LE PIÉTON

Transcription

LE PIÉTON
L
Marie-Axelle Granié est chargée de
recherche au Département mécanismes
d’accidents (INRETS-MA).
Jean-Michel Auberlet est chargé de
recherche au Laboratoire exploitation,
perception, simulateurs et simulations
(INRETS-LCPC-LEPSIS).
Couverture : Jean-Michel Auberlet,
Marie-Axelle Granié, Jacky Robouant.
Septembre 2010
LE PIÉTON : NOUVELLES CONNAISSANCES, NOUVELLES PRATIQUES ET BESOINS DE RECHERCHE
A127
es nouveaux enjeux relatifs à la marche
impliquent une approche plus compréhensive de l’activité elle-même, de son ancrage
dans les modes de vie et de ses rapports à
l’environnement urbain des déplacements.
Les chapitres de cet ouvrage examinent les
comportements des piétons, les facteurs
contraignant la marche et les éléments de vulnérabilité. Ils mettent en lumière les aménagements urbains qui permettraient d’améliorer
l’accessibilité des destinations et de rendre à
l’espace public les conditions de sécurité et de
convivialité indispensables à la cohabitation
des différents modes de déplacement. Cet
ouvrage s’adresse à tous ceux qui planifient
les transports en ville et leurs infrastructures,
les urbanistes, les personnes œuvrant dans le
secteur de la sécurité routière et celles concernés par la mobilité des usagers plus vulnérables comme les enfants ou les non-voyants.
ISSN 0769-0266
ISBN 978-2-85782-686-6
© Les collections de l’INRETS
Actes
85 €
Marie-Axelle Granié
Jean-Michel Auberlet
Coordinateurs
LE PIÉTON :
NOUVELLES CONNAISSANCES,
NOUVELLES PRATIQUES
ET BESOINS DE RECHERCHE
2e colloque francophone
de la plate-forme intégratrice COPIE
novembre 2009, Lyon
Actes
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Contact : [email protected]
Marie-Axelle Granié
Jean-Michel Auberlet
Coordinateurs
Le piéton :
nouvelles connaissances,
nouvelles pratiques
et besoins de recherche
2e colloque francophone
de la plate-forme intégratrice COPIE
novembre 2009, Lyon
ACTES
© Les collections de l’INRETS
Septembre 2010
Coordination scientifique
Marie-Axelle Granié
Jean-Michel Auberlet
INRETS-MA
[email protected]
INRETS-LEPSIS
[email protected]
Unités de recherche
MA, Département mécanismes d’accidents
Chemin Croix Blanche, 13300 Salon-de-Provence, France
LEPSIS, Laboratoire exploitation, perception, simulateurs et simulations
58 boulevard Lefebvre, 75732 Paris cedex 15, France
Auteurs des communications
T. Agbotsoka, P. Argoul, N. Bachiri, N. Baltenneck, C. Berthelon, N. Bonnardel,
V. Boucher, C. Charron, B. Chaudet, S. Dal Pont, R. de Solere, C. Després, R. Dik,
S. Erlicher, J. Estevadeordal, A-S Evrard, F. Fournela, S. Gaymard, C. Ghorra-Gobin,
M-A Granié, F. Greffier, F. Héran, F. Huguenin-Richard, E. Jouanne, B. Laumon,
L. Le Bigot, A. Levitte, M. Maestracci, S. Manhes, S. Martin, J-L Martin, M. Meskali,
V. Michaud, F. Murard, C. Nachtergaële, A. NDiaye, V. Nzobounsana, C. Olivéro,
F. Papon, P. Pecol, S. Portalier, L. Pouillaude, J. Robin, M. Roger, P. Sajous, T. Serre,
J. Thomsen, O. Thorson, J. Torres.
Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité – INRETS
Direction scientifique / politique éditoriale – Aude Lauby
25 avenue François Mitterrand Case 24, 69675 Bron Cedex, France
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ISBN 978-2-85782-686-6
ISSN 0769-0266
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présent ouvrage par quelque procédé que ce soit, sous réserve des exceptions légale
2
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Table des matières
Préface : le piéton, une espèce menacée (Marie Demers) ........................
7
Introduction (Marie-Axelle Granié, Jean-Michel Auberlet) ..........................
9
Partie 1. Marche et mobilité
La mobilité à pied : que nous apprennent les dernières enquêtes ?
(Régis de Solere, Francis Papon) ..............................................................
15
Milieu bâti et transport actif chez les adolescents: état de la question
(Nabila Bachiri, Carole Després) ................................................................
25
La mobilité quotidienne des piétons âgés autour de leur domicile est-elle
révélatrice d’espaces de qualité et de bien-être ? (Béatrice Chaudet) ......
43
Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain
(Frédéric Héran, Laurence Pouillaude) ......................................................
47
La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante
(Véronique Michaud) ..................................................................................
65
L'effet des repères sur l'utilisabilité des systèmes téléphoniques de guidage
vocal (Morgane Roger, Nathalie Bonnardel, Ludovic Le Bigot) .................
75
Partie 2. Piéton et aménagement
Promouvoir la figure symbolique du piéton : conceptualiser les espaces
publics (Cynthia Ghorra-Gobin) ..................................................................
83
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons en situation
de traversée complexe. Le cas lors du franchissement de voies en site
propre dans Paris (Florence Huguenin-Richard) ........................................
91
La démarche « code de la rue » : des travaux pour redonner de la placeau
piéton et assurer sa sécurité en ville (Frédéric Murard, Samuel Martin) .... 109
Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques (Ole Thorson,
Jytte Thomsen, Joan Estevadeordal) .........................................................
121
Interaction foule-structure (Philippe Pecol, Stefano Dal Pont,
Silvano Erlicher, Pierre Argoul) ..................................................................
133
Analyse des franchissements de feux rouges pour améliorer la sécurité
de tous (AFFRAST) (Radoine Dik) .............................................................
145
Exemples mondiaux et avantages sécuritaire d’une ligne d’arrêt
transversale avant les passages piétons (Jacques Robin) ........................
159
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3
Partie 3. Accidentologie du piéton
L’accident de piéton et la victime « piéton » (Anne-Sophie Evrard,
Jean-Louis Martin, Amina NDiaye, Bernard Laumon) ................................
167
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
(Thierry Serre) .............................................................................................
171
Analyser les comportements pour lutter contre l’insécurité des déplacements
piétons (Marion Maestracci) ....................................................................... 189
Partie 4. Enfant piéton, développement et éducation
Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier (Juan Torres) ..............
203
Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons
de 9-10 ans au fil d'une pratique sur simulateur (Camilo Charron,
Élise Jouanne) ............................................................................................
217
Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation
sur la prise de risque des adolescents piétons (Marie-Axelle Granié) .......
233
L'enfant et la Rue (Sylvain Manhes, Colette Olivéro) .................................
245
Les enfants enseignent la sécurité routière aux enfants par le théâtre
(Jacques Robin) ..........................................................................................
247
Partie 5. Piéton, voir et être vu
A pied, de nuit : les conditions de déplacements (Patricia Sajous) ............
251
Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton
(Agnès Levitte) ............................................................................................
265
Percevoir la ville sans voir (Nicolas Baltenneck, Serge Portalier) ..............
281
Aménagements, vulnérabilité et représentations : code de la rue
et déplacements urbains des aveugles (Gérard Uzan, M’ballo Seck,
Maryvonne Dejeammes, Catia Rennesson) ...............................................
295
Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier
(Vincent Boucher, Fabrice Fournela, Florian Greffier, Sandrine Gaymard,
Victor Nzobounsana, Thibaud Agbotsoka) .................................................
307
Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton
(Mohamed Meskali, Claudine Nachtergaële, Catherine Berthelon) ...........
317
Quelles recherches dans la PFI COPIE ? .................................................
325
4
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Remerciements
Le comité d’organisation du colloque tient tout particulièrement à remercier :
−
le personnel de l’INRETS : Stéphane Aillerie, Christine
Anne-Laure Paglia, Ariane Tom, pour leur aide et leur soutien ;
−
le comité scientifique du colloque : F. Bodin (Université de Lille I), F. Boillot
(INRETS-GRETIA), R. Brémond (LCPC-LEPSIS), C. Charron (Université
de Rennes II), S. Depeau (Université de Rennes II), E. Grislin-Lestrugeon
(Université de Valenciennes), F. Huguenin-Richard (Université de Paris IV),
R. Lobjois (INRETS-LEPSIS), C. Marin-Lamellet (INRETS-LESCOT),
Y. Page (Renault, Fondation sécurité routière), T. Serre (INRETS-LBA) ;
−
la Direction scientifique de l’INRETS, la Fondation sécurité routière, le
Commissariat général au développement durable et la Direction de la
sécurité et de la circulation routières (DSCR) du MEEDDEM pour leur
soutien financier.
© Les collections de l’INRETS
Gauci,
5
Préface
Le piéton, une espèce menacée
Curieuse époque que celle-ci, où la mobilité a atteint un paroxysme et où
l’être humain bouge de moins en moins ! Alors que les déplacements sont de
plus en plus rapides et les destinations en nombre quasi-infini, l’individu a peine
à se mouvoir par lui-même dans l’univers urbain qu’il a sciemment créé.
Univers qui le rend vulnérable lorsqu’il tente de marcher pour aller d’un endroit
à un autre comme le firent ses ancêtres pendant des millénaires. Un acte aussi
simple que marcher est devenu une affaire risquée, voire un exploit, même pour
traverser la rue. Autrefois havre sécuritaire propice à la convivialité, la ville de
l’ère de l’automobile est devenue une jungle où le piéton qui s’y aventure, le fait
parfois au péril de sa vie. L’espace public – habitat du piéton – a rétréci, pour
faire plus de place à un prédateur métallique qui définit désormais les règles du
jeu à son avantage. Vulnérable dans ses déplacements, vulnérable aussi
lorsqu’il ne bouge pas assez et que l’embonpoint le guette, le piéton semble
perdant quoiqu’il fasse.
Heureusement, des initiatives comme ce colloque de recherche et les actes
qui en découlent ouvrent la voie à une meilleure compréhension des problèmes
de mobilité et de sécurité des piétons dans un espace urbain dessiné
prioritairement pour le transport motorisé, que ce soit en France, en Catalogne,
au Québec ou encore au Mexique. Par un examen minutieux des
comportements piétonniers, des facteurs contraignant la marche et des zones
de vulnérabilité, cette synthèse de recherches met en lumière les éléments
d’aménagement urbain qui permettraient d’améliorer l’accessibilité des
destinations et de rendre à l’espace public les conditions de sécurité et de
convivialité indispensables à la cohabitation harmonieuse des différents modes
de déplacement. Il s’agit d’un pas en avant pour réhabiliter la marche à pied
comme moyen de transport et par la même occasion, l’espace public comme
lieu où se développe le sens de la communauté et où s’exerce la vie civique.
Comme je le mentionnais dans un essai intitulé Pour une ville qui marche, les
millions de trajets quotidiens effectués à pied dans une ville constituent les fils
invisibles qui sous-tendent la vie civique et à partir desquels les piétons tissent
la toile de la communauté.
En plus d’intéresser l’ensemble des personnes préoccupées par le déclin de
la marche, la dégradation du tissu urbain et les pressions environnementales
associées au transport motorisé, les actes de ce colloque s’avèrent une lecture
essentielle pour tous ceux qui planifient les transports en ville et leurs
infrastructures, pour les urbanistes, les gens oeuvrant dans le secteur de la
sécurité routière et de la prévention des accidents et ceux concernés par la
mobilité des clientèles plus vulnérables comme les enfants ou les non voyants.
Le transport actif, lorsqu’il s’exerce dans des conditions optimales, procure tant
© Les collections de l’INRETS
7
Préface
de bienfaits, aussi bien à l’individu qu’à la collectivité, qu’il apparaît maintenant
insensé de ne pas chercher à le faciliter : un milieu plus sécuritaire, un
environnement plus sain, une plus grande autonomie, une meilleure santé et
tout ça, à faible coût !
Marie Demers
Chercheure associée à l'Université de Sherbrooke
Groupe de recherche PRIMUS en géomatique de la santé
Auteur de « Pour une ville qui marche. Aménagement urbain et santé »,
Montréal, Editions Écosociété, 2008.
8
© Les collections de l’INRETS
Introduction
Marie-Axelle Granié, Jean-Michel Auberlet
Co-organisateurs du colloque, co-responsables de la plate-forme intégratrice
COPIE
[email protected]
[email protected]
Nos représentations et les solutions actuelles en termes de mobilité sont un
héritage des deux siècles passés et largement contraintes par les seuls modes
devenus habituels que sont maintenant les deux-roues motorisés et la voiture
individuelle. La nécessité de réduire l’impact négatif de la circulation motorisée
sur la vie des citadins s’impose de plus en plus fortement aux villes et ces
modes de transports ne sont pas suffisants pour faire face aux nouveaux défis
de la mobilité. Dans ce contexte, les actions de relance des modes de
déplacement de proximité se développent, en particulier celles qui visent à
soutenir un mode de déplacement encore plus ancien, la marche à pied, en tant
que telle ou associée au transport collectif sous l'étiquette d'interstice modal.
Les nouveaux enjeux relatifs à la marche impliquent un renouvellement de
l’approche des problèmes de mobilité et de sécurité des piétons. Le piéton ne
peut plus être considéré comme l’élément flexible du système, capable de
s’adapter à la planification des transports, sans prise en compte de ses limites
physiques et psychologiques. La nouvelle problématique de mobilité des
piétons nécessite une approche plus compréhensive de l’activité elle-même, de
son ancrage dans les modes de vie et de ses rapports à l’environnement urbain
des déplacements, autant de thèmes que ce colloque se propose d’aborder.
Thématiques de l’appel à communication
Ce deuxième colloque francophone de COPIE (http://pfi-copie.inrets.fr/) sur
« Le piéton : nouvelles connaissances, nouvelles pratiques et besoins de
recherche » a souhaité coupler les demandes sociétales et les offres de
recherche. Il avait pour objectif de rassembler une large communauté
scientifique pluridisciplinaire menant des recherches impliquant la
problématique du piéton. Il avait également pour but d’être une vitrine pour
l’ensemble des acteurs de terrain permettant, par l’exemple de leurs pratiques
en faveur du piéton, de mieux connaître les demandes actuelles et potentielles
afin de faciliter la réactivité de l'offre de recherche et l’adapter au mieux aux
besoins sociaux et institutionnels.
Ainsi, chercheurs, praticiens et institutionnels ont pu proposer une
communication orale, une communication affichée ou une tribune libre sur une
recherche ou une action portant sur une des thématiques suivantes :
© Les collections de l’INRETS
9
Introduction
−
Mobilité et analyse des déplacements à pied : quels constats ? quelles
améliorations possibles ?
−
Sécurité et sentiment de sécurité des piétons : quels facteurs, quelles
spécificités, quels effets sur la mobilité ? quelles pistes d’action ?
−
Vers une ville plus orientée piéton : quels aménagements ? quel
urbanisme ?
−
Politiques publiques : quelle place du piéton dans les choix politiques ?
quels changements historiques ?
−
L’éducation, la prévention, la formation : quels outils, quelles évaluations,
quels besoins ?
−
La santé : quelles interactions entre le déplacement piéton et la santé, le
bien-être ? comment agir ?
Les disciplines scientifiques suivantes ont pu être mobilisées dans les
communications proposées : accidentologie, aménagement, architecture,
biomécanique, design, droit, économie, géographie, épidémiologie, histoire,
psychologie, sciences politiques, sociologie, urbanisme, modélisation et
simulation, réalité virtuelle…
Procédure de sélection des communications
La première étape consistait, pour les auteurs, à envoyer au comité
d’organisation un résumé long de la proposition de communication (entre 2
pages minimum et 4 pages maximum). Ces résumés longs ont été examinés
par le comité d’organisation quant à l’adéquation de la proposition avec les
thématiques identifiées dans l’appel à communication.
Les communications (en français) sélectionnées ont ensuite été envoyées
dans leur format complet (8 à 10 pages hors résumé, titre et références).
Chaque communication, dans sa version complète originale puis révisée, a été
soumise à une expertise en double aveugle par deux membres du comité
scientifique. Celui-ci (voir Remerciements), composé au deux tiers de
chercheurs extérieurs à l’INRETS, a sélectionné 15 communications orales et 6
communications affichées, auxquelles se sont ajoutés 6 « tribunes libres » –
n’ayant pas pu suivre la procédure de sélection, représentant au total 54
communicants.
Contenu du colloque
e
Les communications du 2 colloque COPIE ont abordé cinq grands thèmes,
qui sont repris dans ces actes : marche et mobilité, piéton et aménagement,
accidentologie du piéton, enfant piéton : développement et éducation et piéton :
voir et être vu.
Plus de 100 personnes – provenant de 8 pays (France, Belgique, Suisse,
Allemagne, Luxembourg, Espagne, États-Unis et Canada) et venant à la fois du
monde de la recherche, des institutions nationales et locales, de la prévention
et du monde associatif – ont participé au colloque. Celui-ci s’est tenu sur deux
10
© Les collections de l’INRETS
Introduction
journées, comprenant également 3 conférences invitées :
−
Ole Thorson (président de la Fédération Internationale des Piétons) : Le
piéton dans la ville ;
−
Yves Page (Comité Scientifique de la Fondation Sécurité Routière) : Les
projets de recherche sur le piéton financés par la Fondation Sécurité
Routière ;
−
Dominique Césari (Directeur de recherche émérite à l’INRETS) : La
sécurité passive des piétons en relation avec la réglementation
européenne.
Ce colloque a continué de répondre à une très forte demande de la part des
chercheurs et des praticiens, et constitue un lieu privilégié d’exposition et
d’échanges sur cet usager, dit vulnérable, qu’est le piéton.
Deuxième opus de la série des colloques de la plate-forme intégratrice
COPIE, il permet de continuer à cerner les différentes problématiques qui
guident la recherche sur le piéton.
© Les collections de l’INRETS
11
Partie 1
Marche et mobilité
La mobilité à pied : que nous
apprennent les dernières enquêtes ?
Régis de Solere
Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions
publiques (Certu)-Développement durable, 9 rue Juliette Récamier, 69456 Lyon
Cedex 06, France
[email protected]
Francis Papon
INRETS-DEST, Le Descartes 2
2 rue de la Butte Verte, 93166 Noisy-le-Grand Cedex, France
[email protected]
Résumé – Les questions économiques, environnementales et urbaines
actuelles incitent les pouvoirs publics à mettre en place des politiques de
mobilité durable, afin de favoriser un usage équilibré des modes de
déplacements et en particulier la pratique de la marche. La dernière enquête
nationale transports déplacements 2007-2008 est l’occasion d’avoir une vision
d’ensemble de l’usage de la marche en France. Elle met en évidence un certain
nombre de résultats et d’évolutions marquants, parmi lesquels : une
stabilisation de la pratique de la marche, avec une part modale d’environ 23 % ;
un net ralentissement de la baisse de l’usage de la marche par les enfants et
adolescents pour se rendre sur leur lieu d’études ; un faible usage de la marche
le samedi, jour des achats réalisés en voiture ; un usage de la marche fort en
ville centre et faible en milieu rural, la tendance semblant s’accentuer ; une
féminisation de la marche ; et une pertinence affirmée de la marche pour les
déplacements de moins de 900 à 1000 mètres.
Mots-clés : marche, mobilité à pied, déplacement, enquête nationale transports
déplacements
Introduction
Pourquoi s’intéresser à la mobilité à pied ?
L’étude de la mobilité, par l’analyse des enquêtes réalisées auprès des
ménages notamment, permet d’avoir une photographie précise des pratiques
de déplacements d’une population. Elle est indispensable pour comprendre les
pratiques de mobilité et leurs évolutions, mais également pour élaborer et
évaluer les politiques de transport.
© Les collections de l’INRETS
15
Marche et mobilité
Le développement extraordinaire de la voiture qui s’est opéré dans les
années 80 s’est accompagné d’un déclin des modes doux et en particulier de la
marche. La quasi-absence de la prise en compte de ces modes doux dans la
planification des transports est sans doute à cette époque en partie
responsable de leur désaffectation. Pourtant, les années 90 ont vu une
stabilisation des pratiques de déplacements en modes doux. La mobilité à pied
s’est stabilisée autour d’un déplacement entièrement à pied par jour et par
personne, représentant ainsi dans les agglomérations françaises entre 25 % et
30 % des déplacements réalisés (Certu, 2004).
Aujourd’hui, les questions environnementales sont omniprésentes. Les
problèmes de congestion augmentent dans les agglomérations. Les difficultés
économiques liées à l’augmentation du prix des carburants et à la baisse du
pouvoir d’achat pourraient inciter les ménages à revoir leur stratégie de mobilité.
En juillet 2008, un décret issu de la démarche du « Code de la rue » (Certu,
2008) introduit dans les aménagements urbains la « zone de rencontre », zone
à priorité piétonne ouverte à la circulation de l’ensemble des usagers et dans
laquelle la vitesse est limitée à 20 km/h. A terme, le Certu recommande par
ailleurs aux collectivités d’aménager 80 % de leur réseau en zones de
circulation apaisées : zones 30, zones de rencontre ou aires piétonnes.
Toute cette actualité va dans le sens d’une meilleure compréhension de la
mobilité à pied et d’une meilleure prise en compte de l’activité. Les dernières
enquêtes disponibles, dont l’enquête nationale transports déplacements 20072008, sont ainsi l’occasion de faire un point sur la mobilité à pied et de
comprendre les dernières évolutions en la matière.
L’enquête nationale transports déplacements
L'enquête nationale sur les transports et les déplacements (ENTD) est une
enquête statistique d'intérêt général pilotée par le service de l’observation et
des statistiques (SOeS) du ministère de l'écologie, de l'énergie, du
développement durable et de l'aménagement du territoire (MEEDDAT).
L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en est le
maître d'œuvre et l'Institut national de recherche sur les transports et leur
sécurité (Inrets) en assure la coordination scientifique.
Renouvelée tous les 10 à 14 ans, cette enquête a pour objectif la
connaissance des déplacements des ménages résidant en France et de leurs
usages des moyens de transport tant collectifs qu'individuels. Il s'agit de la
seule enquête sur la mobilité réalisée à cette échelle et qui décrit tous les
déplacements, quels que soient le motif, la longueur, la durée, le mode de
transport, la période de l'année ou le moment de la journée. Elle permet
d'observer les comportements de mobilité des habitants dans les zones
agglomérées et dans les espaces ruraux, et d'estimer des indicateurs de
mobilité tout au long de l'année. Elle permet des comparaisons dans le temps
avec les enquêtes précédentes et dans l'espace avec les enquêtes menées à
l'échelon local ou dans d'autres pays.
La précédente enquête datait de 1994 (Inrets, 2002). La dernière a eu lieu
d'avril 2007 à avril 2008, et les premiers résultats sont disponibles depuis juin
2009 (Hubert, 2009).
16
© Les collections de l’INRETS
La mobilité à pied : que nous apprennent les dernières enquêtes ?
Figure 1. Architecture de l’enquête nationale transport et déplacements
2007-2008
L’ENTD 2007-2008 a été passée en deux visites d’une durée totale
d’environ 125 minutes (figure 1). Avant le passage de l’enquête, des
informations sont connues sur l’échantillon par le tronc commun ménage (TCM)
au niveau du ménage et des individus qui le composent (fichiers TCM ménages
et TCM individus). Lors de la première visite (en jaune), des questions ont été
posées au niveau de l’ensemble du ménage (fichier ménages), et de chacun
des individus (fichier individus). Pour ces derniers, une partie du questionnaire
est relative aux déplacements réguliers vers le lieu de travail ou d’étude (fichier
lieux). Par ailleurs, des fiches à deux niveaux (rapide r et détaillées f) sont
constituées pour quatre catégories de véhicules. A la fin de la première visite,
un individu (Kish) est tiré au sort pour répondre aux questions de la deuxième
visite. Un carnet est distribué pour noter les trajets effectués avec un véhicule
tiré au sort entre les deux visites. Pour certains Kish volontaires, un module
GPS est distribué pour enregistrer les traces des déplacements effectués entre
les deux visites. Lors de la deuxième visite (en vert), le Kish répond sur ses
déplacements d’un jour de semaine et d’un (ou deux) jour(s) de week-end
(table déplacements locaux). Il répond aussi sur ses voyages à longue distance
au cours des quatre mois précédents (table voyages longue distance) et sur les
déplacements effectués au cours de ces voyages (table déplacements dans
voyages). Certains Kish tirés au sort remplissent également une grille
biographique. L’échantillon de réponses comprend environ 20 000 ménages,
45 000 individus, 18 500 Kish, 133 000 déplacements locaux.
L’ensemble des résultats présentés dans cet article concerne les
déplacements locaux, réalisés dans un rayon de 80 km à vol d’oiseau autour du
domicile, par les personnes âgées de six ans et plus, résidant en France
métropolitaine. Les résultats sont provisoires en attendant la pondération
définitive de l’enquête (mais ils changeront peu). Le tableau 1 présente
quelques chiffres pouvant expliquer les comportements piétons.
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17
Marche et mobilité
Tableau 1. Quelques chiffres de base issus de l’enquête
Composition et équipement
des ménages
Accessibilité piétonne
des ménages
- 34 % des ménages sont des personnes
seules
- 62 % des ménages n’ont pas d’enfant
- 57 % des ménages comptent deux adultes
- 36 % des ménages sont sans actif (30 % avec
un actif, et 31 % avec deux actifs)
- 24 % des ménages ont un chien
- 22 % des ménages ne sont pas équipés en
voiture particulière
- 88 % des ménages ne sont pas équipés en
deux roues motorisés
- 48 % des ménages n’ont pas de vélo d’adulte
- 54 % des ménages résident à
moins de 300 m d’un arrêt de bus
- 81 % des ménages n’ont pas de
gare SNCF à moins d’un kilomètre
du domicile
- 41 % des ménages trouvent que
les trottoirs et les carrefours à moins
d’un kilomètre du domicile ne sont
pas bien aménagés pour que les
piétons se déplacent en sûreté et
qu’il y a des endroits dangereux pour
les piétons
Pratique de la marche et gêne physique
L’usage de la marche se stabilise
En 2008, les français réalisent en moyenne chaque semaine 256 millions de
déplacements à pied. La mobilité à pied est de 0,72 déplacements par jour et
par personne en semaine (0,54 le samedi et 0,46 le dimanche).
1
En semaine , la marche à pied représente 23 % des déplacements. Cette
2
part modale est stable par rapport à 1994 .
Tableau 2. Évolution des parts modales des déplacements de semaine
Marche
(%)
Vélo
(%)
Transport
collectif (%)
Deux-roues
motorisés (%)
Voiture
(%)
1982
34,1
4,5
8,6
4,2
48,8
1994
23,2
2,9
9,0
1,4
63,5
2008
23,1
2,6
8,3
1,6
64,3
Source : enquêtes nationales transports 1981-1982, transports et communications
1993-1994 et transports déplacements 2007-2008
Plus de 10 % des personnes gênées physiquement
dans leurs déplacements
En 2008, 10,8 % des personnes de 18 ans et plus déclarent être gênées
physiquement ou limitées dans leurs déplacements hors de leur domicile. Ce
taux était de 8,4 % en 1994. C’est évidemment parmi les personnes âgées que
ces personnes sont les plus nombreuses. Parmi les personnes de 75 ans et
1
Les déplacements du week-end sont étudiés plus loin dans un paragraphe spécifique.
L’enquête 1993-1994 n’ayant pas recensé les déplacements à pied du week-end, les évolutions
concernent la mobilité de semaine.
2
18
© Les collections de l’INRETS
La mobilité à pied : que nous apprennent les dernières enquêtes ?
plus, le pourcentage de personnes gênées est passé de 49 % en 1994 (Madre,
1997) à 47 % en 2008. Par ailleurs, 6,6 % des personnes déclarent être gênées
pour marcher quelques centaines de mètres.
Seulement 59 % des personnes de 6 ans et plus déclarent marcher au
moins 1/2 heure par jour en moyenne, durée de marche recommandée par le
ministère de la santé dans le cadre du programme national nutrition santé. La
part non négligeable des personnes gênées dans leurs déplacements ira sans
doute en grandissant dans le futur. Leur prise en compte dans les
aménagements urbains est aujourd’hui essentielle.
Tableau 3. Part des différents modes dans les déplacements de semaine,
suivant le motif, en 2008
Motif
Marche
(%)
Vélo
(%)
Transport
collectif (%)
Deux-roues
motorisés (%)
Voiture
(%)
Tous
modes (%)
Travail
10,7
1,9
9,2
2,5
75,8
100
Etudes
32,1
3,3
26,9
1,2
36,5
100
Achats
27,4
2,4
3,5
0,8
65,8
100
Visites
20,5
3,5
4,0
4,0
68,1
100
Sport
48,1
7,4
4,3
0,7
39,6
100
Autres
23,5
1,7
4,7
0,9
69,1
100
Ensemble
23,1
2,6
8,3
1,6
64,3
100
Source : enquête nationale transports déplacements 2007-2008
La marche pour des motifs spécifiques
La marche présente des spécificités d’usage en matière de motifs. La
marche est traditionnellement délaissée pour les déplacements liés au travail,
motif pour lequel les distances de déplacements sont les plus longues. Elle est
utilisée pour le motif « sport » qui inclut les déplacements de promenade sans
destination précise (où la marche représente 80 %), les déplacements pour
aller sur un lieu de promenade (marche 38 %), et faire du sport proprement dit
(marche 24 %) ; les deux premiers motifs n’étaient pas identifiés dans l’enquête
de 1994, et donc inclus dans « autres ». La marche est également pratiquée
pour se rendre sur les lieux d’études et pour les achats (tableau 3).
En semaine et sur ses créneaux de prédilection, la marche évolue de façon
contrastée par rapport aux précédentes enquêtes.
La marche continue de perdre des parts de marché pour le motif « études »
(figure 2), mais la baisse est cependant moins forte qu’entre les deux
précédentes enquêtes. La poursuite de la motorisation des déplacements pour
ce motif s’est d’ailleurs nettement ralentie par rapport à la décennie précédente.
Cette inflexion a également été observée dans les dernières enquêtes menées
à Lille et à Lyon en 2006. La part modale du vélo quant à elle augmente de
2,8 % en 1994 à 3,3 % en 2008, ce qui constitue une inversion de tendance.
Les démarches en faveur de l’écomobilité scolaire (plans de déplacements
d’établissements scolaires, pédibus, vélobus, etc.) ont dans les années qui
viennent un rôle fort à jouer pour accompagner cette tendance.
© Les collections de l’INRETS
19
Marche et mobilité
Figure 2. Évolution des parts modales
des déplacements de semaine pour motif études
60%
50%
40%
Marche
Vélo
30%
TC
Voiture
20%
10%
0%
1982
1994
2008
Source : enquêtes nationales transports 1981-1982, transports et communications
1993-1994 et transports déplacements 2007-2008
Pour le motif « achats », on observe une stabilisation de la part modale de la
marche à 27 % (contre 45 % en 1982 !). Pourtant, dans 66 % des cas, les
automobilistes repartent de leur déplacement bredouille ou avec des achats
tenant dans les poches ou dans un panier.
Un usage différent de la marche le week-end
De part les modes utilisés ou les motifs de déplacement, la mobilité du
week-end présentent des spécificités. Le nombre de déplacements réalisés
chaque jour par personne est plus faible, de 13 % le samedi et de 41 % le
dimanche.
Le recours à la marche le week-end est contrasté. Par rapport aux
déplacements de semaine (figure 3), sa part de marché est plus faible le
samedi (19,5 %) et plus forte le dimanche (24,2 %).
Une analyse par motif fait ressortir plusieurs enseignements :
−
le samedi, jour où plus du tiers des déplacements se font pour motif
achats, est le jour de la voiture. La marche est beaucoup moins utilisée
pour ce motif le samedi (part modale de 20 %) qu’en semaine (27 %) ;
−
les activités sportives sont plus importantes le week-end qu’en semaine
(jusqu’à 21 % des déplacements du dimanche). Pour ce motif, les modes
actifs sont bien entendu très utilisés, et en particulier la marche pour
laquelle la part modale d’élève à 42 % ;
−
les scolaires utilisent le samedi moins la marche et les TC et davantage
le vélo et la voiture qu’en semaine pour se rendre sur leur lieu d’études ;
−
enfin, les visites réalisées le dimanche, qui représentent ce jour-là 28 %
des déplacements, sont surtout effectuées en voiture, très peu à pied
(part modale de 14 %).
20
© Les collections de l’INRETS
La mobilité à pied : que nous apprennent les dernières enquêtes ?
Figure 3. Répartition modale des déplacements
en semaine et le week-end
80%
71%
70%
68%
64%
60%
50%
40%
30%
24%
23%
20%
20%
8%
10%
3% 3% 4%
5%
Vélo
Transport collectif
3%
2% 1% 2%
0%
Marche
Semaine
Samedi
Deux-roues
motorisé
Voiture
Dimanche
Source : enquête nationale transports déplacements 2007-2008
La géographie de la marche
Les usagers de la marche n’aiment pas le froid
La marche n’est pas une activité marquée par la saisonnalité ou la
météorologie. Seules une pluie forte ou une température inférieure à 0°C
entraînent une légère diminution de son usage.
La marche est le mode des zones denses
Du fait de contraintes plus fortes sur la circulation et le stationnement des
voitures, d’aménagements piétons de meilleure qualité et de distances de
déplacement plus courtes, la marche est davantage utilisée dans les grandes
villes centre (figure 4). Elle est au contraire délaissée dans les zones rurales.
Cet écart entre rural et ville centre aurait tendance à s’accentuer. Le parallèle
peut être fait avec le type d’habitat : les personnes résidant en habitat collectif
utilisent la marche pour 37 % de leurs déplacements, contre 15 % en habitat
individuel.
La marche domine les déplacements internes à Paris et à sa petite
couronne. A Paris, sa part modale est passée de 51 % en 1994 à 56 % en
2008. La marche augmente également dans le Centre-Est et dans l’Est (de 22 à
28 %), mais diminue dans le Nord-Pas-de-Calais (de 30 à 23 %).
© Les collections de l’INRETS
21
Marche et mobilité
Figure 4. Part de la marche dans les déplacements de semaine
selon la zone de résidence
Ensemble
23%
Rural
18%
Périurbain
13%
Banlieue
25%
37%
Ville centre
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
Source : enquête nationale transports déplacements 2007-20083
La démographie de la marche
La marche se féminise
La marche est un mode féminin, et elle se féminise de plus en plus : en
semaine, 61 % des déplacements à pied en 2008 contre 58 % en 1994 sont
faits par des femmes. Cette féminité de la marche est observée partout en
Europe. Il faut noter que la marche est moins féminine le week-end qu’en
semaine.
L’âge est également un déterminant fort de l’usage de la marche. Comme
en 1994, la marche est davantage pratiquée par les plus jeunes (de 6 à 17
ans), et par les plus âgés, et surtout les femmes. Les filles de 11 à 14 ans
marchent plus que les garçons.
Des profils sociaux variés
L’analyse selon la catégorie sociale confirme que les retraités et les
étudiants sont des utilisateurs privilégiés de la marche. Les retraités l’utilisent
cependant moins qu’en 1994. Les autres inactifs (chômeurs, personnes au
foyer) sont également des adeptes de la marche.
3
Nota : Découpage zhur : zonage hétéroclite urbain regroupé « Rural » comprend les espaces
faiblement urbanisés et correspond aux communes qui ne font pas partie d’une aire urbaine de plus
de 100 000 habitants ; « Périurbain », « Banlieue », et « Ville centre » correspondent seulement aux
communes faisant partie d’une aire urbaine de plus de 100 000 habitants
22
© Les collections de l’INRETS
La mobilité à pied : que nous apprennent les dernières enquêtes ?
Les actifs marchent moins que les inactifs. Mais parmi les actifs, ce sont les
personnels des services aux particuliers, les commerçants et les professions
libérales qui marchent le plus souvent. Ce sont au contraire les artisans, les
chefs d’entreprise et les contremaîtres qui marchent le moins.
La durée des déplacements à pied
Par rapport à 1994, la durée moyenne de déplacement augmente pour
l’ensemble des modes. La marche n’échappe pas à cette tendance, puisque la
durée moyenne d’un déplacement à pied passe de 12,6 minutes à 13,4
minutes.
Si la majorité des déplacements de semaine (65 %) font moins de 15
minutes, c’est encore plus vrai pour la marche, qui trouve donc sa pertinence
sur des déplacements courts : 79 % des déplacements à pied sont réalisés en
moins de 15 minutes. En considérant les vitesses moyennes de déplacement
4
stables dans le temps , on observe que 85 % des déplacements à pied se font
à moins de 900 mètres.
Les modes actifs sont les modes les plus fiables en matière de prévision de
temps de parcours. Les piétons en particulier trouvent en effet moins souvent
que les usagers des TC ou que les automobilistes le trajet réel plus long que la
prévision (environ 6 % des piétons retardés contre 10 % des autres usagers).
En tout, dans leurs déplacements d’une journée de semaine, y compris les
parcours à pied avant de prendre un véhicule ou après l’avoir quitté, ou entre
deux véhicules en correspondance, les hommes marchent en moyenne 11,5 min
contre 14,8 min pour les femmes. 52 % de la population des 6 ans et plus ne
marche pas du tout au cours des déplacements d’une journée (16 % ne font pas
du tout de déplacement), et seulement 14 % marche plus de 30 minutes par jour
(alors que 59 % déclarait marcher plus de 30 minutes par jour en moyenne, mais
y compris en dehors des déplacements). En croisant ces deux questions, on peut
noter que sur 100 personnes de 6 ans et plus, un jour de semaine :
−
11 salubres ont marché plus de 30 minutes dans leurs déplacements et
disent marcher en moyenne plus de 30 minutes par jour ;
−
4 modestes ont marché plus de 30 minutes dans leurs déplacements et
disent marcher en moyenne moins de 30 minutes par jour ;
−
48 vantards ont marché moins de 30 minutes dans leurs déplacements et
prétendent marcher en moyenne plus de 30 minutes par jour ;
−
37 paresseux ont marché moins de 30 minutes dans leurs déplacements
et disent marcher en moyenne moins de 30 minutes par jour.
Conclusion
L’enquête nationale transport et déplacements 2007-2008 est l’occasion
unique de faire le point sur la mobilité en France, et particulièrement de la
mobilité à pied qui est rarement étudiée. La marche présente d’abord des
4
L’enquête de 1994 avait estimé la vitesse moyenne des déplacements à pied à 3,6 km/h.
© Les collections de l’INRETS
23
Marche et mobilité
caractéristiques générales fortes qui restent valables au cours du temps. Elle
est nettement plus pratiquée en zone dense qu’en milieu rural, en habitat
collectif qu’en habitat individuel. Elle est plus fréquente pour les inactifs
(enfants, collégiens, lycéens, étudiants et retraités). Les piétons sont à 61 %
des femmes. On marche moins le samedi, jour de la voiture. La marche
constitue 80 % des promenades. En tout, la part de la marche est restée stable
depuis 15 ans, notamment pour le motif achats, et représente 23 % des
déplacements en semaine.
Toutefois, un certain nombre de changements ont eu lieu depuis la
précédente enquête. Le plus notable est paradoxalement cette stabilité de la
part modale, puisqu’elle fait suite à plusieurs décennies de déclin. Toutefois le
déclin se poursuit en milieu rural, pour les retraités, et dans des proportions
considérablement ralenties pour le motif études. Si leur part est stable, la durée
moyenne des déplacements à pied augmente. Cependant, seulement 15 % des
personnes marchent plus de 30 minutes par jour dans leurs déplacements
(alors que 59 % prétendent franchir ce seuil). Mais la proportion des personnes
gênées dans leurs déplacements augmente, ce qui est à relier au vieillissement
de la population, et à une dégradation de la condition physique que la marche
permet de maintenir.
Note des auteurs
L’ensemble des résultats présentés dans cet article est issu de l’analyse
actuellement en cours de l’enquête nationale transports déplacements 20072008. Les résultats qui y figurent sont provisoires, en attendant la pondération
définitive de l’enquête. Cependant, cette pondération définitive ne modifiera que
peu ces résultats.
Références
Certu (2004) Les chiffres clés des enquêtes ménages déplacements - méthode
standard Certu (réf. : OE0104)
Certu (2008) La démarche « code de la rue » en France. Octobre 2008,
premiers résultats
Hubert, JP (2009) Dans les grandes agglomérations, la mobilité quotidienne
des habitants diminue, et elle augmente ailleurs. Insee Première
n°1252, Le Point sur n°20, juillet, 4 p.
INRETS (2002) Enquête Transports et Communications 1993-94 Liste de
documents et publications. Mai (74 références).
Madre, JL (1997) Comment se déplacent les personnes âgées et/ou
handicapées ; RTS 56, 87-95.
Papon, F (1997) Les modes oubliés : marche, bicyclette, cyclomoteur,
motocyclette, France. Recherche Transports Sécurité n°56.
24
© Les collections de l’INRETS
Milieu bâti et transport actif chez
les adolescents : état de la question
Nabila Bachiri, Carole Després
Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa)
École d'architecture, Faculté d'aménagement, d'architecture et des arts visuels,
Université Laval
1 côte de la Fabrique, Québec, G1K 7P4, Canada
[email protected]
[email protected]
Résumé – Notre environnement moderne est de plus en plus caractérisé par
des infrastructures urbaines qui ne facilitent pas le recours aux modes de
transport actifs. L’analyse des données issues de l’enquête origine-destination
pour la Région Métropolitaine de Québec en 2001 montre que les jeunes sans
permis de conduire qui habitent les secteurs centraux sont plus actifs
physiquement dans leurs déplacements comparativement à leurs homologues
résidant dans des secteurs périphériques. La localisation résidentielle seule ne
suffit toutefois pas à rendre compte du recours des adolescents à un moyen de
transport plutôt qu’à un autre. Ainsi, une revue des écrits scientifiques a permis
d’identifier différentes composantes physiques du milieu bâti associées à
l’usage du transport actif chez les jeunes : la présence de trottoirs, de voies
cyclables ou de traverses sécurisées, la mixité d’occupation du sol, la
perméabilité du réseau routier, la distance et durée du déplacement et enfin
l’accessibilité à l’école, aux commerces et aux équipements. Cela dit, ces
études n’arrivent pas toujours aux mêmes conclusions mettant ainsi en exergue
la complexité de comprendre la manière dont le milieu de vie influence l’usage
du transport actif chez les adolescents.
Mots-clés : milieu bâti, transport actif, adolescent
Introduction
Notre environnement moderne est caractérisé d’une part par des
infrastructures urbaines qui ne mettent pas notre corps à contribution par le
recours au transport actif (Lavadinho et Pini, 2005) et d’autre part par une
mécanisation à l’extrême de nos modes de vie (ordinateurs, escaliers
mécaniques, etc.) associée elle aussi à la passivité physique (Kayser, 2008).
L’inactivité physique est un problème d’ordre majeur au Canada surtout
auprès de la population adolescente. Les jeunes canadiens sont moins actifs
physiquement que leurs pairs d’il y a trente ans (Duranleau et Ferland, 1998 ;
© Les collections de l’INRETS
25
Marche et mobilité
Ledoux et al., 2002) et dépensent quatre fois moins d’énergie que ceux d’il y a
quarante ans (Vail, 2001). Ces jeunes s’exposent ainsi à d’éventuels problèmes
de santé majeurs liés à l’obésité et à l’embonpoint, notamment le diabète de
type II, dont la prévalence a augmenté ces dernières années chez cette
clientèle (Vail, 2001 ; WHO, 2003).
Les déplacements actifs représenteraient la principale source d’activité
physique dans les sociétés modernes (Rodriguez et al., 2006). Pourtant, même
si l’activité physique la plus populaire pour les deux tiers des adolescents
canadiens âgés de 12 à 19 ans est la marche, au Québec, les parents sont plus
susceptibles que ceux du reste du Canada de rapporter que leurs enfants
utilisent exclusivement des modes de transport passifs (Cameron et al., 2007).
Ainsi, la pratique de l’activité physique par le recours au transport actif est un
sujet d’étude extrêmement pertinent et un enjeu fondamental dans
l’aménagement et le réaménagement de nos villes. C’est dans ce contexte que
cet article s’intéresse à l’usage du transport actif chez les adolescents et aux
dimensions de la forme urbaine et de ses fonctionnalités susceptibles
d’influencer ou de décourager un recours accru à la mobilité douce. La
première section présente nos propres études menées sur la mobilité des
jeunes dans la région métropolitaine de Québec ; la seconde rapporte les
résultats les plus probants identifiés dans les écrits scientifiques portant sur
l’influence des composantes physiques du milieu bâti sur le recours au
transport actif chez les jeunes ; enfin, la dernière consiste en une discussion
critique des contradictions théoriques et méthodologiques relevées dans ces
écrits, identifiant de nouvelles avenues de recherche.
Le transport actif des adolescents de la région
de Québec
Dans la région de Québec, l’étalement urbain amorcé dans les années
cinquante se poursuit malgré le vieillissement de sa population, la stagnation du
nombre de jeunes adultes et la diminution du nombre de jeunes enfants (Morin
et Fortin, 2008). Le développement pavillonnaire associé aux deux dernières
décades prend la forme de réseaux ou d'archipels, de configurations
segmentées ou éclatées (Deshaies et Sénécal, 1997). Les frontières du
territoire urbanisé rejoignent dorénavant la montagne, les lacs, les terres
agricoles et les milieux de villégiature (Fortin et Després, 2008). Ces nouvelles
configurations spatiales se traduisent par un éparpillement croissant des lieux
de résidences et des centres d’activités, favorisé entre autres par un réseau
autoroutier à la fois très dense et très efficace (Thériault et al., 2004). En 2006,
plus de 75 % des couples avec enfants, 56,7 % des familles monoparentales et
73,8 % des enfants de moins de 15 ans vivaient dans les banlieues et les
secteurs périurbains de l’agglomération de Québec (Morin et Fortin, 2008) où la
mobilité automobile est souvent exclusive (Fortin et Després, 2008). Marcher ou
pédaler pour se rendre à ses activités quotidiennes est devenu, dans la plupart
des banlieues et des milieux ruraux nord-américains, tout simplement irréaliste
(Turcotte, 2009). Paradoxalement, de plus en plus, la valorisation de la
« civilisation sur roues » de Peck (1928) est fortement remise en question.
L’automobile étant mise au banc des accusés car elle est non seulement
26
© Les collections de l’INRETS
Milieu bâti et transport actif chez les adolescents : état de la question
polluante et dévoreuse d’espace (Amar et Laousse, 2004), mais est aussi tenue
responsable du manque d’activité physique chez les populations qui en
dépendent (Frank et al., 2004). Or, malgré cet éveil d’une conscience qui
condamne la dépendance à l’automobile, au Québec ou ailleurs dans le monde,
les infrastructures urbaines qui lui sont dédiées augmentent constamment
(Lavadinho et Pini, 2005). Puisque les comportements adoptés durant l’enfance
laissent présager ceux à l’âge adulte, faut-il s’inquiéter du sort des adolescents
confrontés au quotidien à des aménagements hostiles à la pratique de la
marche et du vélo ? Font-ils usage de formes de mobilité douce ? C’est ce que
nous avons tenté de savoir en examinant les modes de transport utilisés par les
adolescents qui habitent la région métropolitaine de Québec.
Afin de dresser le portrait des modes de transport favorisés par les
adolescents dans leurs déplacements, nous avons analysé les données de
l’enquête origine-destination de 2001 qui portent sur l’ensemble des résidents
de la région métropolitaine de Québec. Il s’agit d’une enquête téléphonique
réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 27 839 ménages soit environ
11 % de l’ensemble des ménages. Cette enquête décrit les caractéristiques des
déplacements effectués par les différents membres du ménage durant une
journée de la semaine, celles des personnes ayant effectué ces déplacements,
ainsi que celles des ménages. En 2001, 13 413 de ces déplacements ont été
effectués par 4686 adolescents âgés de 12 à 18 ans (50,8 % de sexe féminin)
qui n’ont pas de permis de conduire. Seuls les adolescents sans permis de
conduire ont été considérés pour cet article puisqu’une analyse antérieure a
montré que le permis de conduire entraine chez les adolescents une
dépendance à l’usage de l’automobile, qu’ils habitent un secteur central ou
périurbain (Bachiri, Vandersmissen et Després, 2008).
L’analyse des déplacements des adolescents sans le permis de conduire
montre qu’indépendamment de l’âge de l’adolescent, ces déplacements sont
principalement dépendants de modes de transport motorisés. Sur 13 413
déplacements, seulement 3460 (moins que 26 %) sont effectués en transport
actif, un peu plus par des garçons que par des filles (54,2 %). Près de la moitié
des déplacements effectués par les jeunes qui habitent les quartiers centraux
sont actifs (48,5 %). Cette proportion diminue au fur et à mesure que l’on
s’éloigne du centre: 38,8 % des déplacements de ceux qui habitent les
anciennes banlieues pavillonnaires sont actifs, 25 % dans le cas des nouvelles
banlieues, et respectivement 11,2 % et 21,7 % pour les secteurs en grande
périphérie et en zone rurale. Si la localisation résidentielle joue un rôle certain
dans l’usage d’un transport plutôt qu’un autre, ces résultats nous renseignent
peu sur les composantes physiques du milieu bâti qui influencent le recours au
transport actif des adolescents. La prochaine section examine ces principaux
facteurs, tels que recensés dans les écrits scientifiques.
Milieu bâti et transport actif chez les jeunes :
état de la question
Durant la dernière décennie, des chercheurs issus d’horizons différents ont
porté leur attention sur la faible pratique du transport actif chez les jeunes en
© Les collections de l’INRETS
27
Marche et mobilité
lien avec certaines composantes anthropiques du milieu bâti et leur perception
par les jeunes. Vingt deux études publiées entre 2003 et 2008 ont été
recensées. Elles mettent en lien le recours au transport actif et l’aspect
sécuritaire des trajets à travers la présence de trottoirs, de pistes cyclables ou
de traverses sécurisées, la mixité des fonctions urbaines, la perméabilité du
réseau routier, la distance ou la durée du trajet et enfin l’accessibilité aux
commerces et aux équipements. Chacune de ces dimensions est présentée cidessous par ordre décroissant de référence dans les études et de manière
indépendante les unes par rapport aux autres.
La présence de trottoirs, de voies cyclables
et de traverses sécurisées
Des études menées aux États-Unis (Californie, Floride et Arizona) montrent
que la présence de trottoirs sur le trajet vers l’école est positivement associée à
la pratique d’une activité physique de faible intensité telle la marche (Boarnet et
al., 2005 ; Ewing et al., 2004 ; Jago et al., 2005). Deux autres études menées
aussi aux États-Unis (Caroline du Nord, Oregon) notent que l’absence de
trottoirs (Ahlport et al., 2008 ; Schlossberg et al., 2006) ou leur présence
discontinue sur le trajet vers l’école (Ahlport et al., 2008) constitue une barrière
pour le transport actif. Contrairement à ces résultats, une étude menée au
Portugal (Porto) n’a trouvé aucune association entre la présence de trottoirs et
la pratique de la marche ou du vélo chez les jeunes (Mota et al., 2005). Dans
l’étude d’Ewing et al. (2004), aucune association significative n’est relevée entre
la pratique du vélo et la proportion de rues munies de pistes ou de bandes
cyclables le long du parcours vers l’école. Par contre, Ahlport et al. (2008)
relèvent que l’absence de voies cyclables et d’aménagements spécifiques à
l’école pour entreposer les vélos et casques explique le faible recours des
enfants à ce mode de transport. D’autre part, quatre études menées en
Australie (Melbourne, Sydney, Brisbane) et une en Suisse (Berne, Payerne et
Biel/Bienne), révèlent que les intersections de rues non protégées par des feux
de signalisation ou des traverses piétonnes (Timperio et al., 2004 ; Timperio et
al., 2006), ainsi que l’insécurité liée au trafic motorisé (Bringolf-Isler et al.,
2008 ; Carver et al., 2005 ; Timperio et al., 2004 ; Timperio et al., 2006 ; Ziviani
et al., 2004) sont associées à une faible pratique du transport actif chez les
jeunes. L’étude de Boarnet et al. (2005) en Oregon arrive à la même conclusion
indiquant que les jeunes qui passent par des secteurs où le trafic est contrôlé
ont plus tendance à recourir à la marche ou au vélo que les autres.
Contrairement à ces résultats, les études de Mota et al. (2005) à Berne,
Payerne et Biel/Bienne et de Schlossberg et al. (2006) en Oregon, n’ont pas
révélé d’association entre la pratique de la marche et le danger lié au trafic ou à
la présence d’une artère principale sur le trajet vers l’école.
Mixité d’occupation du sol
La mixité de l’occupation du sol est définie comme étant la proximité relative
des différents usages du sol à l’intérieur d’un espace donné (Handy et al.,
2002). Elle renvoie aux différentes activités ou fonctions urbaines
(résidentielles, commerciales, institutionnelles, industrielles, etc.), telles que
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Milieu bâti et transport actif chez les adolescents : état de la question
localisées plus ou moins à proximité et en alternance les unes par rapport aux
autres (Ewing, 2005 ; Frank et al., 2005).
Selon une étude de Frank et al. (2007) menée à Atlanta, les adolescents qui
habitent des secteurs avec une plus grande mixité d’occupation du sol se
déplacent plus à pied que leurs homologues qui habitent des secteurs avec une
faible mixité d’occupation du sol. En fait, ils se déplaceraient à pied 2,5 fois plus
souvent lorsqu’il y a au moins un commerce ou un équipement de loisir situé
dans un périmètre de 1 km mesuré à travers le réseau routier autour du lieu de
résidence. L’étude de Norman et al. (2006) à San Diego (États-Unis) indique
aussi qu’un plus grand nombre de surfaces commerciales situées dans un
périmètre de 1,6 km tracé à travers le réseau routier autour de la résidence de
chaque répondant, est positivement associé avec le niveau d’activité physique
des garçons mais pas des filles. Cela dit, dans cette même étude, le nombre de
parcs et d’équipements de loisirs situé dans ce même périmètre est positivement
associé au niveau d’activité physique des filles mais pas des garçons. Avoir une
aire de loisirs d’une superficie supérieure ou égale à 6 acres (2,42 hectares) dans
un périmètre de 1 km autour de la maison n’est pas associé à la pratique de la
marche chez les jeunes (Frank et al., 2007). Par contre, avoir accès à un espace
de plein air d’une superficie inférieure à 6 acres est positivement associé à la
pratique de la marche chez les jeunes (Frank et al., 2007). À l’inverse, l’absence
de parcs ou de terrains de sports à proximité du domicile est associée à une
faible pratique de la marche et du vélo (Timperio et al., 2004).
La perception de l’existence de plusieurs équipements publics de loisirs dans
le quartier est positivement associée avec le fait que les adolescents soient plus
actifs physiquement (Mota et al., 2005). Alors que dans une autre étude, la
perception des jeunes de l’existence d’équipements proches du lieu de résidence
n’est pas associée à leur niveau d’activité physique (Dunton et al., 2003). Dans
l’étude de Hume et al. (2005) où les participants devaient dessiner les
opportunités qui existent dans leur quartier pour pratiquer une activité physique,
les filles plus actives physiquement ont dessiné plus d’opportunités que leurs
homologues masculins. L’étude de Carver et al. (2005) à Sydney relève que la
perception des filles de l’existence de commerces proches de leur lieu de
résidence était positivement associée avec la pratique de la marche la fin de
semaine, alors que la perception des parents de l’existence dans le quartier
d’équipements de sport ou loisirs pour leurs enfants était positivement associée à
la pratique du vélo de loisirs chez les filles et du vélo utilitaire la fin de semaine
chez les garçons. Ainsi, les résultats de ces différentes études suggèrent que la
mixité d’occupation du sol n’a pas la même influence sur la pratique du transport
actif chez les filles et les garçons et selon que l’on réfère à des commerces ou à
des équipements de loisirs, utilisés en semaine ou en fin de semaine.
Perméabilité du réseau routier
La perméabilité du réseau routier réfère aux alternatives et à l’efficacité des
trajets possibles pour se rendre d’un lieu à un autre (Handy et al., 2002 ;
McCann et Ewing, 2003 ; Frank et al., 2005). Elle est influencée par la
dimension et la forme des îlots, ainsi que par le nombre et le type
d’intersections. Des barrières naturelles et anthropiques peuvent grandement
© Les collections de l’INRETS
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Marche et mobilité
réduire le niveau de perméabilité d’une trame viaire. Parmi les études
recensées, plusieurs ont trouvé une association positive entre une trame de
rues perméable et la pratique de la marche chez les jeunes alors que d’autres
arrivent aux conclusions inverses. Trois études associent une bonne
perméabilité du réseau routier entre la maison et l’école à un faible usage du
transport actif sur ce trajet (Ahlport et al., 2008 ; Timperio et al., 2006) ou à de
faibles taux de pratique de l’activité physique chez les filles (Norman et al.,
2006). Alors que quatre autres études arrivent aux conclusions inverses. Celle
de Schlossberg et al. (2006) en Oregon indique que les jeunes ont plus
tendance à marcher sur leur trajet vers l’école quand la densité des
intersections est plus élevée et celle des culs-de-sacs plus faible. Dans le
même sens, les études de Braza et al. (2004) en Californie et de Frank et al.
(2007) à Atlanta montrent que la perméabilité du réseau routier autour de
l’école (Braza et al., 2004) ou de la maison (Frank et al., 2007) est positivement
corrélée à la pratique de la marche chez les jeunes. Enfin, dans l’étude de Mota
et al. (2005), ce sont les plus actifs physiquement qui sont le plus en accord
avec l’importance d’une bonne perméabilité du réseau pour l’usage du transport
actif. Ces différences sont sans doute attribuables à ce qui est mesuré dans
chaque étude en termes d’activité physique: jouer dans la rue est facilité par
une trame urbaine moins perméable décourageant la circulation automobile
alors que se rendre à l’école à pied ou à vélo est facilité par un réseau
perméable sécuritaire. La question du niveau de trafic et de sécurité routière est
un facteur d’influence important pour l’évaluation du réseau routier en lien avec
les modes de transport utilisés par les jeunes. Si ces études arrivent à des
résultats contradictoires, il est aussi possible que cela soit dû à l’usage d’outils
non standardisés ; ce débat sera repris plus loin dans la discussion.
Distance et durée du déplacement
Les résultats de cinq études menées aux États-Unis (Caroline du Nord,
Caroline du Sud-Maryland-San Diego-Arizona-Minnesota-New Orleans,
Californie) et en Australie (Melbourne, Brisbane) indiquent qu’une longue
distance à parcourir vers l’école est associée négativement avec la pratique du
transport actif sur ce trajet (Ahlport et al., 2008 ; Timperio et al., 2006) et avec le
niveau d’activité physique (Cohen et al., 2006). À l’opposé, une distance entre
la maison et l’école inférieure à 1,6 km (McMillan et al., 2006 ; Schlossberg et
al., 2006 ; Ziviani et al., 2004) et un temps de déplacement limité (Ewing et al.,
2004) sont associés positivement à la pratique du transport actif. Seule une
étude menée en Suisse (Berne, Payerne et Biel/Bienne) arrive à la conclusion
inverse. Ses résultats indiquant qu’indépendamment de la distance à parcourir,
les parents accompagnent leurs enfants en automobile vers l’école (BringolfIsler et al., 2008). Cette étude soulève un facteur d’influence important dans
l’évaluation de la pratique du transport actif chez les jeunes qui renvoie dans ce
cas aux modes de vie adoptés par les ménages.
Accessibilité aux commerces et équipements
L’accessibilité est définie comme l’intensité des possibilités d’interaction
(Hansen, 1959). Elle se traduit par la capacité qu’a une personne de se
déplacer d’un espace à l’autre et par les moyens qui sont mis à sa disposition
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Milieu bâti et transport actif chez les adolescents : état de la question
(McCann et Ewing, 2003 ; Frank et al., 2005). L’accessibilité inclut à la fois la
distribution des destinations potentielles, la facilité à laquelle il est possible de
les rejoindre et le caractère de l’activité de destination (Handy, 1996).
Les études menées par Frank et al. (2007), Kerr et al. (2005) et Motl et al.
(2007) respectivement dans la ville d’Atlanta, le Comté de King et en Caroline
du Sud et celles de Mota et al. (2005) à Porto et de Timperio et al. (2004) à
Melbourne ont identifié une association positive entre le recours au transport
actif et l’accessibilité aux commerces et/ou aux équipements. Il ressort de ces
études que : 1) la présence de parcs à une distance de la maison inférieure à
800 mètres via le réseau routier est fortement associée avec la pratique de la
marche chez les jeunes (Frank et al., 2007) ; 2) les plus actifs physiquement
sont plus en accord avec l’affirmation selon laquelle il y a dans leur quartier une
bonne accessibilité à pied aux commerces ou aux arrêts d’autobus (Mota et al.,
2005 ; Motl et al., 2007) ; 3) la perception des parents d’une desserte limitée du
quartier par le transport public est associée à une plus faible pratique du
transport actif chez les filles mais pas chez les garçons (Timperio et al., 2004) ;
et enfin 4) la perception des parents d’une accessibilité en moins de 20 minutes
de marche de la maison aux commerces de proximité, aux pistes cyclables ou
aux sentiers piétons est associée positivement avec les déplacements actifs de
leurs enfants (Kerr et al., 2006). Toutefois, contrairement à ces résultats, l’étude
de Adkins et al. (2004) menée à Minneapolis (États-Unis) ne trouve pas
d’association entre la perception des filles de l’accessibilité aux équipements de
loisirs dans leur quartier et leur niveau d’activité physique.
Discussion
L’examen d’études empiriques portant sur la pratique du transport actif chez
les adolescents a permis d’identifier les composantes physiques du milieu bâti
les plus couramment associées à la pratique de modes de transport actifs chez
les jeunes. Or, l’influence véritable de ces facteurs est encore contestée, tel que
le révèlent les résultats contradictoires de certaines études. En effet, même si la
majorité des études montre que des composantes physiques généralement
attribuées aux quartiers centraux dits traditionnels, telles la présence de
trottoirs, de traverses piétonnes sécurisés, la mixité des fonctions urbaines, la
bonne perméabilité de la trame de rues et la grande accessibilité des
commerces et équipements, sont positivement associées à la pratique du
transport actif chez les jeunes, d’autres au contraire trouvent une association
inverse ou pas d’association du tout. Nous posons l’hypothèse que ce manque
d’unanimité autour des résultats découle de différences fondamentales entre
les échantillons de répondants en ce qui concerne notamment les
caractéristiques socioculturelles et économiques des jeunes enquêtés (âge,
sexe, niveau d’éducation des parents, revenu du ménage, etc.), les modes de
vie associés aux milieux où les jeunes enquêtés résident, le manque de
précision dans la définition d’activité physique de loisir et utilitaire et leur
mesure en semaine scolaire et en fin de semaine, et enfin, l’absence de
consensus dans la communauté scientifique autour de la manière de mesurer
les différentes composantes physiques du milieu bâti. Ainsi, une grande
diversité de ces mesures est relevée mais aucune n’est standardisée.
© Les collections de l’INRETS
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Marche et mobilité
Mesures des composantes physiques du milieu bâti
Les composantes physiques du milieu bâti sont considérées de manière
objective par l’usage de systèmes d’information géographique ou subjective
quand les variables sont construites à partir de données auto-rapportées par les
adolescents et/ou leurs parents (questionnaires, groupes de discussion). Il
s’agit dans ce qui suit d’examiner et de discuter de la diversité des mesures des
différentes composantes physiques de l’environnement bâti.
La présence de trottoirs, de voies cyclables ou de traverses
sécurisées
La majorité des études qui se sont intéressées à l’usage des modes de
transport actifs en lien avec la présence de trottoirs, de voies cyclables ou de
traverses sécurisées s’est basée sur des données auto-rapportées par les
adolescents et/ou par leurs parents (Ahlport et al., 2008 ; Boarnet et al., 2005 ;
Carver et al., 2005 ; Mota et al., 2005 ; Schlossberg et al., 2006 ; Timperio et al.,
2004 ; Timperio et al., 2006). Ahlport et al. (2008) recourent dans leur étude à des
groupes de discussion composés de parents et d’autres de leurs enfants, alors
que Boarnet et al. (2005) et Schlossberg et al. (2006) utilisent un questionnaire
adressé aux parents pour établir si l’absence de trottoirs ou leur présence
discontinue et si l’insécurité liée au trafic automobile empêche le recours de leurs
enfants au transport actif sur leur trajet vers l’école. Dans l’étude de Mota et al.
(2005), les adolescents devaient mentionner leur degré d’accord avec
l’affirmation selon laquelle il y avait des trottoirs au niveau de la plupart des rues
de leur quartier et s’il était difficile ou déplaisant d’y marcher à cause du trafic
automobile. Certains chercheurs questionnent les adolescents et leurs parents
sur l’aspect sécuritaire des rues au niveau de leur quartier (Carver et al., 2005),
sur la présence de feux de signalisation ou des passages pour piétons pour
rejoindre les espaces de jeu les plus proches de leur lieu de résidence (Timperio
et al., 2004) et sur la présence d’intersections de rues non protégées (absence de
feux de signalisation) ou d’un important trafic motorisé qui empêcherait les jeunes
de recourir aux modes de transport actifs (Timperio et al., 2006).
Dans une seule étude, un travail de terrain avait été fait pour relever les
segments de rues munis de trottoirs situés dans un périmètre de 400 mètres
autour de la résidence de chaque adolescent (Jago et al., 2005).
Mixité d’occupation du sol
Chaque étude considère la mixité de l’occupation du sol de manière
différente. Quatre études se basent sur des données auto-rapportées par les
jeunes pour établir si la mixité des fonctions urbaines favorise leur recours au
transport actif. Dans l’étude de Carver et al. (2005), les adolescents devaient
mentionner s’il y avait des commerces à proximité de leur lieu de résidence,
alors que dans les études de Mota et al. (2005) et de Timperio et al. (2004), il
s’agissait de relever leur degré d’accord avec l’affirmation selon laquelle il y
avait dans leur quartier plusieurs équipements (parcs, terrains de jeux, pistes
cyclables, chemins piétons, etc.). Dans l’étude de Hume et al. (2005), la tâche
des adolescents consistait à dessiner leur quartier de résidence. La mixité de
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© Les collections de l’INRETS
Milieu bâti et transport actif chez les adolescents : état de la question
l’occupation du sol était ensuite estimée par les chercheurs en faisant le
décompte du nombre de commerces, d’équipements et de parcs.
Seules deux études ont calculé la mixité de l’occupation du sol en recourant à
un système d’information géographique (SIG). Frank et al. (2007) et Norman et
al. (2006) arrivent à calculer ainsi de manière assez précise le nombre de
commerces, services et parcs situé dans un périmètre tracé via le réseau routier
autour du lieu de résidence de chaque adolescent. Or, si ce périmètre est de 1
km dans la première étude, il est de 1,6 km dans la seconde. Il n’y a pas de
consensus dans la communauté scientifique autour de la dimension du territoire à
considérer dans les études qui portent sur le transport actif chez les jeunes.
Perméabilité du réseau routier
La mesure de la perméabilité du réseau routier et le degré approprié de
cette perméabilité pour encourager le recours aux modes de transport actifs
font toujours l’objet de multiples débats (Dill, 2003). Chaque étude utilise une
approche différente pour déterminer la perméabilité du réseau routier. Dans
celle de Mota et al. (2005), les adolescents devaient mentionner s’ils
considéraient qu’il y avait une bonne perméabilité de la trame viaire dans leur
quartier. Alors que dans l’étude de Ahlport et al. (2008), les parents et les
enfants qui ont participé à des groupes de discussion se sont exprimés sur la
présence ou non d’intersections de rues sur le trajet vers l’école. Par contre,
cinq études déterminent la perméabilité du réseau routier de manière objective
en calculant le nombre d’intersection par mille de rue (1 mille ≈ 1,6 km) en
divisant le nombre d’intersections de rues situé dans un rayon d’environ 800
mètres autour de chaque école par le nombre total de milles de rues situé dans
ce même périmètre (Braza et al., 2004) ou en traçant un périmètre d’environ
400 mètres via le réseau routier autour de la maison et en y calculant la densité
des intersections en divisant le nombre total d’intersections par le nombre de
kilomètres de rues situé dans le périmètre d’étude (Frank et al., 2007) . Norman
et al. (2006) tracent eu aussi un périmètre d’étude autour de la maison de
chaque adolescent à travers le réseau mais contrairement aux études de Braza
et al. (2004) et de Frank et al. (2007), ce périmètre est de 1 mille
(approximativement 1,6 km). Ils y calculent ensuite le nombre d’intersections de
rues par acre² (1 acre ≈ 0,4 hectare). En revanche, Schlossberg et al. (2006)
tracent un périmètre d’environ 200 mètres de part et d’autre du trajet le plus
court pour se rendre de la maison vers l’école et y calculent la densité des
intersections en divisant le nombre d’intersections par la superficie totale de ce
périmètre. Timperio et al. (2006) déterminent aussi le trajet le plus court de la
maison vers l’école mais ils calculent la perméabilité de ce parcours en divisant
sa distance tracée via le réseau routier par la distance euclidienne qui sépare la
maison de l’école. Ces chercheurs considèrent qu’un résultat supérieur à 1,6
signifie que le chemin est plus direct, alors qu’un résultat inférieur ou égal à 1,6
exprime un chemin indirect et donc une faible perméabilité du trajet. Ainsi, il n’y
a non seulement pas de consensus de la communauté scientifique autour de la
dimension du territoire d’étude à considérer mais aussi sur celui à prendre en
compte. Doit-on examiner les composantes physiques de l’environnement bâti
qui sont situées dans un périmètre autour du lieu de résidence de l’adolescent,
de son école ou du trajet qui les sépare ?
© Les collections de l’INRETS
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Marche et mobilité
Distance et durée du déplacement
Certains chercheurs se sont basés sur des données auto-rapportées pour
déterminer la distance qui sépare le lieu de résidence de l’école (Ahlport et al.,
2008 ; McMillan et al., 2006 ; Ziviani et al., 2004). Par contre, d’autres comme
Cohen et al. (2006), Schlossberg et al. (2006) et Timperio et al. (2006) ont
calculé la distance du trajet le plus court via le réseau routier. Mais alors que les
premiers établissent quatre catégories : < ½ mille, entre ½ mille et 5 milles,
entre 5 milles et 10 milles et enfin ≥10 milles (1 mille ≈ 1,6 km), les seconds en
déterminent cinq : < 1 mille, entre 1 et 1,5 milles, entre 1,5 milles et 2,5 milles,
entre 2,5 milles et 3,5 milles et enfin ≥ 3,5 milles et enfin Timperio et al. (2006)
deux catégories : < 800 mètres et ≥ 800 mètres. Contrairement à ces études,
celle de Bringolf-Isler et al. (2008) se base sur la distance euclidienne qui
sépare le lieu de résidence de l’école, alors que dans l’étude de Ewing et al.
(2004), la durée du déplacement à pied et à vélo a été modélisée à partir d’un
système de transport régional qui génère les durées de déplacement en
automobile et en autobus. Ainsi, la notion de proximité renvoie à des distances
ou à des durées de déplacement différentes d’où la difficulté de comparer les
résultats des études recensées.
Accessibilité aux commerces et équipements
L’accessibilité aux commerces et équipements a été déterminée dans
plusieurs études à partir de données auto-rapportées par les adolescents et/ou
leurs parents (Adkins et al., 2004 ; Kerr et al., 2005 ; Mota et al., 2005 ; Motl et
al., 2007). Adkins et al. (2004) se sont intéressés au degré d’accord des
parents avec l’affirmation selon laquelle il y avait dans leur quartier des
équipements accessibles pour leurs enfants, alors que leurs enfants devaient
eux aussi répondre à cette même affirmation mais par la positive ou négative.
Par contre, dans les études de Mota et al. (2005) et de Motl et al. (2007), les
adolescents devaient préciser leur degré d’accord avec l’affirmation selon
laquelle il y avait dans leur quartier une bonne accessibilité à pied aux
commerces et équipements. Dans l’étude de Kerr et al. (2005), les parents
devaient mentionner le nombre de commerces et équipements accessibles en
moins de 20 minutes de marche à partir de leur lieu de résidence.
Une seule étude relève de manière objective les espaces de plein air ou de
loisirs situés à une distance inférieure à 800 mètres tracée via le réseau routier
autour de la maison (Frank et al., 2007). Cela dit, même si un commerce ou un
équipement est accessible à pied à partir du lieu de résidence, cela ne signifie
pas pour autant que l’adolescent fréquente cet endroit.
Mesures de la pratique du transport actif
Les instruments de mesure de la pratique du transport actif, ou de l’activité
physique en général, diffèrent d’une étude à l’autre. Certains chercheurs ont eu
recours à un l’accéléromètre (Adkins et al., 2004 ; Cohen et al., 2006 ; Hume et
al., 2005 ; Jago et al., 2005 ; Norman et al., 2006), alors que d’autres à un
questionnaire adressé aux adolescents, aux parents ou aux deux.
L’accéléromètre est un petit instrument électronique porté à la taille et qui
évalue la quantité et l’intensité des mouvements. Les résultats issus des études
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© Les collections de l’INRETS
Milieu bâti et transport actif chez les adolescents : état de la question
qui ont eu recours à cet instrument sont difficilement comparables à cause de son
utilisation selon des protocoles différenciés : trois jours de 12h à 18h (Adkins et
al., 2004), au moins trois jours sans préciser la durée (Hume et al., 2005), trois
jours à condition que l’instrument ait été porté pendant au moins 800 minutes par
jour entre 6h et minuit (Jago et al., 2005), au moins trois jours à condition que
l’appareil ait enregistré une accélération supérieure à 5000 par jour (Norman et
al., 2006), sept jours consécutifs en hiver et sept jours au printemps (Cohen et al.,
2006). Ainsi et au-delà du manque de consensus des chercheurs autour de la
durée du port de l’accéléromètre par l’adolescent, l’inconvénient majeur dans
l’utilisation de cet instrument est qu’il ne permet pas d’identifier les activités
pratiquées et encore moins leurs localisations sur le territoire.
D’autres chercheurs ont, quant à eux, adressé un questionnaire aux parents
qui devaient mentionner, si leurs enfants utilisaient un mode de transport actif
plus souvent, moins souvent ou autant qu’avant la réalisation d’un parcours
sécuritaire sur le trajet vers l’école (Boarnet et al., 2005) ou indiquer le mode de
transport que leurs enfants avaient l’habitude d’utiliser sur ce trajet (Bringolf-Isler
et al., 2008 ; Ewing et al., 2004 ; McMillan et al., 2006). Par contre, Kerr et al.
(2005), Schlossberg et al. (2006) et Timperio et al. (2006) ont demandé aux
parents de préciser la fréquence par semaine à laquelle leurs enfants utilisaient
chaque mode de transport sur le trajet vers l’école mais aussi bien à l’aller qu’au
retour. Grâce à un questionnaire auprès des ménages, Frank et al. (2007) ont
relevé les déplacements à pied d’une distance supérieure à 0,5 mille (≈ 800
mètres) effectués pendant deux jours. D’autres chercheurs ont plutôt adressé un
questionnaire aux adolescents qui devaient mentionner les différents modes de
transport utilisés durant la semaine précédant l’enquête (Braza et al., 2004) ou la
fréquence par semaine à laquelle ils pratiquaient une activité physique de
transport, de loisirs ou d’exercice d’une durée d’au moins 20 minutes (Mota et al.,
2005). Par contre, dans l’étude de Dunton et al. (2003), il s’agissait de noter
toutes les activités et déplacements effectués pendant deux jours de 7h à 23h,
alors que dans celle de Motl et al. (2007), l’exercice consistait à choisir parmi une
liste de 55 activités (transport, activité physique de loisirs, exercice physique, etc.)
celles effectuées durant trois matinées de 7h à midi. Ahlport et al. (2008) se sont
basés sur le discours des parents et de leurs enfants relatif à l’utilisation ou non
des jeunes des modes de transport actifs sur le trajet vers l’école. Enfin, des
chercheurs ont adressé des questionnaires aux parents et à leurs enfants où ils
devaient préciser la fréquence par semaine à laquelle les jeunes utilisaient un
mode de transport actif pour se rendre à différentes destinations (Carver et al.,
2005 ; Timperio et al., 2004) ou la durée de leurs déplacements les jours de
semaines versus la fin de semaine (Carver et al., 2005). La mesure de l’activité
physique des adolescents qu’elle soit de transport ou de loisirs et sport n’est pas
encore adaptée aux études qui s’intéressent à l’influence des composantes
physiques de l’environnement bâti sur l’usage du transport actif d’où la difficulté
de son opérationnalisation dans ces différentes recherches.
Conclusion
L’influence des composantes physiques du milieu bâti sur le recours des
adolescents aux modes de transport actifs est complexe et nécessite de plus
amples recherches. La localisation résidentielle joue un rôle certain dans le
© Les collections de l’INRETS
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Marche et mobilité
recours ou non des adolescents aux modes de transport actifs. Les résultats de
l’étude menée au niveau de la région métropolitaine de Québec ont montré que
les jeunes qui habitaient les quartiers centraux étaient plus actifs dans leurs
déplacements comparativement à leurs pairs qui habitaient les banlieues, les
secteurs en grande périphérie et la zone rurale. Néanmoins, cette échelle
d’analyse opposant d’une manière générale le centre-ville aux autres secteurs
ne permet pas d’identifier les composantes physiques de l’environnement bâti
qui influencent le recours des adolescents aux modes de transport actifs.
L’examen des écrits scientifiques a permis d’identifier ces facteurs d’influence
localisés au niveau d’un périmètre donné dont la dimension diffère d’une étude
à l’autre. De plus, ce périmètre tracé soit autour du lieu de résidence, de l’école
ou le long du trajet entre les deux ne traduit pas l’espace géographique
réellement investigué par chaque adolescent. Un jeune peut résider dans un
quartier, étudier dans un autre, et pratiquer certains loisirs dans un autre
encore, ou bien être en garde partagée et donc en alternance entre les deux
secteurs de résidence des parents. L’hypothèse avancée est que l’aire d’action
de chaque adolescent exprimant l’espace géographique à l’intérieur duquel il
entreprend ses activités, représente le périmètre dont les composantes
physiques de l’environnement bâti sont susceptibles d’influencer ses
comportements et cette aire d’action diffère les jours d’école versus la fin de
semaine. Cet espace vécu suggère la forte interdépendance qui existe entre
l’individu et son environnement. Il s’agit ainsi de l’espace géographique qui sert
de base aux rapports fonctionnels qui se dessinent entre l’adolescent par ses
déplacements et les modes de transport qu’il utilise et les composantes
physiques de l’environnement bâti. Il semble ainsi essentiel que les recherches
futures s’assurent que la délimitation du périmètre d’étude corresponde à l’aire
d’action quotidienne de chaque adolescent afin d’être fidèle à l’espace
géographique qu’il fréquente réellement. En outre, relever la mixité des
fonctions à l’intérieur d’un périmètre donné autour du lieu de résidence ou de
l’école ne permet pas d’établir quel type de commerces, équipements ou
services l’adolescent fréquente réellement. Par ailleurs, les composantes
physiques du milieu bâti sont considérées dans les écrits scientifiques recensés
en deux dimensions (sur plan) alors que la troisième dimension (relief, gabarits,
attrait des façades, etc.) qui est incontournable dans les domaines de
l’architecture et de l’aménagement est complètement ignorée. Pourtant, les
composantes physiques de l’environnement bâti ne se résument pas
simplement en un plan horizontal ou incliné mais comprennent, parmi leurs
éléments, les plans verticaux des façades qui se développent sur toute la
longueur des rues. De plus, le rapport entre la largeur de la voie et le gabarit
des façades est considéré comme un élément qui influence le caractère urbain
de la rue (Tsoukala, 2007). Ce point de vue est partagé par Kevin Lynch (1969)
qui soutient que les caractéristiques particulières des façades jouent un rôle
important dans l’identité des voies.
Les outils de mesure des composantes physiques de l’environnement bâti ne
sont pas standardisés. L’évaluation de ces facteurs d’influence est réalisée soit
de manière objective par des analyses spatiales en relevant par exemple le
nombre de commerces/services/institutions/parcs ou le nombre d’intersections de
rues situé dans un périmètre donné, soit en se basant sur des données autorapportées par les adolescents, leurs parents ou les deux. La question, à savoir
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© Les collections de l’INRETS
Milieu bâti et transport actif chez les adolescents : état de la question
lesquelles de ces mesures, objectives ou auto-rapportées, sont les plus
appropriées pour assurer une meilleure compréhension de l’influence des
composantes physiques de l’environnement bâti sur le recours des adolescents
aux modes de transport actifs, est complexe. Or, croiser plusieurs approches
permet de compenser les biais inhérents à chacune d’elle lors de l’interprétation
des données, de sorte à converger vers une meilleure compréhension de la
réalité (Mucchielli, 2004). L’approche qualitative a un fort potentiel de décryptage
de la complexité (Miles et Huberman, 2003). Elle permettra, à partir du discours
des adolescents, de comprendre leurs comportements (Kaufmann, 1996) et de
se concentrer sur les représentations et significations qu’ils attachent à leurs
actions (Deslauriers, 1991). Ainsi, croiser l’analyse spatiale objective et les
données auto-rapportées par les adolescents permettra de relever les
caractéristiques de chacune des composantes physiques de l’environnement bâti
qui influencent le recours ou non de ces jeunes au transport actif.
Les études sur les caractéristiques physiques du milieu bâti sont
prometteuses et stimulantes pour identifier des influences significatives et
potentiellement modifiables de nos milieux bâtis sur le recours des adolescents
aux modes de transport actifs. D’autant plus qu’au Canada, chaque année,
chaque personne fait en moyenne 2 000 déplacements en automobile dont la
distance est inférieure à trois kilomètres (Agence de la Santé du Canada,
2002). Ainsi, si un plus grand nombre de canadiens optaient pour la pratique de
la marche ou du vélo au lieu de recourir à leur automobile, plusieurs problèmes
de santé, de sécurité et de salubrité de l’environnement, se poseraient avec
moins d'acuité (Agence de la Santé Publique du Canada, 2002).
Certes, il est difficile d’avancer que certains changements dans les
composantes de nos milieux de vie vont faire que l’usage du transport actif va
augmenter. Toutefois, concevoir d’une part des milieux « facilitants et
invitants » (GTPPP, 2004), propices à la pratique de la marche et du vélo et
retrouver d’autre part, avec des formes peut être différentes, des qualités telles
que la proximité, le mélange, l’imprévu, un espace public accessible à tous et
des activités qui se mêlent (Panerai et al., 1997) augmenteraient les
opportunités pour les personnes d’être actives dans leurs déplacements.
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© Les collections de l’INRETS
41
Tribune libre
La mobilité quotidienne des piétons
âgés autour de leur domicile est-elle
révélatrice d’espaces de qualité
et de bien-être ?
Béatrice Chaudet
Laboratoire CARTA UMRS ESO 6590
Université d’Angers, 5 bis boulevard Lavoisier, 49000 Angers, France
[email protected]
Mots-clés : piéton âgé, mobilité, qualité des espaces, comparaison
France- Québec
Être mobile au quotidien, pour les personnes vieillissantes, constitue un
véritable défi d'autant qu'avec l’avancée en âge la mobilité diminue et réduit
progressivement le périmètre de déplacement du piéton et par conséquent
l’espace de vie du quotidien. En s'intéressant aux pratiques spatiales des
personnes âgées au seuil de la dépendance autour de leur domicile nous
interrogeons le cheminement de la personne âgée afin de caractériser leurs
espaces de qualité et de bien-être, compris ici comme des espaces favorables
à la participation sociale des personnes âgées au seuil de la dépendance. Pour
cela nous avons mené une étude qualitative fondée sur six études de cas en
France et au Québec et suivie une méthodologie en trois temps : observation,
discours puis parcours. L’observation de l’environnement immédiat du domicile
des personnes âgées, associée aux récits des déplacements du quotidien et
aux parcours accompagnés constituent les trois ressources essentielles pour la
compréhension des comportements spatialisés des personnes âgées.
L’observation permet de saisir l’expérience des individus au quotidien, de
repérer les itinéraires empruntés par les personnes âgées, de suivre la
progression de leurs déplacements autour de leur domicile. Au cours de ce
déplacement, l’observateur prend note du trajet choisi, du rythme de la
personne âgée, de ses pauses, des lieux fréquentés. L'observateur repère et
photographie les aménagements facilitant ou invalidant le cheminement.
L’observation seule permet de cerner des tendances relatives aux comportements et aux pratiques spatiales des personnes âgées or pour affiner notre
analyse nous avons choisi de confronter ces observations aux discours des
personnes âgées. Pour cela les personnes âgées sont invitées à raconter,
décrire le dernier déplacement effectué puis les parcours qu’elles effectuent
© Les collections de l’INRETS
43
Marche et mobilité
régulièrement. Les entretiens ont été réalisés auprès d’une trentaine de
personnes âgées répartie en France et au Québec au sein des douze
résidences (Les logements foyers en France et les résidences pour personnes
autonomes et semi autonomes au Québec). Les personnes âgées interrogées
sont toutes âgées de 75 ans et plus du fait de la prévalence des incapacités qui
apparaissent à cet âge. Elles connaissent toutes une déficience physique et/ou
sensorielle et continuent à se déplacer hors de leur domicile régulièrement. Les
données recueillies par l’expression orale des personnes âgées sur leurs
pratiques spatiales permettent de mesurer les effets du milieu de vie sur leurs
déplacements et de saisir les motivations et la fréquence des déplacements
piétons. Le recueil du discours a montré la difficulté que les personnes âgées
ont à exprimer leur mobilité et plus encore les parcours et les itinéraires
empruntés. De ce fait, les mots et les expressions choisies lors du discours sont
mis à l’épreuve du parcours accompagné du chercheur afin d'identifier les
obstacles au cheminement, et la cohérence entre l'observation, le discours et le
parcours. Le chercheur propose aux personnes âgées, qu’il a préalablement
interviewées, de les accompagner tout au long d’un trajet qu’elles effectuent
régulièrement. Les données recueillies sont comparées aux observations
préalables et aux discours tenus par les personnes âgées. Ainsi, le parcours
accompagné est le révélateur des possibles cheminements de l’individu autour
de son domicile. En effet, lors de l’interview le discours des personnes âgées
ne révélait pas ou peu la description du parcours, excepté les freins à la
mobilité liés à l’environnement naturel et aux aléas climatiques. Or, le discours
en marche des personnes âgées a mis en avant les obstacles au cheminement
et les différentes tactiques mises en œuvre pour atteindre la destination choisie.
Les pratiques spatiales quotidiennes des personnes âgées observées,
interrogées puis accompagnées mettent en perspective des logiques de
parcours, des tactiques et des stratégies de déplacements qui sont mises en
œuvre face à un environnement qui ne favorise pas systématiquement leur
autonomie fonctionnelle. Par cette méthode, il s’agit de mettre en évidence des
logiques spatiales construites par une population vulnérable et d’identifier les
relations entre la personne vieillissante, sa mobilité et l'accessibilité de son
espace de vie.
Si l’observation révèle l’opportunité des parcours possibles, le discours
permet d’appréhender à la fois leur perception de leur état de santé et son
influence sur le parcours réalisé quotidiennement. Le parcours accompagné
permet de mieux comprendre les tactiques de déplacement mises en œuvre
pour faire face aux difficultés rencontrées. Ainsi, la confrontation de ces trois
temps de la démarche a permis d’identifier des espaces où l’interaction entre
l’état de santé de la personne âgée et son environnement génère une situation
de handicap. Cette dernière apparaît lorsque l'état de santé de la personne
âgée et l’environnement ne sont pas en adéquation, menant dans les cas
extrême une situation de non mobilité. En effet, la défaillance des
aménagements de l’espace public proche du domicile peut conduire à une
forme d’exclusion des marcheurs âgés ou à une forme de dépendance à l’égard
des aidants qui les accompagnent. Face aux situations de handicap
rencontrées, ce sont les capacités d’adaptation de la personne âgée qui sont
sollicitées, sa connaissance du territoire urbain proche de son domicile, les
stratégies qu’elle met en œuvre qui lui permettent ou non de poursuivre son
44
© Les collections de l’INRETS
La mobilité quotidienne des piétons âgés
cheminement. Alors que dans le cas contraire l’adéquation entre l’état de santé
de la personne et son environnement lui permet de se déplacer de façon
autonome et optimise sa participation sociale.
La confrontation des observations, du discours et des pratiques des
personnes âgées en perte d’autonomie a conduit à évaluer la qualité de
l'espace immédiat autour du domicile et a contribué à définir ce qui crée des
obstacles ou facilite le cheminement et la participation sociale. Ainsi, nous
avons différencié les espaces capacitants – espaces facilitant la mobilité
quotidienne des personnes âgées, et les espaces invalidants – espaces
inaccessibles aux piétons âgés. Or un espace capacitant pour un piéton âgé
peut devenir un espace invalidant pour un autre dont l’état de santé ou les
capacités d’adaptation sont différentes. De ce fait, la qualité de ces espaces et
le bien être ressenti par les piétons âgés varie d’un individu à l’autre suivant
leur état de santé, la qualité de l'environnement proche de leur domicile et leur
capacité d’adaptation.
© Les collections de l’INRETS
45
Les zones de desserte à pied
autour des stations de transport
public urbain
Frédéric Héran
Université de Lille 1, Centre lillois d’études et de recherche sociologiques et
économiques (CLERSE-CNRS), Maison européenne des sciences de l'homme
et de la société (MESHS)
2 rue des Canonniers, 59800 Lille, France
[email protected]
Laurence Pouillaude
Service déplacements urbains et qualité des espaces publics, Lille métropole
communauté urbaine
1 rue du Ballon BP 749, 59034 Lille Cedex, France
[email protected]
Résumé – Ce travail expose les points de vue d’un chercheur et d’un
praticien sur les obstacles que rencontrent les piétons dans les zones de
desserte à pied autour des stations de transport public urbain. Le premier
point de vue propose un ensemble de réflexions sur l’effet de coupure. Il
rappelle d’abord les conséquences paradoxales des coupures routières et
ferroviaires qui tout en facilitant les déplacements lointains compliquent les
déplacements de proximité. Puis il montre que la vitesse est le principal
facteur à l’origine des coupures en obligeant à ségréguer les trafics et à
hiérarchiser les réseaux, des contraintes peu compatibles avec celles des
modes actifs. Le second point de vue présente un outil de visualisation des
cheminements autour des stations – les cartes ZAP (zone accessibles à
pied) – développé par la communauté urbaine de Lille. Cet outil permet à la
fois de réaliser un diagnostic des obstacles rencontrés, de mesurer le taux de
desserte réel, et de suggérer des solutions pour mieux concevoir l’insertion de
nouvelles lignes de TCSP dans un tissu urbain existant et l’accès au transport
public des nouvelles opérations immobilières. Les deux regards se révèlent
très proches et étroitement complémentaires.
Mots-clés : marche, transport public, zone de desserte, densité
Objectifs et enjeux
Malgré un regain d’intérêt pour la marche, la desserte à pied des transports
© Les collections de l’INRETS
47
Marche et mobilité
5
publics urbains reste un sujet assez négligé . Pour estimer les territoires
accessibles autour des stations, on se contente le plus souvent de dessiner un
cercle de quelques centaines de mètres de rayon. Avec une méthode aussi
rudimentaire, les obstacles sont très mal repérés et encore moins traités. En
comparaison, les moyens mobilisés pour encourager le rabattement en voiture
sur les modes ferrés sont considérables : méthode d’analyse de la demande,
guide de conception des parcs relais, et investissement dans des ouvrages
coûteux. Pourtant, la marche reste toujours le principal mode de rabattement,
pour le tramway, le métro et même le train, hormis pour les gares situées en
grande périphérie (STIF, 2007).
Il est donc parfaitement légitime de s’intéresser en détail aux zones de
desserte à pied autour des stations de transport public urbain. Mais, au lieu de
chercher à connaître les distances que sont prêts à parcourir les piétons selon
les modes comme le font de nombreux travaux, nous avons choisi d’explorer
les conditions de déplacement des piétons dans l’aire de desserte des stations
en allant au-delà des seules questions de détours et d’attente.
Ainsi, cette communication poursuit un triple objectif. Elle vise d’abord à
identifier les divers obstacles que rencontre le piéton lors de ses trajets vers ou
à partir des stations de transport public lourd. Elle cherche ensuite à mesurer
l’impact de ces difficultés sur les déplacements à pied. Elle explore enfin les
solutions de leur traitement dans les zones urbaines actuelles et futures.
Hypothèses et méthodologie
Pour connaître la zone de desserte à pied, l’idée principale est qu’il ne suffit
pas de tracer sur une carte un cercle de 300, 500 ou 800 m de rayon autour
des stations, selon le type de transport public et son attractivité. Car, à cause
de multiples obstacles, la zone de desserte réelle est certainement bien
moindre que la zone de desserte à vol d’oiseau. Il est donc capital de prendre
conscience de ce décalage et d’en mesurer l’importance.
Pour y parvenir, nous proposons de nous appuyer à la fois sur un travail
conceptuel fondé sur une lecture raisonnée de la littérature scientifique
concernant les effets de coupure et sur un travail de terrain, réalisé dans
l’agglomération lilloise, visant à repérer les obstacles qui s’opposent au
cheminement des piétons, afin d’enrichir mutuellement les aspects théoriques
et pratiques du problème.
Car, nous pensons que, pour réaliser ce que sont concrètement ces
coupures, il faut non seulement arpenter le terrain à pied pour en éprouver les
difficultés, mais aussi réfléchir à ce qu’est fondamentalement un effet de
coupure et comprendre ses causes premières. A l’inverse, aussi poussé soit-il,
5
Même la RATP qui a récemment lancé une réflexion sur les piétons, séminaire à l’appui, ne juge
pas nécessaire de s’interroger sur les obstacles rencontrés par les piétons pour rejoindre les
stations (Michaud et Segrestin, 2008). Elle s’est pourtant intéressée – en n’hésitant pas à se rendre
sur place – au plan piétons de Genève dont l’un des cinq volets vise clairement à « éliminer les
obstacles aux piétons » par « la levée d’obstacles localisés (coupures fonctionnelles,
géographiques ou foncières) » et « la création d’une maille piétonne dense et continue »
(http://www.ville-ge.ch/geneve/plan-pietons/pages/actions/page1_actions/page1_actions_fr.html).
48
© Les collections de l’INRETS
Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain
un travail de conceptualisation et d’analyse ne peut rendre compte de toute la
diversité des situations. C’est pourquoi, nous avons souhaité allier les réflexions
du chercheur à la connaissance du terrain de l’ingénieur, puis tenter d’en tirer
quelques enseignements.
L’effet de coupure, essai de synthèse
En France, la notion de coupure urbaine est souvent associée à une
autoroute ou à une voie ferrée infranchissable. Dans la littérature, la réflexion
est pourtant beaucoup plus riche. Il n’est pas possible ici d’en rendre compte de
façon exhaustive. On se contentera d’en tirer une définition générale de l’effet
de coupure, puis de s’intéresser au cas particulier des coupures routières et
ferroviaires et enfin d’exposer les deux grandes conceptions de l’effet de
coupure qui s’en dégagent.
Définition générale
Une coupure urbaine est une emprise dont la taille ou ce qu’elle accueille
perturbe les relations entre les populations alentour. Cette définition que nous
proposons s’efforce de synthétiser de nombreux travaux. Apparemment assez
simple, elle appelle en fait de nombreux commentaires.
L’emprise peut être d’origine naturelle (cours d’eau, plan d’eau, dénivelé…)
ou artificielle. Les coupures naturelles sont rarement prises en compte
puisqu’elles font partie du site et préexistent à la ville. Il n’est pourtant pas rare
qu’elles soient plus facilement franchissables en voiture qu’à pied ou à
6
bicyclette .
En cas d’emprise artificielle, il peut s’agir d’un îlot bâti (fort, couvent, zone
industrielle, centre commercial, lotissement fermé, cité administrative, hôpital,
aéroport…) ou non bâti (ancienne carrière, gare de triage, parc, cimetière…) ou
encore d’une infrastructure de transport (canal, voie ferrée, boulevard très
circulé, autoroute, échangeur…).
La forme de l’emprise peut être linéaire ou surfacique. La linéarité de la
coupure est plus facilement perçue que sa surface, mais les difficultés
engendrées ne sont pas différentes. Certes, la distinction est floue, puisque
toute emprise linéaire a toujours une certaine épaisseur (cf. la gare de triage ou
l’autoroute et ses échangeurs) et inversement (cf. tel îlot assez allongé, comme
souvent les blocs des villes américaines).
La perturbation engendrée par la coupure est de nature soit physique, soit
psychologique. Dans le premier cas, l’obstacle est infranchissable pour des
raisons matérielles et doit être contourné, dans le second l’obstacle est perçu
comme dangereux ou désagréable et peut conduire au même résultat : refus de
le franchir et contournement nécessaire.
La gêne physique occasionnée peut s’exprimer, soit sous forme d’attente
aux feux ou d’attente d’interruption du flot, soit sous forme de détours ou
6
C’est le cas, par exemple, de la Seine à l’ouest de Paris : de Suresnes à Conflans-SainteHonorine, soit 50 km, pas moins de quatre ponts autoroutiers la franchissent, alors que les modes
actifs doivent se contenter d’utiliser des ponts saturés de trafic.
© Les collections de l’INRETS
49
Marche et mobilité
d’efforts supplémentaires imposés par un contournement ou un passage
dénivelé. Quelle que soit sa nature ou sa forme, une coupure pose toujours, par
définition, un problème de franchissement.
La perturbation d’ordre psychologique peut provenir de toutes sortes
d’emprises et de nuisances : chantier bruyant ou poussiéreux, quartier en
déshérence, friche industrielle peu agréable à côtoyer… et bien sûr voirie très
circulée bruyante et dangereuse à franchir ou à emprunter, notamment à
bicyclette en l’absence d’aménagement cyclable ou à pied en l’absence de
trottoir.
Les obstacles physiques et le danger lié à l’intensité du trafic se combinent
souvent pour rendre une voirie infranchissable ou impraticable. D’ailleurs, pour
limiter le danger, des obstacles physiques sont parfois ajoutés : bordures,
barrières, chicanes, terre-plein…
Les relations perturbées concernent essentiellement les déplacements des
piétons et des cyclistes qui, parce qu’ils ne sont pas motorisés, restent très
sensibles aux distances et aux efforts à réaliser, et, parce qu’ils ne sont pas
protégés par une carrosserie, se sentent particulièrement vulnérables. Mais les
usagers des transports publics et les automobilistes peuvent aussi être gênés
dans leurs déplacements.
Enfin, il existe, pour chaque usager et dans chaque situation, un seuil de
gêne particulier. Des valeurs moyennes peuvent être cependant proposées. Par
exemple, en milieu urbain, il est nécessaire que les piétons puissent contourner
les îlots en effectuant un déplacement « pas trop long ». Un critère possible est
de prendre comme longueur limite du périmètre des îlots (hors impasses) la
distance moyenne d’un déplacement à pied, soit un km (12 min à 5 km/h), ce
qui correspond à des îlots de seulement 2 ha s’ils sont très allongés et jusqu’à
7 ha si leur forme se rapproche du cercle.
Le cas des infrastructures de transport et le rôle
de la vitesse
Les infrastructures de transport (autoroutes, voies rapides, boulevards très
circulés, voies ferrées, canaux…) sont des coupures d’un type particulier, car
elles favorisent les déplacements rapides et lointains au détriment des
déplacements de proximité, sans que l’on sache si le bilan est positif pour la
mobilité. Plusieurs auteurs ont souligné ce paradoxe (Illich, 1973 ; Virilio,
1977…). Ici, la vitesse apparaît clairement à l’origine de l’effet de coupure, en
imposant à la fois la ségrégation entre les modes motorisés et non motorisés et
la hiérarchisation du réseau viaire.
Pour pouvoir profiter de la motorisation de leur véhicule et circuler à vitesse
élevée, les usagers motorisés doivent bénéficier d’infrastructures rapides
séparées du milieu urbain environnant, de façon à réduire au maximum les
risques de conflits liés à la vitesse, en minimisant les interactions avec ce
milieu. Mais l’avantage qu’ils en retirent se fait au détriment des piétons et des
cyclistes qui se retrouvent pénalisés dans leurs mouvements. C’est la définition
même d’une nuisance : un effet négatif externe infligé par des émetteurs (les
usagers motorisés) aux récepteurs (les usagers non motorisés).
50
© Les collections de l’INRETS
Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain
Concrètement, pour que les automobilistes puissent rouler rapidement, des
aménagements doivent écarter les piétons et les cyclistes. A 30 km/h, les
piétons sont tenus de rester sur des trottoirs. A 50 km/h, ils ne peuvent plus
traverser que sur les passages autorisés et les cyclistes sont invités à utiliser
des bandes cyclables ou des couloirs bus-vélos. A 70 km/h, les carrefours à
feux devenant peu fréquents, les piétons sont condamnés à des détours pour
traverser, et les cyclistes doivent se réfugier sur des pistes cyclables. A 90 km/h
ou plus, les uns comme les autres buttent contre des barrières de protection
pour traverser et doivent accepter d’utiliser des passages dénivelés en nombre
rarement suffisant ; ils sont en outre contraints d’emprunter d’autres itinéraires,
aucun trottoir ni aucune piste cyclable ne bordant généralement ces
infrastructures. Et il en est globalement de même pour les voies ferrées. Les
voies d’un tramway roulant à 30 km/h restent franchissables, quand celles d’un
train de banlieue ne peuvent l’être qu’en quelques rares passages à niveau ou
dénivelés.
Ce rôle clef de la vitesse est rarement signalé, car ce serait du même coup
reconnaître que pour vraiment traiter la coupure, il faut envisager de réduire la
vitesse, ce qui paraît pour beaucoup encore difficile à envisager, tant la vitesse
a été longtemps considérée comme un progrès nécessaire.
De même, pour assurer des déplacements motorisés rapides, les réseaux
doivent être hiérarchisés. Les voies de desserte se branchent sur les voies de
distribution, qui se raccordent aux voies artérielles, elles-mêmes rejoignant les
voies rapides urbaines (typologie des voiries utilisée par le Certu). De même,
les lignes de bus se rabattent sur les lignes de tramway ou de métro qui ellesmêmes desservent les gares. Ainsi, pour aller plus vite, les usagers motorisés
acceptent volontiers d’importants détours pour rejoindre de grandes voiries ou
des voies ferrées. A tel point, qu’il est devenu banal aujourd’hui d’affirmer que
seul compte désormais le temps de parcours et non plus la distance parcourue.
Dès lors, les flux motorisés se retrouvent concentrés sur quelques voies rapides
ou ferrées sillonnant la ville, mais qui constituent presqu’autant de coupures.
Parce qu’ils n’utilisent pas de moteur, piétons et cyclistes demeurent au
contraire très sensibles à l’énergie musculaire dépensée et donc à la distance
parcourue et aux changements de rythme. Pour eux, un détour n’a rien
d’anodin, un arrêt puis un redémarrage non plus. Le plus court chemin reste la
règle fondamentale et le maintien de l’allure est presque aussi capital (Carré,
1999). Obliger piétons ou cyclistes à faire des détours ou à utiliser des
passages dénivelés, à s’arrêter puis à repartir ne peut que leur faire perdre de
l’énergie et du temps, et les amener à ne pas respecter, à leurs risques et
périls, les aménagements sensés les protéger (cf. encadré page suivante).
Pour ces usagers, au contraire, les réseaux doivent rester finement maillés et
7
non hiérarchisés .
Ainsi, le réseau viaire est tiraillé entre une logique de hiérarchisation des
voies, favorable aux modes motorisés, et une logique de maillage, nécessaire
aux modes non motorisés. Il suffirait donc, en théorie, de créer deux réseaux
viaires : l’un hiérarchisé pour les voitures et l’autre finement maillé pour les
7
Pour les cyclistes, on peut admettre tout au plus deux niveaux dans le réseau cyclable, comme
par exemple à Amsterdam.
© Les collections de l’INRETS
51
Marche et mobilité
piétons et cyclistes. Cette solution était déjà préconisée par Le Corbusier dans
la Charte d’Athènes (1933), puis par le rapport Buchanan (1963), et elle a été
appliquée notamment dans de nombreuses villes nouvelles (comme Villeneuve
d’Ascq, dans l’agglomération lilloise).
Quand les modes actifs prennent le plus court chemin
De très nombreux exemples prouvent que les piétons vont au plus court : pour
traverser tel parc près de la mairie de Lille, ils n’ont pas hésité à créer un chemin
direct à travers les pelouses et buissons que les services de la ville ont fini par
aménager ; pour franchir à niveau telle petite voie ferrée qui passe au milieu de
Lezennes près de Lille, ils découpent régulièrement le grillage plutôt que de prendre
la passerelle située à côté mais qui culmine à 5 m, pour accéder à tel hypermarché à
l’ouest de Strasbourg, ils sont prêts à traverser une 4 voies et son terre-plein à leurs
risques et périls… C’est impressionnant, dangereux, interdit, mais c’est ainsi. Pour les
cyclistes, la règle du plus court chemin est presque aussi puissante : remontée des
sens interdits, utilisation des pistes cyclables unidirectionnelles en sens inverse pour
éviter de traverser la rue, refus d’utiliser les « itinéraires parallèles » prévus à leur
intention, franchissement des carrefours en diagonale, etc. Il ne s’agit ni de justifier, ni
de déplorer ces comportements, mais de constater qu’ils existent et correspondent à
une logique d’économie d’énergie musculaire parfaitement compréhensible.
(Héran, 2009)
Mais en pratique, le second réseau doit pouvoir franchir les nombreuses
coupures provoquées par les voies rapides et artérielles du premier, ce qui
s’avère irréalisable sans quelques forts désagréments pour les non motorisés :
8
passages dénivelés peu commodes et fatigants , temps d’attente interminables
aux feux ou traversées dangereuses, ou bien détours dissuasifs. Ce problème
est encore aggravé quand manque les voiries intermédiaires, à cause d’une
trop rapide extension urbaine (Wiel 2007, chapitre 3). En outre, ce double
réseau rend la ville peu lisible, car il contraint les usagers qui peuvent être tour
à tour piétons, cyclistes ou automobilistes à un double apprentissage. Il limite
aussi les relations entre usagers des deux réseaux : pas de dépose minute
9
possible, pas de maraude pour les taxis . Enfin, le réseau réservé aux modes
actifs se retrouve isolé et donc peu sûr, surtout la nuit. Aussi, presque partout,
la tendance est aujourd’hui d’éviter la dissociation entre réseaux piétons,
cyclables et automobiles. Ainsi a-t-on détruit certaines passerelles du quartier
de La Part Dieu à Lyon au profit de passages piétons classiques, et réhabilité le
boulevard circulaire de La Défense en modérant les vitesses et en créant des
bandes cyclables.
8
De simples calculs de consommation d’énergie musculaire montrent qu’utiliser un passage
dénivelé plutôt qu’un franchissement à niveau pour traverser une artère très circulée exige au
moins 5 fois plus d’énergie (Héran et Le Martret, 2002).
9
« Prenons par exemple la séparation entre piétons et voitures (…). A un niveau de pensée
superficiel, c’est manifestement une bonne idée. Il est dangereux que des voitures allant à 120 à
l’heure soient en contact avec des enfants qui jouent. Mais l’idée n’est pas toujours parfaite. (…) les
taxis urbains ne peuvent fonctionner que précisément parce que piétons et véhicules ne sont pas
rigoureusement séparés. » explique Ch. Alexander (1967, p. 8).
52
© Les collections de l’INRETS
Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain
Les deux approches de l’effet de coupure
La perception du rôle de la vitesse dépend cependant largement de la
manière d’appréhender l’effet de coupure. Sur ce point, deux grandes
approches peuvent être distinguées.
La première consiste à ne prendre en compte que les seules infrastructures
de transport et à ne retenir que les impacts relevant strictement de l’effet de
coupure, à savoir, d’une part, les délais de traversée imposés par les feux de
circulation ou le trafic et, d’autre part, le temps et les dépenses d’énergie
supplémentaires imposées par les détours ou les passages dénivelés. En
revanche, pour éviter les doubles comptes, sont écartés tous les autres impacts
déjà pris en compte par ailleurs, tels que le risque d’accident, le bruit, la
pollution, l’encombrement de l’espace par les véhicules, et l’intrusion visuelle
des ouvrages et des véhicules se déplaçant ou stationnant.
Ainsi, au sens strict, l’effet de coupure se limite à une simple question de
délais, de détours et de dénivelés, des aspects qui ont en outre le grand mérite
10
d’être mesurables . Telle est la conception la plus commune (cf. Lervåg, 1984 ;
Hine & Russel, 1996 ; Litman, 2005 et la plupart des aménageurs). Cette
approche est très réductrice, on va le voir, mais elle ne doit pas pour autant être
négligée, car elle permet de révéler quelques aspects concrets du problème.
La seconde approche, bien plus large, considère que les grandes emprises
surfaciques contribuent aussi à rendre la ville peu accessible aux usagers non
motorisés et que les obstacles que constituent les grandes infrastructures de
transport sont indissociables de leurs autres nuisances.
L’existence d’îlots de grande taille reflète, en effet, le maillage insuffisant du
réseau viaire (tout comme le nombre de traversées insuffisant d’une coupure
linéaire). De multiples raisons peuvent expliquer de tels îlots. Mais d’une façon
générale, c’est une conséquence de l’urbanisme fonctionnaliste qui a créé de
vastes zones spécialisées facilement accessibles aux seuls usagers motorisés,
sans envisager qu’une vaste emprise pouvait poser des difficultés de
contournement aux modes actifs.
Quant aux nuisances des grandes infrastructures de transport, tous ceux qui
habitent ou travaillent à proximité ont tendance à les considérer comme
indissociables. De leur point de vue, il est absurde de distinguer l’effet de
coupure du bruit, du risque d’accident ou de la pollution. Ils se contentent
d’exprimer comme ils peuvent l’inconfort, le malaise, voire la peur, en les
assimilant souvent au bruit, la seule nuisance immédiatement perceptible
(comme l’ont soulignée Loir et Icher, 1983 et Enel, 1984 et 1998). Au contraire
d’un fleuve par exemple, c’est bien parce que l’infrastructure provoque de
multiples nuisances et pas seulement quelques détours, qu’elle est perçue
comme une coupure.
Et cette accumulation de nuisances peut avoir de nombreux effets : la
séparation des communautés (community severance) contraintes de limiter
leurs interactions, la désaffection pour les modes non motorisés et le report
10
Et qui peuvent même être ramenés à une mesure unique, comme le proposent P. Olszewski et S.
Sulaksono Wibowo (2005) avec leur concept de « distance à pied équivalente » (equivalent walking
distance).
© Les collections de l’INRETS
53
Marche et mobilité
vers les modes motorisés, l’accompagnement nécessaire des personnes
vulnérables (enfants, personnes âgées, handicapés…), ou encore la fuite des
familles en périphérie ou dans des quartiers plus tranquilles… Plusieurs auteurs
ont ainsi développé depuis 30 ans cette conception extensive de l’effet de
coupure, mais leurs travaux restent largement méconnus en France (Jacobs,
1961, chapitre XIV ; Buchanan, 1963 ; Appleyard, Gerson et Lintell, 1981 ; Loir
et Icher, 1983 ; DOT, 1983 et 1992 ; Enel, 1984 et 1998 ; de Boer, 1991 ; Clark
et al., 1991 ; James, Millington et Tomlinson, 2005 ; Brès, 2006…). Pour eux, la
vitesse et la concentration du trafic qu’elle induit ne sont pas des facteurs parmi
d’autres pour expliquer l’origine des coupures.
Mais qu’en est-il concrètement sur le terrain ?
Les zones de desserte des stations de
transports publics dans l’agglomération
lilloise
Sous l’impulsion de J.-L. Séhier, directeur du cadre de vie, Lille Métropole
Communauté Urbaine (LMCU) a développé depuis 2000 un outil permettant de
cartographier précisément les zones accessibles à pied – les « cartes ZAP » –
en dessinant les courbes isochrones autour des stations de métro, arrêts de
tramway et gares de l’agglomération. Les piétons ayant des vitesses assez
homogènes, les courbes isochrones se confondent avec les courbes
d’isodistance.
Cette idée n’est pas originale, mais elle a été poussée très loin par LMCU et
les dizaines de cartes réalisées révèlent les nombreux facteurs limitant la
desserte des stations, permettant en outre de calculer le taux de desserte de
chaque station. Aussi, ces cartes ZAP apparaissent d’une grande richesse
d’utilisation.
Origine des cartes isochrones appliquées
aux déplacements des piétons
Comme toute idée simple et forte, elle a été proposée simultanément par
divers auteurs qui le plus souvent s’ignorent, aidés aussi par les nouvelles
possibilités de traitement informatique des données géographiques.
Ainsi, la ville de Nantes a réalisé un équivalent des cartes ZAP pour
apprécier la zone de desserte réelle de certains centres commerciaux de
quartier (Duhayon, Pages et Prochasson, 2002, p. 46). L’agence des
architectes-urbanistes Brès & Mariolle a également développé des outils
similaires pour analyser « le potentiel de densification autour des pôles et axes
de transport en commun » en Ile-de-France (2008, p. 2). Leurs outils ont été
utilisés depuis par l’IPRAUS – Institut parisien de recherche : architecture,
urbanisme, société – auquel ils collaborent.
Au Danemark, A. Landex et S. Hansen (2006), chercheurs à l’Université
technique du Danemark (DTU), ont aussi élaboré récemment des cartes
d’accessibilité à quelques gares et stations de métro de Copenhague. Ils se
54
© Les collections de l’INRETS
Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain
sont inspirés du travail de S. O’Sullivan et J. Morral (1995), chercheurs à
l’Université de Calgary (Canada), qui ont constaté, en interrogeant les
utilisateurs de certaines gares, que les zones de rabattement réelles étaient
assez différentes des zones de rabattement théoriques, à cause notamment
d’emprises infranchissables.
La réalisation des cartes ZAP
La carte est réalisée à partir de l’arrêt de transport étudié en suivant les
cheminements accessibles utilisés par les piétons. La surface obtenue
correspond donc à l’aire d’influence réelle d’un arrêt. L’attractivité des stations
varie selon les modes de transport. On estime habituellement qu’un métro ou
une gare attire majoritairement le piéton jusqu’à 700 m du point d’arrêt alors
que l’attractivité du tramway se limite plutôt à 500 m. Les zones d’accessibilité à
pied sont donc partagées en deux catégories : les zones très accessibles, à
moins de 5 min à pied soit 350 m et les zones accessibles, à moins de 10 min à
pied soit 700 m (Hüsler, 2002).
En pratique, l’aspect logiciel des cartes ZAP utilise les ressources de
MapInfo et a été développé par P. Palmier (2001), alors ingénieur à LMCU et
actuellement au CETE Nord Picardie. Le relevé terrain des lieux habituels de
passage des piétons – cheminements, raccourcis, traversées sauvages… – a
été effectué pour l’essentiel de 2000 à 2006, par L. Pouillaude, alors
technicienne à LMCU, et se poursuit depuis selon les besoins. Ces relevés
complètent, dans le SIG, les données existantes sur la voirie et permettent de
réaliser in fine les cartes ZAP. La mise au point d’une carte nécessite environ
deux jours en moyenne : relevé terrain (dont la durée varie beaucoup selon la
densité des cheminements piétons), entrée des données dans le logiciel et
vérification.
L’analyse a porté sur les stations de transport en commun en site propre
(TCSP), soit à ce jour 52 stations de métro sur 60, 18 arrêts de tramway sur 36
et 14 gares parmi les mieux desservies par le train sur une trentaine. Au total,
ce sont donc environ les deux tiers des stations de TCSP de l’agglomération qui
ont été traitées. Dans la détermination des courbes isochrones, les temps
d’attente aux feux ou pour les traversées piétonnes ne sont pas pris en compte
et la vitesse de déplacement retenue est de 4,2 km/h.
Les facteurs limitant la bonne qualité de desserte
des stations
Ce travail sur les zones de desserte révèle la grande diversité des obstacles
rencontrés par les piétons et permet d’enrichir et de valider l’analyse plus
formelle des différentes formes de coupures esquissée ci-dessus. Voici les
exemples les plus édifiants (Pouillaude, 2004). Dans les cartes qui suivent
(figure 1), sont figurés en bleu : les cercles de rayon 350 m et 700 m autour des
stations, en vert : la zone accessible à pied en moins de 350 m, et en jaune : la
zone accessible à pied en moins de 700 m.
© Les collections de l’INRETS
55
Marche et mobilité
Figure 1. Exemple d’étude des zones accessibles à pied autour des
stations de transport en site propre, Lille. (Source, Pouillaude, 2004)
Les emprises importantes telles que les
zones d’activités industrielles ou
commerciales, les équipements sportifs, les
cimetières, les îlots d’habitation de grande
taille, amputent l’aire de desserte d’autant
plus qu’ils sont proches des arrêts. Sur le
schéma ci-contre, c’est le cas d’un cimetière
au nord d’une station de métro.
Les voies privées sont souvent interdites au
passage du public ou seulement à certaines
heures. Cette voie privée (le trait rouge entre
les deux carrés sur le schéma) traversant un
îlot important est fermée par des grilles avec
interphone.
La multiplication des accès en impasse
allonge fortement les distances (Southworth
et Ben-Joseph, 2004). Ici, quatre impasses
pourtant très proches ne communiquent pas,
séparées parfois par une simple clôture.
La création de nouveaux lotissements ignore
parfois la proximité d’une station et la trame
viaire existante, comme dans le cas ci-contre
où la nouvelle voie (en orange) n’est pas
reliée à la voie préexistante (la loupe
souligne la proximité de ces voies non
reliées).
56
© Les collections de l’INRETS
Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain
Les stations de transport public sont aussi
parfois installées en section courante et non
aux carrefours, ce qui réduit leur attractivité.
Les voies ferrées d’une gare peuvent limiter
fortement son accès quand la gare n’est
ouverte que d’un côté (voir ci-contre le cas
de la gare de Tourcoing), alors que quelques
mètres manquent pour faire déboucher le
souterrain ou la passerelle de l’autre côté.
!
Les canaux (de gabarit Freyssinet ou plus)
sont souvent des obstacles importants
comportant peu de ponts (ici le canal de
Roubaix).
ο
Les autoroutes urbaines construites sur les
glacis des anciennes fortifications ceinturant
la ville traversent souvent des quartiers
denses et limitent fortement leur accès. C’est
le cas des quatre stations de métro situées
sur le boulevard parallèle à l’A25, aux portes
sud de Lille, faute de franchissements en
nombre suffisant.
© Les collections de l’INRETS
57
Marche et mobilité
La construction d’une nouvelle station de
métro n’est pas forcément accompagnée
d’une adaptation du réseau viaire pour
faciliter l’accès à la station. Ici sur une partie
de la ligne 2 du métro ouverte en 1999.
Bien d’autres facteurs encore contraignent le piéton :
−
−
−
−
−
−
−
−
−
les cheminements peu sûrs, mal éclairés, peu confortables, peu lisibles,
trop étroits (haies débordantes…) ;
les trottoirs envahis par le stationnement, mal protégés ;
parfois l’absence même de trottoirs ou de continuités piétonnes ;
les aménagements réalisés pour la sécurité des piétons, tels que
barrières ou chicanes, qui incitent en fait les usagers à les contourner au
plus court au détriment de leur sécurité ;
les traversées de voirie difficiles (sans refuge, trop longues) ou par des
passages dénivelés (passerelles ou souterrains) ;
les attentes prolongées aux feux ou les traversées en deux temps ;
la nécessité de traverser de grands parkings pour accéder à certains
équipements ;
la prise en compte très secondaire de la marche à pied comme mode
d’accès à certains équipements ou pôles d’activité ;
et peut-être surtout le sentiment d’insécurité et autres nuisances que
provoque un trafic trop rapide.
Le taux de desserte
Pour mesurer de manière synthétique l’accessibilité des stations à pied, le
meilleur indicateur est sans doute le taux de desserte calculé en rapportant
l’aire réellement parcourable à l’aire atteignable à vol d’oiseau :
taux de desserte =
surface réellement accessible
surface accessible à vol d’oiseau
Ce concept est directement lié à celui de détour moyen ou de coefficient
de détour moyen (Schaur, 1991) par la formule :
taux de desserte ≈ (1 – pourcentage de détour moyen)
≈ (2 – coefficient de détour moyen)
2
2
Le coefficient de détour indique au piéton la distance moyenne supplémentaire à parcourir par rapport à la distance à vol d’oiseau. Le taux de desserte
58
© Les collections de l’INRETS
Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain
quant à lui est centré sur la station de transport public et exprime le degré
d’insertion urbaine de la station dans la ville. Ainsi un bon taux de desserte révèle
une trame viaire finement maillée. Le tableau 1 donne quelques valeurs
permettant de passer de l’un à l’autre des indicateurs.
Tableau 1. Table de correspondance entre détour moyen
et taux de desserte
Coefficient de détour moyen
1,05 1,1 1,15 1,2 1,25 1,3 1,35 1,4 1,45 1,5
Pourcentage de détour moyen
5
10
15
20
25
30
35
40
45
50
Taux de desserte (%)
90
81
72
64
56
49
42
36
30
25
La présence du bâti impose nécessairement quelques détours dans une
ville. Aussi est-il normal que le « détour moyen » soit au moins d’environ 15 à
30 % (ou le « coefficient de détour » d’environ 1,15 à 1,3) (Héran, 2009), ce qui
correspond pour une station à un « taux de desserte normal » d’environ 70 à
50 %, signe d’un rayonnement correct. Pour les cartes ZAP de la métropole
lilloise, le meilleur taux de desserte mesuré est de 59 %. On est loin des 100 %
de la surface desservie à vol d’oiseau.
Mais la présence de coupures linéaires ou surfaciques peut faire tomber le
taux de desserte bien en deçà de 50 %. Ainsi, dans l’agglomération lilloise, sur
la base des zones étudiées, la moitié des stations de métro ont un taux de
desserte inférieur à 50 % et jusqu’à 30 % dans le cas le moins favorable. Idem
pour le tramway. Quant aux gares étudiées – Lille Flandres et Lille Europe n’en
font pas partie –, elles ont même toutes un taux de desserte inférieur à 50 %.
Ce sont en effet des gares périphériques dont les abords sont souvent
encombrés d’emprises ferroviaires, avec parfois un accès d’un seul côté des
voies (cf. les cas des gares de Tourcoing et d’Armentières).
Si l’on observe les populations et emplois dans les zones desservies, le
métro a été implanté logiquement dans les zones les plus denses. Le tramway
en Y – situé sur le Grand Boulevard qui réunit Lille à Roubaix et Tourcoing et
e
construit au début du XX siècle – traverse des zones moins peuplées, mais les
arrêts situés sur le tronc commun assez peuplé n’ont pas encore été étudiées.
Les gares situées en périphérie desservent des territoires moins denses (voir
les tableaux 2 et 3).
Tableau 2. Population et emplois dans les zones très bien desservies
par les transports en site propre
Type de zone desservie
Surface
Population
Densité de population
Emplois
Densité d’emplois
Nombre de ZAP étudiées
© Les collections de l’INRETS
Par le train
(350 m,
5 min à pied)
11 ha
190 hab.
18 hab./ha
91 emplois
9 empl./ha
9
Par le métro
(350 m,
5 min à pied)
17 ha
1253 hab.
75 hab./ha
444 emplois
26 empl./ha
34
Par le tramway
(250 m,
3 min à pied)
8 ha
336 hab.
36 hab./ha
181 emplois
21 empl./ha
14
59
Marche et mobilité
Tableau 3. Population et emplois dans les zones bien desservies
par les transports en site propre
Type de zone desservie
Surface
Population
Densité de population
Emplois
Densité d’emplois
Nombre de ZAP étudiées
Par le train
(700 m,
10 min à pied)
58 ha
1140 hab.
21 hab./ha
486 emplois
10 empl./ha
9
Par le métro
(700 m,
10 min à pied)
74 ha
5224 hab.
70 hab./ha
1867 emplois
24 empl./ha
34
Par le tramway
(500 m,
6 min à pied)
36 ha
1509 hab.
38 hab./ha
809 emplois
21 empl./ha
14
Les utilisations possibles des cartes ZAP
Si la réalisation des cartes ZAP reste assez longue et fastidieuse, les
utilisations possibles sont nombreuses et les efforts largement récompensés.
C’est d’abord un outil de diagnostic qui oblige à arpenter le terrain, à découvrir
concrètement les difficultés des piétons, puis à en rendre compte de façon
systématique. Certes, la carte obtenue ne dit pas tout, mais elle révèle les
problèmes d’accessibilité, c’est-à-dire avant tout de distance à parcourir, facteur
principal d’acceptation pour se rabattre à pied sur une station (Hüsler, 2002).
C’est ensuite un outil très pédagogique. La carte obtenue permet de visualiser
aisément, de façon synthétique et pour la première fois les difficultés rencontrées
par les piétons et de les rendre compréhensibles à tous, aux décideurs, aux
techniciens comme aux habitants, en proposant un langage commun. Elle suscite
ainsi naturellement le dialogue et la recherche de solutions.
C’est donc aussi un outil de traitement des coupures. Le but est, en effet,
1/ de limiter les reculs encore nombreux : fermeture d’un îlot ou d’une voie
privée au passage du public, construction d’un lotissement sans tenir compte
de la proximité d’une station ou du réseau viaire alentour… et si possible
2/ d’améliorer les situations difficiles, en imaginant relier les impasses par des
chemins piétons et cyclables, ouvrir un îlot au passage du public, construire une
passerelle ou un souterrain pour franchir une coupure linéaire…
C’est en outre un outil de mesure des évolutions, grâce à l’indice
synthétique qu’est le taux de desserte qui peut être associé aux densités en
habitants et en emplois. Si elle ne saurait tout dire, la mesure a toutefois le
mérite d’objectiver un recul ou un progrès de façon simple et peu contestable,
et de pousser les parties à prendre conscience des impacts des coupures.
C’est enfin un outil de conception de quartiers plus denses et plus accessibles
aux stations de transport public. Il incite les AOTU, lors de la construction d’une
nouvelle ligne de tramway ou de métro dans un tissu urbain existant, à prévoir
l’emplacement des stations aux carrefours plutôt qu’en section courante, à
aménager des accès aux deux extrémités de la station et à réduire autant que
possible les coupures alentour. Et il amène les promoteurs, lors d’opérations
immobilières, d’extensions urbaines, de création d’écoquartiers ou d’opérations
60
© Les collections de l’INRETS
Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain
importantes de renouvellement urbain, à tenir compte de l’accessibilité aux
stations, en favorisant l’aménagement de voies radiales facilitant le rabattement
direct, et plus largement à prévoir un maillage fin du réseau viaire afin de limiter
les détours pour les usagers non motorisés.
Les cartes ZAP sont finalement un puissant outil d’aide à la décision qui peut
contribuer à mesurer les efforts de maillage des réseaux piétonniers
indispensables à la ville dense et à son attractivité et pousser ainsi à développer
l’usage des transports publics et des modes actifs, dans une démarche de ville
durable. LMCU a d’ailleurs en projet la densification du territoire autour des
stations de TCSP, dans ce qu’elle appelle les « disques de valorisation des axes
de transport » (DIVAT). Ces disques de 500 m autour des stations de métro,
tramway et de certaines gares concentrent 1/3 des habitants sur 11 % du
territoire. Des réflexions sont actuellement en cours pour créer également des
DIVAT autour des 5 lignes de bus à haut niveau de service (appelées LIANES)
en projet. Ainsi, 21 % du territoire et 56 % de la population de LMCU seraient
concernés.
Conclusion
Certes, les cartes ZAP ne rendent pas compte de tous les aspects des effets
de coupure. En particulier, elles ne permettent pas directement de comprendre
le rôle clef de la vitesse dans la genèse des coupures et l’importance des
politiques de modération de la circulation pour les traiter. Seule une analyse
plus approfondie, reposant sur une approche générale des coupures, peut
révéler l’intérêt d’une telle politique.
Les cartes ZAP ont cependant de multiples vertus. Elles rendent enfin visibles
les difficultés des piétons qui n’ont pas seulement besoin de trottoirs libres
d’obstacles, mais aussi et surtout de trajets plus directs. Elles fournissent un
diagnostic du taux de desserte que tout le monde peut s’approprier aisément.
Elles peuvent décrire les impacts a priori et a posteriori des aménagements et
des générateurs de trafic sur les déplacements des piétons. Elles montrent aux
responsables de transports publics comment mieux rentabiliser leur
investissement. Bref, elles soulignent les liens entre urbanisme et déplacements.
Avec elles, techniciens et élus peuvent mieux comprendre les enjeux de la
ville durable et la manière de la réaliser. Car il ne sert pas à grand chose de
densifier les villes si leurs réseaux restent conçus d’abord pour l’automobile.
Pour maintenir l’accessibilité d’une ville plus dense et forcément plus lente, un
meilleur maillage des réseaux piétonniers et cyclables est désormais un
complément indispensable.
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© Les collections de l’INRETS
63
La marche au cœur des mobilités :
une démarche innovante
Véronique Michaud
RATP-DGIDD-Prospective et conception innovante
54 quai de la Rapée 75999 Paris Cedex 12, France
[email protected]
Résumé – Socle de la mobilité, la marche s’avère être un outil puissant pour
réinterpréter toute la gamme des modes de déplacement et les façons d’habiter
l’espace. Au-delà des multiples approches sectorielles dont il a fait l’objet –
sécurité, accessibilité, cadre de vie… –, le piéton, véritable acteur urbain,
bénéficie aujourd’hui d’une attention nouvelle, en lien avec les exigences du
développement durable. Grâce à un savoir-faire technique renouvelé, croisant
de multiples disciplines, et sous réserve d’un véritable portage politique, la
marche peut devenir une source d’innovation au service des politiques de
mobilité. Mode pivot de la mobilité multimodale, la marche facilitée, valorisée
peut être davantage qu’un segment du système de déplacement, et offrir
également une solution à la saturation des réseaux de transports collectifs.
C’est forte de la conviction que la marche est appelé à jouer un rôle important
dans la conception et la gestion de la mobilité urbaine que la RATP a initié un
travail dont la vocation est de nourrir les stratégies de développement de
l’opérateur de mobilité. Appliquant la méthode « KCP » développée avec le
Centre de gestion scientifique de la l’Ecole des Mines de Paris, le séminaire et
les ateliers de conception innovante ont fait émerger de nouvelles
connaissances sur la marche et une approche renouvelée du piéton. Il ont
permis aussi d’engager des travaux de recherche et des expérimentations
autour des correspondances, qu’il s’agisse de « correspondances urbaines »
entre mode ferré et bus ou tramway ou de nouvelles connexions inscrites au
Plan produit sous le nom de « correspondances par la ville », de la signalétique
et de la sécurisation des cheminements pédestres.
Mots-clés : marche, mode actif, correspondance, cheminement, signalétique
Mode de déplacement à part entière et mode des correspondances dans la
chaîne de transport, la marche a peu fait l’objet d’une approche ciblée en
France. Or elle représente une part importante des déplacements urbains ;
54 % dans une ville comme Paris, 33 % en Île-de-France et dans de
nombreuses agglomérations françaises. Par ailleurs, la qualité et le confort des
itinéraires pédestres conditionnent largement l’attractivité de l’offre de
transports publics.
© Les collections de l’INRETS
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Marche et mobilité
Le vélo et ses nouveaux développements ont bien fait prendre conscience
que ce dernier n’est pas un élément marginal mais un composant à part entière
de la mobilité. Tout laisse à croire que sa grande sœur dans la famille des modes
actifs est appelée à entrer également de plein pied dans le conception et la
gestion de la mobilité urbaine, ce qui n’a guère été le cas dans les années
passées. C’est forte de cette conviction que la RATP a initié un travail qui, bien
qu’étant conduit en amont des stratégies de développement, est appelé les
nourrir.
La marche, mode de déplacement à part entière et mode des
correspondances entre les modes permet en outre d’interroger voire de
repenser en profondeur la mobilité et donc, en un sens, la ville elle-même.
Diagnostic
Nouvelles représentations
Le champ de la mobilité urbaine est en pleine mutation. Dans cette
évolution, l’individu est appelé à jouer un rôle actif. Le passage d’une notion de
« transport » à celle de « mobilité », au paradigme de la personne mobile, fait
de l’individu marcheur un acteur central : tout déplacement, quel que soit le
mode emprunté, suppose que l’on marche, avant, après et même pendant !
La marche est en train d’évoluer d’un statut de sympathique mode doux à
celui d’opérateur de transformations en profondeur de la mobilité et de la vie
urbaine.
L’aménagement des espaces, l’amélioration de la qualité d’usage des lieux, la
facilitation de trajectoires piétonnes, cohérentes, continues, agréables et sûres
sont des conditions indispensables mais non suffisantes à la conquête d’un
véritable statut de mode de transport à part et à la promotion de la marche
urbaine. Les accessoires – notamment grâce aux NTIC –, les signes extérieurs et
la dimension symbolique participent à la montée en grade de la marche comme
mode à égalité avec les autres. La qualité des espaces publics ne garantit pas à
elle seule un regain d’intérêt pour la marche. En phase de réappropriation et de
rééquilibrage de la voie publique, d’élaboration d’un nouveau « contrat » de
partage de l’espace impliquant la négociation avec tous les usagers et acteurs de
la rue (d’un nouveau « Code de la rue »), les grands événements éphémères
comme Nuits blanches et Paris plage à Paris, la Fête des lumières à Lyon, etc.,
les périodes d’interdiction de la circulation automobile (Paris respire) exercent
une forte influence sur les changements de représentation. Ils montrent aux
citadins tout le champ des possibles en termes de mobilité.
Intermodalité
La marche remise au cœur d’un système de mobilité urbaine durable offre
un vaste domaine de re-conception du lien entre ville et transports et ouvre à
l’entreprise un champ d’innovation fécond face aux nouvelles demandes des
territoires et aux enjeux du développement durable et de la saturation des
réseaux.
66
© Les collections de l’INRETS
La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante
L’usager de la RATP et des réseaux de transports collectifs est un être
multimodal. Et un grand marcheur qui, tél Monsieur Jourdain, l’ignore le plus
souvent ! En rabattement vers le réseau, en « éclatement » depuis les stations,
et dans les correspondances, qu’elles soient souterraines ou en surface (entre
tramway et métro, RER et bus, tram et bus, etc.).
La marche est par excellence le mode des correspondances. C’est un
champ de conception important si on considère le déplacement à pied non pas
comme une fatalité mais comme un élément à intégrer dans l’expérience des
voyageurs. Et une composante importante du service. Proposer des trajets par
la rue alternatifs aux correspondances en sous-sol ou à des courts trajets en
métro, augmenter la connectivité du réseau avec de nouvelles
« correspondances par la ville », en guidant le voyageur sur son trajet
(jalonnement, signalétique, infomobilité), cheminements faciles et agréables…
sont des pistes de projets qui peuvent intéresser l’exploitant de transports
publics.
La marche, comme le vélo, peut aider à relever de nouveaux défis. Les
atouts de la marche ont été relayés à cet égard par une problématique jusque
là peu connectée à ces réflexions : la saturation des réseaux de transports
collectifs. A Londres, TFL a décidé de consacrer des investissements
importants dans le domaine de la marche et du vélo pour contribuer à la
désaturation du métro londonien, partant de l’observation que près de 20 % des
trajets en métro seraient plus rapide à pied !
Dans la perspective de l’accueil des JO de 2012, Londres souhaite devenir
une « walking-friendly city ». Le programme Legible London (Londres lisible) est
un ensemble de mesures pour créer un nouveau réseau de trajets sûrs, simples
et rapides pour les cyclistes et les piétons.
Le constat de départ était clair, quelques chiffres clés le démontrent :
−
55 % des déplacements journaliers se font en marchant ;
−
88 % apprécient de marcher dans Londres ;
−
1 londonien sur 7 a du mal à trouver son chemin dans Londres et 1 sur 4
a peur de se perdre sachant que 32 systèmes de signalétique urbaine
pour les marcheurs coexistent, et ceci seulement dans la zone du péage
urbain ;
−
77 % se réfèrent à des distances relatives en temps plus qu’en distance ;
−
44,7 % des londoniens utilisent la carte du métro pour planifier leurs
déplacements, sachant que 45 % trouvent la signalétique urbaine
« imprévisible » ;
−
66 % des voyageurs déclarent préférer marcher que prendre les
transports publics s’ils ont à disposition une carte « marche », (80 % chez
les touristes).
Après une phase d’études préalables, une expérimentation a été menée en
novembre 2007 avec évaluation en 2008. Elle concerne la part des
déplacements accessibles à pied de moins de 2 km ou 25 minutes environ.
Pour le métro, 1 trajet sur 10 fait moins de 2 km et 109 trajets entre stations de
métro sont plus rapides à la marche qu’en métro, soit 55 % du total des trajets
© Les collections de l’INRETS
67
Marche et mobilité
inférieurs à 2 km. Une expérimentation a été menée sur Oxford Street autour de
la station de métro Bond Street, forte zone de chalandise (200 millions de
visiteurs par an dont 87 % à pied). La démarche s’est concentrée sur les
questions d’orientation (cartes de vie quotidienne) et de navigation (signalétique
urbaine) à partir de différents scénarios d’usage. Une signalétique a été conçue
sous des formats et sur des supports suffisamment diversifié (totems,
panneaux, mobiles, plans…) pour permettre à chacun de marcher et s’orienter.
Elle associe information verbale et visuelle en recourant à des représentations
mixant une carte en perspective avec des objets en relief, dans un style inspiré
des Google maps.
Marcher avec le métro
L’oubli qui frappe la marche, depuis plus de 25 ans en France, fait que nous
avons encore peu de données. Quelques calculs réalisés récemment sur le
réseau RATP nous donnent cependant des indications déjà précieuses : 49 %
des parcours métro de moins de 1 km sont plus rapides à pied (en prenant une
vitesse moyenne de marche de 4 km/h). L’essentiel de ces trajets à pied est
constitué par des couples de stations très proches mais physiquement
éloignées sur le réseau du fait de leur appartenance à des lignes de métro
différentes. Dans de nombreux cas, le gain de temps d’un trajet en métro n’est
que de quelques minutes et toute perturbation dans la fréquence et/ou la
vitesse du mode ferrée peut favoriser l’alternative marche. Une perturbation de
15 minutes multiplie ainsi par 9 le nombre de trajets entre stations plus rapides
à effectuer à pied. La quasi-totalité des trajets de moins de 1,5 km devient plus
rapide à réaliser à pied (avec une vitesse moyenne de marche de 3 km/h).
Il est évident que d’autres facteurs interviennent pour rendre le mode
marche attractif en tant qu’alternative à un trajet court en métro, ou pour
remédier à une perturbation. L’information voyageur en est l’un des plus
stratégiques : information sur la durée de la perturbation, jalonnement et
signalétique piétonniers, guidage (GPS, RATP dans ma poche, etc.). Et bien
entendu les conditions du déplacement à pied : performances personnelles du
voyageur, encombrement, cadre urbain, sécurité des cheminements,
agrément…
La marche est une alliée des transports publics : on voit ici comment elle
s’articule bien avec le métro. Comment on peut « marcher avec le métro » !
Certaines de ces correspondances par la ville, alternatives aux
correspondances classiques en souterrain, pourraient être portées sur le plan
du réseau et signalées dans les stations. En cas de perturbation, des plansguides pourraient être fournis aux voyageurs pour leur permettre de retrouver
une connexion avec le réseau en effectuant ces correspondances de surface
simplement et efficacement.
Et pourquoi ne pas envisager de façon plus générale la ville en surface
comme une ressource du réseau souterrain et les cheminements piétonniers
depuis la station comme un prolongement du voyage ?
La ligne 10 du métro parisien et ses agents étudient actuellement plusieurs
de ces possibilités. Soulignons également qu’au quotidien, les questions des
usagers portent autant sur les transports eux-mêmes que sur l’accès à un lieu
68
© Les collections de l’INRETS
La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante
donné qui, bien sûr, intègre la marche. La prise en compte des besoins du
marcheur participe donc de la relation de service au voyageur.
La marche mode innovant
Les travaux de la Prospective RATP ont rencontré un écho grandissant ;
notamment parce qu’ils recoupent des enjeux importants de santé publique,
d’aménagement et de sécurité urbaine, de partage de la voirie, d’accessibilité et
de développement durable.
Cette démarche a mis en évidence que les métiers de la RATP ne sont pas
étrangers à la marche. Il existe en fait un grand savoir-faire autour du piéton mais
celui-ci est dispersé : calculs d’évacuation, gestion des flux, signalétique, calcul
d’itinéraires... Une discipline transversale s’est ainsi constituée des expertises de
la marche à la RATP, une « piétonique » qu’il s’agit aussi de valoriser.
La RATP est elle-aussi impliquée dans un processus général de
rééquilibrage de l’usage de la voirie. Les problématiques de « marchabilité »
(englobant l’accessibilité) deviennent déterminantes dans la conception des
espaces et des offres de transport. A titre d’exemple, dans le cadre de
l’insertion des futurs terminaux de l’extension du tramway des Maréchaux, la
question des circulations piétonnes sera centrale dans la conception du site,
des échanges et correspondances. Elle demandera une analyse fine
environnement-comportements et des solutions innovantes, au-delà des
traitements traditionnels de l’espace public partagé. De même, les réalisations
de site propre – projets structurants – doivent être des réalisations à l’échelle du
piéton : c’est la condition de leur intégration urbaine, de leur capacité à créer de
nouvelles centralités en proche couronne, à assurer des continuités en retissant
la maille fine des itinéraires piétons, à favoriser de nouvelles mobilités et de
nouvelles habitudes.
Le marcheur est en outre un acteur sensible. Aussi l’ambiance des espaces
publics et des lieux du transport conditionne-t-elle les comportements et les
usages. La responsabilité de l’opérateur de mobilité porte aussi sur le confort du
voyageur-marcheur, sa sécurité, réelle et subjective, sa perception des distances
et de l’accessibilité des lieux et des modes… Les voyageurs marchent dans le
métro et en sortent pour rejoindre leur destination : la qualité de cette marche est
un élément essentiel du confort et de la qualité de service.
Marcher, ce n’est pas seulement accéder à quelque chose, une destination,
un autre mode de transport. C’est aussi une expérience multisensorielle, un
espace-temps aux mille et une sensations ! Le marcheur configure en effet
l’espace dans lequel il chemine. Il est non seulement en prise avec son
environnement, il est un vecteur de sa production, de sa fabrication. Il
recompose en marchant l’espace de son déplacement. L’enjeu consiste à
amplifier cette production, ce potentiel de conception dont dispose le piéton en
tant qu’acteur urbain total. Après avoir voulu le canaliser pendant ces trente
dernières années, il s’agit de redonner au piéton toutes ses capacités d’action
grâce à une marche plus performante, plus agréable, plus confortable. Le
marcheur urbain aura alors accès à toutes les ressources de la ville ou
presque. Il surfera ainsi sur les différentes échelles du déplacement : à pied, en
transports collectifs ou encore à vélo.
© Les collections de l’INRETS
69
Marche et mobilité
Méthodologie : une démarche de prospective
et de conception innovante
La méthode KCP
Le premier défi était de trouver une méthode pour penser la marche, objet
vaste et fuyant par excellence, et pour dépasser ses handicaps en lien avec la
représentation commune de ce mode : lenteur, inefficacité, vulnérabilité... En
outre, la réflexion bute vite sur le constat qu’il n’y a pas un concepteur unique
mais une multitude de concepteurs de la marche. Comment l’opérateur de
transport peut-il, dès lors, appréhender ce mode quasi universel ?
De même, il n’y a pas une expertise mais une multitude de connaissances et
d’expériences sur la marche, comme l’a montré la première phase du
séminaire, constituant une difficulté supplémentaire.
D’autre part, si marcher c’est aussi s’arrêter, si la marche ne se résume pas
au mouvement, notre objet est partout au risque d’être évanescent ce qui
constitue un autre défi quant à la légitimité de l’opérateur de mobilité vis-à-vis
de cet objet d’étude et de d’innovation.
A partir de plusieurs hypothèses d’innovation attachées à la marche, la
démarche a consisté à réunir les meilleurs chercheurs et à s’appuyer sur une
méthodologie en pointe, la méthode « KCP » développée avec le Centre de
gestion de l’Ecole des Mines de Paris. Elle est désormais approfondie et
propagée dans le cadre d’une chaire de la théorie de la conception innovante
de l’ENSMP soutenue par cinq grands groupes industriels français dans les
secteurs de l’automobile ou de l’énergie et la RATP.
« La marche au cœur des mobilités » est le cinquième atelier KCP piloté par
la Prospective de la RATP après « l’avenir des systèmes de transport urbain de
e
surface (ASTUS) », « le métro du XXI siècle », « la station urbaine de surface
la nuit » et « les dessertes spécifiques » entre 2004 et 2008.
Phase « K » : le séminaire « La marche au cœur des mobilités
urbaines »
Ce séminaire a est résolument transversal, associant collaborateurs de la
RATP et partenaires extérieurs comme la Ville de Paris, la Région d'Ile-deFrance, le Certu, le Conseil national des transports et le Coliac (Comité de
liaison pour l'accessibilité dans les transports et le cadre bâti), des chercheurs
et des associations. Transversal également dans les métiers de l'entreprise
puisqu'il réunit des responsables de l'exploitation – RER, Métro, Tramway,
Bus – du marketing, du design, de l'aménagement des espaces, de
l'information voyageurs, du développement territorial...
La première phase ou « phase K » (Knowledge) a pour but le partage et la
capitalisation des connaissances. Une série de séances a été organisée au
cours desquelles des collaborateurs, experts (RATP et externes), chercheurs et
représentants de la société civile (associations) ont été conviés à éclairer et à
débattre les thèmes et hypothèses formulés.
70
© Les collections de l’INRETS
La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante
Quatre sessions ont eu lieu sur les thèmes : 1) La marche et la ville qui va
avec, 2) Vers un nouveau contrat de partage de l’espace : du Code de la route
au Code de la rue, 3) Marcher, c’est produire son mode & son espace : vers un
« pedestrian empowerment », 4) Le corps en marche dans la ville : bien-être,
santé et performance du marcheur.
Des marches exploratoires se sont déroulées à Genève en prologue à
l’atelier de conception (lire ci-après) afin de découvrir le plan Piétons de la ville,
sa démarche de valorisation de la marche et les promenades thématiques
qu’elle a créées depuis dix ans.
Phase 2 ou phase « C » : le séminaire de conception collective
L’atelier de conception innovante a pris la forme d’un atelier résidentiel sur
deux jours, à Annemasse. Il avait pour but d’ouvrir des alternatives
conceptuelles à forte valeur et de guider les explorations ultérieures. Et, partant,
d’enclencher un processus d’innovation autour de la marche et de son rôle
dans l’intermodalité faisant appel à la création et à la connaissance et à un
mouvement des idées entre ces deux pôles. A partir d’une base très large de
connaissances obtenue pendant la phase 1, des pratiques d’acteurs très variés
et des regards les plus ouverts, l’atelier de conception a pour objet de proposer,
voire de provoquer, des évolutions, de mobiliser les acteurs et d’élaborer de
nouveaux concepts et produits autour de la marche.
Phase 3 ou phase « P » : élaboration de pistes émergentes
C’est la phase « P » (projet, perspective, piste) de la démarche de
conception innovante (KCP) qui vise une traduction sous forme d’exploration et
d’expérimentations.
Cette phase vise des expérimentations autour notamment de terrains qui
peuvent s’offrir à l’application des concepts et pistes retenues : les espaces du
métro et du RER (couloirs, correspondances), les rabattements sur les stations
du tramway des Maréchaux mis en service à Paris en décembre 2006, les
itinéraires alternatifs aux correspondances traditionnelles et à l’occasion de
fermeture des stations du métro, etc.
Il s’agit d’observer comment se modifient les habitudes de déplacements et
en quoi les circulations douces procèdent d’une valorisation des territoires (y
compris grâce à un potentiel bien exploré en grande couronne), d’étudier
comment les zones de chalandises des stations du TCSP se mettent en place,
comment les espaces évoluent et de nouvelles habitudes s’installent. Enfin,
comment la prise en compte du piéton dans les espaces souterrains du métro
et du RER permet d’envisager des solutions qualitatives et nouvelles croisant
les savoir-faire de l’entreprise (conception des espaces, gestion des flux,
signalétique, etc.).
Cette démarche trouve également des points d’appui et d’expérimentation
communs notamment avec les concepts de stations de nuit, de « station service
mobile », d’ « i-mobile » issus des travaux récents de conception innovante de
la prospective de la RATP.
© Les collections de l’INRETS
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Marche et mobilité
Les principaux développements
Une recherche-action en partenariat avec le Collège de France est issue
de ce séminaire et vient de démarrer sur « la locomotion humaine
visuellement guidée dans le métro », sous la direction du professeur Berthoz
du Collège de France. Elle vise à améliorer la marche dans un environnement
complexe comme le métro qui pose un grand nombre de questions sur
l’organisation du déplacement et la navigation. Comment un piéton planifie-t-il
une trajectoire ? Comment les modifie-t-il en cours d’exécution ? Comment
prend-il ses informations au fur et à mesure du cheminement ? La vision joue
un rôle essentiel. Le regard permet une stabilisation des informations
visuelles, une localisation de la cible et de la trajectoire. Le guidage visuel est
en interaction avec l’environnement : la vision périphérique dans un
environnement contraint est sollicitée par exemple dans un déplacement dans
un flux, ou lorsque le voyageur réalise d’autres tâches. La vision permet
d’anticiper, de planifier, réguler la stabilité dynamique du corps, programmer
des stratégies d’évitement.
Les travaux de la prospective sur la marche ouvrent également un champ
d’intervention pour l’opérateur de transports dans le lien entre mobilité et santé
par la prévention de la sédentarité et la pratique d’une activité physique
régulière. A ce titre, l’entreprise participe au projet européen TAPAS,
« Transportation, air pollution and physical activities, an integrated health risk
assessment program of climate change and urban policies ». Coordonné par le
CREAL (Fundacio Privada Centre de Recerca Epidemiologia Ambiental) de
Barcelone, en collaboration avec l’IRMES et l’ADEME pour la France, il associe
les villes de Copenhague (CCHS : Copenhagen City Heart Study) et de Bale
(ISPM : Public Health Institute of the Faculty of Medicine of Basel University).
La marche dans le métro parisien est notamment étudiée dans le cadre de ce
projet dont le but est l’aide au développement des politiques urbaines
conciliables avec les changements climatiques et la promotion des effets liés à
la santé, l’évaluation des conditions et des politiques qui encouragent la
mobilité et les transports actifs, et leur impact sur la santé. Il vise également à
développer des outils pour mesurer les effets bénéfiques sur la santé des
politiques mises en place.
Une étude soutenue par la Fondation Sécurité routière (appel à projets
2008) est en cours, en partenariat avec la Direction de la voirie et des
déplacements de la Mairie de Paris, sur la « Sécurité des piétons dans un
espace public de transport : une affaire d’aménagement et d’ambiance ». A
partir d’observations de terrains et d’enquêtes sur l’ergonomie de l’espace et sa
perception, la recherche proposera des recommandations concrètes sur
l’accompagnement du cheminement piéton suivant ses différents attributs : la
signalisation, la signalétique, l’information voyageur et globalement
l’aménagement. L’approche retenue implique toutes les disciplines de
l’aménagement : concepteur, ergonome, psychosociologue, biomécaniciens…
L’étude offre également un champ de discussion et de réflexion croisée entre la
Ville et la RATP sur la sécurité des piétons-usagers du bus et du tramway, les
solutions impliquant l’aménagement et l’exploitation, l’expertise des
conducteurs.
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La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante
Le traitement de la signalétique piétonne dans les correspondances urbaines
est une des pistes de solutions à la disposition de l’entreprise multimodale pour
améliorer la sécurité du voyageur mais aussi pour que le niveau de service soit
perçu dans ce traitement des « correspondances urbaines » (entre métro et
tramway, métro ou RER et tram, etc.). Comment prend-on en charge le voyageur
sur ce type de cheminement ? On pense immédiatement à la signalétique mais
les situations, les publics, les aménagements sont très divers suivant les sites et
on recherchera donc une panoplie de solutions. Peut-on créer une continuité
symbolique qui reste ludique et qui fait de l’individu voyageur l’acteur de son
déplacement ? En lui évitant cependant les chutes d’attention qui diminueraient la
sécurité de sa trajectoire dans des espaces partagés. Ce travail qui a commencé
à propos des cheminements de la desserte Roissy-Bus avec un marquage
temporaire est en lien avec l’étude RATP DGIDD et Ville de Paris sur la
« Sécurité des piétons dans un espace public de transport : une affaire
d’aménagement et d’ambiance ». Il nourrira la réflexion sur le traitement des
cheminements pédestres des correspondances urbaines avec trois sites
d’expérimentation d’une signalétique pédestre en correspondances.
De nombreux piétons ne savent pas s’orienter en surface dans Paris et
utilisent le métro pour des trajets pouvant être effectués à pied. En cas de
perturbation d’une ligne, les voyageurs sont également nombreux à préférer
attendre plutôt que de rejoindre une station de métro d’une autre ligne pourtant
à quelques centaines de mètres. D’où l’idée, dans le cadre de l’évolution des
métiers des agents de station, de donner une information sur les itinéraires de
remplacement avec un bloc de fiches recto verso détachables qu'ils pourront
distribuer aux usagers du métro. Ces fiches constituent une véritable aide au
voyageur dans son déplacement à pied. Celui-ci n’est plus pris au piège lors
d’une interruption du mode ferré. Elles comprennent un plan et des explications
pour rejoindre une station de métro proche en effectuant donc une
correspondance de surface. Ce bloc est aussi un outil en mode normal auprès
des clients en entrée et sortie du réseau. L’agent en station devient un
conseiller « marche » auprès de la clientèle. Cette proposition concrète est en
cours d’expérimentation dans le réseau métro.
Conclusion
Le plus « modeste » des modes, au moins en apparence, est aussi celui qui
permet le mieux de repenser voire « soigner » la mobilité urbaine. Nous
commençons à re-découvrir que le véritable auto-mobile c'est l'humain marchant
– doté de jambes et d'un cerveau ! – et de tout le reste, y compris chaussures et
équipements portables, traditionnels ou High Tech. C'est le piéton qui prend le
métro, le bus, la voiture ou le vélo. Les modes ne sont que les bottes de 7 lieues
du marcheur, être multimodal par essence !
L’intérêt nouveau porté à la marche est au cœur d’un changement profond
de paradigme. Les transporteurs prennent conscience aujourd’hui qu’il faut
remettre l’homme au centre des progrès et des enjeux techniques.
L’opérateur de transport n’est pas un seul gestionnaire de flux. Il transporte
des hommes et des femmes, tous différents. Il se doit d’individualiser ses offres
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Marche et mobilité
de service ainsi que l’y invite le marketing. S’intéresser à l’humain et pas
seulement à la technique, c’est s’intéresser à l’homme qui marche, doté d’un
cerveau, d’un corps, d’outils d’information embarqués, de capacités très
différentes d’un individu à l’autre…
Références
Le Masson P., Weil B., Hatchuel A., Les processus d’innovation : conception
innovante et croissance des entreprises, Paris, Lavoisier
Demers, M. (2005), Pour une ville qui marche. Aménagement urbain et santé.
Les éditions Ecosociété.
Michaud V., Segrestin B. (2008), La marche au cœur des mobilités – une
démarche innovante. RATP collection Prospective RATP n°152
Thomas, R. (2005), Les territoires de l’accessibilité, Bernin, A la croisée
Paquot, T. (2006), Des corps urbains, sensibilités entre béton et bitume, Paris,
éditions Autrement.
Solnit, R. (2002), L’art de marcher, Paris, Actes sud.
La rue entre réseaux et territoires, n° 66-67 de la revue Flux (octobre 2006–
mars 2007)
Marcher, in Urbanisme, n° 359, mars-avril 2008
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Tribune libre
L'effet des repères sur l'utilisabilité
des systèmes téléphoniques
de guidage vocal
Morgane Roger
Columbia Teachers College
525 West 120th St. New York, NY 10027, États-Unis
[email protected]
Nathalie Bonnardel
Université de Provence, Aix-Marseille 1, UFR de Psychologie, Sciences de
l’éducation
29 avenue Robert Schuman, 13621 Aix-en-Provence Cedex 1, France
[email protected]
Ludovic Le Bigot
CerCA/MSHS
99 avenue du Recteur Pineau, 86000 Poitiers, France
[email protected]
Mots-clés : description d'itinéraire, navigation piétonne, utilisabilité, application
de guidage
Introduction
L’expérimentation décrite ici porte sur l’interaction Homme-Machine avec un
système téléphonique de guidage vocal simulé grâce à la technique du
magicien d’Oz (Fraser & Gilbert, 1991). Plus précisément, elle porte sur la
compréhension des instructions de guidage délivrées par ce système de
guidage. Cependant, les travaux sur la compréhension de descriptions
d’itinéraires sont peu nombreux et rarement appliqués à la conception de
systèmes de guidage téléphoniques vocaux. Les travaux les plus proches sont
ceux consacrés à la conception de systèmes de guidage automobile
embarqués (cf., entre autres, Burns, 1997 ; Bengler, Haller & Zimmer, 1994 ;
Burnett, 2000 ; May, Ross, & Osman, 2005). Ces travaux ont notamment
montré que la présence de repères dans les instructions de guidage renforçait
l’utilisabilité de ces systèmes (au sens de la norme ISO 9241-11, 1997). En
outre, lors du guidage de piétons, différents types de repères peuvent être
utilisés en fonction du cadre de référence utilisé pour les situer dans
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Marche et mobilité
l'environnement du déplacement (Denis, 1997). Plus précisément, trois types
de repères (cf. partie soulignée dans le texte) ont été définis par Denis : les
repères non-localisés (par exemple, « il y a une boulangerie »), les repères
exolocalisés (par exemple, « tu verras une boulangerie à droite du bar
l’Espariat ») et les repères égolocalisés (par exemple, « tu auras une
boulangerie sur ta droite »). L’objectif de cette expérimentation est ainsi
d’étudier l’intérêt d’ajouter des repères dans les systèmes de guidage vocaux
destinés aux piétons, tout en y intégrant la catégorisation des repères de Denis.
Plus précisément, la présence de repères dans les instructions de guidage
destinées aux piétons devrait améliorer l’utilisabilité des systèmes de guidage
(i.e. aussi bien en termes de performances que de satisfaction. Il est ainsi
attendu que 1) le temps de navigation soit plus court, 2) le nombre d'hésitations
et d'erreurs de direction diminuent et que 3) la satisfaction s'améliore lorsque
les instructions contiennent des repères que lorsqu'elles n’en contiennent pas.
Méthodologie
Participants
Trente-trois étudiants de première année de psychologie de l’université de
Provence ont participé à cette expérimentation (3 hommes et 30 femmes).
L'environnement de la tâche de navigation leur était ainsi inconnu. L'âge moyen
était de 20,35 ans (E.T.= 3,18). Les participants ont été répartis aléatoirement
dans les différentes conditions expérimentales.
Appareillage
La personne guidée disposait d'un téléphone mobile Samsung équipé d'un
kit piéton. Le système était simulé (magicien d’Oz). Les dialogues entre le
système simulé et la personne guidée ont été enregistrés directement sur le
disque dur de l’ordinateur à l’aide du logiciel de traitement de fichiers sons
Goldwave®. En parallèle, sur le terrain, une caméra numérique permettait
d’enregistrer le déplacement des personnes guidées.
Trajets
L’itinéraire à suivre faisait environ 1 800 mètres. Il était divisé en 4 mini
trajets d’environ 450 mètres chacun (par exemple, le premier trajet reliait la
gare SNCF d’Aix-en-Provence au cinéma Mazarin).
Dispositif de simulation
La simulation du système de guidage comportait deux composantes 1) les
enregistrements en synthèse vocale des instructions et 2) les commandes
vocales du système. 1) Pour chaque trajet, des instructions de guidage ont été
construites. Elles ont été synthétisées avec le logiciel SPOweb et enregistrées
en fichiers .wav. Quatre versions de ces instructions ont été enregistrées. Les
trois premières renfermant soit des repères égolocalisés, non-localisés ou
exolocalisés. Quant à la dernière version, elle ne contenait aucun repère mais
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© Les collections de l’INRETS
L'effet des repères sur l'utilisabilité des systèmes téléphoniques de guidage vocal
seulement des informations historiques utilisées pour niveler la longueur des
instructions entre les différentes conditions (voir tableau 1). 2) L’interaction avec
le système simulé reposait sur l’utilisation de cinq commandes vocales. Les
trois premières permettaient de faire défiler les instructions de guidage en
disant soit : « suivant(e)» ; « précédent(e) » ; « répéter ». Les deux dernières
fonctionnalités permettaient de recommencer la séquence depuis le début en
disant « recommencer » et de faire répéter l’ensemble des commandes vocales
en disant « sommaire ».
Questionnaire sur les préférences de formulation
Un questionnaire portant sur les préférences relatives aux instructions de
guidage fournies par le système a été élaboré afin de déterminer les
formulations optimales pour la conception des systèmes de guidage envisagés
ici. Le questionnaire se composait de quatre questions, contenant chacune
quatre formulations d’instructions de guidage manipulées (voir tableau 1). Pour
chaque question, le participant devait choisir la formulation qu’il préférait parmi
les quatre proposées.
Tableau 1. Exemples de formulations des instructions de guidage
manipulées
Repère nonlocalisé
Prendre à gauche l’avenue Malherbe, il y a un parking sous
terrain dans cette rue
Repère
exolocalisé
Prendre à gauche, avenue Malherbe, passez devant le Parc
Mignet situé à droite de cette rue
Sans repère
Prendre à gauche dans l’avenue Malherbe, Marc Antoine
Malherbe fut gracié par le Cardinal Richelieu
Repère
égolocalisé
Prendre à gauche dans l’avenue Malherbe, passez devant le
Parc Mignet situé à votre droite
Résultats
Les données de performance ont été analysées par ANOVA avec la
formulation des instructions de guidage (repères égolocalisés, exolocalisés,
non-localisés, sans repère) en intragroupe.
Performances
Le déplacement durait en moyenne 1 600 s (E.T. = 258,7). Les données
sont présentées dans le tableau 2. L’analyse n’a pas révélé d’effet des facteurs
manipulés sur aucune des variables dépendantes de performances Fs(3, 90)
< 1, ns.
Préférence de formulation
Les données subjectives ont été analysées par une ANOVA de Friedman
pour échantillons appariés avec la formulation des instructions de guidage
(repères égolocalisés, repères exolocalisés, non-localisés et sans repère) en
© Les collections de l’INRETS
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Marche et mobilité
facteur intragroupe. Les analyses ont montré un effet de la formulation sur les
préférences des participants, N = 32, T = 39,04, p < 0,0001. Les données sont
présentées dans le tableau 3. Les repères égolocalisés et exolocalisés étaient
plus appréciés que l’ensemble des autres formulations, respectivement, N = 32,
Ts < 31,00 p < 0,001 et N = 32, Ts < 44,00, p < 0,05. De plus les préférences
relatives aux formulations sans repère et aux formulations contenant des
repères non-localisés n’étaient pas significativement différentes. Ces deux
formulations étaient les moins appréciées, N = 32, T = 26,00, p > 0,05.
Tableau 2. Moyennes (ET) des mesures de performances en fonction de la
formulation des instructions de guidage
Mesures de
performances
Temps
Arrêts
courts
Arrêts
longs
Erreurs de
direction
367,0
0,95
0,70
0,35
(23,11)
(0,23)
(0,26)
(0,21)
388,1
1,35
0,50
0,25
(26,76)
(0,36)
(0,22)
(0,11)
Repères non-localisés
Repères exolocalisés
Repères égolocalisés
384,6
0,90
0,85
0,50
(21,18)
(0,25)
(0,32)
(0,19)
Sans repère
421,4
1,00
1,10
0,35
(29,72)
(0,24)
(0,27)
(0,21)
Tableau 3. Moyennes (ET) de la répartition des repères dans les choix
de préférence de formulation des instructions
Formulations
Repères
exolocalisés
Repères
égolocalisés
Repères
non- localisés
Sans
repère
1,21
2,03
0,50
0,25
(0,94)
(1,12)
(0,71)
(0,76)
Conclusion
Cette étude permet de s’interroger sur les moyens d'améliorer la navigation
piétonne assistée par un système vocal de guidage téléphonique. Dans ce
cadre, les performances de navigation ainsi que la satisfaction des piétons ont
été pris en compte. Plus précisément, l’effet de l’ajout de repères dans les
instructions de guidage fournies par un système téléphonique de guidage vocal
a été étudié. Bien que cette étude n'aie pas permis de montrer un effet des
repères sur les performances de navigation, les résultats portant sur la
satisfaction ont quant a eux montré que les participants préféraient les repères
égolocalisés et exolocalisés. Dans la mesure où la satisfaction est partie
prenante de l’utilisabilité d’un système(ISO 9241-11,1997, travaux sur l'affective
computing Norman, 2004 ; Bonnardel et al., 2006.) ces résultats sont
prometteurs et doivent être approfondis.
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© Les collections de l’INRETS
L'effet des repères sur l'utilisabilité des systèmes téléphoniques de guidage vocal
Références
Bengler, K., Haller, R., & Zimmer, A. (1994). Experimental optimisation of route
guidance information using context information. Proceedings of the
First World Congress on Applications of Transport and Intelligent
Vehicle Highway Systems (pp. 1758-1765). Boston: Artech House.
Bonnardel, N., Piolat, A., Alpe, V., & Scotto Di Liguori, A. (2006). Conception
d'une page d'accueil : esthétique et/ou informativité ? In A. Piolat
(Ed.), Lire, écrire, communiquer et apprendre avec Internet (pp. 313344). Marseille : Solal Edition.
Burnett, G., (2000). Turn right at the traffic lights. The requirements for
landmarks in vehicle navigation systems. The Journal of Navigation,
53, 499-510.
Burns, P.C. (1997). Navigation and the older driver. Unpublished PhD
dissertation, Loughborough University, UK.
Denis, M. (1997). The description of routes: A cognitive approach to the
production of spatial discourse. Current Psychology of Cognition, 16,
409-458.
Fraser, N. M., & Gilbert, G. N. (1991). Simulating speech systems. Computer
Speech and Language, 5, 81-99.
ISO 9241-11 (1997). Ergonomics requirements for office work with Visual
Display Terminals (VDTs), Part 11 : Guidance on Usability,
International Organization for Standardization, Geneva.
May, A., Ross, T., & Osman, Z. (2005). The design of next generation in-vehicle
navigation systems for the older driver. Interacting with Computers,
17, 643-659.
Norman, D. A. (2004). Emotional design: why we love (or hate) everyday things.
New York: Basic Books.
© Les collections de l’INRETS
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Partie 2
Piéton et aménagement
Promouvoir la figure symbolique
du piéton : conceptualiser
les espaces publics
Cynthia Ghorra-Gobin
CNRS, 2, rue des Prêtres St Séverin, 75005 Paris, France
[email protected]
Résumé – De récentes recherches soulignant les pratiques, les besoins et la
vulnérabilité des piétons dans les villes participent au débat visant à réduire la
circulation automobile et à réhabiliter la marche à pied tout en répondant à
l’exigence de la mobilité indissociable de la dynamique économique ainsi que
de la liberté de l’individu. Toutefois mieux connaître le piéton dans toute sa
complexité ne peut suffire à modifier nos représentations habituelles et
conventionnelles des modes de transports. En effet il s’avère impératif de
prendre la mesure de la valeur symbolique de la figure du piéton dans la ville
telle qu’elle a émergé dans l’histoire des villes – notamment celle des villes
européennes – et de la revendiquer sur la scène politique. Aussi ce texte se
propose de contribuer à la réflexion sur la durabilité urbaine –qui ne se réduit
pas pour autant à une vision de ville pédestre- en mettant en évidence
l’impératif d’une conceptualisation des espaces publics et de prise en compte
des piétons à l’amont des projets urbains. Il s’agit en d’autres termes de rompre
e
avec les méthodes de l’aménagement urbain héritées du XX siècle ayant
relégué le piéton et les espaces publics au simple statut de résidu du projet
urbain, – en dehors bien entendu des quartiers historiques – et de démontrer
qu’ensemble ils participent de l’attractivité territoriale.
Mots-clés : piéton, espace public, figure symbolique, aménagement urbain,
attractivité territoriale
Réhabiliter le piéton et la marche à pied se présente désormais comme un
objectif incontournable si l’on veut aller au-delà du slogan en faveur du ‘partage
de la voirie’ qui pour le moment a facilité la croissance des deux-roues dans la
circulation urbaine. L’objectif de durabilité ou encore de ‘soutenabilité’ urbaine
(Ghorra-Gobin et al., 2006) exige désormais d’accorder une place centrale au
piéton tout en répondant à l’exigence de mobilité indissociable de la dynamique
économique et de la liberté individuelle. D’où l’intérêt de récents travaux
appréhendant de manière systématique les pratiques et besoins des piétons.
Certains estiment toutefois que la portée de ce type d’approche est limitée pour
modifier les représentations conventionnelles du piéton et des modes de
transports encore associées aux notions de rapidité et d’efficacité et in fine pour
© Les collections de l’INRETS
83
Piéton et aménagement
réhabiliter la marche à pied et lui donner un sens dans le parcours urbain. Ce
texte se propose de mettre en évidence la mesure de la valeur symbolique de
la figure du piéton et des espaces publics dans la ville en s’inscrivant dans la
continuité de travaux ayant souligné leur émergence au cours de l’histoire,
notamment de l’histoire des villes européennes (Benevolo 1992).
L’adoption d’une telle posture ne dissocie plus le piéton ou le piéton dans la
foule de la configuration spatiale dans lequel il se meut, c’est à dire les espaces
publics. Le binôme ‘piéton’ /‘espaces publics’ participe de l’inscription du
devenir de l’urbain dans une perspective de développement durable, une vision
qui ne se réduit pas pour autant à celle de « ville pédestre » puisqu’il est
question d’associer la marche à pied à l’usage des transports en commun. D’où
l’impératif d’un sérieux effort de conceptualisation des espaces publics et de
leur prise en compte des piétons à l’amont de tout projet urbain afin d’éviter de
les reléguer au simple statut de « résidu » de l’aménagement urbain, soit d’y
e
penser une fois l’aménagement achevé. En effet tout au long du XX siècle,
sous l’influence de l’urbanisme des réseaux techniques et de la théorie de
l’architecture moderne, l’aménagement urbain a complètement négligé les
espaces publics en tant que fondement du vivre-ensemble. Le sujet des
espaces publics n’était abordé qu’une fois l’aménagement terminé, en dehors
bien entendu des rues et places localisées dans des quartiers historiques
répondant ainsi aux attentes de touristes et visiteurs en quête de dépaysement
dans le temps et l’espace. Après avoir rappelé combien le piéton et les espaces
publics participent de la pérennité de la ville -alors que celle-ci a fait face à de
sérieuses mutations sociales, culturelles et économiques-, l’analyse insiste sur
e
la rupture qui se produit au XX siècle et plus particulièrement dans sa seconde
moitié où l’exercice de planification spatiale se réduit à penser les réseaux
reliant les différentes zones composant le tissu urbain (zones d’habitat et zones
fonctionnelles concentrant emplois et loisirs). La conclusion propose de
dépasser cette rupture épistémologique de l’aménagement urbain afin de
réhabiliter le piéton tout en lui accordant une valeur symbolique dans les
espaces publics et de ce fait dans le paysage urbain.
Le piéton, symbole de la pérennité de la ville
Tout piéton circulant par définition dans un espace public urbain témoigne
simultanément de la pérennité de la ville et de son devenir, bien plus que les
bâtiments qualifiés d’anciens. En effet tout bâtiment de la ville est susceptible
d’être détruit une fois que sa fonction principale (économique, sociale ou
culturelle) ne correspond plus aux exigences du moment. Toutefois il peut ne pas
être démoli si les acteurs en présence (publics et privés) s’organisent pour le faire
figurer dans la catégorie « patrimoine historique » ou encore faire preuve
d’invention pour en modifier l’affectation. Ainsi un bâtiment industriel ou encore un
bâtiment utile lors de la phase du capitalisme industriel dont l’affectation est jugée
peu importante par la suite, est susceptible de devenir « friches industrielles » si
la pollution des sols et sédiments exige de lourdes interventions de remédiation. Il
peut également être réhabilité pour y abriter un musée (quai d’Orsay), un centre
culturel, un jardin public (parc Citroën à Paris) ou encore des logements (lofts).
Dans les années 1960, les urbanistes utilisaient l’expression « rénovation
urbaine » pour revendiquer la logique de la destruction se distinguant ainsi de
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© Les collections de l’INRETS
Promouvoir la figure symbolique du piéton : conceptualiser les espaces publics
celle de la réhabilitation urbaine. Depuis une dizaine d’années, les aménageurs
parlent de l’impératif d’un « renouvellement urbain » assurant « mixité
fonctionnelle » et « mixité sociale » et favorisant une certaine densité du cadre
bâti dans le but de réhabiliter le piéton et la marche à pied. Ces arguments se
retrouvent aussi bien chez les tenants du New Urbanism – un courant
architectural et urbanistique du monde anglo-américain – qu’auprès des
concepteurs d’éco-quartiers (Ghorra-Gobin 2006).
Tout au long de l’histoire urbaine, la durée de vie d’un bâtiment pouvait être
jugée limitée (pour des raisons diverses et variées) mais sa disparition entraînait
rarement l’effacement du tracé viaire (et donc des espaces publics) assurant la
pérennité de l’îlot ou d’un quartier, même si les fonctions n’étaient plus vraiment
les mêmes. Cette représentation du tracé viaire et des espaces publics comme
témoin privilégié de la pérennité ou encore de la durabilité des villes se vérifie
dans de nombreux quartiers même si elle a été sérieusement mise à mal dans la
e
deuxième moitié du XX siècle au nom de l’efficacité. A Paris, tout habitant (y
compris les touristes) sait que la rue St Jacques – dont le tracé commence sur la
e
rive gauche de la Seine et traverse tout le 5 arrondissement – correspond au
« cardo » romain, soit l’axe majeur (nord-sud) remontant ainsi à l’époque de la
ville romaine. Aussi cette représentation des espaces publics assurant la
continuité de la ville dans l’histoire ainsi que sa durabilité tout en ayant la fonction
de support matériel de la marche à pied et du piéton, a disparu à l’heure du
triomphe de l’urbanisme de réseaux et de l’architecture moderne. A partir des
années 1860, Napoléon III et le préfet Haussmann ont été à l’origine de la
destruction d’une grande partie de l’habitat médiéval pour équiper la ville d’un
réseau d’infrastructures souterraines, pour imposer un nouveau tracé de voies
afin de faciliter la circulation des personnes et des biens tout en se donnant les
moyens d’y exercer un contrôle social. Mais ce travail gigantesque n’a pas eu
pour effet de négliger le piéton qui en fait a été placé au centre de ce nouvel
e
dispositif urbain. C’est en effet dans la seconde moitié du XIX siècle que les
notions de rues et de boulevards commerçants s’inscrivent dans le tissu urbain
tout en offrant une nouvelle esthétique urbaine s’inscrivant dans l’idéal de la
perspective urbaine. La rupture avec l’idée d’un aménagement urbain prenant en
e
compte le piéton a été brutale au milieu du XX siècle – y compris dans une ville
historique comme Paris – où le piéton en tant que figure centrale de l’aménagement urbain et du souci de la pérennité urbaine a disparu au profit d’une
« nouvelle » stratégie urbaine. Cette dernière se proposant de retravailler et de
refonder le parcellaire afin de disposer de vastes terrains pour y bâtir des
bâtiments dits fonctionnels et y ériger (parfois aussi) des tours tout en facilitant la
circulation automobile. A priori il était certes aisé d’imaginer que, compte tenu de
l’avancée des techniques, on pouvait densifier le tissu urbain et ainsi répondre à
la demande de logements ou encore de bureaux. Mais ce travail s’est opéré en
dehors de toute référence à l’égard du piéton sauf quand il s’agissait d’assurer le
cheminement de la voiture au bâtiment. Le principe fondateur de l’urbanisme, soit
l’interface entre le bâtiment et la rue où circule le piéton a disparu de l’imaginaire
aménageur.
Cette idée bien surprenante de la théorie moderne de l’architecture visant à
séparer de manière systématique cheminements piétons et circulation automobile
tout en intégrant la création de vastes zones de parking, a ainsi donné naissance
© Les collections de l’INRETS
85
Piéton et aménagement
à l’urbanisme de dalle. Cette théorie aurait pu se limiter à influencer l’aménagement urbain dans des espaces suburbains et péri-urbains comme à la Défense
(situé à l’ouest de la ville de Paris) mais elle a également marqué la ville
e
e
traditionnelle. L’architecture de dalle qui se retrouve aussi à Paris (15 et 13
arrondissements) intra-muros, a définitivement dévalorisé le piéton et la marche à
pied. La dalle correspond à une vaste esplanade de béton où le piéton est
soumis aux aléas naturels, comme la pluie, la neige, le vent et le soleil sans
aucun aménagement susceptible de l’abriter quelques instants, comme peut le
faire toute rue commerçante (sans pour autant avoir la configuration d’une rue à
arcades). Aussi le piéton qui à partir de la Renaissance fut progressivement
inclus dans le projet urbain jusqu’à y représenter la figure centrale, a tout
simplement été relégué au rôle d’un individu contraint de se déplacer de son
domicile, lieu de travail ou encore d’un équipement (culturel, social ou
commercial) en empruntant un parking ou une zone de parking. Seule la
dimension fonctionnelle du profil du piéton, soit le trajet à pied à l’écart des flux de
voitures, a été prise en compte. On ne parle plus de « marche à pied » mais de
« trajet à pied », ce qui indique le profond changement de sens conféré au piéton
en tant que figure témoin de la pérennité de la ville.
Le souci d’une valorisation permanente des espaces publics -qui comme on
vient de le dire a contribué à assurer la pérennité de la ville ou encore sa
durabilité- n’est pas un phénomène naturel mais s’est progressivement construit
parallèlement à l’affirmation et à l’émancipation d’une société (civile) s’affirmant
dans le champ politique. La notion de centralité urbaine est certes associée aux
trois pouvoirs en présence (politiques, religieux ou économiques) qui y ont
édifié des bâtiments prestigieux mais elle a également intégré les notions de
piéton et d’espace public, comme l’illustrent la construction du parvis de l’église
et celle de la place « royale ». Dans une ville comme Paris, la fabrique des
places a certes relevé de l’initiative royale dont l’ambition première était d’ériger
une statue du roi symbolisant son pouvoir. Puis les événements historiques
ayant marqué l’affranchissement de l’individu ou encore son émancipation du
pouvoir royal ont entraîné la disparition de ces statues au profit d’une mise en
scène de la société dans le paysage urbain. Le piéton ou encore la figure du
piéton est indissociable de ces espaces publics qui sont le support matériel des
interactions sociales dans l’anonymat et de la mise en scène de la société dans
sa diversité sociale et culturelle. Le piéton et les espaces publics assurent
ensemble la fonction symbolique du vivre-ensemble. En effet le jeu des
interactions sociales se déroulant dans les espaces publics simule le jeu de
l’égalité de tous, une image certes symbolique de la démocratie ou encore du
pacte républicain mais hautement significative (de la Pradelle 2001).
Le piéton disparaît de la scène
de l’aménagement urbain
Rappeler la pertinence du piéton tout en l’inscrivant dans la pérennité
e
urbaine autorise à mettre en évidence la rupture qui se produit au XX siècle
ainsi que son héritage dans les représentations et pratiques de l’aménagement
urbain de ce début de siècle dans le but de bien cerner les enjeux de la
recherche visant à réhabiliter le piéton et de la marche à pied. Octroyer un
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© Les collections de l’INRETS
Promouvoir la figure symbolique du piéton : conceptualiser les espaces publics
simple statut de « résidu » aux espaces publics dans le cadre de
l’aménagement urbain alors que ces derniers avaient fait l’objet d’une attention
particulière et privilégiée au cours de l’histoire urbaine (notamment dans les
villes européennes) n’est pas le fruit du hasard mais s’inscrit dans un souci de
rationalité propre à l’heure du capitalisme industriel. Ce souci d’une certaine
rationalisation de la forme urbaine comme de la mobilité associée à la vitesse
relève en fait de la conjugaison de deux idéologies puissantes, l’une
appartenant à l’architecture moderne et l’autre à la théorie des réseaux. Ces
deux idéologies ont été défendues par des personnages charismatiques et ont
été incarnées par deux documents qui ont servi de référence à la pensée
aménagiste du siècle dernier. Il s’agit de la Charte d’Athènes et du rapport
e
Buchanan. A ces deux documents qui ont marqué la deuxième moitié du XX
siècle s’ajoute la contribution magistrale du philosophe allemand Habermas.
e
Le premier document a fait l’objet d’un large débat dans le cadre du IV
Congrès des CIAM (Congrès international d’architecture moderne) qui en 1933
avait choisi de travailler sur la thématique de la ville fonctionnelle. Rédigé par
l’architecte Le Corbusier, il fut publié en 1941 sous l’intitulé de Charte d’Athènes
qui a posé les fondements de la notion de « zonage ». Tout aménagement urbain
devait se limiter à prendre en compte quatre fonctions : les zones de vie, de
travail, de loisirs et les infrastructures permettant de relier ces trois zones. Le
tissu urbain fut alors perçu comme une simple juxtaposition de fonctions dont les
relations devaient s’établir naturellement grâce à la circulation permise par les
réseaux techniques. Le piéton, la marche à pied et les espaces publics étaient
désormais jugés désuets en dehors peut-être du souci de sécurité accordé au
piéton dans le trajet le menant de l’automobile à son domicile. Comme l’indique
clairement l’architecte-urbaniste David Mangin, il n’est pas alors étonnant de faire
e
le constat en ce début de XIX siècle de l’avènement d’une « ville franchisée »
dont chacune des quatre fonctions est désormais remplie par des acteurs
spécifiques privilégiant chacun dans leur domaine, une rentabilité immédiate.
Toute idée relevant de la complexité du tissu urbain, de la valeur symbolique du
cadre bâti et des espaces publics, et de la référence au piéton et à la marche à
pied ont ainsi été effacés de nos représentations de la ville.
A la suite de ce document magistral que représente la Charte d’Athènes, un
deuxième rapport rédigé par un ingénieur spécialiste des réseaux conforte et
renforce cette représentation de la ville en mettant l’accent cette fois-ci sur les
déplacements et les transports et l’impératif d’une rapide adaptation de la ville à
la circulation automobile. Ce rapport rédigé en 1963 par le professeur Sir Colin D.
Buchanan à la demande du ministre des transports britanniques et intitulé, Traffic
in towns, a convaincu tout aménageur et tout responsable politique de
reconceptualiser et revoir la ville à partir du prisme de la voiture. Le spécialiste
des réseaux proposait de repenser la ville à partir de la notion de fluidité tout en
suggérant de préserver les îlots qualifiés d’historiques. Le rapport Buchanan
publié vingt deux ans après la Charte d’Athènes a d’emblée été considéré
comme le volet complémentaire au premier. Sa légitimité provenait de son
ancrage dans l’idéologie prônant les notions de « réseau » et d’» infrastructure ».
A la ville pensée en termes de zonage s’ajoute la conviction d’une ville désormais
appartenant à l’âge de la voiture (motor-age town). Toutefois comme le souligne
Sir Peter Hall (2004), Buchanan a pris la précaution d’indiquer que les villes
© Les collections de l’INRETS
87
Piéton et aménagement
européennes n’étant pas identiques aux villes américaines, il fallait assurer la
préservation des quartiers historiques susceptibles de s’inscrire dans la catégorie
de patrimoine historique.
A ces deux rapports ayant été très rapidement reconnus comme les
documents-phares de l’aménagement urbain, s’ajoute l’année de la publication
du rapport Buchanan, l’ouvrage d’un éminent philosophe sur la question de
e
l’espace public. Jürgen Habermas, le philosophe européen du XX siècle,
retraçait dans un brillant essai l’évolution des espaces publics dans les villes
européennes en mettant notamment l’accent sur le déclin progressif de la
matérialité des espaces publics au profit de l’avènement de l’espace médiatique.
La pensée de Habermas telle qu’elle apparaît dans l’ouvrage de 1963 intitulé
L’espace public : archéologie de la publicité s’avéra en fait moins nuancée que
dans La théorie de l’agir communicationnel remontant au début des années 1980.
Habermas, reconnu comme le théoricien de la communication, a analysé la
construction historique d’un espace de discussion régi par le principe de la
publicité s’opposant progressivement à la logique de la fonctionnalité de l’autorité
publique dominée par le secret d’État. Il définit alors l’espace public, comme « un
ensemble de personnes privées rassemblées pour discuter des questions
d’intérêt commun ». Il reconnaît son avènement comme une spécificité majeure
de l’Europe moderne en mesure de se doter d’espaces publics bourgeois et ainsi
faire contrepoids au pouvoir absolutiste. Chacun reconnaît la contribution majeure
du philosophe allemand qui réussit à concevoir et donner un sens à la notion de
sphère publique pour la différencier de l’espace privé ainsi que d’un espace
public entièrement régi par l’État central. Habermas a ainsi mis l’accent sur
l’évolution des mentalités et plus particulièrement sur la dimension éthique de la
communication, en raison de nos capacités à faire évoluer la démocratie
délibérative. Toutefois en faisant le constat du rôle négligeable de la matérialité
des espaces publics parallèlement à l’avènement de la démocratie délibérative,
Habermas a complètement négligé la dimension symbolique du piéton et des
espaces publics. Toute référence à la valeur symbolique du vivre ensemble est
balayée de nos représentations : Habermas nie la matérialité des espaces
publics pour mieux souligner l’émergence d’un espace médiatique autorisant la
démocratie délibérative. L’œuvre d’Habermas a contribué avec la Charte
d’Athènes et le rapport Buchanan à occulter la figure symbolique du piéton dans
les espaces publics comme témoin éphémère et instantané de nos capacités à
instaurer et construire le vivre-ensemble.
La convergence des points de vue de Le Corbusier, de Sir Buchanan et du
philosophe Habermas bien que relevant chacun d’un domaine bien spécifique
concourent à l’affaiblissement et la disparition du piéton et des espaces publics
dans la pensée aménagiste. La figure du piéton s’efface au profit de la
suprématie des réseaux. Seuls les débats concernant les quartiers dits
historiques continuent d’intégrer les espaces publics mais ils ne sont là qu’au
service de la patrimonialisation du cadre bâti. Quant aux rues, avenues et
boulevards, ils sont instrumentalisés au profit d’une mobilité pensée en termes de
vitesse et de ce fait centrée sur le véhicule automobile. Les piétons sont alors
11
uniquement perçus sous l’angle accidentologique .
11
Pour illustrer l’ensemble du propos de cette seconde partie, consulter le dossier du Le Monde 2,
du 8 mars 2008, intitulé « Le Paris auquel on a échappé : 1959-1974 », 53-61.
88
© Les collections de l’INRETS
Promouvoir la figure symbolique du piéton : conceptualiser les espaces publics
Cette sérieuse négligence de l’aménagement urbain (sous la houlette des
autorités publiques) à l’égard des espaces publics a facilité l’entrée de nouveaux
acteurs (relevant le plus souvent de la promotion immobilière privée) qui ont
rapidement cerné l’intérêt d’une réappropriation des espaces publics dans une
logique purement marchande. De nombreux travaux qui ont ainsi pris pour objet
d’études les centres commerciaux, les parcs à thèmes et plus récemment les
centres résidentiels fermés (gated communities), ont mis en évidence
l’avènement de ces ‘espaces privés ouverts au public’. Toutefois rares sont les
études qui ont suffisamment souligné la rupture de sens qui s’établit entre l’image
du piéton inscrit dans la logique d’une société de consommation et la valeur
symbolique de la présence du piéton dans les espaces publics de la ville.
Conclusion : dépasser la rupture
épistémologique
Ce rappel de la rupture dans la pensée aménagiste de la seconde moitié du
ème
20
siècle par rapport aux pratiques antérieures concernant notamment le
piéton et les espaces publics avait pour objectif de souligner l’ampleur de la
tâche qui nous revient pour réintroduire le piéton dans nos représentations de la
e
ville et réhabiliter la marche à pied. Il ne s’agit pas de revendiquer au XXI
siècle la production d’espaces publics à l’image de ceux produits au cours de
l’histoire mais de rappeler la valeur symbolique du piéton dans les espaces
publics. L’analyse a privilégié l’hypothèse d’une réhabilitation du piéton et de la
marche à pied associée à la revalorisation des espaces publics. Les
interactions symboliques entre piétons se déroulant dans l’anonymat,
l’instantané et l’éphémère ainsi que la mise en scène de la société dans sa
diversité sociale et culturelle représentent au quotidien l’image symbolique du
vivre ensemble. Les espaces publics définis comme des espaces accessibles à
tous ne sont pas des lieux de sociabilité et de fabrication du lien social, ils
véhiculent en revanche le symbole du vivre-ensemble et in fine du pacte
républicain.
Aussi réhabiliter le piéton et la marche à pied dans l’environnement urbain
en s’inscrivant dans une perspective de développement durable et dans le but
de mettre fin à une vision de la mobilité centrée principalement sur la voiture
automobile (pour ne pas parler de monopole), exige tout compte fait de
revaloriser la figure du piéton dans les espaces publics. Ce travail devrait
autoriser l’aménagement urbain à mettre au centre de sa pensée le piéton tout
comme les espaces publics et de ne plus se limiter à les penser comme de
simples résidus. Ce qui en pratique signifie revoir les prescriptions de
l’urbanisme réglementaire (PLU) tout comme celles du Plan de déplacement
urbain (PDU) ou encore du Plan-Climat en s’inscrivant dans une démarche
similaire à celle initiée à l’occasion du code de la rue. La procédure du permis
de construire devrait être revue de manière à ce que les élus locaux
(responsables de l’aménagement urbain) accordent une attention particulière
au dessin des façades des bâtiments (publics ou privés) notamment au niveau
de la rue et des deux premiers étages. Les trois premiers niveaux de la façade
d’un bâtiment ne peuvent plus être perçus comme un élément relevant du geste
de l’architecte mais comme un élément également constitutif des espaces
© Les collections de l’INRETS
89
Piéton et aménagement
publics. Ce point de vue qui consiste à dire que la façade à l’échelle du piéton
relève des espaces publics est déjà adopté par certains élus locaux soucieux
de lutter contre les tags. Ne pourrait-il pas être étendu à la construction de tout
nouveau bâtiment ? Les acteurs de la ville peuvent en effet revoir les
documents d’urbanisme et s’appuyer sur un eux pour dépasser la rupture
e
épistémologique du XX siècle et ainsi réhabiliter le piéton et la marche à pied.
Ce travail s’inscrit dans l’objectif visant à revisiter nos représentations de la
mobilité et penser la ville durable.
Références
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Ghorra-Gobin, C. (2009), « La rue, la façade et l’architecte », Le Débat, Mai,
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Habermas, J. (1963), L’espace public : archéologie de la publicité comme
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Habermas, J. (1981), La théorie de l’agir communicationnel, Seuil.
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l’espace public », Les Annales de la recherche urbaine, N° 95, 121125.
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Mangin, D. (2004), La ville franchisée : formes et structures de la ville
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Pradelle (de la), M. (2001), «Espaces publics, espaces marchands : du marché
forain au centre commercial », in Réinventer le sens de la ville : les
espaces publics à l’heure globale, 2001, 181-191.
Vallat, C., (2008) (dir.), La pérennité urbaine, Paris, L’Harmattan.
90
© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques
et conduites déviantes des piétons
en situation de traversée complexe :
le cas lors du franchissement
de voies en site propre dans Paris
Florence Huguenin-Richard
Université de Paris 4-Sorbonne, UFR de géographie et d’aménagement,
Laboratoire ENEC CNRS UMR 8185
191 rue Saint-Jacques, 75005 Paris, France
[email protected]
Résumé – L’objectif de cet article est de présenter une étude d’évaluation de la
sécurité aux abords de sites propres (bus et tramway) dans la ville de Paris.
L’intérêt repose dans la méthodologie mise en place : au lieu d’étudier
classiquement de l’observation des accidents de la circulation survenus, c’est
l’observation des comportements de traversée des piétons qui est le point de
départ de cette analyse. Elle permet aussi de poser un regard critique mais
objectif sur un certain nombre d’aménagements de l’espace public et de la
voirie réalisés ces dernières années.
Mots-clés : site propre, piéton, comportement, traversée
Introduction
Depuis le début des années 2000, plusieurs aménagements de voirie ont
été réalisés dans Paris afin de séparer certains réseaux de transport collectif de
la circulation automobile avec notamment la mise en site propre de lignes de
bus – projet appelée Mobilien – et d’une nouveau tramway sur le boulevard des
Maréchaux (T3 sud). Chacun de ces projets a fait l’objet d’aménagements
structurels spécifiques de la chaussée et parfois même de la rue. Ils s’intègrent
dans une politique plus large de développement des modes de transport
urbains alternatifs à la voiture et de report modal. Ces aménagements, dont
l’objectif premier consiste à faciliter la circulation de moyens de transport en
commun, réorganisent l’espace public. De fait, de nouvelles règles de partage
de la voirie sont établies explicitement ou implicitement entre les usagers qui y
circulent (automobilistes, piétons, cyclistes, cyclomoteurs, bus, tramway…). Ils
s’accompagnent parfois aussi d’une complexification de l’environnement et par
là même de l’action de déplacement (aménagements divers, augmentation de
© Les collections de l’INRETS
91
Piéton et aménagement
la signalétique…). C’est alors que de nouveaux conflits entre usagers peuvent
apparaître.
Le bilan en termes de sécurité sur ces axes réaménagés, estimé par le
nombre d’accidents corporels avant et après les travaux, montre des
différences notables. Si un gain de sécurité a été observé sur le site du
tramway (une baisse de 40 % de l’accidentologie a été observée depuis sa
mise en service en décembre 2006 selon la Mairie de Paris), ce n’est pas
forcément le cas sur les sites propres de bus. L’objectif de cette étude réside
dans cet état de fait : quel est l’impact de ce type d’aménagements urbains en
termes de sécurité notamment pour les usagers les plus vulnérables que sont
les piétons ?
La méthode mise en œuvre repose sur une approche éthologique : des
enquêteurs, postés aux abords des passages piétonniers, ont réalisé des
observations non participantes des comportements des piétons en situation
réelle de traversée. Ces observations ont été suivies d’entretiens.
Pour relater cette étude, nous suivrons un plan en trois parties. La première
nous permettra de présenter les différents sites d’observation ainsi que les
aménagements qui leur est propres. Ensuite, nous exposerons en détails la
grille d’observations utilisée. Pour terminer, nous proposerons une synthèse
des résultats obtenus.
Figure 1. Carte de localisation des différents sites d’observation
dans la ville de Paris
92
© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons
Huit sites d’observation dans la ville
A partir de l’expertise en matière de sécurité routière réalisée par le service
de la voirie de la Mairie de Paris, six sites ont été sélectionnés afin d’y mener
une série d’observations fines des comportements de piétons adultes. Ils se
répartissent de la façon suivante (cf. Figure 1) :
−
deux sites le long de la ligne de tramway T3 sud (le premier au niveau de
la porte de Choisy et le second sis porte d’Orléans) ;
−
quatre autres sites sur le tracé des différentes lignes de bus en site
propre, plus problématiques en matière de sécurité (boulevard SaintMarcel, boulevard de l’Hôpital, boulevard Saint-Michel et pour finir
boulevard Montparnasse).
Pour chacun de ces sites, deux traversées ont été observés, ce qui porte à
douze le nombre total de passages piétonniers étudiés.
Un contexte de mobilité particulier
Paris est une ville où l’on marche relativement beaucoup : presqu’un
déplacement sur deux est effectué à pied par les résidents parisiens (d’après
l’Enquête Globale de Transport d’Île-de-France de 2001). Compte-tenu de sa
forte densité, de l’importance de son réseau de transport en commun, de la
présence de larges trottoirs sur ces boulevards, et de son patrimoine culturel,
Paris a toujours été une ville propice à la marche. D’ailleurs bon nombre de
résidents parisiens ne possèdent pas de voiture, phénomène bien caractéristique
des hypercentres (53 % des ménages sont non motorisés). Malgré cela, les
différentes enquêtes de mobilité montrent que l’évolution de ce mode de
déplacement fut le même que dans les autres villes, mais dans une proportion
moindre : la pratique de la marche à pied a baissé à partir des années 1970
jusqu’au début des années 1990, période à laquelle elle a connu un certain
regain d’intérêt (respectivement de 50,5 % de déplacements pédestres à 45,2 %).
D’après la dernière enquête en 2001, la marche tend à se stabiliser dans le
système des mobilités (46,5 %). La durée de ces déplacements à pied n’a pas
réellement augmentée, passant de 13 minutes en 1976 à 14 minutes en 2001.
C’est d’ailleurs pour le motif « loisirs » que la durée est la plus importante (20
min), tandis que le trajet pour rejoindre le lieu de travail ou l’école dure en
moyenne 14 et 13 minutes. En revanche, les distances parcourues ont connu une
augmentation de près de 200 mètres (de 450 m en 1976 à 630 m en 2001). C’est
évidemment l’augmentation de la vitesse qui a permis la réalisation de cette
conjoncture bien connue : elle est passée de 1,8 km/h en 1976 à 2,8 km/h en
2001. Les déplacements à pied les plus rapides ont pour motif le travail (3,8
km/h) ; les plus lents, le motif « loisirs » (2,3 km/h). Les déplacements pour
rejoindre l’école se faisant en moyenne à 2,8 km/h. Doit-on rapprocher cette
augmentation de la vitesse des déplacements pédestres à une amélioration du
réseau de circulation comme cela est le cas pour les modes mécanisés ? Ou estce là le reflet d’une société plus pressée ? Quelles conséquences l’augmentation
de la vitesse des déplacements à pied a-t’elle en terme de prise de risque notamment lorsqu’il s’agit d’attendre de traverser une chaussée en fonction des feux de
signalisation ? Ces questions étant posées, elles trouveront un intérêt tout particulier lors de notre phase d’observation des comportements en situation réelle.
© Les collections de l’INRETS
93
Piéton et aménagement
Des sites propres à Paris relativement récents
Un site propre correspond à une ou plusieurs voies constitutives de la
chaussée réservées à l’usage d’une ligne de transport collectif, qui est alors
qualifié de transport en commun en site propre (TSCP). Les modes de transport
de surface pouvant bénéficier d’un site propre sont le bus, le tramway ou
encore le trolleybus. Dans le cas d’une ligne de bus, on parle plus volontiers de
« couloirs de bus ». Les métros sont pour leur part conçus en site propre
intégral, c’est-à-dire sans croisement possible avec d’autres réseaux de
transport. Le site propre est un principe d’aménagement urbain définit dans le
Code de l’urbanisme (Article R211-5). Il se présente sous différentes formes :
−
une voie de circulation délimitée des autres voies par un marquage au
sol spécifique et une signalisation horizontale ;
−
une démarcation physique infranchissable, isolant la voie des autres flux
de circulation avec ou non croisement aux intersections.
L’objectif d’un tel aménagement est d’affranchir la circulation des bus ou des
tramways de la gêne occasionnée par les flux automobiles principalement
(obstacles, congestion…), afin d’améliorer la fréquence, la ponctualité et la
vitesse commerciale des services de transport en commun. La création de site
propre, en rognant sur la voirie dévolue aux automobiles, vise aussi à dissuader
l’usage de la voiture et de favoriser un report modal vers le transport collectif.
Pour terminer, on le plébiscite aussi pour ses effets positifs sur la diminution
des émissions de polluants atmosphériques.
Des études sur l’impact des sites propres ont déjà été menées. Elles
concernent principalement les impacts économiques (Boiteux, 2001),
urbanistiques (Certu, 1996, 1998, 2000 / Revue Urbanisme, Dossier Tramway, n°
315, novembre-décembre 2000) ou encore environnementaux (Werquin, 2006).
La question de l’impact de l’aménagement de voies en site propre sur la sécurité
des piétons au cours de leur déplacement et plus particulièrement au moment de
l’activité de traversée de la chaussée n’a pas à ce jour fait l’objet d’évaluation
spécifique. C’est là le cœur de notre présente étude.
Les sites propres, bus ou tramway, ont connu un engouement important à
partir des années 1980 dans de nombreuses villes françaises. Aujourd’hui, ces
aménagements font partie du paysage urbain. Pourtant, ils sont relativement
récents à Paris même. La ville, dans le cadre de son Plan de Déplacement
Urbain dont l’approbation date de décembre 2000, s’est lancée dans deux
grands projets de site propre de surface : le Mobilien, dont les travaux ont
commencé dans l’été 2001, et le Tramway des Maréchaux (T3 sud) inauguré
en décembre 2006 (cf. Figure 2). Les objectifs sont communs aux deux projets :
améliorer le cadre de vie et l’offre de transport en commun de surface, proposer
une alternative à la voiture, requalifier l’espace urbain. La sécurité des piétons
est une préoccupation clairement affichée dans la présentation écrite des
projets : création de refuges sur les traversées de larges boulevards où des
couloirs de bus sont installés, réaménagement de certains carrefours à la
faveur des piétons (élargissement des trottoirs), mise en place d’une nouvelle
signalétique pour la circulation des automobilistes et des piétons dans les rues
possédant un site propre. Le projet du tramway va plus loin encore avec
l’objectif d’un embellissement de la ville par une « végétalisation » le long du
94
© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons
tracé (plantation d’arbres, mise en gazon de la ligne afin de constituer un
« ruban vert »). Enfin, le projet du tramway, contrairement à celui du Mobilien, a
été confié à un architecte de renom. En effet, la RATP a lancé en 2002 un
concours de design, remporté par Jean-Michel Wilmotte et Arnaud de Bussière.
Figure 2. Les rues aménagées en sites propres à Paris
hors réseau secondaire (fin 2007)
Central ou axial, à double sens ou non : les multiples
facettes du site propre
Côté bus
A terme, le programme Mobilien concernera l’aménagement en site propre
de dix-huit lignes de bus dans Paris. Environ la moitié de ce linéaire a été
traitée à la fin de l’année 2007, soit 189 km de voies. L’aménagement est
réalisé de trois manières différentes :
−
une délimitation sur la chaussée de l’espace réservé à la circulation des
bus par un marquage au sol (peinture). Cela concerne 120 km de lignes
de bus dont 17,5 km sont à contre-sens des voies de circulation
automobiles ;
© Les collections de l’INRETS
95
Piéton et aménagement
−
une séparation physique des voies de circulation en installant une
bordure en granit. Environ 42 km de voies sont équipées d’une bordure
haute (de plus de 12 cm de hauteur et environ 50 cm de largeur), 5 km
de voies par une bordure basse, un peu plus de 10 km sont en site
propre véritable (sur chaussée indépendante dont 9 km avec des voies
bidirectionnelles), les 10 km de couloirs de bus restants sont aménagés
par une banquette large ;
−
enfin, un peu plus d’1 km du linéaire correspond à des espaces
piétonniers ouverts à la circulation des bus.
La circulation dans les couloirs de bus est règlementée pour les autres
usagers : elle est autorisée pour les taxis et les véhicules d’urgence, interdite
aux deux-roues motorisés, et ouverte à la circulation des vélos lorsque la
largeur de la voie le permet (une largeur minimale de 4,50 m est jugée
nécessaire).
Suivant le profil en travers de la rue (largeur) et les contraintes de circulation
(flux, trafic provenant des rues adjacentes), les couloirs de bus se situent soit
sur les côtés de la chaussée (on parle alors de site propre latéral), soit de part
et d’autre des voies de circulation (il s’agit là d’un site propre axial). La
circulation des bus dans les couloirs peut se faire à contre-sens des flux
automobile.
En ce qui concerne les différents lieux de traversée retenus pour l’étude, les
aménagements sont les suivants :
−
sur le boulevard Montparnasse (cf. Photo 1), la zone de traversée est
constituée de six voies de circulation, avec un site propre axial à doublesens ouvert aux vélos. De part et d’autre, on trouve deux voies de
circulation automobiles à sens unique. La traversée piétonne se fait en
plusieurs temps en fonction d’un système de feux décalés. Deux refuges
ont été aménagés de chaque côté du couloir de bus. L’une des voies de
bus est équipée d’un arrêt latéral par rapport au premier refuge ;
Photo 1. Vue en travers du boulevard du Montparnasse
Source : Streetview
96
© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons
−
sur le boulevard Saint-Marcel (cf. Photo 2), le passage piétonnier franchit
quatre voies de circulation dont un site propre latéral à double-sens
ouvert aux vélos, auquel est juxtaposé un double-sens pour les voitures.
La traversée se fait en deux temps avec présence d’un îlot central, d’un
système de feux décalés et d’un marquage au sol spécifique pour
rappeler les sens de circulation des bus aux piétons ;
Photo 2. Vue en travers du boulevard Saint-Marcel
Source : Streetview
−
sur le boulevard Saint-Michel, deux voies distinctes en site propre latéral
à sens unique situées de part et d’autre de la chaussée encadrent une
double voie centrale à sens unique dévolue au trafic automobile. La
traversée peut se faire là aussi en deux temps par la présence d’un petit
refuge au niveau du couloir de bus à contre-sens. Une seule voie du site
propre est ouverte à la circulation des vélos du fait de la faible largeur de
la seconde (3,50 m) ;
Photo 3. Vue en travers du boulevard Saint-Michel
Source : Streetview
© Les collections de l’INRETS
97
Piéton et aménagement
−
sur le boulevard de l’Hôpital (cf. Photo 4), c’est une configuration
différente encore que l’on peut observer. La chaussée est constituée
d’une double voie latérale réservée au bus en double-sens (ouverte aux
vélos), d’une double voie automobile à sens unique, et de deux autres
voies pour la voiture à contre sens.
Photo 4. Vue en travers du boulevard de l’Hôpital
Source : Streetview
Au final, l’aménagement des couloirs de bus dans Paris revêt une grande
diversité, ce qui peut poser des problèmes de sécurité lié à une mauvaise
compréhension du site dans lequel les piétons et les autres usagers évoluent et
doivent s’adapter. Est-ce que cette diversité et cette complexité de traitement et
de partage de l’espace de circulation constitue ou pas un facteur supplémentaire
de risque d’accident pour les piétons qui traversent ces chaussées ?
Côté tramway
Le tramway T3 sud circule sur un espace qui lui est entièrement dédié, en
position central sur la chaussée le long des boulevards des Maréchaux (Porte
e
d’Orléans), et en position latéral sur la fin de son parcours dans le 13
arrondissement (notamment Porte de Choisy). Généralement, les quais de
station se font face. Plus rarement, ils se trouvent en décalage l’un par rapport
à l’autre. Les automobilistes circulent de part et d’autre des rails du tramway sur
des doubles voies à sens unique. La largeur de ces voies a volontairement été
réduite de manière à inciter un apaisement des vitesses. Les cyclistes circulent
sur des pistes qui leur sont réservés côté trottoirs, eux-mêmes élargis. Le
tramway est prioritaire aux intersections par rapport au trafic de voitures : un feu
se déclenche automatiquement à son approche afin de stopper les flux
motorisés. L’accès aux stations pour les piétons a été sécurisé, l’arrivée du
tramway correspondant à un feu rouge automobile et à un feu vert pour les
piétons. Ainsi, la régulation du trafic et le cadencement des feux de
signalisation doivent dépendre expressément du trafic du tramway lui-même.
L’aménagement général de la rue a été repensé de manière à faciliter les
déplacements piétonniers et à les sécuriser. Normalement, l’observation des
comportements de traversée aux abords des stations du tramway ne devraient
pas montrer de comportements déviants ou aberrants !
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© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons
Observer les comportements des piétons
en situation réelle de traversée
Bien souvent, les études de sécurité routière se fondent sur une analyse
objective des accidents recensés et sur une estimation à postériori du risque
(Huguenin-Richard, 2000). Cependant, l’accident correspondant à un évènement
– heureusement – rare, ne reflète pas l’ensemble des difficultés et des dangers
auxquels l’usager est confronté au cours de ses déplacements. Toutes les
situations dangereuses que l’on peut rencontrer dans le système général de
mobilité ne mène pas à un accident, car bien souvent il y a évitement. Mais elles
peuvent nous renseigner plus finement sur les causes de danger, ces fameux
facteurs du risque routier si difficiles à identifier. L’observation des conflits (Fleury,
1998) apparaît alors comme une alternative intéressante, bien que plus coûteuse
à mettre en œuvre comme nous allons le voir.
Retour sur expériences
La question du cheminement des piétons et de leur exposition au risque
d’accidents a été beaucoup plus débattue dans les pays anglo-saxons, et en
particulier celle des déplacements des enfants sur le chemin domicile-école.
Dans leur étude, Carré et Julien (2000) se sont livrés à une recherche
bibliographique poussée, recensant plus de 900 références ayant trait à la
sécurité, l’exposition au risque, l’accidentologie… des piétons !
Figure 3. Tracé du T3 et localisation des sites d’étude
© Les collections de l’INRETS
99
Piéton et aménagement
Différentes méthodes d’investigation ont déjà été testées. Nous proposons
de les classer en deux grandes familles : les méthodes de terrain, qui reposent
sur une observation non participante de piétons en situation réelle (approche
éthologique) et les enquêtes à domicile, plus classiques dont nous ne feront
pas état ici. L’ampleur de ces enquêtes est souvent considérable du fait du
grand nombre d’éléments à observer : le piéton lui-même, son trajet, son
comportement, les caractéristiques environnementales des rues empruntées,
les lieux de traversée et surtout le trafic routier avec lequel le piéton entre en
interaction. Le choix de la méthode d’enquête est donc souvent lié à un
équilibrage entre précision et finesse de la connaissance et/ou précision et
finesse des conditions environnementales et du trafic routier.
Parmi les méthodes de terrain, trois retours d’expérience nous apparaissent
intéressants à exposer :
−
les études de sites (Routlege, 1974), pour lesquelles il s’agit de faire des
observations sur un site (un lieu de traversée par exemple) pendant une
période de temps donnée par un observateur posté qui relève un certain
nombre d’informations selon une grille préalablement établie (nombre de
traversées, conditions de ces traversées, caractéristiques et comportement
des piétons…). Ces observations sont souvent complétées par un
comptage du trafic routier. L’instrumentation de cette technique (utilisation
d’un magnétophone, d’une tablette graphique ou d’une caméra) peut
permettre d’augmenter la fiabilité et la quantité des relevés, sous condition
de discrétion ;
−
les enquêteurs mobiles (Knighting, 1972). Cette technique d’observation,
originale et moins souvent utilisée, a été mise au point pour étudier les
enfants piétons. Elle repose sur le parcours d’un secteur urbain par un
enquêteur selon un cheminement prédéfini et au cours duquel différents
relevés sont effectués chaque fois que l’enquêteur croise un enfant
(position, activité, comportement, âge…). Ce procédé donne une assez
bonne image de l’activité des enfants dans la rue et pas seulement au
cours de leur trajet domicile-école. Dans l’étude citée, 2500 enfants ont
été observés sur une période de vacances scolaires ;
−
le suivi (Routlege, 1974 ; Carré et Julien, 2000). Un observateur suit un
piéton et relève sur une carte le trajet effectué, les lieux de traversée, le
comportement du piéton, les conditions de trafic et celles de
l’environnement. Ce suivi peut être fait de manière furtive et minutée
(5 minutes de suivi maximum par exemple) à partir d’un point de prise en
charge du piéton (station de métro, gare…), comme cela a été testé à
Lille (Bodin et Bonnet, 2005) ou en accord avec le piéton (Carré et Julien,
2000). Dans cette étude, 51 piétons ont été suivis une journée entière par
un enquêteur du départ jusqu’au retour à son domicile. En ce qui
concerne les piétons enfants, le suivi – plus délicat d’un point de vue
éthique – est généralement réalisé suite à l’obtention d’un accord des
parents. La prise en charge de l’enfant se fait souvent à la sortie de
l’école sur une période de temps définie, à son insu de manière à ne pas
influencer son comportement ; les enfants bénéficiant d’une autorisation
de suivi étant repérables par un badge (Granié, 2004).
100
© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons
La méthodologie retenue
Dans notre cas, l’objectif réside dans une meilleure connaissance des
comportements des piétons adultes en situation réelle de traversée de
chaussée dans des environnements urbains particuliers et comparables. La
méthode retenue est celle de l’observation non participante par plusieurs
enquêteurs fixes postés aux abords de chaque passage piétonnier étudié. Les
comportements ont été consignés dans le cadre très formel de plusieurs grilles
d’observation, imprimées sur papier libre (cf. Figure 4). Le principe est le
suivant : pratiquer un certain nombre de comptages suivant les cycles de feux
piéton et automobile.
Un cycle de feux correspond à l’enchaînement des feux rouge, vert et orange
permettant aux piétons et automobilistes de circuler de manière décalée. Un
cycle débute par des feux rouges où piétons et automobilistes sont à l’arrêt,
auquel fait suite un feu vert pour les piétons et rouge pour les automobilistes, puis
un court retour au rouge pour tous permettant aux derniers piétons engagés sur
le passage de terminer leur traversée en toute sécurité. Enfin, les feux passent au
rouge pour les piétons et au vert puis orange pour les automobilistes. La durée de
chaque séquence de feux est définie en fonction de la largeur des voies à
traverser pour les piétons et de l’importance des flux automobiles en circulation.
Deux objectifs sont en jeu : la sécurité et le confort des piétons en termes de
temps de traversée et de temps d’attente, la fluidité du trafic automobile. Sur la
figure 4, la durée du cycle de feux donné en exemple est de 64 minutes au total.
Au cours de l’enquête, pour chaque traversée retenue, quatre enquêteurs
ont réalisé différents comptages successifs sur une période de dix cycles de
feux consécutifs (soit environ 10 à 15 minutes de relevés par élément
observé) : en premier lieu, le nombre de piétons traversant selon les couleurs
conjointes des deux feux dans les deux sens de traversée (rouge voiture/ vert
piéton, rouge voiture/ rouge piéton, vert voiture/ rouge piéton, orange voiture/
rouge piéton, rouge pour les piétons et les voitures). Pour effectuer ces
comptages, les enquêteurs ont travaillé par binôme en se plaçant de part et
d’autre du passage piétonnier (l’un comptant le nombre de traversées en
fonction des feux de signalisation ; l’autre consignant les résultats). Lors des
traversées au feu rouge piéton, le comportement des piétons a été consigné sur
une autre feuille en précisant s’il marchait lentement ou courrait. Ensuite, deux
enquêteurs ont réalisé des comptages de trafic (nombre de voitures, de vélos,
de bus, de deux-roues motorisés) pendant que les deux autres menaient des
entretiens auprès de piétons bienveillants (environ une dizaine par site). Enfin,
les enquêteurs ont été chargés de dénombrer sur une autre période de cycles
de feux les conflits observés entre les différents usagers sur le passage
piétonnier ou à proximité en précisant la source du problème (tourne à gauche,
tourne à droite, marche arrière, refus de priorité). Pour terminer, toutes les
situations déviantes auxquelles les enquêteurs ont assisté pendant leur temps
de présence sur le site ont été reportées de manière libre et textuelle.
Les observations ont été réalisées un jour de semaine au cours de tranches
horaire précises, correspondant à des périodes de fortes fréquentations
piétonnes (selon la répartition horaire des flux) : entre 12h00 et 14h00 ou entre
16h30 et 18h30. Les enquêteurs ont travaillé par équipe de quatre personnes.
© Les collections de l’INRETS
101
Piéton et aménagement
Les principaux résultats et discussions
Dans cet article, nous rendrons compte uniquement de résultats généraux
émanant de la compilation de tous les éléments mis en évidence pour
l’ensemble des traversées étudiées, chaque site présentant des observations
qui lui sont spécifiques.
Pour donner un ordre d’idée de la fréquentation des sites, un peu plus de
660 piétons ont été observés sur le principal passage piétonnier boulevard
Montparnasse (pendant une période de dix cycles de feux) ; 650 piétons
observés sur les deux passages de la Porte d’Orléans ; environ 450 piétons sur
le boulevard Saint-Michel.
Figure 4. Un exemple de comptage selon les cycles de feux
de signalisation
De manière générale
Les piétons adultes jeunes (c’est-à-dire en pleine possession de leur moyen
physique) ont tendance à traverser plutôt en fonction du trafic quand celui-ci
leur est favorable qu’en fonction des feux de signalisation. Ce comportement a
d’ailleurs été relevé plus expressément aux abords du tramway (Porte de
Choisy). La réduction de la largeur des voies de circulation automobile n’y est
peut-être pas étrangère. Notons que les observations ont été réalisées dans
des conditions de trafic calme à dense, jamais congestionné. Les piétons dans
102
© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons
l’ensemble sont apparus moyennement respectueux des feux de signalisation :
le taux de traversée au feu rouge piéton tourne autour de 20 %. La plupart du
temps, ces traversées illicites se font de manière tranquille (le piéton marche) et
dans un contexte de trafic faible. A contrario, il a été observé sur l’ensemble
des sites d’étude un bon respect du feu rouge voiture par les automobilistes.
La dangerosité ou la difficulté pour traverser (notions souvent confondues
lors des entretiens effectués au cours de cette étude) est surtout décrite par
deux catégories de piétons : les personnes âgées et les mamans
accompagnées d’enfants : soient celles pour lesquelles les temps de traversée
apparaissent trop courts. Il y a pourtant là un biais : ce sont aussi les catégories
de personnes qui prennent plus facilement le temps de répondre ou qui
viennent spontanément vers les enquêteurs.
Enfin, l’arrivée d’un bus ou d’un tramway en station a souvent été observée
comme facteur de prise de risque : cas de traversées en courant, sans respect
des feux, parfois même hors passage lorsque le nombre de voies n’est pas trop
important.
Concernant le site propre « bus »
La présence d’un îlot central faisant office de refuge pour les piétons lorsque
les chaussées sont trop larges ou lorsque la traversée se fait en deux temps en
raison de feux décalés peut poser des problèmes de sécurité. Souvent de faible
largeur, il ne peut pas forcément contenir le nombre de piétons qui s’y trouvent.
Ceux-ci doivent donc attendre de traverser en empiétant sur les voies de
circulation, ce qui les expose plus fortement à un risque de collision avec les
véhicules en circulation ou les incitent à traverser sans respecter les feux de
signalisation (cf. Figure 5). Les contresens parfois mis en place dans les
couloirs de bus sont assez souvent mal perçus par les piétons. Cette lecture
difficile voire erronée de l’environnement de circulation, malgré le marquage au
sol et une signalisation horizontale, a été source de conflits plusieurs fois
rapportés par les enquêteurs (un piéton s’engage pour traverser la voie, un bus
arrive et doit freiner brutalement). A titre d’exemple, cela c’est présenté à
plusieurs reprises sur le boulevard Saint-Michel, très fréquenté par une
population de touristes non habituée au lieu.
Enfin, beaucoup de comportements déviants signalés sont l’œuvre
d’usagers de deux-roues qui ne respectent pas les règles de conduite (cyclistes
qui passent au feu voiture rouge ou qui traversent sur le passage piétonnier /
deux-roues motorisés qui circulent dans les voies de bus).
Concernant le site propre « tramway »
Les observations sur les lieux de traversée le long du tracé du tramway des
Maréchaux sud montrent un certain nombre de comportements non conformes
à la règle : traversées en dehors du passage piétonnier ou au feu piéton rouge
ou de manière latérale au centre de la chaussée (cf. figure 6). Elles montrent
aussi un nombre important de conflits entre les piétons et les automobilistes
(lors de manœuvre de « tourne à droite » ou lors de la traversée).
© Les collections de l’INRETS
103
Piéton et aménagement
Figure 5. Comportements déviants et conflits,
boulevard du Montparnasse
Figure 6. Comportements déviants et conflits,
Porte d’Orléans
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© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons
Figure 7. Comportements déviants,
porte de Choisy
La cohabitation entre les différents modes de déplacements est un véritable
enjeu dans ce type d’aménagement et met au défi les politiques de transfert
modal et les plans de déplacement urbain. Sur le site de la porte de Choisy, on
peut remarquer que la délimitation physique des différentes voies de circulation
(piétonne, cycliste ou automobile) n’est pas suffisamment établie. Des piétons
circulent sur les pistes cyclables et traversent hors des passages prévus à cet
effets ; des cyclistes vont sur les voies de tramways... Il y a une confusion
évidente des espaces qui peut être à l’origine de conflits.
Plus généralement, les deux sites étudiés sur le tracé du tramway
correspondent à des espaces multimodaux (passage d’un mode de transport à
un autre) de surface combinant un accès au réseau du métro ou de bus et un
accès au tramway. La circulation automobile apparaît alors comme perturbatrice des cheminements piétonniers car forçant le piéton à des temps d’arrêts
au moment des traversées alors qu’il essaie le plus souvent d’optimiser son
temps de déplacement entre deux correspondances. Par ailleurs, la localisation
des passages protégés ne correspond pas forcément au chemin le plus court
emprunté par les piétons pour rejoindre les différentes stations de transport
mais obéît à des règles autres. Ces observations posent le problème plus
général de la gestion des déplacements piétonniers au sein de la ville et du
traitement des plates-formes multimodales de surface.
Conclusion, discussion
En guise de conclusion, nous aimerions mettre l’accent sur l’intérêt d’une
telle étude sur le comportement du piéton en lien avec un aménagement
spécifique. Plusieurs points peuvent être soulevés.
Diffus, quasi isotropes et dans une grande mesure stochastiques, les
déplacements du piétons en termes de choix de trajet, de comportements et de
tactiques de traversées sont mal connus. Nos travaux permettent, malgré le
nombre restreint de sites observés, d’apporter quelques éléments nouveaux.
Ils mettent surtout en évidence la difficulté d’organiser au sein des villes des
espaces multimodaux de surface sur lesquels circulent un nombre conséquent
© Les collections de l’INRETS
105
Piéton et aménagement
d’usagers et de types d’usager. Afin d’en améliorer l’aménagement et la
sécurité, que peuvent apporter des expériences comme le code de la rue en
Belgique (en pourparlers à Paris) ou encore les zones de rencontre en Suisse
(déjà reprise dans quelques villes françaises) ?
Quant à la méthode utilisée – reposant sur l’observation des pratiques, des
comportements déviants et des conflits entre usagers –, elle permet de mettre
en évidence des incohérences entre l’aménagement d’un espace de circulation
tel qu’il a été pensé et les usages qui en sont réellement faits. Elle constitue de
fait une solution pour évaluer la qualité d’un aménagement de l’espace public.
Son efficacité peut certainement être améliorée en utilisant d’autres moyens de
collecte tels que la vidéo. Cette dernière offre l’avantage de permettre à
l’analyste de revenir sur des situations difficiles à capter à l’œil nu et en temps
réel. En effet, de nombreux observateurs ont mis en avant la difficulté d’une
telle technique (visualisation en directe dans un environnement complexe et
report sur papier des faits, ce qui les a contraint à s’approprier la méthode par
des phases de tests). L’interrogation des usagers tous types confondus
(piétons, cyclistes, automobilistes) sur la perception des sites permettrait là
aussi d’améliorer le diagnostic.
La généralisation constitue le second problème. Les sites étudiés, bien que
similaires dans leur conception, ont tous fait l’objet d’observations plus
singulières. Afin de pouvoir tirer des conclusions théoriques, il conviendrait de
choisir des zones d’étude encore plus semblables, si cela est possible.
Enfin, la non-connaissance de l’accidentologie permet d’aborder l’analyse
des sites sans a priori.
Références
Boiteux et al. (2001) Transports : choix des investissements et coûts des
nuisances, La Documentation française, Paris, 328 p.
Carré et al. (2000) Présentation d’une méthode d’analyse des séquences
piétonnières au cours des déplacements quotidiens des citadins et
mesure de l’exposition au risque des piétons, Rapport de recherche
INRETS n° 221, Paris, 109 p.
Certu (1996) Évaluation des transports en commun en site propre. Synthèse
d’études réalisées en France dans le domaine de l’urbanisme,
Rapport d’études, 166 p.
Certu (1998 : Évaluation des transports en commun en site propre. Méthodes
d’observation des effets sur l’urbanisme et le cadre de vie, 130 p.
Certu (2000) Guide d’aménagement de voirie pour les transports collectifs,
Certu, 267 p.
Fleury (1998) Sécurité et urbanisme. La prise en compte de la sécurité routière
dans l’aménagement urbain, Presses de l’École Nationale des Ponts
et Chaussées, Paris, 299 p.
Huguenin-Richard (2000) Approche géographique des accidents de la
circulation : propositions de modes opératoires de diagnostic.
106
© Les collections de l’INRETS
Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons
Application au territoire de la métropole lilloise, Doctorat de
géographie, Université de Franche-Comté, 322 pages.
Knighting et al. (1972) A pilot study of child pedestrians in a residential area,
TRRL, Technical report, n° 736, 26 p.
Granié (2004) L’éducation routière chez l’enfant : évaluation d’actions
éducatives, Rapport de recherche INRETS n° 254, Paris, 258 p.
Lassare et al. (2007) Measuring accident risk exposure for pedestrians in
different micro-environment, in Accident Analysis and Prevention, 39,
pp.126-1238.
Revue Urbanisme – Dossier Tramway, n° 315, novembre-décembre 2000.
Revue Urbanisme – Dossier Marcher, n° 359, mars-avril 2008.
Routledge et al. (1974) The exposure of young children to accident risk as
pedestrians, in Ergonomics, 17, 4, pp. 457-480.
Werquin (2006) Jardins en ville. Nouvelles tendances, nouvelles pratiques, Ed.
Dominique Carré, Paris, 144 p.
© Les collections de l’INRETS
107
La démarche « code de la rue » :
des travaux pour redonner
de la place au piéton
et assurer sa sécurité en ville
Frédéric Murard, Samuel Martin
Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions
publiques (Certu)
9 rue Juliette Récamier, 69456 Lyon Cedex 06, France
[email protected]
[email protected]
Résumé – Pour répondre aux enjeux contemporains et aider concrètement les
gestionnaires de la voirie à mieux aménager et partager l'espace public entre
les citoyens, le cadre juridique français devait évoluer. C'est tout le sens du
travail engagé depuis 2006 par l'État, les élus, les professionnels de la voirie et
les associations d'usagers autour du « code de la rue ». Cette démarche relève
de l’inflexion des politiques publiques en faveur des modes doux, et défend
l’idée de redonner de l’espace aux piétons en ville.
Mots-clés : priorité, vitesse, mobilité, concertation
Les attentes en matière d'aménagement de la voirie urbaine évoluent. A
l'heure de la ville accessible et multimodale, l'espace public doit plus que jamais
assurer les conditions de sécurité et de convivialité indispensables à la
cohabitation de tous les usagers. Le Code de la route devait s'adapter pour
mieux prendre en compte ces préoccupations.
Le gouvernement français, à l'instar d'autres pays européens comme la
Belgique, a souhaité mener une réflexion large autour des règles du Code de la
route en milieu urbain, en réunissant les acteurs institutionnels et associatifs ; la
démarche « code de la rue » a ainsi été lancée en 2006. Elle poursuit deux
objectifs très complémentaires.
Le premier consiste à examiner, avec les acteurs institutionnels, associatifs
et les professionnels de la voirie, les dispositions du Code de la route
spécifiques au milieu urbain, et à mieux les faire connaître.
Le second consiste à faire évoluer les dispositions du Code de la route,
lorsque cela s’avère nécessaire afin de mieux partager l'espace public entre
tous les usagers, et d’offrir une plus grande sécurité de déplacements à tous, et
plus particulièrement aux plus vulnérables, dont les piétons.
© Les collections de l’INRETS
109
Piéton et aménagement
Cette démarche a conduit à la parution le 30 juillet 2008 du décret n°2008754 qui fait apparaître un principe général de prudence et redéfinit l'aire
piétonne et la zone 30, en même temps qu'il introduit en France le concept de
« zone de rencontre ». Autant d'outils supplémentaires à disposition des
collectivités pour faciliter l'appropriation de l'espace public urbain par les
citadins.
Pourquoi faire évoluer la réglementation
du Code de la route ?
Une rédaction qui date, des évolutions encore
insuffisantes
Des dispositions réglementaires centrées sur la circulation
automobile
Dès sa publication en 1921 le Code de la route s’adresse principalement
aux automobilistes. Plus tard, pendant la période des 30 glorieuses et l’essor de
la motorisation, tout est fait pour adapter la ville à l’automobile, avec le souci de
fluidifier la circulation. Le piéton perd de l’espace, et ses déplacements sont
moins sûrs. A bien des égards, le Code de la route reflète cette primauté
accordée à l'automobile : la place du piéton ou du cycliste n’y est souvent
définie que dans ses liens avec la circulation des véhicules motorisés.
Si la vision du « tout voiture » est progressivement remise en cause à partir
des années 70, notamment du fait de l’hécatombe routière, le Code de la route
n’évolue que lentement.
Des enjeux nouveaux qui interrogent la réglementation
En matière de sécurité routière, il faut attendre les années 80 pour qu’un
tournant soit pris en France avec le déploiement du programme partenarial
Etat/collectivités territoriales « Ville plus sûre, quartiers sans accidents » (Certu,
juillet 1994). La prise de conscience est enfin effective. Une orientation forte en
faveur de la sécurité routière et de la prise en compte de la vie locale conduit à
l'abaissement de la limitation de vitesse de 60 à 50 km/h en agglomération et à
l'introduction de la « zone 30 » dans le Code de la route (1990).
Puis avec les dispositions de la loi « Solidarité et renouvellement urbains »
(SRU) de 2000, la sécurité des déplacements devient une préoccupation
majeure des plans de déplacements urbains (PDU). L’enjeu est de produire un
système de déplacements confortable et équilibré en agglomération, valorisant
en particulier les modes de déplacement doux.
Ces évolutions témoignent du rapprochement des problématiques de
l'urbanisme et de la sécurité des déplacements. L'exigence sociale et politique
d'un cadre de vie de qualité conduit par ailleurs a réinterroger les approches
fonctionnalistes de l'aménagement de la voirie, relevant trop souvent de la simple
« technique routière ». Dans ce contexte, le Code de la route devait aussi évoluer
pour mieux prendre en compte la dimension urbaine de l'aménagement des rues.
110
© Les collections de l’INRETS
La démarche « code de la rue »
Les spécificités du milieu urbain
Un bilan de sécurité routière en demi teinte
Si aujourd'hui les progrès en termes de sécurité routière sont indéniables
(4620 décès en 2007 contre 7742 en 2002) grâce à une politique volontariste,
ils concernent plus les axes routiers interurbains que le milieu urbain. De plus,
en milieu urbain cette baisse n'a pas été aussi forte pour tous les usagers. 1359
personnes ont ainsi été tuées en 2007 dans les agglomérations contre 2079 en
2002 : 459 conducteurs de deux-roues motorisés (34 %, soit un tiers), 379
piétons (28 %), 60 cyclistes (4 %). Parmi les 379 piétons décédés en milieu
urbain en 2007, 245 étaient âgés de 65 ans et plus, soit 65 % (Source :
Observatoire national interministériel de sécurité routière). Avec l’accroissement
de la durée de vie de la population, le besoin des femmes et des hommes de
conserver le plus longtemps possible leur autonomie se renforce. Cela passe,
notamment, par la réalisation de grandes zones au sein desquelles l’on peut se
déplacer à pied en toute quiétude.
Une diversité de pratiques et de besoins
En milieu urbain, l'espace public est polyvalent : la rue n'est jamais
uniquement vouée à la circulation : elle accueille d'innombrables usages,
activités et fonctions, qui participent à l'animation des villes et cohabitent plus
ou moins aisément.
Parallèlement, les pratiques de déplacement se complexifient et nécessitent
une prise en compte fine des besoins de chacun : personnes à mobilité réduite,
piétons, cyclistes, usagers des transports en commun, livreurs, taxis etc. Cette
multiplicité de pratiques et les revendications qui s'ensuivent ne vont pas sans
générer des difficultés, dans la programmation comme dans l'usage des
espaces publics. Dés lors, il incombe aux aménageurs et gestionnaires de la
voirie d'opérer les choix d'aménagement appropriés.
De nouvelles pratiques d'aménagement
En milieu urbain plus qu'ailleurs, la logique fonctionnaliste de séparation des
modes montre rapidement ses limites, tant en terme de qualité d'usage que de
sécurité. Les aménagements doivent composer avec la mixité fonctionnelle
propre à la rue, tout en assurant les conditions de sécurité et de convivialité
indispensables à la cohabitation des usagers. C'est dans cet esprit qu'ont été
aménagées de nombreuses zones 30 depuis 1990 (Certu, 2003) dans les villes
et les villages. Cependant, au vu de la diversité des réalisations, il apparaît que
la réglementation de 1990 sur les limitations de vitesse est insuffisamment
précise pour répondre aux besoins du terrain : confusion entre limitation de
vitesse à 30 km/h et priorité du piéton, confusion entre aire piétonne destinée
aux piétons et espace ouvert à la circulation où le piéton est prioritaire. De plus
les aménageurs ne trouvent pas dans la réglementation les outils adéquats
pour répondre à certaines situations, et des adaptations locales sans
fondement juridique sont réalisées : espaces « semi-piétons », zones à vitesse
limitée à 10 km/h ou 15 km/h par exemple.
© Les collections de l’INRETS
111
Piéton et aménagement
La démarche « code de la rue »
Fort de ce constat, le Certu organise en décembre 2004 un colloque «piéton,
vélo, moto, que se passe-t-il en Europe ? » Cette grande manifestation
rassemble de nombreuses associations. Au programme : le code de la rue Belge.
C'est sous ce nom qu'a été menée en Belgique, entre 2000 et 2004, une
démarche participative portant sur la partie urbaine de l’équivalent belge du
Code de la route. Ce travail très ouvert a abouti à la sortie d’un « code de la
rue », et a été conduit sur un mode participatif avec l’ensemble des
associations et professionnels concernés. Il a abouti à une révision du code de
la route avec l’approbation d’un nouveau code en 2004 qui s’applique à l’urbain
et à l’interurbain.
Le message trouve tout de suite un écho favorable auprès des associations
françaises d’usagers et des collectivités territoriales présentes.
Les associations, notamment de cyclistes, portent alors la demande d’un
« code de la rue » en France.
La méthode adoptée
Lancée en France le 18 avril 2006 par Dominique Perben, ministre des
transports, la démarche « Code de la rue » est pilotée par la Direction de la
sécurité et de la circulation routières avec l’appui du Centre d’études sur les
réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques, du ministère
du Développement durable.
Le périmètre est large puisqu’il s’agit de faire réfléchir l’ensemble des
associations concernées par la sécurité routière en milieu urbain, qu’il s’agisse
des associations orientées usager (piéton, PMR, roller, vélo, moto, auto),
généralistes (Rue de l’avenir, la Prévention routière), ou représentant les
collectivités au niveau des techniciens (Association des ingénieurs territoriaux
de France, Association des techniciens territoriaux de France, Groupement des
autorités organisatrices des transports, Club des villes cyclables, Association
des départements cyclables...) ou des organismes paritaires (Conseil national
des transports, Comité de liaison sur l’accessibilité).
Le principe participatif de la démarche implique un double engagement :
celui de l'État d’instruire les propositions partagées au sein du comité de
pilotage ; celui des autres acteurs qui participent à la réflexion de diffuser les
résultats.
La réflexion est alimentée par les enseignements tirés de pratiques
étrangères et d’expériences françaises.
Les cibles finales sont les décideurs, les aménageurs, ainsi que les usagers.
Les premières évolutions réglementaires issues
de la démarche
Le décret du 30 juillet 2008 correspond à l'instruction des premières
propositions issues de la démarche « code de la rue ». Il introduit plusieurs
nouveautés favorables aux piétons.
112
© Les collections de l’INRETS
La démarche « code de la rue »
L'introduction de la zone de rencontre dans le Code de la route
Le statut de « zone de rencontre » est introduit et défini. C'est un espace
ouvert à tous les modes de déplacement, où les piétons bénéficient de la
priorité sur tous les véhicules à l'exception des tramways et peuvent se
déplacer sur toute la largeur de la voirie ; pour que cela soit possible, la vitesse
des véhicules y est limitée à 20 km/h.
Panneau d'entrée dans une zone de rencontre
Source : Certu
L'évolution passe également par une modification réglementaire des zones
de circulation particulières en milieu urbain que sont l'aire piétonne et la zone
30. Cette clarification de la réglementation, ainsi que l'introduction de la zone de
rencontre, donnent ou précisent les outils à la disposition des collectivités pour
favoriser la mobilité piétonne. En particulier, la zone de rencontre, déjà
expérimentée en Suisse, en Belgique et en Allemagne – mais aussi préfigurée
en France dans certaines villes comme Chambéry – semble répondre à un
besoin réel : celui de qualifier réglementairement des espaces aménagés avec
le souci de la mixité des usages tout en privilégiant la protection du piéton. Un
premier effet d'entraînement est déjà perceptible dans les collectivités qui
avaient déjà enclenché une réflexion sur le sujet, notamment dans le sens
d'une généralisation des zones 30.
Le principe de prudence
Un principe de prudence a été introduit dans le Code de la route : le
conducteur « doit, à tout moment, adopter un comportement prudent et
respectueux envers les autres usagers des voies ouvertes à la circulation. Il doit
notamment faire preuve d'une prudence accrue à l'égard des usagers les plus
vulnérables ». Ainsi, d'une manière générale, les usagers qui ont la protection
physique la plus efficace doivent redoubler de vigilance en présence d'usagers
vulnérables – ou lorsque leur présence est prévisible : cela concerne
l'automobiliste à l'égard du piéton, le chauffeur de poids lourd vis-à-vis de
l'automobiliste, mais aussi le cycliste vis-à-vis du piéton. Ce principe, médiatisé
sous le nom de « principe de prudence du plus fort par rapport au plus faible »,
donne tout son sens aux règles applicables dans les zones de rencontre où le
piéton est prioritaire et la limitation de vitesse des véhicules réduite (inférieure à
20 km/h). Il existe en Suisse et Belgique.
© Les collections de l’INRETS
113
Piéton et aménagement
La généralisation du double-sens cyclable dans les zones 30
et zones de rencontre
Enfin, le double sens cyclable dans les zones 30 et les zones de rencontre
est généralisé (sauf cas particulier). Concrètement, le décret prévoit ainsi qu'au
1er juillet 2010 dans les zones 30 et zones de rencontre tous les sens uniques
dans ces zones, à de rares exceptions près pour des raisons particulières de
sécurité, seront ouverts aux cyclistes dans les deux sens. Les collectivités
devront donc d'ici là mettre en place la signalisation adaptée, et au besoin
recourir aux aménagements nécessaires, pour satisfaire à la réglementation. A
terme, cette mesure devrait être favorable au développement de la pratique du
vélo et permettre de limiter les conflits entre piétons et cyclistes sur trottoir : les
travaux de suivi et d'évaluation réalisés dans les villes ayant déjà expérimenté
le double-sens cyclable en ont démontré les avantages, tant sur le plan du
confort que de la sécurité (CETE de l'Est, 2008)
La portée de la démarche en termes de
mobilité piétonne : les effets escomptés
de l'introduction en France de la zone
de rencontre
Rétrospectivement, la proposition d''instauration en France de la zone de
rencontre a bénéficié d'échos d'autant plus favorables qu'elle s'appuyait sur un
retour d'expérience positif de pays voisins : nombre d'aménagements organisés
suivant le principe d'une cohabitation entre les piétons et les véhicules à faible
vitesse y avaient déjà fait leur preuve, tant sur le plan du confort donné au
piéton que sur le plan de la sécurité.
Les réflexions préalables à la définition de ce chaînon manquant entre la zone
30 et l'aire piétonne se sont donc largement appuyées sur les expériences
étrangères, en particulier de la Suisse et de la Belgique, qui ont respectivement
adopté la zone de rencontre en 2002 et 2004. Si bien que l'on retrouve dans ces
pays les trois règles fondamentales qui définissent la zone de rencontre : la
priorité donnée aux piétons, la limitation de la vitesse des véhicules à 20 km/h, le
stationnement autorisé uniquement sur les emplacements prévus à cet effet. Ces
similitudes permettent dores et déjà, dans une certaine mesure, de bénéficier
d'un recul sur l'instauration et l'aménagement des zones de rencontres, sur la
base des expériences suisses et belges (CETE de l'Est, 2009).
Le retour d'expérience suisse : l’exemple de la ville
de Berthoud
Le premier des enseignements est que les zones de rencontre trouvent un
écho favorable dans les pays où elles ont été mises en œuvre. Les
aménagements, favorisent indéniablement la réappropriation de la rue par les
piétons et une utilisation plus diversifiée de l'espace public. Citons, parmi les
réalisations ayant fait l'objet d'une évaluation formalisée a posteriori, l'exemple
de Berthoud (15 000 hab.)
114
© Les collections de l’INRETS
La démarche « code de la rue »
C'est la ville qui dispose du plus grand recul sur le sujet, puisque la zone de
rencontre y est testée depuis 1996 : priorité aux piétons, vitesse limitée à
20 km/h, accès sans restriction pour les voitures. Les passages piétons ont été
supprimés, les piétons traversent la route où et quand bon leur semble, les
voitures les laissent passer. D’abord instaurée à titre expérimental et baptisée
« zone de flânerie », c'est officiellement une zone de rencontre depuis 2002,
date à laquelle ce type d’aménagement a été reconnu par le droit fédéral
suisse.
La zone de rencontre a d'abord été prévue sur un périmètre important dans le
quartier commerçant de la ville basse, c'est-à-dire sur environ 500m incluant la
gare, la poste et la rue principale, accueillant bus et taxis (6 000 véhicules par
jour dans certaines rues).
Cette expérience pilote s’inscrivait dans le programme Énergie 2000. Les
buts fixés étaient clairs: diminuer de 10 % la consommation d’énergie dans la
localité, augmenter de respectivement 33 % et 20 % les déplacements à pied et
à vélo.
Les comptages réalisés en 2001 sur la place de la gare montrent une nette
diminution de l'usage de la voiture et un report sur la marche à pied : dans le
quartier de la gare, le trafic motorisé a diminué de 16 %.
Depuis la réalisation de la zone de rencontre, les services techniques
effectuent régulièrement des campagnes de mesures de vitesses. Ils ont
constaté que celles-ci sont autour de 30 km/h après la réalisation de la zone de
rencontre. Si elles sont supérieures à 20 km/h, elles ont néanmoins chuté
d'environ 20 km/h. Les autorités de Burgdorf estiment cette situation
satisfaisante : après six ans, aucun accident grave n’a été signalé.
La zone est en phase d’extension et bénéficie aujourd'hui d’un soutien sans
faille de tous les milieux concernés, en particulier des commerçants. En 2001,
sur la cinquantaine de personnes propriétaires de magasins dans le quartier de
la gare, ils étaient 55 % à souhaiter que la zone de flânerie soit maintenue et
même améliorée, 40 % à préconiser qu’elle reste telle quelle et 5 % seulement
à demander sa suppression.
La zone de rencontre de Berthoud (Suisse)
Source : CETE de l'Est
© Les collections de l’INRETS
115
Piéton et aménagement
Flux quotidiens sur la place de la gare de Berthoud, avant et après la mise
en œuvre de la zone de rencontre
Source : Ville de Berthoud (CETE de l'est, à paraître)
Les premières réalisations en France
L'introduction de la zone de rencontre en France a fait partie du premier train
de mesures issues de la démarche Code de la rue parce qu'elle correspondait
à une convergence d'intérêt entre :
−
les aménageurs et gestionnaires de voirie, pour qui la zone de rencontre
clarifie les responsabilités de chacun en établissant réglementairement
les conditions de la mixité des usagers
−
les usagers, pour qui la zone de rencontre apparaît comme un vecteur
supplémentaire de réappropriation de l'espace public
−
les concepteurs, qui disposent d'une plus grande liberté en termes
d'aménagement, pour favoriser la mixité plutôt que la séparation
fonctionnelle
Pour le moment, toutes les possibilités offertes par la zone de rencontre en
termes d'aménagement n'ont pas été saisies : en particulier dans les quartiers
d'habitation (par exemple dans les écoquartiers) ou dans les espaces publics
au fonctionnement complexe (parvis de gare, pôle d'échange intermodal). Les
premières zones de rencontre ont plutôt été mises en service là où elles
s'imposaient de fait, par exemple dans des contextes de ruelles relativement
étroites d'hypercentre où le piéton circule déjà naturellement sur toute la largeur
de la chaussée (à Metz, Bordeaux, Caen...) C'est donc un moyen
« d'officialiser » un usage... et pour les gestionnaires une manière de se couvrir
juridiquement.
116
© Les collections de l’INRETS
La démarche « code de la rue »
Les limites
Vraisemblablement, le recul en France est encore insuffisant pour pouvoir
évaluer la portée de l'instauration réglementaire de la zone de rencontre. Les
premières mises en œuvre ont surtout bénéficié de l'effet d'opportunité créé par
l'évolution réglementaire, sans nécessairement intégrer la mobilité piétonne
comme élément de concertation ou de programmation (pas d'études préalables
sur les flux, les comportements, pas d'objectifs définis).
Or la mise en œuvre de telles zones sera d'autant plus bénéfique pour le
piéton qu'elle s'inscrira dans une réflexion globale, ce qui réclame du temps et
une volonté politique pérenne. C'est d'ailleurs une des leçons de l'exemple de la
ville de Berthoud, qui a soutenu d'autres projets en faveur des mobilités
douces : service de livraison à domicile à vélo, système de guidage piéton,
sécurisation des chemins vers les écoles, service de covoiturage etc. La zone
de rencontre est la manifestation concrète d'une politique menée sur le long
terme.
C'est dans cet esprit que certaines agglomérations françaises ayant déjà
engagé une réflexion sur la généralisation de zone 30, les modes doux ou un
Code de la rue, s'intéressent à la zone de rencontre (Strasbourg, Dijon, Rouen,
Bordeaux, Metz, Caen...) : l’appropriation locale du concept par toutes les
parties prenantes (élus, techniciens, associations d'usagers, riverains) apparaît
nécessaire pour tirer le meilleur de la zone de rencontre en termes de mobilité
piétonne.
Une zone de rencontre à Bordeaux
Source : Certu
© Les collections de l’INRETS
117
Piéton et aménagement
L’évaluation de la démarche « code de la rue »
Un succès conditionné par le relais des politiques locales
Même si les modifications réglementaires peuvent avoir un caractère
déclencheur ou facilitateur, la démarche nationale « code de la rue » ne se
substitue pas aux démarches locales : les outils développés trouveront leur
meilleure utilisation au sein d'une politique cohérente, articulant l'aménagement
de l'espace public avec les enjeux de mobilité et d'urbanisme. Toutes les
collectivités n'en sont pas au même niveau de réflexion, et une grande disparité
des résultats est vraisemblablement à prévoir.
Par ailleurs, au-delà des moyens réglementaires, la question de la culture
technique semble incontournable pour mettre en œuvre une politique de
sécurité et de cohabitation sur la voie publique favorable aux piétons comme
aux modes doux. Une telle approche nécessite de renouveler certaines
pratiques d'aménagement, qui pouvaient conduire à privilégier le confort de
circulation des véhicules motorisés au détriment de la qualité urbaine. L'enjeu
est bien de construire une culture commune de l’aménagement des voiries
urbaines, conforme aux attentes contemporaines en matière d'accessibilité,
d'environnement et de cadre de vie.
La mesure de l'impact de la démarche « code de la rue »
L'effet le plus immédiatement perceptible de la démarche concerne peut-être
le fonctionnement du processus décisionnel et réglementaire des instances
nationales. La prise en compte des besoins exprimés par les associations
d'usagers, les choix de privilégier la concertation et la participation, ont insufflé
une dynamique qui devrait continuer à porter ses fruits. Le Comité de Pilotage
de la démarche « code de la rue » a ainsi lancé de nouveaux travaux sur des
thèmes favorables aux piétons : la priorité du piéton en traversée, le roller et
autres véhicules hybrides dans le code de la route, le stationnement
(réglementation et signalisation), la définition du trottoir et du trottoir traversant,
le cheminement des piétons. Le projet de loi sur la mise en œuvre du Grenelle
de l'environnement a par ailleurs retenu le principe d'une charte sur le « code
de la rue » (Fiche thématique n°7, art. 12-1, page 46) en ces termes : « La
démarche « code de la rue » consiste à examiner, avec l'ensemble des acteurs
institutionnels et associatifs, les dispositions du code de la route de nature à
assurer, en milieu urbain, un meilleur partage de l'espace public entre tous les
usagers et d'offrir une plus grande sécurité de déplacements à tous, et
particulièrement aux plus vulnérables ».
Par ailleurs, conformément à la loi de décentralisation, qui réaffirme le rôle
de l'État quant à la cohérence du réseau routier et quant à la politique
technique, le Certu assurera de fait une forme de suivi de la démarche. Le
développement des outils - méthodes et solutions concrètes pour les praticiens
- passe notamment par la diffusion des connaissances sur les projets innovants
et l'évaluation des réalisations. Ce travail d'accompagnement permettra ainsi de
rendre compte localement de l'impact sur le développement des modes doux
ou la sécurité des déplacements.
118
© Les collections de l’INRETS
La démarche « code de la rue »
L'usager, bénéficiaire final
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que c'est certainement la réception
sociale de ces mesures chez les citoyens qui sera déterminante de la portée de
le démarche. La diffusion et la communication auprès des usagers apparaît
notamment comme une des conditions de l'effectivité du « principe de
prudence ».
Une partie des thèmes de communication ont d'ores et déjà été pris en
considération dans les campagnes de communication de la Sécurité routière
menées pendant la « Semaine de la sécurité routière » de 2006 et de 2007.
Une brochure d'information « Le code de la rue, les premiers résultats » a
été largement diffusée auprès des élus, professionnels de l'urbanisme et des
transports et des associations à l'occasion de la Journée européenne de la
Sécurité routière de 2008, puis aux réseaux de la Sécurité routière et du Certu
et à l'occasion de rencontres professionnelles (dont le Salon des maires et des
élus locaux) (DSCR/Certu, 2008).
La communication en direction du grand public est encore limitée.
Cependant, le dialogue initié entre les associations d'usagers et les collectivités
a déjà localement conduit à des actions de communication auprès de la
population.
La démarche « code de la rue » et ses premiers résultats participent de
manière très concrète à la ré-appropriation de l'espace public urbain par les
piétons. Ils font aussi apparaître de nouveaux enjeux de recherche :
−
au niveau de l'expérimentation technique : quels dispositifs physiques
mettre en œuvre pour permettre la cohabitation de tous ? Quelles solutions
développer pour prendre en compte les besoins des personnes à mobilité
réduite (repérage, orientation, guidage, etc.) ;
−
à l'échelle d'un aménagement : quels effets sur le fonctionnement quotidien,
les conflits, l'appropriation, l'animation, les modes et le type de
fréquentation ?
−
sur le plan du suivi et de l'évaluation à l'échelle d'un territoire : quels
impacts des zones à circulation apaisée sur la mobilité piétonne ? Sur les
autres modes de déplacements ? Sur les dynamiques locales
(économiques, foncières, sociales) ?
Références
Certu (1994), Ville plus sûre, quartiers sans accidents ; évaluations et
réalisations, Certu
Certu (2003), Les zones 30 en France : bilan des pratiques en 2000, Certu,
Rapport d'étude téléchargeable
DSCR/Certu (2008), La démarche « Code de la rue en France » Octobre 2008
– premiers résultats, Certu, Plaquette téléchargeable
Certu (2008), Les zones de circulation particulières en milieu urbain : Aire
piétonne – zone de rencontre – zone 30 : Trois outils réglementaires
© Les collections de l’INRETS
119
Piéton et aménagement
pour un meilleur partage de la voirie, Certu, Plaquette en vente ou
téléchargeable
CETE de l'Est (2008), Généralisation des doubles sens cyclables
pour les voiries de type zone 30, Le cas de Illkirch-Graffenstaden,
Certu, Rapport d'étude téléchargeable
Certu (2009), Zone 30 et zone de rencontre : La généralisation des doubles
sens cyclables, Dossier TechniCités n°160, Plaquette téléchargeab le
CETE de l'Est (2009), Les zones de rencontre en Suisse et en Belgique,
réglementation et exemples de réalisations, Certu, Rapport d'étude
téléchargeable
120
© Les collections de l’INRETS
Piétons, connaître leurs besoins,
mobilité et risques
Ole Thorson
Président de INTRA, Ingeniera de Tráfico (consultant en mobilité) et président
de la Fédération internationale des piétons (IFP)
Jytte Thomsen
Directrice de INTRA, Sécurité routière (consultant en mobilité)
Joan Estevadeordal
Président de Catalunya Camina, Association pour les droits des piétons
INTRA c/Diputación 211, Ent. ES 08011, Barcelone, Espagne
[email protected]
Résumé – On a l’habitude de penser de manière linéaire quand on commence
le design d’une rue, prenant ainsi en compte les besoins et les contraintes des
conducteurs. Pour compenser cette habitude, il est nécessaire de connaître les
besoins des autres usagers. La sécurité de la rue – spécialement en relation
avec les mouvements transversaux – doit aussi être prise en compte. Cette
contribution permet de souligner les apports de nouvelles informations pour les
collectivités locales dans le processus d'instruction d'un projet de nouvelle
voirie. Ainsi, Il faut inclure aux données habituelles de la ville celles concernant
les déplacements des piétons et leur accidentologie. La moyenne des
déplacements à pied en zone urbaine est de l’ordre de 50 %, et l’on trouve
(d’après les rapports des polices municipales de Catalogne) environ 40
accidents impliquant piétons pour 100 000 habitants.
Mots-clés : piéton, mobilité, sécurité, dessin des rues
Lors de la dernière réunion du « Pacte pour la Mobilité » de la Municipalité
de Barcelone, de nouvelles données de l’enquête sur les déplacements dans la
région de la Grande Barcelone pour l'année 2008 ont été présentées. Pour la
première fois, les déplacements à pied à l’intérieur de la ville ont atteint 50 %. À
ce chiffre peuvent être ajouté 1,5 % de cyclistes. Les déplacements non
motorisés représentent plus de la moitié de tous les déplacements intra-muros.
Cette conjoncture incite à adapter un peu plus la politique de mobilité en ville
aux besoins des usagers non motorisés. Il y a quelques années, on a pu
modifier la politique du stationnement quand on a su que plus de la moitié des
propriétaires pouvaient garer leur véhicule hors de l’espace public. Ce
changement des données, ajouté à une volonté municipale d’améliorer les
conditions pour les piétons et à la loi sur la mobilité qui donne la priorité aux
© Les collections de l’INRETS
121
Piéton et aménagement
moyens de mobilité les plus durables, tendent à rendre les conditions plus
acceptables pour les piétons.
Par ailleurs, il commence aussi à y avoir, lentement, une prise de
conscience de la nécessité de s'occuper des passagers du transport public,
dans la partie du déplacement qui est faite à pied. Mais il ne suffit pas de
connaître les besoins des piétons. Il faut aussi connaître les nécessités
techniques de la marche sur les trottoirs et spécialement dans les zones où les
mouvements des piétons croisent la trajectoire des véhicules.
Nous avons l’habitude de penser en mode linéaire quand on dessine le plan
d’une rue. On pense à la section transversale et il est facile de définir, en
premier lieu, les voies pour les voitures et de laisser le reste pour un travail
secondaire. Pour compenser cette tradition de pensée, il faut avoir présent à
l’esprit les besoins des autres usagers de la rue. La sécurité dans la rue
– spécialement en relation avec les mouvements transversaux – doit aussi être
prise en compte. Le projet d’une rue commence aux façades, avec la définition
des trottoirs et des arrêts du transport public.
Cadre législatif en Catalogne
En 2003, le Parlement de Catalogne a approuvé une loi sur la mobilité qui
donne priorité aux usagers qui se déplacent de la manière plus durable. Cela
permet de s'occuper plus des piétons, des cyclistes et des usagers des
transports publics. La mobilité doit être sûre, et il faut s'occuper de la santé des
résidents et des usagers de l’espace public.
Avec les réglementations additionnelles, les administrations ont mis en
évidence la nécessité de planifier les réseaux pour les piétons et pour les
cyclistes et de rendre responsables du transport public les promoteurs des
nouvelles actions urbanistiques dans et hors la ville. Concernant la qualité de
l’air, 40 municipalités autour de Barcelone ont des fortes émissions, ce qui a
conduit à changer la manière de planifier les nouvelles activités économiques.
En Catalogne, et aussi dans la plupart des pays, il manque encore des
schémas directeurs pour les piétons et pour les cyclistes et une planification de
la mobilité, mais il existe une tendance à réduire ce manque dans les
prochaines années.
Les 5 Plans Directeurs de Mobilité de Catalogne sont basés sur des
scénarios de mobilité future qui prévoient une diminution de 10 à 15 % du
nombre de kilomètre-véhicules dans les années à venir. L’augmentation de la
mobilité doit être absorbée par les moyens de transport plus durables.
Données urbaines en Catalogne
On dispose de données de mobilité pour les différents modes de transport
(voiture, autobus, train (métro), vélo et piétons), distinguant les motifs de
déplacements « travail » et « études » pour chacune des municipalités de
Catalogne. On a spécialement étudié les résultats de 1996 et 2001. En 2006,
l’enquête a apporté des enseignements, avec le problème des erreurs
statistiques des résultats de la distribution modale dans les petites municipalités.
122
© Les collections de l’INRETS
Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques
La figure 1 montre la relation entre le pourcentage de marche à pied dans la
mobilité (tout le trajet à pied) et le nombre d’habitants des villes de la Catalogne
en 2001. La figure 2 compare les années 1996 et 2001. Sont inclus les
déplacements de plus de 5 minutes et tous les déplacements scolaires. Les
données de l’année 2001 incluent seulement les déplacements des personnes
de plus de 15 ans (ceci exclut les enfants scolarisés). Pour cette raison, il est
difficile de faire la comparaison entre les deux années et d’observer si la
marche à pied s'est maintenue.
La dispersion des résultats est grande, mais avec une consolidation autour
du 50 % des voyages urbains à pied.
Figure 1. Pourcentage des mouvements intramuros
(avec origine et destination dans la municipalité)
totalement à pied en fonction du nombre d’habitants
120
% desplaçaments a peu (1996)
Total
100
Logarítmica (Total)
y = 3,6119Ln(x) + 23,76
R 2 = 0,0684
80
60
40
20
0
0
50.000
100.000
150.000
200.000
250.000
300.000
Número d'habitants (1996) SENSE BARCELONA
Source: Generalitat de Catalunya. Élaboré par INTRA
Figure 2. Pourcentage moyen de déplacements des piétons
par regroupement des municipalités selon nombre d’habitants
Source: Generalitat de Catalunya. Élaboré par INTRA
© Les collections de l’INRETS
123
Piéton et aménagement
Les données de la figure 2 permettent une analyse par groupes de villes.
Pour les deux années 1996 et 2001, on peut observer que le pourcentage des
déplacements à pied augmente avec la taille de la population jusqu’à 40 000
habitants. Il y a un nombre limité des municipalités de plus de 40 000 habitants
en Catalogne.
Dans la figure 3, on peut voir la différence entre les motifs « travail » et
« études ». La proportion de jeunes qui marchent pour aller à l’école (62 %) est
plus importante que celle des gens qui marchent pour aller au travail (38 %).
Cela signifie que le trajet pour l’école doit recevoir une attention particulière de
la part des municipalités. Dans tous les projets, la marche à pied scolaire doit
être prise en compte.
Figure 3. Pourcentage de trajets piétons ayant pour motif l’école
et le travail en 1996 en relation avec la population
%
Source: Generalitat de Catalunya. Élaboré par INTRA
%
Figure 4. Pourcentage de trajets piétons ayant pour motif l’école
et le travail en 2001 en relation avec la population
Source: Generalitat de Catalunya. Élaboré par INTRA
124
© Les collections de l’INRETS
Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques
On peut observer que le nuage de points en 1996 et en 2001 (fig. 3 et 4)
concernant les déplacements pour le travail se situe plus ou moins à la même
hauteur, autour de 40 %. Il n’y a pas une grande différence, même si la
motorisation (véh./hab.) est plus importante dans l’année 2001. Le pourcentage
de marche à pied pour aller au travail a régressé jusqu'à 34 % en 2001, 4
points de moins qu'en 1996.
Il est nécessaire de faire un effort important pour maintenir des conditions
acceptables pour les piétons, également dans leurs accès à leur lieu de travail,
en ville et en zones industrielles.
Nous disposons aussi d’informations détaillées sur les accidents piétons ;
elles sont présentées dans la figure 5.
Figure 5. Accidents avec piétons dans les villes de Catalogne
(sans Barcelone) en 2007
Pedestrian accid en ts
140
120
100
80
60
40
20
0
0
50.000
100.000
150.000
200.000
250.000
300.000
Population
Source: INTRA avec données du Département de Trafic Catalan
Tableau 1. Age et sexe des piétons accidentés. Catalogne 2006
Age et sexe des
victimes
% de la
population
Total des victimes
(%)
Piétons (%)
Hommes
49,6
63,5
50,2
Femmes
50,5
36,5
48,8
≤ 14 ans
14,13
4,30
14,5
15–17 ans
2,79
6,6
3,3
18–20 ans
3,14
10,0
4,5
21–24 ans
5,41
12,9
5,6
25–44 ans
34,24
41,2
25,6
45–64 ans
23,68
14,5
19,7
65–74 ans
8,64
3,7
9,7
> de 74 ans
7,97
3,6
12,2
Sans information
–
3,1
4,9
© Les collections de l’INRETS
125
Piéton et aménagement
Même avec une dispersion notable (il y a de grandes différences dans les
proportions de rapports de la police locale), la tendance indique 40 accidents
pour 100 000 habitants (sans inclure la ville de Barcelone, où les nombres
d’accidents et de piétons accidentés sont très importants).
Dans le tableau 1 est indiqué le pourcentage de piétons dans la population,
les accidentés en général et les piétons blessés.
Chez les femmes, la proportion des victimes-piétons est plus grande que
leur représentation dans le total des blessés. Il y a plus de femmes qui
marchent que d’hommes. Les piétons-blessés de plus de 74 ans sont plus
représentés que leur poids dans la population.
Plans locaux de sécurité routière urbaine
La mobilité doit être plus sûre pour tous les usagers. Cela signifie que dans
une partie importante des réseaux, s’il n'y a pas assez d’espace, on doit
adapter la vitesse des véhicules aux moins rapides. Une grande partie du
réseau (mélange de conducteurs motorisés ou non) doit être planifiée à la
vitesse limite de 30 km/h. La limite maximum légale en zone urbaine en
Espagne est de 50 km/h. Sur autoroute, c’est 120 km/h, mais, à l’approche de
Barcelone, ce maximum de 120 a été réduit à 80 km/h, avec une grande
réduction des blessés et des tués.
La Direction catalane du trafic a défini, avec les plans catalans de sécurité
routière 2005-07 et 2008-10, un programme d’intervention et d’aide aux
municipalités pour l’élaboration de plans locaux de sécurité routière.
Figure 6. Localisation des municipalités de Catalogne dotées
d’un nouveau plan local de sécurité entre 2006 et 2009
126
© Les collections de l’INRETS
Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques
Dans beaucoup de municipalités, il n'y a pas de données suffisantes sur les
accidents, et seulement une partie de ces informations arrive à l’administration
supérieure (Service catalan du trafic, SCT) qui a la responsabilité de connaître
et d’améliorer l’état de la sécurité dans le pays.
Une partie importante des municipalités ne fait pas d’effort suffisant pour
inclure des études de sécurité dans les programmes municipaux et les projets
d’aménagement de l'espace routier.
Il existe un autre problème concernant les données d’accidents avec
victimes en Catalogne. Ces données sont sous la responsabilité de la police
municipale, groupe d’agents qui ont des priorités différentes dans chaque ville.
En particulier, il n’y a pas, dans beaucoup de cas, de rapport sur les accidents
impliquant seulement des piétons (en tant que blessés) dans les statistiques de
la police locale. Pour mieux connaître les accidents des piétons, il faut avoir des
informations des hôpitaux – situation pas encore normalisée en Catalogne.
Le Service de trafic du gouvernement de la Catalogne, a commencé en 2006
l’élaboration de plans locaux de sécurité routière dans les municipalités.
Les résultats des études d’accidents, et des accidents des piétons, auprès de
80 villes dans le territoire de la Catalogne, peuvent donner quelques indications
des erreurs commises dans les conditions générales et dans la gestion de la
mobilité et des piétons dans nos villes. La localisation des traversées de piétons,
leur visibilité, les caractéristiques du feu rouge et la relation avec la sécurité ont
été étudiés.
Dans la figure 6, on peut voir les localités dans lesquelles ont été élaborés des
plans de sécurité entre 2006 et 2009. Une grande partie de ces plans municipaux
ont donné une importance suffisante à la sécurité des piétons dans les rues.
Dans le tableau 2 sont détaillés les données sur l’importance des accidents
impliquant des piétons dans 31 des 80 villes étudiées, lesquelles totalisent une
population de près de 3 millions habitants. Il y a des différences entre les municipalités dans la proportion des piétons accidentés, entre 10 % et 53 %. Il faut donc
considérer avec prudence ces informations, compte-tenu de cette différence
importante. Dans l’analyse des données, le type d’accident peut être indicatif.
En Catalogne, 16,7 % de tous les accidents avec victimes enregistrés dans
les dernières années impliquent un ou plusieurs piétons. Les 31 villes du tableau
ci-joint représentent 1 634 000 des 7 millions d’habitants de la Catalogne, en
moyenne 20,1 % des accidents présents dans ces villes impliquent des piétons.
Dans le tableau 3, les 5 villes de plus de 100 000 habitants sont au-dessus de
cette moyenne.
Pour l’ensemble de la Catalogne, presque 40 % de tous les accidents piétons
avec blessés en zone urbaine ont lieu dans les intersections (tableau 3). Pour les
11 villes importantes présentées dans le tableau, 35 % des accidents avec
piétons ont été enregistrés dans ce type de localisation. Toutefois, il y a encore
trop de zones urbaines avec peu d’informations détaillées sur les accidents et les
mouvements des piétons impliqués. Pour obtenir de meilleurs résultats dans la
sécurité locale, on a fait des propositions de nouveaux aménagements et de
régulations de l’espace public, avec une analyse générale et une étude spéciale
des points noirs.
© Les collections de l’INRETS
127
Piéton et aménagement
Tableau 2. Accidents avec piétons dans 31 villes de Catalogne
avec plan de sécurité routière
Municipalité
Population
Nombre
d’accidents
(2005-2007)
% des accidents
avec piétons
Blanes
38 368
53
11,3
Cambrils
29 112
37
22,2
3 519
2
20,0
Campdevànol
Falset
2 742
3
18,8
Igualada
36 923
81
20,0
Manresa
73 971
196
22,4
Quart
2 618
2
10,0
Reus
104 835
169
29,3
St. Andreu de Ll.
9 745
8
12,9
St. Feliu Guixols
21 155
22
16,6
Vic
38 321
101
27,5
Lloret de Mar
34 997
110
22,2
216 201
81
19,9
Cerdanyola V.
57 959
59
26,5
Malgrat de Mar
17 531
18
20,2
Badalona
Piera
12 951
1
10,0
Amposta
18 785
9*
22,5
Terrassa
193 000
398
15,9
Vilanova i la G.
61 427
134
14,5
Tortosa
33 705
57
16,3
Mataró
118 748
114
16,3
7 030
9**
26,5
Tona
Tarragona
134 976
156
27,0
Seu d’Urgell
12 317
29
53,0
Prat de Llobreg.
63 111
37
30,6
Lleida
127 314
38**
22,7
L’Hospitalet Ll.
251 84)
421
21,1
Girona
90 278
111
6,7
Olot
31 824
106
19,3
Figueres
41 115
86**
21,9
Cunit
11 102
9*
29,0
Moyennes des villes étudiées
Catalogne
7 210 508 (2007)
20,1
8603 (2005-07)
16,7
* 1 année ** 2 années
128
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Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques
Tableau 3. Typologie des accidents avec piétons
Municipalité
Manresa
Reus
Badalona
Cerdanyola del V.
Terrassa
Mataró
Tarragona
Prat de Llobreg.
Lleida
L’Hospitalet Ll.
Girona
Catalogne
Localisation du piéton au moment de l’accident (%)
En
intersection
Hors
intersection
Autre
localisation
Sans
information
Total en
intersection
38
24
39
71
38
26
42
24
20
20
50
14
40
35
30
14
26
26
19
21
18
33
22
12
22
37
8
15
12
25
11
16
17
13
15
8
0
4
23
0
24
23
26
39
45
34
13
66
39
41
70
62
51
67
22
43
45
47
50
38
Villes > 50 000 habitants (2006)
Étudiant des idées de modération du trafic à travers l’Europe et leur
adaptation en Catalogne, un catalogue de solutions à destination des plans
locaux de sécurité routière, pour améliorer la sécurité en général, et celles des
piétons en particulier, a été édité par le Service du trafic de Catalogne. Les
idées présentées aident les techniciens municipaux à accepter les propositions
faites dans les plans locaux. C’est spécialement important de faire part du
chemin effectué en faveur de la sécurité routière en zones urbaines en
Catalogne. A Barcelone, il y a une habitude de sécurité mais elle est moins
présente dans les autres municipalités. Et même dans la capitale, cela coûte de
prendre des mesures pour protéger suffisamment les piétons.
Dans la plupart des intersections, l’espace laissé aux voitures est trop
important, les itinéraires des piétons ne sont pas acceptables et les lignes de
visibilité entre piétons et conducteurs (obstacles créés par les mobiliers urbains,
les voitures) n’existent pas.
Figure 7a. L’itinéraire des piétons n’est pas suffisamment naturel
© Les collections de l’INRETS
129
Piéton et aménagement
Figure 7b. Le piéton sur le trottoir ne peut pas voir le conducteur
avant de commencer à traverser la rue
Figure 7c. La réduction de l’espace pour la chaussée
et pour le stationnement accroît la visibilité dans l’intersection
Dans la liste suivante, on peut voir les différents types de propositions faites
aux municipalités dans les plans locaux.
−
Trottoirs plus larges. Au moins 2 mètres, libres d’obstacles (mobilier etc.).
−
Réduction de la largeur des voies de circulation à 3 mètres (2 voies ou
plus) et de 3,3 à 3,5 mètres dans les rues avec seulement une voie.
−
Assurer avec des feux rouges les trajets des piétons traversant le réseau
principal.
−
Raccourcir les cycles des feux rouges pour réduire les temps d'attente
des piétons et de cette manière réduire le risque de passer au rouge.
−
Dans les rues avec 4 voies ou plus, on recommande la construction des
refuges centraux pour les piétons.
−
Les passage-piétons doivent être construits au plus près de l’intersection
(en giratoires aussi) – la trajectoire naturelle pour le piéton.
−
Construire les trottoirs plus larges dans les intersections pour garantir
une traversée plus courte et plus sûre.
130
© Les collections de l’INRETS
Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques
−
Remplacement des stationnements pour véhicules et des containers par
l’élargissement des trottoirs ou par des stationnements pour motos ou
bicyclettes.
Recommandations
−
Dans la plupart des villes les piétons constituent le groupe majoritaire de
la population qui se déplace. Ceci doit être pris en considération dans les
interventions des responsables des réseaux routiers.
−
Toute étude et tout projet concernant l’espace public doit disposer pour
les piétons de données égales ou supérieures à celles relatives aux
déplacements en véhicules à moteur.
−
Un projet d’aménagement de l’espace routier doit commencer avec la
définition des besoins des piétons.
−
Avec un nombre important d’accidents de piétons en ville, il est
nécessaire de chercher la sécurité, en particulier aux points de
croisement entre piétons et conducteurs.
−
C’est important de prendre en compte qu’en temps normal les
conducteurs considèrent que les piétons font invasion dans l’espace des
conducteurs. Il faut faire mieux comprendre aux conducteurs que le
passage piéton est un lieu des pour les conducteurs et pour les piétons
et que la vitesse doit être minimale dans toutes les circonstances de
traversée de piétons.
Références
Plans de Sécurité Routière de la Generalitat de Catalunya. 2002-2004, 20052007- 2008-2010, Barcelona, www.gencat.cat
Plans Locaux de Sécurité Routière des villes de Catalogne, Servei Català de
Trànsit, Generalitat de Catalunya. 2006-2009
Loi sur la Mobilité, Parlement de Catalogne, 13 juin 2003.
Guia Manual : Pla local de seguretat viària. Guide d’élaboration des plans
locaux de sécurité routière. Generalitat de Catalunya 2006.
© Les collections de l’INRETS
131
Interaction foule-structure
1
2
1
1
Philippe Pecol , Stefano Dal Pont , Silvano Erlicher , Pierre Argoul
1
Université Paris-Est, UR Navier, Ecole des Ponts ParisTech
6-8 avenue B. Pascal, cité Descartes, Champs-sur-Marne
77455 Marne-la-Vallée Cedex 2, France
[email protected], [email protected], [email protected]
2
Université Paris-Est, Laboratoire Central des Ponts et Chaussées, BCC
52 boulevard Lefebvre, 75732 Paris, France
[email protected]
Résumé – Un problème émergeant en dynamique des ouvrages pour le génie
civil est la modélisation de l’interaction dynamique foule-structure. Les
structures telles que les passerelles piétonnes (qui oscillent à cause du
passage d’un groupe de personnes) ou les gradins des stades/salles de concert
(qui vibrent à cause du mouvement rythmé du public) sont particulièrement
concernées. En fixant l’attention sur l’interaction foule-structure sur les
passerelles piétonnes, cette article explique les deux étapes fondamentales de
notre étude : gérer le mouvement des piétons sur la passerelle avec prise en
compte des interactions piéton-piéton et piéton-obstacle puis réaliser le
couplage piéton-structure.
Mots-clés : mouvement de foule, modèle discret, vibration des structures,
couplage piéton-structure
Introduction
Contexte général
Depuis quelques années, plusieurs passerelles légères, élancées et/ou de
faible amortissement ont oscillé latéralement sous l’action de la marche de
piétons. Ce phénomène a suscité un intérêt grandissant chez les ingénieurs et
les chercheurs dans les bureaux d’étude et dans les centres de recherche.
L’exemple le plus célèbre est le pont du Millénium de Londres qui, le jour de son
inauguration en juin 2000, a vibré latéralement de plusieurs centimètres, à cause
d’une foule très dense le traversant. Ce phénomène s’explique par le fait que la
foule traversant la passerelle impose à la structure une excitation latérale d’une
fréquence d’environ 1 Hz. Cette fréquence est souvent celle du premier mode
latéral de vibration du pont. Un phénomène de résonance s’active alors et les
oscillations de la structure augmentent. Tant que le nombre de piétons reste
inférieur à un nombre critique, les oscillations restent de faible amplitude de telle
sorte que les piétons continuent à marcher de la même manière que sur un
plancher rigide. Au-delà de ce nombre critique, les oscillations de la passerelle
© Les collections de l’INRETS
133
Piéton et aménagement
deviennent suffisamment importantes pour que les piétons soient incités à
modifier leur façon de marcher, notamment leur fréquence de marche, jusqu’à ce
qu’apparaisse une synchronisation en fréquence entre piétons et structure. En ce
qui concerne la vibration verticale, les résultats expérimentaux disponibles dans
la littérature montrent que ce phénomène de synchronisation n’est pas visible.
La densité de la foule est un autre facteur influençant le comportement du
piéton. En effet, pour une foule de faible densité, chaque individu peut marcher
librement comme s’il était seul. Plus la densité de la foule augmente, plus
chaque piéton a une marche contrainte par son entourage qui l’oblige à
marcher au même rythme que les autres. Cette synchronisation piéton-piéton
existe aussi sur sol rigide. Actuellement, très peu d’études prennent en compte
ces deux types de synchronisation simultanément.
Des problèmes semblables peuvent intervenir dans les stades ou les salles
de spectacles, où les piétons pourraient être contraints d’évacuer les lieux sous
l’effet de fortes vibrations de la structure.
État de l’art
La modélisation du mouvement de la foule est un sujet complexe et toujours
ouvert actuellement. On peut référencer deux grandes familles de modèles de
foule : les modèles dits « macroscopiques » où la foule est représentée dans son
ensemble par un fluide compressible et les modèles dits « microscopiques » où le
mouvement de chaque individu est représenté dans le temps et l’espace. En ce
qui concerne la première famille, Bodgi (2007,2008) a utilisé l’approche continue
pour la modélisation de l’interaction foule-structure sur les passerelles piétonnes.
Les résultats obtenus sont satisfaisants mais l’adaptation de l’approche utilisée
pour le cas de l’évacuation d’une salle de spectacle n’est pas immédiate. La
deuxième famille, où les modèles sont discrets, est mieux adaptée aux
problèmes d’évacuation. De nombreux modèles existent déjà : les modèles
utilisant des forces sociales (Helbing et Molnar, 1995), les modèles basés sur les
automates cellulaires ou des variantes (Chen et al., 2007), les modèles de choix
discret (Robin et al., 2009), les modèles multi-agents (Pan et al., 2007) et les
modèles de dynamique de contact (Venel, 2008).
En ce qui concerne le couplage piéton-structure, la première étape est de
modéliser le chargement dynamique d’un seul piéton sur une structure vibrante.
Le corps humain peut être vu comme un système mécanique très complexe,
composé de plusieurs parties en interaction réciproque (Garcia, 1999). Une
autre alternative est de trouver un bon compromis entre l’exigence de la
simplicité du modèle de piéton et l’exigence de reproduire correctement un
phénomène complexe comme la synchronisation entre piéton et structure.
Abrams (2006) a représenté l’action du piéton sur une passerelle par une force
latérale sinusoïdale de module 35 N et dont la phase totale est gérée par une
équation de type Kuramoto. Bodgi (2008) s’est inspirée de ce modèle pour
réaliser le couplage piéton-structure.
Dans la suite de cet article, nous proposons d’une part un modèle de foule
discret utilisant un code de dynamique de contact pour gérer le mouvement des
piétons dans un plan, puis nous utilisons les équations de couplage identiques à
celles utilisées dans (Bodgi, 2008), mais sous forme discrète, pour étudier
134
© Les collections de l’INRETS
Interaction foule-structure
l’interaction piéton-structure en dimension 1. La connexion entre la partie
mouvement des piétons avec celle sur le couplage piéton-structure pour le
modèle discret est en cours de réalisation. Des études du même type n’existent
pas à notre connaissance.
Le modèle de foule discret
Notre modèle de foule repose sur trois idées : on crée un champ de « vitesses
souhaitées » pour que le piéton puisse se déplacer librement lorsqu’il est seul, on
utilise un code de dynamique de contact pour contrôler le déplacement des
piétons sur structure rigide ou mobile et les interactions piéton-piéton et piétonobstacle, puis on ajoute des « forces sociales » qui permettent aux piétons de
s’éviter. Ce modèle proposé n’est pas détaillé, pour plus de détails voir (Dimnet et
Dal Pont, 2006, 2008 ; Pecol et al., 2009 ; Helbing, 2001).
Le champ de vitesses souhaitées
Pour gérer le mouvement d’un piéton quelconque situé dans un espace plan
2D quelconque, on doit pouvoir décrire sa vitesse souhaitée en fonction de sa
position. On s’est inspiré de (Venel, 2008) pour définir un champ de vitesses
souhaitées qui permet de donner la vitesse qu’aurait un individu quelconque pour
qu’il puisse atteindre un point de sortie de l’espace donné. Pour créer ce champ,
on se base sur l’hypothèse qu’un individu choisit toujours le chemin le plus court
pour se déplacer d’un point à un autre. Ainsi, on utilise une technique basée sur
une méthode de Fast Marching (Kimmel et Sethian, 1995) pour définir le champ
de vitesses souhaitées d’un espace donné ; ce champ ayant un module constant
égal à la vitesse « naturelle » d’un individu et un flux suivant le chemin le plus
court pour aller d’un point courant de l’espace au point de sortie de l’espace (fig. 1).
Figure 1. Exemple de distances géodésiques entre les points
d’un lieu considéré et le point de sortie de ce lieu
Le point de sortie se trouve en haut à gauche, la distance par rapport à
la sortie croît en allant du bleu vers le rouge ; un obstacle est présent
au centre de l’espace étudié
© Les collections de l’INRETS
135
Piéton et aménagement
Le code de dynamique du contact
Le déplacement des piétons et les interactions piéton-piéton et piétonobstacle sont gérés par un code de dynamique du contact développé et utilisé
pour la dynamique des matériaux granulaires par Dimnet et Dal Pont (2006,
2008) qui se sont inspirés des travaux de Frémond (1995). Dans ce code, les
piétons sont considérés comme des « grains » rigides (qui seront rendus
« actifs » par le champ de vitesses souhaitées). Une description des collisions
instantanées dans le système de solides rigides est réalisée à partir du principe
des travaux virtuels. La méthode de calcul utilisée pour l’évolution des
2
systèmes multi-solides est la méthode d’atomisation des efforts A-CD
(Atomized stresses Contact Dynamics fulfilling a Clausius Duhem inequality).
Cette méthode de calcul est, par construction, adaptée à la simulation des
évolutions pour lesquelles des collisions entre particules ou des ruptures de
contact avec discontinuité de vitesse surviennent en plus des évolutions
2
régulières. Pour ces raisons, la méthode A-CD peut être utilisée pour simuler
le comportement d’une foule de piétons (figure 2).
Les forces sociales
Le code de dynamique du contact enrichi du champ de vitesses souhaitées
permet de considérer deux comportements de foule si l’on considère des
piétons qui veulent sortir d’un espace donné :
−
Soit la foule est peu dense, chaque piéton se comporte comme s’il était
seul et sort de l’espace donné sans contact avec autrui en empruntant le
chemin le plus court.
−
Soit la foule est assez dense pour qu’il y ait des contacts entre individus.
Figure 2. Exemple d’évacuation d’une foule utilisant
le code de dynamique de contact
Les piétons sont sous forme de points, les obstacles en noir et la sortie est en bas à droite
136
© Les collections de l’INRETS
Interaction foule-structure
L’ajout dans le code d’une force répulsive socio-psychologique présentée
dans (Helbing, 2001) permet d’empêcher le contact entre piétons en les
maintenant éloignés les uns des autres. En effet, cette force introduit une
répulsion qui dépend de la distance entre les piétons qui interagissent. Elle est
forte à courte distance et tend vers 0 quand la distance augmente. Un troisième
cas de comportement de foule est alors envisageable : la foule est assez dense
pour que les piétons s’évitent les uns les autres à l’aide des forces sociales, et
donc ne pas forcément emprunter le chemin le plus court pour sortir de l’espace
donné, mais elle n’est pas assez dense pour qu’il y ait contact entre piétons.
Le couplage piéton-structure
On utilise les mêmes équations de couplage que celles utilisées dans
(Bodgi, 2008) mais sous une forme discrète (disparition de l’équation de
conservation de la masse). Ce couplage se compose principalement de
l’équation de la dynamique de la structure avec son excitation due aux piétons
et d’une équation différentielle de Kuramoto relative à l’oscillation de chaque
piéton i pendant la marche. Les piétons se déplacent rectilignement selon la
direction principale de la passerelle (direction x).
Le système d’équations
Le modèle permettant de considérer le comportement de la passerelle, celui
de chaque piéton i et le couplage pieton-structure est le suivant :
(1) : (M +
∑
N
i =1
m iψ 12 ( x i (t )))U&& y (t ) + CU& y (t ) + KU y (t ) =
N
F ψ ( x (t )) sin(φ i (t ))
i =1 0,i 1 i
∑
dφ i (t )
ε
π
= ω i + A(t )ψ 1 ( x i (t ))ψ& s2 (t ) sin(ψ s (t ) − φ i (t ) + )
dt
2
2
(3) : ψ& s (t ) = 2πf s (t )
(2.i) :
(4.i) :
dx i (t ) l pas ,i
=
ωi
dt
π
L’équation (1) est l’équation de la dynamique de la passerelle, avec Uy(t) le
déplacement latéral modal sur le mode 1 de la passerelle ; M, C, K
respectivement la masse modale, l’amortissement modal et la rigidité modale
ième
ième
de la passerelle ; mi la masse du i
piéton ; xi(t) la position du i
piéton ;
Ψ1(x) la première forme modale de la passerelle ; F0,i l’amplitude moyenne de la
ième
ième
force latérale engendrée par le i
piéton ; Φi(t) la phase totale latérale du i
piéton ; N le nombre de piétons sur la passerelle.
Pour chaque piéton i, l’équation (2.i) permet de gérer l’évolution de la phase
totale de la force qu’il engendre sur la passerelle, avec ωi la fréquence
angulaire latérale de sa marche libre ; Ψs(t) la phase totale instantanée du
déplacement latéral de la passerelle ; ε un paramètre intervenant dans la
synchronisation piéton/passerelle qui dépend de la passerelle étudiée, de la
fréquence de marche des piétons et de l’amplitude moyenne de la force latérale
engendrée par les piétons ; A(t) l’amplitude du déplacement latéral de la
© Les collections de l’INRETS
137
Piéton et aménagement
passerelle. L’utilisation de l’équation différentielle (2.i) s’explique par le fait que
la synchronisation conduit à une adaptation de la fréquence de la force
engendrée par un piéton à la fréquence de la structure. Pour une marche sur
dφ i (t )
= ωi .
sol rigide, l’équation (2.i) serait réduite à :
dt
L’équation (3) donne l’évolution de la fréquence angulaire du déplacement
latéral de la passerelle.
Pour chaque piéton i, l’équation (4.i) donne sa vitesse, avec lpas,i sa longueur
de pas.
Pour résoudre le système précédent, on utilise le logiciel Matlab qui propose
des algorithmes performants de résolution d'équations différentielles ordinaires.
On choisit parmi ces algorithmes la fonction ode23 (MatlabHelp) qui est une
méthode explicite de Runge-Kutta d'ordre 2 et 3 basée sur la méthode de
Bogacki-Shampine. Cette fonction intègre des équations aux dérivées
ordinaires d'ordre 1 et non d'ordre 2 comme c'est le cas ici avec l’équation (1).
On utilise alors la représentation d’état en décomposant l'équation (1) du
système précédent en un système de 2 équations :
(1.1) : U& = V
∑
(1.2) : V& =
N
F ψ ( x (t )) sin(φ i (t )) − CU& y (t ) − KU y (t )
i =1 0,i 1 i
N
M+
m ψ 2 ( x i (t ))
i =1 i 1
∑
Ode23 résout le système composé des équations (1.1), (1.2), (3) et (4.i) tout
en s’arrêtant dès que le déplacement latéral de la passerelle s’annule grâce à
l’introduction de la fonction » évènement » de Matlab. Ceci permet de calculer
les équations (2.i) à l’instant de l’arrêt et d’en déduire pour ce même instant, la
fréquence de marche latérale de chaque piéton, la phase totale de la force
latérale exercée par chaque piéton sur la structure et la fréquence du
déplacement latéral de la passerelle. On met alors à jour les conditions initiales
de notre étude pour reprendre le calcul de ode23 là où il s’est interrompu. Cette
opération est itérée pendant toute la durée de la simulation. On obtient en fin de
simulation, la fréquence latérale de vibration de la structure, la fréquence de
marche latérale de chaque piéton, la phase totale de la force latérale exercée
par chaque piéton, les déplacements et vitesses latérales de la structure. On
peut à partir de ces données visualiser la synchronisation, si elle existe, entre
piéton et structure.
Applications
On simule la marche d’une foule de piétons sur la travée nord du pont du
Millénium de Londres qui a pour longueur L = 81 m. Pour cela, on prend pour
valeur des différents paramètres : mi = 75 kg, F0,i = 35 N, lpas,i = 0,71 m, ε =
2
1,1819 s/m, M = 113 000 kg, C = 11 000 kg/s, K = 4 730 000 kg/s , la fréquence
angulaire initiale des piétons suit une loi normale de moyenne µω = 1,03 Hz
(fréquence modale de la travée nord seule) et d’écart-type σω = 0,094 Hz, Φi
initiale est prise aléatoirement dans l’intervalle [–π,π] avec une moyenne nulle,
Uy,0 = 0, Vy,0 = 0.
138
© Les collections de l’INRETS
Interaction foule-structure
On choisit, dans une première phase, de faire marcher les piétons sur place
en posant x(t)i = x0,i afin de mieux comprendre les différentes caractéristiques
du couplage. Faire évoluer les piétons est facilement réalisable et est en cours
d’étude. Les piétons sont uniformément répartis sur la travée nord. On fait des
simulations pour des foules composées de : 150, 170, 200, 220, 250, 300 et
350 piétons. Comme la fréquence de marche libre suit une loi gaussienne et
que la phase Φi initiale est choisie aléatoirement, pour chaque nombre de
piétons, nous effectuons dix « tirages » différents pour la fréquence et à chaque
tirage de fréquence, nous associons un tirage de la phase initiale des piétons.
Les résultats obtenus sont résumés dans le tableau 1.
Le tableau 1 montre l’existence d’un nombre critique Nc de piétons, supposé
entre 150 et 170, à partir duquel le phénomène de synchronisation piétonstructure est observé (augmentation significative de l’amplitude d’oscillation de la
passerelle). Ceci est en accord avec le nombre critique trouvé par Bodgi (2008) :
Nc = 166. Lorsque le nombre de piétons N est supérieur à Nc, la synchronisation
n’a pas lieu pour toutes les distributions de fréquence. La probabilité d’observer
une synchronisation augmente lorsque N – Nc augmente. Le pourcentage de
piétons qui se synchronisent avec la structure augmente aussi avec N – Nc.
Tableau 1. La synchronisation piéton-structure lorsque la fréquence
moyenne de la foule est égale à la fréquence modale de la travée nord,
pour une simulation de 800 s
Nombre
de
piétons
Nombre
d’essais
effectués
Nombre
d’essais
synchronisés
Nombre Ns
de piétons
synchronisés
(moyenne)
Ecarttype
de Ns
Pourcentage
de piétons
synchronisés
(%)
150
10
0
-
-
-
170
10
3
101
2,16
59,4
200
10
9
144
6,22
72
220
10
9
166
6,29
75,3
250
10
9
195
4,24
77,9
300
10
10
251
6,10
83,6
350
10
10
301
2,59
86
Dans la figure 3, on illustre pour une même distribution de fréquences, un cas
pré-critique à gauche (N = 150) et un cas post-critique (N = 200) à droite. Les
deux graphiques du haut présentent le déplacement latéral de la travée nord à
mi-travée. Dans le cas pré-critique (a), on n’atteint pas un état stationnaire et les
amplitudes d’oscillations latérales sont très faibles, alors que dans le cas postcritique (b), le déplacement atteint un état stationnaire et son amplitude a une
valeur assez élevée. Les graphiques du bas présentent la fréquence instantanée
d’oscillation latérale de la travée nord et la fréquence instantanée du piéton à mitravée. Dans le cas pré-critique (c) les deux courbes sont distinctes, il n’y a pas
synchronisation. Par contre, dans le cas post-critique (d), à partir d’un certain
instant, ces courbes se superposent quasiment à cause de la synchronisation
comme le montre la figure 4.
© Les collections de l’INRETS
139
Piéton et aménagement
Figure 3. Illustration du phénomène de synchronisation
Comparaison entre l’état pré-critique (N = 150) et l’état post-critique (N = 200) :
(a) et (b) représentent le déplacement de la travée nord à mi-travée, (c) et (d)
montrent la fréquence instantanée de la travée nord et la fréquence instantanée
du piéton à mi-travée.
Figure 4. Zoom sur la figure 3(d)
Pour un même nombre de piétons, lorsque la synchronisation est
déclenchée, si on calcule la moyenne de la fréquence instantanée de la travée
nord sur les dernières 200 s de la simulation, en vérifiant qu’elles correspondent
à l’état stationnaire, on trouve que la fréquence de synchronisation est à peu
près la même pour les différents tirages de fréquences étudiés. En effet, sur la
figure 5 la bande d’écart-type de la fréquence de synchronisation est très fine.
De plus elle s’amincit quand N augmente. On remarque également que la
fréquence de synchronisation diminue quand N augmente.
140
© Les collections de l’INRETS
Interaction foule-structure
Figure 5. Moyenne des fréquences de synchronisation sur les essais
synchronisés à l’état stationnaire
De la même manière, pour un même nombre de piétons, lorsque la
synchronisation est déclenchée, si on calcule la moyenne de l’amplitude
maximale du déplacement latéral de la passerelle sur les dernières 200 s de la
simulation, en vérifiant qu’elles correspondent à l’état stationnaire, on trouve
que cette moyenne est à peu près la même pour les différents tirages de
fréquences étudiés. Sur la figure 6, la bande d’écart-type de l’amplitude
maximale des oscillations de la passerelle est mince et semble s’affiner lorsque
N croît. L’amplitude maximale du déplacement latéral de la passerelle
augmente avec N.
Figure 6. Moyenne des amplitudes maximales des oscillations
de la passerelle sur les essais synchronisés à l’état stationnaire
© Les collections de l’INRETS
141
Piéton et aménagement
On introduit ensuite le paramètre d’ordre : R =
1
N
N
∑e φ
i
j
. La figure 7a
j =1
illustre l’évolution de ce paramètre (Strogatz et al., 2005) qui donne le degré de
cohérence de la phase des piétons. On remarque que l’évolution de R est en
accord avec celle de l’amplitude du déplacement latéral de la passerelle. De
plus, une augmentation de R traduit le fait que les piétons se synchronisent un
à un avec la structure jusqu’à atteindre un nombre maximal de piétons
synchronisés, ce qui entraîne un état stationnaire. Pour chaque nombre de
piétons, lorsqu’il y a synchronisation, le calcul de R donne la limite inférieure du
pourcentage de piétons synchronisés du tableau 1. La figure 7b est un exemple
d’évolution de l’amplitude maximale du déplacement latéral de la passerelle.
Conclusion
Un modèle de mouvement de foule utilisant un code de dynamique de
contact est proposé mais non détaillé, pour plus de détails voir Pecol et al.
(2009). Un modèle d’oscillation latérale de chaque piéton utilisant le modèle de
Kuramoto, pour prendre en compte le couplage piéton-structure lorsque les
piétons marchent rectilignement sur un plancher en vibration, est implémenté.
Les résultats numériques obtenus illustrent bien le phénomène de
synchronisation et la notion de nombre critique.
Les étapes suivantes en cours d’avancement consistent à : adapter le
couplage piéton-structure pour la marche des piétons dans le plan puis à
réaliser un couplage « global » entre la partie mouvement des piétons et celle
sur le couplage piéton-structure.
Figure 7. Paramètre d’ordre et amplitude maximale du déplacement latéral
de la passerelle (N = 200)
142
© Les collections de l’INRETS
Interaction foule-structure
Références
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© Les collections de l’INRETS
143
Piéton et aménagement
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France.
144
© Les collections de l’INRETS
Analyse des franchissements
de feux rouges pour améliorer
la sécurité de tous
(AFFRAST)
Radoine Dik
Centre d'études technique de l'équipement (CETE)-MAN
rue René Viviani, BP 46223, 44262 Nantes Cedex 2, France
[email protected]
Résumé – En assurant la sécurité de tous les usagers par le partage dans le
temps d'un même espace conflictuel, les feux tricolores jouent un rôle important
dans la gestion du trafic en milieu urbain. Ils représentent aussi un enjeu de
sécurité routière important, notamment pour les piétons, puisqu'un tiers des
accidents corporels survenus en intersection concernent des carrefours à feux et
que 20 % des accidents piétons y sont dénombrés. Les franchissements illicites
de feux rouges constituent un des dysfonctionnements de ce type de carrefour.
Dans le cadre de la mise en œuvre programmée de contrôle automatisé de
franchissements de feux rouges, des dispositifs ont été expérimentés en France.
L'étude a consisté à mener une analyse statistique exploratoire d'un échantillon
riche de données issues de l'expérimentation menée à Nantes, pour formuler des
hypothèses sur la caractérisation des franchissements en fonction de données
temporelles et de données liées aux vitesses de circulation. La littérature a aussi
été analysée afin de compléter ces pistes de caractérisation par des pistes de
réflexion sur l'infrastructure et les conducteurs. Ces pistes sont sources d'actions
(prévention/sanction) pour assurer la sécurité de tous les usagers, en particulier
celle des piétons.
Mots-clés : franchissement, sécurité, piéton, vitesse
Objectif de l'étude
Les feux tricolores jouent un rôle important dans la gestion du trafic en
milieu urbain en assurant en premier lieu la sécurité des usagers (véhicule ou
piéton) en partageant dans le temps l'utilisation d'un même espace conflictuel.
Le non respect des feux peut être une source de conflit provoquant des
accidents corporels. Le délégué pour la Loire-Atlantique de la Ligue contre la
violence routière précisait récemment, dans un article de presse local, la
nécessité d'être intransigeant contre ce type d'infraction qu'il constatait, en tant
que piéton, en nombre trop important (Gambert, 2009).
© Les collections de l’INRETS
145
Piéton et aménagement
L'enjeu de sécurité dans ce type de carrefour reste important puisqu'un tiers
des accidents corporels survenus en intersection concernent des carrefours à
feux et que 20 % des accidents piétons y sont dénombrés.
Dans le cadre du projet de contrôle automatisé initié en 2003 sous une
impulsion interministérielle, le CETE de l’Ouest a été sollicité en mai 2005 pour
participer aux expérimentations, sur un site de Nantes, du contrôle automatisé
feu rouge pour lutter contre ces infractions. Depuis 2003 des dispositifs de ce
type ont aussi été évalués sur les villes du Vésinet, de Metz, de Nancy, de
er
Toulouse et de Paris. L’expérimentation de Nantes a été réalisée du 1 juin
2005 au 30 juin 2006. L'entreprise ELSI-SOMARO a prêté le matériel de
contrôle durant une période limitée au besoin de l'expérimentation. La
communauté urbaine de Nantes Métropole a piloté la mise en place du
dispositif et a participé au suivi de l'expérimentation.
Un nombre important de données ont été recueillies pour valider le dispositif
de contrôle dans le cadre du rapport d'évaluation technique de l'expérimentation
du contrôle automatisé des franchissements de feux rouges à Nantes (Grégoire,
2006).
Les données de cette expérimentation ont donc été utilisées pour valider le
dispositif de contrôle testé. L'objectif de cette étude est de reprendre les
données riches issues de cette expérimentation afin de dégager des pistes de
caractérisation des principales typologies de franchissement de feux rouges du
carrefour rue de Strasbourg de Nantes. La connaissance de ces typologies
pourrait à terme être utilisée pour améliorer la sécurité des carrefours à feux,
aussi bien en termes de prévention que de sanction, grâce à une meilleure
approche des phénomènes de franchissement de feux rouges. Un communiqué
de presse récent du Cabinet du ministre d'État, ministre de l'Écologie, de
l'Énergie, du Développement durable et de la Mer précisait d'ailleurs que
l'objectif principal du déploiement de nouveaux radars feux rouges était de
réduire le nombre d'accidents aux carrefours à feux en visant en particulier à
mieux protéger les piétons (Fournier, 2009)
Le site expérimental de Nantes
Le dispositif de contrôle des infractions a été installé sur le carrefour entre la
rue de Strasbourg et la rue de Verdun. Toutes les entrées constituant ce
carrefour étaient à sens unique avec une affectation précise de chacun des
couloirs de circulation et tous les mouvements étaient gérés par des feux
tricolores. La durée de la phase de rouge de la branche contrôlée était de 33
secondes. Le trafic de la rue de Strasbourg était estimé à environ 20 000
véhicules par jour. Le système de contrôle installé surveillait les trois voies de la
rue de Strasbourg sur une ligne de feu comportant un biais important. Des
stationnements se situaient de part et d’autre de la rue. Des véhicules assuraient
des livraisons à proximité du feu droit et pouvaient masquer celui-ci. Néanmoins
ce point n'a pas été jugé contraignant pour l'analyse des franchissements car ce
site de livraison n'était desservi qu'une seule fois par jour (impact très faible sur
les mesures enregistrées par séquences de 24h00).
Ce carrefour à feux, représenté figure 1, n'existe plus aujourd'hui et la rue de
Strasbourg a été aménagée à double sens de circulation.
146
© Les collections de l’INRETS
Analyse des franchissements de feux rouges
Figure 1. Plan synoptique de localisation du dispositif de contrôle
expérimenté
Source : Grégoire (2006) Expérimentation du contrôle automatisé des
franchissements de feux rouges à Nantes - Rapport d'évaluation technique.
Les données recueillies
Le système utilisé pour contrôler les franchissements de feux rouges a
permis de recueillir pour chaque infraction les données suivantes :
−
date de l'infraction, heure, minutes, secondes ;
−
temps de rouge (1 à 33 secondes) au moment du franchissement ;
−
vitesse du véhicule en infraction ;
−
conditions de visibilité (jour/nuit) ;
−
2 photos de chaque véhicule en infraction pour l'analyse de la position
par rapport à la ligne d'effet des feux ;
−
catégorie d'usagers (véhicule léger, 2 roues motorisés, vélo...) ;
−
position du véhicule en infraction (voie de circulation).
© Les collections de l’INRETS
147
Piéton et aménagement
Les données complètes ont été recueillies aux dates suivantes : 24
septembre 2005, 29 septembre 2005, 29 novembre 2005, 6 décembre 2005,
7 décembre 2005, 2 mars 2006, 3 mars 2006 et 4 mars 2006.
Au total, 934 infractions ont été enregistrées par le système de contrôle. Un
tri a été effectué pour ne conserver que les infractions avérées au sens de la
chancellerie, au regard de la position du véhicule par rapport à la ligne de feux
après analyse des 2 photos. Les infractions avec véhicules sur ligne de feux sur
les photos 1 et 2 mais avec une vitesse supérieure ou égale à 10 km/h ont
aussi été conservées pour l'analyse. Au total, 545 infractions ont été analysées
sur les 8 jours de relevés dans le cadre du présent rapport d'étude. Quelques
approximations ont aussi été adoptées notamment pour les 70 infractions
environ pour lesquelles la vitesse n'était pas renseignée à cause d'un
changement de file du véhicule en infraction. Pour ces cas, la valeur de 1 km/h
a été affectée à la vitesse du véhicule en infraction.
Les données relatives aux catégories d'usagers n'ont pas été exploitées car
l'analyse du système a mis en évidence des non détections de vélos et motos.
Les principaux enseignements de l'étude ZELT
sur la détection des franchissements de rouge
Le rapport d'expérience de la ZELT (Olivero et Sauvagnac, 2001) a permis
de constituer une première référence sur l'analyse des franchissements illicites
de feux de circulation permettant notamment de quantifier le phénomène
d'indiscipline. Le dispositif de mesure permettait en outre de mesurer
l'ensemble des franchissements sur toutes les phases des cycles de feux pour
pouvoir les comparer aux franchissements au rouge. Les mesures ainsi
réalisées sur 13 entrées de 5 carrefours à Toulouse ont mis en évidence que
les taux de violations de rouge en milieu urbain, avec en moyenne un
franchissement de rouge enregistré tous les dix cycles, constituent un
phénomène préoccupant caractérisé par :
−
2,9 % des franchissements de feux ont lieu pendant la phase de rouge ;
−
Entre 4h30 et 5h30, 10 % des franchissements de feux sont effectués
pendant le rouge ;
−
25 % des franchissements de rouge ont lieu au-delà de la dixième
seconde de rouge ;
−
Le phénomène d'anticipation au vert (les 5 dernières secondes de rouge)
représente globalement 7,1 % des franchissements de rouge.
L'étude ZELT montrait aussi que les disparités entre sites étaient grandes,
mais en général explicables par les caractéristiques du carrefour ou de la
régulation. Cette étude n'abordait pas par contre l'analyse des franchissements
en termes de comportement du conducteur du véhicule en infraction, notamment
par l'étude des vitesses des véhicules pendant les phases de rouge.
148
© Les collections de l’INRETS
Analyse des franchissements de feux rouges
L'analyse des données recueillies sur le site
expérimental de Nantes
Comme indiqué dans la troisième partie, l'analyse a porté sur 8 journées de
mesure réparties entre septembre 2005 et mars 2006. La fiabilité des mesures
a été validée dans le cadre de l'évaluation du système de contrôle automatisé
notamment à l'aide d'une analyse vidéo (autoscope) menée en parallèle sur
certains jours de mesures qui a permis de conforter la qualité des données du
système de contrôle au regard des non détections et des fausses détections.
Les données recueillies permettent de caractériser les infractions en fonction
de données temporelles (répartition en fonction des heures, du temps de
rouge...). Ce premier type de caractérisation permet de comparer le carrefour
aux résultats issus de l'étude ZELT citée dans la quatrième partie. Les données
relatives à la vitesse permettront une analyse complémentaire pour mieux
comprendre le comportement des conducteurs en infraction.
Chacune de ces analyses pourra être source de proposition ou de recherche
pour améliorer la sécurité des usagers, en particulier des piétons, en carrefour
à feux.
Répartition des infractions en fonction de données
temporelles
Répartition des infractions en fonction du temps de rouge
La durée de rouge du carrefour rue de Strasbourg étudié est de 33 s.
L'échantillon analysé n'a pas permis une répartition en fonction de la seconde. Il a
été préféré une répartition en fonction d'un découpage de la durée de rouge en 5
phases de 6,6 s chacune. L'analyse consiste ici à répartir les franchissements en
fonction de la phase de rouge pendant laquelle il se déroule.
Figure 2. Répartition des infractions en pourcentage
en fonction du temps de rouge
1
0,8
0,6
0,4
0,2
0
1re phase 2e phase 3e phase 4e phase 5e phase
Le carrefour rue de Strasbourg est ainsi caractérisé par environ 67 % des
franchissements dans les 13 premières secondes de rouge (2 premières
phases). Ce taux atteint environ 17 % dans la dernière phase (6,6 s) de la
durée de rouge qui correspond au phénomène d'anticipation du vert. On
retrouve ici des résultats proches de l'étude ZELT (Olivero et Sauvagnac, 2001)
© Les collections de l’INRETS
149
Piéton et aménagement
pour certains carrefours même si le carrefour étudié présente un taux
d'anticipation du vert dans la fourchette haute, alors que la moyenne globale
d'anticipation du vert était de 7,1 % dans leur étude.
La connaissance de ce phénomène peut permettre d'ajuster le
fonctionnement des feux piétons pour limiter les risques de conflit mais aussi de
mieux cibler les contrôles pour limiter ce genre de phénomène.
Répartition des infractions jour/nuit
L'analyse montre une répartition respective des franchissements de 54 % le
jour contre 46 % la nuit.
Cette répartition laisse supposer un taux de franchissement par rapport au
trafic beaucoup plus important la nuit. Rappelons que l'étude ZELT (Olivero et
Sauvagnac, 2001) avait mis en évidence un taux moyen de franchissement au
rouge par rapport aux autres phases de feux de 2,9 %, qui passait à 10 % entre
4h30 et 5h30 du matin.
La connaissance du trafic horaire est nécessaire pour mieux approcher ce
type de phénomène et permettre éventuellement de mieux cibler la politique de
communication alliée à une politique de répression adaptée.
Répartition des infractions en fonction de l'heure
La figure 3 confirme le poids des heures de nuit dans ce type d'infraction car
12,5 % des franchissements ont lieu entre 0h et 6h. Cette répartition permet
aussi de retrouver les phases creuses et de pointe du trafic. On retrouve
également ici le même type de courbe que l'étude ZELT (Olivero et Sauvagnac,
2001).
Figure 3. Répartition des infractions en fonction de l'heure
0,25
0,2
0,15
0,1
0,05
0
0-3h
3-6h
6-9h
9-12h
12-15h 15-18h 18-21h
21-24h
A noter que les taux de franchissements les plus importants sont observés
entre 9-12h et 18-21h qui correspondent respectivement aux pointes de trafic
du matin et du soir. C'est aussi à ces heures de pointes que le trafic est le plus
important, tous usagers confondus, et où le risque est donc le plus important
pour les usagers vulnérables (vélos, piétons).
150
© Les collections de l’INRETS
Analyse des franchissements de feux rouges
Répartition des infractions en fonction des jours de la semaine
Avertissement : L'échantillon étudié ne permet pas d'avoir l'ensemble des
jours de la semaine. En outre, deux jours de la semaine n'ont été mesurés
qu'une fois. Cet échantillon n'est donc pas suffisamment représentatif pour
l'analyse en fonction des jours de la semaine. Les résultats doivent donc être
pris avec réserves.
Figure 4. Répartition du nombre moyen journalier des infractions
en fonction des jours de la semaine
102
100
83,5
80
58
57
60
51,5
40
20
0
0
0
lundi
mardi
mercredi
jeudi
vendredi
samedi
dimanche
Pas de mesures les lundis et dimanches sur l'échantillon étudié.
Sur la période étudiée, nous observons donc un pic des infractions le
mercredi par rapport aux autres jours de la semaine, alors que cette journée est
généralement caractérisée par un trafic plus fluide. La moyenne journalière des
infractions lors des jours ouvrables (mardi au vendredi) s'établit à 71,5
infractions contre 58 le samedi.
Répartition du temps moyen de rouge lors des infractions
en fonction de l'heure
Ce temps moyen de rouge représente la moyenne des temps écoulés
depuis le début de la phase de rouge correspondante à chaque infraction.
Figure 5. Répartition des temps moyens de rouge lors des infractions
en fonction des heures
20
15
10
5
0
0-3h
3-6h
© Les collections de l’INRETS
6-9h
9-12h
12-15h
15-18h
18-21h
21-24h
151
Piéton et aménagement
L'analyse de ce temps moyen en fonction des heures de la journée conduit à
une répartition de cette durée moyenne par tranche horaire de 3 heures qui va
de 10,5 secondes à 14 secondes.
Le temps moyen de rouge lors des infractions sur l'ensemble des infractions
étudiées s'établit à 11,59 secondes.
Les franchissements les plus tardifs sont ainsi observés entre 0 et 6h même
s'ils sont globalement bien répartis dans la journée. A noter que l'heure de
pointe du matin est marquée par des franchissements légèrement plus tardifs
que celle du soir.
L'analyse par périodes de 3h00 a été préférée à une analyse par périodes
horaires pour éviter les effets de dispersion dus à l'échantillon étudié.
Néanmoins l'analyse des données montrent que les temps moyens de rouge
écoulés lors des infractions en fonction de périodes horaires sont les plus
faibles entre 7h00 et 8h00, entre 15h00 et 16h00 et entre 18h00 et 19h00
(temps moyens < 10 secondes) donc en partie pendant les pointes de trafic.
Répartition des infractions en fonction du critère vitesse
Répartition des infractions en fonction de la vitesse
Cette répartition a été étudiée en fonction de classe de vitesse de 10 km/h.
La majorité des infractions se produit à une vitesse relativement faible
puisque 63 % des véhicules en infraction circulent à une vitesse inférieure à
20 km/h.
Néanmoins, on observe tout de même 17 % des infractions à une vitesse
supérieure à 30 km/h dont 5,5 % à plus de 40 km/h avec donc un risque
important de conséquence corporelle grave en cas de choc avec un usager
vulnérable (vélo, piéton).
Figure 6. Répartition des infractions en fonction de la vitesse
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0,0
0-10
10-20
20-30
30-40 40-50
> 50
km/h
Répartition des vitesses moyennes des infractions en fonction
de la classe d'heure
L'analyse précédente a mis en évidence l'existence d'infractions à vitesse
relativement élevée au droit d'un carrefour à feux au rouge.
La figure 7 permet de mieux cibler les périodes de la journée où le risque
d'avoir une vitesse importante de franchissement est la plus forte.
152
© Les collections de l’INRETS
Analyse des franchissements de feux rouges
Figure 7. Répartition des vitesses moyennes des infractions
en fonction de l'heure
25
20
15
10
5
0
0-3h
3-6h
6-9h 9-12h 12-15h 15-18h 18-21h 21-24h
Le risque d'avoir une vitesse de franchissement importante est donc
maximum entre 3 et 6h du matin. La vigilance de tous les usagers doit donc
être maximale pendant cette période y compris pendant les phases de vert des
courants antagonistes.
A noter que l'heure de pointe du soir est caractérisée par une vitesse
moyenne de franchissement plus importante que celle du matin car on arrive à
des vitesses moyennes respectives d'environ 17,3 km/h et de 12,9 km/h. Celle
du soir peut présenter des risques plus grands pour les usagers vulnérables
(vélos, piétons) en circulation plus importante à ces heures où on observe
traditionnellement plus d'accidents corporels de la circulation.
Répartition des vitesses moyennes des infractions
dans la durée de rouge
L'analyse de la répartition des infractions dans la durée de rouge avait mis
en évidence une part importante (67 %) dans les 13 premières secondes de
rouges et une part élevée, pour le carrefour rue de Strasbourg, du phénomène
d'anticipation au vert (17 % des infractions dans les 6 dernières secondes). La
répartition des vitesses dans la durée de rouge semble aussi intéressante pour
caractériser ces franchissements au regard des risques pour l'ensemble des
usagers.
Figure 8. Répartition des vitesses moyennes des infractions
dans la durée de rouge
Durée de rouge (33 s) découpée en 5 phases de 6,6 s chacune
50
40
30
20
10
0
1re phase
© Les collections de l’INRETS
2e phase 3e phase 4e phase 5e phase
153
Piéton et aménagement
e
Le phénomène d'anticipation du vert (5 phase) est donc caractérisé par une
vitesse moyenne de franchissement importante puisqu'elle dépasse légèrement
les 23 km/h. C'est la phase où les vitesses moyennes observées sont les plus
importantes. La vitesse moyenne des véhicules reste inférieure à 16 km/h dans
les 13 premières secondes de rouge.
Le phénomène de dégagement (premières secondes de rouge) est donc
caractérisé par des vitesses plutôt réduites en moyenne à l'inverse du
phénomène d'anticipation du vert où les vitesses sont les plus élevées.
Prise en compte de ces résultats
pour améliorer la sécurité des piétons
L'analyse menée dans cette étude se base sur les données recueillies lors
de l'expérimentation du contrôle automatisé, comme indiqué dans le premier
chapitre, axée sur les véhicules. L'étude a consisté à analyser les
franchissements au rouge des véhicules pour pouvoir caractériser ce type
d'infractions en fonction de données temporelles mais aussi de vitesses des
véhicules en infraction.
La connaissance de ces phénomènes est une source d'actions
intéressantes pour sécuriser les comportements des piétons aux carrefours à
feux où 20 % des accidents impliquant un piéton se produise. Différentes
actions sont envisageables comme celles relevant des dispositifs de
communication/prévention, celles relevant d'actions sur l'infrastructure mais
aussi la poursuite d'études et de recherches sur les interactions
piétons/véhicules dans les carrefours gérés par des feux tricolores.
Actions de communication/prévention et de sanction
Les actions de communication/prévention peuvent se baser sur les résultats
présentés ci dessous pour axer le message, auprès du public piéton cible, sur
la nécessité d'avoir une vigilance accrue à certaines périodes de la journée,
caractérisées par des taux de franchissements élevées ou des vitesses
pratiquées plus importantes, augmentant le risque de gravité des accidents :
−
67 % des franchissements dans les premières secondes de rouge
notamment aux heures de pointes du trafic du matin et du soir. C'est
aussi pendant ces deux périodes horaires que nous observons le plus
d'infractions (36,3 % des infractions en cumulées sur ces deux périodes).
A noter que les vitesses des franchissements sont relativement
importantes à l'heure de pointe du soir.
−
Le phénomène d'anticipation du vert dans les dernières secondes de
rouge (17 % des infractions) est caractérisé par des vitesses moyennes
plus importantes augmentant le risque de gravité des chocs, notamment
la nuit entre 0h00 et 6h00 où on observe des franchissements tardifs et
les vitesses les plus importantes.
154
© Les collections de l’INRETS
Analyse des franchissements de feux rouges
−
La vigilance des piétons doit également être accrue la nuit où on observe
46 % des infractions et donc un taux de franchissement plus élevé avec
un trafic plus faible ;
−
Lors des jours ouvrables, on observe également un nombre de
franchissements plus importants le mercredi alors que le trafic est plus
fluide et que les enfants peuvent être amenés à se déplacer pour des
activités de loisirs.
La connaissance de ces phénomènes peut aussi permettre d'adapter les
stratégies de contrôle des forces de l'ordre pour mieux les cibler et sécuriser les
traversées piétonnes pendant ces périodes critiques.
Actions sur l'équipement et la géométrie des carrefours
La répartition des infractions dans le temps (jour/nuit) et en fonction de
l'heure peut aussi permettre de mieux adapter le fonctionnement du carrefour
entre les périodes diurnes et nocturnes, en fonction du trafic circulant sur les
voies secondaires, afin d'optimiser la durée de la phase de rouge.
Elle peut aussi inciter à un diagnostic de fonctionnement du carrefour à feux
pour rabaisser ces taux de franchissements s'ils sont trop importants car des
réglages inadaptés peuvent aussi expliquer ce genre de phénomène.
La géométrie du carrefour et notamment les visibilités aux différentes
branches peuvent aussi être à l'origine de dysfonctionnements. S. Halmark
rappelle en effet, dans son rapport d'évaluation du dispositif de contrôle feux
rouges dans l'Iowa (2007), que certaines caractéristiques des carrefours à feux
peuvent augmenter le risque d'infraction (temps d'arrêt, pente, visibilité, lisibilité,
signalisation) et qu'un diagnostic préalable du carrefour peut aider à améliorer
la situation avant la mise en œuvre d'un système de contrôle des
franchissements. La connaissance affinée de ces phénomènes permettrait
aussi de proposer des pistes méthodologiques, sous forme de grille d'analyse
par exemple, pour mieux comprendre les dysfonctionnements de certains
carrefours à feux et proposer des actions correctives destinées à améliorer la
sécurité des usagers piétons en particulier.
Des actions simples sur l'équipement des carrefours à feux et notamment la
réduction de la visibilité par les véhicules sur les figurines piétons pourrait
limiter également certains franchissements notamment pour anticiper le vert.
Poursuite des études et des recherches sur les
interactions piétons/véhicules dans les carrefours à feux
Les hypothèses issues de cette analyse mériteraient d'être confortées par
l'exploitation de données sur plusieurs carrefours à feux afin d'avoir un
échantillon plus représentatif et pouvoir engager des études de projection au
niveau national. Une telle projection nécessiterait également de suivre les
infractions sur différents types de carrefours (en T, en croix, en fonction de
l'importance des mouvements tournants...).
La connaissance des infractionnistes et des comportements des piétons
accidentés peut également être intéressante pour mieux cibler les actions de
© Les collections de l’INRETS
155
Piéton et aménagement
prévention et de répression. Une étude sur les violations de feux rouges
réalisée par Yang et Najm (2006) a permis de compléter les données sur la
caractérisation des franchissements de feux rouges à Sacramento. Elle
analyse, entre autre, l'influence de l'âge sur le comportement des conducteurs
infractionnistes et les vitesses pratiquées par ces usagers lors de ces
infractions. Retting (1999) a aussi observé un effet du genre sur ce type de
phénomène en constatant que les hommes sont de plus grands infractionnistes.
Ce type d'analyse, complétée par un volet piéton, pourrait aussi être menée
en France sur la base d'une analyse des PV des accidents corporels, à l'échelle
d'une agglomération, permettant de caractériser les conducteurs responsables
d'accidents corporels en carrefours à feux (âge, sexe, circonstances, origine
socioprofessionnelle,...) et le comportement des piétons. A Nantes, on observe
par exemple 96 accidents impliquant au moins 1 piéton sur un total de 361
accidents en carrefour à feux sur la période 2006-2008, soit un taux de 27 %.
Conclusions
L'analyse statistique descriptive des franchissements de feux rouges à partir
de l'échantillon des données issues de l'expérimentation du système de
contrôle feux rouge à Nantes, a permis de dégager des pistes intéressantes de
caractérisation des comportements des usagers en infraction. Ces pistes sont
sources d'action en termes de communication/prévention, en terme d'actions
sur l'infrastructure et en terme de sanction, pour optimiser la sécurité de tous
les usagers, en particulier la sécurité des piétons.
Le déploiement annoncé par la DSCR sur un nombre important de
carrefours en France en 2009-2010 de dispositifs de contrôle automatisé de
franchissements de feux rouges sera aussi une source de données qu'il sera
intéressant de pouvoir exploiter pour analyser l'impact de ces dispositif, mais
aussi pour étudier l'évolution dans le temps de certains comportements
d'usagers en infraction sur un nombre importants de carrefours à l'échelle
nationale.
Références
Grégoire, D. (2006) Expérimentation du Contrôle Automatisé des
Franchissements de Feux Rouges à Nantes. Rapport d'évaluation
technique.
Halmark, S. (2007) Evaluation Red Light Running Programs in Iowa – Iowa
Department of Transportation.
Retting, R.A, Ulmer, R.G., and Williams, A.F.(1999). Prevalence and
Characteristics of Red Light Running Crashes in the US. Accident
Analysis and Prevention, 31, 687-694.
Yang CY et Najm WG (2006). Analysis of red light violation data collected from
intersections equipped with red light photo enforcement. US
Department of transport, DOT-VNTSC-NTHSA-05-01.
156
© Les collections de l’INRETS
Analyse des franchissements de feux rouges
Olivero, P, Sauvagnac, P. (2001) – Détection des franchissements de rouge sur
13 entrées de 5 carrefours de la ZELT – Rapport d'expérience.
Gambert, P. (2009) – Radars aux feux rouges : 5 sites à l'étude à Nantes –
Article Ouest France du 4 juin 2009.
Fournier, JN. (2009) – Protection des passages piétons : « Mise en place des
nouveaux dispositifs feux rouges » - Communiqué de presse du
cabinet du Ministre d'Etat, Jean-Louis Borloo, du 2 juillet 2009.
© Les collections de l’INRETS
157
Tribune libre
Exemples mondiaux
et avantages sécuritaire
d’une ligne d’arrêt transversale
avant les passages piétons
Jacques Robin
Institut national pour la sécurité des enfants
3, rue du général de Gaulle, 56140 Malestroit, France
[email protected]
www.institutsecuriteenfant.org
Mots-clés : passage piéton, danger, ligne d’arrêt, véhicule
Le rapport présenté dans cette tribune libre :
−
traite des difficultés et des dangers pour les piétons de traverser, en
France, sur un passage piéton du fait que les véhicules s'arrêtent trop
près du passage piéton ;
−
expose la solution pour éviter ce danger : le marquage d'une ligne
avancée, large (50 cm), continue et visible, à environ cinq mètres en
amont du passage piéton, pour matérialiser le point d'arrêt si l'on prévoit
de s'arrêter ;
−
rappelle que la Conférence des Nations Unies (Convention de Vienne
1968) prévoit une telle ligne continue : ligne continue utilisée pour l'arrêt
aux carrefours pourvus de stop « peut aussi être employée pour indiquer
la ligne de l'arrêt éventuellement imposé par un signal lumineux » ;
−
montre que les pays européens, pour la plupart, et également hors
Europe, ont utilisé, depuis plusieurs décennies, cette possibilité de
marquer une telle ligne en amont des passages piétons précédant les
feux (une série de photos est jointe), et montre que certains pays l'on
même étendu aux passages piétons hors feux ;
−
expose l'expérimentation qui existe depuis 1997 dans une ville française,
Brignais (69) ;
−
analyse certaines analogies d'une telle ligne avec le sas vélos et les
avantages concomitants ;
© Les collections de l’INRETS
159
Piéton et aménagement
−
souligne également le caractère nocif des répétiteurs de feux (sur partie
basse des supports de feux) qui ne semblent pas être utilisés ailleurs
qu'en France et qui encouragent les véhicules à s'approcher, au
maximum, des passages piétons.
Difficultés et dangers actuels pour les piétons
de traverser sur un passage piéton
et avantages du marquage d'une ligne avancée
Trois causes de dangers existent aux passages piétons du fait que les
véhicules s'arrêtent trop près du passage piéton :
−
le manque de visibilité entre le piéton qui traverse et le véhicule (voiture
ou moto) qui double le premier véhicule arrêté. Ce danger est présent à
tous les passages-piétons (avec ou sans feux).
−
les hésitations et craintes du piéton face à des véhicules qui
s'approchent. Ce deuxième danger se trouve seulement aux passagespiétons sans feux.
−
lorsque la voiture s’est arrêtée au ras du passage piéton, le piéton qui
traverse tout près de cette voiture est en danger d'un redémarrage
impromptu. Danger concerne tous les passages-piétons.
Premier danger
Le premier danger est le manque de visibilité entre le piéton qui traverse et
le véhicule (voiture ou moto) qui double le premier véhicule arrêté ou circule sur
l'autre file. Ce danger est présent sur tous les passages piétons : tant sur les
passages-piétons associés à un feu que sur les passages-piétons sans feu Le
danger peut venir soit d'un véhicule qui double (fig. suiv., à gauche), soit d'un
véhicule qui circule sur la file adjacente en cas de 2 x 2 voies (fig. à droite).
Ces accidents dramatiques sont fréquents et souvent mortels, nous en
citerons trois exemples typiques de trois situations différentes où trois enfant
ont été tués : sur une voie simple, à Strasbourg Oscan, sur une 2 x 2 voies à
Châteauroux Laurent, à un carrefour à feu, à Marseille, un adolescent.
160
© Les collections de l’INRETS
Exemples mondiaux et avantages d’une ligne d’arrêt transversale
5m
Voiture venant de
s’arrêter pour laisser
passer le piéton
Piéton non vu
Ligne
blanche
marquée
Piéton bien vu
Pour réduire ce manque de visibilité une solution serait de faire arrêter le
premier véhicule cinq mètres avant le passage piéton (figure de droite) de ce
fait, le véhicule « doublant » apercevrait le piéton lorsqu'il est encore assez loin.
De même, le piéton apercevrait le véhicule « doublant » et pourrait ainsi
interrompre sa progression.
Deuxième danger
Le deuxième danger concerne les hésitations et craintes du piéton face à
des véhicules qui s'approchent, situation qui se conclut en général au profit du
véhicule.
Ce danger se présente principalement aux passages-piétons sans feu. Dans
ce cas, la décision de s'arrêter ou de continuer est prise par le conducteur, et
non imposée par le feu.
Le caractère aléatoire de cet arrêt crée une suite d'hésitations et de craintes
justifiées du piéton qui agissent sur l'interaction « piéton-conducteur » en
induisant chez le conducteur un comportement dangereux et irrespectueux du
piéton.
Troisième danger
Lorsque la voiture s’est arrêtée au ras du passage piéton, le piéton qui
traverse tout près de cette voiture est en danger d'un redémarrage impromptu.
© Les collections de l’INRETS
161
Piéton et aménagement
Cas de passage piéton sans feu. Dans l'hypothèse où la voiture s'arrête, elle
s'arrête au ras du passage piéton, c'est trop près du piéton car il est en danger
d'un redémarrage impromptu, pour des raisons variées (hésitations réciproques,
incompréhension, distraction, maladresse sur les pédales...). Cette proximité
immédiate ne laisse aucune marge de manœuvre ou de rattrapage au
conducteur pour « re-arrêter » son véhicule ni au piéton pour un évitement surtout
si ce piéton est âgé et ne peut pas rapidement se mouvoir dans une telle
occurrence.
Conclusion : les trois situations de danger seraient améliorées si le point
d'arrêt éventuel des véhicules était fixé à 5 mètres en avant du passage piéton.
Ce que permettent les textes
La convention de Vienne-Genève sur la signalisation routière (NationsUnies), permet d'implanter une telle ligne large (50 cm) et continue.
L'Instruction interministérielle sur la signalisation routière (France) prévoit
seulement (et dans certains cas seulement) une ligne tiretée et mince (15 cm),
donc très peu visible, donc non respectée.
Noter sur la photo que les voitures sont effectivement à l'arrêt (figurine
piéton verte allumée).
D'autres exemples sont disponibles auprès de l’auteur :
−
pour des passages piétons associés aux feux : Autriche, Italie, Belgique,
Suisse, Pays-Bas, Portugal, Slovénie, Espagne, États-Unis, Chine,
Japon, Allemagne, Danemark ;
−
pour des passages piétons sans feux : Serbie, Tchéquie, Slovénie,
Portugal, Indonésie.
162
© Les collections de l’INRETS
Exemples mondiaux et avantages d’une ligne d’arrêt transversale
Bratislava en Slovaquie
Expérimentation de Brignais (Rhône)
Une expérimentation a été menée depuis 1997 dans une ville française,
Brignais, sur plusieurs passages piétons sans feux, sur une artère importante.
Cette expérimentation n'a décelée aucun inconvénient.
Aspects collatéraux du recul de 5 mètres
devant les passages piétons
Sur les sas vélos
La couleur verte parfois utilisée pour les sas vélo s'est avérée peu visible.
L'Instruction interministérielle sur la signalisation routière ne prévoit d'ailleurs,
pour les sas, qu'une ligne tiretée de 15 cm seulement, donc peu visible, donc
non respectée. Certaines villes ont adopté pour les sas, le marquage par deux
lignes blanches continues larges (50 cm), ce qui rejoint mutatis mutandis
l'emploi de la ligne d'arrêt devant les passages piétons objet du présent rapport.
Il apparait à l'expérience, qu'une telle ligne large et continue est très bien
comprise et acceptée par les automobilistes et ne les gêne nullement.
© Les collections de l’INRETS
163
Piéton et aménagement
Exemple à Rennes
Sur les répétiteurs en bas de mât des feux
Les répétiteurs de feux sont nocifs pour la sécurité des piétons car ils
incitent les conducteurs à venir s'arrêter au plus près du feu et donc au plus
près du passage piéton, ce qui est contraire à la sécurité des piétons. De tels
répétiteurs n'existent, à notre connaissance, qu'en France. Des photos
d'absence de répétiteurs seront montrées : Suisse, Autriche, Slovaquie, Italie,
Slovénie, Belgique, Chine, États-Unis, Danemark Espagne, Allemagne,
Portugal, Québec.
Un premier pas intéressant déjà fait par la ville de Lyon avec suppression
des répétiteurs.
Conclusion
Il serait souhaitable qu'en France, le marquage d'une ligne d'arrêt, large et
continue soit systématisée devant les passages piétons associés aux feux et
soit recommandée devant les passages piétons en section courante, comme
cela est fait dans les autres pays et comme cela est prévu dans la convention
de Vienne-Genève. La sécurité des piétons et surtout des enfants serait
grandement améliorée.
Un dossier complet est disponible sur simple demande à l'auteur par
courriel.
164
© Les collections de l’INRETS
Partie 3
Accidentologie du piéton
Tribune libre
L’accident de piéton et la victime
« piéton »
Anne-Sophie Evrard, Jean-Louis Martin, Amina Ndiaye, Bernard Laumon
Unité mixte de recherche épidémiologique et de surveillance transport travail
environnement (UMRESTTE), INRETS-Université Lyon 1-InVS
25 avenue François Mitterrand, Case 24, 69675 Bron Cedex, France
[email protected]
Mots-clés : accident de la route, piéton, lésion, registre
Le registre des victimes corporelles d’accidents de la circulation routière
dans le département du Rhône enregistre depuis 1995 toutes les victimes
prises en charge dans les services hospitaliers publics et privés, du Rhône et
des proches alentours, qu’elles soient hospitalisées ou non. Parmi les victimes
enregistrées dans ce registre, près d’une victime sur dix est un piéton (10 131 /
107 670, sur onze années d'étude, 1996-2006). Leur nombre annuel serait
plutôt stable (environ 1000 victimes par an avant 2000 et 800 victimes par an
après 2000, année où la sécurité routière a été déclarée « grande cause
nationale »). Entre 1996 et 2006, le nombre de piétons, victimes d’accidents
corporels de la route a diminué de 20 % (pour l'ensemble des victimes, le
nombre de victimes d’accidents corporels de la route a diminué de 15 %).
L’accident de piéton
Plus de 80 % d’entre eux sont heurtés par une voiture, 8 % par un camion,
une camionnette, un car ou un bus, environ 6 % par un deux-roues motorisé et
3 % par un vélo. À noter que seulement 29 piétons (0,3 %) ont été heurtés par
un usager de rollers, chiffre qui ne confirme pas la crainte inspirée par les
usagers de rollers à certains piétons (et notamment les plus âgés d'entre eux).
À l'inverse, les piétons ne sont pas les seules victimes de l'accident dans 355
cas (3,5 %) : les autres victimes sont essentiellement des usagers de deuxroues motorisés (42 %), des cyclistes (31 %), mais aussi des occupants de
voiture (17 %), des occupants de car ou bus (2,5 %), et des usagers de rollers
(5,6 %).
Comparés à l’ensemble des usagers, les piétons sont victimes de leur
accident plus souvent en milieu urbain, que ce soit dans une rue (91,5 % vs
71,8 %) ou sur un parking (2,5 % vs 1,1 %). Près de 94 % d'entre eux résident
dans le département du Rhône.
© Les collections de l’INRETS
167
Accidentologie du piéton
La victime « piéton »
La victime « piéton » est un peu plus souvent un homme qu’une femme
(sexe-ratio de 1,15), écart amplifié si l’on prend en compte l’excès de la
population féminine dans le département du Rhône (rapport d’incidences de
1,24). Ce résultat global doit cependant être nuancé selon l’âge des victimes
(cf. Figure 1). La sur-morbidité du garçon jusqu’à 15 ans est particulièrement
notable, et contraste avec celle, constante mais modérée, des hommes plus
âgés. On peut aussi remarquer le décalage des pics d’incidence (10-14 ans
chez le garçon, 15-19 ans chez la fille) et l’existence d’un deuxième pic
d’incidence tardif (80-84 ans, tant chez l’homme que chez la femme),
conséquence vraisemblable d’une vulnérabilité exacerbée conjuguée à une
exposition devenue élevée (et sans doute réduite, volontairement ou non, à des
âges encore plus avancés).
Figure 1. Incidence des victimes « piétons » selon leur âge et leur sexe
Age des
victimes
0-4
05-sept
oct-14
15-19 ans
20-24 ans
25-29 ans
30-34 ans
35-39 ans
40-44 ans
45-49 ans
50-54 ans
Piétons
385
631
654
556
471
358
331
285
256
213
235
Cyclistes et
usagers de
rollers
493
1737
3464
2144
1211
926
795
698
554
458
348
Usagers de
deux-roues Occupants de
motorisés
voiture
10
377
64
471
808
447
6209
2945
3418
5929
2476
4209
1779
2998
1333
2188
1058
1565
689
1381
417
1209
Autres
77
116
172
127
278
292
291
249
222
162
140
Taux pour 1000 habitants du Rhône, de mêmes âge et sexe, source : recensement 1999) (N =
10 100, Registre du Rhône 1996-2006).
Les blessures du piéton non décédé
Gravité des atteintes
Si la répartition décroissante du nombre de victimes « piétons » en fonction
de la gravité de leurs lésions est comparable à celle de l’ensemble des autres
victimes, toutes autres catégories d’usagers confondues, les piétons présentent
toutefois plus souvent des atteintes graves. Ainsi, seulement à peine plus de six
piétons sur dix, contre près de trois autres victimes sur quatre, ne présentent
que des lésions mineures. Cette sur-gravité relative permet de quantifier la plus
grande vulnérabilité des piétons.
168
© Les collections de l’INRETS
L’accident de piéton et la victime « piéton »
Un peu plus souvent victime d’un accident corporel que les femmes, les
hommes « piétons » présentent aussi plus souvent des blessures graves : le
sexe-ratio croît régulièrement avec la gravité des atteintes. L’âge semble aussi
jouer un rôle dans la gravité des blessures, comparable à celui observé sur
l’ensemble des victimes. En effet, on retrouve le pic juvénile relatif (toutefois
moins marqué), plus précoce chez les filles que chez les garçons (entre 5 et 9
ans vs entre 10 et 14 ans). A noter aussi la croissance remarquablement
régulière de la proportion des atteintes graves au fur et à mesure de l’avancée
dans l’âge adulte.
Localisation des atteintes
Près de deux victimes « piétons » non décédées recensées sur trois
présentent une atteinte aux membres inférieurs, une sur trois aux membres
supérieurs, et presque une sur deux à la tête et/ou à la face et/ou au cou (sans
la colonne) (cf. Figure 2). Comparativement aux autres victimes, on peut
souligner le fort sur-risque au niveau des membres inférieurs (risque relatif de
1,9), et aussi ceux attachés à la tête (1,5), à la zone externe (1,3) et à la face
(1,3).
Figure 2. Répartition des victimes « piétons » non décédées selon
leurs régions corporelles atteintes comparée à celle des autres victimes
non décédées
17,3%
Tête
25,3%
14,4%
Face
18,5%
11,5%
Cou
3,4%
16,2%
Thorax
9,8%
Autres victimes
4,8%
4,8%
Abdomen
Piétons
23,6%
Colonne vertébrale
9,6%
Membres supérieurs
32,7%
31,6%
Membres inférieurs
32,2%
62,7%
8,1%
10,7%
Zone externe
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
Pourcentages rapportés, pour chaque région corporelle, aux victimes concernées (N = 105 602
victimes dont 9 871 piétons, Registre du Rhône 1996-2006).
Nature des atteintes
Une victime est atteinte en moyenne d'environ 2,2 lésions. Comparativement
au nombre moyen de 1,9 lésion sur l'ensemble des autres victimes, le piéton
apparaît comme une victime fortement poly-lésionnelle.
© Les collections de l’INRETS
169
Accidentologie du piéton
Près de 69 % des victimes « piétons » souffrent de contusions et 31 %
d’entre elles sont atteintes d’une fracture. Il faut noter que près de 15 % des
victimes « piétons » ont subi une perte de connaissance à la suite de leur
accident. Contrairement à ce que l'on observe sur l'ensemble des victimes,
l'une des lésions le plus fréquemment observées chez le piéton n'est pas de
gravité mineure mais de gravité modérée. Il s'agit de la fracture de la tête, du
col ou de la diaphyse du péroné, décrite sur plus d’un piéton sur vingt. Cette
fracture est observée un peu plus souvent chez les hommes que chez les
femmes (6,2 % vs 4,5 %). Les lésions graves les plus fréquemment observées,
chez les piétons qui survivent à leur accident, sont des lésions cérébrales,
notamment des hématomes et des œdèmes cérébraux, et des lésions
thoraciques, en particulier des fractures avec ou sans volet.
Conclusion
D’une manière générale, les victimes « piétons » sont plus gravement
atteintes que les autres usagers. On peut retenir que les lésions graves des
piétons constituent 18,1 % des lésions graves dénombrées sur l’ensemble des
victimes, alors que les piétons “ne” représentent “que” 9,4 % de ces victimes.
170
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection
pour le piéton en sécurité passive ?
Thierry Serre
Laboratoire de biomécanique appliquée UMRT24 INRETS/Université
de la Méditerranée, Faculté de médecine Nord
boulevard Pierre Dramard, 13916 Marseille, France
[email protected]
Résumé – L’objectif de cet article est de proposer un bilan général des
recherches dans le domaine de la sécurité passive du piéton et plus
particulièrement sa protection lors d’un choc avec un véhicule léger. A partir
d’éléments issus de recherches menées en biomécanique, en épidémiologie et
en accidentologie, nous dresserons une synthèse sur le choc piéton en terme
de lésions constatées, de cinématique de l’impact, de mécanismes lésionnels et
de critères de blessures, de moyens de protection, de réglementation
automobile… Cet article s’appuie sur de nombreuses sources bibliographiques
mais également sur les résultats obtenus par le Laboratoire de Biomécanique
Appliquée dans le domaine de la protection du piéton depuis plus de 20 ans.
Mots-clés : accident, piéton, sécurité passive, réglementation
Introduction
Au cours de son déplacement, le piéton est confronté bien souvent à des
situations accidentogènes qui peuvent conduire malheureusement au choc
avec un véhicule. Au cours de cette phase de crash, l’environnement du piéton
composé de l’infrastructure et surtout des véhicules qui peuvent les percuter
devient alors un élément agressif pour lui. La vulnérabilité du piéton nécessite
alors de mettre en place des moyens de protection pour limiter les
conséquences lésionnelles. Ces moyens concernent en premier lieu la
conception des véhicules qu’il faut rendre le moins agressif possible lors d’une
collision avec un piéton.
De nombreuses réflexions ont été menées en ce sens et l’objectif de ce
papier est de dresser un bilan général sur l’avancée des recherches dans ce
domaine et de synthétiser les priorités en sécurité passive pour le choc piéton.
Cet article se décompose en trois parties principales qui s’articulent de la
manière suivante.
Après avoir exposé dans la première partie les caractéristiques globales du
choc piéton en termes de configurations d’accidents et de lésions observées, ce
papier s’attachera à décomposer cinématiquement la chronologie de l’accident.
© Les collections de l’INRETS
171
Accidentologie du piéton
Tour à tour, seront plus particulièrement détaillés les impacts suivants :
−
impact des membres inférieurs contre le pare choc du véhicule ;
−
impact du bassin contre la face avant (pare choc) du véhicule ou le
capot ;
−
impact de l’épaule et de la tête contre le capot ou le pare-brise ;
−
impact du piéton contre le sol lors de sa chute.
Les principales spécificités de chacun de ces impacts seront alors décrites à
l’aide de résultats provenant de recherches expérimentales (essais de crashtests notamment), de simulations numériques (traumatologie virtuelle) et de
reconstructions d’accidents réels.
Dans la dernière partie, les moyens de protection développés à l’heure
actuelle dans l’industrie automobile ainsi que les essais réglementaires
permettant de limiter les conséquences du choc seront présentés et discutés.
Cet article s’appuie sur de nombreuses sources bibliographiques mais
également sur les résultats obtenus par le Laboratoire de biomécanique
appliquée dans le domaine de la protection du piéton depuis plus de 20 ans
(Cavallero et al., 1983). Parmi ces recherches, on retrouvera en particulier les
conclusions émanant du projet « APPA » (Amélioration de la protection des
piétons en cas d’accident) financé par le ministère (DSCR) dans le cadre du
Predit (APPA, 2007).
Accidentologie du choc piéton
Configurations des chocs piétons
D’un point de vue général, il apparaît qu’un accident entre un piéton et un
véhicule léger s’effectue en premier lieu en configuration où le piéton est en
phase de « traversée de chaussée ». Cette configuration d’accident a en effet
été identifiée comme l’un des scénarios les plus fréquents en accidentologie
piétonne par (Ravani et al., 1981 ; Berg et al., 2003 ; Brenac et al., 2003). Cette
configuration étant la plus probable, les recherches en sécurité passive se sont
donc naturellement orientées sur les solutions envisageables permettant de
limiter les conséquences lésionnelles lorsque le piéton est percuté par un avant
de véhicule de tourisme. Nous ne détaillerons donc pas par la suite les chocs
où le piéton est impacté par le côté ou l’arrière du véhicule, ni lorsque ce
dernier est percuté par un poids-lourd, un bus, un deux-roues motorisées, etc.
Épidémiologie
Les recherches en accidentologie et en épidémiologie ont permis de mettre en
évidence notamment que les populations les plus touchées sont les jeunes et les
vieux (Carter et al., 2008, Fontaine et al., 1997). D’un point de vue lésionnel, il a
été montré par plusieurs auteurs que les segments corporels les plus touchés
sont la tête et les membres (inférieurs et supérieurs) (APPA, 2007, Carter et al.,
2008, Jarret, 1998, Mizuno, 1998, Otte, 2000). La figure 1 rapporte par exemple
les résultats obtenus dans le cadre du projet (APPA, 2007) lors d’une analyse
épidémiologique des descriptions lésionnelles des piétons accidentés répertoriés
172
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
par le registre du Rhône entre 1996 et 2002. Par suite, les recherches en sécurité
passive s’orienteront donc vers la protection de ces segments corporels.
Figure 1. Répartition par segments corporels des lésions observées
toutes gravités confondues chez les piétons accidentés
D’après les chiffres de l’INRETS-UMRESTTE obtenus dans APPA (2007)
Risque lésionnel
Lors des accidents piétons, la vitesse du véhicule est l'un des facteurs les
plus influents sur le déroulement de l'impact et sur la gravité des lésions.
Plusieurs études ont ainsi montré que, pour l'usager vulnérable, des vitesses
d'impact inférieures à 20 km/h, conduisent en général à des blessures légères
alors que des vitesses supérieures à 50 km/h conduisent souvent à des
blessures mortelles (Carter et al., 2008, Karger et al., 2000, Mizuno, 1998, Otte,
2000). La gravité et les mécanismes de blessure augmentent alors de façon
marquée dans cet intervalle de vitesse. Différents auteurs ont ainsi établis
plusieurs courbes de risque de fatalité en fonction de la vitesse du véhicule. La
figure 2 illustre par exemple les résultats reportés par (Schmitt et al., 2004) qui
montre que au-delà d’une vitesse d’impact de 60 km/h le piéton a 80 % de
risques mortels et ceux plus récents de (Rosén et al., 2009) qui montre qu’il faut
atteindre des vitesses de l’ordre de 75 km/h pour avoir 50 % de risques mortels.
Figure 2. Courbes de risque de mortalité du piéton en fonction de la
vitesse d’impact du véhicule
D’après Schmitt et al. (2004) – à gauche – et d’après Rosén et al. (2009) – à droite.
© Les collections de l’INRETS
173
Accidentologie du piéton
Par ailleurs, il apparaît que la vitesse moyenne des véhicules au moment de
l’impact, c'est-à-dire lorsqu’elles heurtent les piétons, est inférieure à 50 km/h
(Carter et al., 2008, Otte, 2000). Les recherches en sécurité passive
s’orienteront donc sur la protection des piétons pour des vitesses allant jusqu’à
60 km/h, considérant que, au-delà de cette limite, il devient difficile de le sauver.
Analyse biomécanique
Cette analyse consiste à étudier le comportement mécanique du corps
humain au cours du choc. Elle repose plus particulièrement sur la
complémentarité d’une approche expérimentale et d’une approche numérique.
L’approche expérimentale consistera à reproduire, physiquement, en
laboratoire, des accidents piétons à échelle réelle (plus communément appelés
« crash-tests » (Cavallero et al., 1983, Masson et al., 2007, Thollon et al.,
2007)) ou à se focaliser sur la reproduction d’un impact sur un segment
corporel précis (Masson et al., 2005). En ce qui concerne les études
numériques, deux grandes théories permettent de simuler le choc piéton. La
théorie des systèmes mécaniques multicorps rigides permettra tout d’abord de
simuler le comportement global du piéton du premier impact avec le véhicule
jusqu’à la chute au sol (Serre et al., 2006, 2007b). La théorie des éléments finis,
plus coûteuse en temps de calcul, permettra par contre de se concentrer sur un
comportement local du corps humain et d’observer ses déformations au cours
du temps (Arnoux et al., 2005, 2006). L’ensemble de ces études permet alors
d’apporter des réponses en particulier sur la chronologie des évènements et sur
les mécanismes lésionnels.
Cinématique générale
D’une manière globale, cinq grandes catégories de cinématique sont
observées lors d’un choc piéton (Fugger et al., 2002, Ravani et al., 1981, Wood,
1988) :
−
la projection indirecte appelée aussi trajectoire enroulée (wrap trajectory) ;
−
la projection directe vers l’avant (forward trajectory) ;
−
la trajectoire sur les ailes c'est-à-dire sur les côtés des véhicules ;
−
la trajectoire sur le toit ;
−
le salto.
Les deux mouvements les plus communs observés lorsque le véhicule freine
sont la trajectoire enroulée et la projection directe vers l’avant. Dans le premier
cas, la position du centre de gravité du piéton est plus haute que le capot de la
voiture. Le piéton « s’enroule » alors le long de la face avant du véhicule (figure
3) jusqu’à avoir la même vitesse que le véhicule ; puis il se sépare du véhicule
lorsque ce dernier subit sa décélération pour avoir une phase d’envol ; et enfin il
retombe au sol et glisse jusqu’à sa position finale. Dans le cas d’une projection
directe vers l’avant, la hauteur du centre de gravité du piéton est en dessous du
capot. Le piéton vient alors frapper la face avant du véhicule, atteint la vitesse de
ce dernier, puis est directement projeté au sol. Cette cinématique est
principalement observée lors d’un choc avec un enfant en bas âge ou lorsqu’un
adulte est percuté par une face avant très haute (4x4, poids lourd, bus…).
174
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
La différence entre ces deux cinématiques réside en fait dans la présence
ou pas d’une phase d’envol où le piéton est projeté dans les airs.
Cette cinématique varie bien évidemment en fonction de la vitesse du
véhicule, de la taille du piéton mais aussi de la forme de la face avant des
véhicules (Daniel, 1982, Henary et al., 2003, Longhitano et al., 2004, Roudsari
et al., 2005).
Lors du choc du piéton sur le véhicule, il apparaît clairement que l’impact se
déroule en trois phases distinctes (figure 3) :
−
le premier impact où le membre inférieur (tibia ou partie inférieure
fémur) est impacté par la face avant du véhicule. Il concerne les
premières millisecondes après le premier contact entre la jambe
piéton et la voiture. Le piéton commence alors à s’enrouler sur
véhicule ;
du
10
du
le
−
le second impact où le bassin vient heurter la face avant du capot
(environ 60 ms après l’impact initial). Le sujet va alors commencer à
glisser sur le capot ;
−
le troisième impact, où la tête vient percuter le capot ou le pare brise. Ce
choc a lieu environ 100 ms après le premier contact de la jambe.
Figure 3. Décomposition du choc véhicule-piéton en 3 phases
D’après Masson et al. (2007)
Ces trois phases sont détaillées ci-après en rappelant les principaux
mécanismes lésionnels observés au cours de chacune d’elles (Masson et al.,
2005, Teresinski et al., 2002).
Vient ensuite une dernière phase d’impact où le piéton est projeté au sol
pendant la phase de décélération du véhicule. La durée totale d’un choc piéton
entre le premier contact de la jambe et l’immobilisation du piéton au sol est
alors d’environ 1 seconde.
Le choc du membre inférieur
Au niveau de l’impact des membres inférieurs, les blessures les plus
rencontrées sont les fractures des os longs et les ruptures ligamentaires au
© Les collections de l’INRETS
175
Accidentologie du piéton
niveau de l’articulation du genou. Deux grands types de mécanismes lésionnels
ont alors été identifiés pour générer ces blessures (Arnoux et al., 2005, Bose et
al. 2004, Grzegorz, 2001, Kajzer et al., 1999, Nagasaka, 2003). Le premier
concerne le déplacement latéro-médial du tibia (respectivement du fémur)
relativement au fémur (resp. du tibia) qui crée alors du cisaillement dans
l'articulation (Kajzer et al., 1990). Le deuxième concerne une flexion valgus au
niveau du genou générée par l'action combinée de la force d'impact sur le tibia
(ou le fémur) et des forces de frottement sur le pied (Kajzer et al., 1993). D’un
point de vu critère lésionnel, plusieurs études ont montré qu’un cisaillement
supérieur à 15mm et qu’une flexion d’environ 20° ét aient les limites acceptables
à ne pas dépasser (Arnoux et al., 2006).
L’apparition de ce type de lésions dépend en particulier de la zone d’impact du
pare-choc au niveau du membre inférieur (Arnoux et al., 2005, 2006, Masson et
al. 2006). En effet, si le pare-choc de la voiture vient heurter la jambe au niveau
du tibia, un effet de cisaillement sera principalement observé et une fracture du
tibia sera générée. Si le pare-choc percute le membre inférieur du piéton au
niveau du genou, la combinaison d’un cisaillement et d’une flexion entraînera
alors majoritairement des ruptures ligamentaires (figure 4).
Figure 4. Principales lésions au niveau du membre inférieur
D’après Arnoux et al. (2006) : fracture des os longs (à gauche) et ruptures ligamentaires (à droite)
Bien évidemment, ces mécanismes lésionnels sont assujettis à l’influence
de la taille du piéton et de la forme de la face avant du véhicule qui peut être
plus ou moins agressive (Glasson et al., 2000). Les niveaux de sollicitations en
termes d’accélérations de la jambe peuvent atteindre les 150 G.
Le choc du bassin
Le piéton, heurté sous son centre de gravité au niveau du genou, est alors
entraîné dans un mouvement de rotation en direction de la voiture. Les
directions contraires du haut du corps et de la voiture conduisent ainsi à un
impact entre le bord d'attaque du capot et la cuisse puis le bassin du piéton.
176
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
Le choc du bassin peut alors se décomposer de la manière suivante : un
impact direct avec le bas du capot voire le bord de fuite du capot puis un
glissement le long du capot. Même si cette phase apparaît comme peu
lésionnelle (APPA, 2007, INRETS, 1999), elle peut générer toutefois des
fractures du bassin (Grzegorz, 2001). Ce dernier pouvant subir des
accélérations supérieures à 50G (Masson, 2007).
L’impact de la tête
Pour le choc de la tête, plusieurs auteurs ont montré qu’il se situait entre le
milieu du capot et le haut du pare-brise (Anderson et al., 1996, Liu et al., 2002).
La zone d’impact dépendant principalement de la taille du piéton, de la forme
de la face avant du véhicule et de sa vitesse (Okamoto et al., 2003). Des
relations entre la taille du piéton et la distance d’enroulement du piéton le long
de la face avant du véhicule ont pu alors être établi et un facteur compris entre
1,1 et 1,4 est donné par (Mizuno, 1998).
La violence de l’impact de la tête est caractérisée par deux principaux
paramètres (Mizuno et al., 2000): la vitesse d’impact de la tête et l’angle du
choc (figure 5). Si la vitesse de la tête peut difficilement être contrôlée,
l’orientation du choc de la tête peut, elle, être adaptée de manière à réduire les
conséquences du choc. En effet, il apparaît que plus l’impact de la tête sera
perpendiculaire au pare-brise (ou au capot), plus les sollicitations seront
importantes. Il appartient alors de bien définir le design de la face avant du
véhicule afin que, lors de la cinématique du choc, on observe un glissement de
la tête sur le pare-brise plutôt qu’un impact direct.
Figure 5. Orientation de l’impact de la tête
D’après Serre et al. (2007a)
Des reconstructions d’accidents réels où un véhicule percute un piéton à
environ 40km/h fournissent des valeurs d’angle d’impact d’environ 40° pour des
vitesses moyennes de tête d’approximativement 10m/s (Serre et al., 2007a).
Les niveaux d’accélérations que subit la tête peuvent atteindre 150 G pour un
HIC dépassant la limite lésionnelle.
© Les collections de l’INRETS
177
Accidentologie du piéton
Par ailleurs, plusieurs études ont également montré que la structure propre
et les propriétés mécaniques du pare brise jouait un rôle sur la gravité des
lésions sur la tête (Anderson et al., 2007 ; Simms et al., 2005). Le choix des
matériaux constituant le pare-brise semble donc être important dès lors que l’on
souhaite limiter les sollicitations dynamiques sur ce segment corporel.
La chute au sol
En ce qui concerne la chute du piéton, les reconstructions numériques
d’accidents réels (Serre et al., 2006) et les essais expérimentaux (Masson et
al., 2007) montrent qu’elle est fortement conditionnée par trois paramètres
principaux : la forme de la face avant du véhicule, la vitesse du véhicule et la
position du piéton au moment de l’impact. Pour la forme de la face avant du
véhicule, nous avons vu précédemment son influence sur les différences de
cinématique que cela pouvait engendrer : wrap trajectory, forward trajectory,
etc. Pour la vitesse du véhicule, elle va surtout influencer sur la distance de
projection du piéton (Simms et al., 2004). En effet, comme le montre (Serre et
al., 2007b) au travers de la figure 6, il y a une constante croissance de la
distance de projection en fonction de la vitesse du véhicule.
Figure 6. Distance de projection d’un piéton en fonction de la vitesse
du véhicule pour une Renault Twingo
D’après Serre et al. (2007b)
Enfin, la position du piéton au moment de l’impact va plus particulièrement
influer sur la composante rotatoire que va prendre le piéton au cours de sa
projection et donc de la latéralité du corps qui va subir l’impact au sol (Serre et
al., 2007b).
Cependant, les lésions que cette chute peut engendrer apparaissent comme
trop diverses et variées pour en tirer de quelconques conclusions (Otte, 2001). En
effet, même si la chute se fait généralement sur un sol bitumé, elle peut se
produire contre n’importe quel type de sol ou obstacle et il apparaît difficile
d’identifier des typologies de mécanismes lésionnels. Par exemple, un piéton
retombant sur la tête pourra subir des sollicitations dynamiques plus importantes
lors de sa chute au sol que lors de l’impact contre le véhicule. Mais en revanche,
178
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
si le piéton retombe sur ses membres inférieurs, cela provoquera des lésions à
ces segments corporels mais « amortira » en contre partie la chute du reste du
corps et plus spécialement de la tête. Ce constat amène souvent des
interrogations concernant l’attribution des lésions observées dans la réalité. Sontelles dues à l’impact contre le véhicule ou à la chute du piéton ?
Réglementation, essais consuméristes
et moyens de protection
Réglementation et essais consuméristes
En 1998, un groupe de travail du Comité européen sur l'amélioration de la
sécurité des véhicules), a mis en place une méthode d'évaluation de la sécurité
des piétons vis-à-vis des véhicules (EEVC, 1998). Ces travaux avaient pour
objectif de diminuer le niveau d'agressivité de la partie avant des automobiles.
En 2003, sur la base de ce rapport, une nouvelle directive relative à la
protection des piétons et autres usagers vulnérables en cas de collision avec un
véhicule à moteur a été mise en place (JO de l’UE, 2003).
La méthodologie d’évaluation est principalement basée sur la réalisation
d’essais expérimentaux « sous-systèmes » représentatifs des différents points
d’impacts entre le véhicule et l’usager vulnérable tel que nous venons de les
décrire : impact du membre inférieur sur le pare-choc, impact du bassin sur le
bas du capot et impact de la tête sur le capot ou le pare-brise.
Quatre essais sous-systèmes ont été définis (fig. 7) :
un essai d'une jambe mécanique instrumentée contre la face avant (pare
choc) ;
−
un essai à l'aide d'un impacteur guidé contre le bord antérieur du capot ;
−
un essai à l'aide d'un impacteur tête d'enfant sur la partie antérieure du
capot ;
−
un essai avec un impacteur tête d'adulte sur la partie postérieure du
capot.
−
Figure 7. Essais sous-systèmes réglementaires
D’après APPA (2007)
© Les collections de l’INRETS
179
Accidentologie du piéton
Les conditions d'essais, les valeurs limites des paramètres mesurés et les
limites d'applications sont décrites en détail dans (EEVC, 1998, JO, 2003,
Kaleto et al., 2002).
L'approche par sous-système a été préférée à une approche globale utilisant
un mannequin heurté par une voiture pour tenir compte de la mauvaise
répétabilité du choc voiture/mannequin due, d'une part à l'instabilité en rotation
axiale du mannequin lors du choc et, d'autre part, à la longue durée du choc
(environ 1 seconde entre le début du choc et la retombée au sol) (APPA, 2007).
Toutefois, certaines critiques peuvent être formulées sur ces essais si on les
compare notamment avec des conditions réelles d’accident (Chalandon et al.,
2007).
En ce qui concerne l'impacteur jambe avec tibia et fémur rigides, il tend à
augmenter la sollicitation au niveau du genou et rend difficile l'appréciation du
risque d'autres lésions (fractures tibia et fémur). L'intérêt d'un impacteur dont
les capacités de déformation sont mieux réparties mériterait alors d'être évalué.
Le choix d’un essai d’une jambe « découplée » du reste du corps pose
également le problème de l’effet de la masse additionnelle du reste du corps au
niveau du genou. En effet, ce test ne permet pas de reproduire l’influence du
poids du corps sur l’appui de la jambe et donc du frottement au sol du pied
lorsque la jambe est impacté. De plus, cet essai pose des problèmes pour
l’évaluation des véhicules à pare chocs haut de type 4x4 par exemple. Il s’agit
alors dans ce cas de limiter la position verticale de l’impacteur pour assurer la
protection requise à la jambe.
L'essai sur le bord antérieur du capot représentant l’impact du bassin contre
le capot est celui qui est le plus controversé (Matsui et al., 2002). En effet, il
simule un impact direct du bassin contre le capot ce qui ne reproduit pas
correctement les mécanismes mis en jeu dans ce choc puisque le bassin
semble plutôt subir un glissement. De plus, l'analyse des accidents piétons
indique une faible proportion de lésions au niveau du bassin et donc une faible
implication du bord antérieur du capot dans la genèse des blessures. Cet essai
tend donc à exiger des véhicules beaucoup plus que nécessaire si on se réfère
au risque de blessure. Il a donc été retenu que cet essai n’était pas
représentatif du mécanisme d’impact et de plus n’est plus adapté aux formes
des véhicules actuels (APPA, 2007). Cependant ce test est maintenu dans sa
forme actuelle à visée d’évaluation seulement afin de garantir qu’il n’y a pas de
risque accru de blessure par le bord antérieur du capot.
Concernant les chocs de la tête, ils sont reproduits dans une condition
unique d'angle et de vitesse. Or les caractéristiques de cet impact peuvent
fortement varier en fonction de la forme de la face avant du véhicule et de la
cinématique que va prendre le piéton lorsqu’il va s’enrouler sur la face avant de
la voiture (Anderson et al., 2003). La vitesse et l’angle d’impact de l’impacteur
tête ainsi que les valeurs limites des critères lésionnels (HIC, Head Injury
Criteria) fournis par les capteurs sont d’ailleurs toujours discutés à l’heure
actuelle.
Outre la réglementation précédemment détaillée, des essais consuméristes
ont également été introduits en 1999 selon des procédures d’essais « NCAP »
spécifique à la protection du piéton (EuroNCAP, 2009). Une nouvelle notation à
180
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
4 étoiles a alors été mise en place. Les méthodes d’essais et les valeurs limites
des critères utilisées lors de ces essais sont basées sur celles développée par
le CEVE en 1998. Ces procédures sont actuellement effectuées en Europe
(EuroNCAP) et en Australie (ANCAP).
Moyens de protection
Les recherches que nous venons d’évoquer, les évolutions techniques et
l’exigence d’une réglementation ont permis de faire évoluer de manière
conséquente les structures des véhicules vis-à-vis de la protection des piétons
(Berg et al., 2003, Crandall et al., 2002, Droste et al., 2002). Nous énumérons
ci-dessous quelques avancées technologiques sur les véhicules sans toutefois
avoir la prétention d’être exhaustif.
Le pare-choc
En ce qui concerne la protection des membres inférieurs, les constructeurs
ont ainsi remplacé les pare-chocs rigides convexes (en chrome) par des tabliers
déformables (Schuster et al., 1998). La géométrie de ce bouclier déformable
influe alors énormément sur la gravité des lésions, en particulier la position du
point avancé impactant par rapport aux genoux du piéton. Une position basse
du point avancé impactant (en dessous des genoux) engendre plus de lésions
qu’une position haute (au dessus des genoux).
De plus, les matériaux de fabrication possèdent aujourd’hui un meilleur
comportement au crash et les boucliers ont une géométrie plus lisse et donc
moins agressive. Les tabliers avant protègent bien mieux les membres
inférieurs par leur caractéristique absorbante (Droste et al., 2002, Kaeser et al.,
1983, McMahon et al., 2002).
Le capot
En ce qui concerne le capot, il a été démontré qu’il devait se déformer de
manière à absorber l’énergie nécessaire pour ne pas blesser le piéton (Farooq
et al., 2003, Okamoto et al., 1994, Pritz, 1983). Les points de rigidité sous le
capot ont donc été supprimés. Par exemple, la roue de secours sous le capot
qui offrait des points de grande rigidité voire même des perforations par le cric a
été bannie (Thollon, 2007).
De même, des améliorations ont été portées au niveau des talons d’essuieglaces, des balais ou des grilles d’auvent rigide qui étaient exposés à un impact
avec la tête du piéton (Thollon, 2007). Ces éléments du véhicule sont
désormais protégés par une avancée plus importante du capot qui vient les
recouvrir.
Plusieurs études plus récentes sont également en cours comme par exemple
le développement d’un capot moteur « à détente » qui correspond à un capot
actif équipé de vérins télescopiques se soulevant en cas de chocs avec un piéton
(Steiffert et al., 2003). Il réduit ainsi le risque de blessures graves à la tête en
augmentant la distance entre le capot et le moteur. Ce système utilise des
capteurs placés à l'intérieur du pare-chocs avant et un capteur de vitesse du
véhicule pour confirmer rapidement une éventuelle collision avec un piéton. Il lève
© Les collections de l’INRETS
181
Accidentologie du piéton
alors l'arrière du capot moteur d’environ 10 cm. Ce dispositif devrait réduire de
40 % les lésions crâniennes selon l'estimation du constructeur. Ce système est
déjà opérationnel et présent sur le marché sur certains véhicules.
Le pare-brise
Comme nous l’avons vu, il apparaît important que le pare-brise puisse
également absorber de l’énergie. La structure propre du pare-brise influençant
sur les accélérations subies par la tête, des améliorations sur le comportement
au crash de celui-ci ont donc été effectuées. Par exemple, les bordures de
pare-brise chromées ont été supprimées ou des pare-brise feuilletés de qualité
et de rigidité croissante ont été instaurés (Thollon, 2007).
D’autres systèmes comme l’airbag piéton aura plutôt pour objectif d'amortir
le choc et d’éviter le contact de la tête avec la structure du véhicule. Ces
systèmes fonctionnent alors à l’aide d’un détecteur de choc piéton au niveau du
pare choc qui commande, en cas d’impact, le soulèvement du capot en
quelques fractions de secondes puis libère un sac gonflable sur le pare-brise
afin d’amortir le choc avec le piéton (Steiffert et al., 2003). L’un des problèmes
technologique posé par ce système est en particulier la vision du conducteur
qui devient quasi occultée par ce système.
Conclusion
L’ensemble de ces recherches montre que la sévérité des lésions est très
influencée par la vitesse des véhicules, par leurs designs, par la capacité
propre du piéton à supporter un tel choc. Mais qu’elle peut aussi être fortement
réduite grâce à de nouvelles technologies et de nouveaux concepts de design
sur le véhicule qui vont permettre notamment de mieux amortir le choc.
L’avancée des recherches dans ce domaine a ainsi montré des résultats
encourageants et la poursuite des efforts menés conjointement par :
−
les chercheurs pour améliorer les connaissances en accidentologie et en
biomécanique par exemple ;
−
les industriels de l’automobile pour réduire l’agressivité de la structure
des véhicules ;
−
les politiques publiques par la mise en place d’une réglementation,
devraient aboutir à diminuer de manière importante les conséquences
lésionnelles des chocs piétons.
Le « European Transport Safety Council » (ETSC, 1999) a ainsi qualifié les
procédures réglementaires pour la protection des piétons comme l’une des plus
importantes actions menée de nos jours dans la sécurité routière. L’ETSC a
également estimé que si tous les véhicules de nos jours fournissaient une telle
protection, entre 655 et 2256 vies pourraient être sauvées par an et qu’entre
21 548 et 24 944 blessés pourraient être évités. Ce qui représenterait un
bénéfice de plus de 3,7 billions d’euros.
Une évaluation des bénéfices attendus de ces nouvelles conceptions de
voitures « piétonnisées » par comparaison aux modèles antérieurs doit donc
maintenant être menée pour quantifier ces gains.
182
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
Enfin, si ces travaux montrent qu’une réduction de l’accidentalité piétonne
peut être obtenue par une approche passive où le rôle du véhicule apparaît
comme essentiel, il n’en reste pas moins que la sécurité active joue également
un rôle important dans la protection des piétons. De nombreuses solutions
basées sur la prévention c'est-à-dire sur la mise en œuvre de moyens
permettant d’éviter l’accident sont également encourageantes. Des propositions
alternatives de la part des constructeurs automobiles tendent en effet à montrer
que les dispositions de sécurité active seraient aussi efficaces que les capots
actifs par exemple. Parmi ces systèmes, on citera notamment l’assistance au
freinage d’urgence (AFU) qui permet au minimum de réduire la vitesse
d’impact, les feux de jour, la détection de piéton par caméras intégrées dans le
véhicule, etc. Les évaluations réalisées lors des essais consuméristes
(EuroNCAP, 2009) tiennent d’ailleurs compte des aides à la conduite et des
systèmes technologiques de sécurité active disponibles sur les véhicules.
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Analyser les comportements
pour lutter contre l’insécurité
des déplacements piétons
Marion Maestracci
Mairie de Paris, Direction de la voirie et des déplacements, Agence de la
mobilité, section politique générale, Cellule politique de sécurité routière
40 rue du Louvre, 75001 Paris, France
[email protected]
Résumé – Cette étude cherche en tout premier lieu à comprendre comment
des ambiances agissent sur le comportement des piétons dans l’espace public
urbain. En effet, la mobilité des piétons est un enjeu pour la Ville de Paris, d'un
point de vue de la sécurité routière, mais également d'un point de vue politique
avec l'élaboration d'un Plan Piéton, qui se doit d’intégrer de plus en plus ce
mode dans les choix d’aménagement et d’urbanisation du territoire. Cette
approche ergonomique de l'espace public, composée de scénarisation
d'accidents et d'observations in situ des comportements, doit déboucher sur
des mesures opérationnelles (outils d'aide à la décision, retour d'expérience),
mais constitue en même temps une passerelle entre les travaux de recherche
et le savoir-faire des praticiens. Les résultats des premières observations du
comportement des usagers piétons lors des traversées sont prometteurs dans
le sens où l'on remarque une réelle différence de comportement en fonction de
la typologie de l'aménagement et des conditions de trafic. Ces données
permettent de constater que certaines conditions sont défavorables au respect
de la signalisation piétonne comme la réduction de la largeur de traversée, un
faible trafic, ou la présence d'intervalles temporels entre deux flux de véhicules.
Mots-clés : aménagement urbain, piéton, insécurité routière, ambiance
Introduction
L'insécurité routière en France et à Paris
En France, depuis 2002, de nets progrès ont été accomplis en matière de
sécurité routière. Ils profitent à toutes les catégories d’usagers de la route et de
la rue. Mais force est de constater que les résultats 2007 marquent le pas en
enregistrant une augmentation du nombre de blessés (+1,1 %), et notamment
du nombre de piétons impliqués et blessés dans un accident de la circulation.
La situation parisienne suit les mêmes tendances : le nombre d’accidents
corporels de la circulation a chuté de 30 % entre 1999 et 2004, mais a
© Les collections de l’INRETS
189
Accidentologie du piéton
enregistré une augmentation de 15 % entre 2004 et 2008. Mais en parallèle,
l’accidentalité a fait des progrès considérables puisque le nombre d’usagers
tués a chuté de 56 % entre 2001 (114) et 2008 (51) alors que le nombre de
déplacements journaliers intéressant Paris reste colossal : 10,5 millions selon la
12
dernière enquête EGT de 2001, un déplacement sur deux se faisant à pied.
L'insécurité routière des piétons à Paris
Bien que le nombre d’accidents survenus sur le territoire parisien ait
augmenté ces dernières années, on constate une diminution de la part de
l’implication des piétons (de 28,1 % en 2004 à 23,9 % en 2008). Mais la part
des piétons dans les usagers tués est quant à elle passée de 32,7 % en 2004 à
53,2 % en 2008 (16 piétons tués en 2004, 29 en 2008). Les piétons
représentent donc entre un tiers et la moitié des tués selon les années, pour un
quart seulement des usagers impliqués dans un accident de la circulation.
La gravité de l'accidentalité piétonne parisienne
En 5 ans, à Paris, 10035 piétons ont été impliqués dans 10017 accidents de
la circulation, ce qui correspond à un accident sur quatre (39294 accidents tous
13
usagers confondus). Ces accidents ont fait, chez les piétons, 110 tués et 1213
blessés hospitalisés. Seulement 115 s'en sont sortis indemnes. L'indice de
14
gravité calculé pour les piétons sur l'ensemble de Paris est de 13,2, ce qui
correspond presque au double de celui calculé pour tous les autres modes
confondus : 6,8 ; mais s’explique en partie par la grande vulnérabilité des
piétons, et notamment des piétons âgés surreprésentés dans les accidents
mortels.
Le présumé responsable
L'analyse de l'accidentalité piétonne 2004-2008 sur l'ensemble des voiries
parisiennes montre que, sur la totalité des accidents impliquant au moins un
piéton, ces derniers ont été considérés comme responsables par les forces de
police dans 58,4 % des cas. Les deux infractions les plus fréquemment
relevées sont la traversée irrégulière de la chaussée par un piéton (54,9 % des
accidents) et le refus de priorité par un conducteur de véhicule à un piéton
régulièrement engagé dans la traversée d’une chaussée (23,2 % - dont 66,6 %
imputables à des conducteurs de véhicules légers et 26,3 % à des usagers de
deux-roues motorisés).
12
Enquête Générale des Transports réalisée en 2001 par l’INSEE.
Depuis le 1er janvier 2005, la définition de la gravité des accidents corporels de la circulation a
évolué :
- avant 2005, était considéré comme blessé léger tout usager hospitalisé moins de 6 jours, blessé
grave tout usager hospitalisé 6 jours et plus, et tué tout usager décédé dans les 6 jours suivant
l'accident ;
- depuis le 1er janvier 2005, est considéré comme blessé non hospitalisé (ou léger) tout usager non
hospitalisé ou hospitalisé moins de 24 heures, blessé hospitalisé (ou grave) tout usager hospitalisé
24 heures et plus, et tué tout usager décédé dans les 30 jours suivant l'accident.
14
La définition retenue pour l'indice de gravité est le nombre de tués et de blessés
hospitalisés/graves pour 100 accidents.
13
190
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
La répartition spatio-temporelle des accidents
Les accidents corporels de la circulation impliquant au moins un piéton à
Paris se concentrent assez logiquement autour des pôles de transports, des
grandes places animées et des axes commerçants La représentation spatiale
de ces accidents permet de reconstruire le réseau des voies principales, tandis
qu’une analyse chronotopique de cette distribution (figure 1) montre que la
temporalité de ces accidents recoupe les rythmes urbains.
Figure 1. Évolution du nombre d'accidents impliquant au moins un piéton
en fonction de l'heure et du type de jour (Paris 2004-2008)
800
600
399
400
200
531 488 517 527 498 490 566
655
750 714
548
349
181 123
102
160
71
45
33
19
6
18
52
00
01
02
03
04
05
06
07
08
09
10
21
22
23
47
44
54
29
37
33
19
15
35
53
200 169 155
141 141 165 169 167
126
79 119
65
60
53
00
01
02
03
04
05
06
07
08
09
10
22
23
0
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
800
600
400
200
0
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
Source : tableau de bord Concerto – extraction de la base de données des accidents corporels de
la circulation à Paris
Les enjeux du partage de l'espace public
L’analyse ci-dessus montre que l’usager piéton est un enjeu pour la Mairie
de Paris, comme pour l'ensemble des zones urbaines. En effet, près de troisquarts des piétons accidentés le sont en ville. Les moyens pour remédier à la
survenue de ces accidents mobilisent une large gamme d’interventions au
niveau réglementaire, en renforçant le contrôle-sanction, en travaillant sur
l’aménagement urbain ou en renforçant et ciblant davantage les campagnes de
communication. Pour les usagers vulnérables, un meilleur partage de la voirie
urbaine peut contribuer au renforcement de la sécurité des déplacements.
Ce partage implique un changement profond de notre vision de l’espace
public, qui se traduit notamment par le passage d’une logique routière à une
logique piéton, et par la redéfinition des usages et des espaces en ville.
L’espace public urbain doit alors être conçu et perçu du point de vue de
l’usager, afin de s’adapter au mieux à ses besoins.
Méthodologie
L'origine d'une telle démarche
L’objectif de cette étude est d'identifier les effets des aménagements les plus
courants (aménagement des traversées piétonnes, gestion des feux de
© Les collections de l’INRETS
191
Accidentologie du piéton
circulation, files de circulation, etc.) sur le comportement des usagers et de
réfléchir à comment les concevoir afin d’orienter l’usager, et notamment
l’usager piéton, vers un comportement de déplacement plus sécuritaire pour lui,
et pour les autres usagers. Le recensement des comportements de traversée
pratiqués par les piétons a pour but d’expliquer la typologie des accidents
scénarisés.
La principale cause de la diminution du nombre des accidents, et ce dans
tous les pays, est la mise en place d'une politique de contrôle-sanction efficace.
En France, les effets de l'implantation des radars automatiques sur nos routes
sont remarquables. Si cette politique de répression fonctionne envers les
véhicules, et notamment les véhicules motorisés, elle se révèle inefficace
envers les usagers piétons. En effet, le seul outil à disposition des forces de
police est une amende à 4 euros pour non-respect de l'article R. 412-34 du
Code de la Route qui régit la circulation des piétons et assimilés piétons. Par
exemple, un piéton qui traverse à moins de 50 mètres d'un passage-piétons ou
sur un passage-piétons au rouge piétons est verbalisable.
Malheureusement, l'observation des comportements des usagers piétons
montre bien que ces règles sont peu ou pas respectées, c'est pourquoi il est
essentiel de comprendre l'usage réel qui est fait de l’aménagement, pourquoi
les usagers piétons prennent des risques, ceci afin de concevoir une
infrastructure « pardonnante », qui tiendra compte de ces comportements
déviants et incitera, sans qu'il ne s'en rende compte, le piéton à adopter un
comportement plus sécuritaire, pour lui, et pour les autres type d'usagers.
La démarche ergonomique
Aujourd’hui, la base de la conception d'un aménagement urbain est la
gestion des flux de circulation des différents usagers afin de limiter les risques
de conflits. Mais l'offre qu’apporte l'aménagement à l’usager en terme de
mobilité spatio-temporelle ne correspond pas forcément à ses besoins. Cet
écart entre le réel et le prescrit va induire une faille dans la sécurité de
l'environnement et parfois conduire à l'accident (Reason, 1990). Il est alors
essentiel d'appréhender les stratégies de déplacement des usagers et leurs
motivations afin de comprendre pourquoi tel type d'accident survient. Tous ces
critères sont analysés dans une approche intégrative afin de permettre de bâtir
des diagnostics sur l’espace public. L'identification des dysfonctionnements
révélés par l’insécurité routière est ensuite réalisée en comparant les
informations obtenues lors de l’analyse des accidents avec les conflits d’usage.
De ce fait, l’espace public est appréhendé à la fois par l’ingénieur urbain et par
l'ergonome. La mise en évidence des dysfonctionnements conduisant à
l’insécurité routière est obtenue par la pratique de deux approches
complémentaires. La première concerne les comportements des usagers
observés sur le terrain. Elle s'appuie sur des observations quantitatives et
qualitatives des comportements des usagers piétons et sur des enquêtes
permettant d'identifier les prises de risque et l'adéquation entre aménagement
et pratiques. La seconde concerne les accidents corporels. Elle s'appuie sur
une méthodologie de scénarisation d’accidents inspirée du travail de l'INRETS
(Brénac et al., 2003 ; Clabaux, 2005) et adaptée aux problématiques de la Ville
192
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
de Paris. Ces deux approches se complètent pour évaluer la pertinence de
l'aménagement eu égard aux comportements et à l'accidentalité. Elles
permettent de mettre en parallèle les besoins des usagers via leur pratique de
l’aménagement avec la règle prescrite par celui-ci afin d’identifier les
dysfonctionnements conduisant à l’accident.
La démarche ergonomique proposée ici a pour objectif de répondre aux
besoins réels de déplacement des piétons en allégeant la charge de travail
allouée à la tâche de déplacement, ceci afin d’accroître leur vigilance, et donc a
priori leur sécurité. En parallèle, les accidents sont scénarisés, puis mis en
relation avec la situation actuelle appréhendée par l’observation des
comportements. Cette mise en parallèle permet de formuler des hypothèses
quant à la relation aménagement/comportement/accident puis des recommandations en vue de mesures d’optimisation de l’aménagement. L’idée est de
rendre le cheminement piéton le plus intuitif possible de façon à ce que la règle
soit respectée de façon inconsciente. La règle étant supposée la plus
sécuritaire.
L’observation des comportements
Les études d’accidentalité menées sur le territoire parisien révèlent d’une
part que le piéton a une forte responsabilité lors d’accidents survenant hors
passage piétons ou sur passage piétons alors que la figurine piéton est rouge,
et d’autre part que les accidents impliquant des piétons se produisent dans des
zones à fort trafic (réseau primaire). Trois grandes notions, en accord avec
l’analyse de l’accidentologie et la politique de sécurité routière de la Ville de
Paris, ont donc été retenues : le respect de la règle par le piéton lors de sa
traversée, l'usage réel qui est fait de l'aménagement, et l’importance des flux de
véhicules. En parallèle, chaque site étudié est décrit en fonction notamment de
sa typologie et du pourcentage de temps circulé (présence d’un intervalle
temporel entre deux flux de véhicules). Ces trois notions seront analysées à
l’aide de la grille d’observation mise au point par l'équipe chargée de la politique
de sécurité routière à la Mairie de Paris et qui a fait l'objet d'une
expérimentation-évaluation dans le cadre du programme national « Une voirie
pour tous ».
Le respect de la règle
La crédibilité d'un aménagement, et dans ce cas précis d'un passage
piétons équipé de feux de signalisation, peut être évaluée par le respect des
règles de traversée. Pour ce faire, un observateur a relevé le nombre de
piétons traversant au vert piétons, et celui traversant au rouge piétons à chaque
cycle de feux. Un pourcentage de respect de la règle équivalent au nombre de
piétons ayant traversé sur le passage piétons au vert piétons divisé par le
nombre de piétons ayant traversé le passage piétons, quelle que soit la couleur
du feu, est calculé et attribué à la typologie du site. 32,5 % (3247) des accidents
impliquant au moins un piétons entre 2004 et 2008 se sont produits sur un
passage équipé de feux, et dans 45,1 % (1464) des ces accidents, le piéton a
été présumé responsable, ce qui correspond à 14,7 % de l’ensemble des
accidents impliquant au moins un piéton survenus durant cette période.
© Les collections de l’INRETS
193
Accidentologie du piéton
Lors du comptage des piétons traversant au feu rouge piétons, l'observateur
qualifie la prise de risque à l’aide de deux variables : la vitesse de déplacement
de l'usager piéton (marche ou court) et la densité du trafic (nul, fluide, saturé).
Le taux d’irrespect de la règle est comparé au taux d’accidents découlant de
ce comportement afin de voir si le fait de traverser sur le passage piétons au
feu rouge piétons est une adaptation sécuritaire de la règle, ou si au contraire,
elle est la cause d’accidents. Dans les deux cas, l’aménagement doit être
repensé pour se rapprocher au plus près de l’usage qui en est fait.
L’usage réel de l’aménagement
Sur certaines places parisiennes, on recense des accidents survenus en
dehors des passages piétons, et sur place, on constate qu’une part importante
des piétons traverse hors des passages piétons. Cela démontre l’existence d’un
écart entre la prescription de l’aménagement dédié aux piétons et le besoin réel
qu’ils en ont. En effet, entre 2004 et 2008, 10,1 % (1011) des accidents
impliquant au moins un piéton se sont produits alors que le piéton traversait à
plus de 50 mètres du passage, et 34,2 % (3411) à moins de 50 mètres.
Afin donc de comprendre ces besoins réels de déplacement, il est essentiel
d'observer les cheminements piétonniers sur l'ensemble du site étudié. Pour
cela, l’observateur trace sur le plan du site les trajectoires empruntées par les
piétons. Pour chacune des ses trajectoires, il est intéressant de noter
également l'éventualité d'une prise de risque lors de la traversée sauvage du
piéton. Cette prise de risque pourra être qualifiée, comme lors de la traversée
sur passage piétons, à l'aide des deux variables : vitesse de déplacement
automobile et densité du trafic.
Comme pour le taux de respect de la règle, ces cheminements sont
comparés à la localisation précise des accidents survenant sur le site.
Les scénarios d'accident
A l'aide des informations fournies par les forces de police, la Mairie de Paris
est capable de scénariser les accidents qui se produisent sur son territoire et de
les regrouper. Ces scénarios s’inspirent de la méthode INRETS (Brénac et al.,
2003 ; Clabaux, 2005) réduite aux éléments disponibles dans les procès
verbaux d’accidents. L’inconvénient majeur résulte en la perte d’information
dans le séquencement de l’accident, mais en contrepartie les procès verbaux
parisiens sont « normalisés » et homogènes en qualité.
Les scénarios d’accidents ont été conçus pour répondre à la problématique
parisienne, c’est à dire à partir de la manœuvre effectuée par l’usager au moment
de l’accident : le véhicule a tourné à gauche, le piéton traversait hors passage
piétons, etc. Ces scénarios permettent, entre autres, de mettre en évidence : un
dysfonctionnement de l’aménagement (mauvaise visibilité d’un feu tricolore) ; un
problème comportemental récurrent (absence de clignotant pour signaler un
changement de direction) ; ou encore un problème comportemental résultant de
l’aménagement (opportunité pour un 2RM d’emprunter une voie de bus à
contresens pour dépasser plus facilement les files de circulation générale, voie à
faible trafic qui incite une traversée à tout moment, etc.).
194
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
Effets potentiels de l’aménagement
Divers effets de l'aménagement sur les comportements et les stratégies de
traversée des usagers piétons ont déjà été mis en exergue. L'objectif de cette
étude est d'observer ces comportements sur le territoire parisien.
Effets intéressants relevés dans la littérature
Tiwari et al. (2007) ont démontré que les piétons n'aiment pas attendre trop
longtemps pour traverser la rue. Et que plus le temps d'attente avant de
traverser augmente, plus ils deviennent impatients et ne respectent plus la
règle. Cette déviance augmente de ce fait la probabilité de survenue de
l'accident. Ce phénomène est également observé sur le territoire parisien sur
les zones de fort trafic de véhicules où les piétons ont l’impression que le temps
de vert est très court. Cela conduit à des accidents de type « traversée sur
passage piétons au rouge piétons ».
Oxley et al. (2005) ont montré que le choix de l'intervalle temporel de
traversée se base davantage sur la distance du véhicule plutôt que sur le temps
d'arrivée de celui-ci. Ce résultat pourrait en partie expliquer la plupart des
accidents impliquant au moins un piéton et un deux-roues motorisé. Le piéton
pense avoir le temps de traverser, mais du fait de la taille angulaire et de la
forme du deux-roues motorisé, sa perception est faussée et le deux-roues
motorisé semble plus loin qu'il n'est en réalité.
Premiers effets observés à Paris
L'effet de la largeur de traversée
L'analyse de l'accidentologie suite au réaménagement de certains axes
parisiens en favorisant la réduction des grandes largeurs de traversées ou en
séquençant ces traversées par des refuges a montré une augmentation
significative du nombre d'accidents de type traversée sur passage piétons au
feu rouge piétons. Les observations de terrain ont montré un plus important
irrespect de la règle sur ces traversées. Ces résultats semblent montrer que
plus la largeur de traversée est courte, plus l'usager piéton sait qu'il mettra peu
de temps à traverser et donc prendra davantage de risque. En effet, on observe
à Paris que les traversées de 14 mètres, dans des conditions comparables de
trafic, sont respectées par seulement deux tiers des piétons. En revanche, sur
les traversées de 27 mètres, 9 piétons sur 10 traversent lorsque la figurine
piéton est verte (les 10 % restants traversent pendant le temps de dégagement
piétons, donc au feu tricolore encore rouge).
L'effet du trafic et de la position de la traversée
Sur les avenues à fort trafic, peu de traversées sauvages sont observées
lorsque le trafic est fluide alors que celles-ci sont fréquentes en situation de
congestion. En effet, on peut supposer que, en situation de congestion, les
véhicules roulant moins vite, les piétons pensent qu'ils auront le temps de
s'arrêter donc ils traversent et prennent plus de risques.
© Les collections de l’INRETS
195
Accidentologie du piéton
Parfois, les flux de véhicules et/ou la gestion des cycles de feux fait qu'il y a
des « trous » dans le flux de circulation. C'est à ce moment que l'on observe le
plus de traversées au feu rouges piétons. Ce phénomène se remarque d'autant
plus que l'on se trouve en sortie de carrefour, et qu'il y a du monde en attente
de traversée (effet de foule). Par exemple, sur un même aménagement, les
observations des usagers piétons sur les passages piétons en entrée et en
sortie de carrefour indiquent un taux de respect de la signalisation piétonne de,
respectivement, 88 % contre 69 %. Cette différence peut s'expliquer par une
discontinuité des flux de circulation puisque ces mêmes observations indiquent
que 4 % des usagers qui ont traversé en entrée de carrefour ont réalisé leur
traversée alors que le trafic était nul, contre 19 % en sortie de carrefour.
Plusieurs études ont montré que ces comportements étaient le plus souvent
reliés à des accidents de type « traversée sur passage piétons au rouge
piétons », dans des conditions de forte pression piétonne.
L'effet de la voie de bus avec séparateur physique
Comme expliqué précédemment, dès qu'il y a un vide dans le trafic, le
piéton en profite pour s'engager. Ce phénomène est observé en présence de
voies de bus avec séparateur physique. En effet, il a été observé que le piéton
utilisait cet espace comme un refuge pour effectuer sa traversée en deux
temps. Refuge qu'il quittera le plus rapidement possible, comme l'ont démontré
Carstern et al. (1998), ainsi que de Hamed (2001). Ce qui pose un problème en
termes de sécurité, le piéton se retrouvant sur la chaussée, au milieu des flux
de véhicules. De plus, cette voie étant moins circulée, le piéton a tendance à la
traverser quelle que soit la couleur du feu piéton.
L'observation des comportements de traversée sur des passages piétons
traversant plusieurs files de circulation en sens unique et un site propre bus ont
montré deux types de résultats :
−
Sur une traversée en section courante, le sens de traversée (voie de bus
en premier ou en deuxième) influe sur le respect de la règle. Dans le cas
où les piétons traversent d'abord les files de circulation générale, ils sont
79 % à respecter la signalisation piétonne. Dans le cas contraire (traversée
de la voie de bus en premier), ils ne sont plus que 74 %, et 3 % d'entre eux
effectuent des traversées en courant alors que le trafic est fluide.
−
Sur un autre site ayant la même typologie mais se trouvant en entrée de
carrefour, il a été observé que seulement 44 % des usagers piétons
respectaient la signalisation piétonne, 27 % traversaient en situation de
trafic nul, et 22 % trouvaient refuge au bout et sur la voie de bus. 10 %
des ces piétons se sont retrouvés au cœur d'un presqu'accident.
L'effet de l’usage des transports en commun
L'observation des comportements de traversée des usagers piétons aux
abords des stations du tramway des Maréchaux Sud montre un taux de respect
de la signalisation piétonne d'environ 80 % lorsqu'il n'y a pas de tramway à
l'approche, mais celui-ci chute à 50 % lorsqu'un tramway est à l'approche.
L'analyse des procès verbaux d'accidents impliquant au moins un piéton a
196
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
indiqué une part non négligeable d'accidents (1 sur 5) dus à une précipitation
dans la recherche du bus ou du tramway et de ce fait une traversée irrégulière
de la chaussée avec prise de risque. Des investigations sont menées
actuellement sur cette problématique de sécurisation des pôles d’intermodalité.
L’étude de la place Charles Garnier (Paris 9e)
La description du site
La place Charles Garnier (fig. 2) est un carrefour en croix comportant quatre
traversées, toutes équipées de signalisation, typologiquement très différents :
−
la traversée Nord se situe en entrée de carrefour ;
−
la traversée Est se situe en sortie de carrefour pour les files de circulation
générales mais en entrée de carrefour pour le couloir de bus qui est donc à
contresens ;
−
la traversée Sud se trouve en sotie de carrefour avec un flux de véhicules
constant (deux voies s’y déversent) ;
−
la traversée Ouest se trouve en entrée de carrefour pour les files de
circulation générale mais en sortie pour le couloir de bus à contresens,
ce qui implique un temps de dégagement pour le bus alors que les
véhicules provenant de la file de circulation générale sont déjà arrêtés.
e
Figure 2. Plan de la place Charles Garnier (Paris 9 )
Source : Plan de voirie – Ville de Paris
Ce site est très touristique puisqu’il jouxte l’opéra Garnier et les Grands
Magasins. C’est également une zone de transit multimodale avec des
correspondances bus et RER, mais surtout le terminus du Roissy Bus.
© Les collections de l’INRETS
197
Accidentologie du piéton
L’observation des comportements de traversée
L’observation des comportements sur cette place se limite au respect de la
règle car aucun piéton n’a été vu traverser la place de part en part hors aménagement durant les phases d’observation. Ce qui est parfois observé, c’est un
éloignement du passage-piétons en fin de traversée pour réduire les distances.
Le respect de la règle
Un observateur a compté, pendant environ une heure (50 cycles de feux), le
nombre de piétons traversant, dans un seul sens de traversée, en fonction de la
couleur de la figurine piétons (tableau 1).
Tableau 1. Respect de la signalisation lumineuse des passages piétons
e
sis place Charles Garnier (Paris 9 )
Traversée
Vert piétons
Rouge piétons
Taux de respect (%)
Nord : d’ouest en est
1328
174
88,4
Est : du nord vers le sud
659
412
61,5
Sud : d’est en ouest
1040
453
69,7
Ouest : du nord vers le sud
1256
577
68,5
Source : Mairie de Paris
Cette variation du taux de respect s’explique par les spécificités typologiques
de chacune des traversées.
Les spécificités des traversées
Outre des taux de respect différents d’une traversée à l’autre (Chi²ddl=3 =
276,68, p < 0,001), les observations de terrain montrent des spécificités dans
les situations de traversée au rouge piétons en fonction de la traversée
aménagée empruntée :
−
Sur la traversée Nord : 70,7 % (123) des piétons qui traversent au rouge
le font alors que les véhicules sont arrêtés au feu, ou qu’il n’y a aucun
véhicule en approche (4 piétons ont traversé devant un bus en courant).
−
Sur la traversée Est : 32,0 % (132) des piétons qui traversent au rouge
effectuent une traversée en deux temps en utilisant le bout de la voie de
bus comme refuge, et 10 % (41) traversent pendant le temps de
dégagement des véhicules.
−
Sur la traversée Sud : 9,5 % (43) des piétons qui traversent au rouge en
courant face à des véhicules tournant, les autres traversent en marchant
alors qu’aucun véhicule n’est à l’approche.
−
Sur la traversée Ouest : 53,9 % (311) des piétons traversent au rouge dès
que le feu tricolore passe au rouge, c’est-à-dire pendant le temps de
dégagement de la voie de bus à contresens. 25,0 % (144) effectuent une
traversée en deux temps en utilisant le bout de la voie de bus comme
refuge et attendent que le trafic devienne nul pour terminer leur traversée.
198
© Les collections de l’INRETS
Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?
Lorsqu’on observe plus attentivement les prises d’information des piétons
traversant pendant les temps de dégagement, on s’aperçoit que, ceux qui
traversent à l’est traversent dès que les véhicules sont arrêtés en amont du
passage ouest, et ceux qui traversent à l’ouest regardent uniquement vers
l’ouest et traversent dès que le feux tricolore passe au rouge, mais ils en
oublient le temps de dégagement du bus qui arrive à contresens et ne
regardent surtout pas dans sa direction. Cela indique un dysfonctionnement
pouvant conduire à l’accident puisque le piéton n’a pas l’idée de regarder si de
la circulation provient du couloir bus à contresens.
Les scénarios d’accident
L’analyse des sept accidents s’étant produit au cours des cinq dernières
années sur ce site révèle qu’ils se sont tous produits au même endroit : dans la
voie de bus à contresens de la traversée Ouest, et de la même façon : le piéton
a traversé en regardant uniquement dans la direction des voitures au moment
ou le feu tricolore passait au rouge. Ils impliquent cinq bus et deux taxis,
véhicules autorisés à circuler dans cette voie.
Conclusions
L’hypothèse énoncée suite à l’observation des comportements a été validée
par la scénarisation des accidents s’étant produits sur ce site. Ces accidents
sont directement imputables à une mauvaise lisibilité de l’aménagement face à
une forte pression piétonne. Il est intéressant de noter que trois des sept
piétons impliqués étaient des touristes étrangers et trois avaient plus de 75 ans.
Discussion
Premières conclusions
Les premiers résultats sont encourageants car ils permettent de mettre en
relation les comportements des usagers en fonction des caractéristiques de
l’aménagement avec les scénarios d’accidents que l’on a identifié sur ces
mêmes aménagements. L’aménagement a vraiment un effet sur l’insécurité
routière, dans un sens positif ou négatif. Même si seuls des effets négatifs ont
été discutés dans cette étude, des effets positifs ont été observés sur le
territoire parisien et l’objectif de cette étude est d’identifier les aménagements
favorisant la sécurité routière.
Applications/perspectives
L’objectif de ce travail est de comprendre dans quelle mesure des
aménagements urbains et de voirie sont susceptibles de sécuriser l’espace public
en limitant les comportements dangereux des différents usagers tout en
permettant leur aisance dans la rue. Cette étude permettra de créer des outils
d’aide à la décision à destination des aménageurs de l’espace public. Aujourd’hui,
rien ne permet de présupposer les comportements des usagers face à un nouvel
aménagement, et par conséquence d’anticiper de nouveaux scénarios
© Les collections de l’INRETS
199
Accidentologie du piéton
d’accidents non attendus. Demain, il faut que les aménageurs puissent se dire :
« Je sais que tel aménagement peut conduire à tels comportements et à tels
scénarios d’accidents. Je peux donc imaginer les conflits et scénarios que je vais
solutionner, mais aussi ceux que je vais probablement créer. »
Critique de la méthode et de la portée des résultats
La méthodologie d'observation permet de comparer les sites parisiens les
plus fréquentés par les piétons en termes de compréhension des
aménagements et d’appropriation des règles d'exploitation de la voirie, ainsi
qu’en termes de confort et de prise de risque. Elle doit être complétée par une
enquête auprès des usagers empruntant les sites d’étude portant sur les
indices choisis pour prendre la décision de traverser.
90 % des accidents impliquant au moins un piéton à Paris peuvent être
scénarisés à l'aide d'une dizaine de scénarios d'accident. Les observations in situ
permettent de comprendre au moins partiellement pourquoi ces accidents
surviennent.
Une des principales limites de cette méthode est qu’un aménagement, même
s’il se révèle parfaitement sécuritaire et adapté à un endroit, ne le sera peut être
pas quelques centaines de mètres plus loin du fait de la présence d’un trafic,
d’une population, d’une urbanisation différents. Tout nouvel aménagement devra
alors être évalué par une analyse comparative avant-après des comportements
et de l'accidentologie afin de créer un retour d'expérience suffisamment
conséquent et pertinent à l'usage.
Références
Brenac T., Nachtergaële C. et Reigner H. (2003). Scénarios types d’accidents
impliquant des piétons et éléments pour leur prévention. Rapport
INRETS n° 256 . Arcueil: INRETS. 201 p.
Carsten, O.M.J., Sherbone, D.J., & Rothengatter, J.A. (1998). Intelligent traffic
signals for pedestrians: Evaluation of trials in three countries.
Transportation Research Part C, 6, 213-229.
Clabaux N. (2005) Scénarios Types d'accidents de la circulation urbaine,
n'impliquant pas de piétons. Rapport INRETS/RE-06-919-FR. Arcueil:
INRETS. 132 p.
Hamed, M.M. (2001) Analysis of pedestrians' behavior at pedestrian crossings.
Safety Science, 38(1), 63-82.
Oxley, J.A., Ihsen, E., Fildes, B.N., Charlton, J.L., & Day, R.H. (2005). Crossing
roads safely: An experimental study of age differences in gap selections
by pedestrians. Accident Analysis and Prevention, 37, 962-971.
Tiwari, G., Bangdiwala, S., Saraswat, A., & Gaurav, S. (2007). Survival
analysis: Pedestrian risk exposure at signalized intersections.
Transportation Research Part F, 10, 77-89.
Reason, J. (1990). Human error. Cambridge, Cambridge University Press.
200
© Les collections de l’INRETS
Partie 4
Enfant piéton :
développement et éducation
Grandir comme piéton :
la relation enfant-quartier
Juan Torres
Institut d’urbanisme, Université de Montréal
CP 6128, Succursale Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7, Canada
[email protected]
Résumé – L’article porte sur la relation entre la marche et la perception du
quartier chez les enfants. La marche est considérée comme expression d’une
mobilité autonome, importante pour le développement des enfants, alors que
l’aménagement basé sur le transport motorisé et le contrôle parental limitent une
telle autonomie. L’article prend appui sur deux expériences de recherche-action
menées dans le cadre du programme Grandir en ville (Unesco) avec des jeunes
de 8 à 16 ans dans deux quartiers : à Montréal (Canada, 20 enfants) et à
Guadalajara (Mexique, 27 enfants). Lors de ces expériences, les enfants ont
participé à diverses activités : réalisation de désins du quartier, interviews,
balades commentées dans le quartier, prise des photos des lieux significatifs,
charrettes d’amnagement, etc. L’information recueillie à travers ces activités a fait
l’objet d’une analyse qualitative qui a mené à la conception d’un modèle dans
lequel la mobilité et l’expérience environnementale de l’enfant sont interdépendantes. La diversité des lieux accessibles à pied et la possibilité de rencontrer
des pairs sont deux qualités que les enfants valorisent. La marche permet aux
enfants non seulement d’utiliser, mais aussi de façonner leur quartier, faisant de
l’espace public un lieu animé et attractif pour d’autres jeunes.
Mots-clés : enfant, quartier, marche, perception
Introduction
Observé dans plusieurs pays, le déclin de la marche pour les trajets des
enfants (notamment entre le domicile et l’école) incarne une tendance vers la
motorisation du transport, y compris pour des destinations traditionnellement
considérées « de proximité », au sein du quartier. Derrière ce déclin il y a une
manière d’occuper le territoire marquée par la dispersion (faible densité), la
ségrégation des activités (séparation des zones résidentielles, commerciales,
etc.) et la discontinuité de la trame de rues, qui se traduisent par l’augmentation
des distances. Cette organisation territoriale, rendue possible par la motorisation
du transport, rend à son tour indispensable l’automobile (Dupuy, 2006).
L’impact de la dépendance à l’automobile sur la vie des enfants est majeur,
puisqu’elle les rend captifs dans un milieu où ils sont de moins en moins
autonomes, c’est-à-dire où leur mobilité dépend des parents. Une littérature
© Les collections de l’INRETS
203
Enfant piéton : développement et éducation
abondante porte sur les pratiques de mobilité des enfants et les liens entre les
caractéristiques physico-spatiales de leur milieu de vie, le contrôle parental et le
choix modal lors des trajets quotidiens (McMillan, 2005 ; Pont, 2009). Toutefois,
peu de travaux se penchent sur la manière dont les enfants perçoivent le milieu
où ils se déplacent et leur propre mobilité. La question mérite d’être posée car
les enfants, loin d’être passifs, jouent un rôle actif dans leur milieu (James et al.,
1998) : si leur mobilité est largement contrôlée par leurs parents, il n’en
demeure pas moins qu’ils ont une influence sur la manière dont les adultes
perçoivent leur quartier, la mobilité et l’idée même d’enfance.
Le présent article porte sur la manière dont les enfants pratiquent et
perçoivent leur quartier et sur la manière dont ceci se reflète dans leurs
pratiques au plan de la mobilité, notamment à l’égard de la marche. Il prend
appui sur deux expériences de recherche-action menées à Guadalajara
(Mexique) et à Montréal (Canada) en 2005, dans le cadre du programme
international de recherche-action Grandir en Ville, de l’Unesco. L’analyse
qualitative de l’information recueillie lors de ces deux expériences participatives
permet la formulation d’un modèle conceptuel. D’après ce modèle, les pratiques
des enfants en tant que piétons et leur perception du quartier constituent les
deux côtés d’une médaille, réciproquement liés. L’article permet d’exposer les
caractéristiques principales de ce modèle et ses implications au plan de
l’aménagement des quartiers.
La marche chez les enfants
Mobilité et autonomie
La mobilité autonome des enfants, soit celle qui comporte les déplacements
qu’ils peuvent effectuer seuls, passe par des modes comme la marche et le
vélo. Marcheurs et cyclistes par excellence, les enfants sont très sensibles aux
conditions de leur milieu et en particulier aux conditions de l’espace public
(Borja and Muxi, 2003). C’est dans ce sens que, pour certains, l’aménagement
d’environnements favorables au transport actif a des répercussions plus
importantes chez les enfants que chez les adultes (Gilbert and O’Brien, 2005).
Or, les enfants sont rarement considérés, et encore moins impliqués, dans le
processus d’aménagement de leurs milieux de vie. Ils sont généralement limités
dans leur mobilité par des environnements et par des politiques de
déplacement qui répondent aux besoins, aux habitudes et aux moyens des
adultes et, particulièrement, des adultes motorisés (Commission européenne,
2002 ; Sutton and Kemp, 2002).
L’aménagement basé sur la voiture comme mode principal de déplacement
nous oblige à réviser le sens de la notion traditionnelle de « proximité » : on
constate l’allongement des distances vers les destinations quotidiennes en plus
d’une inadéquation fréquente des aménagements consacrés aux piétons, ce
qui décourage l’autonomie des enfants au plan de la mobilité (Gilbert and
O’Brien, 2005). Ceci étant dit, la motorisation de la mobilité des enfants ne
concerne pas uniquement les destinations éloignées : on l’observe aussi de
plus en plus lors des trajets de moins d’1,6 km, soit des distances à la portée
des enfants piétons (McMillan, 2005). L’influence des parents y est pour
204
© Les collections de l’INRETS
Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier
beaucoup : ce sont eux qui détiennent le contrôle sur les trajets et sur les
modes de déplacement des enfants. Ce contrôle est tributaire de nombreuses
préoccupations à l’égard notamment de la circulation et du risque d’agression,
ainsi que de la maturité des jeunes et de la gestion des horaires du ménage
(Hillman, 1999 ; Timperio et al., 2004).
La perte de mobilité autonome chez les jeunes est, dans certains cas,
compensée par le « chauffering ». Ce terme fait référence aux déplacements en
voiture que les adultes (généralement les parents) effectuent pour conduire les
enfants vers les lieux où ceux-ci réalisent leurs activités quotidiennes, y compris
l’école (Gärling et al., 2000). Toutefois, loin de contrer la perte de mobilité des
enfants, cette pratique peut la perpétuer et même l’aggraver. En effet, dans un
contexte peu favorable au transport actif et en tant que réponse à la perception
d’insécurité, le chauffering s’avère contreproductif à plusieurs égards : il
provoque une augmentation de la circulation automobile autour des écoles qui
peut se traduire par une perte de convivialité dans la rue, voire par une
augmentation du risque d’accident. Plus encore, le chauffering prive les enfants
d’occasions importantes pour marcher dans leur quartier, qui constitue par
ailleurs un lieu très formateur, au même titre que l’école et la maison (Prezza et
al., 2005).
La marche, tout comme le vélo, permet aux enfants d’exercer une certaine
liberté au moment où ils développent leur autonomie (Kyttä, 2003 ; Merom et
al., 2006). En se déplaçant librement dans leur quartier, les enfants apprennent
à se repérer et à utiliser de manière sécuritaire la voie publique ; ils
s’approprient leur quartier, s’intègrent dans leur communauté et cultivent une
responsabilité envers leur environnement (Davis and Jones, 1996 ; Dixey,
1998 ; Fotel and Thomsen, 2003 ; Rissotto and Tonucci, 2002). De plus, la
marche est valorisée au plan de la santé publique comme une forme d’activité
physique pouvant contribuer à prévenir l’obésité, véritable épidémie qui affecte
de plus en plus de jeunes (OMS, 2006). L’enjeu n’est pas banal car l’obésité
constitue un fardeau social et un facteur de risque de nombreuses maladies qui
font d’elle l’une des principales causes prévisibles de mortalité dans de
nombreux pays industrialisés (Bray, 2004).
Le regard particulier des enfants
Le déplacement peut être considéré comme « […] une variation de la prise
du sujet sur son monde » (Merleau-Ponty, 1945 : 317) ; dans ce sens, la
perception que l’on a d’un milieu peut varier en fonction de la manière dont on
le parcourt. Réciproquement, cette perception se reflète dans la manière dont
on agit dans le milieu, notamment au plan de la mobilité. Dépendants de la
marche et du vélo pour leurs déplacements autonomes, les enfants peuvent
donc avoir une perception propre de leur milieu de vie, différente de celle des
adultes motorisés. Prendre en considération ce regard particulier s’avère
essentiel pour l’aménagement de milieux adaptés aux capacités et aux
expectatives des jeunes.
En participant à l’évaluation et à l’aménagement de leur environnement, les
enfants ont l’opportunité de rendre explicites leurs points de vue. De
nombreuses expériences de recherche et d’aménagement, menées depuis une
© Les collections de l’INRETS
205
Enfant piéton : développement et éducation
quarantaine d’années, montrent que les démarches participatives avec des
enfants peuvent être très fécondes (Frank, 2006 ; Horelli and Kaaja, 2002). Des
pionniers comme Kevin Lynch (1977) ont d’ailleurs constaté que les enfants
sont des observateurs astucieux de leur quartier et que leur créativité peut être
mise au service de leur communauté pour l’aménagement de villes plus
conviviales et plus inclusives.
Aujourd’hui, 20 ans après l’adoption de la Convention relative aux droits de
l’enfant, la participation des jeunes à l’aménagement est reconnue comme un
droit et comme une condition au développement de milieux de vie plus durables
(Nations Unies, 2006). Cependant, les démarches participatives sont toujours
l’exception plutôt que la norme.
Parmi les plus importantes initiatives en matière de participation enfantine,
figure le programme international Grandir en ville (GEV). Initié en 1970 sous
l’égide de l’UNESCO, GEV est un programme international de recherche-action
voué à la création de meilleures villes avec les enfants. Il se base sur la
collaboration d’enfants et d’adultes dans l’évaluation de leurs milieux de vie
ainsi que dans la planification et la réalisation de changements
environnementaux (GUiC, 2006). À date, le programme a été mené dans plus
d’une trentaine de villes de différents pays. À travers ces expériences, on a pu
identifier une consistance à l’égard des facteurs qui, selon les enfants, rendent
leur quartier satisfaisant. Ces facteurs incluent la sécurité et la liberté de
mouvement, l’intégration sociale, la possibilité de réaliser des activités variées
et significatives, l’existence de lieux de rassemblement et une vie
communautaire dynamique (Chawla, 2002).
Les opérations réalisées dans le cadre du programme GEV ont lieu
généralement dans des quartiers défavorisés avec des enfants et des jeunes
adolescents. Elles sont souvent entreprises par des équipes de chercheurs
locaux qui se servent d’un ensemble d’activités participatives de cueillette de
données et de planification. La logique des opérations est la suivante : gagner
la confiance des enfants, découvrir avec eux la manière dont ils perçoivent,
utilisent et imaginent leur environnement, lancer des recommandations aux
décideurs et, dans certains cas, instaurer un processus d’action local pour
transformer le milieu.
En se penchant sur le quartier, et en particulier sur le quartier vécu par les
enfants, ce type de démarche permet donc d’explorer le contexte de mobilité
autonome des enfants. Plus encore, il permet de mieux comprendre l’influence
de la marche et du vélo sur la manière dont les enfants expérimentent leur
milieu de vie.
Les projets Grandir en ville de Montréal
et de Guadalajara
Le présent article prend appui sur une recherche menée à travers deux
opérations inscrites dans le programme GEV. La première a eu lieu à Montréal
(Canada) au printemps 2005 et la deuxième à Guadalajara (Mexique) à
l’automne de la même année. À Montréal, l’opération s’est déroulée sous
206
© Les collections de l’INRETS
Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier
l’égide de la Chaire Unesco en paysage et environnement de l’Université de
Montréal dans le secteur Nord-est de l’arrondissement Montréal-Nord (fig. 1),
un quartier défavorisé de 80 ha comprenant 14 000 habitants. À Guadalajara,
c’est la Chaire Unesco en habitat de l’Université ITESO qui a soutenu
l’opération dans le quartier Díaz Ordaz (fig. 2), un ensemble de logements
sociaux occupant une surface de 13 ha et habité par 5000 personnes.
Tableau 1. Distribution des enfants participants par âge et par sexe
Age
8
9
10
11
12
13
14
15
16
Total
Garçons
Montréal
Filles
Total
2
1
3
1
1
6
3
3
2
7
6
4
1
8
12
20
Guadalajara
Garçons
Filles
1
2
1
5
3
5
4
1
3
1
1
13
14
Total
1
2
6
8
4
1
4
1
27
Au total, 47 enfants (20 à Montréal, 27 à Guadalajara) âgés entre 8 et 16
ans ont participé (tableau 1), collaborant avec des équipes d’étudiants des
universités locales. Le processus a été similaire dans les deux cas : pendant
une période de 10 semaines, les enfants et les étudiants se sont rencontrés
deux fois par semaine (3 heures par rencontre) pour réaliser diverses activités
leur permettant d’évaluer le quartier et de concevoir des changements.
Figure 1. Logement typique du secteur Nord-Est, à Montréal-Nord
Source : Juan Torres, 2007.
© Les collections de l’INRETS
207
Enfant piéton : développement et éducation
Figure 2. Logement typique du quartier Díaz Ordaz, à Guadalajara
Source : Juan Torres, 2007.
Lors de la première activité, les enfants ont dessiné leur quartier sur des
feuilles de papier et expliqué leurs dessins aux étudiants, qui ont enregistré
leurs observations tout au long du processus sur des carnets de bord. Les
enfants ont ensuite été interviewés à l’aide d’un guide semi-directif qui
comportait trois thèmes : le premier concernait les activités des enfants dans le
quartier (lieux, horaires, type d’activité, etc.) ; le deuxième concernait le réseau
social de l’enfant et ses expectatives à court et à long terme par rapport au
quartier (les prévisions pour le quartier, les changements souhaités, etc.) ;
finalement, le troisième thème concernait les déplacements actifs des enfants,
principalement à vélo (les trajets, leur durée, les difficultés rencontrées, etc.).
Ces entrevues ont été enregistrées afin d’être transcrites en détail et analysées
postérieurement. Après les entrevues, les enfants ont joué le rôle de guides lors
de plusieurs tours à pied et à vélo dans leur quartier. Pendant ces tours, ils ont
aussi pris en photo leurs lieux préférés et ceux qu’ils jugeaient problématiques.
Des entrevues ont aussi été menées auprès de quelques adultes à l’aide
d’un guide semi-directif inspiré de celui proposé par Lynch (1977) et repris par
Driskell (2002). Ces entrevues portaient principalement sur la perception au
sujet de l’environnement des enfants et des activités réalisées par les jeunes
dans le quartier. Quatre parents de Montréal et trois de Guadalajara (des mères
dans tous les cas) ont accepté d’être interviewés par les étudiants en dehors de
l’horaire des rencontres avec les enfants. Ces entrevues ont aussi été
enregistrées afin d’être analysées postérieurement.
L’étape suivante, consacrée à la proposition de transformations pour
améliorer le quartier, a pris la forme d’une « charrette d’aménagement ». La
charrette d’aménagement est un processus intensif de conception qui dure
généralement de deux à quatre jours et qui se déroule idéalement dans le site à
208
© Les collections de l’INRETS
Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier
aménager. Pendant son déroulement, les participants ayant des expériences et
des expertises différentes, identifient et examinent les problèmes à résoudre
dans leur communauté et conçoivent ensemble des solutions, c’est-à-dire des
interventions d’aménagement (Watson, 1996).
À Montréal et à Guadalajara, les enfants et les étudiants de chaque site se
sont réunis pendant 4 jours (deux fins de semaine consécutives) dans un local du
quartier pour concevoir ensemble plusieurs projets d’aménagement. Ces projets
ont été représentés à travers des maquettes et des dessins qui ont constitué le
matériel d’une exposition publique à la fin du processus. Habituellement, les
professionnels de l’aménagement participent à ce type d’activité à titre d’experts
en s’occupant principalement de représenter physiquement (à travers des plans,
des maquettes, etc.) les propositions des participants (Lennertz and Lutzenhiser,
2006). À Montréal et à Guadalajara, les enfants et les étudiants ont collaboré à
cette « mise en forme » des propositions. Les enfants avaient ainsi la possibilité
d’exprimer leurs propositions d’aménagement de manière tangible, par exemple
sous la forme de figures en pâte à modeler ou de dessins, et non uniquement de
manière verbale. À travers ces propositions, les enfants rendaient explicite leur
perception à l’égard du quartier et des problèmes qui les affectaient directement.
Pour les participants, la réalisation de ces projets était souhaitée, mais elle
n’était pas attendue. L’objectif principal était plutôt de montrer à la communauté
les idées des jeunes.
L’information recueillie à travers toutes ces activités a fait l’objet d’une
analyse qualitative dont la méthode a été inspirée de l’approche de
théorisation ancrée de Glaser et Strauss (1967 ; Paillé and Mucchielli, 2003).
Dans cette approche, on analyse l’information produite sur différents supports
en vue de concevoir un modèle théorique qui lui donne du sens ;
réciproquement, le modèle théorique émergeant permet d’orienter l’analyse et
la production d’information vers les aspects du phénomène étudié qui
s’avèrent les plus significatifs. Glasser et Strauss appellent ce processus
récursif « theoretical sampling » (échantillonnage théorique) et le définissent
comme « […] the process of data collection for generating theory whereby the
analyst jointly collects, codes, and analyzes his data and decides what data to
collect next and where to find them, in order to develop his theory as it
emerges » (1967, p. 45).
Les données (transcriptions d’entrevues, photographies, dessins, carnets de
bord des étudiants, etc.) ont été codées puis organisées autour de catégories
conceptualisantes, soit de brèves expressions textuelles permettant de
dénommer les phénomènes observés et d’articuler le sens des représentations,
des vécus et des événements consignés (Paillé and Mucchielli, 2003). Les
catégories ont été par la suite mises en relation et intégrées au sein d’un modèle
afin de dégager les multiples dimensions et rapports du phénomène étudié. Le
but de cette démarche de théorisation n’était pas tant de comparer les deux
expériences que de les utiliser comme base pour concevoir un modèle théorique
formel permettant de les interpréter en tant que manifestations du rapport
complexe entre l’enfant et son milieu de vie. Plus précisément, cette analyse a
permis de concevoir un modèle dans lequel la mobilité autonome de l’enfant et
son expérience du quartier sont deux dimensions profondément reliées.
© Les collections de l’INRETS
209
Enfant piéton : développement et éducation
Résultats
La complexe relation enfant-quartier
À travers l’analyse de l’information recueillie lors des deux expériences
GEV, on peut dégager une tension entre deux pôles spatiaux dans le rapport
entre l’enfant et son milieu de vie : l’intérieur (incarné par la maison), et
l’extérieur (faisant référence aux espaces significatifs situés en dehors de la
maison). Dans le modèle ici proposé (fig. 3), ces deux pôles se situent sur l’axe
« spatial », représenté horizontalement. Puis, la signification de ces lieux dans
la perspective des jeunes peut aussi se traduire conceptuellement par une
tension entre, d’une part, un pôle d’attraction (intérêt) et, d’autre part, un pôle
de répulsion (aliénation). Dans le modèle, ces deux pôles se situent sur l’axe
« perceptif », représenté verticalement. Quatre régions ou quadrants émergent
de la juxtaposition de ces deux axes : la maison-refuge, le quartier intéressant,
la maison précaire et le quartier menaçant.
Figure 3. Modèle conceptuel du rapport enfant-quartier
Source : Juan Torres, 2007.
La maison-refuge est une notion qui fait référence à des qualités comme
l’intimité, le contrôle et l’appartenance de l’espace intérieur. La maison est ici
considérée comme un lieu où les enfants se sentent en sécurité et réalisent
diverses activités, bien que le visionnement de la télévision et les jeux vidéo y
prennent une place prépondérante. La cour arrière et d’autres espaces
extérieurs, adjacents au domicile, sont perçus par les enfants comme des
extensions de la maison-refuge. Ces espaces sont particulièrement importants
lorsque le quartier est considéré comme un lieu menaçant.
Le quartier menaçant est une notion liée à quatre éléments environnementaux
négatifs perçus par les enfants : la circulation automobile, l’ennui, la saleté et la
violence. La circulation automobile décourage l’utilisation du quartier, autant par
les dangers auxquels elle est associée que par l’espace qu’elle occupe sur la voie
210
© Les collections de l’INRETS
Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier
publique (y compris le stationnement), et qui autrement pourrait être utilisé pour le
jeu. L’ennui résulte de la rareté d’activités et de lieux diversifiés et accessibles
aux enfants, ainsi que de l’absence de personnes (notamment des pairs) dans
l’espace public. La saleté, quant à elle, constitue un problème très significatif pour
les enfants, dans la mesure où elle projette une image négative de leur
communauté et, par extension, d’eux-mêmes. Enfin, la violence, notamment en
lien avec la présence de gangs de rue, constitue un autre facteur de
découragement pour utiliser l’espace public et en particulier des rues et des parcs
que ces groupes fréquentent et s’approprient symboliquement.
La maison précaire fait référence autant aux caractéristiques physicospatiales du logement qu’aux conditions socio-économiques familiales, toutes
les deux étant étroitement liées. Sur le plan physique, les problèmes du
logement concernent principalement sa densité d’occupation, soit le rapport
entre sa taille, son organisation spatiale et la quantité de personnes qui
l’habitent, qui se traduisent dans certains cas par un manque d’intimité. Sur le
plan socio-économique, la précarité se manifeste souvent en rapport avec la
monoparentalité féminine et à l’absence prolongée des parents en raison des
longues journées de travail et de la durée des déplacements entre le domicile et
les lieux d’emploi.
Finalement, le quartier intéressant est une notion qui fait référence aux lieux
extérieurs appréciés, que les enfants utilisent et adaptent à leur goût et dans
lesquels ils interagissent positivement autant avec d’autres enfants qu’avec des
adultes. Les exemples incluent des parcs, des écoles, des terrains sportifs et
des commerces locaux, tout comme les lieux qui permettent un contact direct
avec des éléments naturels, comme les terrains en friche, les forêts, les abords
des rivières, etc.
Le rapport enfant-environnement a été conceptualisé en tant que relation
récursive, l’utilisation ou l’abandon d’un lieu étant à la fois une cause et une
conséquence de la manière dont l’enfant perçoit ce lieu. Les projets GEV de
Montréal et Guadalajara montrent qu’une récursivité semblable imprègne aussi
le lien entre l’enfant et les modes de transport actif : la pratique ou l’abandon de
la marche et du vélo étant à la fois une cause et une conséquence de la
manière dont l’enfant perçoit ces activités, le quartier et son propre rôle dans
celui-ci.
Dans le discours des enfants, la marche et le vélo apparaissent en tant
qu’activités riches, associées au jeu, à l’entraînement physique et à la mobilité
efficiente, abordable et non polluante. Les modes qui leur permettent une
mobilité autonome sont mis en valeur à travers leurs dimensions ludique,
économique, environnementale, etc. Ceci ne peut que faire ressortir le
réductionnisme de l’approche traditionnelle selon laquelle les mobilités douces
sont conçues dans le cadre d’un système binaire de valeurs, ayant une fonction
soit utilitaire, soit récréative.
Dans le discours des enfants, la mobilité autonome apparaît comme une
activité spatialisée, associée à un ou à plusieurs lieux (les lieux où l’on va à
pied ou à vélo). Dans ce sens, la marche et le vélo peuvent être considérés
comme des facteurs susceptibles d’influencer et d’être influencés par
l’expérience environnementale des jeunes.
© Les collections de l’INRETS
211
Enfant piéton : développement et éducation
En effet, la perception que les enfants ont de leur milieu de vie s’avère
profondément liée à leurs conditions de mobilité : l’idée d’une maison-refuge,
complémentaire à celle d’un quartier menaçant, suppose une utilisation assez
limitée du quartier, du moins de manière autonome, c’est-à-dire à pied ou à
vélo. En revanche, le quartier intéressant, qui compense la précarité de la
maison, comporte une plus grande mobilité autonome chez l’enfant.
Réciproquement, on observe que le manque d’autonomie au plan de la mobilité
renforce la perception négative du quartier comme un lieu dangereux, alors que
les enfants les plus autonomes (généralement les plus âgés) semblent
relativiser le danger et même développer un lien d’appartenance plus fort avec
certains lieux de leur quartier, voire des quartiers voisins.
L’analyse permet de confirmer les observations de Timperio et al. (2004) sur
la manière dont la mobilité des enfants est influencée par l’idée que les parents
se font du milieu et des compétences des jeunes. On considère les enfants les
plus jeunes et les filles comme étant plus vulnérables, et c’est chez eux que
l’idée du quartier menaçant et celle de la maison-refuge sont plus présentes.
Ces sous-groupes pratiquent moins la marche et le vélo dans leur quartier et,
lorsqu’ils le font, ils sont généralement accompagnés. Ainsi, aux limites
spatiales (les zones « permises ») s’ajoutent des limites temporelles au
transport actif, qui correspondent aux moments où l’enfant peut être « escorté »
dans ses déplacements par un membre de la famille.
Pour les jeunes, les lieux les plus intéressants de leur quartier sont, avant tout,
les lieux animés, « marchables », qui offrent des opportunités d’interaction
positive (amicale) avec d’autres membres de leur communauté. Cette interaction
est une occasion de réaliser des activités significatives qui permettent aux jeunes
de se sentir intégrés socialement et même de s’approprier divers lieux de leur
quartier. Autrement dit, les espaces accessibles, favorables à une mobilité
autonome, sont ceux qui peuvent non seulement attirer, mais aussi accueillir les
enfants. Ce constat nous permet de dépasser la vision déterministe du rapport
enfant-environnement et envisager d’une part l’enfant comme un agent et, d’autre
part, la marche comme une véritable action sur l’environnement. Car en marchant
dans leur quartier, les enfants contribuent à rendre celui-ci plus animé, c’est-àdire plus attractif pour d’autres enfants et plus convivial pour tous.
Conclusion
L’aménagement de milieux favorables à la marche est particulièrement
important pour les personnes dont la mobilité autonome passe par des modes
de transport actif, comme les enfants. La proximité des destinations
quotidiennes et l’existence d’aménagements pour les piétons permettent donc
aux jeunes d’exercer une autonomie qui est d’ailleurs importante pour leur
développement. Ceci étant dit, la mobilité des enfants est avant tout contrôlée
par les parents, qui traduisent leurs craintes à l’égard de la sécurité du milieu et
des compétences des jeunes en des restrictions.
Évidemment, on ne peut pas imaginer une plus grande autonomie des
enfants au plan de la mobilité sans un changement important dans la
perception et le comportement des parents. Des études récentes montrent par
212
© Les collections de l’INRETS
Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier
ailleurs une relation forte entre la part modale de la marche lors des trajets
scolaires et le choix modal des parents pour se rendre au travail, le choix du
lieu de résidence et le taux de motorisation du ménage (Bussière et al., 2008).
Si la perception et le comportement des parents ont une grande influence
sur la mobilité des enfants, il n’en demeure pas moins que ceux-ci ont leur
propre vision des choses. La perception des enfants est tributaire de la manière
dont ils se déplacent et, en même temps, elle a une forte influence sur leur
mobilité. Plus encore, les enfants peuvent aussi influencer les parents dans leur
perception à l’égard du milieu et de leurs propres compétences. On observe en
effet que, pendant leur processus de développement, les enfants négocient leur
autonomie et cherchent à élargir de plus en plus leur espace d’action (Kyttä,
2003 ; Merom et al., 2006).
Le modèle ici proposé exprime la relation interactive entre les enfants et leur
milieu de vie et sert de base à l’exploration d’une autre relation tout aussi
complexe : celle qui existe entre les enfants et les mobilités douces en tant
qu’activités spatialisées, susceptibles d’influencer et d’être influencées par
l’expérience environnemental des enfants. Comme tout modèle, celui-ci n’est
qu’une représentation simplifiée d’une réalité beaucoup plus riche ; il est utile
dans la mesure où il suscite une réflexion au sujet de la pratique de la marche
auprès d’un groupe de piétons par excellence : les enfants. D’autres modèles
plus nuancés et une recherche plus approfondie sont nécessaires afin de mieux
comprendre par exemple le rôle de l’âge et du sexe de l’enfant sur sa mobilité,
pour ne mentionner que ces deux facteurs.
Ceci tant dit, les expériences participatives de Montréal et de Guadalajara
montrent déjà que, pour les enfants, la mobilité autonome exprimée à travers la
marche est le reflet d’un quartier stimulant. Les jeunes considèrent la possibilité
de rencontrer leurs pairs dans la rue et dans d’autres espaces publics comme
une caractéristique extrêmement recherchée dans leur milieu de vie. À la
lumière de ces constats, il est possible de considérer l’enfant piéton non
seulement comme un usager de la rue, mais aussi comme un véritable
transformateur de l’espace public.
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© Les collections de l’INRETS
215
Modification des comportements
de traversée de rue
des enfants-piétons de 9-10 ans
au fil d'une pratique sur simulateur
Camilo Charron, Elise Jouanne
Centre de recherche en psychologie cognition et communication (CRPCC E.A.
1256), Université Rennes II, Campus Villejean
place du Recteur Henri Le Moal, CS 24307 35043 Rennes Cedex, France
[email protected]
Résumé – L'évolution sur simulateur des conduites de traversée de rue a été
testée auprès de 78 enfants de 9-10 ans. Les participants ont tous répondu à un
questionnaire puis ont effectué successivement huit traversées de rue sur
simulateur, en recevant un feed-back entre chaque traversée. Les sujets étaient
répartis en trois conditions expérimentales qui différaient par l'enjeu donné par la
consigne (facteur enjeu). Celle-ci a insisté soit sur l’atteinte seule de l’objectif, soit
sur la nécessité de ne pas prendre de risques et surtout de ne pas se faire
renverser dans l’atteinte de l’objectif (enjeu sécurité), soit sur la nécessité
d’atteindre l’objectif le plus rapidement possible (enjeu temps). Du questionnaire,
plusieurs variables indépendantes (VI) ont été extraites : le contrôle perçu des
enfants, leur hiérarchie de priorités selon l'importance qu'ils accordent à la
sécurité, au temps et au respect du code, leur expérience piétonne, la distance
école-domicile et leur expérience des jeux vidéo. L'analyse des données a
montré des évolutions dans les conduites ainsi que des relations entre les VI et
les conduites. Les enjeux influencent la prise de risque mais pas l'évolution des
comportements. La pratique sur le simulateur semble avoir modifié la hiérarchie
de priorités établie par l'enfant en faveur de la sécurité.
Mots-clés : enfant piéton, enjeu, prise de risque, développement
Introduction
Position du problème
Des recherches portant sur des enfants de 10-11 ans ont récemment
montré, au moyen de traversées de rues sur simulateur, que les enjeux
ressentis, c'est-à-dire les valeurs et buts attribués par le sujet à l'action (ex. ne
pas être en retard vs ne pas avoir d'accident), pouvaient conduire les piétons à
prendre volontairement des risques (Charron, Festoc, Hairon et Petibon, 2008).
Ce résultat ouvre de nouvelles pistes de recherches.
© Les collections de l’INRETS
217
Enfant piéton : développement et éducation
En effet, puisque les enfants choisissent délibérément d'agir différemment
selon les enjeux, ils ne mobilisent pas à chaque fois les mêmes ressources
cognitives et ne ressentent pas non plus les mêmes nécessités adaptatives. Il
suffirait alors, qu'au cours de l'existence, des enjeux donnés se répètent
suffisamment, soit du fait des circonstances (par exemple un emploi du temps
qui crée une urgence chronique pour certains déplacements, ou un contexte
qui, au contraire, incite fortement au respect régulier des règles), soit aussi en
raison de la hiérarchie de priorité propre aux valeurs du sujet (par exemple par
principe, je n'aime pas perdre du temps dans un déplacement vs il est essentiel
de respecter le code quitte à y passer plus de temps), pour que germent des
contrastes développementaux. En effet, selon les enjeux, on peut s'attendre à
ce que les besoins de construction et de modification des compétences
diffèrent, de même que les compétences qui font l'objet d'assimilation
accommodation (au sens défini par Piaget, 1936).
Objectifs et hypothèses
La présente étude est la première d'une série de recherches qui étudie le lien
entre les enjeux et le développement des compétences. L'objectif est ici
d'explorer dans quelle mesure les enjeux seraient susceptibles ou pas d'infléchir
la modification des comportements juste par une simple répétition de l'activité. En
effet, on sait depuis les travaux de Piaget (1936) que l'exercice et la répétition
sont un facteur de développement. On peut donc supposer qu'un enfant à qui on
demande explicitement d'aller vite (enjeu de temps), soit en mesure de prendre
de plus en plus de risques au fur et à mesure que sa pratique augmente,
comparativement à un autre enfant à qui on ne demanderait rien en particulier
(enjeu neutre) ; inversement, un enfant à qui on demanderait d'être prudent
(enjeu de sécurité), pourrait réduire notablement sa prise de risque avec
l'entraînement. Telle est la première hypothèse. Pour la tester, des enfants qui
ont été répartis en trois groupes avec chacun un enjeu différent (de temps, de
sécurité ou neutre), ont effectué successivement huit tâches de traversées de rue
en recevant, entre chaque tâche, des retours d'information.
Compte-tenu des données antérieures (Charron et al., 2008) montrant que
certains comportements sont influençables par les enjeux (traverser hors
passage piéton, courir sur la chaussée) et d'autres pas (prise visuelle
d'information), la seconde hypothèse prédit que les enjeux n'affecteront que les
comportements influençables.
Les liens entre les comportements de traversée et le contrôle perçu, l'expérience piétonne, l'expérience en jeux vidéo ou les hiérarchies de priorités que
l'enfant établit entre aller vite, respecter le code de la route et se déplacer en sécurité, sont aussi testés mais de manière heuristique, sans hypothèse préalable.
Méthode
Procédure générale
L’expérience a porté sur un échantillon de 78 enfants de 9-10 ans (45
garçons, 33 filles) provenant de trois classes de CM1 (N = 25, 26 et 27
respectivement). Tous ont d'abord répondu à un questionnaire. Cet outil évalue
218
© Les collections de l’INRETS
Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons
l'expérience piétonne des enfants, leur contrôle perçu, leur expérience des jeux
vidéo et la hiérarchie de priorités qu'ils ont avant de débuter l'expérience (i.e.
l'importance relative qu'ils accordent au temps de déplacement, au respect du
code de la route ou à la sécurité). La semaine suivante, les enfants ont effectué
individuellement, successivement et dans le même ordre, 8 tâches de traversée
de rue (variable essai) de difficulté équivalente, sur le simulateur RESPECT
(Aubert, Charron et Granié, 2005 ; Charron, 2004). Les sujets étaient alors
répartis en trois conditions expérimentales (avec 11 filles par groupe) qui
différaient par l'enjeu suggéré par la consigne (variable enjeu). La consigne
demandait toujours à l'enfant de progresser, en insistant soit sur l’atteinte seule
de l’objectif (enjeu neutre), soit sur la nécessité de ne pas se faire renverser
dans l’atteinte de l’objectif (enjeu de sécurité), soit sur l'importance d’atteindre
l’objectif le plus rapidement possible (enjeu de temps).
Procédure détaillée
Le simulateur RESPECT
Le simulateur RESPECT reproduit sur micro-ordinateur, de façon visuelle et
sonore, la scène que verrait le sujet lors d'un véritable déplacement. Ce logiciel
permet à l'enfant de réaliser, dans un environnement 3D, un parcours en
utilisant une manette de jeu pour marcher, courir et pour observer le monde
environnant. Pour chacune des huit tâches de traversée, l'objectif à atteindre se
trouvait systématiquement de l'autre côté de la rue. L'enfant pouvait soit
traverser directement la rue hors passage piéton sans faire de détour, soit faire
un détour pour éventuellement emprunter un passage piéton. En faisant un plus
grand détour, l'enfant avait aussi la possibilité d'atteindre l'objectif en traversant
plusieurs rues à un carrefour. Dans tous les cas, la tâche plaçait le participant
face à l'obligation de choisir entre privilégier le temps de parcours (traverser
sans détour hors passage piéton) ou la sécurité (traverser sur un passage
piéton au prix d'un détour).
Les enjeux et les essais
L'expérimentation sur simulateur débutait après une phase de familiarisation
avec le matériel durant laquelle les enfants développaient une maîtrise
satisfaisante des commandes (mouvements virtuels de la tête, déplacements
en marchant et en courant). Afin d'augmenter la probabilité d'engagement des
enfants dans l'activité proposée, ces derniers étaient laissés libres d’accepter
ou non d'effectuer les tâches de traversée (Kiesler, 1971 ; Joulé et Beauvois,
1998 ; Guéguen et Pascual, 2000).
Avant de réaliser la première traversée, une consigne suggérait un enjeu.
Pour l'enjeu neutre, la consigne était : « Ta mission est, à chaque fois, d’arriver
à l’endroit que l’ordinateur va t’indiquer. C'est très important que tu arrives à
l’objectif. A chaque situation, tu dois tenter de t’améliorer en atteignant de
mieux en mieux l'objectif. Le temps que tu mets n’a aucune importance ».
Pour l'enjeu de sécurité, la consigne était la suivante : « Ta mission est, à
chaque fois, d’arriver à l’endroit que l’ordinateur va t’indiquer. C’est très
important que tu aies le moins d’accident possible. A chaque situation, tu dois
© Les collections de l’INRETS
219
Enfant piéton : développement et éducation
tenter de t’améliorer en prenant à chaque fois le moins de risque possible. Le
temps que tu mets n’a aucune importance ».
Enfin, pour l'enjeu de temps la consigne était : « Ta mission est, à chaque
fois, d’arriver à l’endroit que l’ordinateur va t’indiquer. C’est très important que
tu sois le plus rapide possible. A chaque situation, tu dois tenter de t’améliorer
en allant à chaque fois le plus vite possible ».
Le temps alloué à chaque essai était limité mais largement suffisant pour
atteindre l'objectif. Les traversées à faire, bien que différentes les unes des
autres étaient de difficulté comparable du point de vue de la distance à
parcourir, du rythme et du sens de la circulation automobile (venant toujours
d'un seul côté) ainsi que de la distance où se situait le premier passage piéton.
Retours d'information sur les tâches réalisées
Pendant la réalisation des tâches de traversée, une barre de défilement
indiquait en bas de l'écran le temps écoulé et celui restant. Lorsque l'enfant
atteignait l'objectif une voix off signalait « c'est fini, tu as accompli ta mission ».
A la fin de chaque essai, le simulateur affichait de manière automatique et sans
ostentation, le nombre d'imprudence, les défauts d'observation et les
d'infractions commises. Comme le passage piéton était toujours situé à moins
de 50 mètres, le fait de ne pas l'emprunter était signalé comme une violation du
code de la route. La survenue d'un accident virtuel, quant à elle, se traduisait
par l'arrêt immédiat de la simulation, accompagné de l'émission du son du choc
contre la voiture. A aucun moment, l'expérimentateur ne demandait à l'enfant
de prêter attention à ces feed-backs. Le sujet était donc libre de les prendre ou
pas en considération.
Le questionnaire et les autres variables indépendantes
Le questionnaire comportait quatre parties toujours administrées dans le
même ordre. La passation des parties 1 et 2 se faisait à l’oral et de manière
individuelle. Les parties suivantes étaient administrées à l'écrit, en individuel
pour la partie 3 et en passation collective pour la partie 4.
La partie 1 mesurait l'expérience piétonne : faible (l'enfant ne vient jamais à
pied à l'école), moyenne accompagné (l'enfant vient occasionnellement à pied à
l'école et il est accompagné d'un adulte), moyenne seul (l’enfant vient
occasionnellement à pied à l’école et il n’est pas accompagné d’un adulte), forte
accompagné (en général l’enfant vient à pied à l’école et il est accompagné
d’un adulte) et forte seul (en général l’enfant vient à pied à l’école et il n’est pas
accompagné d’un adulte).
La partie 2 évaluait la hiérarchie initiale de priorités. Pour cela, l'enfant devait
choisir parmi trois propositions (« faire ton trajet assez rapidement »,
« respecter le code de la route », « faire attention à ne surtout pas avoir
d'accident ») celle qui était pour lui la plus importante et celle qui était la moins
importante.
La partie 3 mesurait le contrôle perçu sur une échelle continue de 10 cm,
face à une tâche de traversée de rue présentée sur papier et comparable à
celles du simulateur.
220
© Les collections de l’INRETS
Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons
Enfin, la dernière partie du questionnaire évaluait l'expérience de l'enfant en
matière de jeu vidéo : aucune (l’enfant déclare ne jamais jouer à des jeux
vidéo), faible (il joue aux jeux vidéo moins de trois fois par semaine), forte (il
joue aux jeux vidéo trois fois par semaine ou plus).
En plus des variables citées, la distance école-domicile a été relevée pour
chaque enfant, en kilomètres. Cette distance est liée à l'expérience piétonne
(rapport de corrélation = 0,34) : lorsque les enfants habitent loin, ils déclarent
avoir une moindre expérience piétonne. La distance école-domicile constitue
donc une mesure indirecte de l'expérience piétonne.
Les relations entre les autres variables indépendantes, prises deux à deux,
sont faibles (coefficients de corrélation inférieurs à 0,27 en valeur absolue) et
non significatives. On peut donc considérer ces variables indépendantes
comme étant quasiment orthogonales entre elles.
Mesures
Les performances
Pour chaque essai, on relève le temps (en secondes) mis pour atteindre
l'objectif, la présence ou absence d'un accident virtuel et le nombre de
traversées effectuées (en pratique de 0 à 2 bien que ce nombre ne soit pas
limité par la simulation). Le temps nous renseigne sur l'urgence ressentie par le
sujet : plus il est court et plus l'enfant se sent concerné par le besoin d'aller vite.
Cette mesure sert à vérifier que les enjeux donnés par la consigne ont bien été
pris en compte par le participant au cours de la passation. La présence
d'accident ainsi que le nombre de traversées servent, quant à eux, à s'assurer a
posteriori que les essais sont de difficulté comparable. Plus les valeurs de ces
indicateurs sont élevées pour un essai donné et plus la difficulté est grande
pour cet essai.
Les prises d'information
Différents comportements de prises d'information sont relevés : la prise
d'information initiale, celles avant de traverser et pendant la traversée ainsi que
la qualité suffisante de la prise d'information.
La prise initiale d'information (cotée 1, son absence étant notée 0) a
éventuellement lieu au tout début de la tâche. Elle consiste, avant tout
déplacement, en un mouvement franc de la tête ou du corps (à gauche et/ou à
droite) de plus de 45 degrés d'angle. Ce comportement est la marque d'une
planification de l'activité de déplacement, d'une volonté d'anticiper les
évènements.
Les prises d'information avant de traverser et pendant la traversée sont
chacune cotées de la façon suivante : 1 si l'enfant regarde des deux côtés de la
chaussée ou au moins du bon côté et 0 dans les autres cas.
On estime enfin que la prise d'information est de qualité suffisante (cotée 1)
quand l'enfant a eu dans son champ de vision, en l'absence d'obstacle
(voitures, poteaux, etc.) et pendant plus d'une seconde les informations (la rue
d'où les voitures arrivent) qui, d'un point de vue expert, sont nécessaires et
© Les collections de l’INRETS
221
Enfant piéton : développement et éducation
suffisantes pour effectuer la traversée. Dans les autres cas, la prise
d'information est jugée de qualité insuffisante (cotée 0).
Les comportements de traversée
Les comportements de traversée relevés correspondent à des prises de
risque dont les enfants ont connaissance (Charron et al., 2008). Il s'agit de la
traversée hors passage piéton, de la traversée sans faire de détour et de la
traversée en courant. La présence de chacun de ces comportements
dangereux est codée 1 alors que l'absence est notée 0. Lorsqu'il y a plusieurs
traversées, seule la première est prise en compte. Si, dans le cas particulier
des tâches proposées, traverser sans détour implique toujours de franchir la
chaussée hors passage piéton, l'inverse n'est pas vrai. L'enfant peut faire un
détour pour traverser, sans pour autant emprunter de passage piéton.
Méthodologie d'analyse des données
Avec le logiciel R (R Development Core Team, 2009), on cherche à prédire
la valeur vraie probable de chaque variable dépendante X (mesurant une
performance ou un comportement), à partir d'un ensemble aussi petit que
possible de variables indépendantes (Vi) parmi toutes celles dont on dispose.
En admettant que X suive une loi de probabilité donnée (binomiale pour les
variables binaires, normale pour le temps et loi de poisson pour le nombre de
traversées effectuées), on teste pour X l'ensemble des modèles linéaires
15
généralisés que l'on peut construire . On retient le modèle qui est à la fois le
plus vraisemblable et le plus parcimonieux, à partir de l'indice BIC (Bayesian
Criterion Index, Schwarz, 1978) : plus la valeur de l'indice est petite et meilleur
est le modèle. Le modèle retenu est donc celui qui a le plus petit BIC.
Résultats
Les modèles linéaires généralisés retenus sont donnés en annexe avec leur
BIC. Pour l'exposé des résultats, les figures présentent toujours les données
observées. Lorsque le modèle retenu prédit une évolution au fil des essais, la
prédiction est illustrée sous la forme de courbes incrustées sur la figure.
Prise en compte des enjeux et signification des essais
Les résultats (annexe) montrent que le temps de parcours dépend
essentiellement des enjeux et, pour une moindre part, de la distance école
domicile. En effet, ce temps vaut en moyenne respectivement 35,36 s, 38,41 s et
47,44 s pour les enjeux de temps, neutre et de sécurité. Comparativement à
l'enjeu neutre, les enfants se sentent donc plus pressés pour l'enjeu de temps et
15
Un modèle linéaire généralisé est un modèle de la forme E(X|V1,V2,..Vk) = h(η) = h(b0 +b1V1+
b2V2+...+bkVk ) ou V1,V2,..Vk sont K variables indépendantes, h une transformation monotone (ici
h(η) = exp(η)/[1+exp(η)]) avec une hypothèse conditionnelle sur X et b0, b1,, b2, ..., bk sont des
coefficients réels inconnus estimés à partir des données. Ces coefficients, dont les grandeurs sont
comparables entre elles pour un modèle donné, indiquent avec quelle force et dans quel sens
(positif ou négatif) chaque variable indépendante influence la valeur vraie de X.
222
© Les collections de l’INRETS
Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons
moins pressés pour l'enjeu de sécurité. Les consignes ont donc bien été prises
en compte par les enfants. Par ailleurs, le nombre de traversées (1,02 en
moyenne) ainsi que la fréquence d'accidents (faible : 0,02) ne sont liés à aucune
variable (les coefficients correspondants sont tous nuls). Cela signifie qu'aucun
des essais ne laisse apparaître de difficulté particulière. Un effet de l'essai pourra
donc être interprété comme une conséquence de la pratique sur le simulateur.
L'évolution des prises d'information
Concernant les prises d'information, en accord partiel avec notre seconde
hypothèse, l'analyse des données montre que l'influence des enjeux se limite à
la seule prise initiale d'information. La fréquence de cette dernière est de 0,72
pour l'enjeu de sécurité contre 0,58 pour les deux autres enjeux. La
modélisation des données (annexe) montre que l'enjeu de sécurité, avec un
coefficient positif non nul, augmente la probabilité de prise initiale d'information
alors que les enjeux « neutre » et « de temps », qui ont des coefficients
respectivement nul ou proche de 0, n'affectent pas ou peu cette probabilité.
L'enjeu de sécurité amène donc les enfants à être plus anticipatifs qu'ils ne le
sont avec les autres enjeux. Cette anticipation est par ailleurs corrélée
positivement avec le contrôle perçu. Tout se passe comme si l'enfant devait
disposer d'un contrôle perçu élevé pour prendre le temps de planifier son
déplacement.
Par ailleurs, comme on l'attendait, les comportements de prise d'information,
que ce soit avant la traversée ou pendant la traversée, restent indépendants
des enjeux et de la hiérarchie initiale de priorité. Ils ne sont liés à aucune
variable, comme en témoignent les coefficients nuls des modèles
correspondants (annexe).
Figure 1. Évolution de la qualité des prises d'information
La modélisation révèle aussi que la qualité de la prise d'information évolue
positivement au cours des essais. La figure 1 illustre cette progression. Dans le
même temps, on notera aussi que la qualité de la prise d'information, d'après la
modélisation (annexe), reste totalement indépendante de l'expérience
antérieure, piétonne ou de jeu vidéo.
© Les collections de l’INRETS
223
Enfant piéton : développement et éducation
L'évolution des comportements
La traversée hors passage piéton
La modélisation (annexe) a révélé que la probabilité de traverser hors
passage piéton dépend de la pratique sur simulateur (essais), des enjeux, de la
hiérarchie initiale des priorités et pas de l'expérience antérieure.
La figure 2 expose l'évolution des traversées hors passage piéton en
fonction des enjeux. Elle montre, en accord avec la seconde hypothèse, que la
fréquence des traversées hors passage piéton est inférieure pour l'enjeu de
sécurité à celle des autres enjeux. De plus, la fréquence baisse au fil de la
pratique sur simulateur, avec une pente comparable pour les trois enjeux. En
référence à la première hypothèse, cela signifie que les enjeux ne conduisent
pas à traiter différemment, pour ce comportement, les feed-backs délivrés.
Précisons que ce profil évolutif est le même pour chaque hiérarchie initiale de
priorités.
Figure 2. Évolution des traversées hors passage piéton
La lecture détaillée de la modélisation (annexe) révèle aussi que l'influence de
la hiérarchie initiale de priorités sur la probabilité de traverser hors passage piéton
est plus importante que celle des enjeux (les coefficients relatifs à la hiérarchie
initiale de priorités sont plus grands en valeur absolue que ceux des enjeux).
La figure 3 dévoile les fréquences de traversées hors passage piéton en
fonction de la hiérarchie initiale de priorités. L'observation de la figure 3 fait
ressortir que la place accordée à la sécurité n'a pas de lien avec la traversée hors
passage piéton. Ce comportement dépend plutôt de l'importance accordée au
respect du code de la route par rapport au fait d'aller vite : lorsque le temps prime
sur le code de la route, ce dernier étant jugé comme le moins essentiel, les
traversées hors passage piéton baissent ; au contraire, lorsque le code de la
route prévaut sur le temps, celui-ci étant relégué en dernière position, les
traversées hors passage piéton augmentent. Ce sont donc les enfants qui
accordent le moins crédit au respect du code de la route qui ont un
comportement plus sûr.
224
© Les collections de l’INRETS
Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons
Figure 3. Traversées hors passage piéton selon la hiérarchie initiale
de priorité
La traversée sans détour
La structure des résultats relatifs à la traversée sans détour (annexe) est, en
tous points, similaire à celle de la traversée hors passage piéton qui vient d'être
exposée, à une différence près : les expériences piétonnes et de jeu vidéo ont
ici une incidence. Plus l'enfant a d'expérience en jeu vidéo et moins il traverse
sans détour (les fréquences valant 0,61, 0,55, 0,48 respectivement pour les
expériences « aucune », « faible » et « forte »). En revanche, la fréquence de la
traversée sans détour n'est pas totalement proportionnelle à l'expérience
piétonne. Les expériences élevées (« moyenne accompagné », « forte
accompagné » et « forte seul »), sont associées à une plus forte fréquence de
traversée sans détour que les autres (supérieure à 0,59 contre des fréquences
inférieures à 0,50). L'expérience de jeu vidéo réduit donc la prise de risque
alors que l'expérience piétonne tend plutôt à l'augmenter, dans des proportions
diverses.
La traversée en courant
La modélisation (annexe) montre que le fait de traverser évolue au cours
des essais et ne dépend que des enjeux et de la distance école domicile. Ceux
qui habitent loin sont un peu plus enclins à traverser en courant que les autres.
La figure 4 présente l'évolution des traversées en courant selon les enjeux.
L'étude de cette figure montre, comme le prévoit notre deuxième hypothèse,
que la fréquence des traversées en courant augmente régulièrement pour les
trois enjeux tout en restant la plus faible pour l'enjeu de sécurité et la plus
élevée pour l'enjeu de temps. Au regard de la première hypothèse, on peut
déduire de la figure 4 que les enjeux n'amènent pas une évolution différenciée
des comportements au fil de la pratique sur simulateur puisque les pentes
relatives aux trois groupes d'enfants sont pratiquement les mêmes.
© Les collections de l’INRETS
225
Enfant piéton : développement et éducation
Figure 4. Évolution des traversées en courant
Pour finir, si on met en relation le résultat de la figure 4 avec celui de la
figure 2, on constate que les traversées en courant augmentent alors que, dans
le même temps, celles qui se font hors passage piéton diminuent. Cette relation
s'explique essentiellement par une augmentation régulière du nombre d'enfants
qui traversent sur le passage piéton tout en courant alors que, dans le même
temps, la proportion de ceux qui traversent sur le passage piéton sans courir
baisse au fil des essais. Ce résultat est vrai pour chaque enjeu. Donc, au fur et
à mesure que les enfants ont de la pratique sur le simulateur et qu’ils
choisissent la sécurité en empruntant le passage piéton, ils essayent malgré
tout, en courant, de ne pas trop sacrifier le temps de parcours, quitte à perdre
un peu de sécurité lors de la traversée.
Discussion
On peut retenir quatre résultats essentiels. 1/ Les enjeux ont un effet sur la
prise de risque et sur le fait de planifier ou pas le déplacement (d'autant plus
avec un contrôle perçu élevé), mais pas sur la prise d'information avant ou
pendant la traversée, ni sur la qualité de la prise d'information. 2/ Les
comportements de traversée hors passage piéton et sans détour dépendent de
la hiérarchie initiale des priorités et cette dépendance est plus importante que
celle relevée à propos des enjeux. 3/ La répétition de l'activité de traversée
n'amènent pas les enjeux à infléchir l'orientation ou la qualité du
développement. En revanche, la répétition amène une réorganisation
inattendue de la hiérarchie de priorité entre les enjeux. 4/ L'expérience
antérieure qu’elle soit piétonne ou en matière de jeu vidéo a peu d'incidence sur
les conduites observées sur simulateur.
Le premier résultat de cette expérience confirme les données antérieures
(Charron et al., 2008). Les enjeux ont une conséquence sur la prise de risque :
les enfants adoptent plus de comportement dangereux lorsqu'il s'agit d'aller vite
et moins lorsqu'ils doivent privilégier la sécurité. Cet effet ne porte que sur les
comportements de traversée sans détour, hors passage piéton ou en courant
226
© Les collections de l’INRETS
Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons
mais pas sur les endroits où l'enfant regarde, à l'exception des prises
d'information initiales. En référence au modèle de Hoc et Amalberti (2007), tout
se passe comme si les enfants qui sont confrontés à l'enjeu de sécurité et qui
ont le sentiment de maîtriser la situation (contrôle perçu élevé) adoptaient un
mode de contrôle plus anticipatif que les autres, en planifiant l'activité et cela
parce qu'ils en ont le temps. Ensuite, lors du déroulement de la tâche, les
enfants choisissent leurs conduites de déplacement pour maximiser la
performance qu’ils jugent acceptable en fonction du but privilégié (sécurité,
temps ou atteinte de l'objectif). Les regards et leur qualité ne sont pas
subordonnés aux finalités. Ils dépendent vraisemblablement du niveau
d'habileté des enfants.
Le deuxième résultat nous apprend que l'option comportementale privilégiée
par l'enfant change selon sa hiérarchie initiale de priorité, celle propre à l'enfant
plus que celle induite par la consigne. Paradoxalement, ce sont les enfants qui
accordent le moins d'importance au code de la route qui le respecte le plus. Ils
le font donc plus par soucis de sécurité que du respect des règles. Les enfants
de cet âge savent en effet que le passage piéton est une ressource pour
minimiser le risque d'accident (Charron et al., 2008). Or, si on veut aller vite tout
en atteignant son objectif, ne pas avoir d'accident s'avère être une pré-condition
essentielle. On peut en déduire qu'il vaut mieux, dans les dispositifs éducatifs,
insister sur l'intérêt d'utiliser le passage piéton pour la sécurité plutôt que pour
se conformer à la norme légale.
Le troisième résultat montre que la modification des conduites au fil de la
pratique est la même pour les trois enjeux. Toutefois, dans le cadre de la
présente étude, les enfants ne subissent pas de réelles conséquences
négatives ou positives selon la performance qu'ils obtiennent. Ils n'ont peut-être
pas eu de réel intérêt à modifier de façon très différente leur comportement
selon les enjeux. Il reste donc à vérifier, dans une autre expérience, si la
signification et l'attention accordée aux feed-backs serait la même d'un enjeu à
l'autre si la performance était suivie de répercussions auxquelles les enfants
seraient sensibles. Une telle expérience est en cours d'achèvement à Rennes.
Le troisième résultat montre aussi que l'évolution des conduites relève d'un
remaniement de la hiérarchie interne des priorités. Les enfants intègrent tous,
au cours des essais, l'exigence de sécurité, parfois devant celle de la vitesse,
tout en tentant, en courant, de ne pas renoncer à cette dernière. Un tel
remaniement des hiérarchies de priorité, en lien avec une évolution de la
compétence, avait déjà été repéré chez de jeunes skieurs alpins (Charron et
Jeancenelle, 2007). Il serait donc possible que ce soit le développement des
compétences qui oriente la hiérarchie des priorités et fixe les enjeux en
conséquence, plutôt que l'inverse contrairement à ce qui était initialement
pressenti. L'étude de la dialectique entre enjeu et niveau de compétence doit
être approfondie.
Le dernier résultat montre que l'expérience en jeu vidéo amène les enfants à
adopter plus facilement une traversée avec détour, ce qui est ici favorable à la
sécurité. Il serait intéressant de prolonger ce résultat en étudiant si le jeu vidéo
a aussi une incidence positive dans la réalité. Plus étonnant est le lien positif
constaté entre expérience piétonne et prise de risque. Ici l'expérience piétonne
n'est pas un facteur protecteur. Cela signifie que l'expérience piétonne n'est pas
© Les collections de l’INRETS
227
Enfant piéton : développement et éducation
synonyme de compétence piétonne. Des enfants très expérimentés peuvent
s'avérer être peu compétents et inversement. En effet, des travaux (Zeedick et
Kelly, 2003) ont montré que les adultes qui accompagnent les enfants lors des
déplacements à pied n'ont pas souvent une attitude didactique ; de plus, les
enfants se reposent souvent sur le guidage de l'adulte pour traverser sans
vérifier par eux même qu'il n'y a pas de danger. Notre étude suggère qu'il y
aurait un intérêt à déployer des efforts au sein des campagnes de prévention
des risques afin que l'expérience acquise par les enfants engendre
effectivement chez eux un réel accroissement de leurs compétences piétonnes.
Remerciements
Cette recherche a eu lieu au sein du GDR 3169 Psycho Ergo (Psychologie
ergonomique et Ergonomie cognitive). Nous exprimons notre reconnaissance
envers la directrice et les enseignantes de l'école Notre Dame du Sacré Cœur à
Ploemeur dans le Morbihan qui ont accepté de nous accueillir dans leur
établissement pour le recueil de données, ainsi qu'envers tous les enfants qui
ont participé à l'étude. Nous remercions les collègues et les experts qui ont lu
en profondeur la première version de cet article, pour leurs conseils.
Références
Aubert, A., Charron, C., Granié, M.A. (2005). Les fondements psychologiques
de RESPECT, un simulateur éducatif pour l'enfant-piéton. Actes du
colloque First International VR-Learning Seminar. Laval 2005. p 1-9.
Charron, C., Festoc, A., Hairon, A., Petibon, A-C. (2008). Child pedestrians'
deliberately risk-taking behavior: Experimental studies on simulator
and developmental outcomes. RTS, Recherche Transports Sécurité,
101, 239-251.
Charron, C., (2004). respect, un simulateur éducatif pour l'enfant piéton.
MicroSimulateur, 124, 26-29.
Charron, C., Jeancenelle, S. (2007). Impact du niveau de compétence sur les
priorités ressenties face aux risques encourus. Etude expérimentale
en ski-alpin chez l'enfant et l'adolescent. Actes du congrès
international Cognition, Emotion, Motivation, Hammamet – Tunisie
(25-28 October 2007). p 11.
Guéguen, N., Pascual, A., (2000). Evocation of freedom and compliance: the
but you are free of... technique. Current Research in Social
Psychology, 18, 264-270.
Hoc, J.-M., Amalberti, R., 2007. Cognitive control dynamic for reaching a
satisfying performance in complex dynamic situations. Journal of
Cognitive Engineering and Decision Making, 1 (1), 22-55.
Joulé, R.-V., Beauvois. J.-L., (1998). La soumission librement consentie. Paris :
PUF.
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© Les collections de l’INRETS
Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons
Kiesler, C.A., (1971). The psychology of commitment, Experiments liking
behavior to belief. New York : Academic Press.
Piaget, J. (1936). La naissance de l'intelligence chez l'enfant (réédition 1998).
Lausanne, Suisse : Delachaux et Niestlé.Van der Molen, H. H. (1983).
R Development Core Team (2009). R: A Language and Environment for
Statistical Computing. R Foundation for Statistical Computing, Vienna,
Austria. ISBN 3-900051-07-0, récupéré le 2 mai 2009 sur
http://www.r-project.org/.
Schwarz, G. (1978) "Estimating the Dimension of a Model", Annals of Statistics,
6, 461-464.
Zeedyk, M.S., Kelly, L. (2003). Behavioural observations of adult-child pairs at
pedestrian crossings. Accident analysis & prevention. Vol. 35 n°5,
771-776.
© Les collections de l’INRETS
229
Enfant piéton : développement et éducation
Annexe – Coefficients et BIC des modèles linéaires généralisés retenus
(partie 1)
BIC des modèles
retenu
nul
Essais
Enjeux
saturé
Hiérarchie initiale
de priorités
neutre sécurité temps
CST
SCT
STC
TSC
Performances
Temps
5840,73 5855,26 5868,82
0
0
8,01
-4,04
0
0
0
0
Accident
147,92
225,77
0
0
0
0
0
0
0
0
Nbre. de
traversées
1288,90 1288,90 1377,83
0
0
0
0
0
0
0
0
147,92
Prises d'information
Initiale
810,55
833,08
835,29
0
0
0,80
0,08
0
0
0
0
Avant de
traverser
856,03
856,03
920,42
0
0
0
0
0
0
0
0
Pendant la
traversée
349,83
349,83
407,80
0
0
0
0
0
0
0
0
De qualité
suffisante
806,82
816,41
866,97
0,15
0
0
0
0
0
0
0
Comportements de traversée
Hors passage
piéton
Sans détour
En courant
0
-0,72
0,01
0
0,45
3,29 1,10
-0,16
0
-0,64
0,18
0
0,36
3,00 1,56
0,11
0
-0,36
1,41
0
0
827,32
867,15
841,32
-0,15
828,50
869,84
837,87
730,56
778,37
758,92
0
0
0
Note. Nbre. = nombre. C = respecter le code de la route ; S = privilégier la sécurité ; T = gagner du
temps. Les modèles nuls et saturés prédisent respectivement une absence totale d'effet des Vi et
une influence de toutes les Vi.
Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons
Annexe – Coefficients et BIC des modèles linéaires généralisés retenus
(partie 2)
Expérience piétonne
Expérience de jeux
vidéo
moyenne
Forte
Forte
seul
accompagné seul
Dist.
CP
b
0
faible
moyenne
accompagné
aucune faible forte
Temps
0
0
0
0
0
0
0
0
1,65
0
34,92
Accident
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
-3,70
Nbre. de
traversées
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0,02
Performances
Prises d'information
Initiale
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Avant de
traverser
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0,15 -0,86
0
0,32
Pendant la
traversée
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
-2,46
De qualité
insuffisante
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
-1,29
Hors
passage
piéton
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0,97
Sans
détour
0
1,22
0,01
0,81
1,88
-0,27
-0,95
0
0
0
1,15
Courir
0
0
0
0
0
0
0
0
0,13
0
-0,20
Comportements de traversée
Note. Nbre. = nombre. Dist. = distance domicile école en kilomètres. CP = contrôle perçu (en cm
sur une échelle de 10 cm). b = coefficient de degré 0 (i.e. ordonnée à l'origine).
0
© Les collections de l’INRETS
231
Effet de l’adhésion aux stéréotypes
de sexe et de l’internalisation
sur la prise de risque
des adolescents piétons
Marie-Axelle Granié
INRETS, Département mécanismes d’accidents
chemin Croix Blanche, 13300 Salon de Provence, France
[email protected]
Résumé – L’objectif de cette étude est d’explorer les effets de l’adhésion aux
stéréotypes de sexe et de l’internalisation des règles routières sur la prise de
risques des adolescents piétons. L’adhésion aux stéréotypes de sexe, la
perception du danger, l’internalisation des règles routières et les
comportements à risques déclarés de 278 adolescents piétons (130 garçons et
148 filles) de 12 à 16 ans ont été mesurés. Les résultats montrent un effet de
l’adhésion aux stéréotypes de sexe sur l’internalisation des règles routières et
les comportements à risques. De plus, les résultats montrent un effet de
l’internalisation des règles routières sur les comportements piétons à risques.
Ainsi, il semble que, plus que le sexe biologique, ce soit le niveau de
masculinité et le niveau d’internalisation des règles qui explique les différences
de sexe dans la prise de risque des adolescents piétons.
Mots-clés : adolescent, prise de risque, genre, piéton
Introduction
Les différences de sexe sont bien connues dans l’accidentologie et se
manifestent très tôt dans différents types d’accidents. Un rapport de l’UNICEF
(2001) montre ainsi que dans les pays de l’OCDE, les garçons entre 1 et 14 ans
ont 70 % de probabilité de plus que les filles de décéder dans un accident. La
différence entre les sexes est plus importante chez les enfants les plus âgés et
l’écart progresse encore jusqu’à atteindre chez l’adulte un maximum de 8
hommes tués pour 2 femmes entre 35 et 39 ans (70 à 80 % d’hommes parmi
les tués sur la route entre 15 et 59 ans) (Assailly, 2001). Ce différentiel n’est
pas propre à la France et se retrouve dans tous les pays. Les garçons ont des
accidents plus fréquents (Baker, O'Neill, & Ginsburg, 1992) et plus graves
(Rivara, Bergman, LoGerfo, & Weiss, 1982) que les filles, et l’exposition au
risque ne semble pas être la seule variable explicative (Waylen & McKenna,
2002). Ce phénomène s’explique notamment par des prises de risque plus
importantes de la part des garçons (Byrnes, Miller, & Schafer, 1999).
© Les collections de l’INRETS
233
Enfant piéton : développement et éducation
De nombreux chercheurs expliquent dorénavant les différences de sexe
dans la prise de risque par les rôles et stéréotypes de sexe (Rowe, Maughan, &
Goodman, 2004), qui peuvent être définis comme l’ensemble des croyances sur
ce que signifie être un homme ou une femme en termes d’apparence physique,
d’attitudes, d’intérêts, de relations sociales ou d’occupations (Deaux &
Lafrance, 1998). Les stéréotypes de sexe caractérisent les comportements de
prise de risque comme typiquement masculins (Bem, 1981 ; Ronay & Kim,
2006). Pourtant, il peut y avoir déconnexion entre le sexe biologique et le sexe
social : on peut appartenir au groupe de sexe « femmes » sans être très
féminine ou même en étant conforme à certains stéréotypes masculins (Bem,
1981). La conformité aux stéréotypes de sexe peut ainsi expliquer les
différences intergroupes, mais aussi intra-groupes de sexe dans le niveau de
prise de risque. L’impact de l’adhésion aux stéréotypes de sexe masculins a
ainsi pu être démontré sur la prise de risque en général (Raithel, 2003), sur la
prise de risque sportive (Cazenave, Le Scanff, & Woodman, 2003), sur le style
de conduite et l’accidentologie routière chez l’adolescent et l’adulte (Özkan &
Lajunen, 2006). Il est également souligné que ce facteur est un meilleur
prédicteur de la prise de risque que l’âge ou le sexe (Granié, 2009b ; Raithel,
2003).
Par ailleurs, les recherches chez l’adulte montrent que l’implication
accidentelle et plus généralement les comportements dangereux des hommes
dans l’espace routier correspondent le plus souvent à des transgressions de
règles légales (Harré, Field, & Kirkwood, 1996 ; Simon & Corbett, 1996). Les
études montrent par exemple que les hommes piétons commettent plus
d’infractions que les femmes piétonnes (Moyano Diaz, 2002 ; Rosenbloom,
Nemrodov, & Barkan, 2004 ; Yagil, 2000). Pour certains auteurs, le sexe n’est
prédicteur des accidents routiers que par son influence sur les infractions
(Lawton, Parker, Stradling, & Manstead, 1997).
Mais les comportements dans l’espace routier sont également influencés par
les attitudes à l’égard des règles. Tyler (1990) pose qu’il existe deux types de
motivations à la conformité aux règles. Les motivations instrumentales sont
liées aux gains et aux pertes impliquées par la non-conformité ; la conformité
est ici liée à des facteurs externes. Les motivations normatives résultent de
l’internalisation de la règle et du sentiment d’obligation de conformité lié à des
valeurs personnelles. Yagil (1998) montre qu’au sujet de la conformité aux
règles routières, les hommes expriment un degré de motivations normatives
plus faible que les femmes. Les femmes semblent ainsi avoir internalisé les
règles routières avantage que les hommes. Comment cette différence entre les
deux sexes peut-elle être expliquée ?
L’internalisation est le processus développemental par lequel les individus
acquièrent progressivement les valeurs et les prescriptions sociales issues de
sources externes et les transforment en attributs, valeurs personnelles et
comportements autorégulés (Grolnick, Deci, & Ryan, 1997). Les théories
structuro-développementales (Colby & Kohlberg, 1987) et sociodéveloppementales (Grusec & Goodnow, 1994) de l’internalisation expliquent
les mécanismes généraux qui guident le processus d’internalisation.
Cependant, la théorie des domaines sociaux (Turiel, 2006) souligne que les
interactions sociales différenciées auxquelles les individus sont confrontés au
234
© Les collections de l’INRETS
Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation
sujet de différentes classes de règles, d’événements et d’actions amènent celuici à construire quatre différents domaines de connaissances sociales, incluant
des comportements et la régulation de ces comportements (Turiel, 1998) :
−
le domaine moral, constitué des actions mettant en cause le bien-être
physique et psychologique d’autrui (frapper, voler, se moquer) ;
−
le domaine prudentiel, centré sur les comportements relatifs à son propre
bien-être physique et psychologique (hygiène, protection) ;
−
le domaine conventionnel, centré sur les comportements assurant la
cohésion du groupe et son fonctionnement et soumis à la présence d’une
autorité (rôles de sexe, règles scolaires) ;
−
le domaine personnel regroupant les actions laissées au libre choix de
chacun (goûts, amis).
Les règles relevant des domaines moral et prudentiel - relatives à son
propre bien-être et à celui d’autrui - forment un ensemble de règles
internalisées et difficilement transgressées par l’individu (Tisak & Turiel, 1984).
Des études sur les comportements antisociaux ont déjà montré la relation
chez les jeunes entre les comportements délinquants et le manque
d’internalisation morale (Tavecchio, Stams, Brugman, & Thomeer-Bouwens,
1999). Par ailleurs, des recherches ont montré les relations entre la prise de
risque des adolescents et la catégorisation des connaissances sociales, sur la
consommation de drogues (Nucci, Guerra, & Lee, 1991) et sur divers types de
comportements à risque (Kuther & Higgins-D'Alessandro, 2000). Dans les deux
cas, les adolescents engagés dans des comportements à risque ont tendance à
classer ce type de comportements dans les domaines personnel ou
conventionnel, alors que les adolescents qui n’y sont pas engagés classent ces
comportements dans les domaines prudentiel et moral. Ainsi, l’internalisation,
par l’intermédiaire de son effet sur la conformité aux règles, influencerait la
prise de risque.
En résumé, les recherches montrent que les hommes prennent plus de
risques et se conforment moins aux règles routières que les femmes ; elles
montrent également que la conformité des femmes aux règles routières semble
due à une plus forte internalisation de celles-ci. La théorie des domaines
sociaux explique que cette internalisation est liée à la classification des règles
comme relevant des domaines moral et prudentiel ; par ailleurs, les recherches
montrent que les individus qui prennent des risques classent préférentiellement
les comportements dans lesquels ils s’engagent dans les domaines personnel
et conventionnel.
Compte tenu de ces résultats de recherches, nous faisons l’hypothèse que les
différences de sexe dans la prise de risque sont dues à des différences dans
l’internalisation des règles routières. Par ailleurs, compte-tenu des résultats des
recherches sur les relations entre stéréotypes de sexe et prise de risque, nous
faisons l’hypothèse que la prise de risque plus importante chez les individus
masculins est due à une internalisation plus faible des règles routières.
En résumé, nous supposons que l’adhésion aux stéréotypes de sexe, par le
biais de l’internalisation des règles, a une influence sur la propension à prendre
des risques en tant que piéton.
© Les collections de l’INRETS
235
Enfant piéton : développement et éducation
Méthode
Participants et procédure
278 adolescents (130 garçons et 148 filles) recrutés dans deux collèges et
assignés à quatre groupes d’âges : moins de 12 ans (N = 75, 38 garçons, 37
filles), 12-13 ans (N = 64, 28 garçons, 36 filles), 13-15 ans (N = 74, 31 garçons,
43 filles) et plus de 15 ans (N = 65, 33 garçons, 32 filles) participent à cette
étude. L’échantillon est composé d’adolescents dont les pères sont cadres
moyens ou employés (38 %), ouvriers ou assimilés (15,5 %), artisans ou
commerçant (15 %). Quinze pour cent des enfants n’ont pas su nous informer
sur la profession de leur père.
Les questionnaires ont été distribués aux adolescents en passation collective
dans la salle de classe par les expérimentateurs. Chaque item a été lu à l’oral par
un des expérimentateurs avec un temps de pause pour la réponse. Des
précisions ont été apportées pour certains items à la demande des adolescents.
La durée de la passation était comprise entre 30 à 45 minutes.
Outils
Comportement piéton
La première partie est tirée de l’outil EPCUR (Echelles de Perception des
Comportements de l’Usager de la Route) (Granié, 2009a). Elle permet de
mesurer le comportement du jeune face à des risques piétons relevant soit de
l’interdit, soit du danger. EPCUR est composé de quatre échelles comprenant
chacune les mêmes 14 items présentant différents comportements piétons. Les
items différencient des comportements piétons de transgressions non
dangereuses et des comportements dangereux sans transgression. Les items
sont issus à la fois de l’outil de Elliott et Baughan (Elliott & Baughan, 2004) et
d’une recherche précédente sur le piéton (Granié & Espiau, 2006). L’ordre des
items varie à l’intérieur de chaque échelle. Pour cette étude, seules deux des
quatre échelles ont été utilisées.
L’échelle de comportements déclarés (ECUR) mesure la fréquence à
laquelle l’individu déclare présenter ce comportement, de 1 = jamais à 5 = très
souvent.
L’échelle de perception du danger (EPDUR) mesure le niveau de danger
perçu par l’individu pour chaque comportement, de 1 = pas du tout dangereux à
5 = très dangereux.
Identité sexuée
La deuxième partie est une version courte pour adolescents du Bem Sex
Role Inventory (BSRI) de Bem (1974) validée en français (Fontayne, Sarrazin,
& Famose, 2000). Ce questionnaire permet de mesurer l’adhésion aux
stéréotypes de sexe à travers 18 items que l’individu doit coter sur une échelle
en sept points selon que l’item le définit plus ou moins (de 1 : « jamais vrai » à
7 : « toujours vrai »). Dix items déterminent l’échelle de féminité et 8 items
déterminent l’échelle de masculinité.
236
© Les collections de l’INRETS
Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation
Internalisation par domaine des règles routières
Cet outil est destiné à mesurer l’internalisation des règles qui se rapportent
aux quatre domaines de connaissances sociales. Il s’inspire de la procédure
appelée Social Values Inventory, développée par Nucci, Guerra, & Lee (1991)
pour mesurer la catégorisation en domaines moraux de l’usage de drogue chez
les adolescents. La procédure de Nucci, Guerra et Lee (1991) réutilisée très
récemment (Metzger & Smetana, 2009), est la seule, à notre connaissance,
permettant d’aborder la catégorisation et l’internalisation des règles par
domaines sociaux sous forme de questionnaire et de modalités de réponses
préconstruites.
Contrairement à Nucci et al. (1991), une seule échelle appelée échelle
d’internalisation par domaines a été utilisée dans cette étude.
Les items composant l’échelle de d’internalisation par domaines reprennent
les 14 items composant les échelles de perception du risque piéton auxquels
nous avons ajouté huit comportements prototypiques : deux relevant du
domaine moral, deux du domaine conventionnel, deux du domaine personnel,
un du domaine prudentiel acceptable et un du domaine prudentiel inacceptable.
L’ordre des items a été construit de façon à ce que les items prototypiques
et les items de comportement piéton alternent ; l’ordre des items piétons est
différent de ceux des deux échelles de perception du risque piéton.
On demande à l’individu de classer les comportements en termes
d’acceptabilité, « s’il n’y avait aucune loi, aucune règle, aucune contestation
sociale » à ce comportement. On considère que la règle dont relève le
comportement est internalisée si l’individu évite le comportement en l’absence
de toute réprobation extérieure (Turiel, 1998). Il y a 5 modalités de réponses,
qui reprennent les 4 domaines moraux, en raffinant la catégorie prudentielle, tel
que l’ont fait Nucci et al. (1991) :
−
« parfaitement acceptable, qu’il y ait une règle ou qu’il n’y en ait pas »
(domaine personnel) ;
−
« tout à fait acceptable s’il n’y a pas de règle » (domaine socioconventionnel) ;
−
« acceptable mais idiot, parce que ce n’est pas bon pour moi » (domaine
prudentiel acceptable) ;
−
« inacceptable, parce que ce n’est pas bon pour moi » (domaine
prudentiel inacceptable, internalisation) ;
−
« inacceptable parce que je pourrai faire du mal à quelqu’un » (domaine
moral, internalisation).
Les réponses de l’enfant sont scorées, de 1 point pour le domaine personnel
jusqu’à 5 points pour le domaine moral (4 points sont attribués à une réponse
« prudentiel inacceptable » et 3 points à une réponse « prudentiel acceptable »).
Le total des réponses sur cette échelle donne un score de « internalisation par
domaines » : un score élevé correspond à une plus grande catégorisation dans
les domaines moral et prudentiel avec une internalisation de la règle ; et un score
plus faible correspond à une plus grande catégorisation dans les domaines
personnel et conventionnel avec absence d’internalisation de la règle.
© Les collections de l’INRETS
237
Enfant piéton : développement et éducation
Résultats
Analyse des données
Le calcul de l'alpha de Cronbach pour l'échelle de masculinité (α = 0,73) et
l'échelle de féminité (α = 0,84) nous montrent l'homogénéité de ces deux
échelles, nous permettant ainsi de calculer un score global pour chacune
d'elles.
L’objectif de cette étude étant de détecter les effets différenciés des
stéréotypes masculins et féminins sur la prise de risque et l’internalisation des
règles routières, les scores de masculinité et de féminité ont été utilisés
séparément au lieu d’être combinés dans une appartenance catégorielle (Bem,
1974). Ainsi, nous utiliserons les deux scores directement, afin de prévenir
toute perte d’information (Özkan & Lajunen, 2006).
Les alphas de Cronbach pour l'échelle de prise de risque (α = 0,88), l'échelle
de perception du danger (α = 0,88) et l'échelle d’internalisation par domaines
(α = 0,86) sont corrects. Un score élevé à l'échelle d’internalisation signifie que
l'individu a internalisé un certain nombre de règles routières et a plutôt
tendance à classer celles-ci dans les domaines moral et prudentiel. Un score
faible à cette échelle correspond à un niveau d’internalisation plus faible et
signifie que l'individu a plutôt tendance à catégoriser les règles routières dans
les domaines conventionnel et personnel.
Facteurs prédictifs de l’internalisation
chez les adolescents
L’analyse de régression sur l'effet de l’âge, du sexe, de la féminité, de la
masculinité et de la perception du danger sur l’internalisation par domaine
montre que le modèle est significatif à F(5,272) = 33,32, p < 0,0001. Ce modèle
explique 37 % de la variance et montre que le score de féminité et le score de
perception du danger ont un rôle de renforçateur du niveau d’internalisation par
domaine (cf. tableau 1). L’âge, le sexe et le niveau de masculinité ne sont pas
prédicteurs de l’internalisation.
Tableau 1. Résumé de l’analyse de régression de l’effet de la perception
du danger, de la masculinité, de la féminité, de l’âge et du sexe
sur l’internalisation par domaine
Coefficients
standardisés
Bêta
t
Signification
0,504
9,843
0,0001
Masculin
–0,068
–1,322
ns
Féminin
0,177
3,258
0,001
Age
–0,009
–0,184
ns
Sexe
0,056
1,027
ns
Danger
238
© Les collections de l’INRETS
Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation
Facteurs prédictifs de la prise de risque
chez les adolescents
L’analyse de régression sur l'effet de l’âge, du sexe, de la féminité, de la
masculinité, de la perception du danger et de l’internalisation par domaine sur le
comportement de prise de risque montre que le modèle est significatif à
F(6,271) = 27,88, p < 0,0001. Ce modèle explique 37 % de la variance. Le
score de masculinité et l’âge ont un effet de renforcement de la prise de risque,
alors que les scores d’internalisation par domaine et de perception du danger
ont un effet d’inhibition de la prise de risque. Le niveau de féminité et le sexe ne
sont pas des prédicteurs du score de prise de risque (tableau 2).
Tableau 2. Résumé de l’analyse de régression linéaire de l’effet
de l’internalisation, de la perception du danger, de la masculinité,
de la féminité, de l’âge et du sexe sur la prise de risque
Prédicteur
t
Signification
0,17
3,55
0,0001
Internalisation
–0,33
–5,47
0,0001
Danger
–0,19
–3,23
0,001
Age
Bêta standardisés
Masculin
0,12
2,38
0,02
Féminin
–0,10
–1,85
ns
Sexe
–0,08
–1,56
ns
Discussion
L’objectif de cette étude était d’expliquer les différences de sexe dans la
prise de risque par l’intermédiaire de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de
l’internalisation. Les résultats indiquent la prise de risque est effectivement
prédite par l’internalisation par domaine, elle-même expliquée par le niveau
d’adhésion aux stéréotypes féminins chez l’adolescent. De plus, l’adhésion aux
stéréotypes de sexe masculins semble être une meilleure variable prédictrice
de cette relation entre internalisation et prises de risques que le sexe
biologique. Ainsi, les résultats montrent que l’adhésion aux stéréotypes
féminins engendre une internalisation plus forte des règles routières et que la
masculinité et l’internalisation sont de bons prédicteurs des comportements à
risques déclarés par les adolescents en tant que piéton : notre hypothèse est
donc confirmée.
A notre connaissance, c’est la première étude portant sur l’internalisation
des règles routières chez l’adolescent, et peu de recherches ont examine
directement les motivations à se conformer aux règles routières des adultes
(Yagil, 1998, 2000) ou des enfants (Granié, 2007).
Les résultats montrent une relation entre l’adhésion aux stéréotypes de sexe
sur la prise de risque. Confirmant en cela d’autres recherches (Raithel, 2003),
l’adhésion aux stéréotypes masculins se révèle être un meilleur prédicteur de la
prise de risque que le sexe biologique. Ainsi, ce n’est pas le fait d’être un garçon
© Les collections de l’INRETS
239
Enfant piéton : développement et éducation
ou une fille qui prédit le niveau de prise de risque déclaré, mais le fait de se
reconnaître comme plus ou moins masculin, c'est-à-dire de manifester des
comportements et des traits de personnalité que la société attribue au sexe
masculin. En cela, les résultats de cette étude confirment que la différence
hommes-femmes dans la prise de risque peut être en partie attribuée au rôle de
sexe définissant dans la société occidentale le comportement attendu des
hommes (Byrnes et al., 1999 ; Wilson & Daly, 1985), cette différence se manifestant davantage en présence de pairs de même sexe et visant à garantir aux
hommes leur conformité aux stéréotypes de la masculinité (Ronay & Kim, 2006).
Les recherches chez les piétons (Moyano Diaz, 2002) et les conducteurs
(Lawton et al., 1997) montrent une propension plus grande des hommes à
transgresser les règles routières. Ces résultats suggèrent que les pressions
sociales à la prise de risque, élevant le statut du preneur de risque au rang de
héros (Ronay & Kim, 2006 ; Wilson & Daly, 1985), et les motivations
conscientes à la prise de risque réelle qui en résultent, existent dans l’espace
routier et contribuent à expliquer le nombre disproportionné d’accidents routiers
mortels chez les hommes (ONISR, 2008 ; World Health Organization, 2002).
Les résultats montrent également un effet de l’adhésion aux stéréotypes de
sexe sur l’internalisation par domaines des comportements piéton à risque.
C’est à notre connaissance la première étude montrant des relations entre
internalisation par domaine et identité sexuée. Ainsi, la perception du danger et
la féminité sont des facteurs plus prégnants de l’internalisation des règles
piétonnes que le sexe ou l’âge. Les traits de personnalité stéréotypiquement
associés à la féminité (sensibilité aux besoins et aux sentiments d’autrui,
chaleur, gentillesse, compréhension, tendresse et compassion) sont autant de
traits qui sont destinés à maintenir et apaiser le lien social, ramenant le rôle
féminin à un rôle relationnel (Bakan, 1966 ; Parsons, 1955). En regard, les traits
associés au masculin sont centrés soit sur le rapport de l’individu à lui-même
(confiance en soi, sûr de soi, énergique, forte personnalité), soit l’amènent à
entretenir une relation asymétrique avec autrui (agir en chef, diriger, prendre
position, dominer, être en compétition). Ainsi, les individus féminins, en
privilégiant le maintien de la relation à autrui, peuvent être amenés à se
conformer aux règles sociales et à éviter les prises de risque davantage que les
individus masculins, se reconnaissant plus dans des traits privilégiant
l’individualité et la domination.
Les résultats montrent enfin que l’internalisation des règles piétonnes est un
bon facteur prédicteur des comportements à risque accidentel en tant que
piéton. Ils confirment en cela, sur le risque routier, les résultats obtenus par
Nucci et al (1991) sur la consommation de substances psychoactives et ceux
de Kuther et Higgins-D'Alessandro (2000) sur les comportements antisociaux et
les comportements sexuels à risque. Ainsi, l’internalisation des règles, c'est-àdire la transformation des règles sociales en comportements autorégulés, peut
expliquer en partie le comportement des adolescents face aux risques dans
plusieurs domaines.
Il faut toutefois noter que toutes ces études sont basées sur des mesures
explicites des comportements à risque. Ronay et Kim (2006) ont montré que les
hommes ont tendance à souscrire aux stéréotypes de sexe au travers de leur
240
© Les collections de l’INRETS
Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation
attitude explicite face au risque, cette tendance disparaissant lors de mesures
implicites. Par ailleurs, selon Yagil (1998), c’est l’engagement de l’individu dans
un comportement infractionniste qui l’amènerait, par recherche de cohérence et
de réduction de la dissonance cognitive (Festinger, 1957) à percevoir la règle
comme illogique ou dépassée – ou, en d’autres mots, conventionnelle (Turiel,
1998). Ainsi, les résultats de la présente étude ne nous permettent pas
d’affirmer que la relation entre internalisation et comportements à risque
accidentel observée ici n’est pas dû à une recherche de cohérence entre une
mesure explicite des comportements à risque accidentel – au travers de
laquelle les adolescents masculins cherchent à confirmer leur appartenance au
groupe masculin – et la perception de la règle.
En termes éducatifs, il semble que pour être efficace sur la prévention des
conduites à risques, il faille agir dans le sens d’une « conformité engagée »
(Kochanska & Aksan, 1995), relevant de l’internalisation, plutôt que vers une
« conformité contextuelle » – soumission en présence d’une figure d’autorité,
sans engagement sincère – sans internalisation des normes (Kochanska, 2002)
et relevant du domaine conventionnel (Turiel, 1998). Compte-tenu des résultats
de cette recherche, il semble que cette conformité engagée, soutenue par une
internalisation des valeurs sociales amenant à un comportement autocontrôlé,
puisse être renforcée par la mobilisation de valeurs socialement associées au
rôle de sexe féminin.
Références
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Bakan, D., (1966). The duality of human existence, Chicago, Rand Mc Nally.
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© Les collections de l’INRETS
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Enfant piéton : développement et éducation
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Tribune libre
Exposition « L'enfant et la Rue »
Sylvain Manhes, Colette Olivéro
Robins des Villes/Réagir l'Enfant et la rue
32 rue St Hélène, 69002 Lyon
[email protected]
Mots-clés : enfant, éducation, déplacements, prévention
Les réseaux de la ville contemporaine sont surchargés de véhicules en
circulation. L’espace public d’autrefois, aux fonctions multiples (promenade,
travail, jeu, déplacement), a été brutalement confisqué, en grande proportion
par les emprises réservées au seul déplacement, qu’il s’agisse de voirie ou de
stationnement.
Le rôle des décideurs des années 70 a été en cela prépondérant, affirmant
alors que la ville devait s’adapter à la voiture. La rue a été transformée
progressivement en route et le code de la route s’impose à tous, il traite de
l’ensemble des déplacements de la même façon y compris ceux en centre ville ;
un travail est en cours pour formuler des propositions d’amélioration,
regroupées sous le nom de code de la rue.
La rapidité de déplacement est présentée et perçue comme une liberté,
toute entrave comme une atteinte intolérable à cette liberté. La circulation est
conçue par et pour les adultes. Notre ouïe, autant que notre regard, est
pleinement sollicitée par une attention permanente aux flux motorisés. Il est
impératif d’éduquer nos sens, afin d’en faire bon usage. Mais il faut avant tout
en avoir fait la découverte…
C’est pourquoi, si « l’automo-ville » cause des préjudices variés à toutes
sortes de mobilités, il est une catégorie d’usagers tout particulièrement
vulnérable : celle des piétons-enfants. Les statistiques de la sécurité routière
montrent des chiffres alarmants pour ce qui concerne la mortalité des plus
jeunes en traversée de chaussée.
Non seulement l’enfant éprouve des difficultés à identifier et à jauger le
danger, mais également l’automobiliste est mal préparé à réagir aux réactions
de l’enfant qui est imprévisible, si ce n’est même invisible.
Jusque vers dix-douze ans, un enfant est pratiquement incapable de se
débrouiller seul dans la circulation.
En effet, il n’a ni le sens du danger (que l’on acquiert par l’expérience), ni les
réflexes, ni les capacités sensorielles, ni les facultés de raisonnement d’un
adulte.
© Les collections de l’INRETS
245
Enfant piéton : développement et éducation
L’apprentissage du risque doit être fait tout au long de la petite enfance, tant
dans le milieu familial qu’à l’école, et même dans les centres de loisirs. Il doit se
poursuivre de manière rigoureuse et continue durant toute sa scolarité.
Les enfants sont « comme ça », c’est leur nature, leur façon d’être et tant
mieux s’ils ne nous ressemblent pas ! Bien sûr, il faut les éduquer. Mais cela ne
suffit pas, car on ne changera pas fondamentalement leur caractère d’enfant.
Les enfants sont toujours im-pré-vi-si-bles car ils sont à la merci de leurs
préoccupations. Nous devons les accepter tels qu’ils sont, avec leurs handicaps
relatifs à leur taille, leur âge, leur inexpérience, et les respecter.
C’est donc à nous, adultes, de changer notre comportement au volant, à
nous d’être prudents, en ralentissant à leur vue.
Cet ouvrage et cette exposition visent à éduquer et sensibiliser les enfants,
mais aussi les adultes aux dangers de la route, faire acquérir à l’enfant le
comportement qui lui permet d’éviter d’être accidenté et donc de préserver dans
le présent son intégrité physique et le préparer à être un conducteur–citoyen,
respectueux des autres et de la loi.
Cet ouvrage, édité par le Certu en avril 2007, édité en 1500 exemplaires, est
pour nous l’occasion de pouvoir présenter les principaux messages à retenir
pour éduquer et sensibiliser les enfants, mais aussi les adultes aux différents
dangers en tant que piétons.
Il permettra aussi de diffuser encore plus largement cette culture spécifique
et tordre le cou à certaines idées reçues !
Il se compose de quatre chapitres :
−
Éducation des enfants à la rue ;
−
Sensibilisation des parents ;
−
Recommandations d'aménagement ;
−
La sécurité routière à l'école.
Une exposition itinérante a été réalisée pour accompagner cet ouvrage et
permettre d’initier d’autres expériences et ateliers en partenariat avec les
établissements scolaires.
246
© Les collections de l’INRETS
Tribune libre
Les enfants enseignent la sécurité
routière aux enfants par le théâtre
Jacques Robin
Institut national pour la sécurité des enfants
3 rue du général de Gaulle, 56140 Malestroit, France
[email protected]
www.institutsecuriteenfant.org
Mots-clés : sécurité routière, enfant, éducation
La troupe de théâtre Les Tréteaux d'Anastase, constitue une des activités de
l'association Institut national pour la sécurité des enfants. Les comédiens de la
troupe sont une dizaine d'enfants de Malestroit (Morbihan) entre 8 ans et 14 ans.
L'objectif de cette activité est de faire passer, par le théâtre, de façon
humoristique, des messages de sécurité routière aux enfants spectateurs des
écoles et collèges de la région.
Huit pièces de théâtre sont à son répertoire dont les deux premières sont les
pièces principales :
−
une pièce de clowns : « Boumboum, Domino, Virgule et les autres »
−
Anastase mauvais client
−
Sophie ! Sophie !
−
Le procès du Brouillard
−
La Besace
−
Le petit cordonnier et la Princesse
−
Anastase et le bonhomme rouge
−
Escape (en anglais).
Elles sont extraites du livre contenant 27 comédies « Le Théâtre
d'Anastase » (auteur Jacques ROBIN accidentologue, ingénieur). Le livre peut
être obtenu à l'adresse de l'Institut national pour la sécurité des enfants ou par
courriel : [email protected].
Depuis sa création en 2003, la troupe a donné plusieurs représentations
publiques dans des salles de théâtre de grandes villes : Rennes, Quimperlé, La
Baule, Saint-Nazaire, Vannes, Saint-Avé, Pontivy, Ploërmel, etc. Ces
représentations ont été données lors des semaines de sécurité routière qui ont
© Les collections de l’INRETS
247
Enfant piéton : développement et éducation
lieu tous les ans en octobre ou en fin de premier trimestre. Parallèlement
chaque année, en juin, la troupe Les Tréteaux d'Anastase joue pour les enfants
d'établissements scolaires du département.
Photo extraite de « Boumboum, Domino, Virgule et les autres », montrant le
médecin chargé de faire la prise de sang car Boumboum n'a pas voulu souffler
dans le Glougloumètre après avoir été arrêté par les gendarmes à un contrôle
d'alcoolémie.
La troupe a obtenu en 2009 le Prix européen de sécurité routière de la
Fondation Norauto.
248
© Les collections de l’INRETS
Partie 5
Piéton : voir et être vu
A pied, de nuit :
les conditions de déplacements
Patricia Sajous
Consultante en aménagement urbain
24 rue de la grosse borne, 27200 Vernon, France
[email protected]
Résumé – L’éclairage public est amené à jouer un rôle central pour assurer les
mobilités dans le respect de la sécurité routière dès la tombée de la nuit. Afin
de cerner les conditions de déplacements des piétons de nuit en ville, nous
décrivons les dispositions prises lors de la conception d’un éclairage public à
l’égard de ce type de mobilité. Par la suite, afin d’avancer et discuter des pistes
d’amélioration, nous confrontons ces dispositions aux perceptions et opinions
déclarés par des piétons lors de deux enquêtes.
Mots-clés : nuit, piéton, éclairage public, sécurité routière, rue
Introduction
En 2006, 70 % des piétons tués l’ont été en milieu urbain. 120 piétons
(32 %) ont perdu la vie dans un accident survenu de nuit, en agglomération
(Observatoire national interministériel de la sécurité routière, 2008).
Si l’éclairage n’est pas forcément en cause dans ces accidents, compte tenu
des capacités visuelles humaines limitées de nuit, pour analyser les conditions
générales de déplacement, il faut aborder les sources lumineuses artificielles.
D’un point de vue légal, les communes ne sont pas dans l’obligation de
s’équiper en éclairage public. Pourtant, aux côtés des sources lumineuses
« portatives » (phares de voiture, lampe de poche), les collectivités territoriales
dès l’entre-deux-guerres ont eu le souci de généraliser dans leurs espaces
habités les installations d’éclairage public. C’est un temps fort de déploiement
de l’éclairage public sur le territoire.
A partir de 1945, la rue devient progressivement route : la voiture devenant
le symbole de l’accession à la société de consommation en construction.
L’éclairage public fonctionnel, uniforme, en bordure de voies de circulation
automobile, d’une hauteur de 8 à 10 mètres sur mât à « gamelle » ouverte
métallique protégeant une ampoule émettant une couleur blanc – froid est
triomphant. Outre un point d’ancrage dans la pensée urbanistique fonctionnelle
énoncée dans la Charte d’Athènes de 1933, ce choix s’explique aussi
économiquement compte tenu des besoins en présence.
© Les collections de l’INRETS
251
Piéton : voir et être vu
Tout cela conduit à un éclairage public marqué dans ses principes et ses
formes par son époque de généralisation : des installations dimensionnées en
considérant les caractéristiques des véhicules motorisés – en particulier la
vitesse – et l’espace circulatoire qui leur est dédié – la chaussée. Lors de la
généralisation de l’éclairage public une prévalence a été donnée à l’automobile
par rapport aux autres modes et, en particulier le plus ancestral, la marche à
pied qui, elle aussi, vit une époque de normalisation. Le piéton doit adopter un
comportement conforme au code de la route : emprunter trottoirs et passages
piétons, autrement dit, se déplacer dans son espace dédié pour ne pas risquer
l’accident.
Dans les années 1980, des évolutions sont observables dans le traitement de
la lumière. Trois causes en sont à l’origine. La poussée pavillonnaire entamée
pendant la décennie précédente montre les limites du modèle fonctionnaliste.
Pour l’éclairage cela se traduit par la nécessité de se saisir de l’éclairage des
lotissements mais avec un matériel qui doit être repensé. Par ailleurs, les villes
cherchent à se démarquer les unes des autres pour attirer des investisseurs
économiques. Il faut dès lors se faire connaître, construire une identité. En 1985
est officiellement créée une nouvelle profession dans le monde de l’éclairage :
concepteur lumière. Ils vont à la rencontre d’édiles auxquels ils démontrent que
l’image de la ville promue la journée peut aussi l’être de nuit. A partir de cette
date, la lumière sécurise toujours les déplacements mais valorise aussi. Ainsi,
s’ouvre une brèche en faveur de la qualité de la lumière. Nous parlons d’une
brèche car si les améliorations techniques avec une multitude de nouveaux
produits ont été au rendez-vous, d’un point de vue spatial et temporel, un
traitement qualitatif en surcroît du traitement de la sécurité routière reste ponctuel.
Ainsi, c’est une zone identitairement forte qui sera traitée ou bien ce sera une
illumination artistique d’un point particulier ou encore une scénographie le temps
d’un spectacle (« son et lumière ») ou d’une manifestation comme la fête des
lumières le 8 décembre, chaque année, à Lyon.
Sur la même période, pour gérer les différents modes de déplacements dans
un espace, des expériences telles les « zones 30 » ont été mises en place. C’est
un début de reconnaissance des modes doux par rapport à l’automobile. Et pour
la nuit, existe-t-il une démarche similaire de reconnaissance pour la marche à
pied ? Engageons-nous dans la brèche ouverte sur le thème d’une lumière de
qualité. Faisons un état des lieux et cernons la prise en compte des
déplacements à pied dans la mise en lumière des rues.
Nous considèrerons le type classique de la rue c’est-à-dire avec présence
d’un espace de circulation pour les véhicules motorisés et un autre pour les
piétons communément appelé « trottoir ».
Nous exposerons la démarche des acteurs de l’installation et de la
rénovation des équipements d’éclairage public. Dans les faits, les réseaux
commerciaux des fabricants d’éclairage public traitent avec les représentants
des collectivités territoriales et ne rencontrent que très rarement voire jamais
l’utilisateur final. Nous disposons de données d’enquêtes effectuées auprès de
piétons nous renseignant sur leurs perceptions d’ambiances lumineuses
résultant de cette démarche. Suite à la présentation des positions des
professionnels et des usagers, nous pourrons envisager des orientations
d’amélioration de la situation.
252
© Les collections de l’INRETS
A pied, de nuit : les conditions de déplacements
État de l’art
Qui sont les acteurs de la mise en lumière ?
A l’origine d’une installation ou de sa rénovation, il y a deux acteurs : l’un
dont nos observations nous amènent à lui attribuer un rôle conceptuel et l’autre,
sur le terrain, travaillera en se référant à l’état de l’art diffusé par le premier.
Ce premier acteur est l’Association française de l’éclairage (AFE). Cet
acteur est dit « conceptuel » car il édicte des recommandations, offre des
formations, diffuse les normes d’éclairage, permet aux professionnels de suivre
l’actualité du domaine grâce à sa revue, LUX. Sa sollicitation pour chaque
projet est implicite mais bien réelle tant elle est la référence pour la
connaissance de l’état de l’art.
Sur le terrain, une collectivité territoriale envisageant l’installation ou la
rénovation d’un éclairage public peut faire appel pour son projet à deux types
d’opérationnels. Les premiers appartiennent à la sphère de l’administration
territoriale. Ainsi la commune peut avoir un service technique au sein duquel le
personnel a les compétences pour réaliser le projet. Ce cas de figure est plutôt
rare et concerne des communes de grande taille. En outre la commune peut
aussi faire partie d’un syndicat d’électrification ou d’énergie chargé en premier
lieu d’assurer l’approvisionnement du territoire. Dans ses prestations, le
syndicat peut proposer aux communes adhérentes le suivi de leurs installations
d’éclairage public.
Les seconds opérationnels appartiennent à la sphère des entreprises
privées. Les réseaux commerciaux des fabricants de luminaires peuvent
soumettre aux communes des projets élaborés par un bureau d’étude interne à
la société. Philips, Thorn Lighting et Schreder – Comatelec sont les principaux
fabricants.
Pour le sujet qui nous intéresse à savoir les déplacements nocturnes des
piétons, nous n’incluons pas les concepteurs lumières comme acteurs majeurs.
Eux aussi ont des bureaux d’études compétents en matière de propositions de
projets. Narboni (Borras et Narboni, 2009) et Kersalé (Kersalé et al., 2008) sont
sans doute aujourd’hui les concepteurs les plus influents en France. L’analyse
de certains de leurs projets ainsi que celle de projets d’autres concepteurs
répertoriés via le site Internet de l’Association des Concepteurs Lumières,
montrent bien l’engagement qualitatif évoqué en introduction. Les projets
cherchent à développer une image nocturne autour de laquelle la ville peut
communiquer. Mais cela reste ponctuel et s’oppose au caractère linéaire du
reste des installations avec des mises en lumière artistique de bâtiments,
places et autres lieux.
Implantation d’un éclairage et marche à pied
Sources d’informations
Depuis cinq ans, nous avons été sollicités pour analyser les comportements
des usagers de l’éclairage public. Pour mener à bien toute enquête en sciences
sociales, la première étape recouvre une recherche documentaire approfondie
© Les collections de l’INRETS
253
Piéton : voir et être vu
afin de cerner l’état des connaissances dans le domaine et, en parallèle,
l’interview de spécialistes et témoins privilégiés du domaine en question. Il faut
« s’immerger » dans le domaine afin de s’imprégner de l’état d’esprit pour
cerner les relations entre acteurs et s’imprégner de l’état de l’art pour
comprendre en quoi consistent les projets d’éclairage. En dernier lieu, les
différentes occasions de présentation des résultats sont autant d’occasions de
rencontres et d’observations des différents acteurs du domaine.
C’est donc au travers de recherches documentaires, de rencontres et de
recherches sur le terrain accumulés sur cinq ans que nous nous apprêtons à
restituer ici la pratique professionnelle en matière de gestion des déplacements
à pied de nuit. Nous aborderons donc les actions concrètes menées sur le
terrain et les règles constituant l’état de l’art de l’éclairagisme. Cela est
nécessaire pour restituer l’influence de l’AFE entendue comme acteur
conceptuel.
Un point de méthodologie à propos des projets de mises en lumière est
également indispensable. Dans une rue, le projet segmente l’espace en 3
zones : les voies de circulation automobile, les espaces contigus à ces voies et
les points de conflits entre usagers, points plus ou moins accidentogènes dont
les passages piétons font partie. Ce découpage est rendu nécessaire par le fait
d’appliquer un état de l’art propre à chacune de ces zones afin d’obtenir les
niveaux d’éclairement prévus par la norme. Nous allons donc nous intéresser à
la façon de définir l’éclairage des espaces contigus aux voies de circulation et
sur les passages piétons. L’expression « espaces contigus » est la formule
consacrée. On peut aussi entendre parler des « abords ». Les trottoirs entrent
dans cette catégorie.
Attention accordée à la marche à pied dans l’état de l’art
Pour la conception d’une installation d’éclairage, qu’est-il mentionné dans
les recommandations à propos de la marche à pied ?
Actuellement en France, un document fait référence et restitue le souci de
sécurité routière formalisé par la Commission internationale de l’éclairage (CIE,
1977). C’est le « Guide d’application de la norme européenne d’éclairage public
EN 13201 » (Remande, 2007). Ce document de huit pages, débute par le
rappel de l’objectif de sécurité routière de la norme (« Ce sont ces valeurs qui
sont exprimées dans la norme européenne EN 13201. Elles permettent de voir
vite et bien, ce qui sert la cause de la réduction de nuit des accidents de la
route (…) »).
La démarche générale est la suivante. Le guide se structure autour d’une
série de tableaux. Trois tableaux, deux pour les voies « urbaines » et un pour
les voies « rurales » donnent les niveaux d’éclairement, c’est-à-dire le flux
lumineux par unité de surface (m²) provenant des luminaires et reçu au niveau
du sol. La mesure s’effectue au sol avec un luxmètre. L’unité de mesure est le
lux. De plus, deux tableaux, un pour les voies définies comme « interurbaines »
et un pour les voies « urbaines », donnent les niveaux de luminance. La
luminance est la mesure de ce que nous percevons : c’est la lumière émise par
chaque surface présente dans l’espace visible. L’objectif est de permettre au
praticien de connaître et appliquer le niveau d’éclairement ou de luminance de
254
© Les collections de l’INRETS
A pied, de nuit : les conditions de déplacements
la chaussée à maintenir par l’installation durant sa durée de vie. Après avoir
repéré la catégorie de voie correspondant au projet, muni des indicateurs
chiffrés, le professionnel peut déduire le type de matériel, choisir la hauteur et
l’espacement des mâts. On assiste à travers ces tableaux à une certaine
standardisation de l’espace. Elle découle de la difficulté pour le rédacteur de
rédiger une classification pertinente des voies en la faisant reposer sur des
éléments discriminants qui font consensus. Vitesse et type de circulation sont
les éléments récurrents donnés dans la colonne « définition de la voie » des
tableaux (cf. tableau 1). A côté de cette colonne, une autre intitulée
« contraintes » vient appuyer la précédente dans un effort de justification du
niveau requis. La qualification associée à ces indicateurs de contraintes est
toujours très simple : tout ou rien (oui/non) ou échelle sémantique réduite à 3
modalités d’intensité (faible, normal, élevé). Notons que l’échelle sémantique se
prête à de multiples interprétations.
Tableau 1. Extrait du tableau 4 « Voies urbaines. Niveau d’éclairement
moyen minimal à maintenir (en lux) » du guide d’application de la norme
EN13201
Définition
de la voie
Voie
commerçante
Vitesse
≤ 30 km/h
10
Motorisés
Véhicules
lents
Cyclistes
Piétons
11
Voie piétonne
isolée de la
route
Piétons seuls
Contraintes
Niveau lumineux
ambiant
Faible à
Moyen
Norme
EN13 201.1
Élevé
Éclairement
pour
contraintes
maxi
20
20
CE2
Classes
d’éclairage
Risque
d’agression :
élevé
Reconnaissance
visage :
nécessaire
*
Difficulté
navigation :
élevée
Trafic piétons :
normal à élevé
Risque
d’agression :
élevé
Reconnaissance
visage :
nécessaire
10
7,5 à 10
à
15
20
(insécurité)
S3 à S2
S2 à S1
CE2
Trafic piétons :
normal à élevé
12
Trottoir
piéton,
piste cyclable
adjacents
à la route
Risque
d’agression :
normal
Reconnaissance
visage :
nécessaire
10
7,5 à 10
à
15
15
S3 à S2
S2 à S1
Trafic piétons :
normal à élevé
Source : Remande (2007), p. VI
© Les collections de l’INRETS
* Peu probable
255
Piéton : voir et être vu
Où est traité le cas des piétons dans ce document ? Deux types
d’informations sont disponibles.
D’une part, les piétons font l’objet de recommandations aux lignes « voie
piétonne, isolée de la route » et « Trottoir piéton, piste cyclable adjacents à la
route » dans le tableau 4 p. VI (tableau 1). Les contraintes spécifiques au
déroulement de la circulation piétonne reposent sur la « reconnaissance des
visages », le « risque d’agression » et le « trafic piéton ». Ce n’est pas un
niveau d’éclairement qui est donné mais des plages, entre 7,5 et 10 lux pour un
niveau lumineux ambiant faible à moyen et de 10 à 15 lux pour un niveau
lumineux ambiant élevé. Cela laisse une appréciation au professionnel.
D’autre part, on retrouve 13 références aux piétons pour définir une voie, et 4
dans les tableaux des voies urbaines en tant que « contrainte ». Dans ce cas, les
piétons sont reconnus comme contrainte par rapport au déroulement de la
circulation automobile au côté de la difficulté de la « tâche de navigation » et du
« trafic cycliste ».
Au côté des recommandations, quels sont les autres aspects dont il faut
tenir compte lors du dimensionnement de l’installation d’éclairage public ? Le
souci du professionnel est de maintenir les niveaux préconisés par la norme.
Dans le cas de la circulation piétonne, la norme est doublement peu précise en
regroupant en une seule classe les recommandations pour trottoirs et pistes
cyclables adjacents à la route et en donnant des plages de niveaux à respecter
et non pas un niveau précis. Nous avons parlé d’une appréciation laissée aux
professionnels. Ces derniers peuvent avoir recours au calcul du rapport de
contiguïté encore appelé « surround ratio ».
Ce rapport de contiguïté fixe la part du faisceau lumineux restitué au sol qui
doit éclairer les abords de la chaussée. J.P. Rami, ingénieur optique chez
Thorn Lighting, nous donne une règle pour retenir les proportions à respecter :
la moitié du flux du luminaire doit être orientée vers la zone de circulation pour
véhicules motorisés, le quart sur les espaces contigus et le dernier quart est
perdu par le système d’éclairage. Deux points viennent limiter l’usage de cette
règle d’un quart du flux sur les espaces contigus dont les trottoirs. Le calcul de
ce rapport de contiguïté n’est pas obligatoire pour toutes les classes d’éclairage
e
inscrites dans la norme (sigles CE, ME ou S, 6 colonne du tableau 1 cidessus). Il en est ainsi pour la classe CE, quelque soit l’indice. Ce sont pourtant
des voies où le trafic piéton peut être élevé. Lorsque l’obligation du calcul existe
comme pour la classe ME, l’obligation ne porte pas sur le fait que la lumière
destinée aux abords soit réparties de façon égalitaire entre les espaces. Le total
doit être égal au quart du flux et, par exemple, dans le cas de figure avec deux
abords, tout le flux peut se localiser sur un seul. En d’autres termes, il n’y a pas
d’obligation d’uniformité dans la répartition.
Ainsi, si dans notre quotidien, nous observons que le traitement n’est pas
forcément le même et que certains trottoirs font l’objet d’un éclairage spécifique
le plus souvent monté sur le même mât que l’éclairage des voies de circulation
automobile mais avec une orientation et une hauteur particulière, il faut savoir
que cela tient aux circonstances du projet : enveloppe financière, largeur du
trottoir, fonctions urbaines en présence…
256
© Les collections de l’INRETS
A pied, de nuit : les conditions de déplacements
Cet état de fait s’explique en partie par une limite technique. Les projets
concernant la classe ME, pour être au bon niveau de luminance, doivent tenir
compte de la nature et des propriétés de réflexion de la lumière de l’enrobé utilisé
en revêtement de chaussée. C’est une donnée indispensable dont la
classification n’existe pas en ce qui concerne les revêtements utilisés pour les
trottoirs.
En ce qui concerne les passages piétons, les niveaux à respecter ne sont
pas mentionnés dans le guide d’application de la norme. Il faut revenir au texte
original de la norme (Association Française pour la NORmalisation, 2005). Une
tendance est de leur attribuer un éclairage spécifique par des luminaires d’un
côté de la voie, de lumière blanche avec un réflecteur autour de la lampe
dirigeant le flux lumineux sur la zone peinte au sol. A proximité de l’appareil,
dans la direction des voies, un signal lumineux clignotant avertit les
automobilistes de la proximité du passage piéton. Le flux lumineux est toujours
d’une puissance bien supérieure à la puissance de l’installation présente sur le
site. Ce système semble connaître un certain engouement bien que l’AFE soit
réservée et que le Centre d’études des réseaux, des transports, d’urbanisme
(Certu) ait proscrit son utilisation. En effet, en présence d’un tel système, si un
piéton traverse en dehors du passage protégé, le conducteur peut ne pas le
voir. En effet, le sur-éclairement au niveau de la zone protégée rend le
contraste plus faible aux alentours.
Les pratiques des professionnels exposées, grâce aux enquêtes,
présentons le point de vue des piétons à propos des conditions offertes pour les
déplacements.
Les ambiances lumineuses commentées
par les piétons
Les piétons rencontrés
Nous avons mené deux enquêtes durant lesquelles nous avons rencontré
vingt-cinq et vingt-trois piétons.
La première enquête a eu lieu à Albi en 2006-2007. Il s’agissait de cerner
les perceptions visuelles et les opinions de piétons se déplaçant dans un
secteur de la ville doté d’une installation respectant le développement durable.
(Sajous, 2008).
Tableau 2. Échantillon de piétons, étude NumeLiTe - ADEME
Sexe
Âge
Origine
Homme
Femme
13
12
21- 40 ans
41-60 ans
Plus de 61 ans
7
8
10
Habitant une rue
Habitant Albi ou son aire
Personne
NumeLiTe
urbaine
extérieure
10
11
4
Source : Sajous, 2008
© Les collections de l’INRETS
257
Piéton : voir et être vu
La seconde enquête est en cours au Séquestre, commune frontalière d’Albi.
Dans cette commune, l’investissement du conseil municipal sur les questions
environnementales est important. Dans différents domaines, il a accepté
d’installer des équipements publics « durables » en phase de test. C’est ainsi que
le rond-point Cap Long en entrée de ville a été doté d’un éclairage public dont la
source lumineuse utilise des diodes électroluminescentes (LED). Un suivi
technique et d’acceptation par la population de cette installation est en cours.
Tableau 3. Échantillon de piétons, étude LED Ville
Sexe
Âge
H
F
45 ans et
moins
12
11
11
Plus de
46 ans
12
Usage du rond-point
Fréquent
Jamais
18
5
Source : Sajous, 2009
Trois variables ont été retenues pour construire ces échantillons. L’âge et le
sexe sont les variables classiques des études dans le domaine. Pour la première
étude, nous avions ajouté la variable provenance géographique. Cette dernière
nous permettait d’évaluer l’incidence de la fréquence des déplacements dans
l’installation sur les perceptions. Cette variable s’étant révélée pertinente nous
avons décidé de la reconduire dans l’étude LED Ville.
Méthode : la collecte des perceptions en situation (CPES)
Ces deux groupes de piétons ont été interrogés selon un même protocole
d’enquête sociale que nous avons élaboré et nommé « Collecte des
Perceptions en Situation ». Il s’inscrit dans un courant de recherches assez
récent reposant sur des entretiens avec des usagers à propos des espaces
urbains de nuit. Le lecteur pourra consulter (Mosser, 2005), (Deleuil, 2007) et
(Sajous, 2007 et 2008)
Partant du constat que la mémoire visuelle humaine est peu fiable et que les
connaissances en matière d’éclairage public sont faibles chez les usagers,
nous avons retenu le principe d’une enquête qui se déroule de nuit, dans la
zone où se situe l’installation d’éclairage en cours d’analyse, cette dernière
étant en fonctionnement. Cela nous permet d’étudier les perceptions des
usagers en évitant l’écueil de la mémoire et de la reformulation des perceptions.
Pour organiser ce type d’enquête nous avons élaboré des guides d’entretiens
abordant avant tout les perceptions visuelles déclinées en différents thèmes
(éblouissement, uniformité, couleurs des lampes…). Recherchant des
informations sur deux types de circulation, automobile et piétonne, nous avons
élaboré deux guides d’entretien. Nous n’aborderons ici que les résultats
piétons. Enfin, nous avons dressé à l’avance des itinéraires jalonnés d’étapes
où les questions devaient être posées en référence à une ou deux ambiances
lumineuses.
Ce sont des enquêtes qualitatives que nous avons menées. Cela se justifie
par la nouveauté de cette orientation des recherches dans le domaine. Il n’y a
pas assez de matière pour constituer des questionnaires fermés.
258
© Les collections de l’INRETS
A pied, de nuit : les conditions de déplacements
Les sites d’enquêtes ont été retenus pour la banalité de leur aménagement
sans éléments culturels les singularisant. Ils respectent les dimensions et
proportions spatiales de la plupart des projets. Ils incluent des rues éclairées
avec les nouvelles technologies mais aussi des rues équipées d’installations
plus classiques. Cela nous a permis de mener des comparaisons, par exemple,
sur les couleurs de lampes.
En ce qui concerne le traitement des entretiens, nous utilisons pour une part
de la statistique descriptive et d’autre part l’analyse de contenu axé sur
l’analyse des champs lexicaux.
Les résultats
S’entretenir avec des personnes se déplaçant régulièrement de nuit sur les
sites d’enquêtes nous a permis de recueillir des propos très riches quant à
l’incidence de la lumière artificielle sur la façon de pratiquer l’espace urbain
avec en référence ce qui est possible de jour. Au sortir des deux enquêtes, les
conditions générales de circulation offertes actuellement aux piétons la nuit sont
jugées correctes. Pour NumeLite, les piétons n’évitent pas ce secteur. Dans le
projet LED Ville, en amont de l’enquête sur site, un sondage a été effectué
auprès de la population du Séquestre. Six cents quatre-vingt questionnaires ont
été envoyés et soixante et onze personnes nous ont retourné le questionnaire
rempli. Une question abordait, avec une échelle sémantique, les conditions de
sécurité de circulation.
Tableau 4. Évaluations des conditions de circulation, étude LED Ville
Les conditions de circulation ne sont pas présentes
Les conditions de circulation sont passables
Les conditions de circulation sont moyennes
0%
2,9 %
9,6 %
Les conditions de circulation sont bonnes
67,7 %
Les conditions de circulation sont excellentes
19,8 %
Source : Sajous, 2009
Pour autant, des critiques, des propositions sont avancées, parfois
timidement, mais avec l’idée que même si les usagers ne sont pas des
professionnels ils peuvent analyser la situation car c’est une partie de leur
espace de vie. Les piétons rencontrés décrivent un espace circulatoire dédié
qui n’est pas traité en soi mais qui est la conséquence des actions déployées
pour limiter la dangerosité des véhicules. Sur le site NumeLite, c’est lors de
l’observation des trottoirs, l’enquêteur étant pris à témoin, que cela s’exprime le
mieux : l’état du revêtement, sa couleur, la faible mise en évidence des
obstacles et déformations, la direction du flux. Ils semblent déduire de cela la
considération que leur porte la municipalité et ses services.
Du point de vue strictement des perceptions visuelles, l’analyse de contenu
des questions comparant installations classiques et installations respectant le
développement durable fait apparaître que les thèmes de l’uniformité et de
l’intensité sont très abordés : pour l’uniformité, 14,8 % de mentions dans
© Les collections de l’INRETS
259
Piéton : voir et être vu
NumeLite et 15 % de mentions dans LED Ville, pour l’intensité, 22,2 % de
mentions dans NumeLite et 21,2 % de mentions dans LED Ville.
L’uniformité se traduit par un flux lumineux régulièrement réparti sur l’espace
de déplacement. Nous avons demandé aux piétons de cocher sur des schémas
des rues réaménagées les endroits où ils percevaient des trous de lumières,
expression utilisée lors de l’entretien.
Tableau 5. Part des échantillons ayant signalés des trous de lumière
NumeLiTe
Installation routière
NumeLiTe
Installation d’ambiance
LED Ville
Installation routière
Trottoir
Chaussée
36 %
4%
80 %
28 %
56,5 %
13 %
Source : Sajous, 2008 et 2009
Selon le Tableau 6, les échantillons signalent la majeure partie des
problèmes d’uniformité sur les trottoirs. Les plus de quarante ans sont les plus
nombreux à signaler ces trous de lumière. Cela peut être lié à la baisse des
performances visuelles à partir de 45 ans.
Dans les commentaires exprimés lors des deux enquêtes, les trous de
lumière génèrent de l’anxiété : peur de ne pas êtres vus des véhicules. C’est
une anxiété sécuritaire qui se surimpose chez les femmes âgées. A Albi, depuis
le trottoir, on ne peut pas discerner qui sort du parc voisin. Une enquêtée nous
confie ses craintes « quand on sait qui il y a de jour… ».
Sur le site LED Ville, un nouvel aspect du problème de l’uniformité dans les
espaces contigus a été soulevé, problème en lien avec les caractéristiques
techniques de cette source. La lumière « s’arrête » derrière les lampadaires
déclare un enquêté. Le flux des LEDs est en effet très directif. Il n’y a pas de
flux perdu, c’est-à-dire de flux s’écartant de la direction souhaitée. On peut ainsi
avoir une rupture franche entre ombre et lumière. Les piétons sont très
sensibles à cet effet. Ils voient le risque d’une mauvaise prise en compte des
trottoirs.
La question de l’appréciation de l’intensité est plus complexe. Pendant
longtemps, en d’autres termes tant que la question énergétique ne se posait pas,
l’uniformité a été gérée non pas en mettant un réflecteur autour de la lampe pour
renvoyer la lumière vers le sol, mais en mettant des lampes de fortes puissances.
Les piétons se sont habitués à l’ambiance qui en résulte. Cela se traduit par
exemple dans l’enquête NumeLiTe par le fait que, malgré la plus forte présence
des véhicules, les rues équipées d’un éclairage pour fonction routière, classique
ou développement durable, sont plus appréciée que celles en éclairage
d’ambiance. Les réponses actuelles associant lampe de moindre puissance et
réflecteur efficace ne sont donc pas jugées aussi performantes. Des mesures
photométriques ont été effectuées : les performances visuelles sont assurées.
260
© Les collections de l’INRETS
A pied, de nuit : les conditions de déplacements
Dans le discours, la baisse de l’éblouissement des nouveaux produits est
appréciée mais cela ne gage pas d’un avis positif sur le rendu général de
l’éclairage qui, dans le même temps peut être qualifié de « léger », « faible ».
Par ailleurs, dans les deux études nous avons noté que les sources
lumineuses blanches qui améliorent le rendu des couleurs sont préférées à
75 % dans NumeLiTe et 65 % dans LED Ville. Cela permet de mieux discerner
les couleurs. C’est un atout pour les repérages dans l’espace de circulation des
personnes en présence, des modes de transports utilisés, de la configuration
des lieux, etc. C’est un atout par rapport à l’éclairage équipé de lampe au
sodium émettant dans le spectre lumineux dans le ton jaune. Elles représentent
aujourd’hui 75 % du marché.
Analyse des résultats et discussion
La marche de nuit en ville ne fait pas exception : elle est, elle aussi sous la
« contrainte » des modes motorisés de déplacement. Ainsi, la norme en vigueur
dans le domaine est pensée pour limiter la dangerosité des véhicules motorisés
en donnant à leurs conducteurs la perception visuelle nécessaire de l’espace et
des autres usagers. Le piéton doit être perceptible par la voiture. Quant aux
perceptions des piétons…beaucoup de latitude est permise sur ce point. Cela
passe par des plages de niveaux d’éclairement plutôt que des niveaux précis
par classe de voies, un piéton plutôt assimilé à une contrainte, un rapport de
contiguïté dont le calcul n’est pas obligatoire dans la classe d’éclairage d’axes
où les piétons sont bien présents, pas d’obligation d’uniformité sur les trottoirs.
La circulation piétonne fait figure de parent pauvre au sein des projets avec une
méthodologie très empirique pour dimensionner les niveaux d’éclairement
nécessaires. Du point de vue des piétons cela semble convenir mais si il était
décidé d’aller plus loin, de se recentrer sur les besoins visuels des piétons c’est
l’uniformité qu’il faudrait privilégier et la couleur blanche des lampes.
Voilà pour les constats. Et maintenant, « quelles améliorations ? » Il nous
semble que pour notre sujet l’amélioration vers laquelle tendre est aisément
identifiable : améliorer la qualité de la lumière fournie dans les espaces contigus
à la chaussée pour améliorer les perceptions visuelles des piétons.
Toute la difficulté réside dans la manière d’atteindre cette amélioration.
Le modèle fonctionnaliste toujours en vigueur devrait être amendé. La
norme EN 13 201, qui en est une émanation, vient de rentrer en révision. Les
consultations débutent et à ce titre, en France, une enquête de terrain a été
lancée par le Certu auprès des administrateurs publics des installations dans le
but de transmettre les résultats à la commission de normalisation. Le système
normatif s’est mis en place en même temps que l’automobile se développait
dans la société. Aujourd’hui, l’état d’esprit est autre. Les politiques de
déplacements des villes montrent qu’elles ont d’autres sensibilités et qu’elles
misent sur d’autres modes. C’est une idée à relayer.
Par ailleurs, des présentations dans des colloques ébauchent des solutions
au problème technique lié à la classification des revêtements (CIE, 2008). Le
Laboratoire Central des Ponts et Chaussées d’une part, et Schreder, d’autre
part, font des recherches en ce sens et ont mis au point des machines
© Les collections de l’INRETS
261
Piéton : voir et être vu
portatives pouvant analyser le revêtement. Il faut que la volonté pour s’en servir
sur des espaces autres que la chaussée soit là - ce qui n’est pas le cas pour
l’instant – mais on peut ainsi penser se défaire du principe de contiguïté et avoir
des niveaux de luminance correspondant mieux aux besoins.
Reste la question du temps : à quand ces prises en compte ? On ne peut
malheureusement envisager qu’un changement très lent du fait d’un taux de
renouvellement du parc d’éclairage d’environ 3 % par an. La révision de la
norme est aussi conduite sur plusieurs années. Si l’amélioration de l’éclairage
des espaces contigus n’est pas prise en charge par la collectivité, il nous
semble que le port du gilet fluorescent de nuit va de plus en plus apparaître aux
individus comme un élément de sécurité lors des déplacements. Le
développement durable, les investissements pour pallier à la crise économique
actuelle sont potentiellement des accélérateurs de changement. De la même
manière, la loi visant à améliorer l’accessibilité des personnes à mobilité réduite
(Journal Officiel, 2006), au fil des constructions et rénovations, devraient avoir
un impact sur l’éclairage des zones piétonnes aux abords des bâtiments
recevant du public ; ce qui améliorera la situation de tous. L’exigence est très
forte et loin de ce qui est réalisé actuellement (cf. tableau 1) : il faut un niveau
minimal sur les cheminements de 20 lux.
Un dernier obstacle se dresse sur le chemin vers l’amélioration : la
complexité de la gestion sociale et politique de la marche à pied nocturne. Si
les acteurs de l’éclairage public se préoccupent, à travers la norme, de sécurité
routière des piétons, elle n’est pas intégralement de leur ressort. Les
collectivités ont une position de gestionnaire de cette notion sur leur territoire et
sont par là même au cœur d’une contradiction qui leur faudra résoudre. Dans le
champ social, la relance de la circulation piétonne est soutenue par le débat
actuel sur la question du développement durable. Dans le même temps, le
débat sécuritaire s’est lui aussi accru dans notre société et les citoyens sont en
attente, dans ce domaine comme dans d’autres, de moyens pour faire chuter le
risque d’agression. Ces demandes sociales lorsqu’elles sont reprises par le
champ politique amènent pour l’instant à des actions contradictoires. La
reconnaissance faciale est un thème récurrent et, pour les communes ne
pouvant financer une vidéosurveillance, le principe « plus on met de la lumière
et moins on a d’agressions » est encore et toujours un moyen de satisfaire
l’attente sociale (Mosser, 2007). Or, avec le développement durable, cette
position consistant à augmenter les puissances de lampes donc à augmenter la
consommation n’est plus tenable. Nous retrouvons-là la contradiction exprimée
par les piétons eux-mêmes. Deux voies de résolution sont envisageables. La
communication portant sur les habitudes à changer en faveur du
développement durable peut servir le changement de mentalité, changement
nécessaire chez certains édiles et dans la population qui s’est habituée à
recevoir ce stimulus la rassurant sur la prise en compte de sa demande. Nous
sommes aussi au balbutiement de « l’éclairage intelligent » : des lampadaires
munis de capteurs de présence ordonnant instantanément le passage à la
puissance de flux adéquate. Des appareils sont actuellement en
expérimentation à Toulouse.
La marge de progression en faveur de la marche à pied de nuit est
importante mais les voies pour y parvenir le sont tout autant.
262
© Les collections de l’INRETS
A pied, de nuit : les conditions de déplacements
Références
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Borras, M., Narboni, R. (2009). By night, collection Architecture, Loft
Publications.
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augmentée, première édition en 1965
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Deleuil, J.M. (2007). Rencontre : J.M. Deleuil, LUX, n° 245
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pour l’application des articles R. 111-19 à R. 111-19-3 et R. 111-19-6
du code de la construction et de l’habitation relatives à l’accessibilité
aux personnes handicapées des établissements recevant du public et
des installations ouvertes au public lors de leur construction ou de leur
création, Journal Officiel du 24 août.
Kersalé, Y. et al. (2008). Yan Kersalé, collection Livre d’Art, Gallimard, Paris
Mosser, S. (2005). Éclairage urbain, vers des démarches d’évaluation et de
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société, vol 31, n°1
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Remande, C. (2007). Guide d’application de la norme européenne d’éclairage
public EN 13 201, LUX, cahier technique, n° 244.
Sajous, P. (2007). Éclairage public : perceptions et réactions de la population,
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Sajous, P. (2008). Enquête dans un quartier de la ville d’Albi sur les perceptions
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Transports Sécurité, 101, 353-368.
Sajous, P. (2009). Rapport intermédiaire sur la préparation à l'enquête
(Définitions des méthodes, protocole d'investigation et
questionnaires), pour le compte de l’ADEME, non consultable.
© Les collections de l’INRETS
263
Voir les objets de la rue :
entre défi et plaisir pour le piéton
Agnès Levitte
CRAL EHESS/CNRS UMR 8566
96 boulevard Raspail, 75006 Paris, France
[email protected]
Résumé – Que voit le piéton dans la rue et comment utilise-t-il ce qu’il voit ?
Nous cherchons à proposer aux designers quelques outils de réflexion et de
conception qui répondraient à ces deux questions. Les designers s’intéressent
à certaines théories de la perception qu’ils ont tenté d’appliquer aux produits
courants. Aujourd’hui les neurosciences et les sciences cognitives complètent
et parfois remettent en cause les premières assertions en s’appuyant sur des
technologies d’investigation modernes. Nous passons en revue quelques
expériences qui apportent un point de vue nouveau sur la perception, tout
spécialement dans des environnements complexes et en mouvement, comme
l’est celui du piéton au quotidien. Dans la troisième partie, nous rapprochons
ces recherches de commentaires de promeneurs qui ont été interrogés, sur leur
perception lors de marches ordinaires dans un quartier de Paris. Les
conclusions des uns et des autres semblent concorder. Aux responsables et
aux concepteurs d’en tirer parti.
Mots-clés : perception, mobilier urbain, design, situation
Introduction
La perception est étudiée depuis des siècles par les philosophes, les
psychologues et les spécialistes du corps. Voir est un mécanisme très
complexe, dont les secrets ne sont pas tous connus et qui pose la double
question de l’objet perçu et de celui qui le perçoit. C’est la perception du piéton
en marche dans la rue, dont il s’agit ici. L’espace de la ville est occupé par des
mobiliers urbains nombreux et variés, conçus pour la plupart par des designers.
Qu’est-ce qui peut aider et favoriser la perception de ces objets ? Les designers
ont besoin d’outils méthodologiques, avant d’envisager un modèle de
conception. En nous appuyant sur les neurosciences et les sciences cognitives,
nous explorons ici quelques-uns des outils possibles, que nous confrontons
dans un deuxième temps, aux commentaires et regards de promeneurs
ordinaires dans les rues parisiennes. Quelques hypothèses se dessinent. Nous
présentons les premières propositions d’une recherche qui est en cours.
© Les collections de l’INRETS
265
Piéton : voir et être vu
La perception pour les designers
Forme et fond, la gestalt
Les designers abordent habituellement la perception par la Gestalt Theorie,
et ses applications les plus probantes sur le rapport de la forme au fond
(Quarante, 2001). Les premières écoles de design, le Bauhaus dans les années
1930 et l’École d’Ulm dans les années 1960, se sont appropriées les grandes
lois de cette théorie : « le tout est différent de la somme des parties » ; ainsi que
l’importance du champ dynamique et de l’expérience de l’acteur. Pour celui qui
se trouve dans la rue, cette loi doit constamment s’appliquer : nous devons
apprendre à détacher les silhouettes des objets de l’ensemble de
l’environnement visuel pour les isoler, les recomposer et les reconnaître. Les
concepteurs insistent sur le principe central de la « bonne forme », qui valide la
leçon de Sullivan « Form follows function ». C’est une notion essentielle pour un
mobilier urbain efficace, qui doit être utilisé avec une économie cognitive. Il doit
aussi raconter visuellement à quoi il sert, et avec clarté ou sinon disparaître et
ne pas gêner la marche. Mais ces grands principes occultent, ou ne prennent
pas en compte la signification symbolique et la dimension sensible de l’objet
perçu. Les recherches sur la perception ont progressé, et les théoriciens, tout
en conservant ces acquis, ont tenté de trouver des réponses à des questions
plus complexes.
Les affordances
Une école plus contemporaine de designers s’est intéressée aux ouvrages
de James J. Gibson (Gibson, 1979-1986). Gibson considère que la perception
est une capacité directe et non pas inférentielle. Les affordances - le concept
principal de sa théorie - sont des qualités objectives offrant des possibilités
d’action à celui qui les regarde, qualités indépendantes des possibilités du sujet
et ne provoquant pas de représentation mentale. Don Norman en a proposé
des applications très pragmatiques (Norman, 1999 ; Norman, 2004), en
différenciant les affordances réelles des affordances perçues. Il affirme que les
« objets séduisants fonctionnent mieux », dans le sens où l’utilisateur aura une
préférence pour un objet qu’il apprécie et saura ainsi mieux s’en servir. Mais
l’objet doit offrir des qualités, non pas seulement en fonction des intentions du
sujet, mais aussi de ses capacités et de ses expériences. Les théories de
Norman englobent les notions d’appréciation et d’émotion que doit ressentir
l’utilisateur attiré par le produit. Nous ne sommes pas loin du design séducteur
de certaines écoles de marketing contemporaines qu’utilisent d’ailleurs parfois
les décideurs politiques pour équiper « leurs » villes. Tous les objets ne peuvent
pourtant pas séduire le piéton dans la rue, il serait vite confus et en grand
danger d’inattention !
Ces deux théories rapidement brossées mettent en lumière l’importance de
la forme qui se détache du fond et de la vision de l’objet qui facilite ou freine
visuellement l’action. Mais la perception est plus complexe et plus riche qu’une
relation visuelle immédiate. Elle implique des mécanismes, cognitifs et sensitifs,
notamment lors du mouvement, et dans un environnement où de multiples
objets et aménagements se côtoient, comme c’est le cas dans la rue.
266
© Les collections de l’INRETS
Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton
La perception étudiée par les neurosciences
cognitives
Le développement des recherches sur le système visuel par les
neurosciences a permis d’analyser les différentes étapes du traitement de ce
qui est vu, depuis la réception de la lumière sur la rétine jusqu'à la
reconnaissance d’un objet, et l’action avec ou vers cet objet. Nous étudions
cinq aspects qui ont donné lieu à des recherches récentes, et qui sont
particulièrement pertinents pour l’appréhension du mobilier urbain.
Invariance et perception coûteuse
Voir est tellement commun qu’on ne cherche pas à comprendre ce qui permet
de reconnaître un objet ou une scène visuelle. Pourtant, il semble que ce
processus soit très complexe. Chaque attribut d’un objet, que ce soit sa forme, sa
couleur, sa texture ou son orientation, stimule une aire différente du cerveau.
C’est le liage des éléments différents qui crée une cohérence visuelle « dans un
dispositif hiérarchique et en cascade qui permet d’apprendre à reconnaître les
nouveaux objets » (Dehaene, 2007). Une fois la cohérence obtenue, il s’agira
d’identifier ce même objet à un autre moment, dans des conditions d’orientation,
d’éclairage, d’éloignement et de points de vue différents : « l’image mentale est
progressivement recomposée par une pyramide hiérarchique de neurones » (id p.
181). Dehaene observe que ces invariances sont souvent « les jonctions entre
les arêtes » qui « suffisent à caractériser un objet, quelle que soit son
orientation ». Ces invariants doivent être très distinctifs pour que le système
nerveux les mémorise lors de l’apprentissage.
Au-delà de l’objet qui est sous nos yeux, il faut parfois arriver à identifier un
objet nouveau, grâce à sa similitude avec un autre. Reconnaître, implique la
capacité à mettre en correspondance l’information visuelle immédiate, avec les
informations stockées dans la mémoire à long terme. Ces informations
mémorisées sont les représentations mentales ou percepts, qui correspondent
à l’objet générique, le prototype, dans ses traits durables et ses invariances.
C’est un objet qui est en quelque sorte la synthèse de tous les autres, sans
pour autant être un objet spécifique. On remarquera dans les promenades cidessous, que le piéton se réfère souvent à de tels percepts.
Il a donc fallu apprendre à reconnaître. Cet apprentissage a commencé par la
scène dans son ensemble, en privilégiant les formes simples et les aspects
écologiquement utiles. Pour percevoir plus de détails, il faut davantage de temps
et d’attention. On sait, grâce aux EEG et IRMf, que les populations expertes
(entraînées pour une tâche spécifique), ont « modifié leurs représentations
mentales, en donnant davantage d’importance aux inputs pertinents [même si
leurs formes sont complexes], et en supprimant ceux qui fournissent peu
16
d’information », même s’ils sont plus simples (Ahissar & Hochstein, 2004). Si
17
l’on suit cette théorie de la Hiérarchie Inversée, qui correspond à nos
observations décrites ci-dessous, le piéton parisien, devenu expert, apprend à ne
voir que les détails utiles à ses déplacements et à sa sécurité, au détriment
16
17
Je propose ma traduction
Reverse Hierarchy Theory RHT selon Ahissar et Hochstein
© Les collections de l’INRETS
267
Piéton : voir et être vu
parfois d’une « finesse de grain » des détails décoratifs. Apprécier devient
« coûteux », en termes d’implication cognitive et d’attention sensible. Avancer en
toute sécurité, éviter les obstacles, autant de tâches qui ne laissent pas toujours
le loisir d’une appréciation esthétique.
Perception sémantique et traitement pragmatique
Une réponse à cette question se trouve peut-être dans la dissociation des
voies neuronales. Partons d’un double constat : il arrive que « l’usage de la
vision ne conduise pas toujours à la conscience, ou à l’expérience visuelle des
objets, ni a fortiori à leur reconnaissance et à leur identification » (Jacob, 2003,
p. 213). Quelle en est la raison ?
En fonction de l’intention du sujet, le système visuel produira pour le même
objet, soit une représentation mentale perceptive, soit une représentation
visuomotrice. Cette seconde transforme les informations visuelles en
commandes pour l’action (Jacob et Jeannerod, 2003 ; Jacob, 2008). L’objet
devient ainsi une cible. Les informations nécessaires sont éphémères et
globales : les contours, l’orientation et la taille suffisent pour permettre une
action simple, alors que pour une vision sémantique – que l’on pourra rapporter
par la parole –, il est nécessaire de percevoir les détails qui permettent, par
exemple, la comparaison et l’appréciation.
Ces deux perceptions correspondent à deux voies cérébrales, l’une
répondant à la question « quoi ? » et l’autre à la question « où ? » (Jacob,
2003). Pour prendre un exemple, le système visuel ne réagit pas de la même
manière au « bonhomme vert » si le piéton s’apprête à traverser la rue ou s’il le
contemple pour sa forme et sa couleur. Dans ce deuxième cas, on est dans une
démarche d’appréciation. C’est la voie ventrale – ou sémantique – qui est
principalement mise en œuvre.
Mais que l’on voie pour agir ou par plaisir, il faut « faire attention », comme
on nous le répète si souvent. Qu’est-ce qui peut déclencher, faciliter ou freiner
cette attention ?
Attention et saillance, fluence et curiosité
L’attention en milieu urbain peut nous sauver la vie, même si parfois nous ne
sommes pas vraiment conscients de voir un objet ou un détail. L’attention est
implicite, dans ce cas précis elle permet de sélectionner ou d’inhiber des objets
ou des détails.
L’attention peut être déclenchée par la perception pour susciter une
cognition (Roda & Thomas, 2006) : telle enseigne me fait comprendre que je
peux acheter ma carte de parking dans ce tabac. Ou, inversement, une pensée
me fait porter mon attention sur le plan, car je cherche à me repérer :
« l’ajustement de mes perceptions va de l’esprit vers le monde » (Jacob, 2008).
La qualité et l’orientation de l’attention dépendent ainsi de nombreux facteurs,
liés à la fois à la situation géographique du sujet et à ses intentions, ses
motivations, sa mémoire ; en un mot à ses situations biographique et personnelle.
Certains environnements rendent difficile la sélection attentionnelle, par exemple
s’il y a abondance d’informations et de signes. De plus, une personne pressée
268
© Les collections de l’INRETS
Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton
privilégiera une attention ciblée sur les mouvements des véhicules et des autres
piétons, négligeant tout autre objet des alentours. Les processus attentionnels
sont alors complexes et la notion de priorité est primordiale. Pour savoir où se
porte l’attention d’un piéton, il est utile de suivre son regard. Nous avons eu la
18
chance d’enregistrer avec un oculomètre portable , trois des promenades dont
nous parlons dans la troisième partie.
Comment forcer la priorité perceptuelle ? Un attribut fort et saillant peut être
une solution. La saillance peut être de trois types. Soit c’est l’information
visuelle propre à un objet, qui permet son identification avec certitude et
rapidité, telle l’enseigne du bureau de tabac. Ou bien, la saillance s’opère par
des éléments qui ne seront jamais mal interprétés. Le sac poubelle transparent,
par exemple, est, dans une scène complexe, un signe spécifique qui ne se
présente que pour ce type d’objet. La saillance (Yantis, 1998) peut enfin être
l’arrivée abrupte, inattendue ou incongrue d’un objet dans le champ visuel. Elle
est liée à la nouveauté.
Au contraire de la saillance, qui indique un élément qui attire, on parle de
« fluence » ou de fluidité visuelle, lorsque la perception est facilitée et accélérée
par une forme, tout en restant précise et exacte. Reber (Reber, Schwarz, &
Winkielman, 2004) démontre que les formes simples ou archétypales, et
certains attributs comme la symétrie et le bon contraste, seraient des raisons
évidentes et universelles de l’impact de la fluence sur le plaisir. Pourtant, les
formes complexes de la fontaine Wallace sont très vite et précisément
identifiées par les Parisiens ou les amoureux de la capitale. La fluence serait ici
favorisée par la familiarité et la curiosité, pour une forme dont la signification
historique et identitaire est très puissante.
L’attention est primordiale pour la sécurité du piéton : il faut attirer son
regard, ou au contraire ne pas le distraire.
Allocentrique ou égocentrique, subjectif ou objectif
Dans la rue, il s’agit aussi de s’orienter et de se repérer. Selon les
circonstances, nous le ferons soit par rapport à des objets éloignés, soit en
fonction de notre corps, point d’ancrage de notre perception. Dans ce deuxième
cas, il s’agit de la perception égocentrée, les coordonnées de l’objet se font par
rapport à celui qui regarde. L’objet est un but qui se trouve dans la sphère intra
personnelle. Par contre, si la perception se porte sur des objets par rapport à
d’autres objets, ou s’ils sont absents et imaginés, la vision est allocentrique et
dans la sphère extra-personnelle. La perception égocentrée est indispensable
pour l’action immédiate. On ne peut monter dans un autobus que si nos gestes
sont coordonnés avec ce qu’on perçoit dans l’instant et par rapport à soi-même.
Par contre, pour apprécier une fontaine ou observer un espace vert, la
référence à soi n’est pas nécessaire et la situation dans l’espace sera la
bienvenue. Cette perception allocentrique permet de voir si l’objet est en
mouvement indépendamment de soi, c’est l’illusion de la gare bien connue des
voyageurs : est-ce notre train qui s’ébranle ou celui du quai voisin ? Le seul
moyen de le savoir est de prendre comme référence un point fixé au sol, donc
18
Grâce à une convention CRAL/LUTIN et à l’aimable collaboration et prêt du LUTIN/CNRS – nous
utilisons l’oculomètre comme outil d’observation du regard et non en tant qu’outil de calcul.
© Les collections de l’INRETS
269
Piéton : voir et être vu
en vision allocentrique stabilisée. La référence égocentrique exige au contraire
une remise à jour constante de la perception au cours du déplacement, par les
mouvements des yeux, de la tête et du corps.
Voir pendant la marche
Pendant la marche, le mouvement est généré par tout le corps, les
membres, la tête et les yeux. De plus, certains objets autour de soi sont aussi
en mouvement, les véhicules, les autres piétons. Sans cesse, des parties
cachées d’un objet se révèlent, d’autres disparaissent. Un objet en occulte un
autre, et ainsi de suite. La lumière participe à ces variations, un rayon de soleil
rend visible un détail auparavant dans l’ombre. On peut parler avec Gibson
d’une « perspective mouvante » (Gibson, 1979-1986), d’un flot visuel continu
pour l’observateur, flot qui est ancré dans la fixité et l’invariance des objets
environnants et du sol.
Visionner l’enregistrement d’un piéton, réalisé à l’aide d’un oculomètre
19
portable est particulièrement enrichissant à ce point de vue. Le film rapporte
un continuum visuel où se découpent des silhouettes d’objets sur lesquels le
sujet porte son regard. Les objets changent sans cesse. L’angle de vision dans
lequel le promeneur les perçoit, leur taille, leur position ne sont jamais les
mêmes, et pourtant le marcheur n’a aucun mal à les reconnaître et à les
intégrer dans sa promenade.
Au cours de la marche, tous les sens sont en alerte. Les informations utiles
à la sécurité ou au plaisir proviennent des capteurs des muscles des pieds qui
préfèrent les pavés, des oreilles qui reconnaissent une rue bruyante avant les
yeux, de l’olfaction qui détecte une plante ou un marchand de poulets rôtis.
Plusieurs phénomènes perceptuels assistent ou gênent le promeneur. Une
fois qu’il a identifié l’objet en le détachant de la scène visuelle, il doit en trouver
l’invariance pour le reconnaître. Pour en découvrir la subtilité et l’apprécier, il
doit en voir au contraire tous les détails. Ce ne seront pas les mêmes détails qui
seront pertinents, s’il veut agir. Pour comparer, il adoptera une perception
principalement allocentrique. Mais pour utiliser ces mêmes objets, il devra les
situer par rapport à son corps. Tout en marchant, son œil identifiera les formes
par des indices parfois saillants, parfois fluents, selon ses objectifs. Attention
complexe ! Comment le piéton vit-il et comprend-il tout cela au quotidien ?
Les promenades pour saisir la perception
et l’appréciation
La situation de l’intrigue : méthodologie
Utilisant la méthode des promenades commentées, mise au point par les
architectes et les urbanistes (Augoyard, 2003 ; Grosjean & Thibaud, 2001 ;
Thibaud & Joseph, 2002), les commentaires de quatorze promeneurs ont été
19
L’oculomètre est un appareil qui permet d’enregistrer dans le temps la position de l’œil d’un sujet
trois fois par seconde. Nous avons pu réaliser l’enregistrement de trois promenades in situ de 45
minutes environ chacune. Nous l’utilisons pour l’observation et non comme outil statistique.
270
© Les collections de l’INRETS
Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton
enregistrés, au cours d’un cheminement prédéterminé et identique dans un
quartier populaire de Paris. Il s’agissait de récolter l’expérience vivante de
20
piétons ordinaires , et d’en observer les comportements visuels. Après avoir
accordé sa définition du mobilier urbain à celle de la recherche en cours, le
promeneur avait pour seule consigne de s’exprimer de manière libre sur ce
sujet. La chercheure se contentant de quelques relances neutres sur certains
termes, lorsque cela paraissait indispensable.
Voir dans la rue, implique de prendre en compte à la fois l’environnement, les
aménagements et les ambiances qui accompagnent le piéton. Pour les besoins
de l’étude, nous avons ici isolé certaines situations ou « intrigues », moments
privilégiés, découpés dans un flot plus vaste. Au-delà des quatre grilles
21
principales qui ont été appliquées pour l’analyse du corpus – des termes utilisés
au cheminement de l’appréciation esthétique, en passant par le « voir pour » et le
« voir en » – nous décrivons ci-dessous la perception qui se déploie au cours du
temps, dans l’environnement urbain et dans le vécu personnel. Nous les
analysons, au regard des recherches de la partie précédente. Bien sûr le
promeneur, dans sa déambulation perceptive et verbale, ne suit pas la logique de
la recherche scientifique, et les extraits choisis regroupent souvent, dans un ordre
différent, des exemples de concepts que nous avons tenté de bien ordonner cidessus. Pour chacune des cinq intrigues sélectionnées, nous reproduisons dans
un premier temps le discours intégral en italique, tel qu’il a été prononcé pendant
la promenade, puis nous en proposons l’analyse.
De la saillance au plaisir par fluence, en passant
par l’invariance
L’attention est souvent rapportée et facile à observer. Elle est bien sûr
renforcée par la situation quelque peu artificielle de l’enquête. Dans l’exemple
qui suit, on voit JCD, souvent automobiliste, rechercher la saillance colorée de
l’enseigne, signe invariant et mémorisé. Puis il décrit son appréciation de la
fluence qui mène au plaisir esthétique.
JCD s’interroge : « Je sais pas si les enseignes de magasin font partie du
mobilier urbain. Moi je trouve que ça pourrait en faire partie, surtout les
enseignes qui… bon là (lève la tête et pointe vaguement vers le haut sur la forêt
d’enseignes du boulevard Voltaire) les enseignes c’est peut-être privé les
enseignes, à même sur la façade de la boutique. Mais tout ce qui dépasse,
c’est pareil je trouve enfin voilà, on devrait penser à un style d’enseignes plus
belles. Là, tu en as une petite qui fait 50 sur 50, enfin je trouve que dans le
paysage il pourrait y avoir une recherche… Les seules enseignes comme ça
que je trouve les plus belles, c’est les enseignes de tabac. Est-ce que ça vient
de la forme ? Elles sont toutes identiques, alors on les reconnaît. Et cette forme
de cigare, je trouve que dans le paysage, je trouve qu’elles ont un intérêt. Moi
j’achète des cartes de stationnement, et c’est dans les tabacs. Et quand je
repère le truc tabac, et ben je sais que je peux… Tu vois ce matin encore une
personne m’a demandé « est-ce qu’il y a un tabac » alors j’ai fait (mouvement
20
Les discours sont transcrits en italiques, en respectant l’élocution, les hésitations, les pauses…
C’est l’objet d’une thèse en cours de finalisation : « La perception des objets quotidiens dans
l’espace urbain » sous la direction de Jean-Marie Schaeffer, CRAL de EHESS/CNRS
21
© Les collections de l’INRETS
271
Piéton : voir et être vu
circulaire de la tête), tu vois je connaissais pas, j’ai tourné (fait une deuxième
fois le mouvement du corps et de la tête pour me montrer), j’ai essayé de
trouver cette enseigne et j’ai dit « Écoutez apparemment, y’en a pas dans le
coin » alors que là (mouvement de la main en direction du tabac qui est à
cinquante mètres environ) on me demanderait, je pourrais indiquer… »
Le promeneur exprime son ennui visuel, comme s’il était à la recherche d’un
agrément qu’il ne trouve jamais. Il généralise à l’ensemble de la ville, la cause
de son absence de plaisir : « je trouve que dans le paysage, il pourrait y avoir
une recherche ». Le terme de paysage définit ici l’ensemble de son champ
visuel, l’architecture, les aménagements, les utilisateurs de l’espace, et tout
l’immatériel des ambiances, éclairages, bruits. Puis son regard est comme
happé par le panneau du tabac, au loin. Il commente immédiatement, par une
appréciation sensible positive. Il s’interroge : « est-ce que ça vient de la
forme ? » Sans répondre, il explique comment il les identifie : « elles sont toutes
identiques, alors on les reconnaît ». En fait, elles sont loin d’être similaires, mais
elles correspondent, pour lui qui vit en France, à un percept, un signe général
(forme en losange de couleur rouge avec le mot tabac inscrit en son centre), qui
frappe son regard et qu’il distingue sans avoir besoin de réfléchir. C’est la
saillance involontaire, décrite plus haut. Il apprécie la facilité avec laquelle il
l’identifie sans erreur possible. L’aisance de la perception est un plaisir en soi.
Mais il y a aussi une fluence conceptuelle, puisque le signe est clairement et
rapidement identifié. C’est le cas d’une fluidité double que Reber appelle
« processing fluency »(Reber et al., 2004). L’image est perçue, non pour ce
qu’elle représente (le tabac à fumer), mais pour ce qu’elle indique (le lieu où
l’acheter). La fluence est avant tout culturelle : c’est parce que JCD a vu cette
enseigne de multiples fois, qu’il la reconnaît avec plaisir. Sa forme simple et
symétrique génère peut-être aussi la fluidité et le plaisir qui en découle. Enfin, la
forme prototype de couleur rouge participe à l’aisance perceptuelle.
Puis il parle, dans la foulée, de la figure. Il donne une signification à l’objet, qui
22
n’est pas la signification exacte mais qu’il forge mentalement, en comparant
l’image abstraite et conceptuelle (là encore) d’un cigare. Il explique la vision de
loin, et le regard qui englobe. Il s’agit d’une impression générale, d’un
« paysage » qui se construit à partir d’éléments sélectionnés parmi tous ceux qui
le composent. Il apprécie cette forme qui raconte non seulement le « cigare »,
mais surtout ce que lui peut en faire. Il sait ce qu’il peut trouver, dans ce lieu
signalé par l’image générique. Son regard est réconforté par la clarté du
message, qui est immédiatement traité cognitivement. Il peut maintenant prendre
une décision et agir sans délai. Son plaisir semble être plus cognitif
qu’esthétique : il est satisfait de cette instantanéité et de l’identification, dans un
environnement qui ne favorise pas souvent ce genre de confort. Dans une
23
situation ordinaire , il aurait utilisé le schéma visuomoteur (Jacob & Jeannerod,
2003) de son système perceptif, et n’aurait eu besoin que de très peu d’éléments
visuels, « et quand je repère le truc tabac, et ben je sais que je peux… ». Cette
22
La forme de l’enseigne serait apparue au XVIIe siècle imitant la carotte, forme sous laquelle le
tabac était conditionné.
23
JCD est dans une situation un peu artificielle dans le cadre de cette recherche, car il doit
verbaliser ce qui est habituellement implicite. Son regard est aussi forcé par une attention plus
soutenue que nécessaire. Il perçoit des détails qui, en retour, engendrent une réflexion qu’il a
l’occasion d’exprimer de manière sensible.
272
© Les collections de l’INRETS
Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton
signalétique est utile et fonctionne tellement bien, qu’il ne va même pas au bout
de sa phrase. Il enchaîne sur une anecdote survenue le matin même, quand un
passant l’a interrogé sur l’existence d’un tabac : « Tu vois je ne connaissais pas,
j’ai tourné (mouvement, avec tout le corps), j’ai essayé de trouver cette
enseigne… alors que là (il pointe de la main), je pourrais indiquer »
Dans cet extrait, pour JCD ce qui importe à ce moment précis, c’est que le
signe indique efficacement. La compréhension de l’histoire de la forme et son
appréciation esthétique, ont peut-être eu lieu précédemment. Il s’agit d’une
utilité remémorée au moment opportun. Il confirme que dans le quotidien, son
regard sous-tend son action dans la plupart des situations. Mais cela ne
l’empêche pas d’avoir du plaisir ou du déplaisir au regard de formes, de
couleurs, d’objets. Pour ces signes ordinaires, le plaisir et le déplaisir sont
furtifs, sans cesse dérangés par l’exigence de la marche, de l’action, de la
présence de l’autre.
Dans le cas suivant, l’attention est attirée par la couleur.
Perception sémantique, vision pragmatique
et écologique
Cet extrait-ci offre un bon exemple de « l’approche écologique de Gibson »
(Gibson, 1979-1986), appliquée aux couleurs. Nous sommes assis dans un
espace paysager avec JF : « Un joli jardin là, l’éclairage, les arbres qui nous
font un petit peu d’ombre, c’est plus agréable que les immeubles. Ça me plait
dans la mesure où j’ai rien vu d’autre. Ça ne me choque pas, en comparant
avec ce que j’ai vu dans d’autres pays. Ce qui me choque, c’est que les
couleurs c’est un peu toujours pareil, c’est soit vert, soit marron, c’est peut-être
justement pour qu’on ne les observe plus, qu’on ne les voie plus, en fait. Tu
vois, le vert des bancs on le voit pas, alors que le vert des poubelles on le voit,
le banc est plus discret, c’est plus du loisir, de la détente. Alors que la poubelle,
c’est plus le côté utile. Le point d’eau c’est pareil, un point d’eau c’est discret,
celui-là on le voit pas forcément, il est pas très haut, y’a pas écrit “eau” dessus.
Si on s’approche pas ou si on n’a pas été voir, on sait pas ce que c’est. Il est
carré, je sais pas du tout pourquoi il a cette forme. »
JF décrit une ambiance faite de couleurs, de nature, de lumière et de
sensations corporelles, qu’il n’attribue à aucun objet précis. La valence est
positive, et la description analytique. Il laisse pointer une appréciation voilée.
Puis il confirme. En grand voyageur, il appelle dans sa mémoire de travail, des
situations analogues pour confirmer ou infirmer. Il oscillait entre deux
sensations. Et tout à coup, dans le cheminement de sa pensée portée par son
regard, il comprend : les couleurs ! La banalité des deux seules couleurs ne
peut motiver son intérêt et soutenir son appréciation. De multiples autres
couleurs jalonnent notre environnement visuel, mais son attention se porte sur
celles-ci, qui occultent toutes les autres. Il y a saillance attentionnelle, mais à
valence négative. Il explicite : « tu vois le vert des bancs, on ne le voit pas, alors
que le vert des poubelles, on le voit. Le banc est plus discret, c’est plus du
loisir, de la détente. Alors que la poubelle, c’est plus le côté utile ». Son analyse
va dans le sens de la théorie de Gibson. Des deux verts « écologiques », l’un
doit être vu sans faute pour y déposer le déchet ; l’autre repose le regard, on le
© Les collections de l’INRETS
273
Piéton : voir et être vu
verra seulement si l’on est fatigué. Celui du banc est foncé et saturé. Il est
traditionnel, et souvent utilisé pour différents mobiliers de la ville de Paris, d’où
l’habitude perceptuelle, la lassitude ou même la non-perception. Pourtant, si on
mettait côte à côte plusieurs bancs, on constaterait de multiples nuances
enregistrées dans la mémoire comme une même couleur. Le vert de la
24
corbeille est plus clair, franc et lumineux. De fait, l’objet est composé de
plusieurs verts assortis, un vert opaque pour la structure métallique et un, très
clair et translucide, pour le sac amovible. C’est un vert plus « mode », qu’on
rencontre dans l’habillement ou l’aménagement domestique contemporain. Le
premier serait un vert générique, ou prototypal, le second un vert saillant.
JF parle maintenant de la fontaine. Il confirme sa pensée et son expérience
vécue : la fontaine n’a pas besoin d’être vue si on n’a pas soif. Elle a une
discrétion presque humaine. JF pousse son regard. Il remarque de nouveaux
attributs : la hauteur, l’absence de signalisation et la forme générale carrée, dont il
interroge la signification sans trouver de réponse. Le petit membre de phrase « si
on n’a pas été voir » serait une invitation à faire quelques pas. Il fait référence à
son percept, représentation mentale d’un objet identifié sous une forme
générique et invariante. Cet objet est différent d’un autre par ses masses ou ses
couleurs, mais sa fonction figure dans un catalogue mental de formes similaires.
Ainsi le promeneur décrit-il en quelques minutes l’importance des couleurs,
pour suggérer une action ou l’occulter. Il confirme également le percept visuel
dans son invariance.
Perception égocentrique ou allocentrique ?
Il est difficile pour certaines personnes de se positionner de manière
allocentrique, par rapport à un objet qui n’est pas dans leur champ de vision.
C’est le cas d’AG qui prend parfois la rue à contresens, pour avoir mal lu un plan.
« L’abribus… bien souvent quand je prends le bus, il n’y a pas d’abribus. Ah
le plan, j’ai souvent cherché quand j’étais dans d’autres quartiers de Paris. Mais
en fait c’est pas pratique, parce que j’ai jamais réussi à comprendre le plan des
bus, c’est trop compliqué pour moi. Et le bus je m’en sers pas, je prends le
métro ou… trop compliqué. Je préfère les porches quand vraiment il pleut, mais
j’utilise pas les abribus. » […] « En général, je connais. Quand je connais pas le
quartier à l’arrivée au métro, j’essaie d’avoir un plan, et après pour le numéro
j’essaie de regarder le numéro dans la rue. Je regarde le nom de la rue et
souvent j’ai un plan. Et souvent je suis perdu, enfin…mais avec un plan, quand
j’ai une idée… je me repère facilement. Mais quand j’ai un plan sous les yeux,
j’ai du mal à comprendre comment c’est, et je vais dans le mauvais sens.
Sinon, pour reconnaître, ça va être les boutiques, et puis grosses ou petites
rues, avenue ou petite rue, donc taille, et nombre de voies de circulation. Je
pense que c’est comme ça que je reconnais une rue, oui. »
AG sait que tous les abribus présentent les mêmes éléments, même si dans
l’instant il ne les voit pas. Par automatisme, il sait où trouver les outils qui lui
seront utiles. Mais il envoie une phrase tranchante : « je n’ai jamais réussi à
comprendre ». L’outil proposé n’est pas adapté à ses compétences. Il préfère
24
Corbeilles de propreté urbaine Citec 45L à sac transparent mises en place à Paris en 1997.
274
© Les collections de l’INRETS
Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton
emprunter le métro dont il comprend l’usage. Et décidément, l’abri n’est pas très
utile, même en temps de pluie. On remarque au passage les détournements
fréquents des objets.
Mais revenons à la délicate tâche de s’orienter dans la ville. La lecture d’un
plan est une démarche cognitive complexe qui demande de prendre une
position mentale allocentrée, en se référant non à son corps mais à des signes
abstraits et/ou éloignés de soi. Il faut des compétences d’abstraction spatiale.
Le problème survient bien sûr dans un quartier inconnu. AG utilise le plan, pour
savoir de manière allocentrique où se trouve la rue dans laquelle il doit se
rendre. Le numéro de la rue sera identifié ensuite dans la sphère intrapersonnelle et de manière égocentrique : il suffit de regarder et de suivre la
logique de la numérotation rigoureuse de la ville. Parfois pourtant la méthode
n’est pas infaillible, sauf s’il a une image mentale préalable : « mais avec un
plan quand j’ai une idée », c’est-à-dire une référence égocentrique, une
première expérience visuelle qu’il a mémorisée et qui donne des points de
repère subjectifs codés par rapport à son corps. Il conclut qu’il a en effet du mal
à traduire ce qu’il lit sur un plan de façon objective ou allocentrique, dans la
réalité égocentrique et subjective. La manière infaillible, et rassurante
cognitivement, est de se fier à ce qui est devant ses yeux : boutiques et largeur
des voies. C’est la vision typiquement concrète et égocentrique.
Pour CD au contraire, cette difficulté n’existe pas. Spontanément, elle parle
des plaques de rues pratiques pour se repérer, particulièrement grâce aux
arrondissements toujours inscrits. Elle a sans doute un « plan de Paris dans la
tête », une vision mentale claire de l’organisation spatiale de la ville, vision
objective. Elle mentionne sa capacité à toujours savoir où sont les points
cardinaux : «… c’est pas forcément les itinéraires les mieux, les panneaux c’est
surtout pour les voitures, mais quand même. Et sinon… moi je me repère
assez, comme ça. Je sais toujours à peu près où c’est nord, sud, est, ouest et
par rapport à ça, je sais que si je suis au nord et que je veux aller au sud, il faut
que je descende... ». Son corps est engagé pour l’orienter dans le sens de la
pente. Elle précise : « il y a quand même ma carte qui m’aide bien. Mais avec la
carte, je commence à connaître le nom des rues, et quand je vois le nom de la
rue, je sais à peu près où je suis… ». CD verbalise ici avec clarté le passage de
la situation égocentrée (le corps par rapport à la rue et à la plaque sous ses
yeux, ou à la pente du terrain), à la situation allocentrée, consultant sa carte
physique ou mémorisée (la connaissance des lieux se fait abstraitement et
indépendamment de la localisation de son corps).
Quand tous ces petits soucis de repérage et de sécurité sont résolus, que
reste-t-il au piéton ? Que regarde-t-il ? Où trouve-t-il son plaisir ?
Ressentir avec tout le corps
En compagnie de KU, nous arrivons dans la partie arborée qui double le
trottoir de la rue de la Roquette. Tout s’apaise : « Oui il y a aussi, quand on
marche, quand on est un peu sensible, oui il y a aussi le sol, la matière change !
On n’a pas du tout la même… le béton. Ici c’est la pierre qui est posée, parce que
bon, ça fait partie… du jardin. Il y a aussi le point d’eau par exemple. Je pense
qu’il y a tout de suite un petit espace qui vient de se séparer, de ce côté euh
bruyant… il y a que les voitures. Alors qu’ici, peut-être les gens viennent peut-être
© Les collections de l’INRETS
275
Piéton : voir et être vu
avec leur vélo mais bon euh, ici on est quand même en sécurité. On va pas se
faire déranger, ou être klaxonné même. (Relance sur le point d’eau)
Esthétiquement ? Enfin ça me rappelle toujours en fait euh le point d’eau d’un
jardin que moi j’arrive à reconnaître très facilement […]. Donc ça il est beaucoup
plus lisse, plus arrondi, heu, mais bon moi j’ai plus une certaine amitié avec celuilà, le point d’eau voilà… »
Pour la première fois, après trente minutes de marche, KU se laisse aller à
une appréciation sensible. Elle perçoit la nature du sol par ses pieds au travers
de ses chaussures. Elle est consciente que ce mode de perception n’est pas
courant. Pour elle, il est immédiat et guide son regard. Elle en trouve la cause
et la nomme : c’est le matériau qui a sa justification dans cet espace arboré.
Elle ne précise pas si la pierre, selon elle, est liée à une fonction utilitaire ou
visuelle. Il est à noter que nous avions déjà traversé des zones pavées, mais
que KU n’en avait pas fait mention : soit sa perception était attirée par des
détails plus prégnants dans l’instant, soit elle ne l’avait pas reportée.
Son regard se porte maintenant sur ce qui l’entoure et se fixe sur un objet
qu’elle désigne par sa fonction, « le point d’eau ». Elle remarque la séparation
de tout ce qu’elle aime moins dans la ville : le bruit et les voitures. Tous ses
sens participent à sa perception. Cet espace lui inspire la sécurité. Elle goûte
une ambiance qu’elle décrit par des actions imaginées, en creux, qui ne seront
pas les siennes, mais qui participent à qualifier son vécu de l’instant présent.
Bien qu’elle ne l’exprime pas, on comprend qu’un certain plaisir est éprouvé.
Je la questionne sur la fontaine qu’elle identifie aisément et immédiatement.
Comme pour l’enseigne des tabacs dont parlait JCD, il existe des formes
différentes de ce type de fontaines à Paris, mais KU la reconnaît comme un objet
archétypal. Elle exprime un ressenti à la fois visuel et tactile, bien qu’elle ne le
touche pas : « le lisse et le rond ». Sa relation est sans doute ancienne avec cet
objet : « j’ai une certaine amitié ». La facilité avec laquelle elle le reconnaît crée
une relation émotionnelle. Aucun effort n’est plus nécessaire, la perception est
fluide et plaisante (Reber et al., 2004). L’objet est à peine décrit. Cependant elle
exprime un plaisir clairement positif, dû à la fois à la facilité du traitement du
stimulus, et à ce qu’il rappelle à sa mémoire. Cette appropriation des objets de la
rue, parfois comparés à ceux de la maison, revient souvent dans les promenades. Elle ne livrera quasiment jamais ses émotions sur le parcours, préférant
évoquer les usages et le fameux équilibre théorique entre forme et fonction.
La perception de KU est sensible et discrète. Le corps entier est sollicité
pour appréhender les ambiances et les détails. Dans cet exemple, la vision de
détails saillants suscite des perceptions mentales, imaginées ou remémorées,
pour décrire l’impression ressentie et non pas un objet. Dans l’exemple suivant,
l’appréciation est également au rendez-vous.
Le cheminement du regard pour comprendre
et apprécier
Il s’agit d’une promenade enregistrée par un oculomètre portable. RBS,
après avoir découvert le pigeonnier, découvre la fontaine Wallace : « Ah sinon
on peut voir une autre fontaine (il est encore à 10 mètres environ et pose déjà
276
© Les collections de l’INRETS
Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton
son regard sur la fontaine Wallace, de manière répétée et exclusive). Ah ! ces
fontaines-là sont très jolies, elles sont vraiment jolies. Y’en n’a pas vachement
dans Paris. (Son regard se déplace uniquement entre la partie médiane,
composée par des femmes, et le haut du socle). Je crois qu’à un moment, ils
ont réduit le nombre de fontaines qu’on avait. Et c’est plutôt joli. Je les utilise. Je
bois ou je me lave les mains, des trucs comme ça. (relance sur joli) (Se
rapproche lentement, mais reste à cinq mètres environ et ne se rapprochera
pas plus). Ce qui me frappe surtout, c’est ces quatre femmes qui soutiennent
cette fontaine et… la forme est assez jolie. Et même, ça a un côté (son regard
se porte pour la première fois sur la partie supérieure de la fontaine qu’il décrit
maintenant) assez austère et dangereux parce que ça finit par un pic.… mais
après c’est assez étonnant, parce qu’on n’y a pas complètement accès à cette
fontaine. (Son regard maintenant oscille à nouveau entre la partie médiane où
coule l’eau, et la partie supérieure du socle, sous les sculptures des quatre
femmes). On peut que tendre les mains. On peut pas tendre son visage par
exemple. Mais c’est, c’est joli quoi. C’est bien conçu. »
RBS, on l’a remarqué au début de la promenade, regarde intensément un
objet avant d’en parler, parfois plusieurs secondes plus tard. C’est le cas pour
cette fontaine Wallace sur laquelle il a déjà jeté son regard depuis le pigeonnier.
Il s’agit d’une fontaine Wallace dont la décoration est volontairement
25
artistique . Elle fait partie des quelques mobiliers urbains de la capitale datant
du dix-neuvième siècle et qui ont été conçus comme objets tant décoratifs
qu’utilitaires. Ils donnent aujourd’hui une identité très forte à Paris. C’est un
symbole dont RBS est peu familier, mais dont il saisit immédiatement la valeur
ajoutée décorative.
Il explique qu’elle lui rappelle la petite fontaine sur laquelle il a fait un
commentaire quelques minutes auparavant. Il désigne immédiatement l’objet
par une évaluation esthétique très positive. Évaluation ponctuée par la rareté :
« y’en n’a pas vachement dans Paris ». Il donne une explication vague à cette
rareté, « ils » les auraient supprimées. Il revient une deuxième fois sur son
appréciation esthétique et enchaîne sur l’usage qu’il fait de toute fontaine : boire
et se laver les mains. Pendant toute cette séquence qui dure 97 secondes, RBS
porte son regard presque uniquement sur la fontaine. D’abord de haut en bas
sur les trois parties principales (chapeau, partie centrale et socle), puis
uniquement sur les statues, pour revenir sur les parties extrêmes
alternativement. L’exclusivité de son regard est notoire : alors qu’il a porté son
œil sur quasiment chacun des scooters que nous avons rencontrés jusque-là,
sa vision reste ici insensible à tous les deux roues. Pour répondre à ma
question sur le terme « joli », il fait quelques pas, tout en restant à bonne
distance. Il ne cherche pas à voir les détails ou à se servir de l’eau de la
fontaine comme d’autres promeneurs l’ont fait. Il souhaite garder une vue
d’ensemble, sans doute. Son regard se focalise sur les statues dont il parle
aussitôt « ces quatre femmes qui soutiennent la fontaine… c’est assez joli ».
Son regard explore l’objet et ainsi le découvre, pour répondre aux objectifs de
l’enquête quelque peu artificielle. Dès qu’il remarque la partie supérieure, il la
25
Offerte en 1875 par Sir Richard Wallace aux habitants de Paris pour qu’ils bénéficient d’eau
potable, elle a été conçue d’après un cahier des charges très complet. C’est le sculpteur CharlesAuguste Lebourg qui eut la charge de la création des quatre Caryatides.
© Les collections de l’INRETS
277
Piéton : voir et être vu
qualifie d’austère comme un peu plus tôt, la bouche de métro de la place Léon
Blum. Tout à l’heure, l’austère était le contraire du joli et de l’arrondi. Ici, c’est le
pic qui exprime la rigueur, le danger même. Son investigation visuelle des
formes est une perception sensible à partir de l’ensemble, puis plus
précisément devient une perception esthétique de la partie centrale des
sculptures, et enfin une perception émotionnelle de la partie haute. Sa réflexion
sur la forme le mène dans un deuxième temps, à questionner l’usage : « Mais
après c’est assez étonnant parce qu’on n’y a pas complètement accès quoi, à
cette fontaine ». Par une projection mentale, il s’imagine en train de l’utiliser, et
visualise immédiatement les freins qu’il devra affronter. Il utilise sans doute un
réseau cérébral différent : le système visuomoteur, qui permet la transformation
de la perception en action (Jacob & Jeannerod, 2003), à la différence du
système sémantique utilisant la voie ventrale, pour une perception plus fine et
détaillée. La lecture de la forme de l’objet usuel, lui donne des indications sur la
manière de l’utiliser. C’est ce que Gibson appellerait une affordance. Et ici pour
RBS, la réussite n’est pas au rendez-vous. La forme est lisible, mais ne
correspond pas à l’utilisation qu’il prévoit d’en faire. Par une démarche
cognitive, il comprend abstraitement que la fontaine inhibera le geste de tendre
son visage pour se rafraîchir. Cet inconvénient d’usage est compensé par
l’aspect qu’il apprécie, et la valence générale reste positive.
Dans cet extrait, on assiste à la découverte d’un objet peu connu : il y a
saillance, qui rompt la routine, et qui motive à prendre le temps de porter son
regard plus longuement. La récompense attendue – et récoltée – est la
satisfaction sensible. Le promeneur ressent assez de plaisir, pour prolonger son
regard et enrichir son expérience. Plus l’œil parcourt longuement et
exclusivement l’objet, plus le plaisir se précise. L’expérience sensible devient
alors esthétique. Il y a donc trois étapes dans la découverte de RBS : la
surprise de la nouveauté qui amorce le regard, l’appréciation sensible et
esthétique qui motive la poursuite de la démarche et le cycle de la récompense,
et enfin une attitude mentale cognitive, qui lui permet de comprendre comment
faire usage de l’objet par le regard.
Conclusions
Parmi les concepts qui permettent d’analyser le processus de la perception,
nous avions retenu dans les premières parties de cet article, ceux qui
semblaient les plus pertinents pour appréhender la perception des objets
quotidiens, lors de la marche dans la rue : invariance, saillance, fluence,
allocentrique/égocentrique et affordance. Les commentaires des promeneurs
que nous avons enregistrés reprennent ces concepts, dans des termes
différents. Lors de la marche urbaine, le mobilier urbain a plusieurs fonctions
pour le piéton. Ce mobilier doit communiquer de manière claire ce qui est utile
au marcheur, qui pourra ainsi extraire de la scène visuelle complexe, ce qui
servira ses intentions et objectifs.
Premièrement, le mobilier facilitera la marche, sans bloquer la perception. Il
devra être vu et identifié sans ambiguïté, avec exactitude et rapidité. C’est la
fluence avec laquelle plusieurs marcheurs reconnaissent les enseignes ou les
abribus. La bitte de trottoir a longtemps surpris le regard et interrogé le
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© Les collections de l’INRETS
Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton
marcheur. Ce fut un obstacle cognitif autant que physique. D’autre part, comme
on l’a vu, l’objet qui facilite la perception est souvent archétypal pour celui qui le
regarde. On n’en voit pas la « finesse du grain », on ne voit pas les différences
entre les multiples enseignes de tabac, ou les bancs dont les formes et les
couleurs présentent cependant de grandes variétés. Cette invariance
mémorisée permet d’identifier l’objet-type, selon une catégorisation mentale. La
disposition ou l’orientation dans lesquelles on les perçoit n’ont d’importance que
si on les utilise. Le marcheur peut avancer ainsi, sans obstacle visuel majeur.
Le mobilier doit aussi signaler et protéger efficacement. L’objet doit alors
être saillant : certains de ses attributs doivent attirer l’attention pour que le
marcheur le remarque au moment opportun. Par exemple, les sacs en plastique
vert sont devenus pour le Parisien l’emblème de la propreté de leur ville. L’œil
les repère, la couleur et la matière sont spécifiques et ne peuvent être
confondues, pour autant qu’on les cherche. C’est une affordance. Mais la
protection, c’est aussi celle des feux de signalisation. Les promeneurs ont
souvent remarqué que si le signe est identifié sans doute possible, par sa
couleur et sa forme, nombreux sont les endroits où l’attention n’est pas
suffisamment attirée et où cette saillance est absente. Inadvertance du piéton ?
Peut-être, mais souvent un aménagement défaillant n’a pas pris en compte
toutes les subtilités et les contextes de la perception humaine.
Le mobilier est troisièmement un outil précieux pour se repérer. Les
problèmes de lecture du plan en vision allocentrique sont fréquents. Peut-on
créer de nouveaux outils pour résoudre ce problème ? Se repérer pour d’autres,
c’est « avoir une carte dans la tête », une représentation mentale et objective,
ou pouvoir identifier avec l’ensemble de son corps la direction du Sud, dans le
sens de la pente qui mène à la Seine, dans les quartiers Est de la capitale.
Mais le repérage se fait aussi par la reconnaissance visuelle d’une scène
connue, par cette curiosité qui a permis de remarquer le détail saillant d’un
mobilier dans une scène visuelle.
Voir en marchant n’est pas tâche simple. La richesse de l’environnement
urbain est telle que le piéton doit opérer de fréquentes inhibitions pour focaliser
son attention sur ce qui est utile et salvateur. Les détails à découvrir sont
pourtant multiples, parfois cachés par l’abondance, parfois occultés par les
préoccupations du marcheur stressé. Mais il est possible de les apprécier, on
l’a vu. Certains mobiliers ont même été conçus comme des œuvres, telle la
fontaine Wallace. Cette appréciation ordinaire d’un objet usuel se fait au détour
d’un regard. Elle est bien différente de celle qui se produit dans le musée de
manière plus consensuelle. Mais une esthétique de l’ordinaire fait partie du
quotidien du piéton et les aménageurs peuvent en tenir compte.
Un mobilier urbain bien conçu serait celui qui assure la bonne marche sans
obstacle perceptuel, qui garantirait notre protection en attirant l’attention au bon
endroit, et qui saurait orienter sans peine dans la bonne direction, certes. Mais
aussi celui qui pourrait guider notre regard vers le plaisir, la réflexion,
l’engagement, le bon usage… Ce sont ici les premières conclusions que nous
pouvons donner d’un travail en cours d’analyse. Les premières rencontres avec
les designers ont confirmé l’intérêt qu’ils portent à ces schémas de notre étude.
© Les collections de l’INRETS
279
Piéton : voir et être vu
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280
© Les collections de l’INRETS
Percevoir la ville sans voir
Nicolas Baltenneck, Serge Portalier
Laboratoire Santé Individu Société EA4129
Université Lyon 2, 5 avenue Pierre Mendès-France, 69676 Bron Cedex, France
[email protected]
[email protected]
Résumé – Notre recherche a pour objectif d’étudier la perception, la
représentation et la gestion de l’espace urbain chez la personne aveugle. Ces
trois notions entretiennent des relations étroites, l’une et l’autre s’influençant
mutuellement. Notre approche épistémologique se situe à mi-chemin entre la
psychologie environnementale, et la psychologie cognitive. Nous explorons dans
cette étude l’impact de la configuration urbaine sur ces trois éléments. Nous
utilisons un protocole de recherche se déroulant en milieu écologique, lors d’un
déplacement réel en ville. Nous présentons dans cette communication les
résultats relatifs à la première partie — la perception et le ressenti de
l’environnement urbain — qui a porté sur une population de vingt-six personnes
aveugles. Nos résultats indiquent que la configuration urbaine rencontrée n’a pas
d’impact significatif sur la modalité perceptive utilisée, lors du déplacement. En
revanche, le ressenti de nos participants (anxiété, plaisir) est significativement
influencé par la structure de l’environnement. Cette étude, au-delà de son
approche fondamentale, offre des pistes de réflexion sur l’aménagement de la
ville en faveur des personnes déficientes visuelles, dans le but d’améliorer et de
simplifier leur relation à l’environnement urbain, souvent bien complexe.
Mots-clés : cécité, déplacement, piéton, perception, représentation
Introduction
Le milieu urbain est fréquemment perçu comme hostile par les personnes
atteintes de déficience visuelle. S’y déplacer est toujours une épreuve, parfois à
l’origine d’un sentiment de stress très important. Cependant, plusieurs
recherches indiquent qu’une bonne représentation mentale des lieux parcourus
est une aide précieuse au cours d’un déplacement (Foulke, 1982). Notre
recherche se situe à l’articulation de la psychologie environnementale et de la
psychologie cognitive. Nous abordons la question de la perception de
l’environnement, de la représentation de l’espace qui en découle, et de la
gestion du déplacement dans cet environnement, chez les personnes aveugles.
Cet article porte plus particulièrement sur la première partie de notre
recherche, qui a pour objectif d’étudier la perception et le ressenti de l’environnement urbain chez les personnes aveugles. Après une présentation de notre
référentiel théorique, nous présenterons la méthodologie que nous avons
© Les collections de l’INRETS
281
Piéton : voir et être vu
déployée pour étudier notre problématique. Nous détaillerons ensuite les résultats
que nous avons obtenus auprès de nos 26 participants. Nous conclurons par des
pistes à explorer dans le but d’améliorer les déplacements des piétons aveugles
dans la cité.
Éléments théoriques
La vision, le sens spatial ?
Avant d’aborder la situation de déficience visuelle, il est intéressant de traiter
du rôle de la vision dans la déambulation. Comme le soulignent Thinus-Blanc et
Gaunet (1997), la vision est le sens spatial par excellence.
En effet, son vaste champ perceptif lui permet d’appréhender simultanément
une très grande portion de l’espace proche et lointain. Par ailleurs, sa rapidité
de traitement, de même que la variété et la finesse des discriminations dont elle
est capable, font d’elle la modalité perceptive la plus performante dans le
domaine spatial. Elle fournit en permanence des repères spatiaux extérieurs sur
les orientations verticales et horizontales de l’environnement. Notre
environnement — en particulier urbain — est d’ailleurs précisément construit
autour de ces axes verticaux et horizontaux.
De tous les espaces perceptifs, l’espace visuel est celui qui permet d’établir
simultanément des relations spatiales entre un grand nombre d’éléments. Les
autres systèmes ne permettent d’appréhender qu’un espace restreint et ceci
grâce à un système de relations établies de proche en proche (par exemple,
les stimulations auditives sont omniprésentes, mais fugaces et séquentielles).
Enfin, elle permet de voir les segments du corps, et complète donc la
connaissance corporelle apportée par la proprioception. Elle tient un rôle
essentiel dans l’organisation posturale, dans le contrôle de l’équilibre bipède et
par conséquent dans la locomotion.
Ainsi la vision tient un rôle essentiel dans les déplacements afin d’élaborer
des trajectoires, notamment grâce aux repères éloignés. Par exemple, dans le
désert, un marcheur conserve une trajectoire rectiligne lors d’un déplacement
dans la journée ou lors d’une nuit de pleine lune. Le soleil et les astres font
office de points de repère efficients dans cette situation. En revanche, par une
nuit noire, il est impossible de conserver cette trajectoire rectiligne : le marcheur
dévie très vite, pour finalement tourner en rond selon des cercles plus ou moins
concentriques. Notons qu’il en va exactement de même en forêt, par temps
couvert : des points de repère proximaux tels que les arbres n’ont que peu
d’utilité dans l’élaboration de trajectoires (Souman, 2008).
Conséquence de la cécité sur les déplacements
Ces données s’appliquent bien sûr aux déplacements urbains d’une
personne privée de la vue. Cette impossibilité d’établir des trajectoires fiables
entraîne directement plusieurs conséquences :
−
mise en danger potentielle lors des déplacements ;
−
cause d’anxiété supplémentaire (risques de heurt ou de se perdre) ;
−
augmentation de la vigilance.
282
© Les collections de l’INRETS
Percevoir la ville sans voir
Ainsi, comme le souligne Hatwell (2003) concernant les déplacements
locomoteurs, le handicap principal dû à la cécité semble être l’absence de
« pré-vision » (perception à distance du chemin et des obstacles qui s’y
trouvent). Cette absence rend difficiles les anticipations perceptives et
cognitives, oblige à intégrer les données sensorielles actuelles (auditives,
tactiles, etc.) et à avoir recours à des connaissances antérieures stockées en
mémoire (structure des chemins, nombre de croisements de rues ou de
changement de directions, nombre de stations de métro, etc.).
Modalités perceptives utilisées par le piéton aveugle
Le sujet aveugle dispose de plusieurs modalités, notamment
proprioceptives, tactiles, kinesthésiques et auditives, qui peuvent dans une
certaine mesure suppléer l’absence de vision, selon le concept de vicariance
(Reuchlin, 1980). A cet égard, il est important de favoriser le plus tôt possible
l’imbrication intermodale des informations auditives (espace éloigné), tactilokinesthésiques (espace de la manipulation) et tonico-posturales (espace
corporel) chez le jeune enfant aveugle (Génicot, 1980).
Proprioception
C’est la sensibilité par laquelle nous avons connaissance de la position de
notre corps (statesthésie) et de nos mouvements (kinesthésie), et ceci, grâce à
l’activation de récepteurs sensitifs situés dans les tendons, les articulations et les
muscles. Chez les sujets voyants, la proprioception corporelle est associée à la
proprioception visuelle, c’est-à-dire à la perception visuelle du corps et des
conséquences visuelles des déplacements. Chez les sujets aveugles, la proprioception musculaire et articulaire joue un rôle fondamental dans l’élaboration de
l’image de leur corps, et dans la connaissance des conséquences de leurs
mouvements.
Audition
C’est une modalité perceptive d’une grande importance pour l’aveugle et
l’une des plus investies dans notre procédure expérimentale, comme nous le
verrons. La notion de flux auditif doit être retenue, car c’est un paramètre
significatif qui fournit un point de repère capital dans le déplacement. Par
exemple, le bruit des voitures permet de connaître l’arrêt, le démarrage, la
progression, dans les différentes directions des véhicules, ainsi que la vitesse,
le volume de l’engin, et se révèle être un bon indicateur pour la personne
aveugle.
Tactile et haptique
L’utilisation de la canne blanche permet la perception des textures au sol
avec un contact, soit passif, soit actif. Ces informations sont issues de la
rugosité des bandes d’éveil de vigilance par exemple. Ce niveau de saillance
est donc un élément important, mais la bande doit être positionnée sur une
surface suffisamment grande pour englober le mouvement d’aller et retour de la
canne pendant que la personne se déplace.
© Les collections de l’INRETS
283
Piéton : voir et être vu
Modalités kinesthésiques et vestibulaires
Ce paramètre est souvent rappelé par les personnes qui bénéficient d’un
chien-guide. Celui-ci anticipe les obstacles et permet de prévoir les chocs. Par
ailleurs, le harnais intègre les mouvements de l’animal, qui sont alors transmis à
la personne aveugle. Pour ceux qui utilisent la canne, ces perceptions
permettent de ressentir finement les dénivelés du sol, en particulier lorsque les
trottoirs s’abaissent à l’approche d’un passage. Ces bateaux ont très souvent
été rappelés comme un paramètre de guidage très important lors de notre
recherche.
Rendre l’environnement accessible
La loi du 11 février 2005, relative à l’égalité des droits et des chances, la
participation à la citoyenneté des personnes handicapées, a déterminé de
nouvelles règles techniques relatives à l’accessibilité de l’espace public.
Ainsi, au-delà des capacités adaptatives et vicariantes de l’individu, il est
également possible de modeler l’environnement pour le rendre plus simple à
appréhender.
De nombreuses lois, décrets, et normes techniques existent, et façonnent
notre cité. En l’état actuel – et en fonction des différentes évolutions techniques
– force est de constater que la ville est très changeante sur ce plan : installation
de feux sonores ou de bandes d’éveil de vigilance pour prévenir des traversées,
mais plus rarement de bandes de guidage par exemple… Par ailleurs, d’autres
aménagements, plus traditionnels, s’avèrent parfois blessants pour un piéton
aveugle (potelets limitant l’accès des véhicules).
Enfin, la conception même de certaines zones (comme les zones dites
« 30 », certains lieux de plaisance, etc.) comporte des aspects parfois
problématiques, comme le relève le récent document du Centre d’études sur
les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions (Certu, 2008)
intitulé : « déplacement des déficients visuels en milieu urbain ».
Les parcours commentés et la psychologie
environnementale
Les travaux de Moser et Weiss (2003) ainsi que ceux de Grosjean et
Thibaud (2001) apportent tous deux un éclairage sur la technique des parcours
commentés, que nous avons utilisée. C’est une technique originale, et adaptée
à notre thème d’intérêt.
Cette méthode s’inscrit dans le cadre d’une démarche interdisciplinaire qui
fait appel à la fois « aux sciences pour l’ingénieur (mesure des ambiances
physiques), aux sciences de la conception (analyse architecturale) et aux
sciences sociales (micro-sociologie). » (Thibaud, 2001). Elle est donc adaptée à
l’étude des comportements spatiaux. Entendue comme des comptes rendus de
perception et d’évaluation en action, elle permet, entre autres, de décrire et de
comprendre les stratégies de déplacement des individus dans l’espace
locomoteur. Trois activités sont sollicitées simultanément : marcher, percevoir
et décrire.
284
© Les collections de l’INRETS
Percevoir la ville sans voir
Ce procédé repose sur trois types de consignes qui en fixent le cadre :
−
les consignes relatives à la description : le sujet doit faire état, aussi
précisément que possible, de « l’ambiance » immédiate du lieu, tel qu’il la
perçoit ici et maintenant. Toutes les modalités sensorielles peuvent être
mobilisées : visuelles, auditives, tactiles, olfactives, kinesthésiques, etc.
−
les consignes relatives au cheminement : le terrain d’investigation est fixé à
l’avance. S’il le souhaite, le sujet a le loisir de s’arrêter momentanément,
de revenir sur ses pas.
−
les consignes relatives aux conditions de l’expérience : compte tenu de
l’effort d’attention que demande une telle relation, les parcours durent
une trentaine de minutes, en moyenne. Le parcours est effectué avec le
chercheur à qui sont adressées les descriptions. Celui-ci intervient peu,
et se limite à un rôle d’auditeur bienveillant qui relance la parole chez le
marcheur-observateur.
Problématique et hypothèses
Problématique
Nous nous interrogeons sur la situation d’interaction entre le sujet aveugle et
son environnement, en particulier urbain.
Comment une personne privée de la vue se déplace dans la cité ? Quelles
modalités perceptives sollicite-t-elle, et quel rôle tient l’environnement dans ses
mécanismes adaptatifs et vicariants ? Notre environnement, en fonction de sa
structure (aides en faveur de l’accessibilité) ne peut-il pas être, tour à tour,
étayant ou obstructif, quant à la locomotion ?
Quel est l’impact de ces configurations urbaines sur la perception et sur le
plaisir-déplaisir ressenti de la déambulation chez la personne aveugle ?
Hypothèses
Pour un parcours donné, nous faisons les hypothèses d’une corrélation
entre la configuration urbaine et :
−
la modalité perceptive utilisée lors d’un déplacement ;
−
les notions de plaisir et d’anxiété lors de ce même déplacement.
Méthodologie
Notre recherche se déroule dans des conditions dites « écologiques », au
plus proche des conditions réelles de déplacement de personnes aveugles, à
e
Lyon, dans le 3 arrondissement. Le quartier de la Guillotière a l’avantage de
présenter des configurations urbaines très différentes, et représentatives de
notre paysage urbain habituel.
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285
Piéton : voir et être vu
Parcours urbain
Pour mener à bien notre projet, nous avons défini un parcours piéton de 950
mètres, qui représente environ 20 minutes de marche, à une vitesse soutenue,
de 5 km/h. Ce parcours a été élaboré avec l’aide d’une équipe d’étudiants en
géographie de l’Université Lyon 3, dirigés par J. Bonnet et C. Broggio.
Le cheminement est relativement complexe en ce qui concerne le nombre
de changements de direction, puisque les marcheurs doivent faire 11 virages
au total. Néanmoins, soulignons que le maillage général est à angles droits, de
direction nord-sud et est-ouest. Il est très diversifié par :
−
la largeur des rues longées (petites, moyennes ou grandes)
−
les flux circulatoires variés (dans leur sens et leur intensité)
−
des quartiers plus ou moins typés et fonctionnels (rue résidentielle ou
commerçante, impasse, etc.)
−
la présence ou non d’aides en faveur de l’accessibilité (feux sonores,
bandes d’éveil de vigilance)
−
la présence d'escaliers (montées et descentes)
−
la traversée d'axes de circulation importants
−
une place, relativement complexe
−
un cheminement original le long des berges du Rhône
Enfin, il est important de souligner que ce parcours, qui ne constitue pas un
trajet naturel, est totalement inconnu de tous nos participants lors de leur
premier passage.
Configuration urbaine
L’ensemble des facteurs présentés ci-dessus nous a permis de définir 5
zones (Fig. 1) aux colorations et aux ambiances urbaines très différentes,
rencontrées successivement tout au long de l’évolution sur le trajet. Ces
différentes « configurations urbaines », définies avec nos collègues
géographes, consistent en un assemblage spécifique de ces facteurs. Voici une
description succincte des trois premières zones.
La zone 1 est un quartier commerçant, très encaissé. La circulation
automobile et piétonne y est très calme, et le cheminement se fait sur des
trottoirs assez étroits, et régulièrement encombrés. Cette zone ne bénéficie
d’aucun aménagement en faveur de l’accessibilité.
La zone 2 est constituée de la place Raspail, un grand espace ouvert, et
moderne dans son aménagement. S’y croisent deux axes majeurs, qui drainent
beaucoup de circulation et un niveau sonore, par conséquent, beaucoup plus
élevé. Cet espace urbain est équipé de différents aménagements, comme des
feux sonores pour les traversées de rues, ainsi que des bandes podotactiles
(ou d’éveil de vigilance).
La zone 3 est constituée des Berges du Rhône. Il s’agit d’une zone de
plaisance, récente, développée sur le principe de « mode doux » : il s’agit d’un
286
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Percevoir la ville sans voir
espace ouvert, où se croisent vélo, rollers, et piétons, sur le même lieu… Cette
zone calme est en retrait par rapport à la circulation automobile des quais.
Enfin, notons qu’il n’y a pas d’aménagements spécifiques en faveur des
personnes aveugles et malvoyantes.
Figure 1. Notre parcours urbain, de 950 mètres, à Lyon
Source : données cartographiques Google™
Population
Notre population d’étude comprend 26 personnes aveugles qui utilisent une
canne blanche ou un chien guide dans leurs déplacements. La moyenne d’âge
est de 45,5 ans (21–75 ans) et notre échantillon est composé de 14 femmes, et
12 hommes. Nous avons eu le soutien de l’association Point de Vue sur la Ville,
qui œuvre en faveur de l’accessibilité urbaine pour les déficients visuels, dont
plusieurs membres ont participé à ce projet. Nos critères d’inclusion ont été les
suivants :
−
la majorité légale pour permettre une participation libre et éclairée
−
la profondeur de la cécité (cécité complète ou au plus très faible
perception lumineuse sans possibilité de localisation)
−
la formation préalable en locomotion
−
des déplacements piétons réguliers en ville (au moins une fois par jour)
L'aide de déambulation est exclusivement la canne pour 19 d'entre eux, les
7 autres bénéficiant de l'utilisation d'un chien-guide. Cette répartition due à
l'aléa de la candidature semble cependant assez proche de la représentation
naturelle.
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287
Piéton : voir et être vu
Figure 2. Participante aveugle sur le parcours urbain, zone 3
Source : Laboratoire Santé Individu Société EA 4129 
Déroulement du protocole de recherche
Nos participants aveugles ont parcouru le trajet que nous avons prédéfini, à
trois reprises. Nous rappelons ici que ce trajet leur est totalement inconnu avant
le premier passage. Chacune de ces trois sessions répond à un axe de notre
recherche. Le tableau ci-dessous (Tableau 1) résume ces trois passages, et
leur déroulement, afin d’offrir une vision plus globale de cette recherche. Nous
présentons dans cet article uniquement les données exploitées sur la première
session, la présentation de l’ensemble de la recherche (trois phases)
nécessitant un développement plus important. Voici néanmoins quelques
éléments supplémentaires.
Lors de la session 2 (représentation de l’espace urbain), nous avons choisi
d’utiliser la méthode des cartes mentales, afin d’analyser les dessins du
parcours.
Lors de la session 3 (gestion du déplacement), nous avons utilisé différents
outils d’évaluation du déplacement, effectué en autonomie :
−
utilisation d’un questionnaire, concernant l’appréciation et le stress
ressenti lors des différentes zones du parcours ;
−
utilisation d’une grille d’analyse vidéo des comportements du piéton
aveugle en fonction de son positionnement sur le cheminement ;
−
utilisation d’une mesure de réponse éléctrodemale (UMR CNRS 5270,
Institut des Nanotechnologies de Lyon) pour une analyse plus fine de la
vigilance en situation de déplacement.
288
© Les collections de l’INRETS
Percevoir la ville sans voir
Tableau 1. Récapitulatif des 3 sessions de parcours
Session 1
Session 2
Session 3
Participant
Découverte du
parcours
(au bras du chercheur)
Mémorisation du
parcours
(au bras du
chercheur)
Déplacement autonome
sur le trajet
Chercheur
Modalités de
perception utilisées
Représentation
mentale
Gestion du déplacement
(stress et prise de
décision)
Outil
utilisé
Parcours commentés
(enregistrement audio)
Cartes mentales
(dessins de
parcours)
Analyse vidéo + réponse
électrodermale
Les deux premières sessions, décrites comme se déroulant au bras du
chercheur dans le tableau ci-dessus, se font selon la technique de guide
classique, enseignée par les instructeurs en locomotion. Le participant aveugle
tient de sa main libre (sans canne ni chien) le coude de l'accompagnateur
guide.
Lors de la première session, le chercheur intervient selon la méthode des
trajets commentés (Thibaud, 2001), présentée dans la revue de la littérature de
cet article. Ses interventions sont donc uniquement des relances et des
invitations à décrire l’environnement et le ressenti que le marcheur éprouve.
Enfin, lors de la deuxième session, le chercheur propose une description
formatée de l’environnement, et répond aux questions du participant. Nous
précisions ici que cette description est identique pour chacun.
Méthode d'analyse du contenu des commentaires
Les enregistrements sonores des commentaires des sujets sous forme de
fichiers informatiques sont transcrits sur ordinateur sous une forme écrite de
type fichier texte.
Nous avons choisi de procéder à une analyse thématique manuelle, selon
différents thèmes.
Tout d’abord, les éléments relatifs à la perception de l’environnement. Il
s’agit plus précisément des modalités perceptives utilisées dans les
descriptions de la ville, faites par les personnes aveugles.
Par ailleurs, nous avons étudié deux thèmes relatifs aux ressentis :
−
d’abord, les éléments faisant référence à des ressentis positifs, de plaisir ;
−
à l’inverse, les éléments faisant référence à des ressentis d’anxiété et de
déplaisir.
Dans le cadre de notre recherche, les logiciels de traitement automatique
tels que Tropes, ou Alceste ne nous ont pas semblé être les plus adaptés aux
discours de style argumentatif que nous avons recueillis. La méthode manuelle
© Les collections de l’INRETS
289
Piéton : voir et être vu
est celle qui – nous semble-t-il – offre l’acuité la plus importante, au regard des
thèmes spécifiques abordés par nos marcheurs aveugles.
Le premier échange noté par le transcripteur est celui du top de départ du
chercheur. L’ensemble de l’enregistrement est chronométré et géolocalisé
précisément. Les commentaires sont découpés en unités d’analyses qui
correspondent à la production verbale du participant et à la relance qui suit de
la part du chercheur, lorsqu’elle a lieu. Selon ce découpage, les commentaires
du participant aveugle sont versés dans une base de données. Le recueil
complet de ces informations permet donc de constituer deux bases de
données, reliées entre elles :
−
la base des interventions du participant sur laquelle repose l'étude ;
−
la base contenant les temps partiels de changement de secteurs du
parcours
Notre analyse de contenu porte sur les commentaires de nos 26
participants, lors de leur trajet. La base de données initiale brute comporte
environ 45 000 mots prononcés par les participants. Cependant, celle-ci est
expurgée et ramenée à 33 000 mots par suppression des fiches ne répondant
pas à l'utilité de l'analyse (commentaires au-delà de la fin du parcours,
répétions, digressions sans rapport avec l’objet de l’analyse).
Guidée par nos hypothèses, notre analyse qualitative a donc porté sur
différents thèmes, tels la modalité perceptive décrite dans les commentaires
(auditive, tactile, olfactive, etc.), les éléments identifiés de l’environnement, le
plaisir ou l’anxiété générée par la déambulation, et enfin l’appréciation des
aménagements urbains.
Présentation des résultats
Analyse de contenu et modalités perceptives utilisées
Parmi les sens sollicités, l'audition est évidemment le sens mis en œuvre
dans la majorité des cas (55 % des commentaires concernant la perception). Il
permet de détecter la circulation automobile (40 % des commentaires
concernant les objets détectés), les personnes (18 %) par le bruit de leur
déplacement, les feux sonores (15 %), et les textures au sol produisant des
sons (grilles métalliques)…
Selon les commentaires des participants, le « sens des masses » arrive à
la deuxième place (13 % des commentaires concernant la perception). Il permet
de détecter la présence généralement assez proche de masses (56 % des
commentaires concernant les objets détectés) représentées le plus souvent par
les façades des immeubles, mais aussi des véhicules garés le long du trottoir et
exceptionnellement le mobilier urbain (2 %). A contrario, l'absence de masse,
c'est-à-dire le vide (38 %), est perçue dans les grands espaces dégagés tels
que la place Raspail ou les berges du Rhône...
Nous savons qu’il est difficile de séparer le sens des masses – décrit par
nos participants – de celui de l'audition. Il est d'ailleurs possible que celui-ci
bénéficie de sens agonistes tels que la sensibilité superficielle, par le biais des
mouvements de l'air perçus au niveau de la face.
290
© Les collections de l’INRETS
Percevoir la ville sans voir
La sensibilité superficielle tactile (13 % des commentaires concernant la
perception) est celle utilisée le plus souvent par l'intermédiaire de la canne pour
suivre le contour d'une bordure de trottoir (42 % des commentaires concernant
les objets détectés) et l’aplomb du mur, afin d'en déterminer la largeur ou
l'orientation, ou afin de détecter les obstacles tels que le mobilier urbain (14 %).
Elle s’exprime aussi au niveau de la plante du pied pour tester la nature du sol,
comme sur les berges du Rhône et leurs escaliers d'accès (23 %).
Figure 3. Présentation géographique de mots utilisés par les participants,
en fonction des trois premières zones
La taille de police utilisée pour faire figurer un mot est proportionnelle à sa fréquence : plus un mot
revient souvent, plus il figure en grand, et inversement.
La thermoacuité (7 % des commentaires concernant la perception) permet
de détecter au niveau des parties découvertes (le plus souvent la face),
l'intensité du vent et l'effet calorique du soleil. Naturellement, elle est fonction
des conditions météorologiques diverses au cours de la période
d'expérimentation (février et mars). Elle est particulièrement éprouvée dans les
espaces dégagés (Place Raspail et berges du Rhône) ou quand la rue
constitue un couloir de circulation d’air.
La sensibilité profonde ou proprioception (4 % des commentaires concernant
la perception) est ressentie au niveau des barorécepteurs articulaires des
chevilles et permet de détecter les brusques dénivellations du sol lors du passage
sur les sorties de garage ou les abaissements de trottoir destinés à la traversée
pour des personnes handicapées en fauteuil roulant (76 %).
© Les collections de l’INRETS
291
Piéton : voir et être vu
Ressentis lors du déplacement
Anxiété
La rubrique « anxiété » est annotée quand le participant indique
spontanément une crainte ou une gêne ressentie dans la traversée d’une
configuration urbaine, ou lorsqu'il en fait part en répondant à la question :
« Comment vous vous sentez, là ? » Ce ressenti « anxiété » revient dans
13,5 % de l'ensemble des commentaires.
La désorientation tactile est la plus fréquemment signalée (34 % des
commentaires concernant l'anxiété) ce qui tend à démontrer que la personne
aveugle est très attachée aux repères fournis par le sol et perçus du bout de la
canne.
L'insécurité globale (19 %) montre que nos participants sont très conscients
de leur dépendance face à l'environnement humain. C'est aussi souvent un
sentiment pour lequel ils ne donnent pas d’explication précise.
Il n'est pas étonnant de voir le rôle de la désorientation auditive (15 %) dans la
constitution de l'anxiété quand on sait — comme on l'a vu — l'importance de la
vicariance auditive chez la personne aveugle. Comme le disent beaucoup d'entre
eux : « Il faut un peu de bruit autour pour se repérer, mais point trop n'en faut ! ».
La crainte du risque de chute au sol (13 %) lors de l'abord ou de la descente
des escaliers est assez générale, mais souvent maîtrisée. Dans notre parcours,
la crainte de chute dans les eaux du Rhône est par contre très marquée (risque
cependant virtuel dans notre expérimentation du fait de la protection par
l'encadrement).
La gêne aux déplacements (10 %) par les obstacles rencontrés dans la
trajectoire est assez banale quoique notée avec beaucoup d'agacement dans
certains cas.
Le danger de collision par les véhicules en circulation (9 %), perçu avec
acuité, est souvent maîtrisé par la protection relative des passages piétons
notamment avec un équipement sonore.
Enfin, le test statistique du Khi2 montre une hétérogénéité très significative
(risque inférieur à 1/1000) en croisant les types d'anxiété et les divers secteurs
du parcours. Cela valide notre seconde hypothèse quant à l’anxiété.
Ainsi, le secteur des berges du Rhône recueille le tiers (33 %) des annotations
concernant le ressenti d'une anxiété. Les berges cumulent en effet l'absence de
repères au sol, et le risque de chute dans le fleuve. De plus, le calme relatif de
cette zone laisse supposer qu'il peut être déserté à certains moments et que la
personne aveugle ne pourrait recourir à aucune aide pour l'orienter, voire se
trouverait en situation de faiblesse face à d'éventuels malveillants.
La place Raspail est la deuxième source d'anxiété dans les divers secteurs
traversés (24 %). Ceci est dû à la désorientation créée par l'absence de repères
traditionnels au sol puisque celle-ci est arasée, ainsi qu’à la saturation sonore en
raison de la proximité de l'intense circulation dans un carrefour de deux axes
importants. Cette insécurité reste quelquefois sans explication précise de la part
de nos participants.
292
© Les collections de l’INRETS
Percevoir la ville sans voir
En dehors de ces deux secteurs, l'anxiété reste plus modérée sur notre
parcours. L'absence d'anxiété est notée dans les secteurs des rues petites ou
moyennes, ou même dans le cours de la Liberté (68,5 % des commentaires
relatant une absence d'anxiété). L'ambiance y est le plus souvent calme et les
repères d'orientation sont assez nets, associant des informations auditives
et tactiles.
Plaisir
Le ressenti « plaisir » est noté dans 9 % des commentaires. Le test du Khi2
ne montre pas de différences significatives en croisant les types de plaisir et les
divers secteurs du parcours.
L'ambiance calme est la donnée la plus fréquemment enregistrée (40 % des
commentaires concernant le ressenti « plaisir ») et cela dans tous les secteurs
sauf la place Raspail et les traversées des quais, ce qui n'est pas pour étonner
compte tenu de la circulation automobile habituellement intense.
La facilité d'orientation est encore assez souvent notée (20 %) et le plus
souvent dans le cours de la Liberté et les rues Aimé Collomb et Chaponnay qui
forment un duo, depuis les quais et y retournant. Il semble que cela soit dû à la
présence d'un axe de circulation modérée que le participant suit parallèlement,
et à l'existence d'un trottoir de dimension accessible du bout de la canne.
Discussion et conclusion
Nos résultats ne nous ont pas permis de valider l’ensemble de nos
hypothèses.
En effet, il n’y a pas de corrélation entre la configuration de l’environnement
urbain et la modalité sensorielle utilisée. Cela peut se comprendre par la
prédominance forte de l’utilisation de l’audition et du toucher dans les
déplacements, quel que soit le lieu. Ces données confortent par ailleurs les
éléments issus de la littérature dans ce domaine (Veraart et Wanet, 1984 ;
Portalier et Vital Durand, 1989).
Elles constituent par ailleurs des pistes intéressantes : en effet, nous avons
noté que certaines zones combinent un niveau d’anxiété faible, et un niveau de
plaisir relativement plus élevé, ce qui valide notre seconde hypothèse. Dans ces
cas (cours de la Liberté, rue Aimé Collomb, rue Chaponnay), il s’agit de
configurations qui offrent une sollicitation simultanée de plusieurs sens, parmi les
plus utilisés.
Ainsi, sur le cours de la Liberté, l’utilisation d’une grille d’évacuation de l’eau
pluviale qui court sur le trottoir sollicite simultanément la sensibilité tactile
(vibrations de la canne) et auditive (tintement de la grille sous le passage de la
canne). Cette grille constitue de fait une aide au déplacement très efficace, et
très recherchée par les personnes aveugles.
Sur la rue Aimé Collomb, ce sont les modalités auditives (circulation de
voitures en parallèle) et proprioceptives (abaissement de trottoirs très
prononcés) qui sont combinées, favorisant le déplacement.
© Les collections de l’INRETS
293
Piéton : voir et être vu
Cette multi-sensorialité devrait être plus explorée dans la conception
d’aménagements urbains, et constitue une piste de développement tout à fait
intéressante ! Par ailleurs, il est important qu’elle sollicite préférentiellement
plusieurs sens parmi les plus utilisés (audition, toucher, et proprioception en
particulier), afin de permettre une déambulation en ville plus agréable et moins
anxiogène.
Enfin, ces données illustrent l’intérêt et les apports — riches — que peut
avoir une démarche interdisciplinaire entre psychologues et géographes, dans
l’objectif de comprendre et d’améliorer l’accessibilité urbaine en faveur des
personnes atteintes de déficience visuelle.
Cette première étape de notre recherche, sur le thème de la perception de
l’environnement, pose les jalons pour les étapes suivantes, relatives à la
représentation de l’espace et à la gestion du déplacement (vitesse de
déambulation, prise de risques, etc.), dont les données sont actuellement en
cours d’analyse.
Références
Appleyard, D. (1970). Styles and methods of structuring a city. Environment and
behavior, 2, 100-117.
Foulke, E. (1982). Perception, cognition and the mobility of blind pedestrians. In
M.E. Potegal (Ed.), Spatial Abilities : development and physiological
foundations (pp.55-76). San Diego : Academic Press.
Hatwell, Y. (2003). Psychologie cognitive de la cécité précoce. Paris : Dunod
Moser, G., & Weiss, K. (2003). Espaces de vie. Aspects de la relation hommeenvironnement. Paris : Masson.
Portalier, S., & Vital-Durand, F. (1989). Locomotion chez les enfants malvoyants et aveugles, Psychologie Française, 34, 1, 79-85.
Reuchlin, M. (1978), Processus vicariants et différences individuelles. Journal
de Psychologie Normale et Pathologique, 2, p.133-145.
Souman, J. L., Frissen, I., Sreenivasa, M. N. & Ernst, M. O. (2008). Walking in
circles: the role of visual information in navigation. Perception 37
ECVP Abstract Supplement, pp. 41.
Thibaud, J.P. (2001). La méthode des parcours commentés, In M. Grosjean, &
J.P. Thibaud (Ed.), L’espace urbain en méthodes (pp. 78-99).
Marseille : Editions Parenthèses.
Thinus-Blanc, C., & Gaunet, F. (1997). Space representations in the blind:
vision as a spatial sense ? Psychological Bulletin, 121, 20-42.
Veraart, C., & M.C. Wanet (1984). Évaluation de la direction et de la distance
de repères situés dans l’espace de locomotion chez l’aveugle.
Comportements, 1, 167-170.
294
© Les collections de l’INRETS
Aménagements, vulnérabilité
et représentations :
code de la rue et déplacements
urbains des aveugles
Gérard Uzan
Laboratoire THIM, Université Paris 8
rue de la liberté, 93526 Saint-Denis Cedex, France
[email protected]
M’ballo Seck
Laboratoire LPP, Université Paris 7 & Université Paris 5
45 rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France
[email protected]
Maryvonne Dejeammes, Catia Rennesson
Certu, 9 rue Juliette Récamier, 69456 Lyon Cedex 06, France
[email protected]
[email protected]
Résumé – Cette communication reprend une étude initiée par le Certu et
réalisée par le THIM sur « Les difficultés des personnes aveugles ou
malvoyantes (PAM) sur certains cheminements en ville ». Complétant le travail
de concertation, cette étude a consisté dans une première phase à identifier les
difficultés des déficients visuels par rapport à des aménagements représentatifs
de l’application du code de la rue, dans une deuxième, à extraire les
représentations et les stratégies, dans une troisième phase à trouver des
solutions adaptées. À partir de groupe de paroles, d'ateliers ambulatoires et
d’entretiens avec des conseillers techniques et des instructeurs de locomotions,
réalisés dans quatre villes françaises, nous avons dégagé les effets de certains
de ces aménagements, sur la sécurité, la localisation et l'orientation des
personnes. Le partage des rues et le remodelage de l'espace urbain, mis en
oeuvre depuis quelques années déjà, modifient, pour les PAM la perception de
l'environnement, la prise d'information, l'identification et la délimitation de zones,
l'anticipation ou les « négociations » de passage avec les autres usagers, la
construction de repères, d'amers ou de procédures de cheminement.
Mots-clés : code de la rue, ville, déficient visuel, déplacement
© Les collections de l’INRETS
295
Piéton : voir et être vu
Contexte
La démarche « Code de la rue » a été lancée officiellement en France en
avril 2006 par le ministre en charge des Transports. Elle vise à examiner les
dispositions du Code de la route, spécifiques au milieu urbain, à mieux les faire
connaître, à les faire évoluer, de façon à favoriser les déplacements des modes
« doux » (piétons, cyclistes, rollers…), l’enjeu étant ici de maintenir ou
d’améliorer la sécurité de déplacement de l’ensemble des usagers de la voirie
urbaine. Cette démarche est pilotée par la Direction de la Sécurité et de la
Circulation Routières. Le Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports,
l’urbanisme et les constructions publiques) anime la réflexion technique au sein
d’un comité regroupant acteurs institutionnels, associations d’usagers, d’élus et
de professionnels.
Dans cette démarche de concertation, la phase « recueil des attentes et
propositions des associations », a clairement fait émerger que les personnes
aveugles ou malvoyantes rencontraient des difficultés sur un certain nombre de
cheminements en ville ; plus particulièrement lorsque existent des
aménagements du type double sens cyclable dans les rues à sens unique, des
pistes cyclables sur trottoir, des rues aménagées tout à niveau (sans bordure
de trottoirs), des rues sans passage pour piéton, etc. (une réunion en mai 2004
au Coliac sur les plateformes tramway, 20 réunions techniques relatives à la
« démarche code de la rue » de mai 2006 à juin 2009, pilotées par le Certu,
réunions de la commission de normalisation des aménagements de voirie
spécifiques, 3 à 4 par an depuis mi-2003, 7 réunions du groupe de travail sur la
détection d'obstacles de 2007 à 2009, pilotées par le Certu).
Ainsi pour mieux connaître le ressenti, les stratégies et les besoins des
personnes aveugles et malvoyantes (PAM) sur les cheminements difficiles pour
elles, le Certu a confié au laboratoire THIM une étude sous forme de groupes
de parole associés à des ateliers ambulatoires.
Dans le cadre d’études ou de projets de recherche antérieurs (Automoville
2002, Rampe 2005, Infomoville 2008, Danam 2008, Guide urbain 2008), le
THIM a développé une analyse des besoins des PAM dans les déplacements
urbains et dans les transports. Des modèles décrivant les stratégies et les effets
de contexte ont mis en relief des besoins spécifiques en sécurité, localisation,
orientation et information. L’objectif était de relever les difficultés, les
inquiétudes, les stratégies mises en œuvre (pour contourner les problèmes), les
souhaits et les suggestions de ces personnes ; l’objectif final étant de trouver,
par la suite, des solutions adaptées aux dysfonctionnements identifiés. Pour le
THIM, il s’agissait également de mieux comprendre les articulations entre
sécurité, localisation, orientation et information.
Cadre théorique
Depuis bon nombre d’années déjà, la voirie urbaine suit un processus de
transformation progressif basé sur une idée forte : celle d’un usage partagé de
l’espace public urbain ; autrement dit d’un espace où tous les modes de
déplacements ont droit de cité (rapport du CNT de juin 2005 Une voirie pour
296
© Les collections de l’INRETS
Code de la rue et déplacements urbains des aveugles
tous). Différentes mesures et aménagements associés visent à une
réappropriation de « l’espace-rue » par les modes alternatifs à la voiture, dans
un souci d’amélioration de la sécurité des déplacements et de la qualité de vie
en ville.
Précurseur, le « code de la rue » a été initié depuis 2002 par la Belgique
(arrêté royal), réglementation entrée en vigueur le 01/01/2004, suivie par la
Suisse (avril 2005).
La démarche « code de la rue » en France s’inscrit dans cette logique.
Parmi les premières décisions prises le 30 juillet 2008, on trouve l’introduction
dans le code de la route de :
−
un principe général de prudence du plus fort vis-à-vis du plus faible ;
−
le concept de « zone de rencontre » (zone à priorité piétonne, ouverte à
la circulation de tous les usagers et où la vitesse est limitée à 20 km/h) ;
−
le rétablissement du double-sens cyclable dans les rues à sens unique,
en zones 30 et dans les potentielles « zones de rencontre » (sauf avis
contraire de l’autorité de police).
Il existe depuis fort longtemps sur le terrain l’équivalent de zones de
rencontre sous forme d’aire piétonne ouverte à la circulation motorisée, de
même pour le double sens cyclable dans les rues à sens unique. La démarche
« code de la rue » vise simplement à généraliser cette possibilité dans les
zones 30 (et les zones de rencontre).
Il n’en demeure pas moins que si toutes ces mesures et aménagements
associés visent un apaisement de la circulation motorisée et une plus grande
mixité des usages urbains, ils ne résolvent pas et peuvent même créer
certaines difficultés de déplacements pour les déficients visuels, difficultés dont
il faut tenir compte.
Ainsi, la suppression possible d'éléments de voiries tels que les trottoirs
(espace de sécurité piéton), de passages piétons pour traverser, la présence
sur trottoir de véhicules silencieux comme les vélos sur pistes ou leur circulation
à contresens sur la chaussée peuvent déstabiliser les PAM. La marche porte en
elle des besoins en sécurité (éviter les chutes, chocs, conflits et collisions,
adaptation en situation dégradé), en localisation (ego localisation « où suisje ? », allo-localisation « où se trouve…(les rues, les voitures, les vélos) »), en
orientation (« suis-je dans la bonne trajectoire, bonne direction, bonne
destination, bon itinéraire ? », ) et en information (« qu’y-a-t’il autour de moi ?
concernant là où je vais »).
Pour cela, le PAM, comme tout autre piéton, prend et exploite des percepts,
des indices informationnelles et des informations en rationalité limité ou
imparfaite qu’Il articule avec des règles d'usage de la voirie, apprises. Le chien
guide, quant à lui, est éduqué pour jouer son rôle dans un milieu urbain appris
selon des (infra) structures stables, bien codifiées et identifiables. Le danger ou
la « perdition » provient le plus souvent de la confusion, de l'ambiguïté ou de
l'incertitude. Dans son déplacement, le PAM utilise 3 types d'informations et agit
en rationalité limitée, la base d'indices sonores, tactilo-kinesthésiques, olfactifs,
utilisés pour la construction d'une représentation mentale et spatiale ponctuelle
de son environnement.
© Les collections de l’INRETS
297
Piéton : voir et être vu
Méthodes
Nous avons relevé les difficultés, les inquiétudes, les souhaits, les
suggestions à travers des groupes de paroles et des ateliers ambulatoires sur
quatre villes choisies pour leur volontarisme dans le déploiement des
aménagements concernés. Une cinquième ville (Lorient) a été étudiée par la
suite, ses résultats ne sont pas encore rajoutés au rapport, ils n’apparaîtront
donc pas ici bien qu’ils appuient les résultats obtenus sur les villes précédentes.
L’étude a été menée sur quatre sites : Grenoble, Lille, Strasbourg,
Valenciennes. Des chargés d’études des CETE (Centres d’études techniques de
l’équipement) ont facilité les contacts et repérage de terrain et suivi les réunions.
Pour chaque ville, nous avons réalisé :
−
un entretien avec les personnels des services techniques des
collectivités et les instructeurs de locomotion pour déficients visuels
(ILDV) ;
−
un groupe de parole réunissant les participants, PAM et les personnels
précédents ;
−
un atelier ambulatoire pour confronter les participants aux
aménagements sur site.
Durant les groupes de parole (GP) et les ateliers ambulatoires (AA), les
participants étaient incités à évoquer difficultés, facilités, micro - incidents et
suggestions issues de leurs retours d’expériences et de la confrontation directe
aux spécificités des sites choisis.
A travers l’évocation la plus large de difficultés génériques de déplacement
dans une ville (consigne « ville facile/ville difficile »), les participants étaient
amenés en entonnoir à traiter des quatre points clés qu’avaient extraits le Certu
de son processus de concertation ; l’animation restant ouverte à d’autres points
qui apparaîtraient importants.
Cette étude n’a donc pas pour objectif d’évaluer la mise en œuvre de ces
aménagements dans les villes visitées. Elle n’a pas non plus pour objectif de
s’interroger sur la conformité d’aménagements par rapport à la réglementation.
Elle a pour objectif de mettre en relief les difficultés rencontrées par les
aveugles et les malvoyants dans leurs déplacement lorsqu’ils sont confrontés à
ces types d’aménagements quelque soit le territoire.
Les observations porteront sur ce que soulignent ces personnes comme
étant des sources de risques, d’inquiétudes, de satisfactions ou de contraintes
acceptables. Nous nous sommes attelés à identifier, Hiérarchiser les
aménagements qui seraient susceptibles d’être source de risques,
désagréments, charges, ou qui donneraient le sentiment de l’être.
Les 4 groupes de paroles ont réuni 48 sujets participants dont 30 aveugles
et 18 malvoyants, 28 femmes et 20 hommes (cf. tableau 1).
Les groupes de paroles
d’aménagements suivants :
−
298
ont
été
animés
au
regard
des
axes
le principe de vulnérabilité relative (principe de responsabilité du plus fort
envers le plus faible) ;
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Code de la rue et déplacements urbains des aveugles
−
−
−
−
−
la priorité aux piétons et droit de passage ;
les zones à circulation apaisée ;
le double-sens cyclable et les pistes cyclables sur trottoir ;
la présence du tramway en espace partagé ;
le déploiement de carrefours sans feux et de giratoires.
Les données recueillies ont permis d’identifier :
les difficultés, craintes, inquiétudes, souhaits par rapport aux axes
proposés ;
−
les propositions argumentaires, pondérées selon les points de vue ;
−
les arguments issus de la confrontation au terrain et composés des
verbalisations et des observations.
−
Les données recueillies ont donc une valeur qualitative (volonté
d’exhaustivité des thèmes les plus importants pour les sujets) mais aussi
quantitative (degré d’adhésion de tous aux propositions de chacun). A partir
d’une série d’hypothèses (reprise et étendue dans la synthèse, les propos ont
été classés par spécificité des aménagements concernés, la nature des
difficultés envisagés et le besoin classé en sécurité, localisation, orientation et
information ; certaines difficultés pouvant articuler simultanément plusieurs
besoins.
Tableau 1. Répartition des participants par ville et par phase
(groupe de parole et atelier ambulatoire)
Ville 1
Ville 2
GDP
AA
Hommes
4
2
6
3
Femmes
7
4
6
Canne
7
2
10
Sans canne
2
2
Chien/canne
Chien
GDP AA GDP
2
1
Ville 4
AA
GDP
AA
2
1
8
2
3
6
4
9
2
5
3
2
15
3
2
1
1
3
2
2
1
2
Ville 3
1
1
Aveugles
5
3
7
2
5
4
12
2
Malvoyants
6
3
4
3
3
1
5
1
Très Malvoyants
1
1
1
1
1
Age moyen
51,82 48,16 35,75 37 43,87 38,34 54,17 52,25
Age max
76
63
66
66
60
53
82
63
Age min
29
29
25
25
25
25
24
35
Effectif total
11
6
12
6
8
5
17
4
A l’écoute des groupes de parole, nous avons codé les points de vue
évoqués selon 5 niveaux : ignoré (non évoqué), à peine suggéré (évoqué par
un et non repris par les autres), discuté (a fait l’objet d’un débat contradictoire),
© Les collections de l’INRETS
299
Piéton : voir et être vu
unanime (a réuni l’assentiment de tous), fortement unanime (collectivement
évoqué plusieurs fois). Ces données ont ensuite été réparties selon un
ensemble ouvert d’hypothèses.
De façon générale toute situation considérée comme source de risque ou de
danger sera contournée. Cela se traduira par la recherche d’un autre
cheminement, le recours à l’assistance humaine (autres piétons, aide
associative, personne familière) et perdant ainsi leur autonomie ou encore le
renoncement à certains cheminements.
Résultats
Répartie en 12 catégories que sont :
−
Partage de la voirie (délimitation et matérialisation des aires)
−
Aménagements ou mobiliers permanents
−
Définitions des priorités entre usagers
−
Incivilités
−
Objets ou mobiliers temporaires
−
Perception et prise d'informations pour la sécurité (sec), la localisation
(loc), ou l'orientation (ori) 0 1
−
Signalétique implicite (non dédiée)
−
Signalétique explicite (dédiée)
−
Signalétique automobile
−
Utilisation des transports
−
Panneaux de signalisation sur trottoir à hauteur
−
Absence d'assistance humaine
Nous avons pu identifier 114 items dont 66 sont évoqués pour la ville
difficile, 35 concernent la sécurité, 17 la localisation 19 l’orientation et 58 items
non redondants pour la ville facile dont 16 pour la sécurité, 8 pour la localisation
et 7 pour l’orientation.
Selon la même approche, nous avons pu mettre en relief les inquiétudes ou
non dont nous avons extrait ci-dessous les principales concernant les
aménagements « code de la rue ». Dans la représentation des PAM, une des
craintes est la représentation qu’ont les autres usagers des nouvelles règles du
code de la rue et des risques de velléités ou de difficultés de mise en oeuvre.
Pour comprendre quelles sont les propriétés utiles et les rôles joués par les
chaussées, les trottoirs et les marquages au sol pour les (propriétés et rôles)
retrouver en l’absence ou en cas de modification de ces derniers (chaussées,
trottoirs et marquages au sol) nous conduit à essayer d’extraire ces propriétés
et ces rôles dans la synthèse qui suit plus précisément en prenant les quatre (4)
thèmes-support de l’étude.
A ces thèmes, deux autres (gabarit limite d’obstacle du tramway et giratoire)
ont été ajoutés, compte tenus de leur émergence et de leur importance dans les
groupes de parole et ateliers ambulatoires.
300
© Les collections de l’INRETS
Code de la rue et déplacements urbains des aveugles
Vulnérabilité
−
Les DV hiérarchisent correctement et facilement l’échelle de Vulnérabilité
du plus faible au plus fort et donc l’échelle de responsabilité du plus fort
au plus faible (GP).
−
Même s'il y a renversement de la responsabilité en droit, dans les faits,
les personnes déficientes visuelles ont majoritairement le sentiment
qu’elles restent exposées à un risque de collision que « l’autre (piétons,
cycles ou véhicules) » est seul à gérer (GP).
−
L'inquiétude de ces personnes, c'est que les plus forts ne soient pas
informés de leur responsabilité ou qu'ils ne partagent pas pleinement le
principe de vulnérabilité relative (GP et AA).
−
Les personnes se demandent comment elles peuvent savoir qu’elles
entrent, sont dans, sortent d’une zone où s’applique le principe de
vulnérabilité et donc peuvent se trouver sans le savoir dans des zones ou
ce principe ne s’applique plus (GP et AA).
−
Si elles intègrent bien le principe de vulnérabilité, elles pensent que
d’autres usagers tels que les cyclistes peuvent moins bien le faire et
préfèrent donc des zones distribuées et physiquement délimités que
partagées (GP et AA).
Zone apaisée ; zone de rencontre (piétonne, 30…)
−
Les DV ressentent et manifestent l'insécurité par absence de trottoir
délimité (GP et AA).
−
Les DV ressentent et manifestent des difficultés plus grandes de
localisation et d'orientation par insuffisances d'obstacles repères ou de
signalétique au sol (GP et AA).
−
Les DV manifestent une difficulté de construction de l’espace et de
localisation des rues, des bâtiments, des objets et des mobiliers urbains
(effet similaire au jeu Colin Maillard) (GP et AA)
−
L’association de surfaces planes et de délimitation par des potelets ne
facilitent pas la construction d’une représentation de l’espace à proximité
et donc l’anticipation nécessaire au déplacement (AA).
−
L’exploitation d’une différenciation podotactile et/ou visuelle devrait pour
être efficace s’appliquer à 3 niveaux :
−
Le respect d’une constance de propriétés tactiles et visuelles pour
de même zones ou limites de zones dans une même
agglomération ou mieux encore sur l’ensemble des communes ;
−
Un contraste de confort (sens ergonomique : n’entraînant pas de
fatigue) et non un contraste au seuil de sensibilité perceptive ;
−
La variété des revêtements (pavés, galets, grès…) devrait associer
des fonctions de repérages ou de guidage à celle d’une esthétique
minérale actuellement dominante.
© Les collections de l’INRETS
301
Piéton : voir et être vu
Zone cyclable et contre-sens cyclable
−
Pour les malvoyants sans canne, les cyclistes peuvent projeter qu'ils sont
vus et donc reporter la gestion du risque de collision sur le piéton (GP).
−
Dans une situation de piste cyclable inversée par rapport aux voitures,
l’attention du déficient visuel qui traverse peut être orientée par tropisme
sonore sur les automobiles et leurs moteurs en masquant les cyclistes
arrivant sur leur gauche (GP et AA).
−
Pour les DV, les cyclistes sont souvent représentés comme des
personnes passe-partout faisant preuve d'imprudence et cherchant en
plus à maintenir leur élan aux dépens parfois de la sécurité des autres
(GP).
−
Les cyclistes n’ont pas d’enseignement du code de la route et peuvent
avoir tous les âges, être plus ou moins expérimentés dans la conduite
urbaine et ne se préoccupent pas suffisamment des risques de collision
(GP).
−
Les pistes cyclables sur le trottoir non matérialisées par un rebord et une
ligne continue contrastée visuellement mettent en insécurité (GP et AA).
−
Toutes les délimitations par plot et a fortiori à faible hauteur constituent
une source potentielle de risque de chutes ou de chocs (GP et AA).
−
Les marquages de couleur des pistes cyclables peuvent être interprétés
par le chien guide comme un « rail » de guidage (AA)
Priorité du piéton à la traversée (droit au passage)
−
Le fait de pouvoir traverser partout contraint tout individu à saisir le
contexte spatial et temporel de sa situation à l'instant où il souhaite
traverser, ce qui est difficile pour un aveugle (GP et AA).
−
L'absence de zone spécifique de traversée et la possibilité de traverser
partout « contractualise » la gestion du risque de collision entre les
individus. Cela implique une négociation silencieuse d’anticipation
visuelle réciproque des comportements (GP).
−
La suppression des marquages de traversées et de délimitations de
zones désorientent les chiens guides qui les utilisent comme rail de
traversée ou de jalonnement. Ils (chiens) peuvent se trouver en injonction
paradoxale (devoir traverser sans jamais trouver où) (AA).
−
Les aménagements innovants parfois utilisés pour ralentir les véhicules
ou pour en donner une plasticité rendent la construction mentale de la
situation impossible pour les aveugles (GP et AA).
Tramway
La combinaison de la présence du tramway dans les zones apaisées et
partagées sans délimitation ou matérialisation au sol du gabarit limite d’obstacle
(GLO), l’insécurité (risque de collision) qu’elle soit réelle ou ressentie produit un
« mal être » qui induit des stratégies de contournement des lieux ou de
présence uniquement assisté.
302
© Les collections de l’INRETS
Code de la rue et déplacements urbains des aveugles
Rond point dont la circulation giratoire est prioritaire
En l’absence de feux, ces ronds points induisant pour les véhicules une
accélération en sortie de celles-ci, rendent difficile la traversée pour les
personnes déficientes visuelles qui la ressente comme une prise de risque.
Illustrations extraites de l’atelier ambulatoire
Figure 1. Large abaissé de trottoir et piste cyclable au même niveau
« Là, on traverse des rues et la ville est vraiment toute plate… Cette
ville est très accessible pour les fauteuils roulants mais très compliquée
pour les aveugles. » (Remarque de l'instructrice de locomotion)
Figure 2. Zones apaisées, rencontres, 30
Savez vous qu'on vient de faire une traversée ? « Non je savais pas et moi
non plus »
© Les collections de l’INRETS
303
Piéton : voir et être vu
Figure 3. Pistes cyclables et doubles sens cyclables
Le chien prolonge les bandes blanches de traversée par la bande verte
de piste cyclable en entraînant l'aveugle sur la piste cyclable et donc à
90° du chemin initialement prévu. Une large discuss ion s'engage pour
savoir d'où doivent venir les cyclistes de la gauche ou de la droite. Pour
les conducteurs la partie piste cyclable est prise pour un céder le
passage, c'est donc un carrefour dangereux parce que les priorités sont
difficiles à définir rapidement pour tous. Un vélo en double sens cyclable,
est passé alors que tout le monde était orienté vers les véhicules dans
l'autre sens, orientation induite par les bruits de moteurs. Le chien prend
la piste cyclable comme guide.
Discussion
Cette étude a permis de souligner d’une part, les percepts (sonores,
podotactiles) et les informations exploitées par les PAM pour leurs déplacements
et les stratégies associées mis en œuvre (sécurité, localisation, orientation et
information de contexte) et d’autre part, les difficultés rencontrées par rapport à
certains aménagements existants (sentiment/réalité de prise de risque, perte de
repères/guidages, représentation mentale appauvrie ou erronée).
Dans leurs mobilités urbaines, les personnes déficientes visuelles adoptent
des stratégies adaptées à une infrastructure qu’elles ont pris l’habitude
d’utiliser : cadre bâti, trottoir, chaussée, passage piéton, feux tricolores…
Nous avons pu évaluer les craintes manifestées lors des groupes de parole et
observer la réalité de celles-ci, leurs atténuations ou leurs amplifications lors de
l’atelier ambulatoire. Les cinq éléments - gestion du risque de collision, effet dalle
avec aplanissement et homogénéisation podoctactile des matériaux, existence
d’éléments saillants ponctuels sans valeur informative, suppression de la
signalétique de traversée, espace occupé par le tramway lors de son passage,
mal ou non matérialisé (gabarit limite d’obstacle, GLO) – ont paru être les
composantes essentielles des craintes ou des difficultés exposées. En effet, ces
cinq éléments produisent conjointement des effets d’incertitudes, d’insécurité, de
difficultés à se représenter l’espace et à s’orienter.
304
© Les collections de l’INRETS
Code de la rue et déplacements urbains des aveugles
En élargissant visuellement et pragmatiquement l’espace, il est apparu que
les nouvelles organisations de la voirie, introduites depuis quelques années,
produisent un appauvrissement de l’information nécessaire à l’identification et à
la représentation des lieux, à l’orientation en termes de trajectoire et de
parcours.
Afin de répondre aux objectifs du « code de la rue », des recommandations
pour les déplacements des PAM sont proposés ici qui visent à veiller à la
sécurité, (ré)enrichir la prise d’information pour la localisation et l’information
d’activités, enfin établir des stratégies d’orientation.
Des recommandations techniques devraient être rapidement élaborées et
diffusées pour discriminer les surfaces dévolues aux piétons (en dehors des
aires piétonnes) des surfaces où circulent les véhicules. Dans des
aménagements où dominent des composants statiques et minéraux, il faudrait
rechercher une meilleure valorisation des matériaux de revêtement afin qu’ils
soient porteurs d'informations ou facilitateurs dans l'orientation et/ou la
représentation mentale de l'espace urbain et de sa distribution. Enfin,
l'exploitation des technologies de l'information et de la communication (TIC) au
déploiement encore embryonnaire d'équipements combinant affichages visuels
et diffusions sonores instanciées pourrait être un vecteur de ré-enrichissement
de l'information et tout particulièrement d'informations de sécurité ou
« logistique ».
Références
CNT (juin 2005). Une voirie pour tous : sécurité et cohabitation sur la voie
publique au-delà des conflits d’usage, rapport.
Arrêté royal du 1er décembre 1975 portant Règlement général sur la Police de
la circulation routière et de l’usage de la voie publique. Belgique (M.B.
du 9-12-1975, A.R. 4.4.2003, art. 1er ; entrée en vigueur : 1.1.2004).
Certu (1992). Guide zone 30 - Méthodologie et recommandations. Lyon.
Michaud V. (2006) Pour l’ajout d’un « code de la rue » à notre code de la route.
Club des villes cyclables, Paris.
Commission des communautés européennes, Bruxelles (octobre 2007).
Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif
à la protection des piétons et autres usagers vulnérables de la route:
sec 2007, 1244 et 1245.
Lagache, E. (2005). « Vous avez dit: « zone 30... » et les chiens guides,
alors ?... » Le magazine des chiens guides d'aveugles, juin, pp 10-13.
Propositions des associations pour le code de la rue, concernant
particulièrement les piétons (dont personnes handicapées et plus
largement PMR). 24 08 2006, Coliac, Paris.
The Guide Dogs for the Blind Association (2006). Shared Surface Street Design
Research Project the Issues: Report of Focus Groups. Hillfields,
Burghfield Common, Reading RG7 3YG.
© Les collections de l’INRETS
305
Piéton : voir et être vu
Peigné, H. (2004). Une voirie pour tous, Sécurité et cohabitation sur la voie
publique au-delà des conflits d'usage. Restitution des travaux du
groupe « partage de la voirie ». CNT, Paris
Schmoeker, J., Qudds, M., Noland, R., Bell, M. (2005). Estimating Trip
Generation of Elderly and Disabled People: Analysis of London data
Transportation Research.
Uzan G., Seck M. (2008). Difficultés des personnes aveugles et mal-voyantes
sur certains cheminements en ville: analyse des besoins et
recommandations. Rapport de recherche pour le Certu.
Wolff M., Cabon P., Uzan G., Nelson J., Couix S. (oct. 2006). Déplacement
urbain de personnes non-voyantes: étude multi-factorielle des
difficultés et apport d'une nouvelle interface pour le recueil des
données, Ergo-IA 11-13. Biarritz.
306
© Les collections de l’INRETS
Visibilité psychophysique des
piétons dans l’environnement routier
Vincent Boucher, Fabrice Fournela, Florian Greffier
Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées d’Angers
23 avenue de l’Amiral Chauvin, 49136 Les Ponts de Cé Cedex, France
[email protected]
Sandrine Gaymard, Victor Nzobounsana, Thibaud Agbotsoka
Université d’Angers, Laboratoire de Psychologie Processus de Pensée et
Interventions (PPI) UPRES EA2646, Université d’Angers
11 boulevard Lavoisier, 49045 Angers Cedex 01
[email protected]
Résumé – Cet article présente les résultats obtenus dans le cadre d’une étude
exploratoire visant à déterminer la « visibilité psychophysique des piétons dans
26
l’environnement routier » . Nous nous intéressons à la perception physique et
psychosociale du piéton à partir de films issus de scènes routières et visualisés
par des conducteurs. Des mesures physiques ont été combinées à une analyse
d’entretiens. Nous avons utilisé l’analyse des corrélations canoniques robuste
pour étudier le lien entre les deux groupes de données et leurs proximités avec
les films. Les résultats montrent qu’il existe une corrélation significative mais,
dans la représentation graphique, le « piéton physique » (en termes de saillance)
n’est pas proche du «piéton psychosocial» rappelant que le discours des usagers
intègre d’autres types de variables (attentes, émotions, motivations).
Mots-clés : perception physique et psychologique, conducteur, piéton, analyse
des corrélations canoniques robuste
Contexte de l’étude et ressources mobilisées
Bien que le nombre de morts ait fortement diminué sur les routes françaises,
les statistiques 2008 montrent une forte augmentation des accidents impliquant
des piétons, notamment en région parisienne (+37,8 %). C’est pourquoi la
Fondation Sécurité Routière a défini cette problématique comme un des axes
prioritaires de recherche.
Dans le cadre de ses actions de sécurité routière, l’équipe Vision du
Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées d’Angers (LRPCA) s’intéresse
depuis de nombreuses années à la visibilité des objets constituant
26
Titre du projet financé par la Fondation Sécurité Routière.
© Les collections de l’INRETS
307
Piéton : voir et être vu
l’environnement routier. En effet, la vision est le premier sens mobilisé par
l’automobiliste pour conduire son véhicule. Il semble donc primordial de
caractériser l’environnement visuel du conducteur afin de mettre en place des
stratégies et des recommandations cohérentes en matière de sécurité routière.
Le LRPCA s’attache ainsi à examiner les interactions visuelles entre les
objets composant l’environnement routier et le comportement du conducteur.
Certains de ces objets, comme les signalisations horizontales (marquages) et
verticales (panneaux), vont participer à la réalisation du parcours, à la définition
et l’anticipation des trajectoires. D’autres objets seront des éléments
perturbateurs et/ou de cohabitation dans l’espace routier (autres véhicules
motorisés, cyclistes, piétons). Dans ce cadre, le piéton est un « objet » tout
particulier, non seulement par sa fréquence d’apparition dans la tâche de
conduite et le nombre d’interactions qu’il suscite avec le conducteur mais
également par sa vulnérabilité. La perception du piéton est donc une
thématique de recherche à part entière du LRPCA.
Le laboratoire de psychologie de l’université d’Angers s’intéresse aux
aspects représentationnels et normatifs de la conduite. Dans le champ de la
psychologie sociale, les recherches menées entre 2003 et 2006 auprès de
différents groupes d’usagers, ont porté sur la perception des normes et les
conditions d’applications de celles-ci. Ces travaux mettent l’accent sur deux
systèmes de normes, le système de normes légales (code de la route) et le
système de normes sociales. La logique des usagers s’intègre dans le système
de normes sociales dont le fonctionnement est avant tout conditionnel
(Gaymard, 2007, 2009).
Ainsi, dans le cadre du projet VIPPER (Visibilité psychophysique des piétons
dans l’environnement routier) financé par la Fondation sécurité routière, le
LRPCA s’est associé au Laboratoire de psychologie de l’université d’Angers
pour étudier précisément les mécanismes en compétition dans la perception du
piéton par le conducteur (Boucher & Gaymard, 2009). Cette notion de
compétition dans l’approche choisie, s’appuie sur le fait que le piéton est une
entité indissociable de l’environnement dans lequel il évolue, sous le regard ou
non du conducteur. Bien plus qu’une simple mesure physique (luminance,
couleurs, contraste, saillance, etc.), la perception du piéton s’intègre dans une
problématique psychosociale qui va influencer la prise en compte de celui-ci
dans la tâche de conduite. Les études menées ont ainsi pour but de construire
un modèle de perception du piéton intégrant des paramètres physiques et des
données psychosociales, en considérant les interactions et la hiérarchisation de
ces informations dans le processus de perception.
Méthodologie et population
S’agissant d’évaluer la perception physique et la visibilité psychosociale des
piétons dans l’environnement routier, différents outils sont sollicités. Le premier
d’entre eux, développé au LRPCA, est le système « Cyclope » qui est un
véhicule équipé d’un « œil électronique » (Boucher, Greffier & Fournela, 2008).
L’architecture de Cyclope est basée sur une caméra numérique disposant de
propriétés proches de celles de l’œil humain en termes de sensibilité spectrale.
308
© Les collections de l’INRETS
Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier
Elle est placée dans l’axe de vision du conducteur, à bord du véhicule, et
permet d’enregistrer des images photométriques (mesures de luminance) et
colorimétriques (mesures de chrominance). Les luminances et les
chrominances étant les grandeurs physiques auxquelles est sensible l’œil
humain, Cyclope permet donc d’enregistrer des images étroitement
représentatives de la perception visuelle du conducteur. Ces images servent
ensuite à alimenter des modèles de description des images. Ce sont alors les
outils d’interprétation des informations physiques qui rentrent en jeu. Deux
modèles sont principalement utilisés au LRPCA. Le premier est un modèle basé
sur l’évaluation du contraste en luminance d’un objet sur son fond (Adrian,
1989). Il permet de calculer le niveau de visibilité d’un objet et d’en déduire la
probabilité qu’a cet objet d’être vu par le conducteur. Le second est un modèle
de saillance attentionnelle qui permet d’évaluer la capacité d’un objet à attirer le
regard du conducteur. Il est basé sur les travaux qui traitent de la saillance
ascendante (ou « bottom-up ») (Brémond & Deugnier, 2006 ; Itti, Koch, &
Niebur, 1998). Partant des résultats fournis par ce modèle, le LRPCA s’efforce
de l’adapter à la tâche particulière de conduite. Les contraintes identifiées
nécessitant l’adaptation du modèle sont le caractère dynamique de la tâche
d’observation et la variation de l’étendue du champ de vision du conducteur.
Pour tenir compte de ces aspects, le LRPCA a adjoint au modèle un facteur
correctif basé sur des données de flot optique (Horn & Schunk, 1981). Cette
première adaptation permet de prendre en compte le caractère dynamique de
la perception d’un conducteur, que ce soit sa propre dynamique (véhicule en
mouvement), mais également celle des objets dans l’environnement routier
(autres véhicules, piétons, etc.). C’est ce modèle de saillance ascendante qui a
été utilisé dans les résultats présentés ici.
Cependant, ce piéton évolue dans un environnement particulier, parmi
d’autres objets susceptibles d’avoir un impact sur l’attention du conducteur.
Ainsi, la visibilité intrinsèque du piéton doit être examinée en prenant en
considération la complexité de la scène dans laquelle il évolue et le contexte
psychosocial dans lequel se trouve le conducteur. D’autres outils doivent donc
être utilisés afin d’enrichir la compréhension de l’objet « piéton ». Dans le
champ d’étude des représentations sociales, la diversité des approches
méthodologiques nous permet d’appréhender la complexité des situations
sociales. L’étude du discours des usagers de la route peut mettre en exergue
les sentiments et les ressentis du conducteur confronté à une situation
interactive spécifique ; c’est ici que réside la visibilité psychosociale.
La méthodologie expérimentale mise en place afin de trouver des liens entre
saillance ascendante et visibilité psychosociale a reposé sur l’audition de
conducteurs auxquels ont été présentées des séquences vidéo enregistrées
avec Cyclope. Ces séquences ont été choisies pour offrir une certaine
représentativité de situations routières contenant des piétons et auxquelles les
conducteurs sont confrontés quasi quotidiennement (conduite en ville, zones de
travaux, abords d’une gare, sortie d’école, etc.). Onze conducteurs parisiens (5
jeunes et 6 expérimentés) recrutés par annonce électronique ont ainsi été
auditionnés au Laboratoire Central des Ponts et Chaussées de Paris. Les
séquences ont été projetées dans une salle noire équipée d’un projecteur et
d’un écran calibré permettant d’immerger le sujet dans des conditions
© Les collections de l’INRETS
309
Piéton : voir et être vu
représentatives de la conduite. Dix scènes routières étaient visualisées par les
sujets durant la passation (temps global de passation : environ 12mn). Afin de
recueillir le ressenti des conducteurs devant les scènes face aux conditions de
circulation présentes, nous avons enregistré leurs propos. Pour chacune de ces
scènes, ils répondaient à une consigne spécifique : « Vous allez voir une scène
routière, nous vous demandons de vous concentrer car vous ne la verrez
qu’une fois. Que retenez-vous de cette scène, qu’est ce qu’elle vous inspire et
pourquoi ?…». Leurs réponses ont ensuite été retranscrites afin de permettre
une catégorisation du discours (sentiment de dangerosité, de vigilance,
sentiment que les usagers/la signalisation sont adaptés (légitimes) ou inadaptés
(illégitimes) etc.).
Le protocole de traitement en saillance visuelle des films a consisté, dans un
premier temps, à extraire de chaque film une image par ½ seconde. Puis
chaque image extraite est passée au filtre du modèle de saillance. Nous
obtenons ainsi une série d’objets identifiés par le modèle comme saillants.
Nous avons choisi de ne retenir que 5 objets par images. Ensuite, chaque objet
est répertorié en fonction de sa catégorie : Piéton, vélo, véhicules, signalisation,
autre.
Nous avons d’abord effectué une analyse sur les variables physiques, puis
sur les variables psychosociales pour proposer ensuite d’examiner les
corrélations canoniques robustes (Hotteling, 1936 ; Leurgans, Moyeed &
27
Silverman, 1993 ; Vinod, 1976) entre les deux groupes de mesures. Cette
méthode a été initialement proposée par Hotteling en 1936 et intitulée
« Analyse des corrélations canoniques simple ». Il s’avère que cette méthode
pose des problèmes de stabilité numérique (lorsque les variables sont très
corrélées dans un groupe, la méthode n’offre pas de bons résultats
numériques). D’où l’utilisation d’une version modifiée appelée « Analyse des
corrélations canoniques robuste » (ACCR) (Vinod, 1976) qui consiste à
remplacer les matrices de corrélations initiales par des matrices de corrélations
robustes afin de rendre stables les résultats numériques. Avec cette méthode,
nous voulons d’une part, mesurer et caractériser les liaisons linéaires qui
existent entre les deux groupes de données (physiques et psychosociales) et
d’autre part, mettre en évidence la proximité qu’il y a entre les deux groupes de
données et les films.
Résultats
Analyse physique des films
Nous avons fait une analyse factorielle des correspondances (AFC)
(Benzecri, 1980, 1992) du tableau de contingences croisant la variable « cibles
vues » avec la variable « films ». Le lecteur pourra trouver en annexe une
courte description du contenu de chacun des films.
Les cibles « saillantes » (pointées par le modèle de saillance puis précisées
de façon sémantique manuellement) sont de 9 types :
27
Nous avons utilisé le logiciel R qui est la version gratuite du logiciel S+ (version commercialisée)
(Becker, Chambers & Wilks, 1988).
310
© Les collections de l’INRETS
Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier
Piétons sur le trottoir
Piétons sur la chaussée
Vélos illégitimes
Voitures en circulation
Voitures en
stationnement illégitime
Signalisation permanente
(panneau directionnel)
Vélos légitimes
Voitures en
stationnement légitime
Signalisation temporaire /
travaux
Dans les analyses, chaque cible « saillante » est considérée comme une
variable. La classification légitime/illégitime s’appuie sur le respect des règles
du code de la route.
Les résultats obtenus à l’aide de l’AFC du tableau des données croisant les
cibles « saillantes » et les 10 films montrent qu’il y a un lien entre les 2 variables
(χ2 = 1033,64 ; ddl = 72 ; P < 0,001). La carte factorielle (figure 1, axe 1 =
35,25 % d’inertie ; axe 2 = 23,96 %) présente un regroupement des films et des
cibles en 3 classes homogènes :
−
Classe 1 : signalisation permanente et voitures en circulation sont
associées aux films 2, 5, et 6 ;
−
Classe 2 : signalisation temporaire, piétons sur la chaussée et vélos
légitimes sont associés aux films 1, 3, 4 et 7 ;
−
Classe 3 : piétons sur le trottoir, vélos illégitimes, voitures en
stationnement (légitime/illégitime) sont associés aux films 8, 9 et 10.
Figure 1. Analyse factorielle sur les variables physiques
Analyse psychosociale des films
Nous avons fait une analyse factorielle des correspondances du tableau de
contingences croisant la variable « psychosociale » et la variable « films ». A
partir de la retranscription des impressions et ressentis des sujets exprimés en
© Les collections de l’INRETS
311
Piéton : voir et être vu
visionnant les films nous avons isolé 14 thématiques renvoyant à des variables
psychosociales qui ont été centrées réduites et à partir desquelles nous avons
calculé des fréquences :
Légitimité du piéton
Non légitimité du piéton
Légitimité des voitures
Non légitimité des voitures
Non légitimité des vélos
Approbation à l’égard
du conducteur
Vigilance
Sentiment neutre
Enervement
Courtoisie
Vitesse excessive
Dangerosité
Sentiment d’encombrement
Signalisation non légitime
La variable légitime/non légitime renvoie à la perception que les sujets ont
sur un positionnement ou un comportement adapté ou inadapté.
Les résultats obtenus à l’aide de l’AFC montrent qu’il y a un lien entre les 2
2
variables (χ = 148,8 ; ddl = 117 ; p < 0,001). La carte factorielle (Figure 2, axe
1 = 29,29 % d’inertie ; axe 2 = 25,75 %) présente un regroupement des films et
des variables psychosociales en 3 classes homogènes :
−
Classe 1 : l’approbation à l’égard du conducteur, la courtoisie,
l’insensibilité, la vigilance et la perception légitime du piéton sont
associés aux films 1, 3, 6 et 10 ;
−
Classe 2 : la dangerosité, la non légitimité du piéton, la non légitimité de
la signalisation, l’énervement, la vitesse excessive et la non légitimité du
conducteur sont associés aux films 2, 4, 5, 7 et 8 ;
−
Classe 3 : les sentiments d’encombrement, de non légitimité des voitures
et des vélos sont associés au film 9.
Analyse des corrélations canoniques entre les variables
physiques et les variables psychosociales
Afin d’analyser les relations entre les 2 groupes : variables physiques et
variables psychosociales, nous avons effectué une analyse des corrélations
canoniques robuste (ACCR). Cette analyse a révélé une bonne corrélation
entre les deux types de variables (les 4 premières corrélations canoniques sont
supérieures à 0,9).
La carte factorielle obtenue à partir du deuxième plan factoriel (axe 1 et axe
3, figure 3) permet de dégager quatre groupes de descripteurs, chacun associé
à un groupe de films.
Le premier groupe comprenant les films 4, 5 et 8, fait apparaître un lien
entre les variables psychosociales » non légitimité du conducteur », « non
légitimité de la signalisation », et la variable physique « piétons sur la
chaussée ». Quand la saillance met l’accent sur les piétons qui traversent
(essentiellement sur les passages protégés), le regard psychosocial relève
l’inadaptation de la signalisation et critique le conducteur.
312
© Les collections de l’INRETS
Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier
Figure 2. Analyse factorielle des variables psychosociales
Figure 3. Analyse des corrélations canoniques robuste
Le deuxième groupe comprenant le film 6 comporte uniquement les variables
psychosociales « piéton légitime », « sentiment neutre », « courtoisie » et
« approbation à l’égard du conducteur ». Dans un environnement clair avec des
ressentis positifs, il n’y a pas d’élément physique corrélé. Le troisième groupe
© Les collections de l’INRETS
313
Piéton : voir et être vu
rassemble les films 1, 3, 9 et 10 et montre que les variables psychosociales » encombrement», « non légitimité des voitures », « non légitimité du
vélo » et « vigilance » sont bien corrélées avec les variables physiques « voitures
en stationnement » (légitime et illégitime), « voitures en circulation » et « vélos
illégitimes ». Un environnement complexe est corrélé avec des ressentis négatifs
(sentiment d’encombrement, de vigilance). Le dernier groupe qui rassemble les
films 7 et 2 (ce dernier ayant une contribution moindre) montre un lien entre les
variables psychosociales « non légitimité du piéton », « vitesse excessive » et
« dangerosité » et la variable physique « signalisation temporaire ». Ces quatre
groupes renvoient ainsi à la perception d’un sentiment d’insécurité et de
dangerosité quand le conducteur est confronté à un environnement complexe et
encombré (groupes 1, 3 et 4) et à la perception d’un sentiment de sécurité quand
l’environnement est dégagé, que le piéton est sur le passage protégé et qu’il est
courtois (groupe 2).
Les réponses des sujets indiquent que le piéton est considéré différemment
suivant la complexité de l’environnement routier auquel est soumis le
conducteur. Ainsi, dans une scène fortement encombrée visuellement, les
piétons sont intégrés dans un environnement associé au danger. L’information
« piéton » s’inscrit parmi une multitude d’autres stimuli qui doivent également
être traités. Le nombre d’informations soumis semble orienter les conducteurs
vers la sécurité immédiate. Dans une scène dégagée, la perception du piéton
prend une dimension véritablement sociale. L’attention du conducteur peut se
focaliser sur lui et ses caractéristiques, et il s’intéresse alors de près à son
comportement et ses attitudes.
Conclusion
A partir des différents films sélectionnés et proposés dans cette étude, nous
nous intéressons à la perception physique et psychosociale du piéton. Nous
observons une corrélation élevée entre les données physiques et les données
psychosociales. Du point de vue de la proximité, nous constatons que l’objet
« piéton » apparaît soit avec les mesures de saillance soit dans le discours et le
ressenti des conducteurs mais pas simultanément. Ainsi, nous avons une bonne
corrélation, mais force est de constater que lorsque le piéton ressort comme
saillant, le discours des usagers se focalise sur l’environnement routier et d’autres
éléments de la scène. Inversement, lorsque les conducteurs évoquent dans leurs
discours le piéton dans un environnement adapté (légitime) ou pas (non légitime),
ce n’est pas un élément prépondérant de la scène du point de vue de la saillance.
Ce n’est pas le cas des autres cibles comme la voiture ou le vélo qui ressortent
simultanément comme saillants et dans le discours des usagers. Nous attribuons
la différence concernant le traitement des cibles à leur signification dans
l’interaction. En effet, il est clair que les attitudes et les comportements des
piétons comparativement aux autres cibles suscitent plus de réactions
émotionnelles chez les conducteurs ; cette richesse ne pouvant pas se traduire
en caractéristiques physiques. Ainsi, Gaymard, Agbotsoka et Nzobounsana
(2009) mettent en évidence la composante émotionnelle des représentations
sociales dans des situations d’interactions spécifiques conducteurs/piétons : le
piéton est susceptible d’accentuer l’agressivité du conducteur ou de générer des
sentiments positifs s’il est courtois.
314
© Les collections de l’INRETS
Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier
Nous constatons que le ressenti à l’égard des piétons est fortement
dépendant de l’environnement routier (zone piétonne, encombrée ou dégagée).
Or, cet aspect de complexité n’est pas pris en compte aujourd’hui dans les
variables physiques. Nous nous attacherons donc par la suite à définir un indice
de complexité d’une scène prenant en compte la multiplicité des objets faisant
partie de l’environnement.
Compte tenu du faible échantillon de sujets auditionnés et de scènes
proposées, il apparaît important de valider ces premiers résultats en élargissant
le champ d’étude (plus de sujets, plus de scénarii).
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Annexe : lexique des films
Film 1 : le conducteur suit un vélo et une voiture dans une rue encombrée
avec des travaux, des voitures stationnées sur le trottoir, quelques piétons se
promènent sur les trottoirs et l’un d’entre eux traverse au milieu de la chaussée.
Film 2 : le conducteur est dans un espace dégagé et aborde un rond point.
Un vélo y circule. La scène présente quelques voitures dont une est en
stationnement dans une voie de bus. Un piéton traverse le rond point.
Film 3 : le conducteur est dans une rue encombrée (voitures en
stationnement, zone de travaux, camion en stationnement gênant, multiples
piétons dont un en gilet fluo).
Film 4 : le conducteur est arrêté devant un passage piéton avec un panneau
interdiction de stationner en plein milieu de la route. Plusieurs piétons
traversent sur le passage, l’un d’eux marche à côté de son vélo, un autre piéton
s’y arrête pour discuter.
Film 5 : le conducteur s’engage dans un rond point où circulent une voiture
et un camion. Un piéton traverse alors dans un angle mort, puis s’excuse. Un
camion de pompier démarre ensuite devant le véhicule du conducteur.
Film 6 : le conducteur suit une voiture puis s’arrête devant un passage
protégé dans un espace dégagé pour laisser traverser une dame âgée qui
remercie d’un geste de la main.
Film 7 : le conducteur se trouve dans une zone surchargée de travaux.
Deux piétons s’engagent sans vraiment regarder et un véhicule sort de la droite
et s’engage.
Film 8 : le conducteur s’arrête dans une zone piétonne où deux véhicules
sont garés (stationnement illégitime) et où déambulent de nombreux piétons et
un vélo.
Film 9 : le conducteur suit une voiture et s’engage dans une rue encombrée
avec des véhicules mal garés, une sortie d’école avec de nombreux enfants et
un jeune cycliste à contresens.
Film 10 : ce film se déroule dans la continuité du film 9. Il n’y a cependant ni
voiture mal garée ni vélo.
316
© Les collections de l’INRETS
Apprentissage de la conduite
et simulation d'accident piéton
Mohamed Meskali, Claudine Nachtergaële, Catherine Berthelon
INRETS, Département mécanismes d’accidents
Chemin de la Croix-Blanche, 13300 Salon de Provence, France
[email protected]
Résumé – Afin de lutter contre la sur implication des jeunes conducteurs dans
les accidents, la France a mis en place une possibilité de conduire à partir de
16 ans, accompagné d'un adulte. Afin d'estimer si cet apprentissage précoce
permettait aux conducteurs novices d'adopter un comportement plus proche de
celui des conducteurs expérimentés que celui des conducteurs novices ayant
suivi un apprentissage traditionnel à la conduite, nous avons confronté ces trois
groupes de conducteurs à une simulation de scénario d'accident. Ce scénario
impliquait un piéton, usager considéré comme particulièrement vulnérable, et
reproduisait une situation prototypique d'accident. Les résultats obtenus
permettent une analyse fine des statégies adoptées et mettent en évidence
quelques comportements différenciés en fonction de l'expérience de conduite.
Des scénarios de ce type pourraient être utilisés dans le cadre de
l'apprentissage à la conduite afin que les conducteurs novices soient confrontés
à une gamme de situation rarement rencontrée au cours de l'apprentissage lui
même. Un autre aspect opérationnel de la mise en image de ce type de
situations serait de sensibiliser les piétons aux risques pris lors de traversée de
voiries urbaines lorsqu'ils sont susceptibles de ne pas être vus par les autres
usagers.
Mots-clés : simulateur de conduite, expérience, scénario urbain
Introduction
Les piétons constituent une classe d'usagers particulièrement vulnérables
en termes d’accidentologie. La France compte, en 2007, 16 % d’accidents
corporels et 11 % d'accidents mortels impliquant un piéton et un véhicule
motorisé (augmentation de 4,9 % par rapport à 2006). Ces accidents ont
généralement lieu en milieu urbain ce qui souligne les problèmes posés par le
partage d'un même espace par divers type d'usagers.
Par ailleurs, l’interaction entre usagers est souvent complexe, difficile à gérer
par les jeunes conducteurs. Dans cette population, le risque élevé d'implication
dans un accident est affecté par nombre de facteurs : prise de risque,
consommation d’alcool, distraction, fatigue, etc. (Ferguson, 2003 ; Hedlund et al.,
© Les collections de l’INRETS
317
Piéton : voir et être vu
2006 ; Underwood, 2007 ; Turner et al., 2004). Il est toutefois démontré que les
compétences de conduite s’améliorent avec l’âge et la pratique, ce qui confère
aux conducteurs expérimentés une meilleure capacité à gérer des situations
inattendues. Cette capacité de gestion implique un traitement cognitif élaboré
avec une amélioration de la perception de l’environnement (Leung et Starmer,
2005 ; Underwood et al., 2003), de la prise d’information visuelle (Berthelon et al.,
1995 ; Deery, 1999 ; Underwood, 2007) et de la coordination motrice (Ranney,
1994). D’autres facteurs peuvent aussi influencer le comportement des
conducteurs débutants, tels le manque de mise en œuvre d’opérations mentales
complexes (Higelé et Hernja, 2008) et le sexe (Monárrez-Espino et al., 2006).
L’impact de l’entraînement et de la pratique sur leur comportement a par ailleurs
été largement établi (Chapman et al. 2002 ; Fisher et al., 2002 ; Hall et West,
1996 ; Mayhew et al., 2003).
Afin de limiter l'implication des jeunes conducteurs dans les accidents, en
1988, la France a mis en place un programme officiel d’apprentissage anticipé
à la conduite (AAC). Après une formation en auto école et l'obtention de
l'examen théorique relatif au code de la route, les apprentis sont autorisés à
conduire dès l'âge de 16 ans sous la supervision d'un adule. Un minimum de
3000 km parcourus et de 18 ans permet de passer l’examen pratique
nécessaire à l'obtention du permis de conduire définitif. La pratique
supplémentaire sous tendue par cette formation anticipée pourrait avoir un effet
positif sur le comportement. Le bilan semble actuellement être positif compte
tenu du taux de réussite élevé lors de la première présentation à l'examen
mais, à notre connaissance, il n'existe pas d'évaluation objective des
modifications comportementales qu'elle entraîne.
Une première évaluation de l’impact de l’apprentissage anticipé sur le
comportement objectif de conducteurs débutants, a récemment été menée par
Berthelon et al (2008). L’objectif du présent travail est complémentaire. Il
consiste à compléter nos connaissances sur l'évaluation des compétences de
jeunes conducteurs ayant suivi un apprentissage anticipé comparativement à
celles de jeunes conducteurs ayant suivi un apprentissage traditionnel et à
celles de conducteurs expérimentés. Etant donné que les jeunes conducteurs
de sexe masculin sont les plus représentés dans les statistiques d'accident,
nous avons choisi, dans ce travail, de n'étudier que le comportement de
conducteurs de ce sexe.
Matériel et méthode
Participants
Trois groupes de conducteurs de sexe masculin ont participé à l'expérience :
conducteurs expérimentés ayant un permis de conduire depuis au moins 3 ans
(EXP : N = 12, âge = 23-30 ans), conducteurs débutants ayant suivi une
formation anticipée à la conduite (DCA : N = 12 ; âge = 18-20 ans), conducteurs
débutants ayant suivi une formation traditionnelle à la conduite (DCT : N = 12 ;
âge = 18-20 ans). Aucun des débutants ne possédait le permis de conduire
définitif depuis plus d'un mois.
318
© Les collections de l’INRETS
Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton
Dispositif expérimental et procédure
L’expérience a été réalisée sur un simulateur de conduite à base fixe SIM²INRETS muni d’une base de donnée d’objets ARCHISIM. Les images, générées
à une fréquence d’environ 30 Hz, sont projetées sur un écran à l’aide de trois
vidéo projecteur (H : 150° ; V : 49° ; voir Fig. 1) . La fréquence d’acquisition des
différents signaux (position, vitesse, accélération…) est de 30 Hz.
Figure 1. Le simulateur utilisé pour l'expérience
Le piéton surgit alors que le participant va croiser sa trajectoire
2,4 secondes plus tard.
La tâche des participants consistait à évoluer dans un circuit urbain dans
lequel étaient introduits aléatoirement cinq scénarios d'accident dont un
scénario impliquant un piéton. La durée du circuit était de 8 minutes environ, la
consigne était de circuler à une vitesse de 50 km/h et de suivre les panneaux
directionnels indiquant le centre-ville. Une séance d'entraînement précédait
l'expérience proprement dite, elle avait pour but la prise en main des
commandes du simulateur.
Les scénarios ont été implémentés avec les données d’Études Détaillées
d’Accidents INRETS/MA, qui constituent des situations de référence. Dans le
scénario présenté ici, un piéton initialement masqué par un bus stationné à
droite de la chaussée traversait brusquement la chaussée alors que le
conducteur arrivait de sa gauche (Fig. 1). Lorsque le piéton apparaissait dans le
champ de vision du conducteur, celui ci se trouvait à un temps de 2,4 s du point
de croisement de sa trajectoire et de celle du piéton. Cette configuration ne
restait effective que si le conducteur n'effectuait aucune action pour éviter le
piéton (freinage ou évitement par déport latéral).
Variables dépendantes et statistiques
Les variables étudiées étaient : les stratégies globales des conducteurs
(évitement ou collision), le temps mis pour appuyer sur la pédale de frein et la
durée de cet appuie, l'évolution des vitesses et positions latérales en fonction
du temps.
© Les collections de l’INRETS
319
Piéton : voir et être vu
Le traitement des variables s'est fait par des algorithmes de filtrage
(Butterworth), de lissage et de détection de collisions. Selon le type et la nature
de la variable analysée des tests t de Student et des ANOVA à mesures répétées
pour échantillons indépendants suivi du test de Schéffe ont été utilisés.
Résultats du scénario piéton
Confrontés à la présence d'un piéton traversant la chaussée de la droite
vers la gauche, tous les conducteurs ralentissent ; 30 % d'entre eux avaient
déjà le pied sur la pédale de frein avant l’apparition du piéton, 56 % ont freiné
suite à son apparition et 14 % n’ont pas freiné. Les conducteurs qui ont freiné (6
DCA, 6 DCT et 8 EXP) ont des temps moyens de réponse (m = 0,8 s) et une
durée d’appui sur la pédale de frein (m = 0,9 s) statistiquement équivalents quel
que soit leur expérience de conduite. La vitesse moyenne pratiquée est
équivalente quel que soit le groupe et tous les conducteurs ont atteint une
vitesse minimale 0,5 seconde avant que leur trajectoire ne croise celle du
piéton.
Pour la majorité des participants (N = 32) la décélération se fait sur une
trajectoire globalement rectiligne, qui se poursuit par un léger déport vers la
droite de la chaussée après le point de croisement des trajectoires. Un effet
d'interaction entre le temps et le groupe indique d'une part que au moment ou le
piéton est visible les conducteurs DCT circulent 28 cm plus à droite de la
chaussée que les conducteurs des deux autres groupes, et d'autre part que le
déport vers la droite n'est significatif que pour les groupes DCA et EXP (fig. 2).
Seul 11 % des conducteurs ont une stratégie d'évitement du piéton par la
gauche (1 DCA, 1 EXP et 2 DCT) et l'un d'entre eux (DCT) percute le piéton.
Leur manœuvre de déport est initiée 0,5 seconde avant que leur trajectoire ne
croise celle du piéton, à un moment ou leur vitesse minimale est également
inférieure à celles des autres participants.
Discussion et conclusions
Trois groupes de conducteurs ont été confrontés, sur simulateur de
conduite, à un scénario dans lequel un piéton masqué par un bus traverse
brusquement la chaussée devant eux. Le comportement de conducteurs
débutants ayant suivi un apprentissage anticipé à la conduite a été comparé à
celui de conducteurs débutants ayant suivi une formation traditionnelle à la
conduite et à celui de conducteurs expérimentés.
L’analyse de différents paramètres comportementaux ne permet pas de
différencier nettement les 3 groupes. Tous les conducteurs décélèrent pendant
2,5 s avec ou sans freinage. Alors que la majorité d'entre eux conservent une
trajectoire rectiligne pendant ces 2,5 s, puis se déportent légèrement vers la
droite de la chaussée, 4 conducteurs ont déjà entamé une manœuvre de déport
vers la gauche de la chaussée c'est à dire dans la direction prise par le piéton.
Cette manœuvre, relevée pour 3 débutants, pourrait correspondre à un manque
d'anticipation concernant la dynamique de la situation (Berthelon et al., 1995). En
effet, la manœuvre de déport vers la gauche ne serait réellement adaptée que si
le piéton avait interrompu son déplacement. Cette inadéquation manœuvre/
320
© Les collections de l’INRETS
Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton
situation entraîne d'ailleurs un choc avec le piéton pour un conducteur DCT.
Figure 2. Évolution des positions latérales en fonction du temps pour
les 3 groupes de conducteurs ainsi que pour les quatre conducteurs
ayant évité le piéton par la gauche
330
310
position latérale (cm)
290
270
DCA
250
DCT
EXP
230
Gauche
210
190
170
150
T0
T3
T5
Temps (s)
Les valeurs moyennes sont données à T0 (le piéton est visible), à T3 (moment où la trajectoire des
conducteurs croise celle du piéton) et à T5 (fin du scénario).
D'autre part, la stratégie adoptée par la majorité des conducteurs EXP et
DCA se caractérise par le fait qu'au moment où leur trajectoire croise celle du
piéton, ils commencent à se déporter légèrement sur la droite de la chaussée,
contrairement aux conducteurs DCT dont la trajectoire reste rectiligne. Ceci est
probablement le reflet d'habiletés supérieures des conducteurs DCA et EXP et
confirme des résultats antérieurs. La pratique supplémentaire sous tendue par
un apprentissage anticipé à la conduite pourrait ainsi favoriser l'acquisition d'un
certain nombre d'habiletés nécessaires à une conduite mieux maîtrisée
© Les collections de l’INRETS
321
Piéton : voir et être vu
(Berthelon et al., 2008 ; Groeger et Clegg, 1997 ; Sagberg et Bjørnskau, 2006 ;
Williams et Mayhew, 2008 ; Groeger et Banks, 2007).
Notons cependant que les différences comportementales relevées entre les
trois groupes de conducteurs sont relativement ténues et se manifestent
principalement à travers la forme de leur trajectoire lorsqu'ils perçoivent le
piéton. Malgré ces réserves, le fait qu'un conducteur DCT ait percuté le piéton
souligne le caractère accidentogène du scénario mis en scène ainsi que l'effet
de surprise provoqué par cette situation peu fréquemment rencontrée lors de
l'apprentissage et la pratique de la conduite. L'intérêt du simulateur de conduite
est soulevé en ce qui concerne la sensibilisation et la formation des
conducteurs aux situations complexes et aux situations rarement rencontrée en
situation naturelle.
Un autre aspect opérationnel de la mise en image de ce type de situations
serait de sensibiliser les piétons aux risques pris lors de traversée de voiries
urbaines lorsqu'ils sont susceptibles de ne pas être vus par les autres usagers.
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© Les collections de l’INRETS
323
Quelles recherches
dans la PFI COPIE ?
Une problématique commune mais complexe
La plateforme intégratrice (PFI) COPIE était à l’origine un groupe de travail
issus de 4 Unités de Recherches de l’INRETS dont l'objectif était de rassembler
une communauté de chercheurs issus de disciplines relevant aussi bien des
Sciences Pour l'Ingénieur (SPI) que des Sciences de l'Homme et de la Société
(SHS), d'offrir un espace de diffusion de leurs travaux de recherches, de
confronter les différentes approches utilisées, de discuter autour de
problématiques communes. L’objet de recherche qui fédère cette PFI est le
comportement du piéton dans son environnement.
Un déplacement se compose, a minima, d’un motif, d’une origine et d’une
destination. Les déplacements en milieux urbains représentent des cas
complexes d'interaction ; spécialement des interactions entre les usagers des
différents modes de transport (piéton, cycliste, conducteur de deux roues et de
voiture, de bus...) ; elles-mêmes situées dans des environnements variés et
dynamiques (infrastructure, trafic, règles de circulation...). Marcher c’est faire
des pas, s’arrêter, repartir, prélever des informations et prendre des décisions
dans un environnement urbain et sur un trottoir, une chaussée, dans un
couloir… dans des espaces réservés au déplacement à pied ou à partager avec
d’autres modes de transport, lors des traversées de rue par exemple.
Les différents chercheurs sont à peu près d’accord sur un découpage de
l’action en niveaux stratégique et tactique. Le premier est relatif au choix de
l’itinéraire dans la ville et ses réseaux (orientation, traversée…). Le deuxième
est relatif aux décisions en matière de traversée de rue.
Une grande partie de la complexité de la modélisation vient des interactions.
En premier lieu avec l’environnement urbain et l’infrastructure urbaine, en
deuxième lieu avec les usagers motorisés (automobilistes, chauffeurs de bus
de poids-lourds, cyclomotoristes et motocyclistes) et cyclistes avec lesquels il
faut négocier le passage ou partager l’espace, en troisième lieu avec les autres
piétons qui peuvent générer un comportement plus collectif qu’individuel.
Intervient aussi le rôle d’une autorité régulatrice centrale, ici le Code de la route,
qui s’applique à tous les usagers de l’espace routier et qui est interprété par les
acteurs avec divers filtres qui s’imposent avec plus ou moins de force via un
phénomène d’institution ou de norme sociale.
L’autre partie de la complexité vient des caractéristiques du piéton. Les
capacités cognitives et physiques jouent un grand rôle dans la performance qui
consiste à se déplacer dans la ville et surtout à traverser les voies,
particulièrement lorsque le sujet est très jeune ou très âgé. La phase
© Les collections de l’INRETS
325
d’apprentissage fait l’objet d’une recherche particulière en caractérisant le rôle
des parents dans l’apprentissage de la « règle » et celui de la formation en
général en harmonie avec le développement moteur, intellectuel et social de
l’enfant.
Pour les chercheurs impliqués dans cette PFI, qu’ils viennent des SHS ou
des SPI, qu’ils cherchent à appréhender l’activité du piéton ou à la modéliser, il
s’agit toujours de comprendre comment le piéton choisi son trajet ou prend la
décision de traverser et, plus particulièrement, saisir quels sont les critères de
décision utilisés par le piéton, c'est-à-dire pourquoi il prend cette décision là et
pas une autre.
Des thématiques de recherche guidées
par l’action de sécurité
Le déplacement dans la ville est dangereux. L’environnement est hostile et
le piéton est vulnérable spécialement aux collisions avec un véhicule en
mouvement. Toutes les activités du piéton doivent intégrer une dimension
risque d’accident. A partir des modèles de comportement piéton, on peut
développer une analyse du risque sous forme d’arbre des causes et des
conséquences en décrivant la façon dont les actions peuvent échouer suite à
des défaillances malgré les barrières de sécurité conçus pour le système de
déplacement urbain. L’analyse des accidents peut renseigner sur les scenarios
d’accidents et les jeux de causes qui conduisent à la collision et aux blessures.
Toutes les recherches qui sont fédérées sous COPIE se réfèrent à l’action de
sécurité routière et plus largement au développement durable, listons par
exemple :
−
la prise en compte du piéton dans la gestion du trafic en carrefour ;
−
l’évaluation de l’exposition au risque piéton en milieu urbain ;
−
le développement d’un simulateur piéton enfant pour la formation ;
−
le développement de simulations multi-acteurs (véhicules, piéton...) pour
l’aménagement et l’exploitation de la circulation ;
−
l’apprentissage des règles chez l’enfant piéton.
Entre juin 2004 et novembre 2009, les séminaires de la PFI ont permis de
connaître les travaux autour du piéton développés par plusieurs UR de
l’INRETS : MA, MSIS, GARIG, le LVMT, le LBA, le LESCOT, le LPC, le LEOST,
le GRETIA ; et par certains de nos partenaires universitaires : le LCPC-DESE,
les Universités de Valenciennes, Lille 1, Paris IV, Pau, Budapest et Athènes.
La plate-forme intégratrice COPIE, devenue en 2009 Plate-forme
d’intégration interdisciplinaire, a déjà débouché sur des projets de recherche
pluridisciplinaires autour du piéton, et compte poursuivre son chemin, vers une
meilleure mise en commun des connaissances issues des différentes
disciplines présentes à l’INRETS et à l’extérieur, et vers une meilleure
compréhension de l’activité du piéton dans son environnement.
Son travail est à mettre en relation, au plan international, avec les travaux du
groupe de recherche européen COST 358 (Pedestrian Quality Needs) et du
326
© Les collections de l’INRETS
Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton
groupe PUSH (Pedestrian safety, Urban Space and Health) du Forum
International des Transports de l’OCDE, qui remettront tous deux leur travaux
e
lors de la 11 conférence internationale Walk 21 qui se tiendra conjointement
e
avec le 23 congrès international ICTCT (International Co-operations on
Theories and Concepts in Traffic safety) à La Haye en novembre 2010.
Dans le contexte de la préconisation d’un retour à des modes plus doux de
transport en termes d’impacts environnementaux – mais aussi, rajouteronsnous, en termes de politique de santé publique et de mode de déplacements
favorisant l’activité physique –, les recherches et les actions en faveur d’un
environnement favorable au piéton semblent avoir à nouveau de l’avenir.
© Les collections de l’INRETS
327
Fiche bibliographique
Projet n°
Unité de recherche
MA, LEPSIS
ACTES INRETS
Réf. : A127
Titre
Le piéton : nouvelles connaissances, nouvelles pratiques et besoins de recherche
Langue
Sous-titre
e
2 colloque francophone de la plate-forme intégratrice COPIE,
Français
novembre 2009, Lyon
Rattachement ext.
Coordination scientifique
Marie-Axelle Granié, Jean-Michel Auberlet
N° contrat, conv.
Nom adresse financeur, co-éditeur
Direction scientifique INRETS
Date de
CGDD, MEDDEM
publication
DSCR, MEDDEM
Septembre 2010
Fondation sécurité routière
Résumé
Les nouveaux enjeux de la marche imposent une meilleure compréhension de cette
activité, de son ancrage dans les modes de vie et de ses rapports à l’environnement
urbain. Cet ouvrage examine les comportements des piétons, les facteurs contraignant
la marche et les éléments de vulnérabilité. Ils mettent en lumière les aménagements
urbains qui permettraient d’améliorer l’accessibilité et de rendre à l’espace public les
conditions nécessaires à la cohabitation des différents modes de déplacement. Cet
ouvrage s’adresse à tous ceux qui planifient les transports en ville et leurs
infrastructures, les urbanistes, les personnes œuvrant dans le secteur de la sécurité
routière et celles concernés par la mobilité des usagers plus vulnérables.
Mots clés
accidentologie, aménagement, interaction, mobilité, modélisation, piéton, politiques
publiques, psychologie, sociologie, géographie
Nb de pages
Prix
Bibliographie
330
85 euros
Oui
© Les collections de l’INRETS
329
Publication data form
Projet n°
Research unit
MA, LEPSIS
INRETS ACTES
Ref.: A127
Title
Pedestrian : New knowledge, new practices and research needs
Subtitle
Language
2nd international francophone congress of the INRETS’ French
Integrative Plateform COPIE, November 2009, Lyon
Editor(s)
Affiliation
Marie-Axelle Granié, Jean-Michel Auberlet
Sponsor, co-editor, name and address
Contract, conv. N°
Scientific Direction of INRETS
CGDD, MEDDEM
DSCR, MEDDEM
Publication date
Fondation Sécurité Routière
September 2010
Summary
The new stakes of walking involve a better understanding of this activity, of its
anchorage in life styles and its relationships with urban environment. Chapters of this
book examine pedestrian’s behaviours, elements restraining walking and factors of
vulnerability. They highlight city planning which could improve accessibility and make
public space safer and more convivial, both needed for all transport modes better
coexist. This opus is aimed at all professionals who are interested with urban and
transports planning, road safety, vulnerable road users’ mobility – as children or visual
impaired pedestrians.
Keywords
accidentology, city planning, interaction, mobility, modelling, pedestrian, public policy,
psychology, sociology, geography
Nb of pages
330
330
Price
85 euros
Bibliography
Yes
© Les collections de l’INRETS