Réconciliation prochaine entre les deux Corées
Transcription
Réconciliation prochaine entre les deux Corées
Réconciliation prochaine entre les deux Corées ? Même si tous les espoirs sont permis, l'issue du sommet inter-Corées est incertaine Le Devoir (13 juin 2000) François-Philippe Dubé Chercheur en économie et sécurité Chaire Raoul Dandurand, UQAM Finalement, plus de 47 ans après la signature du traité d’armistice entre les deux Corées, devrait avoir lieu entre le 12 et le 14 juin à Pyongyang, en Corée du Nord, le premier sommet réunissant le leader nord-coréen, Kim Jong-il, et le président sud-coréen, Kim Dae-jung. L’événement est certainement historique et risque d’avoir des conséquences profondes sur l’environnement stratégique qui prend lentement forme en Asie de l’Est. La position géographique de la Péninsule coréenne – prise entre le Japon, la Chine et la Russie – l’a condamnée des siècles durant à servir de tampon à ses puissants voisins dans leur lutte pour l’hégémonie régionale. Colonisée par le Japon entre 1910 et 1945, “libérée” par la suite par les troupe soviétiques au Nord et américaines au Sud, elle est restée divisée au terme d’une guerre fratricide (1950-1953) qui n’a fait aucun vainqueur. Bien que nul ne puisse dire ce qui ressortira de ce sommet, une chose semble probable : on y discutera très peu de réunification... pas cette fois, du moins. Pour l’instant ce dont il est question, c’est de trouver une façon de reconstruire les infrastructures économiques nord-coréennes tout en réduisant les tensions sur la péninsule. Car, contrairement à sa voisine riche, démocratique et capitaliste, la Corée du Nord est fermée, totalitaire, pauvre en argent mais riche en armements. Et elle a su, depuis dix ans, développer ses talents de maître -chanteur à merveille. Essentiellement, le succès du sommet dépendra de trois inconnues. Est-ce que la Corée du Nord est prête à entreprendre les réformes nécessaires pour pouvoir attirer des capitaux étrangers? Bien que la Corée du Nord dispose d’avantages comparatifs intéressant, telle une main d’oeuvre docile, éduquée et bon marché, l’environnement économique et légal nord-coréen n’est pas propice à l’investissement. Si la Corée du Nord s’apprêtait effectivement à entreprendre des réformes économiques, les conglomérats sud-coréens vont répondre de façon positive. Mais des réformes sérieuses impliqueraient l’adoption de mesures à la chinoise pour introduire officiellement une certaine forme d’économie de marché, de même que la création de bases légales pour protéger les investissements étrangers, ce qui est un danger pour le régime totalitaire en place. Jusqu’à maintenant, aucun geste concret du gouvernement nord-coréen ne permet de croire qu’il ait effectivement décidé d’aller dans ce sens, même s’il est vrai que la faction conservatrice de la bureaucratie de même que l’armée semblent être tenues en échec pour le moment. De plus, il est possible que le voyage que Kim Jong-il ait récemment fait à Beijing ait été commandé par Beijing, qui tente depuis plusieurs années à amener la Corée du Nord à se réformer. Dans tous les cas, il est à parier que la Corée du Nord va résister les changements au maximum, mais pas au point de faire avorter le sommet. Son attitude sera donc en partie conditionnée par la façon dont les sud -coréens vont répondre à la seconde question. Kim Dae -jung va-t-il fermement insister sur le principe de réciprocité? La «politique de la main tendue» lancée par Kim Dae-jung ne vise pas à acheter la paix mais à établir une relation de confiance, basée sur le principe de réciprocité, devant mener à la paix. Ou c’est du moins ce qu’en dit la version officielle. Maintenant, l’administration Kim Dae-jung n’a pas toujours été très ferme sur la question de la réciprocité, dans sa hâte de voir des progrès dans le «dialogue» inter-Corées. Or, l’électorat a clairement fait comprendre à l’admin istration en place aux élections législatives d’avril dernier qu’il ne tolérerait plus l’arrogance du gouvernement nord-coréen, lequel exige beaucoup mais concède peu. Le gouvernement sud-coréen a maintenant besoin de montrer à son peuple que sa «politique de la main tendue permet effectivement d’obtenir des concessions de Pyongyang pour mener à une paix durable. Cependant, les jeux de la paix et de la guerre, sur la péninsule coréenne, ne sont pas des jeux qui se jouent seulement à deux : le succès du sommet dépendra également de la contribution, positive ou négative, que les grandes puissances environnantes jugeront bon d’y apporter. Comment les grandes puissances influenceront-elles le processus de paix? Comme tout au long de son histoire, la Corée continue à être au centre des luttes d’influence entre les puissances asiatiques. Qui dit «paix» dit «retrait éventuel des troupes américaines» du sol sud-coréen. Car c’est bien la menace nord-coréenne qui a servi de justificatif au maintient de la présence américaine en Corée. Cependant, le fait que Pyongyang ait cessé de demander un retrait inconditionnel des troupes américaines du sol sud-coréen avant toute forme de négociation avec Séoul laisse croire que le gouvernement nord-coréen a compris à quel point il serait néfaste pour son pays de se retrouver, une fois de plus, coincé entre les ambitions hégémoniques de ses voisins que le retrait trop brusque des troupes américaines ne manquerait pas de catalyser. Séoul aussi devra faire bien attention d’inclure certaines revendications de ses alliés dans les négociations du sommet. C’est le message que le Japon et les États-Unis ont voulu passer dernièrement à la Corée du Sud lorsqu’ils ont refusé à la Corée du Nord de participer à la Banque asiatique de Développement. Séoul devra donc aborder avec Pyongyang la question de son programme nucléaire et de son programme de missiles balistiques, de première importance pour les États-Unis et le Japon. Par contre, si l’issue du sommet est vraiment incertaine, une chose semble sûre : c’est sans doute la Chine qui a le plus à gagner de ce sommet, dont elle a aidé à la préparation, et qui lui donne enfin une occasion de jouer le rôle de leader régional auquel elle aspire tant.