Le transmedia storytelling

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Le transmedia storytelling
Le transmedia storytelling
Les stratégies narratives, les mondes fictifs et les marques dans la
production médiatique contemporaine
Une conférence de Carlos Alberto Scolari
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Carlos Alberto Scolari est docteur en linguistique appliquée et langages de la communication, à
l’Université Catholique de Milan.
Depuis 2010, il est professeur agréé à l’Université Pompeu Fabra, où il enseigne les matières « Méthode
d’analyses de messages » et « les analyses des messages dans les médias interactifs ».
Auteur de Hypermédiation : les éléments pour une théorie de la communication digitale
interactive (Gesida 2008), Cliquer, vers une socio-sémiotique des interactions digitales (Gesida
2004).
[email protected]
1/ Henry Jenkins
a) Présentation d'Henry Jenckins
Henry Jenkins est un chercheur très compétent du MIT (Massachussets Insitute of Technology) de
Boston. Jenkins a étudié l’analyse sociologique de la culture des fans. En 2003, il a publié un
article, dans une revue spécialisée sur les nouvelles technologies (le MIT journal), où il parle de la
transmedia storytelling.
Vous connaissez les « Trickies » ? Ce sont les personnes qui sont fan de la série Star Trek et qui
organisent des réunions, des rendez-vous de fans qui échangent sur cette culture. Henry Jenkins a
étudié la culture des fans, la culture fanatique et les gens qui suivent de près les histoires inventées
par les marques dans les médias.
Le dernier livre d’Henry Jenkins, Convergence culture, est un livre très important, traduit en
français, en espagnol et en italien. Publié en 2006, le livre développe différentes histoires sur le
sujet du transmedia storytelling. C’est aujourd’hui un grand classique, très facile à lire et très
instructif.
b) Qu’est-ce que le transmedia storytelling pour Henry Jenkins ?
Pour Henry Jenckins, le transmedia storytelling, sur la base, représente l’ensemble des histoires
racontées au travers des différents médias. Actuellement, les histoires les plus significatives ont
tendance à couler à travers les multiples plateformes médiatiques. Le transmédia ou transmédia
storytelling est la pratique qui consiste à développer un contenu narratif sur plusieurs médias en
différenciant le contenu développé et les capacités d’interaction en fonction des spécificités de
chaque média.
Il y a une galaxie sémantique autour de cette idée. La notion de cross media est une notion
différente de celle du transmedia storytelling, mais elle tourne autour du même concept, elle
constate les mêmes faits : le transmedia storytelling est présent dans les médias, il produit une
convergence dans les différents langages des médias, dans les mêmes espaces. D’autres chercheurs
comme Jenkins utilisent aussi les concepts de multiple platforms (plateformes sociales), hybrid
media (médias hybrides), intertextual commodity (marchandises intertextuelles), des notions
issues de discours économiques. Il y a aussi le concept de transmedia worlds. Les chercheurs ont
étudié les jeux vidéos, ils parlent désormais du phénomène des mondes transmedia (les mondes
virtuels), transmedia interactions (les interactions virtuelles transmedia), multimodality (les
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différentes modalités). Ces sont des concepts sémiotiques européens très importants dans les
convergences des langages médiatiques. Le concept intermedia a été inventé par un artiste dans les
années soixante, comme pour le concept d’installation multimédia utilisé pour la première fois par
Andy Warhol.
Quand nous entendons ces différents noms de concepts, nous pensons tout de suite que ces
chercheurs parlent de virtuel et d’ère digitale. Non, car avant la révolution numérique, nous avions
des multimédias et des médias intermédiaires.
2/ L' Intersemiotic translation
Le transmedia storytelling n’est pas une traduction intersémiotique. Si on compare ce livre, The
name of the rose, dont a été adapté un film du même nom, c’est la même histoire mais pas le même
transmedia storytelling.
Jakobson et Eco ont appelé ce phénomène intersemiotic translation (la traduction
intersémiotique) : la même histoire, le même récit dans un langage et un système sémiotique
différents.
Nous constatons la même chose pour les livres d’Harry Potter et les films adaptés, avec les mêmes
histoires. C’est exactement pareil pour le The lord of the rings (Le Seigneur des anneaux), où le film
ne reflétait pas précisément l’histoire du livre.
C’est pour ces raisons que le concept de transmedia storytelling et celui d’intersemiotic
translation sont bien distincts.
3/ La série 24h chrono
Vous connaissez Jack Bauer ? C’est le personnage principal de la série 24h chrono qui est un
exemple parfait de transmedia storytelling.
Cette série est un produit de la télévision. Dès son lancement, elle a connu un très fort succès, ce
qui a entrainé la production de bandes dessinées racontant d’autres aventures. Il y a eu par la suite
plusieurs livres sur les histoires de Jack Bauer, des webisodes (des épisodes inédits en libre
visionnage sur Internet), des jeux sur téléphones portables puis des jeux vidéo, et enfin des
mobisodes (des épisodes à visionner sur son téléphone portable). Nous pouvons alors constater que
la série a été adaptée sur différents médias, différentes plateformes et différentes langues pour
développer l’histoire. Il y a aussi des cartes de jeux, les jouets en plastiques, les kits complets de
la série, différentes techniques de marketing qui constituent la partie la plus concrète du concept de
transmedia storytelling.
Le contenu est aussi généré par les utilisateurs et le consommateur devient alors un « Prosumer »
(Producteur – Consommateur). Le spectateur va plus loin dans sa démarche de consommation. Les
meilleurs exemples sont les blogs et autres Wikis. Quelques minutes après la diffusion d’un épisode
à la télévision, les gens se connectent directement à internet et échangent à propos de l’épisode
qu’ils viennent de voir, ils discutent des différentes théories, ils créent eux-mêmes du contenu
supplémentaire à la série. Ces utilisateurs vont parfois même plus loin en produisant des vidéos, que
l'on appelle Mash-Up. Ce sont un mélange entre les images du moment clé de la série apparues au
cours d'épisodes dans différentes saisons et regroupées par un téléspectateur. Les Mash Up font
partie du concept du transmedia storytelling.
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4/ Approche Sémiotique
Avec une approche sémiotique nous différencions plusieurs lecteurs : nous distinguons le
consommateur d’un texte unique (regarde un épisode, lit une bande-dessinée), du consommateur
d’un média unique qui ne regarde que la série sans regarder le film ou jouer aux jeux vidéos.
Si vous avez un bon produit, vous étendez l’histoire et les produits. Si vous créez un « interstitiel
micro story », histoires parallèles, elles peuvent évoluer. Ces histoires permettent de créer un
nouveau contenu. Il existe aussi des plateformes pour créer des nouveaux contenus.
5/ Taxonomy
Les adaptations peuvent venir de plusieurs sources : la télévision avec des séries comme Lost, 24h
chrono, les livres avec Harry Potter…
On retrouve les titres sur plusieurs types de produits : jeux vidéos, BD, films, Comics...
Transmedia storytelling est plus un business qu’une affaire de sémiotique.
Par exemple Star Wars est une importante transmedia storytelling : lorsqu’une personne achète un
jouet en plastique représentant un personnage de Star Wars, cela fait gagner de l’argent aux
personnes qui ont créé cet univers. Les films de Star Wars ont rapporté 4 millions de dollars et le
merchandising en a rapporté 15 millions de dollars.
6/ Questions sur le transmedia storytelling
Pourquoi Transmedia storytelling est aussi important ?
C’est grâce à la numérisation que cela a pris de l’importance. La numérisation facilite la copie, la
manipulation des différentes séries et la réalisation de contenu …
Avec un ordinateur, une connexion internet, il est très facile de créer les vidéos et de les diffuser. Il
y a une explosion des médias. Dans les années 80, il y avait la télévision, la radio et le journal.
Aujourd’hui, le spectre des médias utilisable est beaucoup plus important.
Je pense que pour la nouvelle génération, il est très facile de copier les vidéos créées et de les
rediffuser sur d’autre site ou d’autre réseau.
Pourquoi les producteurs ont décidé d’écouter les consommateurs sur internet ?
Au début, la compagnie de Georges Lucas a découvert qu’il y avait un blog écrit par un adolescent
australien qui écrivait de nouvelles histoires d’Harry Potter. Ils n’y ont pas cru, car il y a le
copyright et ils ont essayé de fermer ce blog. Au final, ils ont découvert que c’était bon pour la
marque. Chez Stars Wars, ils ont essayé de tout garder fermer, mais c’est impossible. Nous parlons
de choses qui sont gratuites comme des vidéos.
Nous avons une explosion de cette nouvelle génération d’articles. Partout, chaque semaine, je reçois
des e-mails de mes étudiants me disant : regarde ça, il y a beaucoup d’histoires sur Légo postées sur
YouTube avec des personnages de Légo.
Même chose pour les publicités, vous pouvez avoir une histoire en plusieurs morceaux sur le
téléphone portable, par sms, et quand vous allez sur le site internet, vous avez une autre partie de
l’histoire.
Autre aspect du storytelling transmédia : il y a une convergence, pas seulement dans les médias,
mais aussi dans la publicité, dans le journalisme.
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Une autre caractéristique du transmédia storytelling est que nous avons des briefs de format court,
mobiles-épisodes, web épisodes de 2 ou 3 minutes. Tous ces nouveaux formats, peuvent peut être
devenir de spots publicitaires ou des jeux vidéos. Le brief est très important pour raconter une
histoire de 30 secondes. Vous devez avoir un produit avec un grand succès pour produire des
comics, épisodes pour mobiles, pour la télévision.
Au début, est-ce qu’ils ont eu l’idée de créer un transmédia telling ?
Jeff, le producteur, a créé 8 éléments pour le transmédia telling. 24h chrono ne s’est pas développé
par un transmédia telling. 24h chrono est une série télévisée, avec un site internet, c’est tout. Cela
a été un succès alors ils ont créé d’autres choses. C’est une stratégie d’expansion. Pour Lost, ils
avaient des bons personnages (15 personnages), une bonne histoire, et ils sont diffusés sur ABC et
d’autres chaînes. C’est notre projet transmédia. Mais qui veut payer pour ça ? Pour des comics sur
téléphones portable, pour des jeux vidéos ? C’est très cher. Je pense que si vous avez Harry Potter,
Spiderman, Batman, si vous avez ces personnages, c’est très facile de dire d’accord, pour le
prochain Terminator, nous allons développer des comics, des jeux vidéos. Mais si vous avez une
nouvelle histoire, c’est difficile de vendre un transmédia. Même si au début vous n’avez pas
d’argent pour ça, vous devez penser au futur de vos personnages et de votre histoire. Parce qu’avec
le succès de l’histoire, vous aurez des possibilités de s’étendre dans le monde. Et il faut donner les
ressources, les éléments pour créer la suite de l’histoire.
Un autre élément important est de regarder le web. En Angleterre, le personnage de science fiction
Dr Who, très connus dans les années 60, disparu dans les années 90. 20 ans après, la BBC a
découvert qu’il y avait un grand groupe de personnes qui attendait le retour de Dr Who. Sur
internet, ils ont découvert une communauté de Dr Who. Ils ont décidé de créer de nouvelles
histoires du héros avec une philosophie transmédia. Maintenant, nous avons des comics sur
différentes télévisions, et des séries avec Dr Who. La BBC a écouté ces consommateurs.
Les producteurs doivent créer un lien entre les fans et eux. Je pense que les premiers producteurs de
télévision qui ont fait attention à ce genre de relations étaient ceux de X Files. X Files est apparu
dans les années 90. Sa production est née sur le web. Chris Carter, le directeur de la production, et
tous les autres membres de l’équipe ont suivi les conversations sur Internet et ont intégré de
nombreux éléments proposés par les internautes.
7/ Prise de parole des intervenants
Lucrecia Escudero Chauvel : Il y a une énorme industrie qui est arrivée à un niveau de technique
impressionnant. Cela reste une industrie de série : comme dans une ligne d’assemblage, on va
mettre de nouveaux produits. L’aspect technique et l’aspect industriel de la production culturelle
s’est propagé aussi aux musées. Les musées fonctionnent maintenant comme une grosse machine de
production de dérivés. Par exemple lors de l’exposition de la dame à la licorne où on fait du
marchandising avec le moyen âge. Il ne faut jamais perdre de vue maintenant cette perspective
matérialiste de l’histoire.
Carlos Scolari : Je pense que l’industrie culturelle traditionnelle est dépassée. Nous avons une
nouvelle logique de production. Par exemple, X Files, il y a eu 9 saisons, c’est impossible de suivre
alors que Lost, dès le début les producteurs ont dit qu’il y aura 6 saisons maximum. Nous sommes
dans le second âge d’or de la télévision car ces fictions ont des histoires compliquées. Je vous
recommande un livre, écrit par Steven Johnson : Everything bad is good for you en 2005. Il dit que
la télévision n’est pas que pour les gens stupides. Cette télévision, de Lost, 24h chrono, Soprano est
très complexe car difficile à comprendre. C’est un livre qui a fait une grosse polémique car il
analyse des cas de narrations dans lesquelles comprendre Lost pour des grands-parents est
impossible.
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