à tous les films que j'ai tournés avec Melki. A ma connaissance,
personne ne s'est intéressé à la solitude ni à l'enfermement traités dans mes films.
Méditerranée
Même
est un film
enfermé. Mais c'est peut-être en étant enfermé, coupé du monde, que l'on réfléchit le mieux le monde : à Bassae,
le temple est isolé au milieu des montagnes, le socle de la statue du dieu a disparu, et pourtant l'on est relié de
façon essentielle au monde.
Depuis Contretemps, ma vie se déroule ici, en Provence, vieux rêve d'un amoureux du sud. C'est ma
Méditerranée : au sens étymologique, « ce qui est à l'intérieur des terres ». C'est mon épicentre. Depuis que j'y
habite, ma maison est au c?ur de tous mes films. Dans l'épicentre qu'est la maison, il y en a un autre qui est mon
« trou » : une pièce minuscule avec une grande cheminée, où je passe le plus clair de mon temps. Mais dans le
« trou », il peut y avoir un bouquin. Et dans le bouquin une phrase. Et dans la phrase une lettre. Oui, ce n'est jamais
fini. Et pour en revenir à l'île, à l'intérieur d'une île grecque, il y a plein de maisons et à l'intérieur des maisons, il y a
la lampe à pétrole. Remontons : lampe à pétrole, maison, village, île, la Grèce, Paris. Là, il n'y a plus de différence.
Ce sont ces cercles enchaînés que j'essaie de libérer dans mes films. »
Jean-Daniel Pollet, « Le complexe de Robinson », propos recueillis du 1er au 3 novembre à Cadenet, et
mis en forme par Laurent Roth,Cahiers du cinéma, n° 509, janvier 1997, pp. 33-36.
Pièce supplémentaire, le film capital intituléBassae (9 minutes), réalisé en 1965. Le temple de Bassae,
incomparable tant par son architectonique, son orientation ou sa situation, perdu au milieu des massifs du
Péloponnèse et surtout filmé comme une île
Méditerranée
:
(étymologiquement : au milieu des terres). Le
film-chiffre.
9
Copyright : appareil simple - 2007-05-20 12:16:59

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