Beethoven experience - Médiathèque de la Cité de la musique
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Beethoven experience - Médiathèque de la Cité de la musique
André Larquié président Brigitte Marger directeur général La cité de la musique rend hommage à Beethoven à travers deux expériences particulièrement originales : la chorégraphie des Variations Diabelli op 120 par la danseuse post-moderne américaine Twyla Tharp et l’intégrale des Quatuors à cordes par le Quatuor Lindsay, une formation britannique actuellement appréciée pour sa lecture radicale et énergique de Beethoven. introduction page 3 Quatuors à cordes nos 1, 12 et 9 page 8 vendredi 4 juin à 20h Quatuors à cordes nos 3 et 16 page 16 samedi 5 juin à 15h Quatuors à cordes nos 2 et 8 page 20 concert du samedi 5 juin à 18h Tharp - Diabelli page 24 samedi 5 juin à 20h, dimanche 6 juin à 18h et mardi 8 juin à 21h Quatuors à cordes nos 5, 11 et 14 page 27 concert du dimanche 6 juin à 15h Quatuors à cordes nos 4, 10 et 15 page 33 concert du mardi 8 juin à 18h Quatuors à cordes nos 6, 7 et 13 page 38 concert du mercredi 9 juin à 20h biographies page 47 Beethoven experience les Quatuors à cordes de Beethoven Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Beethoven s’est peu consacré à l’opéra, et en particulier à l’opéra italien qui aurait pu lui apporter une rapide notoriété. Il aura préféré cultiver le répertoire instrumental que les Kenner (connaisseurs) entretenaient comme un signe de distinction et que les Liebhaber (amateurs) pratiquaient à moindre niveau à travers la transcription ou l’interprétation d’œuvres conçues pour être plus accessibles. A l’évidence, c’est à la première catégorie de musiciens que Beethoven a songé en écrivant ses œuvres de musique de chambre les plus intéressantes, des œuvres parmi lesquelles il faut compter ses Quatuors à cordes pour leur exemplarité à s’être ostensiblement détachés des contingences liées au marché de l’édition. les mécènes Une telle indépendance - même si certains l’ont par la suite relativisée - n’aurait pu avoir lieu sans que Beethoven ne s’inscrive dans un réseau de mécènes et de riches amateurs qui étaient là pour lui apporter un soutien financier et une audience auprès des classes nobles. En échange de ce soutien, les protecteurs bénéficiaient de la présence de l’artiste dans leur salon, de l’exclusivité de l’interprétation des œuvres commandées (pendant une période allant en général de six mois à un an) et d’une dédicace en première page de l’édition. On compte ainsi cinq mécènes qui ont soutenu la composition des quatuors à cordes de Beethoven : le prince Lobkowitz (pour les Opus 18 et 74), le comte Razoumovski, ambassadeur de Russie à Vienne (pour l’Opus 59), le prince Nikolaus von Galitzin (pour les Opus 127, 130 et 132), le baron von Stutterheim (pour l’Opus 131) et le cardinal archiduc Rodolphe (pour la Grande Fugue op 133). En marge de ces commanditaires, d’autres personnages, comme le prince Lichnovski, ont joué un rôle considérable dans le rayonnement de ces œuvres. Ce dernier avait en effet constitué le premier quatuor permanent — le Quatuor Schuppanzigh composé d’Ignaz Schuppanzigh, Louis Sina, Franz Weiss et Nicolas Kraft - avec lequel il avait pris l’habitude de don- 3 | cité de la musique Beethoven experience ner chaque vendredi matin un concert de quatuor à cordes. Il leur offrit aussi de splendides instruments (un Guarnerius de 1718, un Amati de 1690 et un violoncelle Guarnerius de 1675 actuellement exposés dans la maison Beethoven de Bonn). les trois périodes La chronologie des Quatuors à cordes de Beethoven incite spontanément à distinguer trois périodes de composition correspondant chacune à un style : la période 1798-1800 (les Quatuors n° 1 à 6 encore héritiers de la tradition haydnienne) ; la période 1806-1810 (les Quatuors n° 7 à 11 dont le style tour à tour « héroïque » et expérimental vise à la distorsion de la forme classique) ; la période 1822-1826 (les Quatuors n° 12 à 16 dont les innovations — comme la généralisation du développement ou la conscience d’une « grande forme » — s’abstraient radicalement de tout modèle connu à l’époque). Cette tripartition s’appuie d’ailleurs sur le fait que Beethoven a écrit ses quatuors par « phase » contrairement à l’écriture « continue » de ses Symphonies ou de ses Sonates pour piano. Parmi les premiers, Wilhelm von Lenz, un élève de Liszt, donne une lecture personnelle de ces « trois styles » : « Il est un phénomène dans Beethoven qu’il importe de constater, qui seul le fait comprendre, c’est qu’en lui, il y a trois Beethoven très différents entre eux. Comme Raphaël et Rubens, Beethoven a une première, une seconde, une troisième manière, parfaitement caractérisées toutes les trois. Ces différences de styles, ces directions de sa pensée, ces transformations capitales de son génie, sont les assises de son œuvre. (…) Si ses premières productions respirent le génie de Mozart, (...) vous trouverez, en cherchant bien, une première note d’inquiète mélancolie. (...) Beethoven reprenait l’art où Mozart l’avait laissé ; il se chargeait sur ses puissantes épaules pour le porter plus loin. Plus de charmilles au bon endroit, dans la seconde manière de Beethoven, de quinconces espacés par les tyrannies de l’école ; le maître méprise les jardins, il lui faut des parcs, le langage du silence de la forêt ; les maisons seront devenues des châteaux (…). Il sera sa loi à lui, princeps legibus solutus est. (…) De là la troisième et dernière transformation du génie de Beethoven (…), les derniers quatuors à cordes qui ne sont autre chose que le tableau de la vie du juste, des souvenirs de son passage sur terre, souvenirs confus comme le sont les souvenirs d’une chose aussi fragile et aussi multiple que l’hu- 4 | cité de la musique Beethoven experience maine existence une fois qu’elle est restée en arrière de la route. (…) Les idées de Beethoven, telles que ce style tout exceptionnel les présente, sont toujours compliquées ; elles sont la manifestation de sa pensée, quand elle appartenait à une vie exceptionnelle s’écoulant en dehors de l’existence réelle. (…) Fruit d’une immense méditation dont il n’y a pas d’exemple, la troisième manière de Beethoven n’a plus la spontanéité des deux premières. Tout en s’appuyant sur les données de notre sphère d’impressions, Beethoven la dépasse et la continue au-delà des limites qu’elle a pour nous. » (Wilhelm von Lenz, Beethoven et ses trois styles, Paris, 1852, p. 50-56, p. 117) Pour aussi séduisante et engageante qu’elle puisse paraître — la pérennité de cette catégorisation tend d’ailleurs à le prouver —, la division des compositions de Beethoven en trois styles mérite d’être discutée tant elle ne prend pas en compte certaines constantes stylistiques qui touchent les trois périodes. Franz Liszt répond d’ailleurs immédiatement à Wilhelm von Lenz pour lui signaler les limites de cette conception strictement chronologique du style et lui proposer de la remplacer par une dialectique entre respect et distorsion des modèles formels. « S’il m’appartenait de catégoriser les divers termes de la pensée du grand maître, manifestés dans ses Sonates, ses Symphonies, ses Quatuors, je ne m’arrêterais guère, il est vrai, à la division des trois styles, assez généralement adoptée maintenant et que vous avez suivie — mais prenant simplement acte des questions soulevées jusqu’ici, je poserais franchement la grande question qui est l’axe de la critique et de l’esthétique musicale au point où nous a conduit Beethoven : à savoir, en combien la forme traditionnelle ou convenue est nécessairement déterminante pour l’organisme de la pensée ? La solution de cette question, telle qu’elle se dégage de l’œuvre de Beethoven même, me conduirait à partager cette œuvre non pas en trois styles ou périodes — les mots style et période ne pouvant être ici que des termes corollaires, subordonnés, d’une signification vague et équivoque — mais très logiquement en deux catégories : la première, celle où la forme traditionnelle et convenue contient et régit la pensée du maître ; et la seconde, celle où la pensée étend, brise, recrée et façonne au gré de ses besoins et de ses inspirations la forme et le style. Sans doute en procédant ainsi nous arrivons en droite ligne à ces incessants problèmes de l’autorité et de la liberté. » (lettre de Franz Liszt à Wilhelm von Lenz ; Weimar, 2 décembre 1852) 5 | cité de la musique Beethoven experience Il est vrai que le timbre homogène du quatuor à cordes n’a certainement pas compté pour rien dans les possibilités qu’offrait cette formation de pénétrer la logique interne des langages musicaux : mieux que le piano, le quatuor pouvait faire sonner le contrepoint ; mieux que l’orchestre, le quatuor pouvait trouver un « son collectif » ; mieux que les œuvres vocales, le quatuor pouvait offrir une vision épurée et abstraite du discours musical. Et ce jusqu’aux plus « formalistes » des musiciens qui trouveront, comme Igor Stravinsky, un terrain idéal pour débarrasser la musique de l’anecdotique. « Le quatuor à cordes, écrit-il, est le plus lucide support d’idées musicales jamais façonné, et le plus chantant - donc le plus humain - des moyens instrumentaux ; ou plutôt, alors qu’il n’était rien de tout cela originellement et nécessairement, Beethoven le rendit tel. Quant à ses pouvoirs intrinsèques, il s’est révélé capable d’assumer des changements harmoniques plus fréquents que l’orchestre encore imparfaitement chromatique du temps de Beethoven, entravé de surcroît par un problème de poids et un problème d’équilibre. C’est d’autre part un moyen d’expression plus intime, en partie pour les mêmes raisons ; et plus satisfaisant à long terme pour ce qui est du timbre : du moins pour moi, et cela sans doute en partie parce que j’y suis le moins conscient de l’élément timbre. Ses capacités de sostenuto sont plus grandes que celles des ensembles d’instruments à vent et ses possibilités de variation de tempo et d’intensité, au niveau le plus faible, sont plus étendues. Comparé au piano, il l’emporte par la clarté du jeu polyphonique et par une plus grande variété d’articulations dynamiques et de nuances. » (trad. revue ARC « Beethoven », 1990, p. 32). Emmanuel Hondré 6 | cité de la musique vendredi 4 juin - 20h salle des concerts Ludwig van Beethoven Quatuor n° 1, en fa majeur, op 18 n° 1 allegro con brio, adagio affettuoso ed appassionato, scherzo : allegro molto, allegro durée : 28 minutes Quatuor n° 12, en mi bémol majeur, op 127 maestoso/allegro teneramente, adagio, ma non troppo e molto cantabile, scherzando vivace, finale durée : 38 minutes entracte Quatuor n° 9, en ut majeur op 59 n° 3, « Razoumovski » introduzione : andante con moto/allegro vivace, andante con moto quasi allegretto, menuetto, allegretto molto durée : 29 minutes Quatuor Lindsay : Peter Cropper, violon Ronald Birks, violon Robin Ireland, alto Bernard Gregor-Smith, violoncelle concert enregistré par Radio France diffusion sur France Musique le 14 juin à 14h Beethoven experience Ludwig van Beethoven composition : 1799-1800 ; création : date inconnue ; édition : Quatuor n° 1 1801 ; l’œuvre est dédiée « au prince Lobkowitz ». en fa majeur op 18 n° 1 Composés entre 1798 et 1800, les six Quatuors op 18 constituent le dernier exemple de quatuors édités par série de six (pratique établie depuis le milieu du XVIIIe siècle). L’ordre de composition ne correspond pas à l’ordre d’édition puisque Beethoven a écrit les quatuors dans l’ordre suivant : n° 3, 2, 1, 5, 6 et 4. La décision de s’inscrire dans un genre musical que Mozart et Haydn avait déjà brillamment illustré semble naître de la volonté d’un mécène, celui-là même qui avait déjà commandé à Haydn les Six Quatuors op 71-74. « En 1785, rappelle Wegeler, « le comte [Anton Georg] Apponyi [1751-1817] chargea Beethoven de composer un quatuor moyennant des honoraires fixés ; il n’en avait encore fait paraître aucun. Le comte déclara qu’il ne voulait pas avoir ce quatuor pour lui tout seul six mois avant sa publication, qu’il n’exigeait pas qu’il lui fut dédié, etc. D’après de nombreux souvenirs que j’ai conservés de ce fait, Beethoven se mit deux fois à l’œuvre pour remplir cette commande ; mais il sortit du premier essai un grand trio pour instruments à cordes [op 3] et du second un quintette pour instruments à cordes [op 4]. » La dédicace rendra finalement hommage au prince Lobkowitz, bien qu’une dédicace intime semble associer ce quatuor au jeune pasteur Karl Amenda que connaissait Beethoven. Le premier mouvement (allegro con brio) prend à son compte la logique d’un allegro de sonate (exposition des thèmes, développement, réexposition) en privilégiant nettement le premier groupe thématique au détriment du second de type « mélodie accompagnée ». Beethoven expose en effet un motif initial de broderie rythmée qui servira de ferment unitaire au mouvement, un geste tendant au monothématisme sans pour autant le réaliser (comme plus tard dans la Cinquième Symphonie ou la Sonate op 31 n° 2). L’auteur avait pourtant, dans une première version, donné la priorité à ce « motif générateur » en le citant 8 | cité de la musique Beethoven experience 130 fois, alors que la version actuelle, il ne le mentionne plus que 104 fois. Pour autant, l’importance accordée à ce motif reste importante et doit se comprendre à l’échelle du quatuor entier, les mouvements suivants s’inspirant de cette même cellule. Le second mouvement (adagio affettuoso ad appassionato) applique au tempo lent le même plan de sonate, avec la particularité de combiner, dans la réexposition, les éléments de l’exposition — plutôt lyriques — aux bourrasques expressives du développement (broderies ascendantes avec sforzandi, opposition pp/f), et d’écourter la réexposition au profit d’un développement terminal. Pour composer ce mouvement, « je me suis représenté, aurait confié Beethoven à Karl Amenda, la scène du tombeau de Roméo et Juliette » : une indication qui peut éventuellement expliquer les grands élans mélodramatiques du mouvement sans pour autant servir de « programme ». Le scherzo (allegro molto) est surtout intéressant pour son jeu d’appuis déplacés et son jeu de carrures (paires pour les périodes d’exposition thématique, impaires pour les périodes de développement comme celle qui suit la barre de reprise centrale). Le Trio contraste avec la première partie par ses appels rustiques (petites notes, broderie initiale) et des carrures absolument régulières Le finale (allegro) combine la logique d’un allegro de sonate à celle d’un rondo. Beethoven redonne en effet le refrain in extenso en fin d’exposition et construit l’exposition sur un équilibre ternaire refrain-premier couplet-refrain (qui sera repris dans la réexposition). Le thème principal s’inspire de la broderie du premier mouvement et son développement insiste sur les imitations bien qu’un nouveau thème apparaisse peu après (phrasé lyrique en rythmes complémentaires). Comme dans le premier mouvement, de multiples alternances entre unissons et écriture en mélodie accompagnée ponctuent le discours en lui donnant une force dynamique très efficace. notes de programme | 9 Beethoven experience Quatuor n° 12, composition : 1823-1824 ; création : 6 mars 1825 ; édition : en mi bémol majeur, op 127 1826 ; l’œuvre est dédiée « au prince Nikolaus von Galitzin ». Violoniste passionné de quatuor — il transposait même pour quatuor à cordes les Sonates pour piano de Beethoven —, le prince Galitzine (1795-1866) a commandé en 1822 trois quatuors à Beethoven, commande que le compositeur honorera en 1824 après avoir terminé sa IXe Symphonie. Les quatre mouvements de l’Opus 127 sont apparus à beaucoup comme une gigantesque introduction au cycle des derniers quatuors (composés dans l’ordre suivant : 12, 15, 13, Grande Fugue, 14 et 16). Cette dernière période créatrice correspond pour Beethoven à celle de la complète surdité. Elle est en même temps celle d’une imagination exceptionnellement féconde qui deviendra mythique pour beaucoup d’admirateurs. Le premier mouvement du Quatuor n° 12 commence par une courte introduction lente, marquée et syncopée (maestoso), fondée sur des sauts de quartes ascendantes qui se trouveront repris dans l’allegro (premier thème) puis inversés (second thème). Le style s’est épuré depuis le Quartetto serioso : les carrures sont régulières (8 + 8 pour le premier thème ; 8 + 8 pour le second). L’introduction maestoso agit comme un signal pour le début du développement et celui de la réexposition — d’habitude, l’exposition lente n’est jamais citée dans le cours de l’allegro. Cette inclusion de l’adagio dans l’allegro — prolongée magistralement dans le premier mouvement du Quatuor n° 13 — sert d’ailleurs à court-circuiter l’articulation de la forme-sonate : associée d’abord à l’exposition puis au développement, elle signale une fausse réexposition en ut majeur en plein développement, empêchant la véritable réexposition d’avoir tout son impact dramatique en mi bémol majeur sur le premier thème. La forme-sonate devient ainsi un cadre non-dynamique, ce qui ne fait pas partie de ce cadre devenant précisément dynamique. Le thème et variations qui suit est un exemple idéal de 10 | cité de la musique Beethoven experience variations non figuratives. Amorcé par deux mesures, le thème ressemble à une ode symétrique de deux périodes divisées chacune en deux (incises suspensives jouées au violon ; incises conclusives jouées au violoncelle). La var. 1 change de manière inattendue l’harmonie et témoigne d’un foisonnement mélodique (accumulation de contrechants faisant disparaître le thème, légèrement orné, à cause de l’égalité de traitement de voix). La var. 2, ornementale, disloque le thème : les voix qui chantent le thème (fioritures aux deux violons) sont accompagnées en staccato dans un esprit de marche rapide. La var. 3 en mi majeur (ton du second degré abaissé) laisse le thème complètement dépouillé — squelette mélodique « dématérialisé, ramené à ses éléments essentiels, dépouillé de [ses] ornements », commentait Vincent D’Indy — mais constitue pourtant le point culminant du mouvement. La var. 4 ramène la bémol majeur : le thème est d’abord absent quand le violon I chante une nouvelle mélodie, mais apparaît au violoncelle presque inchangé. La var. 5 se compose d’une suite d’épisodes où des bribes du thème servent de signaux elliptiques, le tout dans la tonalité d’ut # (ré b) majeur, la sous-dominante. La var. 6 réintègre un certain sens des carrures du thème, sans toutefois le laisser apparaître, les arabesques du violon contaminant le reste des cordes. Le scherzo s’appuie sur deux éléments thématiques : le rythme pointé (appliqué à la mélodie, avec un antécédent ascendant et un conséquent descendant) et le trille (cité en accompagnement). Dans la partie centrale du scherzo, d’étonnantes interjections aux cordes graves rappellent, avant le retour du scherzo, les récitatifs instrumentaux de la Neuvième Symphonie. Le Trio prolonge l’opposition mélodie accompagnée/unisson dans un type d’expression radicalement éloigné du scherzo : legato, phrasé continu, accents rustiques des cordes graves. Le retour du scherzo surprend en réexposant le conséquent avant l’antécédent, ainsi qu’en feignant, dans une ultime notes de programme | 11 Beethoven experience coda, de reprendre le trio pour la seconde fois, juste avant de conclure in extremis. Le dernier mouvement (finale) est une forme-sonate très particulière dont le premier groupe thématique (legato en mi bémol majeur : un A1 discret et insaisissable ; un A2 plus net en « polymélodie ») et le second thème (staccato homorythmique) sont juxtaposés sans véritablement créer de dynamique. La réexposition, omettant le premier groupe, prolonge bien le travail thématique mais sans lui donner plus de force : en place de la coda, deux grandes pages crescendo filent un tissu polyphonique serré et translucide dont émergent les arabesques des parties intermédiaires. Les tonalités répondent à cette même logique : juxtaposées, elles sont utilisées comme des couleurs pour composer une mosaïque. Quatuor n° 9 en ut majeur op 59 n° 3 composition : 1807 ; création : janvier 1809 ; édition : 1808 ; l’œuvre est dédiée « au comte Razoumovski », ambassadeur de Russie à Vienne. Parmi les trois Quatuors op 59, le Quatuor n° 9 se distingue par l’originalité de son finale, ce dernier incarnant la nouvelle fonction que Beethoven voulait confier aux mouvements conclusifs. En effet, si le finale de l’Opus 59 n° 1 reste léger (dans la tradition classique), si celui de l’Opus 59 n° 2 s’équilibre un peu plus avec le « poids » de l’allegro initial, le finale de l’Opus 59 n° 3 devient le véritable point de concentration de toutes les énergies du quatuor, pressentant en cela les visées extrêmes que Beethoven pourra développer dans la Neuvième Symphonie ou dans le Quatuor n° 13 (dont le finale n’est autre que la Grande Fugue op 133). Le premier mouvement commence par une introduction lente — fait rare dans les quatuors antérieurs de Beethoven : celle-ci opère par glissements de notes visant à élargir l’ambitus en éventail et s’appuyant harmoniquement sur trois accords de septièmes diminuées dont le total des notes aboutit au 12 | cité de la musique Beethoven experience total chromatique, le tout dans une vision presque haydnienne du « chaos » précédant l’« ordre » (l’allegro suivant). Ce geste d’agrandissement de l’ambitus trouvera un écho à la fin du quatrième mouvement, dans la coda élargie elle aussi « en éventail » mais culminant cette fois-ci avec une nuance et une puissance extrêmes. L’allegro vivace est de forme sonate. Le premier groupe thématique oppose un premier thème (A1) exposé solo par le violon I (on en retiendra surtout la levée détachée et l’assise sur des piliers mélodiques ascendants et le rythme pointé) à un second thème « collectif » (A2) fondé sur le rythme dactylique. Le second groupe thématique, plus fluide (doubles croches en sol majeur), marquera finalement peu le mouvement, et encore moins le développement centré sagement sur l’extension du thème A1 (une paraphrase plus qu’un véritable développement). La réexposition reprend le premier groupe thématique en en changeant les caractéristiques essentielles : le profil mélodique a beau être reconnaissable, le thème est orné par le premier violon et accompagné par des rondes tenues aux autres cordes. La fin du mouvement propose un dernier geste répondant à l’ouverture « chaotique » de l’introduction lente : une montée chromatique stringendo, donnant cette fois-ci dans l’ordre le total chromatique. Le second mouvement (andante con moto quasi allegretto) constitue l’un des sommets de l’expressivité cantabile chez Beethoven. Le balancement ternaire (pulsé par les pizzicati du violoncelle) se double du charme des secondes augmentées pour l’exposé du premier thème. Le second groupe thématique s’oppose au premier par le jeu staccato et par la clarté d’ut majeur. La forme du reste du mouvement est assez surprenante : le développement ne s’appuie que sur le motif de transition ; la réexposition commence par le second thème ; et cette dernière comporte deux développements terminaux qui encadrent la réexposition du premier thème. Ces caractéristiques s’expliquent en partie par la lecture non dynanotes de programme | 13 Beethoven experience mique que Beethoven fait de la forme-sonate bithématique à travers laquelle il préfère voir une juxtaposition et un balancement d’Humor sans confrontation thématique. Le menuet (grazioso) constitue l’élément le plus archaïsant des quatre mouvements : régularité caricaturale des carrures, pas de modulations, Trio de peu d’intérêt (un jeu d’arpèges ascendants et descendants détachés)… Une telle simplification de l’écriture peut à juste titre apparaître comme une transition — de « demi-caractère » même — servant à donner plus de poids au finale. Ce mouvement se présente en effet comme le point culminant et la conclusion de tout le quatuor. Il s’agit d’une gigantesque forme-sonate fuguée combinée à l’esprit d’un mouvement perpétuel et appliquée à une longueur exceptionnelle de 429 mesures. Une fois encore, le premier thème fugué (entrée successives de l’alto sur la tonique, du violon II sur la dominante, du violoncelle puis du violon I sur la tonique) l’emporte nettement sur le second groupe thématique qui se caractérise seulement par des relais et des mouvements contraires. Le développement commence en mi bémol majeur pour amorcer une série de marches et de soufflets de nuance (crescendos / decrescendos). La réexposition reprend le principe de la fugue initale, avec la présentation d’un nouveau contre-sujet en valeurs longues détachées qui se transformera en accords sonores et dynamiques. Une immense coda virtuose et jubilatoire s’appuie symboliquement sur des lignes mélodiques descendantes pour mieux ensuite les transformer en lignes ascendantes. E. H. 14 | cité de la musique samedi 5 juin - 15h amphithéâtre du musée Ludwig van Beethoven Quatuor n° 3, en ré majeur, op 18 n° 3 allegro, andante con moto, allegro, presto durée : 29 minutes Quatuor n° 16, en fa majeur, op 135 allegretto, vivace, lento assai cantante e tranquillo, grave ma non troppo tratto/allegro durée : 25 minutes Quatuor Lindsay : Peter Cropper, violon Ronald Birks, violon Robin Ireland, alto Bernard Gregor-Smith, violoncelle concert enregistré par Radio France diffusion sur France Musique le 10 juin à 12h35 Beethoven experience Ludwig van Beethoven composition : 1798 ; création : date inconnue ; édition : Quatuor n° 3 1801 ; l’œuvre est dédiée « au prince Lobkowitz ». en ré majeur op 18 n° 3 Le Quatuor n° 3 est en fait le premier à avoir été composé dans la série de l’Opus 18. Le premier mouvement (allegro) repose sur un plan de sonate sans développement terminal. Il constitue l’un des exemples les plus audibles du principe de projection d’un motif générateur sur toute l’œuvre. Ce motif (une septième mineure ascendante et une seconde mineure descendante) est d’abord exposé au premier violon solo. La septième (la-sol en rondes) trouvera ensuite un écho à grande échelle dans la relation tonale entre ré majeur (premier thème) et ut majeur (second thème) ; de même que la seconde mineure descendante (sol-fa #) se projettera dans la résolution du mi bémol majeur (fin du développement terminal) vers le ré majeur (coda). Au-delà de ces rapports entre petite et grande échelle, un autre parcours mérite l’attention : celui qui transforme, au fil du mouvement, les lignes diatoniques descendantes (premier thème au violon I) ou ascendantes (premier thème au violoncelle) en lignes chromatiques ascendantes (conclusion de la première partie au violoncelle ; accents sf répartis entre le violoncelle et le violon II au milieu du développement). Le second mouvement (andante con moto) rend inclassable la forme-sonate qui lui sert de base : au lieu du développement attendu commence une fausse réexposition à laquelle s’enchaîne finalement le développement ; la réexposition ne reprend que le pont et le second groupe thématique (en omettant de réexposer le premier groupe thématique). Ce mouvement témoigne aussi d’un intérêt particulier pour les changements d’orchestration, les citations thématiques circulant entre toutes les parties. Le troisième mouvement (allegro) offre peu de surprises, même si ses effets d’orchestration (doublures, octaviations) sont ingénieuses. Le quatrième mouvement (presto) emprunte son tempo notes de programme | 16 Beethoven experience aux danses enlevées (gigue, tarentelle) sans pour autant s’appuyer sur des appuis rythmiques clairs. Le développement de cette forme-sonate fait intervenir l’écriture en fugato. Les périodes de conclusion — qui a priori servent de « pôle de stabilité » — sont par ailleurs les témoins de coups de butoir (tonalités appoggiaturées) caractéristiques de la manière beethovénienne consistant à malmener les attentes de l’auditeur. Quatuor n° 16, en fa majeur, op 135 composition : 1826 ; création : date inconnue ; édition : 1827 ; l’œuvre est dédiée « à Johann Wolfmeier ». Dans de multiples quatuors de la dernière période, Beethoven avait augmenté la présence des « récitatifs instrumentaux » censés rendre la musique éloquente sans usage de la parole — cette rhétorique abstraite se retrouve dans le grave ma non troppo tratto du Quatuor n° 16. Mais Beethoven s’est aussi essayé, à plusieurs reprises, à faire figurer des indications textuelles plus précises (comme le chant de reconnaissance d’un convalescent à la Divinité du Quatuor n° 15 ou à travers les indications comme « Mit innigster Empfindung » (avec beaucoup de sentiment) dans la même œuvre. Le Quatuor n° 16 propose encore un autre usage de la parole dans la partition : celui consistant à se servir d’indications verbales — et énigmatiques — pour « faire parler la musique » en évitant toutefois l’anecdotique (comme dans le grave ma non troppo tratto qui fait figurer en exergue « Der schwer gefasste entschluss - Muss es sein ? Es muss sein ! » (La décision difficile à prendre - Le faut-il ? Il le faut !). Pour l’auditeur, le sens de cette résolution reste fatalement abscons, même si plusieurs exégètes ont tenté d’expliquer ce dialogue par des anecdotes biographiques à la limite du rocambolesque (Beethoven forçant un certain Dembscher à délier sa bourse, ou Beethoven se demandant s’il devait vraiment écrire une musique pour de l’argent…). Il faut plutôt considérer ces répliques énigmatiques comme une volonté délibérée de sortir du circonsnotes de programme | 17 Beethoven experience tanciel et d’arriver à un niveau d’universalité qui puisse tirer le texte vers une multiplicité de sens possibles. Car c’est bien de cette manière que la parole beethovénienne peut se transformer en symbole, acquérir un certain niveau d’abstraction et se rapprocher en cela de la musique. Les autres mouvements posent moins de « problèmes » puisqu’ils ont en commun de cultiver une certaine sobriété stylistique que l’on pourrait qualifier de « consensuelle » après les recherches expérimentales des autres quatuors de la dernière période. Le premier mouvement renoue par exemple avec le plan d’un allegro de sonate, le deuxième avec le caractère conventionnel du scherzo et le troisième (lento assai) avec le principe de variation. E. H. notes de programme | 18 samedi 5 juin - 18h amphithéâtre du musée Ludwig van Beethoven Quatuor n° 2, en sol majeur, op 18 n° 2 allegro, adagio cantabile, scherzo : allegro, allegro molto quasi presto durée : 23 minutes Quatuor n° 8, en mi mineur, op 59 n° 2, « Razoumovski » allegro, molto adagio, allegretto, finale : presto durée : 35 minutes Quatuor Lindsay : Peter Cropper, violon Ronald Birks, violon Robin Ireland, alto Bernard Gregor-Smith, violoncelle concert enregistré par Radio France diffusion sur France Musique le 24 juin à 12h35 Beethoven experience Ludwig van Beethoven composition : 1799 ; création : date inconnue ; édition : Quatuor n° 2 en sol majeur 1801 ; l’œuvre est dédiée « au prince Lobkowitz ». op 18 n° 2 Considéré par Kerman comme l’un des plus proches du modèle haydnien, le Quatuor n° 2 offre au premier violon un rôle directif et virtuose qu’il n’aura plus dans la plupart des quatuors postérieurs. De forme-sonate, le premier mouvement (allegro) se caractérise par un certain morcellement thématique. Le premier thème se compose par exemple d’une cellule en gamme ornée, d’une deuxième cellule pointée et d’une troisième cellule lyrique et conclusive. Le développement se sert d’une écriture contrapuntique non fuguée — anticipant sur l’écriture en « strates superposées » de la Grande Fugue op 133. Le second mouvement (adagio cantabile) emprunte sa forme ternaire (A lent, B vif, A’ lent) à l’air vocal. Cette référence va même plus loin, puisque Beethoven s’ingénie à retrouver avec le quatuor à cordes une version instrumentale de la vocalité à fioritures inspirée du style italien. Le scherzo (allegro) se situe dans un univers proche du style de jeunesse de Beethoven. L’introduction (en rythme dactylique) se rapproche par exemple de l’introduction de la Sérénade op 25 (composée en 17951796) : le phrasé, rugueux et anguleux, se cherche sans réussir à trouver un son plein et adapté au quatuor. Le Trio en ut majeur se détourne de l’habituelle forme binaire à reprise puisque le développement, placé avant le rappel de la première section, est anticipé au profit d’un important développement terminal déplaçant le centre de gravité de cette section. Le finale (allegro molto quasi presto) est une formesonate sans développement terminal. La thématique, claire et légère, présente un intéressant jeu de relais (dans la période de conclusion) prolongé dans le développement. Après une première fausse réexposition en ut majeur, puis une seconde en la bémol majeur, la véritable réexposition culminera avec un ajout de contrechants. notes de programme | 20 Beethoven experience Quatuor n° 8 en mi mineur op 59 n° 2 composition : 1804-1806 ; création : janvier 1809 ; édition : 1808 ; l’œuvre est dédiée « au comte Razoumovski », ambassadeur de Russie à Vienne. Le Quatuor n° 8 est celui de l’Opus 59 dont les caractéristiques s’adressent le plus explicitement au comte Razoumovski (ambassadeur de Russie, et à ce titre allié de l’Autriche dans la lutte anti-napoléonienne). Le finale cite en effet un « thème russe » — en français dans l’édition originale — dont la « russitude » est attestée par la reprise qu’en fera plus tard Modeste Moussorgski dans Boris Godounov (Scène du Couronnement) et Nikolai Rimski-Korsakov dans La Fiancée du Tsar (pages 43 et 128 de l’édition Belaiev). Contrairement à l’allegro de sonate du Quatuor n° 7, le premier mouvement du Quatuor n° 8 s’appuie sur une grande stabilité tonale (quelques tonalités appoggiaturées ne remettent pas en cause cette stabilité). C’est en revanche dans le phrasé que l’on trouve une grande fluidité (contrechants, doublures, arabesques de doubles croches). Dans ce contexte, les thèmes restent difficiles à cerner tout en étant nombreux : en plus des deux groupes thématiques, il faut compterun motif de pont et un motif de conclusion. Beethoven donne l’impression d’exposer une « mosaïque » de motifs qui prendra une valeur réellement thématique au fur et à mesure du mouvement. Comme le deuxième mouvement du Quatuor n° 7, ce mouvement devient donc « progressivement thématique », révélant sa thématique plutôt que l’exposant, pour la développer ensuite. On s‘aperçoit par exemple que les deux accords initiaux ne font pas à proprement parler partie du premier groupe thématique puisqu’ils ne seront ensuite utilisés qu’à titre de « chevilles » entre les sections : le rebond initial (très haydnien) attend donc le cours du mouvement pour révéler sa fonction et témoigne d’une conception de la forme radicalement moderne. Le second mouvement (molto adagio) hésite entre la forme-sonate et celle d’un thème et variations. Le notes de programme | 21 Beethoven experience thème initial (deux périodes en valeurs longues) est à peine conclu que s’enchaînent directement la variation 1 (thème au violon II, contrechant sur rythme trochaïque au violon I) puis la variation 2 (thème en rétrograde transposé au violon II avant d’être repris en imitation à l’alto et au violoncelle). Ici s’arrête la similitude avec la forme d’un « thème et variations » puisque l’irruption d’une transition et celle d’un second groupe thématique (de couleur schubertienne) apporte l’élément de contraste essentiel au principe bithématique de la forme-sonate. D’une manière récurrente, les notes longues du premier thème réapparaîtront au fil du mouvement, en changeant toutefois les intervalles qu’elles portaient. Le scherzo (allegretto) comporte un double trio (comme dans les Quatuors n° 4 et 10). L’élégance de son style provient de la légèreté des rythmes complémentaires répartis entre la mélodie et l’accompagnement. La fugue du Trio I expose le sujet (un autre « thème russe ») à l’alto joué staccato ; le contre-sujet (violon II) consiste en une arabesque de triolets ; un second contre-sujet intervient à l’alto au moment de l’entrée du sujet au violon II. Une deuxième série d’entrées (alto, violon II, violoncelle, violon I), avec un nouveau contre-sujet en croches, précède une troisième série d’entrées contrapuntiques en canon strict. Le finale (presto) est une forme-sonate inspirée du rondo : le premier thème revient en effet très fréquemment mais — phénomène relativement rare — sa présence tend à diminuer (il est repris quatre fois au début de l’exposition, trois fois à la fin de l’exposition, deux fois à la fin de la réexposition et seulement une fois dans le développement terminal), comme s’il se « dissolvait » dans l’œuvre. Ce thème est aussi intéressant pour son incertitude tonale puisqu’il feint un ut majeur pour se conclure finalement en mi mineur. E. H. notes de programme | 22 samedi 5 juin - 20h dimanche 6 juin - 18h mardi 8 juin - 21h salle des concerts Diabelli Twyla Tharp, chorégraphie Nikolai Demidenko, piano Ludwig van Beethoven Trente-trois Variations sur un thème de valse de Diabelli, op 120 thème : vivace var. 1 : alla marcia maestoso ; var. 2 : poco allegro ; var. 3 : l’istesso tempo ; var. 4 : un poco più vivace ; var. 5 : allegro vivace ; var. 6 : allegro ma non troppo ; var. 7 : un poco più allegro ; var. 8 : poco vivace ; var. 9 : allegro pesante e risoluto ; var. 10 : presto ; var. 11 : allegretto ; var. 12 : un poco più moto ; var. 13 : vivace ; var. 14 : grave e maestoso ; var. 15 : presto scherzando ; var. 16 : allegro ; var. 17 : allegro ; var. 18 : poco moderato ; var. 19 : presto ; var. 20 : andante ; var. 21 : allegro con brio ; var. 22 : allegro molto « alla Notte e giorno faticar di Mozart » ; var. 23 : allegro assai ; var. 24 : fughetta andante ; var. 25 : allegro ; var. 26 : piacevole ; var. 27 : vivace ; var. 28 : allegro ; var. 29 : adagio ma non troppo ; var. 30 : andante sempre cantabile ; var. 31 : largo molto espressivo ; var. 32 : double fugue ; var. 33 : tempo di menuetto moderato Stacy Caddell, Gabrielle Malone, Helen Saunders, Sandra Stanton, Elizabeth Zengara, Jamie Bishton, Alexander Kølpin, Thomas Lund, Victor Quijada, Andrew Robinson, danse Geoffrey Beene, costumes commande de la cité de la musique et du Barbican Centre (Londres) production Tharp Productions, New York City remerciements à Alfred Brendel, Susan Kagan et Linda Greenberg Beethoven experience Ludwig van Beethoven Trente-trois Variations sur un thème de valse de Diabelli, op 120 Commencé en 1819 pour être terminé en 1823, le cycle des Variations Diabelli fut — avec les Bagatelles op 126 — la dernière œuvre de Beethoven consacrée au piano. Les proportions monumentales de ce cycle étaient imprévisibles puisque, quand l’éditeur Anton Diabelli proposa à plusieurs compositeurs un thème de valse à varier, Beethoven refusa tout d’abord cette idée, pour ensuite se laisser aller à griffonner quelques esquisses, puis de véritables variations. Les deux tiers de celles-ci furent esquissées dès 1819, mais l’auteur s’interrompit brutalement, en 1821, pour terminer la Missa Solemnis, ses trois dernières sonates pour piano et l’ouverture La Consécration de la maison. Il revient à son cycle de variations au cours de l’hiver 1822-1823. Les Trente-trois Variations effraient tout d’abord Diabelli, mais celui-ci perçoit vite l’importance de l’œuvre qu’il compare aux Variations Goldberg de Bach. Il se décide alors à les publier en 1823 en même temps que les variations rendues par les autres compositeurs. Dans son édition, une partie rassemble les variations de compositeurs comme Schubert, Czerny, Liszt, Hummel, Kalkbrenner, Moschelès, Mozart fils, tandis que l’autre demeure entièrement consacrée à celles de Beethoven... Ces dernières se présentent sous forme de cycle, mais ressemblent davantage à une succession de facettes contrastées dont la logique ne répond pas à l’amplification habituelle d’un thème initial. L’aspect constructif de la variation (ajouts, ornementation) laisse plutôt la priorité à la déconstruction. La première variation en est un parfait exemple puisqu’elle lamine littéralement le thème de Diabelli au lieu de l’orner ou de le paraphraser. Après le coup d’éponge jeté sur ce qui n’était en fait qu’un prétexte, la logique des enchaînements tient de l’opposition (des styles, du tempo ou des tonalités) plus que de l’unité. Les variations 2 à 10 forment une première phase où les recherches rythmiques alternent avec l’isolement de figures librement développées. Les variations 11 à 23 enchaînent ensuite des séquences lyriques (var. 11-12) à d’autres, notes de programme | 24 Beethoven experience qui morcellent le discours par une déstabilisation des harmonies du thème (var. 18). Le thème voit même son contour mélodique entrer en concurrence avec un nouveau thème, celui du premier air de Leporello dans le Don Giovanni de Mozart, cité dans la variation 22 de manière reconnaissable et franchement parodique. Les variations 24 à 28 sont, quant à elles, d’une écriture légère et virtuose, en contraste avec le dernier groupe de variations (29 à 33) qui introduit le mode mineur, le contrepoint savant (double fugue de la variation n° 32) et même un ultime hommage au classicisme de Mozart et Haydn (variation 33). Le cycle se termine en laissant l’impression d’un immense kaléidoscope d’états contrastés, mêlés quelques fois contre leur gré, et dégageant des frottements une tension typiquement beethovénienne qui s’ingénie à détourner le prévisible et à se distancer des modèles. Mais fallait-il s’en étonner alors que le titre portait déjà la mention de veränderungen, c’est-à-dire d’« altération », autant dans le sens de « note altérée » que celui de « thème altéré » ? La variation prend donc, dans ce cycle, une dimension particulière qui tend à souligner les liens qui unissent chez Beethoven l’acte de création et l’acte de destruction. Comme si créer devait forcément passer par une lutte contre un élément donné, lutte dont l’auditeur pourrait sentir toute la distance prise pour s’en éloigner et tirer de cette tension une émotion. E. H. notes de programme | 25 dimanche 6 juin - 15h amphithéâtre du musée Ludwig van Beethoven Quatuor n° 5, en la majeur, op 18 n° 5 allegro, menuetto, andante cantabile, allegro durée : 28 minutes Quatuor n° 11, en fa mineur, op 95, « Quartetto serioso » allegro con brio, allegretto ma non troppo, allegro assai vivace ma serioso, larghetto espressivo/allegretto agitato durée : 21 minutes entracte Quatuor n° 14, en ut dièse mineur, op 131 adagio ma non troppo e molto espressivo, allegro molto vivace, allegro moderato/adagio, andante ma non troppo e molto cantabile, presto, adagio quasi un poco andante, allegro durée : 40 minutes Quatuor Lindsay : Peter Cropper, violon Ronald Birks, violon Robin Ireland, alto Bernard Gregor-Smith, violoncelle concert enregistré par Radio France diffusion sur France Musique le 15 juin à 14h Beethoven experience Ludwig van Beethoven composition : 1799 ; création : date inconnue ; édition : Quatuor n° 5 1801 ; l’œuvre est dédiée « au prince Lobkowitz ». en la majeur op 18 n °5 Considéré avec le Quatuor n° 2 comme un des plus fidèles au modèle haydnien, le Quatuor n° 5 est aussi l’un des moins connus de la série de l’Opus 18. Le premier mouvement (allegro) reprend fidèlement le plan de la forme-sonate (second thème à la dominante mineure, le reste du parcours tonal étant sans surprise) et dynamise le discours par de traditionnelles oppositions de nuances ou entre unissons et en contrepoint. Le second mouvement (menuetto) cultive les signes d’allégeance à l’égard du menuet classique : carrures régulières (en 4 + 8), un bref canon en ré majeur (pour conclure après la récapitulation), jeu sur les accentuations des troisièmes temps (Trio) et usage des pédales (un mi est tenu tout au long du Trio). Le troisième mouvement (andante cantabile) emprunte au ton de la sous-dominante (ré majeur) et prend la forme d’un thème et variations. Comme dans les Variations Diabelli, le thème reste volontairement d’allure simple et symétrique pour mieux se trouver déconstruit lors de la première variation (un surprenant fugato, empilant les voix du grave vers l’aigu, fait oublier le thème, et les périodes de conclusion claudiquent sur les contretemps qui restent seuls en lice). La variation 2 reste plus conventionnelle (variation ornementale) alors que les variations suivantes développent des gestes originaux : la variation 3 réduit le thème à un squelette mélodique habillé par les batteries du violon II, d’abord isolées puis contaminées à l’ensemble des instruments d’accompagnement (un foisonnement typiquement beethovénien) ; la variation 4 change les couleurs harmoniques du thème ; la variation 5 contraste par l’irruption jubilatoire de motifs de foire (trilles du violon I calqués sur le piccolo des orchestres de rue, unissons violon II/alto, basse rebondissante du violoncelle). Le finale (allegro) retrouve la majeur ainsi que l’organotes de programme | 27 Beethoven experience nisation d’une forme-sonate. Le premier thème est amorcé par une série d’imitations (sur l’anacrouse de la tête du thème), ce qui produit l’effet d’une prolifération dynamique ajouté à l’éclatement des timbres instrumentaux. Le second thème (legato) se caractérise par deux sauts de quartes ascendantes placés sur un accompagnement chromatique. Quatuor n° 11 en fa mineur op 95, « Quartetto serioso » composition : 1810 ; création : 1814 ; édition : 1816 ; l’œuvre est dédiée « à Nikolaus Zmeskall von Domanovetz ». Contemporain de l’Ouverture d’Egmont (également en fa majeur), le Quatuor n° 11 se présente comme un quatuor d’expérimentation, comme le fruit d’une recherche intérieure — Joseph Kerman parle d’« œuvre de crise » — et comme une œuvre dont l’originalité étonnante inaugure la nouvelle rhétorique musicale des quatuors de la dernière période. Notons également que pour la première fois, ce Quatuor n’est pas dédié à un riche mécène mais à un ami personnel, Nikolaus Zmeskall von Domanovetz. Le premier mouvement (allegro con brio) présente, comme dans l’Opus 18 n° 1, une cellule thématique de broderie à l’unisson à laquelle répond une seconde cellule d’octave pointée. Le second groupe thématique (en ré bémol majeur) possède la particularité d’être « réparti » entre les parties de violon et d’alto. Les chocs tonals (provoqués par l’irruption marquée de la tonalité du second degré abaissé : ré majeur appoggiaturant ré bémol majeur) s’ajoutent aux oppositions du développement entre le motif de broderie et l’octave des deux cellules initiales. La réexposition se trouve amputée du premier groupe thématique (qui avait servi de matière au développement) et des périodes de conclusion. Particulièrement intéressant pour son incertitude tonale (le mouvement commence en ré majeur mais tend perpétuellement vers sol mineur ou ré mineur, surtout à l’occasion de l’exposé du second groupe thématique), le second mouvement (allegretto ma non 28 | cité de la musique Beethoven experience troppo) commence par une descente diatonique (dans le style d’une passacaille) à laquelle répond immédiatement une montée diatonique (celle du thème A). Le second groupe thématique contraste par le style fugué (sujet chromatique descendant présenté à l’occasion de quatre entrées). Le développement cite d’abord la basse de passacaille en lui adjoignant des retards aux parties supérieures ; la partie suivante réutilise le contrepoint du second groupe avec un nouveau contre-sujet destiné à souligner le travail sur la densification des quintes et des mouvements contraires. Dans la réexposition, l’exposé fugué du second groupe subit une nouvelle transformation : les entrées se trouvent compressées par un effet de strettes (non rigoureuses). Le scherzo (allegro assai vivace ma serioso) étonne par son début en interjections entrecoupées de silences. Comme dans le mouvement précédent, il oscille entre deux tonalités : ut mineur et fa mineur. C’est en revanche le rythme pointé qui donne à ce scherzo son unité. Le double trio est écrit en sol bémol majeur (ton du second degré abaissé de fa) ; d’essence purement harmonique, il déroule des arpèges en glissant (par note commune) vers des régions tonales très éloignées (comme ré majeur). Le finale (larghetto espressivo/allegretto agitato) va de fa mineur vers fa majeur (coda à 2/2 en stile buffa). De forme-sonate (sans période de conclusion en fin de première partie), ce mouvement marque de très nettes ruptures dans le flux du discours. Certaines sections de l’allegretto se trouvent par exemple brusquement interrompues par des interjections que l’on peut qualifier de « gestes rhétoriques ». Le Quatuor n° 11 s’impose donc comme une œuvre prophétique même si elle pose certainement autant de problèmes qu’elle n’en résout : Beethoven attendra d’ailleurs 1823 avant de se remettre à composer un quatuor à cordes. Le Quatuor n°11 annonce également différents traits stylistiques qui s’imposeront dans la dernière période : l’obsession de la fugue, les notes de programme | 29 Beethoven experience qualités de concision et de contraste, la distanciation vis-à-vis de la forme-sonate (le développement est souvent devenu très simple pour surprendre en surgissant en d’autres emplacements) et l’unification motivique à grande échelle (faire découler le tout d’un, ce qui est aussi proche de la fugue). Quatuor n° 14, composition : décembre 1825 - octobre 1826 ; création : en ut dièse mineur, op 131 date inconnue ; édition : avril 1827 ; l’œuvre est dédiée « au baron von Stutterheim ». Le Quatuor op 131 compte parmi les plus aboutis de la dernière période. Ses sept mouvements enchaînés témoignent d’une conscience aiguë de la grande forme — le Quatuor n° 13 n’en comportait que six. Le premier mouvement commence par une intense introduction fuguée et legato — dans l’esprit de ricercari anciens — : un des mouvements qui a peut-être inspiré Richard Wagner lorsqu’il écrivait qu’avec les derniers quatuors, « nous sommes ici en présence d’un lyrisme si pathétique qu’il confine au domaine d’un art dramatique idéal ». (Beethoven, p. 133) Le deuxième mouvement (allegro molto vivace) emprunte encore à la forme-sonate sans développement, avec permanence du rythme trochaïque. Le premier groupe thématique est exposé nettement, par opposition au second groupe insaisissable. En place du second thème, c’est le premier thème en mi majeur qui intervient, le second motif thématique ressemblant à un motif de conclusion de peu d‘intérêt thématique. Après un bref récitatif instrumental (avec ponctuations « orchestrales »), le quatrième mouvement présente un thème suivi de sept variations (séparées elles aussi par de fréquents récitatifs instrumentaux). Curieusement, l’exposé du thème (en relais entre les deux violons) ressemble déjà à une variation ; la var.1 continue à déployer des relais entre un instrument soliste et trois autres avant de laisser proliférer des figurations à toutes les voix (trajet de hétérophonie à l’homophonie) ; la var. 2 (piu 30 | cité de la musique Beethoven experience mosso) relance de nouveaux relais, d’abord épars (Klangfarbenmelodie) puis homophones (sur une pulsation nettement audible, voire ironique) ; la var. 3 (andante moderato e lusinghiero) assure d’autres relais par paire de voix, d’abord sur une rythme trochaïque puis sur des motifs de trilles ; la var. 4 (adagio) opère un trajet inverse : celui allant d’une polyphonie expressive vers le morcellement du phrasé ; la var. 5 (allegretto) joue sur les empilements d’accords ; la var. 6 (adagio ma non troppo e semplice) présente une mélodies d’accords (seule les doubles croches du violoncelle viennent interrompre cette unité homorythmique, pour progressivement lui donner un rebond par opposition de nuances) ; la var. 7 (allegretto) s’éclate en de multiples tempi qui permettent de résumer les variations précédentes et d’opérer une transition avec la suite. Comme dans le Quatuor n° 12, le scherzo réduit son matériau thématique au minimum (un motif pour le scherzo, un autre pour le trio repris et varié deux fois). Le sixième mouvement sert d’introduction lente au finale en reprenant le caractère recueilli de l’introduction du Quatuor (sans contrepoint, dans le style d’un choral). Le finale renoue avec le principe dynamique de la forme-sonate, avec un premier groupe thématique batailleur — A1 en unisson (arpège rythmé) ; A2 sur un rythme trochaïque (comme celui du premier mouvement) ; A3 descente diatonique lyrique — et un second groupe nettement chantant. Le développement terminal prend une importance immense (la moitié du mouvement), réussissant à donner à la forme de la sonate une modernité inouïe. « Dans la création musicale de Beethoven, écrivait Wagner, l’élément important pour l’histoire de l’art est que tout procédé technique destiné à rendre l’artiste intelligible, à le rattacher au monde extérieur par un lien de convention, apparaît en son œuvre comme un jaillissement spontané et acquiert ainsi la signification la plus haute ». (Beethoven, p. 112) E. H. notes de programme | 31 mardi 8 juin - 18h amphithéâtre du musée Ludwig van Beethoven Quatuor n° 4, en ut mineur, op 18 n° 4 allegro ma non tanto, andante scherzoso quasi allegretto, menuetto : allegretto, allegro durée : 23 minutes Quatuor n° 10, en mi bémol majeur, op 74, « Les Harpes » poco adagio/allegro, adagio ma non troppo, presto, allegretto con variazioni durée : 30 minutes entracte Quatuor n° 15, en la mineur, op 132 assai sostenuto/allegro, allegro ma non tanto, molto adagio : Heiliger Dankgesang eines Genesen an die Gottheit, in der lydischen Tonart, alla marcia assai vivace, allegro appassionato durée : 45 minutes Quatuor Lindsay : Peter Cropper, violon Ronald Birks, violon Robin Ireland, alto Bernard Gregor-Smith, violoncelle concert enregistré par Radio France diffusion sur France Musique le 17 juin à 14h Beethoven experience Ludwig van Beethoven composition : date inconnue ; création : date inconnue ; Quatuor n° 4 édition : 1801 ; l’œuvre est dédiée « au prince Lobkowitz ». en ut mineur op 18 n° 4 Ecrit en dernier dans la série de l’Opus 18, le Quatuor n° 4 est celui que Kerman critique ouvertement pour avoir cédé à une certaine facilité mélodique (Kerman s’appuie d’ailleurs sur l’absence d’esquisses préparatoires pour motiver son appréciation). Le premier mouvement (allegro ma non tanto) reprend, il est vrai sans surprises, le plan d’une forme-sonate, avec, qui plus est, des thèmes chantants (groupettos), des doublures expressives, des carrures régulières, des tonalités prévisibles (à l’exception de la majorisation du second thème dans la réexposition), un très bref développement terminal et une hiérarchie assez claire entre soliste et instruments d’accompagnement. Il reste que l’inspiration enflammée, combinée à une rhétorique discursive, a su conserver à ce mouvement un très grand succès auprès du public. Le second mouvement (scherzo/andante scherzoso quasi allegretto) pourrait être qualifié de « fuguesonate » : l’exposé du premier thème est une fugue à quatre entrées successives (violon II, alto, violon I, violoncelle) sur un sujet joué staccato et inhabituellement dansant pour une fugue ; le pont, un divertissement ; le second thème, un jeu en fugato d’esprit conclusif ; le développement, un grand divertissement s’inspirant d’abord des silences puis des marches harmoniques ; la réexposition, un retour de la fugue agrémentée d’un foisonnement de nouveaux contre-sujets… Le tout conclu par une mise en abîme ironique du style ancien que Beethoven avait appris avec Albrechtberger en 1792 puis ensuite avec Salieri. Le menuetto (allegretto) reprend la métrique ternaire habituelle pour lui donner un ton plus romantique (accents, sforzandi, lyrisme du premier thème, oppositions majeur/mineur) : une inclination prolongée dans le Trio par un jeu subtil d’espace rendu par l’effet d’écho entre le violon II et le violoncelle (sous les trémolos frémissants du violon I). notes de programme | 33 Beethoven experience Le finale (allegro) s’inspire d’un rondo à la tsigane pour en reprendre les signes les plus exotiques (rubato, opposition de caractères, jeu sur les suspensions, retour à la « dictature » du premier violon). Quatuor n° 10 en mi bémol majeur op 74, « Les Harpes » composition : octobre 1809 ; création : date inconnue ; édition : 1810 ; l’œuvre est dédiée « au prince Lobkowitz ». Le Quatuor n° 10 se présente comme un quatuor de consolidation, de synthèse et de tranquille force. Certains y ont même vu un retour à l’esprit de l’Opus 18 (la dédicace rend à nouveau hommage au prince Lobkowitz). Ce quatuor constitue également la dernière œuvre « héroïque » de Beethoven pour quatuor à cordes, le Quatuor n° 11 « serioso » s’orientant ensuite vers des mondes sonores plus intérieurs. L’introduction lente (poco adagio) du premier mouvement (allegro) s’avère moins tendue que La Malinconia op 18 n° 6 : inclinée vers les intervalles de triton mélodique, elle se conclut par une montée chromatique (violon I). L’allegro respecte la logique d’une forme-sonate bithématique. Le premier thème se constitue de deux cellules : une première en arpège détaché qui donnera son surnom au Quatuor quand cet arpège sera repris en pizzicati pour l’accompagnement ; et une seconde plus chantante insistant sur les sixtes ascendantes et descendantes. L’ensemble du premier groupe thématique baigne dans une grande clarté dont seuls émergent quelques coups de massue (frottements dus à des fausses relations entre les parties extrêmes et l’alto). L’exposition du second groupe thématique — une « thématique fluide » — oppose un premier élément en si bémol majeur (B1) et un second en ut mineur (B2). Le développement commence, en sol majeur, par citer le matériau thématique du premier groupe avant d’entamer un jeu de construction/déconstruction traité avec force crescendo/decrescendo et trémolos aux parties intermédiaires. Le développement terminal prolonge cette recherche en combinant le motif 34 | cité de la musique Beethoven experience « des harpes » donné en relais (sur des septièmes diminuées) entre les trois instruments accompagnateurs, tandis que le violon se saisit du motif d’arpège pour le dérouler en un virtuose mouvement perpétuel — une référence évidente à Bach. Ce flot continu de doubles croches laissera s’épanouir in extremis un vibrant thème (violon II et alto) inspiré de la cellule chantante du premier thème. Le mouvement lent (adagio ma non troppo) est un rondo varié en la bémol majeur (A B A’C A’’ coda), chaque reprise de A étant ornée différemment simultanément à toutes les parties (donnant ainsi l’impression d’un contrechant généralisé). Le motif des harpes est à nouveau cité legato (A’) puis en pizzicati à l’alto (A’’). Le scherzo présente de grandes similitudes avec la Cinquième Symphonie (composée entre 1805 et 1808) pour ses trois croches en anacrouses. Le trio (Piu presto quasi prestissimo) est repris deux fois — une constante chez Beethoven — et commence par un fugato amorcé par le violoncelle solo sur un contresujet en valeur longues et appuyées dans l’esprit « sérieux » du contrepoint. Enchaîné au mouvement précédent, le finale est un thème suivi de six variations. Ce thème se caractérise par les rythmes pointés, par les fréquentes interruptions du phrasé et par des mouvements contraires (utilisés surtout dans sa seconde partie). La var. 1 insiste sur les mouvements contraires appliqués aux accords de l’harmonie joués staccato. La var. 2 opère une réduction harmonique du thème (avec variation ornementale du thème à l’alto, le thème étant « pris » dans l’harmonie). La var. 3 tisse un flot de doubles croches à la tierce (violon II et violoncelle), laissant le thème tenter de percer aux deux autres instruments (piliers mélodiques du thème joués à contretemps). La var. 4 opère une nouvelle réduction harmonique (avec déplacement des piliers mélodiques). La var. 5 travaille les contretemps et la var. 6 entame une densification progressive du rythme (apparition des triolets sur pédale au notes de programme | 35 Beethoven experience violoncelle) qui aboutira à la généralisation des dactyles puis des doubles croches homophoniques. Quatuor n° 15, en la mineur, op 132 composition : 1823-1825 ; création : 9 septembre 1825 ; édition : 1827 ; l’œuvre est dédiée « au prince Nikolaus von Galitzin ». Comme dans le Quatuor n° 13, le Quatuor n° 15 vise à confronter différents styles (choral, marche, récitatif instrumental et cantabile entre le molto adagio et l’allegro appassionato) pour mieux en faire ressortir les différences, puis le tour de force qui les fait coexister. Les liens entre ces deux quatuors ne s’en tiennent d’ailleurs pas là puisque l’introduction lente du Quatuor n° 15 cite les intervalles de la Grande Fugue ; leurs allegros initiaux s’inspirent aussi de la même opposition entre tempo lent et tempo rapide. Après un scherzo développé (240 mesures), le troisième mouvement se positionne comme le climax de l’œuvre. Intitulé Heiliger Dankgesang eines Genesen an die Gottheit, in der lydischen Tonart (Chant de reconnaissance d’un convalescent à la Divinité, dans le mode lydien), il est né de la gratitude éprouvée par Beethoven après une grave maladie contractée début 1825. Le lyrisme y est à la fois sublime et intérieur, s’inspirant du style de choral pour susciter cette noble solennité. Plusieurs sections se succèdent : A (cinq phrases de choral harmonisé en mode de fa ou mode lydien) ; B (une section contrastante en ré majeur de mètre ternaire 3/8) ; A2 (un retour du style choral) ; une variation ornementale de B ; et enfin A3 (le choral en canon). E. H. 36 | cité de la musique mercredi 9 juin - 20h salle des concerts Ludwig van Beethoven Quatuor n° 6, en si bémol majeur, op 18 n° 6 allegro con brio, adagio ma non troppo, scherzo : allegro, adagio/allegretto quasi allegro/adagio/allegretto durée : 25 minutes Quatuor n° 7, en fa majeur, op 59 n° 1, « Razoumovski » allegro, allegretto vivace e sempre scherzando, adagio molto e mesto, allegro durée : 38 minutes entracte Quatuor n° 13, en si bémol majeur, op 130 adagio ma non troppo/allegro, presto, andante con moto ma non troppo, alla danza tedesca : allegro assai, cavatine : adagio molto espressivo Grande Fugue, en si bémol majeur, op 133 durée : 42 minutes Quatuor Lindsay : Peter Cropper, violon Ronald Birks, violon Robin Ireland, alto Bernard Gregor-Smith, violoncelle concert enregistré par Radio France diffusion sur France Musique le 18 juin à 14h Beethoven experience Ludwig van Beethoven composition : 1799-1800 ; création : date inconnue ; édition : Quatuor n° 6 1801 ; l’œuvre est dédiée « au prince Lobkowitz ». en si bémol majeur op 18 n° 6 Le seul de l’Opus 18 à s’échapper de l’ordonnancement traditionnel en quatre mouvements, le Quatuor n° 6 possède un épisode atypique (La Malinconia) placé entre le scherzo et le finale, et servant d’introduction lente à ce dernier mouvement. Le premier mouvement (allegro con brio) commence par cultiver les références au style classique : formesonate pulsée par des sforzandi mozartiens, deux parties reprises, développement peu ambitieux se limitant à des réponses entre les instruments et à des modulations par marches harmoniques, bref développement terminal. Le second mouvement (adagio ma non troppo) continue dans cette recherche de symétrie. Sa forme est celle d’un Lied avec développement terminal (A, B, A’, développement, coda) et la première partie (A) est constituée de quatre membres isométriques (quatre fois quatre mesures : a, a’, b, a’’). En plus de cette symétrie s’élabore un savant jeu de contrechants et d’enrichissements rythmiques (sur un rythme pointé typiquement beethovénien) dont l’aspect foisonnant se trouve compensé par l’homorythmie qui donne parfois l’impression de « chanter à quatre ». La partie B est annoncée par un unisson mystérieux (mi bémol mineur anticipé par le développement terminal) alors que la cadence du violon prépare le retour de la première partie (A’). Le scherzo (allegro) fait partie des mouvements proprement « inouïs » composés par Beethoven. Sa subtilité rythmique est telle qu’aucune pulsation ne réussit véritablement à s’installer. L’analyse de la partition révèle comment Beethoven s’y prend : sur la mesure à 3/4 traditionnelle — déjà brouillée par l’anacrouse — , le rythme de l’alto et du violoncelle font croire à un 6/8 en s’appuyant sur la levée, alors que les violons font croire à un 3/4 (également décalé sur l’anacrouse) en insistant sur le deuxième temps sf… De multiples syncopes achèvent de rendre le résultat sonore rythnotes de programme | 38 Beethoven experience miquement imperceptible. Seul le Trio, avec ses dactyles simples, permet de se fixer aisément sur un mètre, axant du coup l’opposition entre menuet et trio sur un ordre rythmique et non tonal (ces deux sections sont en si bémol majeur). La Malinconia (adagio) constitue une introduction lente au finale (les deux s’enchaînent). Elle se structure en deux sections reposant sur des carrures de quatre mesures absolument régulières et construites symétriquement : une première partie de 20 mesures culminant par une montée diatonique harmonisée en septièmes diminuées ; et une seconde de 24 mesures résolvant les tensions harmoniques par une mélodie grave et ténébreuse accompagnée par des chutes de quintes mélodiques. L’intérêt de ce mouvement est clairement harmonique, se situant presque dans la tradition des pièces expérimentales anciennes (ricercare) censées montrer en peu de lignes toute la « science » et la maîtrise d’un compositeur. Malgré cet aspect savant, Beethoven indique « Questo pezzo si deve trattare colla piu gran delicatezza » (Ce passage doit être joué avec la plus grande délicatesse) pour indiquer que les phrasés interrompus et les profils mélodiques interrogatifs et suspensifs sont néanmoins là dans un but expressif. Le finale (allegretto quasi allegro) apporte une résolution sans ambiguïté aux tensions harmoniques de La Malinconia en évoquant la simplicité populaires des danses viennoises. Voisinent ainsi, à l’échelle de deux mouvements enchaînés, le savant et le populaire : un hommage évident à Haydn. Le mouvement commence comme une forme-sonate sans développement auquel vient s’ajouter inopinément la citation de La Malinconia — qui pourrait faire office de développement —, avant de redonner une « seconde réexposition » : ce que l’on pourrait comprendre comme une forme-sonate monothématique avec une double réexposition encadrant le développement. notes de programme | 39 Beethoven experience Quatuor n° 7 en fa majeur op 59 n° 1 composition : 1806 ; création : janvier 1809 ; édition : 1808 ; l’œuvre est dédiée « au comte Razoumovski », ambassadeur de Russie à Vienne. Les années 1800-1801 ont marqué une avancée importante dans la carrière de Beethoven : grande créativité, reconnaissance du milieu musical, contrats durables avec ses éditeurs… Et dans le même temps, la prise de conscience aiguë de sa surdité (Testament d’Heiligenstadt, 1802) l’a amené à résoudre cette crise par la transcendance « héroïque » de son infirmité, voire par l’auto-mise en scène de cette transcendance — « Ne garde plus le secret de ta surdité, même dans ton art » annote-t-il dans la marge de l’un de ses quatuors dédiés à Razoumovski. La série des trois Quatuors op 59 témoigne de l’avènement de ce style « héroïque » qui s’assortit d’une quête de la « grande forme » et d’un nouvel espace musical. Chaque quatuor dure désormais près de quarantecinq minutes. Les velléités symphoniques sont aussi clairement affichées (« Quatuors-symphonies, telle serait la vraie dénomination de la triade opus 59 » commentait Marliave). L’ambitus s’agrandit enfin, atteignant des écarts vertigineux de cinq octaves (mesure 388 à la fin du premier mouvement ; mesure 21 du finale « russe »). Le Quatuor op 59 n° 1 a été composé en 1806, juste après la Troisième Symphonie et Fidelio. Plus que les trois autres, le premier mouvement (allegro) témoigne de cette tension « héroïque » entre le cadre préétabli — le classicisme servant de « prétexte » — et les volontés personnelles du compositeur. Pas moins de trois thèmes se succèdent pour la seule exposition du premier groupe thématique : le premier (A1) exposé au violoncelle (sur double pédale du violon II et de l’alto) ; le second (A2) privilégiant le paramètre rythmique ; le troisième (A3) constitué d’une arabesque déroulée sur un accord parfait joué sostenuto. En regard, le second groupe thématique reste plus léger (trilles, triolets servant aux périodes de transition, notes de programme | 40 Beethoven experience mélodie d’accords). Le développement combine ces éléments en travaillant la tête du thème A1 avec les triolets associés aux transitions, avant de faire intervenir une section fugato sur un sujet lointainement inspiré de A2. Le développement terminal conclut le mouvement par un travail sur les masses sonores apparenté à la dialectique symphonique. Le scherzo se trouve remplacé par une forme-sonate dont une des particularités consiste à masquer le début du développement. L’exposé initial des éléments thématiques n’est pas non plus franchement explicite puisque le thème complet ne sera révélé qu’à la mesure 239, comme si le thème ne devenait « thème » qu’après avoir connu l’épreuve de l’œuvre entière — une vision radicalement opposée à l’esthétique classique qui expose une cellule génératrice pour en faire naître l’œuvre. Les autres traits remarquables de ce mouvement concernent la réexposition (précédée de A2), les modulations (par notes communes, par glissements chromatiques et par enharmonie) ainsi que la période de conclusion (un fugato rempli d’ironie). Le troisième mouvement (adagio molto e mesto) allie une expressivité touchante au raffinement intellectuel d’une forme subtilement située entre forme-sonate et rondo (cf. Sonate « pathétique ») ou entre formesonate et forme Lied (le premier groupe thématique est cité in extenso en fin de réexposition). La cadence du violon I permet l’enchaînement avec le finale (allegro) dont le « thème russe » (dactyle et trochée) est d’abord exposé au violoncelle (cf. premier mouvement). Le trille (violon I) qui s’associe à ce thème constitue le second « élément barbare » qui sera exploité au cours du mouvement dans un jeu de masses (avec grands ambitus) et un jeu rythmique (rythmes complémentaires dans les périodes de conclusion). La dernière codetta fait intervenir un fugato avec un nouveau sujet (le « thème russe » devient alors contre-sujet). notes de programme | 41 Beethoven experience Quatuor n° 13 composition : 1825 ; création : 21 mars 1826 ; édition : en si bémol majeur op 130 1827 ; l’œuvre est dédiée « au prince Nikolaus von Galitzin ». Grande Fugue composition : 1824 - octobre 1825 ; création : 21 mars en si bémol majeur op 133 1826 ; édition : 1830 ; l’œuvre est dédiée « au cardinal archiduc Rodolphe ». Monumental, le Quatuor op 130 est aussi atypique : six mouvements conclus, soit par un finale modeste (allegro d’une dizaine de minutes), soit par un finale gigantesque — la Grande Fugue — qui, au même titre que le finale de l’Ode à la joie, reste unique dans l’histoire du quatuor (750 mesures pour ce seul finale…) et sera finalement édité séparément. Le Quatuor op 130 témoigne aussi de la volonté de Beethoven de concilier l’hétérogène, en faisant se succéder une cavatina issue de l’air vocal, une danza tedesca inspirée des danses populaires et cette Grande Fugue inspirée de la tradition la plus savante de l’écriture musicale. Dans le premier mouvement, pour contrer la logique interne d’une forme-sonate, Beethoven se sert de deux pôles d’écriture dont la proximité produira une énergie dynamique : un stile adagio statique et chromatique (A) ; et un stile allegro mobile et diatonique (P). Ces deux forces antinomiques sont confrontées à échelle très rapprochée au début de l’exposition (APAP), au début du développement (APAPAP) et à la fin de la coda (APAPAP). L’opposition, déjà présente dans le Quatuor n° 12 (premier mouvement), est ici structurelle et non plus introductive. Entre ces oppositions stratégiques, la logique de la forme-sonate n’est plus qu’un souvenir désincarné : le second groupe thématique, exposé en sol bémol majeur, est réexposé en ré bémol majeur et non au ton de la tonique. Les lieux traditionnels de tension — le corps du développement et la section d’attente de la réexposition (la « retransition ») — disparaissent au profit des oppositions de tempi signalées plus haut. Le Scherzo très bref reste peu innovant par la forme notes de programme | 42 Beethoven experience mais surprend par l’extrême concentration de ses gestes musicaux (un des traits de la dernière période de Beethoven) : une figure pour le Scherzo (en si bémol mineur) et une autre pour le Trio (en si bémol majeur). Seule rupture dans cette unité une peu obsessionnelle : le récitatif instrumental avant la réexposition du Scherzo. Le troisième mouvement n’est pas à proprement parler un mouvement lent mais plutôt un andante expressif (indiqué Andante con moto ma non troppo, poco scherzoso) qui se situe entre ironie et esprit fantasque (inventivité foisonnante des figures d’accompagnement, subtilité des nuances indiquées). La danza tedesca (danse allemande) épure le style pour mieux coller au populaire que ce scherzo qui ne dit pas son nom est censé décrire. Seule écart à cette volonté de faire simple : la coda qui déconstruit le thème, d’abord en allégeant l’accompagnement puis en donnant en Klangfarbenmelodie le thème en rétrograde… Qualifié par Kerman d’« air d’opéra fictif », cette cavatine (petit air) est de forme ABCA’ (passage C « beklemmt », oppressé), une forme très proche de l’air de Florestan emprisonné (Fidelio). La fugue constitue l’une des manières qu’a trouvées Beethoven pour renouveler la forme-sonate en opposant à l’esthétique du contraste, du bithématisme et de la dramaturgie des modulations, celle de l’unité d’éléments a priori hétérogènes, du monothématisme et de l’absence de dramaturgie des modulations. La fugue représente aussi un des éléments essentiels à la symbolique beethovénienne : la conjonction des contraires (les différentes voix) pour former un ensemble cohérent (reflet de son humanisme). La Grande Fugue se place enfin comme le « finale de tous les finales » à cause de l’aspect extrême de sa forme. Les réactions à cette musique ont été très diverses, et ce jusqu’à nos jours. Anton Schindler, contemporain de Beethoven, la percevra comme un héritage notes de programme | 43 Beethoven experience des fugues savantes de Bach - « Cet… Anachronismus… appartient en vérité à des temps reculés où l’art de combiner les sons était encore fondé sur le calcul mathématique » (Anton Schindler, Biographie von Ludwig von Beethoven, 1860, vol. II, p. 115) -, jugement prolongé par Warren Kirkendale en 1963 lorsqu’il comparera la Grande fugue op 133 à « L’Art de la fugue de Beethoven » (Acta Musicologica, 1963). Ce deux appréciations méritent d’être discutées puisque l’analyse de la fugue beethovénienne ne révèle pas un goût aussi prononcé que les musiciens baroques pour la combinatoire (strettes, renversements, rétrogrades, doubles fugues…). Beethoven préfère retenir de la fugue un « geste de fugue » et un « effet de fugue » qu’il dramatise à un point qu’aucun autre compositeur n’avait atteint avant lui. Le rôle même du sujet de la fugue se situe entre celui d’un sujet générateur (en rapport avec le principe « déducteur » d’une fugue) et celui d’un thème de sonate (en rapport avec la dramaturgie « abstraite » d’une forme-sonate). De plus, ce thème-sujet n’est pas utilisé au sens strict. Il est affiché dès son exposition comme un profil général devant permettre plusieurs exploitations possibles, à la manière d’un patron mélodique qui unifierait le tout. L’intérêt ne se situe donc pas dans la rigueur de la fugue, mais dans le parcours que peut subir ce thème-sujet, dans le cadre d’une vaste transformation thématique. C’est ce que soulignait avec justesse Igor Stravinsky en écrivant que « cette musique exemplifie un changement crucial : le passage du procédé contrapuntique aux transformations thématiques » (Igor Stravinsky, revue ARC « Beethoven », 1990, p. 36) ; ou encore Philipp Racliff en écrivant que « l’œuvre acquiert sa véritable signification lorsqu’on la considère non comme une fugue d’une grande excentricité, mais comme une sorte de poème symphonique comportant plusieurs épisodes contrastés mais apparentés du point de vue thématique et une certaine part d’écriture fuguée » (Beethoven’s String Quartets, 1965, p. 132). notes de programme | 44 Beethoven experience Le travail thématique que développe Beethoven dans la Grande Fugue suit deux directions. La première exploite des ressources d’ordre contrapuntique (variation des contre-sujets, renversables, strette, pédales) ; la seconde des ressources d’ordre thématique (augmentation, diminution, inversion, syncopes, dissociation entre les paramètres rythmique et mélodique). C’est cette seconde orientation qui retient le plus l’attention du compositeur, en lui permettant de s’abstraire de toute contingence « savante » et de privilégier une rhétorique de la véhémence. Pierre Boulez montrait en effet comment la force du contraste remplaçait, dans cette fugue, celle de la rigueur. « Chez Beethoven en particulier, la rencontre ne va pas sans heurts, sans chocs violents : car les relations harmoniques ne s’accomodent pas toujours des intervalles employés contrapuntiquement ; cette musique « rigoureuse » — expression la plus pure d’un style, d’une écriture — devient aussi musique éminemment « dramatique ». (...) Ce qui précisément donne aux fugues de Beethoven leur caractère exceptionnel, ce qui fait d’elles des créations uniques et inégalées, c’est cette confrontation périlleuse entre des rigueurs d’ordre différent qui ne peuvent qu’entrer en conflit ; aux frontières du possible, elles témoignent de l’hiatus qui va s’accentuant entre des formes qui restent le symbole du style rigoureux et une pensée harmonique qui s’émancipe avec une virulence accrue. Quand le drame de cet hiatus est ressenti de façon aussi aiguë qu’il l’a été par Beethoven, alors cela donne la fugue de l’op 106, la Grande Fugue pour archets entre autres. » (Pierre Boulez, Relevés d’apprenti, Paris, Seuil, 1966). E. H. notes de programme | 45 Beethoven experience biographies Quatuor Lindsay Le Quatuor Lindsay est désormais fermement établi sur la scène internationale comme l’un des tout premiers quatuors à cordes. Ses interprétations prennent racine dans la grande tradition européenne des quatuors à cordes tels que les Busch ou les Végh. Ils ont d’ailleurs étudié durant leur jeunesse avec Sandor Végh et Sidney Griller. Le Quatuor Lindsay a été fondé en 1967 à la Royal Academy of Music. Il emprunte son nom à Lord Lindsay, vice-chancelier et fondateur de l’Université de Keele à Sheffield où le Quatuor a eu sa première résidence. Après 6 ans passés à l’Université de Sheffield, le Quatuor Lindsay devient quatuor en résidence à l’Université de Manchester où il donne des séries de concerts chaque saison, dirige des séminaires, enseigne à des ensembles de musique de chambre. Le Quatuor Lindsay enregistre pour ASV. Il a gravé l’intégrale des Quatuors à cordes de Beethoven et de Bartók. En 1984, le Quatuor reçoit le Gramophone Chamber Award pour l'enregistrement des derniers Quatuors de Beethoven. Le Quatuor Lindsay entretient une relation privilégiée avec la musique de Sir Michael Tippett dont il a enregistré les quatre premiers quatuors. Le Quatuor a aussi établi d’étroites collaborations avec d’autres grands compositeurs anglais comme Alexander Goehr et Peter Maxwell Davies. En France, le Quatuor Lindsay s’est produit dans de nombreux festivals : La Grange de Meslay, Pontivy, Nohant, Prades... mais aussi dans les grandes salles parisiennes : Radio France, Théâtre du Rond-Point, Salle Gaveau, Théâtre des Champs-Elysées. Il a participé à la Folle Journée Beethoven à Nantes en février 1996 et a été aussitôt réinvité pour la Folle Journée Schubert en 1997, puis pour la Folle Journée Brahms en 1999. Le Quatuor Lindsay donne régulièrement des concerts en Europe et au USA. Il a créé, à Sheffield en 1994, un festival de musique de chambre devenu un événement important dans la vie musicale britannique. Les concerts de ce festival sont souvent doublés dans plusieurs villes de GrandeBretagne, et notamment au Wigmore Hall de Londres. Les artistes se rendent régulièrement au Japon (novembre 1994, septembre 1996, décembre 1998). Le Quatuor Lindsay joue des instruments exceptionnels : Peter Cropper, un Stradivarius de la période d’or ; Robin Ireland, un alto Mori Costa de 1810 environ ; Ronald Birks et Bernard Gregor-Smith ont la chance que leur soit prêtés un Stradivarius Campo Selice de 1694 et un violoncelle Ruggieri de la même période. Twyla Tharp Depuis qu’elle a fondé sa première compagnie en 1965, Twyla Tharp, danseuse et chorégraphe, a signé un nombre important de créations qui se sont révélées déterminantes pour l’affirmation de la modern dance. Sa première création Tank Dive, The Fugue, Eight Jelly Rolls (sur la musique de Jelly notes de programme | 46 Beethoven experience Roll Morton), The Big Pieces (sur la musique de l’Orchestre de Paul Whiteman et Thelonious Monk) comptent parmi ses œuvres les plus influentes et les plus connues aujourd’hui. Twyla Tharp a également porté la modern dance sur les scènes de Broadway, en 1981 avec The Catherine Wheel en collaboration avec David Byrne, et en 1985 avec la représentation de Singin’in the Rain. Au cinéma, elle a collaboré avec le réalisateur Milos Forman pour les films Hair (1978), Ragtime (1980) et Amadeus (1984) ; avec Taylor Hackford pour White Nights et avec James Brooks pour I’ll Do Anything (1994). En 1988, Mikhail Baryshnikov, à l’époque directeur artistique de l’American Ballet Theater, lui propose d’être son adjointe. En 1991, Twyla Tharp est invitée à être artiste résidente au Wexner Center à l’Université de l’Ohio. Pendant cette année, elle crée quatre nouvelles pièces (The Men’s Piece, Grand Pas : Rhythm of the Saints, Octet et Sextet) qui seront présentées en 1992 au City Center de New York. Elle chorégraphie cette même année Cutting Up avec sa compagnie et Mikhail Baryshnikov. Dans les années qui suivent, Twyla Tharp crée des œuvres pour les danseurs de l’Opéra de Paris, de l’American Ballet Theater, du New York City Ballet et pour sa propre compagnie. Chorégraphe prolifique, elle produit les pièces Demeter & Persephone avec la Compagnie Martha Graham (1993), Waterbaby Bagatelles avec le Boston Ballet (1994) et New Works avec sa compagnie (1994). En 1995, Twyla Tharp poursuit ses relations avec l’American Ballet Theater, présentant trois nouvelles créations : Americans We, How Near Heaven et Jump Street sur une partition commandée pour l’occasion et interprétée en direct par Wynton Marsalis et son ensemble. Elle présente également I Remember Clifford pour le Hubbard Street Dance Chicago. Avant de commencer à travailler à THARP !, elle crée pendant l’hiver 19951996 les nouvelles pièces Mr Worldy Wise, un ballet en trois actes pour le Royal Ballet de Londres et The Elements pour l’American Ballet Theater. Twyla Tharp a également publié son autobiographie Push comes to Shove en 1992, année qui a vu la Fondation John. D et Catherine T. Mac Arthur lui apporter son soutien financier. Nikolai Demidenko a fait ses études au Conservatoire de Moscou auprès de Dimitri Bashkirov. Médaillé du concours international de Montréal en 1976 et du concours Tchaïkovski en 1978, il fait ses débuts en Angleterre avec l’Orchestre symphonique de la Radio de Moscou et Fedoseyev. Depuis 1990, il réside en Grande-Bretagne et enseigne à la Menuhin School. Très connu en Angleterre, Nikolai Demidenko s’est produit dans la plupart des grandes salles : au Barbican Centre dans le cadre du Festival Schumann & Friends, au Symphony Hall dans le cycle Tchaïkovski, à Birmingham avec l’Orchestre philharmonique de Saint-Petersbourg et Yuri Temirkanov, au Royal notes de programme | 47 Beethoven experience Festival Hall avec le Philharmonia et Heinrich Schiff, au festival de Cardiff avec le Bolchoï et Alexandre Lazarev, etc. Au Wigmore Hall de Londres, entre janvier et juin 1993, Nikolai Demidenko a donné une série de six récitals « piano master-works » apportant ainsi sa vision personnelle sur 250 années de littérature pour piano. Un double CD Nikolai Demidenko live at Wigmore Hall est sorti en décembre 1993 chez Hypérion. Au printemps 1997, il a de nouveau donné une série de trois récitals au Wigmore Hall (Romantic Voyage). En février 1999, c’est au Barbican Centre qu’il se produira pour le Celebrity Recital Series. A l’étranger, il s’est également produit avec de très grands orchestres : le BBC Philharmonic, le London philharmonic Orchestra, Israel Philharmonic (avec Yaov Talmi), le Berliner Symphoniker (avec Gaetano Delogu), l’Indianapolis symphony Orchestra (avec Raymond Leppard). Il a donné des récitals au Concertgebouw d’Amsterdam, à Rotterdam, Milan, Tel Aviv, Istanbul, Prague, Varsovie... En France, il a joué à Paris (Auditorium des Halles et Radio France), Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Lorient et dans le cadre des festivals de la Roque d’Anthéron, Orangerie de Bagatelle, Fêtes Romantiques de Nohant, Festival Chopin à Paris... En octobre 1997, il a interprété le 2e Concerto de Rachmaninov à Strasbourg, avec la Philharmonie de SaintPetersbourg. Stacy Caddell est née à Norfolk (Virginie) où elle a commencé à danser à l’âge de cinq ans. A douze ans, elle a reçu les enseignements de plusieurs écoles comme Joffrey et American Ballet Theater School. A l’âge de seize ans, elle a eu l’honneur de pouvoir suivre les cours du Ballet américain, où elle a été régulièrement choisie pour danser des rôles principaux lors des ateliers annuels. Un an plus tard, elle a figuré parmi les danseurs invités par George Balanchine à rejoindre le Ballet de New York. Elle a dansé de nombreux rôles principaux (A Midsummer Night’s Dream, Divertimento n° 15, Symphony in C, The Tin Soldier, et Tarantella). Elle s’est produite plusieurs fois dans les séries PBS Great performances. Stacy a quitté le Ballet de New York pour rejoindre la compagnie Twyla Tharp. Elle a tourné avec Twyla Tharp et Mikail Baryshnikov dans Cutting Up. Elle a participé à la création instrumentale de Red, White and Blues de Twyla Tharp dont le ballet correspondant et intitulé The Exquisite Corpse la met en scène. Stacy a réalisé un film télévisé de In The Upper Room et apparaît dans les films I’ll Do Anything et Central Park. Elle s’est produite avec des danseurs étoiles du Ballet américain, du Ballet international de Copenhague, et est un des membres fondateurs des compagnies Bonsai Dance Group, Maximum Dance Company et O’Day Dancers. Stacy travaille régulièrement avec Twyla Tharp. Gabrielle Malone est née à Naples et réside à New York. Elle étudie la danse classique, le jazz et les claquettes depuis l’âge notes de programme | 48 Beethoven experience de quatre ans à la New World School of the Arts (Miami) et s’est produite en Floride au théâtre de Dale Andree, au Mary Street Dance Theater, avec les Gerri Houlithan Dancers, la Dance Wave de Gary Lund, et après son arrivée à New York, avec Twyla Tharp (Tharp !, The 100’s). Helen Saunders Née au Pays de Galles, elle commence ses études de danse au Royal Ballet School en 1979. Elle s’est produite avec le Royal Ballet de 1986 à 1989, puis a rejoint le Ballet royal danois avec lequel elle a dansé jusqu’en 1995. Helen a créé des chorégraphies pour des ateliers avec le Ballet royal danois, l’ensemble Micado Dance de Copenhague, et Dansescenen également à Copenhague. Elle est membre du Nouveau Théâtre de Danse danois et enseigne la danse à Copenhague. Sandra Stanton est née à Verona, New York et a commencé à danser à l’âge de cinq ans. Elle a rejoint la compagnie de danse Mohawk Valley Performing Arts Regional et a passé ses étés avec le Ballet de Chicago, le Ballet du Bolshoi à Vail, dans le Colorado et le Chautauqua. Elle a brièvement assisté aux NCSA puis a continué à la Juilliard School pour recevoir son BFAen 1996. Depuis lors, Sandra a dansé avec Twyla Tharp comme membre privilégié de la compagnie. Récemment, elle a travaillé avec les La La La Human Steps et dansé le premier rôle de Salt d’Edward Lock à Ottawa au Canada. Elizabeth Zengara a commencé ses études de danse dans sa ville natale à Wilmington (Delaware) à l’âge de quatre ans. Elle a ensuite étudié à Tempe (Arizona) et a dansé avec le Mesa Civic Ballet. A seize ans, Elizabeth a suivi la formation des écoles Jacob’s Pillow, Dance Aspen et du Ballet Marin au cours de leurs programmes d’été. Par la suite, elle a suivi un enseignement complet à la Milwaukee Ballet School et a rejoint la compagnie un an plus tard. Depuis lors, Elizabeth a dansé avec le Feld Ballet à New York et danse fréquemment avec le Ballet Met à Colombus (Ohio), avec lequel elle a dansé des rôles principaux allant du classique au contemporain, incluant les œuvres de James Kudelka, Peter Pucci, David Nixon, Choo San Goh, Ben Stevenson... Elle a dansé dans le Lac des Cygnes, Coppélia, La Belle au bois dormant, Giselle, et Casse-Noisette. Actuellement, Elizabeth travaille sur son premier projet avec Twyla Tharp. Jamie Bishton s’est produit comme danseur avec Twyla Tharp de 1985 à 1994. Parallèlement, entre 1988 et 1990, il a dansé avec l’American Ballet Theater. Il a travaillé avec Twyla Tharp sur plusieurs projets indépendants incluant des productions pour le cinéma et la télévision. Sa plus récente association avec elle a été d’être le directeur des danseurs de sa dernière compagnie. Jamie Bishton est un membre privilégié du Mikhail Baryshnikov’s White Oak Dance Project. Il se produit avec cette compagnie jusqu’à présent. Jamie a reçu notes de programme | 49 Beethoven experience en 1995 un Award du New York Dance and Performance « Bessie » pour Outstanding Creative Achievement. Alexander Kølpin Natif de Copenhague, Alexander Koelpin a commencé l’étude de la danse au Ballet royal danois à l’âge de 13 ans. Devenu membre du corps de ballet en 1983, puis danseur étoile en 1986, il a remporté la même année le August Bournonville Honour Award au Concours International du Ballet Jackson. Il a effectué une tournée avec Nina Ananiashvili et les International Stars, a été invité par le Ballet australien et a dansé en solo avec le Ballet Béjart de Lausanne. Alexander Koelpin a dansé les œuvres de la plupart des chorégraphes du XXe siècle (Ailey, Balanchine, Kylian, Cranko, Tharp). Parallèlement à sa carrière de danseur, il s’est produit sur scène, au cinéma et à la télévision. Thomas Lund a été admis à l’Ecole du Ballet royal danois en 1986, est devenu stagiaire du Ballet royal danois en 1991, membre du corps de Ballet en 1993 et danseur étoile en 1996. Il a pris part à un grand nombre de spectacles comme Napoli de Bournonville, Le Songe d’une nuit d’été de Joy Neumeier, La Sylphide, Gaité parisienne de Béjart, Roméo et Juliette de Ashton, Caroline Mathilde de Flemming Flindt, Cendrillon, Zakouski de Peter Martin... Il a été par ailleurs invité à travers le monde (Tokyo, Londres, Riga, et Paris) pour différents spectacles, et en particulier à Hiroshima où il a dansé La Sylphide. En 1999, il a fait ses débuts comme chorégraphe au Théâtre royal danois avec Relations. Victor Quijada né à Los Angeles (Californie), il est diplômé de la Los Angeles High School for the Arts. Il a étudié et a travaillé avec l’Ensemble Performance de Rudy Perez de 1994 à 1996, période durant laquelle il s’est également produit en tant qu’invité avec Elizabeth Streb (Ringside), le Ballet San Joaquim, le Ballet classique de Los Angeles. Depuis 1996, Victor a travaillé avec Twyla Tharp comme membre fondateur de sa compagnie « Tharp ! ». Andrew Robinson est né à Enfield (Londres). Il a étudié à l’Ecole de Danse Contemporaine de Londres et a travaillé avec Viola Farber, Robert Cohan, Dan Wagoner et Nancy Duncan. Il s’est également produit avec la compagnie de danse Richard Alston, Aletta Collins et depuis 1996 avec Twyla Tharp (Tharp !, The 100’s, et The Diabelli). technique régie générale Christophe Gualde Didier Belkacem Olivier Fioravanti régie plateau Jean-Marc Letang régie lumières Marc Gomez notes de programme | 50