L`évolution constitutionnelle de l`Égypte

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L`évolution constitutionnelle de l`Égypte
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Études Géopolitiques 12
L’évolution
constitutionnelle
de l’Égypte
Avec le texte de la Constitution de 2014
Sous la direction de
Jean-Yves de Cara
Charles Saint-Prot
Collection Études géopolitiques
dirigée par Charles Saint-Prot et Zeina el Tibi
N°1 Le Liban, Regards vers L’avenir
N°2 Le Yémen
N°3 L’Arabie saoudite, à l’épreuve des temps modernes
N°4 L’eau, nouvel enjeu géopolitique
N°5 Djibouti : la géopolitique de la corne de l’Afrique
N°6 Géopolitique du Soudan
N°7 La politique arabe de la France
N°8 L’Arabie saoudite face au terrorisme
N°9 Quelle union pour quelle Méditerranée ?
N°10 L’enjeu du dialogue des civilisations
N°11 La finance islamique et la crise de l’économie contemporaine
N°12 L’évolution constitutionnelle de l’Egypte
Remerciements
Nous remercions chaleureusement Madame le Professeur Amal el Sabban,
conseiller culturel de l’ambassade d’Egypte en France, pour l’aide qu’elle a
apportée à cette publication, notamment en organisant, le 7 décembre 2013,
une rencontre avec le politologue Amr el Choubaky membre du Comité des
50 pour la rédaction du projet de la nouvelle Constitution d’Egypte, M. Ehab
Farahat, Vice-président du Conseil d’État égyptien et l’universitaire Wagdi
Sabete.
Jean-Yves de Cara
Charles Saint-Prot
Collection Études géopolitiques
Collection dirigée
par Charles Saint-Prot
et Zeina el Tibi
Études géopolitiques est une collection
publiée par l’Observatoire d’études
géopolitiques (OEG) et les éditions Karthala.
L’Observatoire d’études géopolitiques (OEG)
est un centre de recherche qui a pour objet
de contribuer à la promotion
et au rayonnement de la recherche
scientifique dans les différents
domaines de la géopolitique.
L’OEG a son siège à Paris,
un bureau pour le Proche-Orient à Beyrouth
et des correspondants
dans de nombreux pays.
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Conseil scientifique de l’OEG
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Professeur à l’université Mohammed V de Rabat et à l’ENA du Maroc
Professeur Christophe Boutin
Professeur à l’Université de Caen
Professeur Jean-Yves de Cara
Professeur à l’université Paris Descartes
Doyen Michel de Guillenchmidt
Avocat, professeur à l’université Paris Descartes
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Docteur en science politique (HDR), chercheur et consultant
spécialiste de l’information et de la stratégie
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Dr Charles Saint-Prot,
Directeur de l’OEG
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Essayiste, présidente déléguée de l’OEG
Professeur Henri Védie
Économiste, Groupe HEC
Charles Saint-Prot
Jean-Yves de Cara
Avant-propos
La révolution du 25 janvier 2011, suivie de la
chute du président Hosni Moubarak, avait ouvert
une période d’intense agitation. La gestion de
l’après-Moubarak fut délicate et marquée par une
certaine improvisation. Sur le plan institutionnel, il
est constant que l’ordre chronologique adopté était
surprenant dans la mesure où l’on commença par
élire une assemblée lors des élections législatives (en
trois parties) du 28 novembre 2011 au 10 janvier
2012, puis un président qui fut investi le 30 juin
2012, sans savoir quels seraient exactement leur
rôle et leurs attributions puisque l’adoption de la
nouvelle Constitution intervint en fin de parcours
avec le référendum des 15 et 22 décembre.
Dans ces conditions, l’adoption référendaire
avait suscité un fort scepticisme et les ambiguïtés
du texte nourrirent des inquiétudes renforcées par
les maladresses répétées du président Mohammed
Morsi et du gouvernement dominé par les Frères
musulmans. L’agitation reprit avec force à partir
du 30 juin 2013, à la faveur de manifestations
massives contre le pouvoir en place qui avait
réuni contre lui tous les mécontentements.
Devant le risque de chaos généralisé et de guerre
civile, l’armée, dirigée par le général Abdelfatah
el Sissi, président du conseil suprême des forces
armées, et forte de l’appui d’une grande partie du
peuple, destitua le président Morsi. Un Comité de
cinquante personnes représentant les forces vives
du pays fut chargé d’amender la Constitution et
de soumettre un projet qui serait présenté pour
ratification au peuple d’Égypte. Les travaux ayant
9
abouti le 1er décembre 2013, il a été décidé d’organiser le référendum constitutionnel
les 14 et 15 janvier 2014.
Tel qu’il est, le texte soumis au référendum de 2014, représente une avancée
significative au regard des « standards » contemporains. Comme le note Mourad
Hicham, rédacteur en chef d’Al Ahram hebdo, il « assure notamment une meilleure
protection des libertés fondamentales et des droits de l’homme et des minorités et
accorde une attention particulière aux droits socio-économiques ». Sur le plan socioéconomique, le texte rompt avec une pratique ultralibérale pour traduire nettement
l’ambition de concilier le développement économique au progrès social et réduire
les inégalités les plus criantes. La rédaction du Comité constituant représente le
premier pas sur la voie de la reconstruction du régime politique, économique
et social de l’Égypte. Le texte constitutionnel tend à instaurer « un État civil et
moderne basé sur les principes de la citoyenneté et l’égalité entre les citoyens sans
aucune discrimination confessionnelle, raciale ou sexiste. Il instaure un État qui
respecte les libertés et les droits de l’homme afin de fonder un régime politique
démocratique caractérisé par la séparation et l’équilibre des pouvoirs. Il instaure
un système pour les salaires, les impôts, la santé, l’enseignement et la recherche
scientifique : un système qui assurera le développement et qui garantira les droits du
peuple à un accès aux soins médicaux et éducatifs de manière juste et équitable ».2
Par surcroît, après une trop longue période de tumultes depuis 2011, le nouveau
texte est un bon exemple de recherche d’un consensus tenant compte de la
spécificité du pays et de la diversité des opinions, tout en faisant progresser l’État de
droit. C’est le primat de l’efficacité qui est mis en avant, avec l’objectif prioritaire
de restaurer l’autorité et la légitimité de l’État, ce qui est le préalable indispensable
pour. retrouver une stabilité dont l’Égypte a besoin pour se remettre au travail et
relever les défis économiques et sociaux qui inquiètent le peuple égyptien.
Cet ouvrage rédigé par des experts réunis par l’Observatoire d’études géopolitiques
et le Centre Maurice Hauriou de la Faculté de droit de l’Université Paris Descartes
(Axe « géopolitique du Monde arabe »), constitue la première analyse d’envergure
du nouveau texte constitutionnel et de l’évolution constitutionnelle de l’Égypte.
Jean-Yves de Cara
Charles Saint-Prot
1
Al Ahram hebdo, n° 1030, 11 décembre 2013.
2
Ahmed A. Al-Naggar, « Droits socio-économiques dans la Constitution, une avancée »,
Al Ahram hebdo, n° 1030, 11 décembre 2013.
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Charles Saint-Prot
L’évolution constitutionnelle de
l’Égypte depuis 1805
L’évolution constitutionnelle en
Égypte suit naturellement les aléas politiques
de ce pays qui, après une longue occupation
ottomane depuis 1517, a retrouvé sa place dans
le concert des nations au XIXe siècle. Cette
évolution doit autant aux conceptions de
philosophie politique de l’État qu’au caractère
naturellement fluctuant des conditions
politiques, sociales, économiques ou morales
du pays et au contexte international. Si,
comme partout, l’adoption d’une rédaction a
pour objet de légitimer un nouveau régime,
il est remarquable qu’une analyse du contenu
des textes « amène cependant à tempérer
cette impression d’instabilité et à mettre en
évidence des continuités »1. Vieille nation
s’inscrivant dans la continuité historique, avec
un peuple d’une assez grande homogénéité,
l’Égypte avance à son pas en cherchant à
s’adapter aux circonstances. De la monarchie
constitutionnelle aux révolutions de 2011
et 2013, en passant par l’époque nassérienne
1
Nathalie Bernard-Maugiron, « 
Les constitutions
égyptiennes (1923-2000) : Ruptures et continuités »,
Égypte/Monde arabe, Deuxième série, 4-54, 2001. URL :
http://ema.revues.org/868
11
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
et post-nassérienne, son histoire constitutionnelle est donc caractérisée
moins par des ruptures tranchées que par des compromis dont le texte
soumis au référendum de janvier de 2014 est un bon exemple.
La monarchie constitutionnelle
Le réveil de l’Égypte moderne fut d’abord provoqué par l’expédition
de Bonaparte puis par le régime de Mohammed Ali (1805-1849), viceroi d’Égypte dans le cadre d’une monarchie héréditaire. En 1805, avec
Mohammed Ali, le pays retrouva un État national souverain malgré un
lien de plus en plus théorique avec l’empire Ottoman. Ce redressement
politique s’accompagna d’un renouveau intellectuel et moral illustré par le
mouvement de renaissance de la Nahda1 dont la figure la plus illustre fut le
cheikh réformiste Rifa’a Rafi el Tahtâoui.
Mohammed Ali est le premier d’une série de militaires (Ourabi,
Nasser, Sadate, Moubarak, Sissi) qui ont joué un rôle essentiel dans la
vie publique, faisant de l’armée l’un des piliers du système, un facteur
essentiel d’unité et de stabilité, ce qui permet de comprendre les raisons
qui ont conduit à lui maintenir de larges prérogatives particulières dans la
rédaction de la Constitution de 2014. Après tout, n’est-ce pas une armée
forte, capable de jouer son rôle d’arbitre en cas de force majeure, qui
manque à la Tunisie prise dans un dangereux tourbillon depuis la chute du
président Ben Ali ?
À la fin du règne de Mohammed Ali, le régime évolua assez
rapidement vers une forme de monarchie constitutionnelle. Dès 1866,
le petit-fils de Mohammed Ali, Ismaïl, auquel les Ottomans allaient
reconnaître le titre de khédive (« seigneur »), une fonction adaptée pour la
seule Égypte et manifestant bien la particularité de la relation de ce pays
avec la Porte, avait adopté une loi organique (lâ’iha asâsiyya) mettant en
place une assemblée représentative (Majlis al Chourâ), dont les membres
élus avaient pour mission de « délibérer sur les intérêts intérieurs du pays ;
elle aura également à se prononcer sur les projets que le gouvernement
croira relever de ses attributions, et au sujet desquels elle donnera son
opinion qui sera soumise à l’approbation de Son Altesse le vice-Roi ».
1
V. notre ouvrage Le mouvement national arabe, Paris, Ellipses, 2013
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L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
À la suite de la nomination, le 4 février 1882, du ministère du
général Ahmed Ourabi qui anime la révolte nationale contre l’influence
grandissante de la Grande-Bretagne dans les affaires du pays, une loi
organique fut votée le 7 février. Cette loi renforçait les prérogatives de
la Chambre devant laquelle les ministres étaient responsables. Mais,
soucieuse de briser le gouvernement nationaliste d’Ourabi, la GrandeBretagne fit débarquer ses troupes et occupa le pays qui allait devenir
un protectorat britannique le 18 décembre 1914. Malgré son échec, la
révolte d’Ourabi avait permis d’insuffler un esprit nouveau, une sorte de
patriotisme et de désir de progrès. La nécessaire réforme intellectuelle et
morale fut particulièrement mise à l’ordre du jour par un universitaire
religieux, qui avait d’ailleurs soutenu Ourabi. Le cheikh Mohammed
Abdou, cofondateur avec al Afghani du mouvement réformiste (Islah1) de
l’Islam, entreprit de réformer, de réactiver l’effort d’adaptation (ijtihâd) ;
de dépoussiérer l’enseignement et de redonner à l’institution d’Al Azhar
tout son prestige et son dynamisme au service de l’Islam du juste milieu.
Devenu Moufti d’Égypte, de 1899 à sa mort en 1905, le cheikh Mohamed
Abdou eut pour objectif de faire d’al Azhar l’un des moteurs du renouveau
égyptien qui devait concilier l’authenticité et la modernité.
Durant le début des années 1900, Moustapha Kamel (m. 1908)
et Mohammed Farid (m.1919) avaient conduit le parti nationaliste
égyptien dans la lutte contre l’occupation britannique, jetant les bases de
la grande insurrection nationale de 1919 à la suite de l’arrestation et de la
déportation du chef nationaliste Saad Zaghloul. Cette révolte conduisit
à la fin du protectorat britannique sur l’Égypte, le 28 février 1922.
Le 19 avril suivant, le roi Fouad signa le rescrit royal n° 42 établissant le
régime constitutionnel de l’État égyptien. En vertu des dispositions de la
Constitution, le premier parlement égyptien de l’époque moderne fut élu en
1
Islah signifie réforme. Le mouvement réformiste s’appela aussi la Salafiya car il a visé à rénover
la religion musulmane par le retour aux sources de l’Islam des origines : le Coran, la Sunna
et l’exemple des Salaf (les musulmans des origines). Bien entendu, cette Salafiya réformiste n’a
rien en commun avec les groupes politico-religieux qui se sont développés dans plusieurs pays
musulmans depuis le début du xxie siècle, et improprement dénommés « salafistes ». v. notre
ouvrage Islam. L’avenir de la tradition entre révolution et occidentalisation, Paris, Le Rocher,
2008, trad. en anglais et en arabe, 2010.
13
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
1924. Le parti patriotique Wafd remporta le scrutin et son chef historique
Saad Zaghloul devint Premier ministre mais, en désaccord avec le Roi, il
démissionna en novembre. Après une première crise entre le Wafd et le
Palais, attisée par les Britanniques, le parlement fut dissous. De nouvelles
élections furent de nouveau remportées par le Wafd en mai 1926 et Saad
Zaghloul devint le président du parlement. Après la mort de Zaghloul
en août 1927, le pays entre dans une période de forte instabilité du fait
des intrigues britanniques et de l’opposition entre les libéraux et le Roi.
La Constitution de 1923 fut abrogée et remplacée en 1930. En 1934,
la Constitution de 1930 fut abrogée à son tour avant qu’un an plus tard
la Constitution de 1923 ne soit remise en vigueur, jusqu’en 1952. Alors
que l’influence des Britanniques allait commencer à décroître, un nouvel
acteur apparut dans le jeu politique, la Confrérie des Frères musulmans
(Al Ikhwan al muslimun) créée en 1928 par un instituteur du nom de Hassan
el Banna qui va utiliser la religion à des fins politiques en la plaçant au
service d’un parti. Désormais, le jeu se compliqua en passant d’une partie à
trois à une partie à quatre et bientôt à six avec le développement d’un parti
communiste par un agent du Kominterm, le Suisse Paul Jacot-Descombes,
et, surtout, la montée en puissance du courant nationaliste arabe.
L’après-guerre sera dominé par la question de Palestine et la
création d’un État d’Israël par le plan de partage de la Palestine voté aux
Nations Unies le 29 novembre 1947. La défaite des troupes arabes lors de
la guerre israélo-arabe de 1948-49 provoqua un formidable traumatisme
dont les Frères musulmans profitèrent pour intensifier leur propagande
et passer à l’action violente avec la « section spéciale » et l’apparition d’un
courant ultra-radical1. Des débordements de ces activistes conduisirent
aux assassinats du juge Khazandar et des deux soldats britanniques, puis,
en décembre 1948, du Premier ministre Fahmi el Noukrachi qui avait
ordonné la dissolution de la confrérie. Hassan al Banna, qui avait clairement
condamné ces actes mais avait perdu le contrôle de l’organisation armée
secrète, fut lui-même assassiné, le 12 février 1949. Le magistrat civiliste
Hassan al Houdaïbi qui succédera à Banna comme Guide suprême de la
confrérie, accentuera le caractère politique de l’organisation.
1
V. Amr el Shoubaky, Les Frères Musulmans, Paris, Karthala, 2009, 316 p.
14
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
Le jeu politique égyptien se trouva tiraillé entre le Palais royal, le
Wafd, le parti nationaliste Jeune Égypte, les communistes, les nationalistes
arabes dont la doctrine avait été systématisée par le Syrien Michel Aflak
à partir du début des années 1940. En 1946, les Frères manifestèrent
pour le Roi contre le Wafd. En 1948, ils s’allièrent aux communistes. En
1952, ils soutinrent d’abord la révolution des Officiers libres en espérant
la phagocyter. Mais, en 1954, après que Nasser se soit imposé à la tête de
l’État, la Confrérie comprend que le nouveau Raïs ne lui laisse pratiquement
plus aucun créneau : aux éternels laissés pour compte, il lance fameux mot
d’ordre : «  relève la tête mon frère car les jours d’humiliation sont terminés  » ;
il redistribue les terres aux fellahs ; il prône la justice sociale ; il conteste
aussi bien l’impérialisme occidental que le communisme matérialiste et
athée. À vrai dire, la révolution nassérienne récupérera une large part des
couches sociales qui constituaient les gros bataillons des Frères musulmans.
Dès lors, communistes et Frères musulmans se retrouvèrent unis contre ce
dirigeant charismatique qui mobilisait les foules sur les idées nouvelles du
nationalisme arabe et d’un ordre mondial plus équilibré.
De la révolution nassérienne à la chute de Moubarak
Après la Révolution des Officiers libres de juillet 1952, une
déclaration constitutionnelle du 10 
décembre 1952 avait annulé
la Constitution de 1923. Le 10 
février 1953, une proclamation
constitutionnelle posa les principes du système de gouvernement pour
la période transitoire en attendant la promulgation d’une nouvelle
constitution. Le 18 juin 1953 la République sera officiellement proclamée.
La nouvelle Constitution fut adoptée par référendum le 23 juin 1956.
L’article 1er proclame que l’Égypte est un « État arabe indépendant et
souverain » et une « république démocratique ». Le régime est présidentiel
et le parlement se compose d’une seule chambre. L’une des parties les
plus importantes est l’ensemble des dispositions à caractère social et
économique. Ici, il est clair que le texte vise à consolider les acquis de la
révolution et à imprimer la marque des changements intervenus ou à venir.
Mais l’instabilité constitutionnelle n’était pas terminée car il fallut
promulguer une nouvelle Constitution au mois de mars 1958 à la suite
de la déclaration de la République arabe unie, l’union entre l’Égypte et
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L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
la Syrie le 22 février de la même année. La République arabe unie s’étant
disloquée dès septembre 1961, une Constitution fut adoptée le 25 mars
1964, qualifiée d’intérimaire dans l’espoir, au demeurant bien vain, d’une
réunion syro-égyptienne. Ce texte, très proche de celui de 1956, donne
un caractère officiel au parti unique, l’Union socialiste arabe, formée
de « l’alliance des forces populaires représentant le peuple laborieux »
(article 3). Une autre singularité due à l’air du temps est le principe de la
représentation de 50 % d’élus ouvriers ou paysans au sein des assemblées
représentatives (article 49), une disposition inapplicable mais qui va
subsister jusqu’en 2013 !
Après la mort de Nasser en septembre 1970, son successeur Anouar
el Sadate entreprit de doter le pays d’un nouveau texte constitutionnel
reflétant davantage ses options, marquant son empreinte et tenant compte
des évolutions depuis la révolution de 1952. La Constitution, adoptée par
référendum, le 11 septembre 1971, établit un régime présidentiel tempéré
par les pouvoirs législatif et judiciaire. La désignation du président aurait
lieu de la façon suivante : « L’Assemblée du peuple pose la candidature
du président de la République et la soumet au référendum des citoyens.
La candidature pour les fonctions de président de la République est
posée à l’Assemblée du peuple sur proposition du tiers au moins de ses
membres. Le candidat qui aura obtenu les deux tiers des voix des membres
de l’Assemblée sera proposé au référendum des citoyens ». La durée du
mandat présidentiel fut d’abord de six ans renouvelable une fois.
Le préambule affirmait l’État de droit en déclarant : « La primauté
de la loi n’est pas uniquement la garantie qui assure la liberté de l’individu,
elle est aussi le seul fondement de la légitimité du pouvoir ». La Constitution
garantit le multipartisme mais elle mentionnait de nombreuses restrictions.
L’article 2 innova en déclarant : « L’Islam est la religion de l’État dont la
langue officielle est l’arabe ; les principes de la Chari’a islamique constituent
une source principale de législation ». La révision constitutionnelle de
1980 modifiera l’article selon la rédaction suivante « […] Les principes
de la Chari’a islamique constituent la source principale de la législation ».
L’amendement constitutionnel de 1980 institua également un système
bicaméral, à l’instar de la constitution de 1923, avec la création d’un
Conseil consultatif, Majliss Al-Choura (articles 194 à 205). Les deux tiers
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L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
des membres de ce conseil (équivalent du Sénat français) seraient élus « à la
condition que la moitié d’entre eux, au moins, soit composée d’ouvriers et
de paysans ». Le président de la République nomme le tiers restant.
Les articles  174 à  178 étaient consacrés à La Cour Constitutionnelle
Suprême (Conseil constitutionnel). Celle-ci « est un organe judiciaire
indépendant. Elle a son siège au Caire et assume exclusivement le contrôle
judiciaire de la constitutionnalité des lois et des règlements, et l’interprétation
des textes législatifs ». Les membres de la Cour Constitutionnelle Suprême
étaient inamovibles. Aux termes de la Constitution, la justice militaire
« est indépendante, ses attributions sont déterminées conformément aux
dispositions de la loi ». La loi d’organisation de cette juridiction, qui allait
renforcer l’État de droit, fut adoptée assez tardivement, en 1979.
Sous Hosni Moubarak, devenu président après l’assassinat de
Sadate, en octobre 1981, la Constitution sera amendée à deux reprises.
L’amendement du 25 mai 2005 introduisit l’élection du président de la
république au suffrage universel direct et permet la pluralité de candidature.
En même temps, l’amendement permit que le président puisse être réélu
d’une façon illimitée (article 77). Moubarak aura donc des adversaires pour
la première fois lors de l’élection de septembre 2005 où il sera réélu pour une
cinquième fois avec 88,6 % des voix mais avec un taux de participation de
moins de 25 %. Les élections législatives virent la victoire des partisans de
Moubarak du Parti national démocrate (PND) qui obtint 311 des 454 sièges
mais les Frères musulmans, association illégale mais tolérée, firent pour leur
part élire 88 députés présentés comme « indépendants ». L’amendement du
26 mars 2007 modifia les règles relatives aux élections législatives et conféra
au parlement des prérogatives élargies, en particulier le droit de voter, article
par article, un budget dont le projet de loi de finances devait être présenté
trois semaines avant le vote et non pas quelques heures avant la session. En
outre, le Premier ministre était désormais directement responsable devant
le parlement qui pouvait mettre en jeu sa responsabilité avec une majorité
absolue (Art. 127). À vrai dire, ces nouvelles dispositions furent davantage
une ouverture de façade dans la mesure où le parti présidentiel (PND)
dominait largement le parlement. Dans ces conditions, ces amendements
n’entamèrent pas le scepticisme du plus grand nombre des Égyptiens. Et cela
d’autant moins que les promesses non tenues de libéralisation et le blocage
17
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
politique vinrent s’ajouter à la dégradation des conditions de vie et aux
défaillances de l’État.
Le régime issu des révolutions de janvier 2011 et 2013
Avec le choc de la révolution tunisienne, les contestations vont
s’amplifier. Le régime lui-même se fissure car l’armée est lasse du népotisme
d’un président âge 83 ans, au pouvoir depuis près d’un tiers de siècle
et qui songerait à faire introniser son fils. Les premières manifestations
populaires de 25 janvier 2011, place Tahrir au Caire, marque le début
de la révolution contre le régime d’Hosni Moubarak. À la fin janvier le
divorce entre Moubarak et l’armée qui refuse de faire tirer sur le peuple
est consommé. Finalement, Moubarak sera contraint à la démission, le
11 février. Le Conseil suprême des forces armées qui se réunit en cas de crise
extrêmement grave, prendra acte de la démission de Moubarak et assumera
le pouvoir. Cette institution présidée par le maréchal Tantaoui prononcera
la dissolution de l’assemblée le 13 février 2011 puis adoptera le 30 mars
2011, une déclaration constitutionnelle, sorte de texte constitutionnel
provisoire en attendant la promulgation d’une constitution permanente.
L’une des erreurs commises à cette époque est sans doute de
procéder à des élections législatives puis présidentielle dans la précipitation
et avant d’avoir pris le temps de fixer une règle du jeu, c’est-à-dire avant
d’avoir rédigé un nouveau texte constitutionnel. Du coup, ce sont les
vainqueurs des scrutins qui seront les maîtres d’œuvre d’un remaniement
constitutionnel qui, compte tenu des circonstances, aurait mérité de réunir
un large consensus.
En Égypte comme ailleurs, profitant du vide créé par l’effondrement
de l’ancien régime et le fait que celui-ci n’avait laissé à aucune autre force
politiques la possibilité de s’organiser, la seule organisation bien structurée,
les Frères musulmans, a tiré les marrons du feu. Les Frères musulmans
sont une organisation activiste et internationale, réunissant une nébuleuse
d’associations. Même si la confrérie n’en porte pas le nom, se dissimulant
derrière des formations électorales comme le parti Liberté et Justice en
Égypte, son objectif est clairement politique. On pourrait même dire qu’il
est essentiellement politique, l’Islam ne servant que de prétexte à une vision
et à un projet purement partisan. Contrairement à ce que prétendent les
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L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
amateurs de slogans réducteurs, on ne peut pas dire qu’ils ont fait main basse
sur le printemps arabe puisqu’il n’y a jamais eu un tel printemps que dans
l’imagination de quelques faiseurs d’opinion occidentaux. En tout cas, les
élections législatives qui ont lieu en trois étapes entre le 28 novembre 2011
et le 10 janvier 2012 se soldent par une victoire écrasante des candidats
du parti de la Justice et de la Liberté, soutenue par les Frères musulmans,
qui obtient 44,60 % des suffrages devant le parti al Nour (islamiste
fondamentaliste dit salafiste) qui remporte 22,50 % des voix, le néo-Wafd
(7,82 %) et une vingtaine d’autres formations dont les scores varient entre
0,2 et 3 %. Lors du premier tour de l’élection présidentielle, les 23 et
24 mai, le candidat représentant les Frères musulmans, Mohammed Morsi,
arrivera légèrement en tête avec 24,78 % des voix, devant le général Ahmed
Chafik, 23,66 %, Hamdin Sabbahi, candidat de tendance nassérienne,
20,72 %, Abdel Mon’im Aboul Foutouh, 17,5 %, et huit autres candidats.
Mohammed Morsi, est élu au second tour, les 16 et 17 juin 2012, avec
51,73 % des suffrages devant le général Chafik.
Si les Frères musulmans, mieux organisés et disposant de plus de
moyens que les autres formations, ont remporté un succès aux législatives,
encore qu’ils n’aient pas atteint la majorité absolue, le score de l’élection
présidentielle était étriqué. Cela aurait dû conduire les vainqueurs à se
montrer plus soucieux de maintenir les grands équilibres. Or, le 12 août,
le président Morsi va prononcer la mise à la retraite du maréchal Tantaoui,
président du Conseil suprême des forces armées, tandis que l’assemblée
constituante, élue par l’assemblée nationale et composée de 50 % de
parlementaires et de 50 % de personnalités publiques et de représentants
des groupes de la société civile, se réunit d’une façon chaotique et devient
le théâtre d’ardentes disputes entre le parti au pouvoir et les autres forces.
Une partie de ses membres va démissionner pour protester contre la nature
partisane des travaux. Finalement le 30 novembre 2012, le juge Hossam
el-Ghiriani, président de la constituante, fera la déclaration suivante :
« Nous avons achevé notre travail sur la Constitution de l’Égypte. Nous
appellerons aujourd’hui le Président pour l’informer que l’assemblée
a terminé son travail et que le projet de Constitution est achevé ». Dès
lors, un référendum devra être organisé dans un délai de 30 jours. La
Constitution de la IIe République sera adoptée lors du référendum des 15
19
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
et 22 décembre 2012, avec 63,80 % des suffrages favorables mais un taux
de participation de moins du tiers des électeurs inscrits (32,9). Là encore,
ce n’est pas un succès éclatant pour le parti au pouvoir et le président Morsi
qui fait désormais face à une opposition certes disparate mais de plus en
plus vigoureuse. Le texte constitutionnel est contesté en raison du fait
qu’il comporte de nombreuses ambiguïtés et contradictions, une partie de
l’opposition demandant l’abandon de la Constitution en affirmant qu’elle
ouvrirait la voie à un État théocratique dominé par le parti des Frères
musulmans. De fait, le principal motif d’inquiétude est la conviction
que le parti au pouvoir aurait un agenda caché : une dictature permettant
d’imposer ses conceptions idéologiques.
Il eut fallu beaucoup d’expérience et de doigté pour que le pays
retrouvât la sérénité. C’est précisément ce qui va faire le plus défaut au
président Morsi et à son mouvement. Une fois au pouvoir, après des
décennies de complots et de répression, la Confrérie a commis deux fautes
majeures. La première sur la gestion politique en se montrant incapable
de restaurer un État juste agissant pour le bien commun. Comme l’a bien
analysé la philosophe Simone Weil dans sa Note sur la suppression des partis
politiques, « tout parti est totalitaire en germe et en aspiration ». Les Frères
n’ont pas dérogé à cette règle et aussitôt au pouvoir, tout en faisant montre
d’un amateurisme consternant, ils se sont employés à verrouiller l’État et
les administrations au lieu d’adopter un profil bas et consensuel. À vrai
dire, là où l’esprit de compromis et la recherche d’une plate-forme d’unité
nationale auraient été indispensables la confrérie a adopté une attitude
tranchée et multiplié les décisions de nature à provoquer l’inquiétude des
autres forces politiques et d’une partie de la population. La confrérie a tout
uniment oublié l’une des vieilles lois el apolitique égyptienne qui est celle
de la conciliation, de cette recherche de l’unité qui était déjà la règle dans
l’Égypte antique où l’on avait le soucis de réunir l’Égypte du papyrus et
celle du lotus, celle de l’abeille et du roseau.
La seconde faute du pouvoir des Frères musulmans provient du fait
que la confrérie a pensé qu’on gouverne un pays comme on se comporte
dans l’opposition. Or, on ne gère pas un pays en faisant de l’assistanat
social. On ne relance pas une machine économique, la croissance et le
développement social avec les méthodes de l’action charitable qui a fait le
20
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
succès des Frères auprès des milieux défavorisés. En Égypte, le principal
problème est d’ordre économique et social. Le défi dont les médias et la
plupart des observateurs étrangers ne parlent jamais, est celui de nourrir
et de faire progresser une population de 84 millions de personnes qui
pourrait encore doubler à l’horizon 2050.
Mauvais comportement et incompétence expliquent qu’une large
partie du pays réel – y compris ceux qui avaient voté pour eux faute de
mieux – s’est vite détachée des Frères qui se sont trouvés réduits au noyau
dur de leurs partisans. Dès lors, le cours des événements était prévisible,
des manifestations populaires réunissant des foules très importantes se
multiplièrent et le pays menaça de glisser vers l’anarchie, la guerre civile et,
même, un bain de sang. Le 30 juin 2013, une foule immense manifestait
pour exiger la démission du président Morsi. C’était une véritable révolution.
Dans ces conditions, l’armée intervint. Faisant valoir qu’il était du
devoir de l’armée « d’intervenir pour empêcher l’Égypte de plonger dans
un tunnel de conflits » et afin de prévenir « l’effondrement des institutions
de l’État », le général Abdel Fatah el-Sissi, ministre de la Défense, chef
des armées et président du Conseil suprême des forces armées, destitua le
président Morsi, le 3 juillet 2013, qui sera incarcéré quelques jours plus
tard ainsi qu’un grand nombre de dirigeants des Frères musulmans. La
Constitution fut suspendue. Le président de la Cour Constitutionnelle
Suprême, le magistrat Adli Mansour, fut nommé président de la République
par intérim.
Le 8 février 2013, le président Mansour émettait une Déclaration
constitutionnelle comprenant trente-trois articles prévoyant le système
de l’État pendant la période transitoire ainsi qu’un calendrier pour la
modification de la Constitution 2012. Selon cette déclaration, un comité
d’experts de dix juristes serait formé avec pour mission de proposer
les nécessaires amendements à la Constitution de 2012 suspendue.
Selon les dispositions de l’article 29, le comité d’experts « soumettra les
amendements constitutionnels à un comité d’une cinquantaine membres,
représentant toutes les catégories de la société et sa diversité de population,
notamment les partis, les intellectuels, les travailleurs, les paysans et les
membres des syndicats professionnels et des unions spécifiques, les conseils
21
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
nationaux, al-Azhar, les églises égyptiennes, les forces armées, la police et
les personnalités publiques. Dix membres au moins du comité seront de
jeunes hommes et femmes. Chaque instance élira ses représentants. Le
Conseil des ministres élira les personnalités publiques. » Le Président de
la République soumettra le projet d’amendements constitutionnels au
référendum dans les trente jours à compter de la date de sa réception. Des
élections législatives et présidentielles seront ensuite organisées.
Le Comité des cinquante, présidé par Amr Moussa, ayant remis
son projet au président de la république par intérim, le 1er décembre
2013, le président Mansour a annoncé le 14 décembre que le référendum
constitutionnel aurait lieu les 14 et 15 janvier 2013. Selon Amr el
Shoubaky, l’un des membres du comité constituant, le texte soumis
au référendum « comporte de nombreux progrès pour ce qui concerne
les droits fondamentaux (…) Il pose le principe de l’égalité entre les
hommes et les femmes, l’égalité entre tous les citoyens égyptiens chrétiens
et musulmans, etc. Il y a un changement radical en ce qui concerne la
liberté d’expression : on ne pourra plus emprisonner un journaliste pour
un article ! (…) Le texte vise à renforcer un système démocratique, quasiprésidentiel, proche du système politique français avec un président et un
Premier ministre »1.
De fait, la version de 2014 s’inscrit dans la même tradition –
un système présidentiel du type de la Ve République en France – que
les textes constitutionnels de 1971 et 2012, mais elle comporte des
avancées importantes, en particulier pour ce qui concerne la protection
des libertés fondamentales, la citoyenneté, les droits socio-économiques
(éducation, santé, droit du travail) et la condition de la femme. La nouvelle
Constitution vise surtout à ressouder la cohésion nationale et pour cela elle
s’inspire très clairement de la recherche d’un équilibre et d’un consensus.
Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne la définition donnée
de l’identité égyptienne dans le préambule, le lien établi entre la révolution
du 25 janvier 2011 et les événements du 30 juin 2013, la place de l’armée
dans la vie nationale et, surtout, la question de la religion.
1
Rencontre à Paris, le 7 décembre 2013.
22
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
La place de la religion dans la Constitution
L’article 2 de la Constitution dispose :
« L’Islam est la religion de l’État et l’arabe la
langue officielle du pays. Les principes de la Chari’a
islamique constituent la source principale de la
législation. »
Ce texte figurait tel quel dans la Constitution de 1971, amendée
en 1980, soit depuis plus de trente ans sans que personne n’y trouvât à
redire. L’amendement de 1980 avait modifié l’article 2 pour indiquer
que : « Les principes de la Chari’a islamique sont la source principale de
législation » (mabâdi’ al Chari’a al islâmiyya al-masdar al-raïsî lil tachrîc).
Une précision s’impose, le texte arabe dit expressément « les principes de la
Chari’a » (mabâdi’ al Chari’a), c’est donc une erreur de le traduire par les
principes du « droit musulman ». C’est à la fois une erreur de traduction
et une erreur sur le plan juridique. En effet, le texte arabe de l’article 2
est explicite mabâdi’ al Chari’a, c’est-à-dire les principes (mabadi ‘) pas la
Chari’a, et encore moins le fiqh qui est une discipline servant à tirer des
sources fondamentales (le Coran et la Sunna) des applications pratiques ;
c’est littéralement la compréhension, la science jurisprudentielle, et cela
n’entre pas dans le champ d’application de l’article 2.
Par ailleurs, il faut encore rappeler que la Chari’a islamique n’a
rien à voir avec les excès et les interprétations – parfois bizarres – qu’en
donnent des gens qui ont pris l’Islam en otage et font de facto le jeu des
islamophobes de tout genre. Stigmatiser la Chari’a comme le font trop
souvent des analystes occidentaux ou des idéologues ultra-laïcs, revient
finalement à dénigrer l’Islam, puisque la Chari’a est tout ensemble le Coran,
la parole divine, et la Sunna, l’enseignement du Prophète Mohammed.
Chari’a signifie la voie à suivre, la bonne direction, le chemin droit ; par
conséquent, en aucun cas un système figé mais le mouvement. Si la Chari’a
est d’origine divine, les hommes ont la faculté d’édicter les textes répondant
aux nécessités. C’est la faculté de dégager le principe (asl) contenu dans les
textes fondamentaux pour formuler des règles d’interprétation et les règles
juridiques qui peuvent s’appliquer à des cas concrets.
23
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Donc la Chari’a expose des principes intangibles (nusus), des
obligations (fard) et des interdictions (haram), en nombre limité, elle ne
constitue pas une législation globale. Il appartient aux hommes, aux juristes
(fuqaha) d’utiliser le raisonnement (qiyas) et d’avoir recours à l’effort
d’interprétation (ijtihâd) pour tirer des principes de la Chari’a des solutions
permettant de répondre aux problèmes posés selon les circonstances de
temps et de lieu. Ibn Hazm (m. 1064) expose dans son traité de droit,
al Muhalla, que seuls les nusus (les règles explicites du Texte) constitue la
Chari’a intangible et tout ce que le Législateur suprême n’a pas jugé bon
de spécifier doit être considéré comme permis (moubâh). Les solutions du
fiqh, œuvres des juristes, sont des solutions liées à une époque particulière
ou une situation donnée, elles ne peuvent avoir la validité éternelle des
nusus et ne sont évidemment pas concernées par l’article 2.
À vrai dire, la Chari’a fixe de grands principes de base et pour le
reste il appartient aux juristes et aux gouvernants de répondre aux besoins de
leur époque et de leur nation. Selon la doctrine classique, l’État a le pouvoir
d’édicter des règles administratives sous forme d’ordonnances, qânoun. La
siyâsa littéralement la politique recouvre l’ensemble du pouvoir administratif
et réglementaire nécessaire au bon fonctionnement de l’État. Elle échappe à
la juridiction des cadis et relève de la juridiction administrative, le diwan al
mazâlim (bureau des plaintes), pour ce qui concerne les actes administratifs
pris dans le cadre de l’exercice du pouvoir. Il est également constant que, dans
l’Islam orthodoxe (cela n’est pas vrai pour l’État chiite en Iran) l’État (calife,
sultan, roi) ne s’est jamais mêlé des questions théologiques (à l’exception de la
courte période de la dictature de l’idéologie moutazilite) et les oulémas n’ont
jamais interféré dans la chose politique. Les premiers n’ayant pour obligation
que de veiller à ce que la religion et le bien commun soient préservés et les
seconds la faculté de prodiguer de bons conseils dans l’intérêt général.
Il n’y avait donc pas d’obstacle majeur pour passer à la conception
de l’État moderne qui a commencé à se mettre en place en Égypte au début
du xixe siècle. Dans l’interprétation moderne, la siyâsa, l’organisation
politique et institutionnelle est naturellement indépendante de tout
pouvoir religieux – lequel n’existe d’ailleurs pas dans l’Islam orthodoxe
(sunnite) qui n’a pas de clergé. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre
le texte constitutionnel. Qu’est-ce donc que ces « principes » de la Chari’a
24
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
sous lesquels, l’article 2 de la Constitution égyptienne place la construction
juridique positive ? Par définition et selon son étymologie (princeps) un
principe a vocation d’occuper la première place. Toutes choses étant égales
par ailleurs, on pourrait comparer les principes de la Chari’a évoqués par
l’article précité à ces principes généraux dont le Conseil constitutionnel
ou le Conseil d’État français font application, ou à une sorte de superpréambule. Ces principes se ramènent à trois idées : la justice, la sagesse et
l’intérêt public qui sont les finalités supérieures (maqassid) de la Chari’a.
Mais qui est habilité à exposer ce que sont les principes de la Chari’a
qui « constituent la source principale de la législation » ?
Jusqu’à la Constitution de 2012, l’interprétation de l’article 2
résultait de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle suprême. L’article
219, adopté en 2012, comportait les dispositions suivantes :
« Les principes de Chari’a Islamique incluent
les règles évidentes (nusus) du Texte, les règles
fondamentales, les solutions de jurisprudence et les
sources acceptées par les (quatre) écoles et par les gens
de la communauté (Ahl al Jaama). »
Cet article fort peu clair pour le plus grand nombre risquait de créer
une confusion entre, d’une part, les principes évidents et intangibles de la
Chari’a et, d’autre part, les solutions jurisprudentielles, le fiqh, qui étaient
ici curieusement intégrées dans la définition des principes de la Chari’a.
Ce texte emberlificoté ne pouvait que conduire à des divergences puisque
des solutions jurisprudentielles passées peuvent être plus restrictives que
l’esprit peu contraignant de la Chari’a, comme cela peut être notamment
le cas pour la condition de la femme.
Par ailleurs, en raison du fait que les juges de la Cour constitutionnelle
ne seraient pas de spécialistes de la législation islamique, l’article 4 de la
Constitution de 2012 disposait que :
« Les oulémas d’al-Azhar doivent être consultés sur les
questions relatives à la loi islamique. »
L’université islamique d’al Azhar, dont le prestige est indéniable,
se voyait attribuer un rôle de consultation pour tout ce qui touche à
25
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
la Chari’a. À vrai dire, dans la mesure où al Azhar est en quelque sorte
l’institution suprême représentant l’Islam du juste milieu, ce recours à son
expertise aurait été plutôt rassurant si les nouveaux dirigeants n’avaient
eu l’intention affichée d’évincer le Grand Iman, qui leur était hostile, et
d’installer leurs partisans dans la vénérable institution.
Porteuses de trop d’incertitudes, les dispositions des articles 219
et 4 du texte de 2012 ont disparu dans la version de 2014. L’interprétation
de l’article 2 revient, comme avant 2012, à la Cour constitutionnelle
suprême. On sait que la Cour a fait une interprétation prudente de cet
article. Les rares fois elle a considéré qu’une disposition violait la Chari’a,
par exemple concernant le droit de propriété, la protection de la vie privée
ou la présomption d’innocence, elle a déclaré que cette violation venait en
sus d’une violation d’une autre disposition constitutionnelle. Mais sur le
fond, on peut considérer que les principes supérieurs de la Chari’a ont une
valeur supérieure aux autres articles de la Constitution. Le respect de cette
hiérarchie est contrôlé par la Cour constitutionnelle. Si des textes sont
jugés contraires aux principes de la Chari’a, par la Cour constitutionnelle,
le législateur doit y remédier.
Pour ce qui concerne le droit privé, le texte de 2014 reprend les
dispositions habituelles des constitutions des pays musulmans, les principes
de la Chari’a l’emportant pour les citoyens musulmans. Il est également
notable que l’article 3 de la Constitution égyptienne dispose :
« Les principes des lois religieuses des Égyptiens
chrétiens et juifs sont la principale source de la législation
régissant leur statut personnel, leurs affaires religieuses
et le choix de leurs dirigeants spirituels. »
C’est ici la stricte application de la Chari’a puisque le Coran proclame
que les juifs doivent suivre la loi de la Torah et les chrétiens celle de l’Évangile
(al Maidah, 44, 47). Il est notable que ces dispositions, déjà introduites dans
le texte de 2012, avaient reçu l’approbation des églises chrétiennes (Église
copte orthodoxe, Église orthodoxe, Église catholique copte, protestants, etc.,
au total environ 10 % de la population) et des dirigeants religieux juifs (une
communauté de quelques dizaines de personnes) qui y ont vu une garantie
26
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
du respect de leurs normes en matière de droit personnel. La liberté religieuse
et le principe de non-discrimination sont donc consacrés.
L’article 53 précise
« Les citoyens sont égaux devant la loi, ils ont
les mêmes droits et devoirs publics, sans discriminations
fondées sur la religion, la croyance, le sexe, l’origine, la
race, la couleur, la langue, le handicap, la classe sociale,
l’appartenance politique ou géographique, ou pour
toute autre raison. »
Et l’article 64 ajoute
« La liberté de croyance est absolue. »
La liberté de la pratique religieuse et la mise en
place de lieux de culte pour les propriétaires des religions
célestes, est un droit garanti par la loi. »
La Constitution rappelle dans son préambule le rôle éminent de l’université
al Azhar, plus haute autorité de l’Islam en Égypte. L’article 7 dispose :
« Al Azhar al Charif est une institution
islamique scientifique indépendante. Elle exerce
librement toutes ses activités et est la principale référence
pour les questions religieuses et la théologie, elle a la
responsabilité de la diffusion des sciences religieuses et la
langue arabe en Égypte et dans le monde.
L’État doit lui fournir l’aide financière
nécessaire pour atteindre ses fins.
Le Grand Cheikh d’al Azhar est indépendant
et ne peut être démis de ses fonctions. La loi définit
les modalités de sa désignation parmi les membres du
Conseil des grands Oulémas. »
On ne peut comprendre la portée de cet article qu’au regard du fait
qu’al Azhar est le bastion de l’Islam du juste milieu, gardien suprême contre
toutes les déviations extrémistes et haut lieu d’une religion traditionnelle
27
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
modérée en laquelle se reconnaît l’immense majorité des Égyptiens. On
rappellera ici l’opposition courageuse du grand Imam d’al Azhar, cheikh
Mohammed Ahmed el Tayeb à l’éphémère régime des Frères musulmans
qui souhaitaient d’ailleurs l’évincer de sa charge, notamment après qu’il
ait publié un texte affirmant qu’al Azhar est la seule autorité religieuse
et non ces partis qui annexent l’Islam ; défendant la liberté religieuse et
affirmant que les principes de la Chari’a garantissent les droits de l’homme.
Ce dernier point mérite d’être souligné car il répond à une critique souvent
formulée selon laquelle la Charia ignorerait les droits de l’homme.
À cet égard, il est constant que l’erreur consiste à stigmatiser la
Chari’a, laquelle expose les finalités supérieures du Message coranique et de
la Tradition prophétique et est par conséquent l’Islam lui-même. Or il ne
faut pas confondre la Charia et l’interprétation ou la pratique qui a pu en
être été faite par certains. Les interprétations ou les pratiques caricaturales,
extrémistes, ou la récupération de la religion à des fins politiques partisanes
ne peut servir à disqualifier la religion elle-même. Cela d’autant moins que
le Message de l’Islam prône de nombreux droits qui ont parfois mis du
temps à être adoptés dans d’autres civilisations. Par exemple, la sécurité
pour la vie et les biens ; l’inviolabilité de la vie privée ; l’égalité entre
l’homme et la femme1 ; le respect de la personne2, la liberté individuelle et
le droit de se défendre ; la prise en compte de l’état de nécessité ; la sécurité
sociale au profit des plus démunis (la zakat ou aumône légale) ; le droit de
protester contre la tyrannie ; la liberté de conscience (« Pas de contrainte
en religion »3), le respect des autres religions et de la diversité des nations
et des peuples4 ; le respect de la justice et de l’équité (« Dieu aime ceux qui
pratiquent l’équité », V, 42) ; liberté d’association ; le droit de participer et
1
V. la contribution de Zeina el Tibi dans le présent ouvrage.
2
« O vous, les croyants! Ne méprisez pas des autres ;
Ne vous calomniez pas les uns les autres ;
Ne vous lancez pas des sobriquets injurieux ;
Ne dites pas de mal les uns des autres. (49 :11-12).
3
Coran, 2 : 256.
4
« Nous avons fait de vous des peuples et des nations afin que vous vous connaissiez entre
vous » 13 :49
28
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805
d’être consulté sur les affaires de l’État1 ; le premier droit des conflits armés
et la protection des populations civiles2, etc.
L’erreur suprême est celle qui consiste à gommer les identités,
ignorer la diversité, mépriser les autres civilisations en ayant la volonté
de leur imposer des normes toutes faites. On ne peut modifier l’identité
de l’Égypte, c’est une nation très majoritairement musulmane, avec ses
minorités chrétiennes qui sont naturellement des composantes à part entière
de cette nation. On ne peut insulter le peuple égyptien en feignant de
croire qu’il n’est pas capable de faire la distinction entre le véritable Message
de l’Islam, celui de la tolérance et du juste milieu, et les exagérations de
charlatans ou d’extrémistes qui ont pris la religion en otage ; il a d’ailleurs
montré combien il est vigilant sur ce point en s’insurgeant contre les excès
du régime des Frères musulmans.
Les termes de l’alternative ne sont pas laïcité et occidentalisation
d’une part, et obscurantisme religieux d’autre part. C’est le débat simpliste
dans lequel on cherche à enfermer les peuples musulmans. Pratiquement
depuis l’expédition d’Égypte, l’Égypte a eu le choix entre deux voies
intellectuelles : la première consistant « à tourner le dos au patrimoine
culturel local et à embrasser purement et simplement la pensée européenne.
C’est la voie de l’occidentalisation »3. La seconde consistait à tenter une
réforme intellectuelle ouverte sur les acquis de monde occidental mais
basée sur une renaissance de l’identité arabo-musulmane. C’est autour
de la question de la loi que le débat s’est instauré. Le spécialiste de droit
comparé René Rodière a bien montré que toute invasion politique ou
religieuse, correspondant à un mouvement hégémonique, laissait des
traces dans le droit, plus ou moins directes et claires4. Michel Villey a
mis en exergue « la dépendance congénitale des sciences juridiques par
1
Ils délibèrent entre eux au sujet de leurs affaires ” (42 :38
2
Sur toutes ces questions, v. ouvrage Islam. L’avenir de la tradition entre révolution et
occidentalisation, Paris, Le Rocher, 2008
3
Mohammed Tahar Bensaada, « La théologie de la libération de Mohammed Abdou » http://
oumma.com/article.php3?id_article=2009
4
Rodière, René. Introduction au droit comparé. Paris : Dalloz, 1979.
29
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
rapport aux représentations du monde »1. C’est dans ces conditions que,
parfois, on a considéré que la société islamique serait incapable de trouver
sa propre voie vers le progrès. Cette idée a été exposée en 1925 par un
penseur occidentalisé Ali Abdel Razak, L’islam et les fondements du pouvoir.
Cette théorie du dénigrement a curieusement persisté et on la retrouve
périodiquement exposée ici ou là.
Sans doute est-ce parmi les partisans de cette théorie, qui, à force
de vouloir imiter des modèles importés, sont trop souvent coupés du pays
réel égyptien, que se retrouvent ceux qui ont commencé à critiquer la
nouvelle Constitution, préférant – comme tous les idéologues – ne voir
que le verre à moitié vide plutôt que celui à moitié plein. On voit donc de
reconstituer une sorte de front réunissant les contestataires professionnels,
des agitateurs manipulés par l’étranger donneur de leçons et… les Frères
musulmans. Qu’importe le sort de l’Égypte à ces forces de dissolution qui
n’ont jamais en vue le bien commun.
En conclusion, le texte constitutionnel de 2014 qui, certes, n’est
pas parfait, est un bel exemple d’équilibre et de recherche du juste milieu.
Il tient compte des diversités et de la spécificité d’une vieille nation qui
poursuit sa marche dans l’Histoire. Pour le reste, nous savons qu’une
constitution ne vaut que par l’usage qu’on en fait. C’est aux dirigeants et
au peuple égyptiens de jouer.
1
Villey, Michel. La formation de la pensée juridique moderne. Paris : Puf, 2003.
30
Les grandes lignes institutionnelles
Jean-Yves de Cara
Les grandes lignes institutionnelles
Le constituant égyptien illustre la pensée de
Rivarol selon lequel pour éviter les horreurs
de la révolution, il faut la vouloir, il faut la
faire. Un premier coup d’œil sur le projet de
Constitution qui sera soumis au referendum
en janvier 
2014, révèle une constitution
révolutionnaire par sa forme et sur le fond ;
pourtant il en ressort que ce projet s’inscrit
aussi dans une certaine continuité.
Révolutionnaire dans le style, car sans
être présenté comme le document de l’avantgarde de la Révolution pacifique ainsi que le
fut la Constitution de 2012, le projet de 2013
s’inscrit dans le mouvement révolutionnaire
des 25 janvier 30 juin qui projette l’ombre du
passé et apparaît de bon augure pour l’avenir.
Le texte évoque les fractures du passé (EstOuest, Nord-Sud), le temps des guerres et
des luttes, il proclame de nouveau « le droit
au pain, à la liberté, à la justice sociale et la
dignité humaine ».
Le nouveau texte est plus long1 que
celui de 2012, il accentue la forme incantatoire
du Préambule. C’est le peuple qui parle :
1
247 au lieu de 236 articles. À titre de comparaison la
Constitution de 1971 comportait 211 articles rédigés de
façon plus concise, Eric Canal-Forgues (Sous la direction
de), Recueil des Constitutions des pays arabes, Cedroma, USJ
Beyrouth, Bruxelles, Bruylant (2000), 105.
31
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
« Nous, les Égyptiens… Nous les citoyens et les citoyennes sommes le peuple
de l’Égypte souverain dans notre patrie… ceci est notre volonté et ceci est la
Constitution de notre révolution »1. Le texte constitutionnel, s’il est adopté,
sera l’œuvre de citoyens constituants.
Dans la forme, la solution ainsi retenue fait écho à l’idée de Rousseau
selon lequel l’individu citoyen a une double qualité : il est à la fois sujet en
tant que tenu d’obéir à la loi, et souverain en tant que participant au vote
de celle-ci dans sa formulation suprême, la Constitution2.
Prolongement de la marche révolutionnaire du peuple, la Révolution
est considérée comme « unique parmi les grandes révolutions de l’histoire
humaine » par l’ampleur de la participation populaire, par le rôle de la
jeunesse et celui des masses populaires qui transcendent les clivages sociaux
et les idéologies, pour atteindre des perspectives patriotiques et humaines
sous la protection de l’armée et les bénédictions d’Al Azhar et de l’Église
patriotique.
Toutefois, le préambule n’énonce plus, comme en 2012, une série
de principes fondamentaux. En effet, la Constitution suspendue s’ouvrait
par des principes généraux relatifs à l’Égypte, au peuple « source de tout
pouvoir », au système démocratique de gouvernement, à la dignité de
l’individu, l’affirmation de la liberté, l’égalité et la non-discrimination
y compris entre hommes et femmes ; étaient invoqués aussi le règne du
droit, l’unité nationale et la défense de la Nation, la non-ingérence des
forces armées, bouclier du pays et garant et de la sécurité, dans les affaires
politiques ; enfin, le texte exaltait l’unité de la nation arabe et le rôle de
leadership intellectuel et culturel de l’Égypte, modèle de générosité pour
les penseurs et les créateurs ainsi que la recherche, et le rôle d’Al Azhar
comme pilier de l’identité nationale, de la langue arabe, de la Sharia et
flambeau de la pensée éclairée modérée.
En revanche, le projet de 2013 replace plus amplement que d’antan
l’œuvre de la Révolution dans l’histoire de l’Égypte et du monde : l’Égypte
1
La Constitution de 1971 était proclamée par « les masses laborieuses » de cette terre d’Égypte
dont « la gloire remonte à l’aube de l’Histoire et de la Civilisation ».
2
Le contrat social, Livre I, chap. VI et VII.
32
Les grandes lignes institutionnelles
est un don du Nil et un don des Égyptiens à l’humanité, elle est la terre
natale des Égyptiens et un message d’amour et de paix à tous les peuples.
Bannière et berceau des religions révélées, elle a accueilli Moïse et la Vierge
Marie et son enfant avant de recevoir la lumière de l’Islam.
Il inscrit la Révolution de 2011 dans une certaine continuité plus
nettement que le texte précédent, rendant hommage à Méhémet Ali1, le
fondateur de l’Égypte moderne « ayant pour pilier son armée nationale »,
et aux grands hommes de l’histoire nationale : Ahmed Urabi, Moustafa
Kamel, Mohammed Farid2. Par sa dimension nationale, cette Révolution
est le produit de celle de 1919 qui a libéré l’Égypte de la tutelle britannique,
par sa dimension populaire elle amplifie celle de 1952, elle affirme « le lien
puissant de confiance entre le peuple égyptien et son armée patriotique qui
assume la responsabilité de protéger la patrie ».
La nouvelle Constitution garantira une certaine continuité
légale. Certes, tout comme en 2012, le texte ne reprend pas la définition
de la République arabe d’Égypte comme « État socialiste démocratique
fondé sur l’alliance des forces laborieuses du peuple ». Simplement, la
République arabe d’Égypte est un État indépendant et souverain, un
et indivisible, son régime est une République démocratique fondée sur
la citoyenneté et l’État de droit. État unitaire et décentralisé, l’Égypte
proclame évidemment son appartenance à la Nation arabe et appelle à son
intégration et son unité ; elle se déclare aussi partie du continent africain
1
Méhémet Ali (1769-1849) est arrivé d’Albanie en Égypte à la faveur des événements liés à
l’expédition française ; il a gouverné de1805 à sa mort en conduisant de nombreuses réformes
et en cherchant à affirmer l’indépendance du pays face à la Sublime Porte. Il a modernisé
l’armée et a su s’imposer au pont d’obtenir le pachalik héréditaire d’Égypte par la convention
de Londres du 15 juillet 1840. Le dernier Roi, Farouk, était un descendant de Méhémet
Ali. Voir Henry Laurens, L’Expédition d’Égypte, Paris, Armand Colin, (1989) ; Khaled Fahmy,
All the Pasha’s Men, Cairo, The American University in Cairo Press, (2003) ; Guy Fargette,
Méhémet Ali, Paris, L’Harmattan, 1996.
2
Urabi Pacha (1841-1911) a été le chef de la première révolte contre le Kédive et la domination
anglaise ; Moustafa Kamel (1874-1908) et Mohammed Farid (1868-1919) ont été des hommes
politiques influents, le premier fut le fondateur du Parti nationaliste égyptien et le second lui a
succédé comme chef politique nationaliste. Voir Arthur Goldschmidt, Biographical Dictionary
of Modern Egypt, Boulder (Co), Lynne Rienner Publishers 2000 ; Charles H. Pouthas et al.
Histoire de l’Égypte, Paris, 1948.
33
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
et « fière de sa dimension asiatique ». Ensuite, elle fait partie du monde
musulman : l’Islam est la religion d’État, l’Arabe est la langue officielle,
la Charia est la source principale de la législation. Cela ne s’oppose pas à
ce que les principes de la religion des Égyptiens chrétiens et juifs soient
la source principale de la législation qui régit leur statut personnel, leurs
affaires religieuses et le choix de leurs dirigeants spirituels1. Enfin, il n’y
a pas de table rase : les dispositions des lois et règlements adoptés avant
la publication de la nouvelle Constitution demeurent en vigueur, et elles
ne peuvent être modifiées ou annulées qu’en conformité avec les règles et
procédures nouvelles
Cette continuité historique n’exclut pas la rupture avec la période
qui précède la Révolution. D’une part, tout autant qu’en 2012, le projet
de Constitution vise à parachever la construction d’un État moderne et
démocratique, avec un gouvernement civil qui ferme la porte à la corruption
et à toute tyrannie, et vise à mettre fin aux souffrances endurées par le peuple
pendant si longtemps. Le peuple proclame sa croyance en la démocratie, au
pluralisme politique, à la transmission pacifique du pouvoir et à son droit
de tracer son propre avenir, car il est la source de toute autorité. Il proclame
la liberté, la dignité humaine et la justice sociale, la souveraineté qui lui
appartient ainsi qu’aux générations futures ; il exprime les aspirations à
une société prospère et solidaire, à un État juste qui réalisera les aspirations
d’aujourd’hui et de demain des individus et de la société. D’autre part,
cette Constitution affirme la primauté de la Sharia islamique mais que la
Cour constitutionnelle suprême a seule compétence pour interpréter ses
principes ainsi que les dispositions constitutionnelles ; le peuple entend
rédiger une Constitution compatible avec le droit international des droits
de l’homme, qui préserve les libertés, la patrie, l’unité nationale et tend à
parvenir à l’égalité des droits et des devoirs des citoyens.
L’ambition d’établir une démocratie n’est pas nouvelle. Rompant
avec la monarchie parlementaire instaurée en 1923, l’Égypte s’engage
en 1952, à la faveur d’un coup d’État militaire, sur la voie d’un État
républicain dont les fondements sont établis par la première constitution
de la Révolution en 1956 que l’on retrouve dans la Constitution de 1971.
1
Articles 1, 2 et 3 du projet de Constitution.
34
Les grandes lignes institutionnelles
La transition démocratique ouverte en 2011 pouvait suivre la voie de la
révision constitutionnelle ou celle de l’exercice du pouvoir constituant
originaire ; la voie médiane d’une déclaration constitutionnelle s’imposa,
puis la majorité issue des élections législatives et présidentielles élabora la
Constitution de 2012 qui, tout en offrant une certaine vision de la société,
ne tranche pas nettement sur le choix du régime politique, donnant au
texte nouveau l’allure d’un « bric-à-brac » constitutionnel qui eut du
mal à s’imposer. Il fallait rende la parole au peuple. L’œuvre du comité
des cinquante n’était guère aisée : elle devait combiner les principes qui
fondent un régime démocratique et la recherche de l’efficacité du pouvoir
dans une situation révolutionnaire. Celle-ci aurait pu évoluer vers la guerre
civile, si n’était pas assuré le maintien d’un ordre indispensable à la garantie
des libertés fondamentales des citoyens, de l’autorité et de la légitimité
de l’État. Solution de compromis, le projet de constitution publié en
décembre 2013 tend précisément vers l’affermissement de la démocratie
par le retour aux principes fondamentaux : il proclame la souveraineté du
peuple en en tirant des conséquences pratiques, il consacre la séparation
des pouvoirs sans laquelle, selon une tradition politique qui remonte au
XVIIIe siècle, il ne saurait y avoir de constitution.
I - La démocratie par la souveraineté du peuple
II – La démocratie par la séparation des pouvoirs
I - La démocratie par la souveraineté du peuple
Dès le préambule, les citoyens constituants affirment leur foi en
la démocratie comme voie politique, futur et mode de vie, ils affirment
le droit du peuple de construire son avenir car il est la seule source de
l’autorité et que la souveraineté lui appartient. La Constitution en déduit
des conséquences pratiques relatives à la participation des citoyens (§1) et
à l’arbitrage populaire (§2).
1 La participation des citoyens.
La participation des citoyens à la vie publique est un devoir
national. Cette participation est directe ou indirecte. L’article 87 de la
Constitution consacre le droit de vote, l’éligibilité de chaque citoyen et
35
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
son droit d’exprimer son opinion par le referendum dans des conditions
qui seront réglementées par la loi. Il s’agit d’un « devoir » dont l’exercice
pourra faire l’objet d’exemptions spécifiques. Il revient à l’État de tenir à
jour les listes électorales et les bases de données en dehors de toute demande
des intéressés dès lors qu’ils remplissent les conditions relatives aux votes.
Il incombe aux pouvoirs publics de garantir la sécurité, la neutralité et
l’équité des procédures électorales et des votations ; ainsi, l’usage de fonds
publics, d’agences gouvernementales, de lieux publics ou de culte, des
institutions, organisations et établissements du secteur public à des fins
politiques et électorales est interdit.
Au droit d’élire les membres de la Chambre des représentants
et le Président de la République, s’ajoutent, au gré des dispositions
constitutionnelles, des droits concrets qui s’attachent à la qualité de citoyen.
En premier lieu, le peuple élit les deux organes représentatifs qui
se partagent le pouvoir : le Président de la République et la Chambre des
représentants. Il est remarquable qu’un candidat à l’élection présidentielle
peut être présenté non seulement par vingt parlementaires mais,
alternativement, par 25 000 citoyens ayant le droit de vote dans au moins
quinze gouvernorats. Les citoyens sont ainsi étroitement associés à la
sélection de leurs dirigeants qui ne se borne pas aux appareils partisans.
Cette participation par l’élection est complétée par la représentation de
certaines catégories de citoyens à raison de leur qualité ou de leur activité.
À la suite de la suppression de la Choura, le Parlement est monocaméral ;
cela est de nature à appauvrir la représentation de la diversité nationale,
aussi l’article 243 prévoit une représentation appropriée des travailleurs et
des fermiers dans la première Chambre des représentants qui sera élue après
l’adoption de la Constitution dans des conditions qui seront spécifiées par
une loi. De même, les jeunes, les Chrétiens, les personnes handicapées,
les Égyptiens expatriés bénéficieront d’une représentation particulière à la
Chambre1. Par ailleurs, il est prévu d’assurer la participation des jeunes, des
femmes, des travailleurs et des agriculteurs aux conseils locaux2. Dans le
même esprit, le chapitre relatif aux éléments économiques constitutifs de
1
Art. 244
2
Art. 180
36
Les grandes lignes institutionnelles
la société consacre la participation des travailleurs, des petits fermiers et des
artisans dans les conseils d’administration des établissements du secteur
public et des coopératives1.
En second lieu, cette participation est aussi assurée à travers les
partis et les associations. La Constitution suspendue de 2012 prohibait la
formation de partis pratiquant une discrimination fondée sur la base du
sexe, de l’origine ou de la religion2 ; le texte amendé confirme la liberté
de former des associations, des partis politiques, sous réserve que ceux-là
ne soient pas discriminatoires, secrets ou de nature militaire et il interdit
formellement toute activité politique (ou parti) fondée sur la religion.
Cette restriction vise évidemment les partis islamistes mais elle a une plus
large portée et suscite les réserves de ceux qui, comme le parti al-Nour,
entendent intégrer dans leur participation à la vie politique des valeurs
religieuses. Surtout, une telle disposition ne va pas sans contredire celle
plus générale qui fait de la Sharia la source principale de la législation.
Les autorités, conscientes de cette tension entre la vie publique laïque et
les fondements religieux de la société, ont incliné leur interprétation vers
l’assimilation de certaines pratiques ou doctrines politiques d’inspiration
religieuse jugées excessives à une activité terroriste. Or aux termes de
l’article 237, l’État s’engage à lutter contre tous types et toutes formes de
terrorisme qui menacent la nation, les citoyens, leurs droits et les libertés
publiques. En décembre 2013, cela a été illustré par l’assimilation des
Frères Musulmans à une organisation terroriste.
Si l’action partisane apparaît insuffisante, le droit de pétition
reconnu aux citoyens leur permet de formuler des propositions à la
Chambre des représentants sur des questions d’intérêt public mais aussi
d’y déposer des plaintes qui seront transmises aux ministres intéressés.
Alors, si la Chambre le demande, le ministre devra fournir des explications
et le citoyen en sera informé3.
1
Art. 42
2
Art. 6 de la Constitution de 2012.
3
Art. 138
37
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
En troisième lieu, la Constitution évoque divers droits de
participation des citoyens dont les conditions d’exercice restent à préciser :
souveraineté sur les ressources naturelles1, droit des citoyens sur le Nil2,
droit de s’adresser aux autorités publiques3…
2 L’arbitrage populaire.
Quelle que soit l’inclination du régime vers le présidentialisme ou
une forme de parlementarisme, un trait marquant des nouvelles institutions
tient à l’intervention ultime du peuple dans les grandes décisions politiques.
L’arbitrage du peuple s’exerce en matière législative et constitutionnelle, il
sanctionne la responsabilité des représentants devant le souverain.
Instituant une démocratie semi-directe, le texte de 2013 permet
au Président de la République de soumettre au referendum des questions
relatives aux intérêts supérieurs du pays qui n’affectent pas les dispositions
de la Constitution4. Il est peut-être regrettable qu’il ne s’agisse pas d’une
votation d’initiative populaire, mais le referendum constitue la seule
modalité pratique de fonctionnement d’une grande démocratie telle que
l’Égypte. Il est possible que le referendum soit utilisé plus largement, le
texte envisageant des consultations qui porteraient sur plusieurs questions
et imposant alors que le peuple se prononce de façon séparée sur chaque
sujet, ce qui laisse entrevoir un recours banalisé à des votations législatives.
Inversement, on pourrait déduire de la rédaction concise de la disposition
constitutionnelle que le recours au referendum sera limité à de grands
débats de principe.
Le referendum peut être aussi constituant. L’initiative de la
révision de la Constitution appartient au Président de la République ou
à un cinquième des membres de la Chambre des représentants. Celle-ci
délibère sur le principe de la révision et s’il est approuvé une discussion
s’engage sur le texte des articles qui font l’objet de la révision ; les
1
Art. 32
2
Art. 44
3
Art. 85
4
Art. 157
38
Les grandes lignes institutionnelles
amendements approuvés à la majorité des deux-tiers des membres de la
Chambre sont alors soumis au referendum, dans un délai de trente jours
pour approbation à la majorité des votants. Cependant, la révision ne
peut porter sur les dispositions constitutionnelles relatives aux principes
de liberté et d’égalité, à moins que les amendements visent à apporter
des garanties supplémentaires1. Enfin, le referendum est aussi obligatoire
pour la ratification des traités de paix et d’alliance ainsi que les traités qui
touchent à la souveraineté, cela désigne une catégorie d’accords assez large
qui couvre au moins les traités territoriaux et ceux qui pourraient affecter
les droits et libertés des citoyens2.
Toutefois, le constituant égyptien va plus loin puisqu’il institue
des mécanismes de responsabilité devant le peuple. Ce dernier reçoit la
faculté de confirmer ou de retirer sa confiance à ceux qu’il a élus, aussi
bien le Président que les membres du Parlement. De plus il intervient
dans la solution des crises politiques qui pourraient opposer le pouvoir
exécutif à la Chambre des représentants. Les mandats présidentiel et
parlementaire sont relativement courts, quatre et cinq ans, mais en outre,
leurs titulaires sont responsables et donc révocables : ils doivent bénéficier
de la confiance populaire. Le projet de 2013 confirme, sous réserve de
quelques aménagements techniques, les solutions de 2012 relatives à la
dissolution et à la formation du gouvernement, mais il les prolonge et
innove en instituant la responsabilité du chef de l’État devant le peuple.
En premier lieu, si le Président dispose du droit de dissolution il ne
peut l’exercer de façon discrétionnaire et sa décision est suspendue à l’issue
d’un referendum3. En effet, le Président ne peut dissoudre la Chambre
des représentants sauf quand cela est nécessaire par une décision motivée.
Il doit alors prendre la décision de suspendre la session parlementaire
et soumettre la dissolution à un referendum dans le délai de vingt
jours. En cas de résultat positif, le Président de la République prononce
la dissolution et provoque des élections dans le délai de trente jours.
1
Art. 226
2
Art. 151
3
Art. 137 (article 127 modifié de la Constitution de 2012)
39
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Sans doute, le texte est sibyllin sur les circonstances dans lesquelles
le Président apprécie la nécessité de la dissolution, mais il ne s’agit pas
moins d’une dissolution conditionnelle, la décision est suspendue à la
volonté du peuple souverain qui interviendra deux fois successivement en
se prononçant sur l’opportunité du renouvellement de la Chambre des
représentants puis sur l’élection d’une nouvelle majorité.
En deuxième lieu, le peuple peut influencer la formation du
gouvernement. Le Président de la République charge le Premier ministre
de former le gouvernement et de présenter son programme à la Chambre
des représentants. Si celui-là n’obtient pas la confiance de la majorité
des membres de la Chambre dans un délai de trente jours, le Président
nomme un Premier ministre issu de du parti ou de la coalition qui détient
la plus grande partie des sièges mais si le gouvernement ne parvient pas à
réunir la majorité constitutionnelle dans un vote de confiance, celle-là est
considérée comme dissoute et le Président provoque des élections dans le
délai prescrit par la Constitution. Dans ce cas, le Premier ministre présente
son gouvernement et son programme à la nouvelle assemblée1.
En troisième lieu, l’arbitrage populaire peut intervenir à l’occasion
de la mise en cause de la responsabilité du chef de l’État2. À cet égard, le
texte de 2013 innove et renforce la démocratie semi-directe en établissant
une forme de responsabilité des pouvoirs publics devant le peuple En
effet, la Chambre des représentants peut proposer de retirer la confiance
au Président de la République et par conséquent le recours à une élection
présidentielle anticipée par le vote d’une motion motivée, signée par une
majorité des membres de la Chambre et approuvée par les deux-tiers de
ses membres. Si ces conditions sont satisfaites, la question est soumise
au referendum par le Premier ministre. Si le retrait de la confiance est
approuvé par la majorité du peuple, le Président est relevé de ses fonctions,
il y a vacance de la Présidence et de nouvelles élections doivent intervenir
dans le délai de soixante jours à partir de la proclamation des résultats du
referendum. Si la proposition est rejetée par referendum, la Chambre des
1
Art. 146 (article 139 modifié de la Constitution de 2012) : la crise ministérielle ne peut
excéder 60 jours.
2
Art. 161
40
Les grandes lignes institutionnelles
représentants est considérée comme dissoute et le chef de l’État provoque
l’élection d’une nouvelle assemblée dans les trente jours. C’est un cas
de dissolution automatique qui permet au peuple de trancher le conflit
entre le Président de la république et la Chambre des représentants qui
peut ainsi être désavouée. Même en l’absence de conflit, ce mécanisme de
responsabilité devant le peuple peut simplement redresser des inflexions,
voire corriger des déformations des deux principaux pouvoirs institués.
Il est tentant à cet égard d’esquisser un rapprochement avec l’analyse
des institutions françaises par René Capitant. Il est vrai que la composition
du comité des 50 qui a rédigé le projet égyptien reflète des vues doctrinales
inspirées par l’expérience française. À la manière des institutions de la
Ve République, « le système de responsabilité et de confiance a pour but de
réaliser une harmonie » : « l’harmonie entre ces trois facteurs essentiels de
la vie politique que sont le président, l’assemblée et la majorité populaire,
ou plus exactement la majorité électorale, le président et la majorité
parlementaire, car c’est la majorité parlementaire qui est chargée d’exercer
le contrôle… ».1
C’est ainsi, pour reprendre la conclusion de Capitant que « par
la subordination commune du président et de la majorité parlementaire
à la volonté populaire que se rétablissent finalement l’unité de l’État et la
cohérence de la politique nationale »2.
On comprend mieux alors, l’orientation constitutionnelle du régime
égyptien qui pourrait en résulter sous la forme d’un présidentialisme modéré.
II - La démocratie par la séparation des pouvoirs
De la Constitution de 2012 on a pu dire qu’elle institutionnalise
l’instabilité. Cela tient à un certain flou dans la répartition des compétences
entre les principaux organes. Il était difficile de qualifier le régime tant
la Constitution apparaissait construite de bric et de broc empruntant
à différents types et voulant embrasser l’ensemble des aspirations qui
s’étaient exprimées dans la Révolution. Le projet de Constitution de 2013
1
René Capitant, Démocratie et participation politique, Paris, Bordas, 1970, pp 167 et ss ; Ecrits
constitutionnels, Paris, Ed. du CNRS, 1982, pp 429 et ss.
2
Ibidem, p 169, p 431.
41
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
tend à corriger les défauts du texte original ; d’emblée il affirme que le
régime politique est fondé sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs. Cet
équilibre est complexe, singulier et il se combine avec la reconnaissance
d’une autonomie du pouvoir militaire. Les solutions retenues sont peutêtre transitoires et assurément perfectibles.
1 - La recherche d’un équilibre
L’aménagement des pouvoirs apparaît relativement traditionnel.
Les pouvoirs législatif et exécutif sont distincts et séparés, leurs rapports sont
organisés de telle manière qu’ils pourraient évoquer un parlementarisme
rationalisé. Toutefois la prépondérance présidentielle est manifeste.
Les observateurs ont parfois perçu dans les amendements de 2013 un
renforcement des pouvoirs du Président or celui-là est plutôt limité par
rapport au texte précédent même si le régime semi-présidentiel s’affirme.
1) Dans la présentation constitutionnelle des pouvoirs publics,
le pouvoir législatif apparaît en premier lieu. Le texte initial retenait le
bicamérisme, la nouvelle version de la Constitution confie le pouvoir législatif
à la seule Chambre des représentants élargie à 450 membres élus au suffrage
universel direct pour cinq années. Le Président de la République, cependant,
peut nommer un certain nombre de membres dans la limite de 5 % de
l’effectif total. La loi déterminera les conditions d’exercice de ce pouvoir de
désignation ainsi que le système électoral, le mode de scrutin pour lequel les
différentes solutions sont possibles, le découpage électoral en tenant compte
d’une représentation équitable des gouvernorats et des électeurs1.
La Chambre siège en session ordinaire d’au moins neuf mois et elle
peut être convoquée en session extraordinaire par le chef de l’État. Elle vote
la loi, elle approuve la politique générale de l’État, le plan de développement
économique et social et le budget de l’État 2 dans les conditions prévues par
la Constitution et les lois organiques. Elle exerce un pouvoir de contrôle
1
Art. 102. En 2011, un mode de scrutin mixte avait été choisi. Il semble que le scrutin de
liste ait la faveur de la plupart des partis mais certains (Mouvement Populaire Nassérien,
Tamarod…) considèrent qu’un scrutin uninominal permettrait de limiter le poids des partis
islamistes.
2
Art. 101, 121 (quorum et vote), 122 (initiative des lois), 124 (budget), 125-128 (dispositions
financières).
42
Les grandes lignes institutionnelles
sur le pouvoir gouvernemental par les moyens traditionnels : questions,
débats, commissions d’enquête, contrôle financier…
Surtout, le gouvernement – cabinet – est responsable devant la
Chambre dans laquelle le Premier ministre, les ministres et leurs adjoints
ont droit d’entrée et de parole1. Il s’agit d’une responsabilité individuelle
de chaque membre du gouvernement, collective et solidaire si cela est
annoncé par le gouvernement avant le vote2. D’une part, une procédure
d’interpellation est prévue ; d’autre part une motion de censure peut être
votée contre le gouvernement, à la suite d’une interpellation, aux termes
d’une rédaction constitutionnelle un peu différente de celle de 20123, et
suivant des règles qui dénotent une certaine défiance envers une majorité
ou un gouvernement de coalition et la volonté d’éviter l’instabilité
ministérielle qui pourrait résulter d’un parlementarisme inorganisé.
On peut regretter la disparition de la seconde assemblée qui
aurait pu offrir les vertus du bicamérisme, mais la Choura avait un rôle
essentiellement consultatif et elle était en partie désignée par le Chef de
l’État, prérogative qui demeure dans une mesure comparable à l’égard de
la Chambre des représentants.
2) Le pouvoir exécutif est incontestablement dominé par le
Président de la République. Élu au suffrage universel direct pour quatre ans,
rééligible une seule fois, il peut être présenté par les citoyens eux-mêmes
ou par leurs représentants. Chef de l’État et du pouvoir exécutif, il a pour
mission de s’occuper des intérêts du peuple, de garantir l’indépendance,
l’intégrité territoriale et la sécurité de la nation et d’agir conformément aux
dispositions de la Constitution4.
Chef de l’exécutif, le Président a le pouvoir de nommer le Premier
ministre qui aura la tâche de former le cabinet lequel devra être investi
1
Art. 136
2
Art. 131
3
Art. 130 et 131 nouveaux, articles 125, 126 de la Constitution de 2012.
4
Art. 139 qui reprend la rédaction de l’article 132 de 2012 qui précisait, cependant, qu’il
observe la séparation des pouvoirs.
43
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
par la Chambre dans les conditions relevées ci-dessus qui laissent une
place déterminante aux électeurs en cas de difficulté dans la formation du
gouvernement.
Dans sa version de 2012 la Constitution prévoit que le Président
exerce le pouvoir présidentiel par l’intermédiaire du Premier ministre et des
membres du cabinet sauf dans les domaines réservés de la défense, la sécurité,
les affaires étrangères qui relèvent des pouvoirs propres. Cette disposition
a disparu du nouveau texte. En revanche, comme précédemment, il peut
déléguer ses pouvoirs au Premier ministre, à ses adjoints, aux ministres
ou aux gouverneurs1 mais en cas de vacance il est remplacé par le Premier
ministre et non plus par le président de la Chambre des représentants.
En termes généraux, toutefois, la nouvelle rédaction retient
inversement un cas d’« exemption gouvernementale » qui permet au
Président d’exempter le gouvernement d’accomplir ses tâches avec
l’approbation d’une majorité de la Chambre. Le Président peut alors
remanier le cabinet après consultation du Premier ministre et avec
l’approbation de la Chambre à la majorité des présents représentant un
tiers de ses membres. Cette situation n’est pas très claire, elle échappe à
la dramatisation de l’état d’urgence qui est prévu par ailleurs, mais elle
laisse ouvertes diverses hypothèses. Cette disposition située après celle
relative à la formation du gouvernement pourrait viser une situation dans
laquelle cette formation se révèle difficile malgré le recours à la dissolution
et contraint à un gouvernement de coalition dont le Président peut, non
seulement choisir les ministres de la justice, de l’intérieur et de la défense,
ainsi que le prévoit la Constitution2, mais aussi remanier le gouvernement
pour conduire directement les affaires avec une majorité minimale.
En temps normal, le Président de la République peut réunir le
gouvernement pour délibérer de sujets importants et il préside alors les
réunions auxquelles il participe. Conjointement avec le cabinet, il formule
la politique générale de l’État et veille à son application3. Il nomme aux
1
Art. 148
2
Art. 146 dernier alinéa.
3
Art. 149 et 150
44
Les grandes lignes institutionnelles
emplois civils et militaires et il dispose d’un pouvoir de révocation, il
représente l’État dans les relations internationales, conclut et ratifie les
traités après l’approbation de la Chambre des représentants. Il dispose du
droit de grâce.
Commandant suprême des armées, le Président ne peut déclarer la
guerre ou envoyer les forces pour combattre hors du territoire sans consultation
préalable du Conseil National de défense et l’approbation de la Chambre des
représentants à la majorité des deux-tiers1. Il peut déclarer l’état d’urgence après
consultation du cabinet et conformément à la loi mais une telle proclamation
est soumise à l’approbation de la Chambre dans un bref délai2.
Dans ses rapports avec le pouvoir législatif, le Président peut exercer
l‘initiative des lois, il communique avec la Chambre par des messages, il
convoque les sessions parlementaires ordinaires ou extraordinaires, il peut
demander à la Chambre de siéger à huis clos, il promulgue les lois et dispose
d’un droit de veto qui lui permet d’imposer une nouvelle délibération
de la loi mais qui peut être brisé à la majorité des deux-tiers3. Dans les
conditions évoquées ci-dessus, il peut recourir au referendum. En dehors
des sessions et en cas d’urgence, il peut légiférer par décret sous réserve de
ratification par la Chambre dans les meilleurs délais après l’ouverture de la
session suivante ou à défaut les textes perdent leur légalité à moins que la
Chambre n’en décide autrement4.
En revanche, outre la mise en jeu de sa responsabilité politique
devant le peuple par la Chambre, le Président peut faire l’objet d’une
procédure d’empêchement pour haute trahison ou félonie. Mis en
accusation par un vote à la majorité qualifiée, il peut être traduit devant
une cour spéciale composée des représentants des plus hautes juridictions
et il peut être destitué sans préjudice d’autres peines5.
1
Art. 152
2
Art. 154
3
Art. 123
4
Art. 156
5
Art. 160
45
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
La Constitution accorde ainsi une place déterminante au Chef
de l’État sans que le texte nouveau ait renforcé ses pouvoirs de façon
significative tandis que sa responsabilité politique pourra désormais être
engagée devant la Nation.
Le gouvernement existe. Il ne se réduit pas à un cabinet présidentiel
et il est même défini par la Constitution comme l’organe exécutif et
administratif suprême1. Il assure pleinement le travail gouvernemental : il
collabore avec le Président pour mettre en oeuvre la politique de l’État,
il assure le maintien de la sécurité de la nation et la protection des droits
des citoyens, il dispose de l’initiative des lois et assure leur exécution, il
prépare le budget et le plan général de l’État, il dirige l’administration et
entretient les relations avec le Parlement. Toutefois, responsable devant la
représentation nationale il ne dispose pas du droit de dissolution, mais il
pourrait, avec l’appui d’une majorité à la Chambre, exercer des pressions
sur le chef de l’exécutif. De sorte que, sans s’inscrire dans la tradition du
parlementarisme dualiste le régime dessiné par le constituant égyptien
relève de la catégorie aux multiples variations du régime semi-présidentiel.
Tel était semble-t-il, le souhait des principaux partis qui au sortir
d’une présidence concentrée et autoritaire préféraient évoluer vers un
régime qui offre à la représentation parlementaire et à la nation des moyens
d’intervenir et de contrebalancer le chef de l’exécutif. En général, les
aspirations allaient au régime parlementaire mais celui-là suppose des partis
politiques forts et organisés et une nette détermination de la majorité et de
l’opposition, produits de l’histoire autant des techniques juridiques et du
système électoral. Aussi, à titre transitoire ou par résignation, les dirigeants
des principaux partis qui ont soutenu le changement de juillet 2013
se satisfont du système semi-présidentiel à forte dose de participation
démocratique issu des travaux du comité des Cinquante2.
En revanche, la Constitution fait une place à part à l’armée qui, à certains
égards, constitue dès le texte de 2012 un pouvoir constitutionnel distinct.
1
Art. 163
2
Voir Inside Egypt’s draft Constitution : checks and balances mediate presidential power,
Ahramonline, 12 December 2013, consulté le 27 déccembre
46
Les grandes lignes institutionnelles
2 - L’autonomie constitutionnelle des forces armées
En raison des événements qui ont précédé la révision du texte de
2012 et plus généralement du rôle déterminant du conseil suprême des
forces armées dans la révolution de 2011, la situation exceptionnelle faite
à ces forces et à la police dans le projet de Constitution n’est pas une
surprise. De plus, cela se limite à confirmer le statut particulier consacré par
le texte de 2012 qui a érigé les forces armées en un pouvoir constitutionnel
autonome alors inattendu car les dispositions de la Constitution de 1971
relatives à l’armée et à la police étaient modestes.
Cette situation singulière est légitimée dès la première phrase de
l’article 200 : « les forces armées appartiennent au peuple ». Or celui-ci
est souverain et source de toute autorité, faut-il pour autant en conclure
que l’autorité militaire est fondée à constituer un pouvoir autonome dans
l’ordre constitutionnel ?
Le texte rappelle fort heureusement que la création de forces armées
relève de la compétence exclusive de l’État mais il semble paradoxal que des
règles et des institutions spécifiques fassent échapper ces forces à l’autorité
civile. Cette situation n’est pas nouvelle, elle était consacrée par le texte de
2012 ce qui rendait prévisible le recours à la force armée dans l’hypothèse
d’un désordre qui s’est assez vite réalisée. Le comité des Cinquante n’innove
guère, il prolonge une solution en s’efforçant de l’encadrer par le droit.
Tout d’abord, les forces armées sont régies par un Conseil suprême
dont la composition et les compétences restent à déterminer par la loi1.
Le Ministre de la défense, commandant en chef des armées, est choisi
parmi les officiers, et selon l’article 234 de la Constitution, il est nommé
avec l’accord du Conseil suprême : cette disposition restera en vigueur
pendant deux mandats présidentiels entiers à compter de l’application de
la Constitution. En somme, le Conseil suprême nomme le ministre de la
défense. Selon le Président du comité des Cinquante, Amr Moussa, « il
1
La composition de ce conseil est donnée par divers sites internet ; il regroupe le chef d’étatmajor et les chefs de corps d’armée ainsi que d’autres officiers, sous l’autorité du Maréchal
Hussein Tantaoui et depuis 2012 du général Fatah Khalil Al-Sisi. Voir State Information
Service, Your Gateway to Egypt, www.sis.gov.eg qui publie communiqués du Conseil suprême
des forces armées et informations officielles.
47
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
n’est pas question d’octroyer l’immunité au ministre de la défense. Il s’agit de
défendre les intérêts nationaux alors que les forces armées sont engagées dans
une bataille féroce contre le terrorisme ».
En cas de déclaration de guerre ou d’envoi des forces armées par le
Président le Conseil suprême est consulté et par substitution, le Président
doit obtenir l’approbation du Conseil National de Défense si la Chambre
des représentants est dissoute.
En revanche, la Constitution évoque la composition et la mission
générale du Conseil suprême de la police1.
Ensuite, la Constitution institue deux conseils : d’une part, le
conseil national de sécurité chargé d’adopter la stratégie pour la sécurité
du pays, de prendre les mesures utiles face aux catastrophes et aux crises
et d’identifier les menaces internes et externes ; d’autre part et surtout,
le conseil de défense nationale est responsable des méthodes destinées à
assurer la sécurité et la sûreté du pays, il est chargé du budget des forces
armées et il est consulté sur tout texte législatif relatif aux forces armées2.
L’autonomie du budget des forces armées est consacrée et ce budget
demeure classé « secret défense ». Autant la consécration d’une compétence
spécifique à des institutions particulières remarquable dans de nombreux
pays se justifie sous l’angle militaire et de la défense, autant l’autonomie
législative et budgétaire qui s’y attache peut susciter une certaine perplexité
à terme, une fois passées les circonstances exceptionnelles que traverse le
pays.
Enfin, est intégré dans la constitution le principe d’une justice
militaire indépendante de l’autorité judiciaire, exclusivement compétente
pour juger tous les crimes relatifs aux forces armées, mais aussi,
exceptionnellement, les civils auteurs de crimes contre les biens, les officiers
et le personnel des forces armées dans l’exercice de leurs fonctions. La loi
détermine ces crimes et les autres compétences de la justice militaire3. La
solution retenue n’est pas unique ni propre à un régime militaire. Elle trouve
1
Art. 207
2
Art. 203
3
Art. 204
48
Les grandes lignes institutionnelles
des illustrations dans certains États, en particulier en Afrique, au Proche
Orient mais aussi en Europe pour certaines infractions1 ; néanmoins, elle
ne manque pas, avec d’autres, de soulever des critiques2.
La pratique révélera l’influence de l’armée sur l’évolution
du régime mais la place qui lui est faite dans les institutions constitue
incontestablement un facteur d’incertitude ; imposée par les circonstances,
elle confère aux dispositions actuelles une nature transitoire. Le projet de
Constitution est perfectible car il comporte d’autres imprécisions - voire
des lacunes - sur les relations entre les diverses autorités auxquelles sont
confiées des fonctions dont la coordination et la cohérence appelleront,
sans doute, des mises au point pratiques.
Ainsi, suivant en cela une tendance des États à multiplier les
agences, autorités et organismes indépendants, le projet de Constitution
égyptien consacre des dispositions à la Commission nationale des élections,
au Conseil national des médias, aux conseils nationaux et à des agences de
réglementation et autres organismes indépendants dont l’objet est divers
et parfois indéterminé. On peut s’interroger d’abord sur l’opportunité
d’alourdir un texte constitutionnel déjà long par des dispositions qui
pourraient relever de textes organiques. Or, il revient au Président de la
République de nommer les dirigeants de ces différents organes indépendants
dont le rôle et les organes ne sont pas définis.
Ensuite, l’indépendance de l’autorité judiciaire est affirmée par la
Constitution et devrait être garantie par la loi3. Néanmoins, la Constitution
ne donne pas une vue globale du système judiciaire du pays, elle ne met
pas clairement en place les institutions et les procédures susceptibles
de garantir la stabilité et l’indépendance effectives du corps judiciaire.
Par-delà l’affirmation de la compétence générale de la Cour suprême
constitutionnelle, elle laisse subsister une incertitude sur le règlement des
conflits de compétence qui pourraient opposer les différents ordres.
1
Elisabeth Lambert Abdelgawad (éd.) Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation.
Perspectives comparées et internationales, Paris, Ed. des archives contemporaines, 2007.
2
Rapport
3
Art. 184 et ss
49
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Enfin, il est fait référence ici et là aux traités internationaux, mais
la Constitution ne comporte aucune disposition générale qui régit les
rapports entre le droit interne et le droit international général ou les traités.
Une formule générale indique seulement que les traités internationaux
ont force de loi après leur publication « en accord avec les circonstances
spécifiques », ce qui ne donne aucune garantie sur l’effet des traités dans
l’ordre interne et leurs rapports avec la loi ou la Constitution.
Or la Constitution, si elle est ratifiée par la Nation en janvier 2014,
sera une constitution rigide dont la révision implique une procédure lourde,
assez longue et toujours sanctionnée par un referendum ce qui n’est pas de
nature à faciliter son adaptation. Il est vrai qu’une constitution n’est qu’un
cadre et qu’il revient largement aux hommes et aux forces politiques de
façonner le régime qui en découle, à plus forte raison quand, comme dans
le cas présent, elle accorde largement au peuple souverain l’arbitrage ultime
50
Christophe Boutin
Identité et souveraineté dans le projet
de constitution égyptienne de 2014.
Avec le nouveau texte constitutionnel
proposé au référendum en janvier 
2014,
l’Égypte propose une vision « officielle » de son
identité. Alors que se pose à elle, comme à tant
d’autres États, et pas seulement dans le monde
arabe, la redoutable question de l’identité
première du citoyen, entre son allégeance
religieuse et son allégeance nationale, elle fait
clairement primer la seconde en présentant
un « roman national » d’autant plus difficile
à modifier qu’il est maintenant gravé dans
le marbre constitutionnel. C’est en effet une
large part du Préambule de cette constitution,
sur lequel il est essentiel de s’arrêter.
Les préambules des constitutions,
parfois très resserrés, parfois plus longs, sont
généralement destinés à « poser le décor »,
c’est-à-dire à présenter le cadre pour lequel
et dans lequel la constitution proprement
dite, comprise comme la suite d’articles
encadrant l’organisation institutionnelle et
rappelant éventuellement quelques libertés
essentielles, va prendre place. C’est pourquoi
le constitutionnaliste a parfois tendance à
passer rapidement sur cette introduction,
considérant qu’il s’agit là de déclarations de
pure forme, non normatives, de « neutrons
constitutionnels », pour paraphraser le juge
constitutionnel français.
51
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Pour autant, il faut sans doute y regarder de plus près. Il ne s’agit
pas ici du préambule d’un texte législatif, simple rappel des nécessités
qui ont pu conduire à légiférer. Ce texte veut nous expliquer qui est le
rédacteur de la constitution qui suit, comment il se pense face au reste du
monde, et peut-être aussi pourquoi il peut se présenter en théétète et poser
ces lois qui vont organiser l’État. Car derrière cette présentation se pose
nécessairement la question de la légitimité de ce constituant, une légitimité
qui sert aussi à fonder la souveraineté de l’État ainsi (re) constitué.
C’est pourquoi il importe d’examiner les préambules pour tenter de
mieux comprendre la personnalité, l’identité, de ces peuples qui croient bon
d’en faire des modèles élaborés. Or les constitutions égyptiennes de 1971,
2012 et 2014 ont retenu de longs préambules descriptifs. Tous exposent
à la fois ce qu’est l’Égypte pour le constituant et ce qu’a été la révolution
qui a donné jour à la constitution. Tous posent ensuite des objectifs ou
des principes qui sont censés éclairer la lecture des autres dispositions
constitutionnelles. Quant à leur valeur, n’en déplaise aux « techniciens du
droit » l’article 227 du texte de 2014, qui précise que « la Constitution et
son préambule forment un tissu indivisible. Leurs dispositions constituent
un ensemble cohérent »1, ne laisse aucun doute.
Mais après avoir tenté de suivre la définition de cette identité, il
faut prendre en compte du fait qu’il s’agit de celle d’un pays et d’un peuple
souverains, une notion qui revient souvent sous la plume d’un constituant qui
conclue ainsi son Préambule : « Nous sommes le peuple égyptien, souverain
dans une patrie souveraine. C’est notre volonté et c’est la Constitution de
notre révolution. ». Reste alors à voir comment trouvent leur place les organes
nationaux chargés d’assurer la souveraineté externe (armée) ou interne (police),
puis comment le droit national égyptien se confronte au droit international.
1
Les traductions du texte constitutionnel en français sont de notre fait, essentiellement sur la
base de la traduction anglaise suivante : Draft dated 2 December 2013 of the Constitution of
the Arab Republic of Egypt Prepared pursuant to Article 29 of the Constitutional Declaration
dated 8 July 2013 Unofficial translation prepared by International IDEA. On également été
utilisées des traductions de l’arabe. D’autres textes ont circulé sur Internet en anglais que la
version utilisée ici à titre principal, résultant peut-être de phases antérieures du travail de
préparation. C’est le cas du Préambule publié sur le site Egypt Indépendent, intéressant par les
quelques différences d’avec la version finale.
52
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
I - Les préambules égyptiens : quel souverain
pour quelle souveraineté ?
On ne peut saisir l’apport du texte de 2014 si on ne le rapproche
pas de deux prédécesseurs, non seulement celui de 2012 bien sûr, auquel
il est parfois une réponse, mais aussi celui de 1971, et ce pour mieux saisir
l’évolution égyptienne et la « renationalisation » de sa perspective historique.
A - Révolutions et libertés : 1971 et 2012.
Le préambule de la constitution du 2 septembre 1971 reste
marqué par l’origine nassérienne de l’Égypte républicaine : le constituant
d’alors, ce sont « les masses laborieuses du peuple d’Égypte ». Pour autant,
l’approche quasi marxiste que pourrait suggérer cette formule prend
plutôt une dimension nationaliste car elle est aussitôt nuancée par deux
éléments. D’abord, par une perspective historique qui ancre l’Égypte dans
son histoire la plus ancienne, et ne présente donc pas la révolution comme
une rupture définitive d’avec son passé, loin des tables rases des révolutions
marxistes : l’Égypte reste une « terre dont la gloire remonte à l’aube de
l’histoire et de la civilisation ». Ensuite, parce que l’unité nationale prime
sur la conscience de classe. Ces masses sont en effet à la fois rurales et
urbaines (« dans les villages, les champs, les usines »), autant prolétaires
qu’intellectuelles (dans « les chantiers de travail et les instituts de savoir »),
et on toutes vocation à « forger la vie » du pays, aspect de la citoyenneté
partagée, comme à participer « à l’honneur de défendre son sol » avec la
conscription. « L’alliance des forces laborieuses du peuple » est donc un
élément essentiel de sauvegarde d’une unité nationale, indispensable pour
éliminer « les antagonismes qui opposent entre elles les couches sociales ».
Quant à la religion, évoquée dans les troisième et quatrième alinéas, il s’agit
d’une spiritualité très générale. « Nous - écrit le texte en parlant des masses
- (…) croyons profondément en notre patrimoine spirituel (…), sommes
fortement attachées à notre foi (…) et tenons fièrement à l’honneur de
l’homme et du genre humain ». Ce n’est qu’ensuite seulement que les
masses prennent des engagements, comme pour ajouter à leur solennité,
« devant Dieu et avec Son appui, sans conditions ni réserves ».
De quels engagements s’agit-il ? La constitution de 1971, en
entonnoir, part de l’humanité pour arriver à l’Égypte. Le premier
53
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
engagement pris est donc d’œuvrer pour « la paix dans le monde »1, le
deuxième d’aboutir à « l’Union, espoir de notre Nation Arabe », et le
troisième de permettre « le développement constant du progrès de la vie
de notre Patrie ». À ce moment du texte, ce préambule rappelle encore
l’histoire, « les potentialités et le génie créateur » d’un peuple qui, « tout
au long de l’histoire, a joué un rôle prépondérant dans la promotion de sa
propre civilisation et celle de l’humanité ». Et puisque, dans l’histoire la plus
récente, la révolution égyptienne a été l’« alliance des forces laborieuses »
d’un peuple qui manifestait « sa parfaite prise de conscience et son sens
aigu des réalités », c’est en restant fidèle aux principes de cette révolution
que l’Égypte peut continuer à progresser. Le quatrième engagement
concerne le respect de « la liberté de l’homme égyptien » c’est-à-dire
notamment sa « dignité ». Et le texte de rappeler alors que la primauté
de la loi et la garantie des libertés individuelles sont les fondements d’un
pouvoir légitime. Les constituants de 1971 déclarent enfin, « avec toute
la détermination, la certitude et la foi qui (les) animent, pleinement
conscientes de nos responsabilités à l’égard de notre patrie, de notre nation
et du monde entier, reconnaissant le droit de Dieu et de Ses Révélations »,
accepter la constitution et affirmer leur « détermination à la défendre, la
protéger et à en assurer le respect ».
La Constitution de 2012, rédigée sous l’égide des Frères Musulmans,
commence bien évidemment sous des auspices plus religieux que celle de
1971. C’est cette fois « le peuple d’Égypte » qui place avant toute chose
son texte sous la garde de Dieu : « Au nom d’Allah le Tout Miséricordieux,
le Très Miséricordieux et avec Son aide, déclarons la présente comme notre
constitution ».
Vient immédiatement après cette invocation une présentation de
la révolution qui vient d’avoir lieu lors de ce fameux « printemps arabe ».
Le texte qui suit se veut « la charte de la Révolution pacifique, pionnière,
entreprise par notre jeunesse, autour de laquelle notre peuple s’est rassemblé,
et que nos forces armées ont soutenue ». Trois éléments sont donc bien
distingués : le moteur révolutionnaire de la jeunesse, l’agrégation populaire
1
Une paix qui suppose justice, progrès politique et social, liberté et indépendance des peuples,
et qui bannit l’exploitation « sous quelque forme qu’elle s’exerce ».
54
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
ensuite, le soutien de l’armée enfin, le tout arrivant à son but grâce « au sang
des martyrs, à la souffrance des blessés, au rêve des enfants et à la lutte des
hommes et des femmes ». Cette révolution est ensuite une révolution des
valeurs : le peuple d’Égypte est censé avoir refusé « à la place Tarhir1 et à
chaque endroit du pays, toute forme d’injustice, d’oppression, de despotisme,
d’autocratie, d’exclusion, de pillages, de corruption et de monopole », et
proclamé ses droits « à une vie digne, à la liberté, à la justice sociale, à la
dignité humaine ».
Voilà pour l’unité révolutionnaire. Mais si cet acte rompt brutalement
avec le régime corrompu qui précédait, il est aussi et surtout présenté comme
un ré-enracinement dans les valeurs de l’Égypte ancienne. Il a en effet restauré
« l’esprit de notre grande civilisation, le parfum de notre histoire fleurie, qui
a bâti sur les rives du Nil éternel l’État le plus ancien, lequel a connu le sens
de la citoyenneté, de l’égalité et de la non-discrimination, donné au monde
le premier alphabet, ouvert la voie au monothéisme et à la connaissance du
Créateur, accueilli les prophètes de Dieu et Ses révélations, et qui a garni
les pages de l’histoire humaine par des cortèges de créations ». On notera la
place plus grande accordée à l’islam par rapport à 1971, le présentant comme
l’aboutissement nécessaire de la civilisation égyptienne.
La Constitution de 2012 précise ensuite onze principes qui encadrent
le reste du texte, qui doit se lire à leur lumière. Certains définissent le type
d’État démocratique2, d’autres évoquent la « dignité de l’individu »3. Cette
1
La place Tahir (« de l’Indépendance » ou « de la Libération »), sur laquelle se trouvent pêlemêle, et on admirera les symboles, le siège de la Ligue arabe, celui du parti unique de l’époque
Moubarak, le Parti National Démocratique, l’université américaine, le Hilton, le musée
égyptien et la mosquée Omar Makram, du nom du nationaliste tué par les Français en 1807,
a été le cadre des manifestations populaires cairotes et notamment des manifestants de 2011.
2
On y lit que « le peuple est la source de tous les pouvoirs », que « le régime du gouvernement
est démocratique » ce qui veut dire à la fois qu’il y a « alternance pacifique », « pluralisme
politique et multipartisme », des élections libres et sincères et une réelle participation populaire.
Le texte rappelle aussi « la souveraineté de la loi, base de la liberté de l’individu, de la légitimité
du pouvoir et de la soumission de l’État à la loi », garantie par une magistrature indépendante,
chargée « de défendre la constitution, rétablir la justice et préserver les droits et libertés ».
3
Avec une mention particulière pour celle des femmes, « soeurs des hommes et leurs partenaires
dans les acquis et les responsabilités de la nation ».
55
dignité suppose l’exercice de nombreuses libertés : de penser, d’expression, de
création, de propriété, de logement ou de circulation, expressément citées,
mais toutes justifiées, et ce point est révélateur, non par un hypothétique
standard international, mais par la volonté divine, puisque « le Créateur en a
jeté les bases dans le mouvement de l’univers et l’instinct des êtres humains ».
Quant à la nation proprement dite, le premier principe contenu
dans le préambule de 2012 est celui de la parité et de l’égalité des chances, car
l’unité nationale doit être préservée, avec « tolérance et modération », contre
tout ce qui pourrait lui porter atteinte. Dans le domaine international, le
préambule de la constitution de 2012 rappelle que « l’unité est l’espoir de
la Nation arabe », mais n’oublie pas « la complémentarité et la fraternité (de
l’Égypte) avec les pays du bassin du Nil et le monde islamique ». Elle évoque
enfin l’influence intellectuelle exercée par l’Égypte dans le monde, oeuvre
« de ses créateurs, ses penseurs, ses universités, ses académies scientifiques
et linguistiques, ses centres de recherche, sa presse, ses arts, ses lettres, ses
médias, son église patriotique » mais aussi, et on a presque envie de dire
surtout, oeuvre de Al-Azhar, « qui a été, le long de son histoire, le pilier
de l’unité nationale, de la langue arabe immortelle et de la glorieuse charia
islamique et le phare de la pensée éclairée » 1. En conclusion de quoi le peuple
d’Égypte, « ayant foi en Allah et en Ses révélations », s’engage à rester fidèle
aux principes énoncés.
B - 2014 ou l’histoire nationale.
Contrairement aux deux précédents, le préambule de la Constitution
égyptienne de 2014 ne précise pas immédiatement dans son préambule
quel en est le rédacteur, et il faut attendre la fin des considérations portant
sur l’Égypte et la Révolution pour qu’apparaissent « les Égyptiens ».
Comme celui de 2012 par contre il se place immédiatement dans une
perspective religieuse, puisqu’avant même le mot « Préambule » est placé
à nouveau la formule : « Au nom de Dieu, le Très Miséricordieux, le
1
L’université de Al-Azhar (La Splendide), liée à la mosquée du même nom, fondée en 969
au Caire est l’une des plus anciennes du monde islamique après celle de Tunis (Zitouna), Fès
(Al Quaraouiyine) et Cordoue. Au XIXe siècle, avec la Nahda, la Renaissance islamique, elle
devient le cœur de l’enseignement supérieur égyptien. Elle compte 20.000 étudiants dont
5.000 étrangers.
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
Tout Miséricordieux ». Mais son véritable apport par rapport aux deux
précédents est la longue perspective historique menant de l’Égypte antique
au gouvernement né de la révolution de 2011.
Certes, on retrouve des éléments déjà rencontrés, mais replacés dans
une perspective encore plus clairement nationaliste qui fait de l’Égypte un
« cadeau du Nil » et un « cadeau des Égyptiens à l’humanité ». Née « d’un
emplacement et d’une histoire uniques », la nation arabe d’Égypte est « le
cœur du monde entier »1, et c’en serait même le cœur physique, point de
croisement « des civilisations des cultures » et « des voies de communication »,
débouché méditerranéen de l’Afrique grâce à l’estuaire du Nil.
Cette « patrie immortelle des Égyptiens » s’inscrit dans le temps le plus
ancien. « Au commencement de l’histoire », écrit le Préambule, les Égyptiens
de la plus haute Antiquité ont contribué à la formation de « la conscience
humaine », ont créé « le premier État centralisé » et « les merveilles les plus
étonnantes de la civilisation ». Dès cette origine on note une forte dimension
spirituelle et les Égyptiens se sont tournés « vers les cieux avant que la Terre
ne connaisse les trois religions révélées » 2. Mais l’Égypte est aussi le lieu par
excellence d’expression de ces dernières. « Dans ce pays, Moïse grandit, la
lumière de Dieu apparut, et le message divin descendit sur le mont Sinaï.
Sur cette terre, les Égyptiens ont accueilli la vierge Marie et son enfant et des
milliers d’entre eux y sont morts en martyrs pour défendre l’Église de Jésus.
Quand le Sceau des Prophètes Mohammed (que la Paix et les Bénédictions
Soient Sur Lui) a été envoyé à toute l’humanité pour parfaire la sublime morale,
nos cœurs et nos esprits s’ouvrirent à la lumière de l’Islam. Nous fûmes les
meilleurs soldats sur Terre pour combattre pour la cause de Dieu, et nous avons
transmis le message de vérité et les sciences religieuses au travers du monde ».
On le voit, cette présentation d’une histoire égyptienne liée au judaïsme et au
christianisme comme à l’Islam – sans parler des cultes polythéistes antiques
qui sont aussi présentés comme des voies spirituelles - est d’une radicale
nouveauté. Même si le dernier des Prophètes a apporté la Vérité, et même si
l’Égypte a embrassé massivement cette foi nouvelle et a largement contribué à
1
Plus prudente, la version d’Egypt Independent évoquait « sa place au cœur du monde Arabe,
si ce n’est du monde entier »…
2
La version d’Egypt Independent évoquait les « religions abrahamiques ».
57
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
sa propagation, le préambule de 2014 fixe une identité spirituelle égyptienne
qui n’est pas uniquement islamique. « Telle est l’Égypte, conclut sur ce point le
texte, une patrie dans laquelle nous vivons autant qu’elle vit en nous ».
On ne s’étonnera pas de voir ensuite une constitution qui insiste autant
sur l’identité nationale évoquer concrètement la protection du patrimoine
culturel et ouvrir dans son chapitre Deux, « Des composants essentiels de la
société », une section trois concernant « les éléments culturels »1. Selon son
article 47, « L’État s’engage à protéger l’identité culturelle égyptienne avec
ses diverses origines civilisationnelles ». L’article 50 précise ces dispositions en
évoquant un héritage « culturel et civilisationnel matériel et moral de l’Égypte
dans toute sa diversité, et venant des périodes Pharaonique, Copte, Islamique
et moderne » qui serait « un patrimoine national et humain que l’État
s’engage à protéger et à entretenir. Il en est de même, poursuit le texte, pour les
éléments culturels, architecturaux, littéraires et artistiques contemporains »2.
Conséquences pratiques, une protection particulière est maintenue pour les
monuments anciens à l’article 493, et l’article 32 évoque la patrimonialisation
des ressources naturelles qui « appartiennent au peuple »4.
Nouveauté encore, la suite du Préambule est une fresque historique
qui rappelle les grandes dates de la formation de l’Égypte moderne et présente
un panthéon de ses grands hommes, tous unis par une même volonté, celle
de mener un combat nationaliste d’émancipation de leur patrie des tutelles
1
Dans le texte de 2012, on trouvait seulement l’article 12 selon lequel : « L’État protège les
composants culturels, civilisateurs et linguistiques de la société et oeuvre à l’arabisation de
l’enseignement, des sciences et des connaissances ».
2
« Toute attaque sur ce patrimoine est un crime puni par la loi. L’État accorde une attention
particulière au maintien des composantes de la diversité culturelle » conclut cet article.
3
Article 49 : « L’État s’engage à la protection et à la conservation des antiquités et de leurs
sites, à leur entretien, à leur restauration, à travailler à récupérer celles qui ont été enlevés, et à
organiser et superviser les fouilles qui les concernent. Il est interdit d’en donner comme cadeau
ou de les échanger. Leur porter atteinte ou en faire le trafic est un crime imprescriptible ».
4
« Disposer de la propriété publique de l’État est interdit » dit l’article 32 de manière un peu
redondante, par rapport à l’article 34 qui traite lui d’une propriété publique, « inviolable et
à laquelle on ne peut porter atteinte ». « Il est du devoir de chaque citoyen de la protéger,
conformément à la loi » conclut ce dernier texte.
58
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
ottomane ou occidentale1. Tout commence par la création de la nation
égyptienne moderne par Mohammed Ali2, « avec l’armée nationale comme
pilier »3, mais aussi la lutte plus culturelle de Refaa4, lié à l’université Al-Azhar.
Les autres symboles de ce combat national sont Ahmed Ourabi5, Moustapha
Kamel6, et Mohamed Farid7. L’aboutissement de cette politique nationaliste
ce sont les révolutions égyptiennes. La révolution de 1919 d’abord, qui a
affranchi l’Égypte de la tutelle britannique. Trois hommes clefs sont cités pour
illustrer ce mouvement, le leader politique de cette phase insurrectionnelle
1
Un combat qui mêle souvent le nationalisme égyptien et le nationalisme arabe. Sur ce dernier,
cf. Charles Saint-Prot, Le mouvement national arabe. Émergence et maturation du nationalisme
arabe de la Nahda au Bass, Paris, Ellipses, 2013, ouvrage dans lequel on retrouvera nombre de
personnages cités dans le préambule de la constitution égyptienne de 2014, et dans le présent
ouvrage, Charles Saint-Prot, « L’évolution constitutionnelle de l’Égypte depuis 1805 ».
2
Mohammed ou Méhémet Ali (1769-1849) vice-roi d’Égypte de 1804 à 1849. Il affranchit
l’Égypte de la tutelle de l’empire ottoman et considérait même qu’elle avait vocation à remplacer
ce dernier comme puissance. Mais il se mettra en place plus une collaboration qu’une substitution.
3
La version d’Egypt Independent précisait que « Ibrahim Pacha avait forgé l’armée ». Ibrahim
Pacha (1789-1848), fils aîné de Méhémet Ali, européanise l’armée égyptienne - aidé par un
officier de l’armée française converti à l’Islam, le colonel Joseph Selves, devenu Soliman Pacha
(1788-1860) - et mène les campagnes contre les wahhabites (1816-1818), en Morée pour
appuyer les Turcs contre les Grecs (1824-1828) et en Syrie (1831).
4
Rifa’a al-Tahtawi (1801-1873), imâm de la mission envoyée en France en 1826 par Méhémet Ali,
restera cinq années à Paris. Son ouvrage L’or de Paris (1834) sera un élément de la Nahda, la renaissance
intellectuelle musulmane. Directeur de journal, traducteur, il était un des partisans de la modernisation.
5
Ahmed Urabi (1841-1911), dit aussi Ourabi Pacha, général et nationaliste, organise dès 1879
la révolte contre le pouvoir des khédives. Cette révolte nationaliste est matée par les Anglais et
Ahmed Urabi passera 19 années d’exil à Ceylan avant de pouvoir rentrer au Caire.
6
Moustapha Kamel ou Kamil (1874-1908), fils d’un officier, étudie le droit au Caire et à
Toulouse. Il lutte pour l’indépendance de l’Égypte dès 1897 avec le Parti National Égyptien,
et fonde le journal Al-Liwa en 1900. Il a rencontré le nationaliste français Maurice Barrès.
7
Mohammed Farid (1868-1919), d’une riche famille, a financé notamment la lutte nationaliste de
Mustafa Kamil, lui permettant de visiter la France et la Grande-Bretagne. Il succède à Mustafa Kamil
à la tête du Parti National Égyptien mais sera exilé en 1912 et mourra à Berlin. La version d’Egypt
Independent ajoutait à ces trois hommes « Mohammed Ebeid », Makram Ebeid (1879-1931), leader
nationaliste, membre du parti Wafd dont il est le secrétaire général de 1936 à 1942, et qui était copte.
59
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Saad Zaghloul1, son successeur au pouvoir Mosfata El-Nahhas2 et l’économiste
Talaat Harb3. L’étape suivante est bien sûr la révolution du 23 juillet 1952
menée par Gamal Abdel Nasser4, qui n’est pas présentée dans le Préambule
comme dirigée contre la dynastie au pouvoir mais comme « achevant le rêve de
libération et d’indépendance des générations précédentes ». Une indépendance
qui n’est pas un repli sur soi puisqu’elle place l’Égypte « dans l’alliance Arabe »5
et l’ouvre « au continent africain et au monde musulman »6. Se serait alors
confirmé le lien spécifique entre le peuple égyptien et son « armée patriotique
qui porte la responsabilité de protéger le territoire », une armée dont le
Préambule célèbre les victoires, celle de 1956, bien sûr, contre « l’agression
tripartite »7, mais aussi la grande « victoire d’octobre » sous Anouar al Sadate8.
1
Saad Zaghloul (1859-1927) juriste et leader nationaliste, dirigeant du parti Wafd, se heurte
aux britanniques en 1919 et est exilé à Aden, aux Seychelles puis à Gibraltar jusqu’en 1923. Il
gagne les élections de 1924, devient premier ministre puis préside le Parlement.
2
Mustafa el-Nahhas Pacha (1879-1965), juriste, rejoint le parti nationaliste Wafd en 1919 au
côté de Saad Zaghloul avec qui il sera exilé. Ministre dès 1924 il sera cinq fois premier ministre
sous la monarchie. Il est un des fondateurs de la Ligue arabe (1924).
3
Tallat Harb (1867-1941) fonde la banque égyptienne Misr en 1920, mettant en pratique ses
thèses publiées en 1907 et 1911 sur la nécessité d’une banque nationale.
4
Gamal Abdel Nasser (1918-1970), lutte contre l’influence britannique et fonde le mouvement
« des officiers libres » qui renverse le roi Farouk en 1952. Il met en place la constitution de
1956, devient président en 1958 et le reste jusqu’à sa mort. On rappellera sa présidence du
mouvement des « non-alignés » de 1964 à sa mort.
5
Le texte d’Egypt Independent se contentait de dire qu’elle « ouvrait l’Égypte au monde Arabe ».
6
Éléments repris dans l’article premier de la constitution alinéa 2 : « L’Égypte fait partie de la nation Arabe
et favorise son intégration et son unité. Elle fait partie du monde Musulman, appartient au continent
africain, est fière de sa dimension asiatique, et contribue à l’édification de la civilisation humaine ».
7
Il s’agit de l’affaire de Suez, en octobre et novembre 1956, lorsqu’à la suite de la nationalisation
du canal, des troupes françaises, anglaises et israéliennes intervinrent sur le territoire égyptien
et furent ensuite contraintes de se retirer sous la pression internationale.
8
Anouar el-Sadate (1918-1981), officier nationaliste, participe au complot anti-monarchie de
1952. Ministre, président de l’Assemblée du peuple en 1960, vice-président de la république
en 1969, il succède à Nasser un an plus tard. La guerre d’Octobre est celle dite de Kippour
(octobre 1973) dans le Sinaï. Sadate est assassiné par des militaires islamistes appartenant à un
mouvement fondé par d’anciens Frères Musulmans. Le texte d’Egypt Independent précisait que
cette victoire « nous a aidés à briser nos défaites », celle de la précédente Guerre des Six-Jours
(1967) par exemple.
60
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
Il est bien évident que cette perspective historique se doit de mener
à un point culminant, aboutissement nécessaire et logique du nationalisme
égyptien, que serait la Révolution de 2011, la révolution « du 25 janvier au
30 juin »1, « une révolution unique ». Unique selon le texte, d’abord « en
raison de l’importante participation populaire - estimée à 10 millions de
participants ». Unique ensuite à cause du rôle particulier joué par la jeunesse.
Unique encore par le fait qu’elle traduit le dépassement des divisions sociales
ou idéologiques pour regrouper l’ensemble des participants, venus de tous
les horizons, dans une même démarche patriotique. Unique enfin par « la
manière par laquelle l’armée du peuple protégea la volonté populaire soutenue
par les bénédictions d’Al-Azhar et de l’Église patriotique »2. Ici encore, c’est
très clairement la perspective nationaliste de la fusion populaire dépassant
tous les clivages sociaux, politiques ou religieux qui prévalent. Quant au lien
Armée-Révolution, on notera que, de manière significative, les martyrs de la
Révolution sont assimilés dans la suite du texte constitutionnel aux militaires
vétérans3. Il est révélateur enfin de noter que la seule révolution évoquée
reste celle de 2011 et que le préambule de 2014 ne fait pas mention des
événements ultérieurs, et notamment de la chute, elle-même révolutionnaire,
du régime mis en place par les Frères Musulmans en 2013. Ce non-dit efface
entièrement la phase constitutionnelle de 2012, établissant une filiation
directe entre la révolution de 2011 et le texte constitutionnel de 2014.
Ce lien avec le passé, cet héritage pleinement assumé, cet ancrage dans
l’histoire nationale permettent d’envisager l’avenir. « Nous croyons – écrivent les
1
La révolution de 2011 commence par les manifestations du 25 janvier. Le 11 février le
président Hosni Moubarak transfère le pouvoir à l’armée. Les procès engagés dans la phase
post-révolutionnaire, jugés pour certains trop rapides et pour d’autres trop longs, conduisent
à de nouveaux soulèvements les 29 et 30 juin.
2
À un autre endroit du Préambule, les rédacteurs écrivent que « notre armée patriotique
donna la victoire à la volonté populaire de changement lors de la révolution du 25 janvier aux
30 juin ».
3
Article 16 : « L’État s’engage à honorer les martyrs de la nation, prenant soin des blessés de
la révolution, des anciens combattants âgés, des blessés de guerre, des familles des personnes
disparues lors d’un conflit, ainsi que de ceux qui sont dans des situations identiques, et des
personnes blessées lors des opérations de sécurité, de leurs conjoints, enfants et parents. Il
veille à leur offrir des possibilités d’emploi. La loi organise tous ces éléments. L’État encourage
la contribution de la société civile à la réalisation de ces objectifs. »
61
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
rédacteurs de 2014 - que nous sommes capables d’utiliser notre passé comme
source d’inspiration, façonnant le présent, et traçant notre chemin vers l’avenir.
Nous sommes capables d’enrichir cette patrie qui nous enrichit ». Dans ce cadre
la transmission du patrimoine est bien évidemment un devoir auquel l’État ne
saurait renoncer. C’est le rôle de l’éducation. Selon l’article 19, « L’éducation est
un droit pour chaque citoyen, et son but est de forger la personnalité égyptienne,
de maintenir l’identité nationale, d’inculquer les bases de la méthode scientifique,
de développer les talents, de promouvoir l’innovation et d’inculquer les valeurs
civilisationnelles et spirituelles et les concepts de citoyenneté, de tolérance et de
non-discrimination. » Et l’article 24 précise bien que « la langue arabe, l’éducation
religieuse et l’histoire nationale sont les matières de base de l’enseignement public
et privé pré-universitaire dans tous ses cycles ». Au-delà de la seule Égypte enfin,
cette révolution est « le signe d’un passé qui est toujours présent et un bon présage
pour le futur auquel aspire l’humanité tout entière »1.
Restent quelques principes généraux touchant aux libertés ou à
l’organisation de l’État, moins détaillés que dans les Préambules de 1971
et 2012, car largement repris dans le corps même du texte constitutionnel2.
De plus le Préambule rappelle l’influence de la Déclaration universelle des
Droits de l’Homme « à la rédaction de laquelle nous avons pris part et que
nous avons approuvé ». Tous ces éléments doivent se comprendre sous un
rapport à la loi islamique, puisque la constitution « affirme que les principes
de la Charia islamique sont la principale source de législation »3. Pour autant,
et c’est un élément essentiel de ce nouveau texte, l’interprétation de la charia
1
« Un acte prophétique pour le futur vers lequel tend l’humanité tout entière » déclare le texte
d’Egypt Independent. Pour les rédacteurs du Préambule, l’humanité devrait passer de l’époque
des conflits (Est/Ouest, Nord/Sud…), à un stade apaisé, et leur « révolution représente une
occasion d’aider à écrire une nouvelle page de l’histoire de l’humanité ».
2
Chaque citoyen a le droit de vivre dans une « société démocratique », une formule qui recouvre
« un mode de vie » reposant entre autres sur le pluralisme politique et le transfert pacifique du
pouvoir, une société dans laquelle le peuple, « source de toute autorité », reste maître de son
avenir. Il s’agit de « construire un État démocratique moderne avec un gouvernement civil »,
et d’« écarter la corruption et la tyrannie ». Le citoyen jouit ensuite de la liberté, de la dignité
et de la justice sociale, la constitution achevant « de mettre en place l’égalité en droit et devoir
sans discriminations entre les citoyens ».
3
Élément repris à l’article 2 : « L’Islam est la religion de l’État et l’arabe sa langue officielle. Les
principes de la Charia Islamique sont la source première de la législation ».
62
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
tient, selon le Préambule de 2014, « aux textes pertinents présents dans les
recueils de décisions de la Cour suprême constitutionnelle ». C’est un point
essentiel parce que le texte de 2012, qui constitutionnalisait Al Azhar dans
son article 4, donnait de manière expresse à cette institution un rôle dans
l’interprétation de la Charia Or l’article 7 qui traite d’Al-Azhar, ne fait plus
mention de cette fonction. On passe donc, dans une matière particulièrement
sensible, d’une interprétation faite par des autorités religieuses à une
interprétation relevant de la jurisprudence d’une Cour constitutionnelle1.
Il reste à Al-Azhar une place liant souveraineté et religion, l’influence
particulière qu’elle peut avoir comme autorité morale, un « soft power » qui
dépasse les frontières égyptiennes. Selon l’article 7 toujours, « Al-Azhar
est une institution islamique scientifique indépendante, avec compétence
exclusive sur ses affaires propres. Elle est la principale autorité en matière
de sciences religieuses et d’affaires islamiques. Elle est responsable de la
prédication islamique et de la diffusion des sciences religieuses comme de
la langue arabe en Égypte et dans le monde »2.
Voici donc le « roman national » égyptien officiel, écrit « des temps
du Paysan éloquent 3(…) aux martyrs de la révolution actuelle » ; voilà les
bases identitaires sur lesquelles le pouvoir entend (re) bâtir cette nation.
Mais l’identité ne saurait subsister sans la souveraineté, et le premier
droit des citoyens est de pouvoir vivre en sûreté et en sécurité, préservé
des menaces extérieures et intérieures. Pour cela, la constitution « protège
la nation contre toute dirigée contre elle ou contre l’unité nationale »,
car toujours selon les rédacteurs du Préambule, « la souveraineté dans
une patrie souveraine nous appartient ainsi qu’aux générations futures ».
Encore faut-il qu’elle puisse s’appliquer.
1
Cf. sur ce point dans le même ouvrage Charles Saint-Prot, « L’évolution constitutionnelle de
l’Égypte depuis 1805 ».
2
« L’État doit lui fournir une aide financière suffisante pour atteindre ses fins », poursuit le texte
qui conclut : « Le Grand Cheikh d’Al-Azhar est indépendant et ne peut être révoqué. La loi
définit les modalités de sa désignation parmi les membres du Conseil des Oulémas. »
3
Allusion aux Contes du Paysan éloquent, ou Plaintes du Fellah, racontant les déboires d’un
fellah de la IXe ou Xe dynastie (-2100, -2000), que le pharaon rétablit finalement dans ses
droits.
63
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
II - Éléments de souveraineté.
Les éléments essentiels de la souveraineté sont rappelés et synthétisés
à l’article premier de la constitution (« La République arabe d’Égypte est un
État souverain, unifié et indivisible, où rien n’est superflu, et son système est
une république démocratique fondée sur la citoyenneté et l’autorité de la
loi ») et plus encore à son article 4 : « La souveraineté appartient au peuple
seul, qui l’exerce et la protège. Il est la source du pouvoir. Il sauvegarde l’unité
nationale, qui est fondée sur les principes d’égalité, de justice et d’égalité des
chances entre les citoyens, conformément aux dispositions de la présente
Constitution ». C’est sur la manière pratique d’exprimer et de protéger cette
souveraineté qu’il faut ensuite s’attarder pour saisir la portée du nouveau texte
constitutionnel égyptien, et l’on retiendra deux éléments, la sûreté intérieure
et extérieure d’abord et le rapport entre pouvoir civil et pouvoir militaire, la
question de l’articulation entre droit national et droit international ensuite.
A - Forces de sécurité et État.
Certes, la souveraineté est garantie par les serments quasiment
identiques que prêtent les autorités publiques. Membres de la Chambre
des représentants, Président ou Premier ministre, tous jurent « par Dieu
Tout-Puissant de soutenir loyalement le système républicain, de respecter
la Constitution et la loi, de se consacrer pleinement aux intérêts du peuple,
et de préserver l’indépendance et l’intégrité territoriale de la nation »1.
Mais il faut aussi des éléments pour l’exercer, les forces chargées de la
défense extérieure et de l’ordre intérieur. La conscription, figurant parmi
les principes essentiels à l’article 7 dans la Constitution de 2012, revient
à la place qu’elle occupait en 1971 (article 56 alors) pour être définie à
l’article 86. Selon ce texte, « Préserver la sécurité nationale est un devoir, et
l’engagement de tous à l’observer est une responsabilité nationale assurée
par la loi. La défense de la nation et la protection de son sol sont un honneur
et un devoir sacré. Le service militaire est obligatoire en vertu de la loi ».
1
Article 104 pour les membres de la Chambre des représentants, 144 pour le Président et
165 pour le premier ministre et les membres du gouvernement qui, eux, s’engagent en sus à
protéger « la sécurité » de la nation.
64
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
On sait le rôle particulier joué en Égypte par l’armée. L’armée
égyptienne est non seulement la force militaire la plus importante du
continent africain, avec 500 000 hommes (le double de l’armée française)
pour 85 millions d’habitants, mais aussi une puissance économique
avec des structures comme le Ministère de la production militaire ou
l’Organisation arabe pour l’industrialisation. On peut soit y voir un facteur
d’indépendance nationale, l’armée disposant de biens à prix réduits, acquis
en dehors d’une économie de marché qui peut être soumise à des pressions
extérieures, soit, au contraire, penser que ces avantages économiques font
de l’armée égyptienne un État dans l’État.
L’autre élément important en termes de souveraineté vient du
financement étranger de cette armée. Depuis les accords de Camp David en
effet (17 septembre 1978), l’armée égyptienne reçoit une aide annuelle des
USA, estimée pour 2013 à 1,3 milliard de dollars. Cette aide représenterait
un tiers de son budget et couvrirait 80 % de ses dépenses d’équipement.
Des équipements qui comprennent pour les matériels importants – mais
est-ce une surprise – des chasseurs F-16 et des chars M1 Abrams… que
les officiers égyptiens, fréquemment stagiaires des académies militaires
américaines, connaissent bien.
La crise entre les Frères Musulmans et l’armée commence le 12 août
2012 lorsque le président Mohamed Morsi écarte le maréchal Tantaoui,
ministre de la Défense et président du Conseil suprême des forces armées,
pour confier le ministère à un général réputé pieux et proche de ses thèses,
Abdletfatah Khalil al-Sisi. Mais en novembre 2012 la pression remonte lorsque
le président Morsi refuse à l’armée d’engager une campagne dans le Sinaï
contre les terroristes islamistes qui s’y sont implantés. Par ailleurs, les Frères
Musulmans se lancent dans une politique d’entrisme à tous les niveaux de l’État
qui exaspère les anciennes élites administratives et la population. Le 11 juin
2013, le mouvement Tamarod (Rebellion), soutenu par l’armée, aboutit à la
chute du gouvernement ; le 15, l’armée égyptienne refuse de donner suite au
vœu du président Morsi d’intervenir en Syrie et le 3 juillet c’est le coup d’État.
Sur la définition des forces elles-mêmes, et leur caractère exclusif,
les choses ont peu changé. Selon l’article 180 de la constitution de 1971,
« l’État seul procède à la création des forces armées, qui appartiennent au
65
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
peuple. » L’article précise aussi la mission de ces forces : « défendre le pays,
la sécurité de son territoire et protéger les acquis socialistes réalisés par la
lutte populaire ». Par ailleurs, le même article 180 interdit la création de
toute « formation militaire ou paramilitaire ». La constitution de 2012
reprend dans son article 194 la formule selon laquelle l’armée « appartient au
peuple », lui confie une même mission de « protéger le pays et sauvegarder
sa sécurité et son intégrité territoriale » - la protection des acquis socialistes
disparaissant logiquement – et interdit la création de toute formation
paramilitaire. D’autres éléments étaient contenus dans le préambule de 2012.
Pour garantir la souveraineté de l’État, la défense de la patrie, « un honneur
et un devoir », y est confiée prioritairement aux forces armées, « bouclier
protecteur du pays ». Mais on ne s’étonnera pas de voir la constitution des
Frères Musulmans préciser aussitôt que ces mêmes forces armées « sont
une institution patriotique, professionnelle et neutre qui ne s’immisce pas
dans les affaires politiques »… L’article 200 de la Constitution de 2014 se
contente de rappeler que les forces armées « appartiennent au peuple » et ont
le devoir et « de protéger le pays et de préserver sa sécurité et son territoire »,
interdisant lui aussi la création de toute force paramilitaire.
Là où les rapports parfois tendus entre présidence et armée se
concrétisent, c’est dans l’évolution de l’article constitutionnel qui fait
du Président chef des armées toujours plus encadré. En 1971 (art. 150),
« le Président de la République est le chef suprême des forces armées. Il
déclare la guerre après approbation de l’Assemblée du Peuple ». En 2012
(art. 146), « le président de la République est le chef suprême des forces
armées. Il ne déclare la guerre et n’envoie les forces armées à l’étranger
qu’après consultation du Conseil de la défense nationale et approbation
de la Chambre des députés à la majorité de ses membres ». En 2014 enfin
(art. 152), « le Président de la République est le chef suprême des forces
armées. Il ne peut déclarer la guerre ni envoyer les forces armées combattre
à l’extérieur des frontières de l’État qu’après consultation du Conseil de
la défense nationale et approbation de la Chambre des représentants à la
majorité des deux tiers de ses membres. »
Le lien entre gouvernement et forces armées – qui existait déjà
largement, car depuis Nasser on ne compte plus les militaires occupant
66
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
des fonctions étatiques diverses – est constitutionnalisé en 2012, puisque
selon l’article 195 « le ministre de la Défense est le Commandant en chef
des forces armées et il est désigné parmi leurs officiers ». La solution a plu
et en 2014 encore, le ministre de la Défense est, selon l’article 201, « le
Commandant général des forces armées, désigné parmi leurs officiers ».
Viennent ensuite les Conseils, lieu de rencontre des civils et des
militaires et de débats. L’article 182 de la constitution de 1971 crée un
Conseil de la Défense nationale, présidé par le Président de la République,
et « chargé d’examiner les questions ayant trait aux moyens d’assurer la
sécurité du pays et sa sauvegarde », sans plus de précisions. Le texte de
2012 le maintient, toujours présidé par le Président de la république et
réunissant les principales autorités civiles et militaires du pays1. Chargé
de « donner son avis sur les projets de loi concernant les forces armées »
- ce qui concerne, bien évidemment, le point toujours sensible de leur
budget -, il examine les « affaires relatives au moyen d’assurer la sécurité
et l’intégrité du pays ». Il est encore maintenu en 2014 à l’article 203,
avec une composition et des compétences identiques à celles de 2012 –
moins évidemment les membres d’un Conseil consultatif qui a disparu
entre 2012 et 2014, l’autre différence d’avec le texte de 2012 concernant
l’analyse du budget2.
Mais le premier élément évoqué en 2012 au sujet des forces armées
est un nouveau conseil, le Conseil de sécurité nationale, présidé par le
Président de la République et réunissant membres du gouvernement et
1
Article 197 : « Un Conseil de la défense nationale est mis en place, présidé par le Président
de la République et réunissant le Premier ministre, les présidents de la Chambre des députés
et du Conseil consultatif, les ministres de la Défense, des Affaires étrangères, des Finances,
de l’Intérieur, le chef des services de renseignement, le chef d’état-major des forces armées,
les commandants des forces navales, aériennes, de la défense aérienne, le chef d’état-major
opérationnel, et le directeur du département des renseignements militaires ».
2
Dans ce cas en effet, s’ajoutent aux membres prévus les présidents des comités de Sécurité
nationale et de la Planification et du budget à la Chambre des représentants ainsi que le
directeur des affaires financières des forces armées.
67
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
militaires, mais faisant la part belle aux premiers1. À finalité stratégique,
il doit « identifier les sources de danger menaçant la sécurité nationale
égyptienne à l’intérieur et à l’extérieur ainsi que les mesures nécessaires
pour y faire face au niveau officiel et populaire » mais il a une dimension
pratique puisqu’il doit « gérer les crises et les catastrophes »2. Il est maintenu
dans sa composition et ses missions à l’article 205 du texte de 2014.
Le nouveau texte constitutionnalise par ailleurs un Conseil Suprême
des forces armées… dont il ne nous dit rien. Or ce Conseil joue un rôle
essentiel. Il est intervenu lors de la Guerre des Six Jours en 1973, plusieurs
fois de la guerre du Kippour, et a joué un rôle majeur pendant la révolution
de 2011. C’est lui, dirigé à l’époque par le maréchal Tantaoui, qui a pris
acte de la démission du président Moubarak, assuré la transition et même
suspendu la Constitution. Et on sait que le remplacement du maréchal
Tantaoui par le général al-Sisi à sa tête n’a pas empêché qu’il joue un rôle
majeur dans le coup d’État de 2013. Si l’article 200 nous précise seulement
que son organisation relèvera de la loi, sa constitutionnalisation n’est pas
anodine. Elle l’est d’autant moins que l’article 234, fixant des dispositions
transitoires, précise que pendant deux mandats présidentiels complets après
la promulgation de la constitution, le ministre de la Défense, pourtant
commandant en chef des forces armées, sera nommé « avec l’accord du
Conseil suprême des forces armées »…
Restait un point sensible dans les rapports civilo-militaires, celui de
la justice militaire. La justice militaire – indépendante - est prévue à l’article
198 de la constitution de 2012, chargée « de trancher pour tous les crimes
concernant les forces armées, leurs officiers, et leurs membres ». Les civils ne
peuvent comparaître devant elle que « pour les crimes qui portent atteinte
aux forces armées », déterminés par la loi. En 2014 cette même justice
militaire, évoquée à l’article 204, toujours indépendante, reste compétente
1
article 193 : « Un Conseil de sécurité nationale est mis en place, présidé par le président de la
République et réunissant le Premier ministre, les présidents de la Chambre des députés et du
Conseil consultatif, les ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, des Finances,
de la Justice, de la Santé, le chef des services de renseignement, les présidents des comités de la
Défense et de la Sécurité nationale à la Chambre des députés et au Conseil consultatif ».
2
Article 193.
68
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
pour tous les crimes qui concernent les forces armées. Les civils ne peuvent
être traduits devant elle que pour des crimes qui représentent des attaques
directes contre les forces armées, attaques entendues très largement et très
détaillées dans le texte même de la constitution, ce qui est surprenant1.
Quant aux forces de police et de maintien de l’ordre, elles sont
elles aussi importantes puisque les seules Forces de la sécurité centrale, qui
dépendent directement du ministère de l’Intérieur, sont estimées à 350 000
hommes au minimum - et selon certains plus proches du chiffre de 500 000
hommes. La constitution de 1971 précise dans son article 184 qu’il s’agit
d’un « corps civil constitué » dont le « chef suprême est le Président de la
république ». Quant à sa tâche, « la police assume son devoir au service du
peuple, assure la sûreté et la tranquillité des citoyens, veille à la sauvegarde de
l’ordre, de la sécurité et des bonnes mœurs et accomplit les devoirs que lui
attribuent les lois et les règlements, de la manière prévue par la loi ».
Selon le Préambule de 2012 ensuite, la sûreté intérieure repose sur
« une police qui oeuvre au service et à la protection du peuple et à imposer
les mesures de justice », soucieuse de respecter la dignité de l’homme et la
souveraineté de la loi… Selon l’article 199 la police est toujours ce « corps
civil public » dont le « chef suprême est le Président de la république », avec
des tâches quasiment identiques à celles de 1971 : « sauvegarder l’ordre, la
sûreté et les bonnes mœurs, mettre en application les lois et les règlements ;
assurer aux citoyens leur tranquillité, protéger leur dignité, leurs droits, leurs
libertés ». Accomplissant un « devoir au service du peuple (…) sa loyauté est
due à la Constitution et à la loi ».
En 2014, l’article 206 nous rappelle une fois encore qu’il s’agit d’un
« corps civil public » agissant « au service du peuple », mais dont la loyauté
cette fois n’est pas due « à la Constitution et à la loi », comme on vient de le
1
Article 204 : « Les civils ne peuvent pas être jugés devant des tribunaux militaires, sauf pour
les crimes qui représentent une attaque directe contre les installations militaires, les casernes
militaires, ou tout ce qui peut relever de l’autorité militaire ; contre des zones militaires ou
frontalières délimitées comme telles ; contre les équipements, véhicules, armes, munitions,
documents, secrets militaires, fonds publics ou usines militaires ; pour les crimes liés à la
conscription ; pour des crimes qui représentent une attaque directe contre ses dirigeants ou
son personnel en raison de l’exercice de leurs fonctions ».
69
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
voir pour le texte de 2012, mais bien « au peuple » lui-même, une nuance
de taille qui semble traduire des réticences devant un trop strict juridisme et
rappeler que le lieu de la légitimité est et reste le peuple. Quoi qu’il en soit,
en sus de missions déjà évoquées (« sauvegarder la sûreté et la sécurité des
citoyens, préserver l’ordre public et les bonnes mœurs ») elle est « engagée à
assumer les fonctions qui lui sont imposées par la Constitution et la loi, et à
respecter les droits de l’homme et les droits fondamentaux ». La constitution
de 2014 crée par ailleurs à l’article 207 un Conseil suprême de la police, à la
composition un peu plus claire que le très discret Conseil suprême des forces
armées puisque l’on apprend qu’il est « composé des plus hauts gradés de la
police et du président de la section de conseil du Conseil d’État ». Il a pour
mission d’assister « le ministre de l’Intérieur dans l’organisation de la police
et de gérer les affaires concernant ses membres » et doit être consulté lors de
la préparation des textes de lois qui le concernent.
On l’aura compris, le lien Armée/gouvernement est aussi étroit que
le lien Armée/État, mais il faut ici renvoyer à l’histoire longue égyptienne au
lieu d’y voir la seule conséquence d’événements récents. L’armée participe
pleinement à la construction nationale, et plus qu’un État dans l’État comme
la présentent certains, est une ossature essentielle en même temps que la
garantie de sa souveraineté. Une souveraineté qui doit être aussi juridique.
B - Droit égyptien et droit international.
Poser la question de la souveraineté et les limites du pouvoir du
souverain dans la nouvelle constitution égyptienne, impose de s’interroger
sur les rapports existant entre droit interne et droit international. L’Égypte,
comme tout État moderne, est nécessairement enserré dans un vaste réseau
de textes internationaux, des traités les plus célèbres aux accords anodins.
Sur cette distinction, le texte de la constitution égyptienne de 2014 est très
rigoureux en ce qui concerne la ratification de textes touchant aux questions
de souveraineté, clairement distingués des autres traités. Selon l’article 151
en effet, dans son premier alinéa, « le Président de la République représente
l’État sur la scène internationale, conclut les traités et les ratifie après leur
approbation par la Chambre des représentants. Ils ont force de loi après leur
publication, conformément aux dispositions de la Constitution ». Mais le
texte ajoute aussitôt, dans un second alinéa : « En ce qui concerne les traités
70
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
de paix et d’alliance et les traités touchant aux droits de souveraineté, les
électeurs doivent être convoqués pour un référendum et ces textes ne peuvent
être ratifiés avant l’annonce de leur approbation par ce référendum. »
La question est ensuite, comme souvent, de savoir jusqu’à quel
point la fameuse règle Pacta sunt servanda va trouver à s’appliquer, non
seulement lorsque des éléments contenus dans les traités peuvent sembler
contraires à la constitution, ou à cette charia islamique placée en exergue,
mais aussi à toute loi interne. La constitution égyptienne de 2014 ne
prévoit aucunement la suprématie du droit international « régulièrement
ratifié et approuvé », pour reprendre la formule française de l’article 55,
sur le droit national, à rebours de ce qui peut se faire dans d’autres textes,
comme par exemple, pour prendre un exemple récent ressortissant d’une
sphère culturelle proche, la constitution marocaine de 20111.
Or le texte de 2014, pas plus que ses prédécesseurs, ne place les
traités à un niveau supra-législatif. Encore moins organise-t-il un contrôle de
conventionalité par le juge interne, qu’il s’agisse du juge judiciaire ou du juge
administratif. Dans un tel cadre, on retrouve les principes qui prévalaient en
France avant que les hautes juridictions des deux ordres, par les arrêts Jacques
Vabre pour la Cour de Cassation (1975) et Nicolo pour le Conseil d’État
(1989) ne mettent en place un tel contrôle. Incorporé au niveau législatif, le
traité, une fois ratifié, s’impose a priori à la loi antérieure, mais peut être écarté
par toute loi postérieure, le juge interne n’ayant pas la possibilité d’écarter
le texte national le plus récent au profit de la convention internationale.
C’est ce que n’ont pas manqué de remarquer, pour le déplorer, certains
commentateurs des textes de 2012 et 20142.
1
Dans le Préambule de la constitution marocaine de 2011, qui a pleine valeur constitutionnelle,
le Maroc s’engage à « accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans
le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, dans le respect de son
identité nationale immuable, et dès la publication de ces conventions, la primauté sur le droit
interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation
nationale ».
2
Cf. Wagdi Sabète, « La transition constitutionnelle en Égypte depuis le 25 janvier 2011 : le
regard d’un constitutionnaliste », in EurOrient n°37, L’Égypte en marche. La voie étroite ? sd.
C. Lochon et J.-J. Lutho, Paris Lharmattan 2012, p.167-193. Les remarques formulées par
l’auteur concernent le texte de 2012 mais valent tout autant pour celui de 2014.
71
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Le juge constitutionnel égyptien s’est prononcé en 1975 sur la
question des rapports entre traité et constitution. La question posée était celle
de la conformité à la constitution de la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948, estimée contraire à un décret présidentiel dissolvant les loges
Bahïes1. Le requérant avait soulevé une exception d’inconstitutionnalité devant
la Cour d’appel, et celle-ci avait renvoyé l’affaire à la Cour constitutionnelle
qui se prononça le 1er mars 1975 pour distinguer entre la liberté de croyance,
autorisée, et la liberté de culte, refusée « en raison des multiples violations de
la religion musulmane contenant le bahaïsme ». La Déclaration universelle des
droits de l’homme, expressément mentionnée par la Constitution de 1971, fut
présentée comme une « simple recommandation non obligatoire » ne pouvant
avoir « la force juridique d’un traité régulièrement ratifié ».
Pour autant, une signature n’aurait rien changé. En effet, la même
Cour précisait aussitôt que « les traités eux-mêmes ne peuvent avoir une
valeur constitutionnelle, et en cas de leur violation par une loi interne,
cette dernière ne peut être déclarée inconstitutionnelle. Les traités ne
peuvent avoir, en effet, une valeur supérieure à celle des lois » 2. Dans
un autre cadre le juge constitutionnel égyptien fut encore plus expéditif,
refusant son contrôle. En 1984 en effet, la Haute cour constitutionnelle
considéra, au sujet d’un traité signé dans le cadre de la Ligue arabe, que cet
accord se rattachait « aux relations internationales du pays » et constituait,
« par conséquent un acte de gouvernement insusceptible de faire l’objet du
contrôle juridictionnel de constitutionnalité »3.
1
Mouvement religieux dissident du chiisme apparu en Perse à la fin du XVIIIe siècle. La
communauté bahaïe représente en Égypte 2.000 croyants (c’est l’estimation minimum,
d’autres parlent de 6.000 voire de 10.000 personnes). En 2006 la Haute cour administrative
égyptienne, revenant sur une décision du tribunal de première instance d’Alexandrie, leur
a refusé le droit de porter mention de cette religion sur leur carte d’identité, les obligeant à
choisir entre les trois religions révélées. Le bahaïsme a été condamné par les autorités d’AlAzhar.
2
Aff. n° 7, 2e année judiciaire, Recueil officiel, t.I, p.228, cité par Eid Ahmed El-Ghlafoul,
« Recours constitutionnel et protection des droits de l’homme (expérience égyptienne) »
communication au colloque international Structures gouvernementales et institutions nationales
des droits de l’homme : expériences et perspectives, Le Caire, 10-11 mai 2003.
3
Arrêt du 28 janvier 1984, aff n°48, 4ème année judiciaire, Ibid.
72
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
En matière de droits de l’homme – un domaine rappelons-le
particulièrement sensible pour le sujet qui nous intéresse, puisqu’il est
souvent un moyen privilégié pour faire voler en éclat toute identité et toute
souveraineté au profit d’une idéologie mondialiste -, les choses sont un
peu différentes. En 1992, lorsque le juge constitutionnel égyptien évoque
la nécessité du respect des règles du « procès équitable », il mentionne
à la fois dans ses références l’article 11 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948 et l’article 6 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme. Certes, il n’en reste pas moins qu’il fonde
essentiellement sa décision sur l’article 67 de la constitution égyptienne1,
qui apporte selon lui à ces textes internationaux une « confirmation » sans
laquelle ces derniers n’auraient sans doute pas eu de véritable effet. Mais la
Haute cour constitutionnelle égyptienne a aussi considéré que la Constitution
égyptienne pouvait être interprétée à la lumière de ces textes2, retenant pour
certains commentateurs la thèse de l’existence d’un standard international
des droits de l’homme dont chaque juge interne devrait s’approcher3. Et son
évolution jurisprudentielle ultérieure montre bien cette évolution et cette
primauté du droit international des droits de l’homme4.
Or l’Égypte a par exemple ratifié les deux principaux pactes des
Nations unies, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et
le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Elle aussi, avec quelques réserves, signé la Convention sur l’élimination de
1
Article 67 : « Tout accusé est innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par un jugement
régulier qui lui assure les garanties de défense. Tout accusé d’un crime doit être assisté d’un
avocat pour assurer sa défense ».
2
HCC, 2 février 1992, n° 13/12e Rec., vol. 5, part. 1, p. 185 sq, cité par Nathalie BernardMaugiton, « La Haute Cour constitutionnelle égyptienne, gardienne des libertés publiques »,
Égypte/Monde arabe, Deuxième série, 2-1-1999, mis en ligne le 08 juillet 2008.
3
Idem. Cf. aussi Adel Omar, Sherif, « Unshakable Tendency in the Protection of Human Rights :
Adherence to International Instruments on Human Rights by the Supreme Constitutional
Court of Egypt », in sd. Eugene Cotran & Adel Omar Sherif, The Role of the Judiciary in the
Protection of Human Rights, La Haye, Kluwer Law International, CIMEL Book Series, n° 5,
1997, p. 35-46.
4
Nous ne pouvos que renvoyer aux analyses de Frédéric Rouvillois, « Les libertés fondamentales
dans le projet de Constitution » dans le même ouvrage.
73
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes1, ou, pour prendre
un dernier exemple, le traité de Rome sur la Cour pénale internationale.
Reste qu’en aucun cas le nouveau texte constitutionnel ne définit de
manière précise les éventuelles obligations de l’État égyptien au regard de
ces textes, comme il n’évoque à aucun moment la possibilité qu’aurait le
citoyen égyptien d’invoquer leur respect devant une juridiction interne.
Le texte de 2012 n’en disait pas plus, et la Haut-commissaire des
Nations Unies aux Droits de l’homme, Mme Kigali, l’avait critiqué en
décembre 2012, se déclarant « très inquiète de l’absence de la moindre
référence aux traités internationaux des droits de l’homme auquel
l’Égypte est partie et qu’elle est tenue de respecter ». Les mêmes critiques
peuvent être formulées aujourd’hui. De même, certaines associations
internationales de défense des droits de l’homme on pu considérer que
le texte de 2014, comme celui de 2012, contrevenait aux engagements
internationaux souscrits par l’Égypte en plaçant la Charia comme source
principale de la législation, saisissant mal la question de l’organe chargé de
l’interprétation. On s’inquiète aussi, curieusement, de l’accent porté dans
ces textes constitutionnels sur la liberté de conscience des croyants des trois
monothéismes révélés, précisément cités2, ce qui exclurait d’autres formes
religieuses « notamment des minorités comme la communauté Bahïe »
écrivait au sujet du texte de 2012 Mme Kigali.
En conclusion, on peut considérer que la Constitution égyptienne
de 2014 porte en elle un choix clair dans la définition des sphères
d’appartenance des citoyens égyptiens. La première d’entre elle, dépassant
les appartenances culturelles ou confessionnelles, même si elle ne les nie
pas, est bel et bien l’appartenance nationale, et la constitutionnalisation
d’une histoire nationale menant de la plus haute antiquité à la révolution de
2011 va en ce sens. Le second point à noter est que cette histoire nationale
1
Certaines associations de défense des droits de l’homme n’hésitent pas à regretter qu’en
formulant ses réserves l’Égypte ose évoquer pour les justifier des « spécificités culturelles ou
religieuses »…
2
Le texte de 2014 qui mentionne l’Islam comme religion d’État (art. 2 pré-cité) avant
d’évoquer le christianisme et le judaïsme à l’article 3 : « Les principes des lois des Égyptiens
chrétiens et juifs sont la principale source des lois qui régissent leur statut personnel, leurs
affaires religieuses et le choix de leurs chefs spirituels ».
74
Identité et souveraineté dans le projet de constitution égyptienne de 2014
et patriotique s’exprime notamment par l’affirmation d’une souveraineté
égyptienne, contre l’empire ottoman au début du XIXe siècle, contre les
puissances occidentales à la fin du XIXe et pendant le XXe siècle. L’armée
continue en ce sens à jouer un rôle essentiel de creuset.
Cette identité et cette souveraineté nationales s’intègrent dans ces
mondes arabe et musulman auxquels l’Égypte affirme son appartenance
tout en voulant faire entendre sa voix spécifique, évitant par exemple
de voir son pouvoir temporel national inféodé à un pouvoir spirituel
supranational. La même distinction vaut pour ses liens avec la communauté
internationale, l’Égypte assumant les devoirs nés des traités qu’elle a signés
sans pour autant substituer à son droit propre les normes internationales
et conservant sa capacité à légiférer de manière souveraine. Identité et
souveraineté donc, tels sont les deux concepts centraux sous-jacents à cette
constitution de 2014, à la lumière desquels il faudra lire l’évolution de la
nation égyptienne dans les années qui viennent.
75
Frédéric Rouvillois
Les libertés fondamentales
dans le projet de constitution
1 - Un premier regard sur le projet
constitutionnel adopté début décembre 2013
afin d’être soumis par référendum au
peuple égyptien indique que les libertés
fondamentales n’ont pas été oubliées par
le constituant, c’est le moins qu’on puisse
dire : ces dernières sont omniprésentes, que
ce soit dans le préambule ou dans le texte
constitutionnel proprement dit, au point
que l’on serait tenté de parler d’une véritable
« constitution des libertés »1.
La volonté de faire figurer les droits
fondamentaux d’une façon aussi massive
dans le projet de constitution s’explique
par le contexte troublé dans lequel se situe
l’élaboration de ce dernier. Un contexte
révolutionnaire qui débute le 25 janvier 2011,
que marque quelques jours plus tard la chute
du président Moubarak et le transfert du
pouvoir au Conseil suprême des forces armées,
mais qui se poursuit en dépit de l’élection du
président Morsi en juin 2012 et de l’adoption
1
Le terme est emprunté au discours du 17 juin 2011
dans lequel le Roi Mohamed VI présente l’architecture
générale et l’esprit de la nouvelle constitution du Maroc,
qui sera adopté par référendum le 1er juillet de cette
même année.
77
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
d’une nouvelle constitution en décembre - jusqu’à ce qu’une nouvelle
flambée de violence aboutisse le 3 juillet 2013 à la destitution de Morsi, à la
désignation d’un président par intérim et à la suspension de la constitution.
Or, c’est la question des libertés et des menaces qui semblent s’amonceler
sur elles qui expliquent en bonne partie cette persistance de l’instabilité
institutionnelle, et la contestation chronique qui l’accompagnait. Ainsi estce pour cette raison que le Prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei peut
déclarer au lendemain de l’adoption de la constitution que ce texte, loin de
mettre un point final aux tumultes, allait au contraire « institutionnaliser
l’instabilité »1, ajoutant que la Constitution devait être considérée comme un
texte « intérimaire » jusqu’à la rédaction d’un nouveau projet sur la base d’un
consensus véritable – prenant en compte la diversité du pays, son pluralisme
historique et les droits des minorités2.
On peut supposer que telle fut la mission confiée par le Président
par intérim au groupe de dix experts - six hauts magistrats et quatre
professeurs de droit -, nommé à la mi juillet pour élaborer un avant-projet
de constitution, puis au « comité des 50 » désigné début septembre afin
de mettre au point le projet définitif - celui qui sera finalement soumis au
référendum les 14 et 15 janvier 2014. Un projet qui apparaît donc comme
une réaction, à la fois au passé - celui de l’autoritarisme autocratique établi
après la révolution de juillet 1952 -, et à un présent qui, à tort ou à raison,
est perçu comme attentatoire aux droits de l’homme, et lourd de menaces
futures à l’encontre de certains des plus fondamentaux d’entre eux.
2 - Cette constitutionnalisation des droits fondamentaux est une
réponse : mais est-ce une réponse adéquate ? Peut-on y voir une garantie
1
Cité Huffington Post, 25 décembre 2012.
2
Parmi les éléments du consensus à l’origine de la révolution du 25 janvier 2011, figurent
notamment, selon Nathan J. Brown, la mise en place de garanties de l’autonomie de la justice,
le contrôle judiciaire des élections, la suppression des juridictions d’exception, la fin de l’état
d’urgence et l’encadrement strict de sa mise en œuvre et l’existence d’instruments efficaces de
protection des droits et des libertés : autant d’éléments qui semblent incomplètement établis
dans la constitution de 2012, mais que l’on retrouve en revanche fortement affirmés dans le
projet de constitution de 2013. (N. J. Brown, “Egypt’s constitutional Revolution ?”, in Saïd
Amin Arjomand, Nathan J. Brown, The Rule of Law, Islam and Constitutional politics in Egypt
and in Iran, New York, State university Press, 2013, p. 308.
78
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
sérieuse pour l’avenir ? L’assurance que les libertés seront désormais respectées
à la hauteur des exigences formulées ? À ce stade, alors que le projet de
constitution n’a pas encore été adopté et que l’on ignore tout de sa future
mise en œuvre, l’observateur ne peut qu’avouer son ignorance. En matière
constitutionnelle, on n’est jamais sûr de rien - et l’histoire politique montre
qu’il existe souvent un décalage significatif, et parfois tragique, entre ce qui
est déclaré, et ce qui est pratiqué. C’est d’ailleurs parce que l’on sait bien que
les mots ne coïncident pas toujours avec les choses, que l’on a pu soupçonner
la constitution de décembre 2012 de n’être, malgré les nombreux articles
qu’elle consacrait aux droits de l’homme, que le paravent ou le cache-misère
d’une « dictature islamiste »1 - accentuant les tendances qui se sont faites jour
dans les premiers mois de la présidence Morsi2.
Pourtant, l’exemple de la constitution de 2012, justement, laisse
entrevoir que, de nos jours, ce décalage, naguère habituel, entre ce qui
est proclamé et ce qui est effectivement réalisé, s’avère sans doute plus
difficile à assumer qu’au temps de Staline et de la constitution soviétique
de 1936. Aujourd’hui, en effet, le pouvoir constituant, mais aussi la
pratique de la constitution, se trouvent placés sous des regards vigilants
prêts à dénoncer le moindre dérapage : ceux de l’opinion publique, qui
dispose à cet effet de moyens d’information sans aucun rapport avec ce qui
existait jadis ; de la communauté internationale - et dans le cas de l’Égypte,
du grand frère américain, qui a trop d’intérêts dans la place pour laisser
aller les choses ; des ONG vouées à la défense des droits de l’homme ; des
institutions financières enfin, type FMI ou Banque Mondiale qui, par-delà
les considérations morales, ne manquent pas de souligner le lien entre la
bonne santé économique et la situation politique, elle-même indissociable
de l’état des libertés. Cette situation nouvelle a pour effet indiscutable de
rogner la souveraineté du constituant national : en revanche, en les rendant
plus visibles, elle tend à limiter les mauvaises surprises, du moins dans des
États soucieux de leur image.
1
Au mois de décembre 2012, au lendemain de l’adoption de la constitution, la présidente de
la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants américaine, Ileana RosLehtinenn, avait déclaré : « Nous ne pouvons célébrer le fait d’échanger un régime autoritaire
contre une dictature islamiste. » (Huffington Post, 25 décembre 2012).
2
Tel que le décrit par exemple le World report 2013 de Human Rights Watch.
79
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Au total, on peut donc, sans faire preuve d’un optimisme exagéré,
considérer que de nos jours, l’inscription des droits fondamentaux dans une
constitution rend (assez) vraisemblable leur mise en œuvre subséquente.
D’autant qu’en l’occurrence, y figurent aussi un certain nombre d’organes
et de procédures visant à garantir l’effectivité des droits en question –
l’efficacité apparaissant, à côté des libertés, comme le souci majeur des
constituants de 2013. C’est d’ailleurs sous ces deux angles que l’on peut
tenter de décrire le mécanisme mis en place dans le projet de constitution,
évoquant d’abord l’affirmation des droits, puis la garantie des libertés.
I - Les libertés affirmées
L’affirmation des libertés, qui doit nous retenir en premier lieu,
consiste certes à diversifier et à approfondir la palette des libertés reconnues,
mais aussi et d’abord à leur conférer une certaine valeur juridique – d’où,
la question de leurs sources.
A - Les sources
Une question qui conduit à examiner, outre la constitution ellemême, la loi et les traités auxquels elle renvoie.
1 - La Constitution
C’est principalement dans le texte constitutionnel proprement dit
que sont énoncées les libertés, et plus spécialement dans les chapitre III,
intitulé « Libertés, droits et devoirs », et IV, État de droit Mais ce qui retient
surtout l’attention, c’est l’omniprésence de ces libertés, qui se retrouvent
partout dans le texte constitutionnel, du début à la fin, et notamment dans
le chapitre premier, consacré à l’État, où sont énumérés, entre autres, un
certain nombre de droits économiques et sociaux.
Cette omniprésence se manifeste dès le Préambule – lequel, en
dépit de son caractère en apparence non normatif, fait du reste partie
intégrante de la Constitution, comme l’indique expressément l’article 2271.
Même s’il les évoque sur un ton lyrique et littéraire, lui aussi évoque les
libertés, en particulier, lorsqu’il indique l’inspiration d’ensemble du projet :
1
Mais pas aux « déclarations constitutionnelles » des 5 et 8 juillet 2013, ni à celles visées dans
la constitution de 2012, comme l’ajoute l’article 246.
80
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
« l’humanité espère passer d’un âge de maturité et de sagesse afin de bâtir
un monde nouveau dans lequel (…) les libertés et les droits de l’homme seront
protégés. » Ou quand il souligne que « la liberté, la dignité de l’homme
et la justice sociale sont un droit pour chaque citoyen. » Enfin, ce qui ne
surprendra pas vu le contexte particulier de son élaboration, le Préambule
présente l’Égypte comme le creuset des trois grandes religions révélées, le
judaïsme, le christianisme et l’islam : ce qui permet de fonder sur l’identité
égyptienne l’un des apports majeurs de la constitution, l’article 64 relatif à
la liberté religieuse.
Toutefois, la norme n’est rien sans l’interprète qui va lui donner son
sens. L’article 192, qui reprend largement l’article 175 de la constitution
de 1971, dispose que cette interprétation relève exclusivement de la Cour
constitutionnelle suprême.1 Un constat qui, en un sens, pourrait paraître
quelque peu inquiétant, les hautes juridictions n’étant pas forcément audessus de tout soupçon. Mais, précisément, la chose ne vaut pas pour
la seule Cour constitutionnelle suprême – les Français l’ont constaté
récemment -, laquelle a eu souvent l’occasion de prendre des positions
courageuses en matière de protection des libertés Ainsi, lorsque le 4 janvier
1992, elle considéra que les dispositions constitutionnelles relatives aux
droits de l’homme devaient être interprétées en accord avec les standards
reconnus et appliqués par les États démocratiques2. Comme le notait
récemment Mustapha Kamel Al-Sayyid, « les juges égyptiens ont une
histoire honorable en tant que défenseurs des droits de l’homme », et ils
furent dans certains cas « les champions des droits civils et politiques » 3,
1
Cf Dr Awad Mohammad El-Morr et al, « The Supreme Constitutional Court and its role in
the egyptian judicial system », in K. Boyle, A. Omar Sheriff, Human Rights and democracy,
The role of the supreme constitutional court, London, Kluwer Law International, 1996, p. 37.
2
Cité K. Boyle, « Human rights in Egypt : International Commitments », in K. Boyle, A.
Omar sheriff, Human rights ads democracy, op.cit., p. 89.
3
Mustapha Kamel Al-Sayyid, “Rule of Law, Ideology, and Human rights in Egyptian Courts »,
in Saïd Amin Arjomand, Nathan Brown, The Rule of Law, Islam and Constitutional politics in
Egypt and in Iran, op.cit., pp. 213 ss.
81
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
ce qui leur coûta parfois fort cher1. Ce qui n’est certes pas une garantie
absolue pour l’avenir, mais ce qui permet du moins de ne pas désespérer…
2 - La loi
La loi a elle aussi un rôle significatif dans le mécanisme établi par
le projet de constitution. Il lui appartient ainsi de mettre en œuvre de
certaines dispositions constitutionnelles : on peut citer en ce sens le droit
de grève (article 15), le principe de la réhabilitation des détenus (article 56),
ou encore l’article 64 relatif à la liberté religieuse, l’alinéa 2 précisant que,
pour les fidèles des religions révélées, la liberté de pratiquer et d’établir des
lieux de culte est « un droit organisé par la loi ». C’est aussi de la loi que
relèvent d’éventuelles restrictions à l’exercice des droits et libertés – le fait
de les confier au législateur, et non à l’administration, étant caractéristique
d’une approche « libérale ». Il en va ainsi des atteintes à la propriété privée
(Article 35), des perquisitions domiciliaires (Article 58) ou des privations de
liberté en cas de garde à vue et de détention provisoire (Article 54 al 3 et 5).
Mais si le législateur est compétent pour aménager les droits et
libertés, il n’a pas le pouvoir d’en remettre en cause la substance même :
principe expressément énoncé par l’article 92 du projet qui, après avoir
rappelé que « les droits et libertés des citoyens ne peuvent être suspendus
ni réduits », précise qu’ « aucune loi réglementant l’exercice des droits et
des libertés ne peut les limiter d’une manière telle qu’elle porte atteinte à leur
essence et à leur fondement » La loi ne peut que développer, en les mettant
en œuvre, les droits et libertés reconnues par la constitution : dans le cas
contraire, elle pourrait être censurée par la cour constitutionnelle suprême,
qui contrôle sa constitutionnalité en vertu de l’article 192.
Mais deux précautions valent mieux qu’une : c’est pourquoi le
constituant a entendu préciser, dans l’article 121 alinéa 4, que les lois
complétant la constitution ne sauraient être adoptées qu’à la majorité
des deux tiers des membres de la Chambre. Or, parmi ces lois figurent
celles qui ont pour rôle de mettre en œuvre « les droits et les devoirs
1
Cf Ahmet Thabet, “The human rights situation in Egypt”, in P. Tiyambe Zeleza et al., Human
rights, the rule of law, and development in Africa, Philadelphia, University of Pennsylvania Press,
2004, p. 160ss.
82
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
énoncés dans la Constitution ». À vrai dire, cette exigence d’une majorité
qualifiée a fait l’objet de controverses assez vives, certains lui reprochant de
constituer un frein à la procédure législative, ou encore, d’être une cause de
rigidité dans un domaine où la souplesse et l’adaptabilité s’avèrent souvent
indispensables. Mais les défenseurs du texte ont mis en avant, à l’inverse,
l’utilité d’une telle précaution au regard de majorités parlementaires dont
l’attachement aux libertés pourrait s’avérer fluctuant : en vertu de l’article
121, seules des lois véritablement consensuelles seront ainsi susceptibles
d’être adoptées, des textes potentiellement ou manifestement liberticides
n’ayant à l’inverse que peu de chances de l’être.
3 - Les conventions internationales
Pour préciser le régime des libertés, la constitution renvoie à la loi,
mais aussi aux conventions internationales : le préambule situe d’ailleurs
explicitement le projet constitutionnel « dans la ligne de la Déclaration
universelle des droits de l’homme », à l’élaboration de laquelle l’État
égyptien avait participé en 1948.
Le projet constitutionnel semble pourtant ne donner qu’une valeur
secondaire aux conventions internationales. L’article 151 du projet, qui fixe
sur ce point les attributions du Président de la République, dispose ainsi
que les traités régulièrement signés et ratifiés ont « force de loi » après leur
promulgation. Quant aux conventions relatives aux droits et aux libertés,
l’article 93, qui leur est consacré, dispose pareillement qu’elles ont « force
de loi » une fois publiées – ce qui laisse entendre que, du point de vue de
leur valeur juridique, elles ne se distinguent en rien des autres conventions
internationales. Dans les deux cas, les traités ont force de loi : ce qui
implique leur opposabilité et leur effet direct. Mais ce qui suppose aussi
qu’ils n’ont que la force de la loi, rien de plus, et donc, qu’une loi adoptée
postérieurement à leur promulgation prévaudrait sur eux, conformément
à l’adage lex posterior derogat priori1.
Sur ce plan, pourtant, la Cour constitutionnelle suprême a établi
depuis une vingtaine d’années une jurisprudence audacieuse, qui distingue
1
Cf K.Boyle, « Human rights in Egypt : International Commitments », in K. Boyle, A. Omar
Sheriff, Human rights and democracy, op.cit., p.89.
83
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
les conventions humanitaires des autres accords internationaux, et leur
reconnaît une valeur supra législative1, voire constitutionnelle. C’est ainsi
qu’en 1995, saisi des dispositions d’une loi qui interdisait aux membres du
Conseil d’État d’épouser des étrangères, la Cour les jugea contraires à la
constitution en se fondant notamment sur la Déclaration universelle des
droits de l’homme, la Convention internationale sur l’élimination de la
discrimination raciale, la Convention internationale sur l’élimination des
discriminations à l’égard des femmes et le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques2.
Dans ces conditions, les auteurs du projet de constitution ayant
évidemment connaissance de cette jurisprudence, on pourrait s’interroger
sur leurs intentions. Le fait de reproduire, presque au mot près, dans
l’article 151 du projet, l’article 151 de la constitution de 1971 et l’article
145 de la constitution de 2012, et surtout, d’en reprendre la formulation
dans l’article 93 spécifiquement consacré aux traités humanitaires, pourrait
être interprété comme manifestant la volonté de remettre en cause la
jurisprudence précitée et de (re) placer sur le même plan, celui de la loi,
l’ensemble des conventions internationales. Mais il est vrai qu’à l’inverse,
ce choix pourrait s’expliquer par l’idée que la jurisprudence de la Cour se
trouvant définitivement acquise, il n’est pas nécessaire de reformuler sur
ce plan les dispositions constitutionnelles : lecture moins pessimiste que
la première, et qui semble, au fond, mieux correspondre à l’orientation
générale du projet.
B - La palette des libertés
Si, après avoir évoqué la question des sources, et donc, de la
valeur normative des droits et des libertés dans le projet, on s’intéresse
à leur contenu, on constate d’abord que le projet reprend les catégories
et sous catégories classiques du droit des libertés (droits créance/droits
puissance, droits physiques/droits intellectuels). En revanche, si l’on cesse
de considérer l’ordonnancement général pour examiner de plus près les
libertés figurant dans le projet, on se trouve confronté à une énonciation
1
Cas n° 22, année judiciaire 8, 4 janvier 1992.
2
Cas n°23, année judiciaire 16, 18 mars 1995.
84
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
beaucoup moins habituelle – et qui semble correspondre à un double
objectif de modernisation et de concrétisation.
1 - Modernisation
Alors que la Constitution de 2012 se montre en la matière nettement
traditionaliste, qu’elle insiste sur la prééminence de la Charia, qu’elle
évoque la nécessité de « préserver le caractère authentique de la famille
égyptienne » ou qu’elle se situe dans une perspective jus naturaliste1, le
projet de 2013 se veut plus moderniste – ce qui se traduit par une rupture
avec certaines dispositions emblématiques du texte précédent.
Cette volonté se manifeste tout spécialement à propos de la
liberté religieuse. Élaborée par une assemblée constituante massivement
islamiste, la constitution de 2012 avait réglé cette question avec une
certaine sécheresse, l’article 43 disposant que « la liberté de croyance est
garantie », l’alinéa 2 ajoutant que « l’État assure la liberté du culte et de la
construction des lieux de culte des religions révélées, selon les dispositions
de la loi. » Cette formulation laconique et abstraite laissait à l’État le soin
de déterminer discrétionnairement le périmètre de cette liberté. L’article
64 du projet de constitution, s’il présente une structure similaire, adopte
en revanche un ton bien différent. L’alinéa 1er affirme en effet que « la
liberté de croyance est absolue » - ce qui est tout autre chose que de déclarer
simplement qu’elle est « garantie. » L’alinéa 2, ensuite, qui évoque lui
aussi la liberté de culte, ne se borne pas à renvoyer sa mise en œuvre à la
loi, mais souligne qu’il s’agit « d’un droit » : un droit qui ne saurait donc
être substantiellement remis en cause par la loi qui l’organise, laquelle
ne pourrait être adoptée qu’à la majorité qualifiée des deux tiers en vertu
article 121 alinéa 4. Cette affirmation de la liberté religieuse se traduit
aussi, en négatif, par la disparition de l’article 44 de la Constitution de
2012, selon lequel « Tout dénigrement ou diffamation de l’ensemble des
messagers et des prophètes est interdit » : un article qui, en raison de sa
généralité, aurait pu être utilisé comme une redoutable machine de guerre
à l’encontre des autres religions.2
1
Cf Article 34 de la Constitution de 2012 : « La liberté personnelle est un droit naturel ».
2
En octobre 2012, plusieurs procès furent du reste intentés à des chrétiens sur ce fondement.
85
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Autre exemple notable, la disparition du très controversé article  219,
selon lequel « Les principes de la charia islamique comprennent ses preuves
globales, ses bases fondamentales, les règles de la jurisprudence, ainsi que ses
sources significatives, acceptées par les écoles juridiques de la tradition du
Prophète et l’ensemble de la communauté. » Non que la charia soit en tant
que telle attentatoire aux libertés, notamment dans l’interprétation qu’en
donne la Cour constitutionnelle suprême sur le fondement de l’article 2
de la constitution.1 Mais le fait est que cet article 219, introduit dans la
constitution de 2012, donnait le sentiment d’être susceptible de mettre à
mal cette interprétation jurisprudentielle modérée, et d’y substituer une
lecture plus extensive, plus littérale et moins tolérante. D’où l’intérêt,
au moins symbolique, de la suppression de cet article dans le projet de
constitution.
Dernier exemple significatif, l’article 235, consacrée à la construction
et à la rénovation des églises. Là aussi, on pourrait légitimement se demander
ce que fait dans une constitution un article prévoyant que « Durant sa
première législature après l’entrée en vigueur de la présente Constitution, la
Chambre des représentants devra prendre une loi pour régir la construction et
la rénovation des églises, garantissant aux Chrétiens la liberté de pratiquer leurs
cultes. Le pluriel résulte de la pluralité des cultes chrétiens en Égypte ». Mais ce
qui semble un point de détail est en fait une source de tension chronique
entre les communautés chrétiennes et musulmanes2 : en vertu d’une
ordonnance remontant à l’époque ottomane, les non-musulmans ont en
effet l’obligation d’obtenir un décret présidentiel avant toute construction
ou réparation d’un lieu de culte – d’où, une restriction souvent qualifiée d’
« archaïque » et péniblement ressentie par les intéressés, que l’article 235
du projet vise à neutraliser en se contentant pas d’énoncer une obligation
1
Dr Hatem Aly Lahib Gabr, « The InterprÉtation of Article 2 of the Egyptian constitution
by the Supreme Constitutionnal Court », in K. Boyle, A. Omar sheriff, Human rights and
democracy, op.cit., p. 217ss ; ou Clark Benner Lombardi, State law as Islamic Law in Modern
Egypt, Columbia, Columbia university Press, 2001.
2
Human Rights Watch, dans son rapport du 10 avril 2013, rappelle ainsi les bouffées de violence
qui eurent lieu à Imbaba en mai 2011, lorsque fut évoqué un projet de loi uniformisant les
règles relatives aux lieux de culte.
86
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
– comme le faisait l’article 43 alinéa 2 de la constitution de 20121 - mais
en précisant le délai et les modalités de sa mise en œuvre.
2 - Concrétisation
La seconde orientation significative du projet tient à ce qu’on
pourrait appeler la volonté de « concrétisation des normes » - en rapport
avec le souci d’efficacité dont on a déjà souligné l’importance aux yeux des
constituants.
Les droits dits de la deuxième génération, ou « droits créances »,
sont souvent perçus, par les pouvoirs publics et par le juge, comme de
simples déclarations de principe dépourvues de consistance normative.
C’est ce que rappelait George Vedel en 1949 à propos des « principes
politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre
temps » figurant dans le préambule de la constitution française de 1946 :
si, dans son ensemble, celui-ci a valeur constitutionnelle, « il faut excepter
cependant de ce principe les parties du préambule qui, à raison de leur
imprécision, ne peuvent être ramenées à des prescriptions assez rigoureuses
pour être de véritables règles de droit »2. D’où, le sentiment de déception
que suscitent ces « droits » qui n’en sont pas, quand bien même ils sont
supposés « garantis par la nation » - la référence à cette pure abstraction
confirmant que la garantie ainsi évoquée est strictement rhétorique. Dans
le nouveau texte constitutionnel de 2014, au contraire, la plupart des
droits créances, après avoir été énoncés, se trouvent assortis de précisions
relatives au rôle de l’État ou de la loi dans leur mise en œuvre. L’article 80
relatif aux droits de l’enfant, par exemple, après avoir défini ce dernier et
rappelé ses droits fondamentaux, précise que « l’État garantit les droits des
enfants handicapés et assure leur réadaptation et leur intégration dans la
société » (alinéa 2), que « l’État doit s’occuper des enfants et les protéger de
toute forme de violence, d’abus, de mauvais traitements et d’exploitation
commerciale ou sexuelle » (alinéa 3), et que l’État doit accorder aux
enfants une aide légale (alinéa 5). Autant de dispositions correspondant à
1
« L’État assure la liberté du culte et de la construction des lieux de culte des religions révélées,
selon les dispositions de la loi. »
2
G. Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p.326.
87
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
la philosophie interventionniste qui sous-tend la notion même de « droitscréances » - même si l’État égyptien lui-même ne se définit plus comme
« socialiste », ainsi qu’il le faisait encore dans la Constitution de 19711.
Mais il arrive que la formulation soit encore plus contraignante :
c’est le cas lorsqu’après avoir énoncé l’un de ces « droits créances », l’État
s’engage à consacrer à sa réalisation un pourcentage chiffré de son budget
annuel - comme à propos du droit à la santé proclamé par l’article 18,
l’alinéa 2 assurant que l’État consacrera à la santé publique « une proportion
de son budget qui ne saurait être inférieure à 3 % du PNB. » Cet aspect du
projet appelle deux remarques. La première, c’est que la Constitution de
2012 ne prévoyait pas ce type de mécanisme2, son article 62 se bornant
à déclarer, à propos du droit à la santé, que « l’État lui consacre une
partie suffisante du revenu national. » L’État conservait ainsi un pouvoir
discrétionnaire d’appréciation de ce qui est « suffisant », cette formulation
excluant que la Cour constitutionnelle suprême puisse censurer une loi de
finances sur le fondement de l’article 62. La seconde remarque, c’est que
ce mécanisme chiffré n’est pas limité au droit à la santé. Selon le même
principe, « L’État s’engage à consacrer à l’éducation une proportion des
dépenses publiques d’au moins 4 % du PNB » (article 19 alinéa 3), au
moins 2 % à l’enseignement supérieur (article 21 alinéa 2) et 1 % à la
recherche scientifique (article 23 alinéa premier). On peut donc y voir
l’une des innovations les plus intéressantes du projet - ainsi d’ailleurs que
l’une des marques caractéristiques de ce texte essentiellement soucieux
d’efficacité.
II - Les libertés protégées
Napoléon ayant un beau jour décidé de restreindre drastiquement
la liberté de la presse, expliqua à Fouché, son ministre de l’intérieur, que
pour faire passer la chose, il ferait précéder le décret par six longues pages
affirmant solennellement la dignité éminente de cette liberté. L’anecdote
rappelle qu’il ne suffit pas de déclarer des droits pour leur donner une
1
Son article premier, alinéa 1er, disposait que « la république arabe d’Égypte est un État
démocratique socialiste fondé sur l’alliance des forces laborieuses du peuple ».
2
Pas plus, du reste, que la Constitution de 1971.
88
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
consistance : encore faut-il les garantir contre d’éventuelles atteintes, et
encadrer les limites et que les dérogations aussi étroitement possible.
A - Des garanties
Les garanties des libertés figurant dans le projet de constitution sont
de deux ordres, institutionnelles, mais aussi et surtout, juridictionnelles.
1 - Institutionnelles
Parmi les premières, il faut reconnaître que certaines ne sont pas
totalement convaincantes : il en va ainsi du principe de séparation des
pouvoirs affirmé dans l’article 5. En effet, cette notion, « centrale dans
le système égyptien » depuis la Constitution de 19231 - et en particulier
dans celle de 1971, instituant un régime qualifié de « présidentiel » -,
n’a jamais représenté un rempart efficace contre les atteintes aux libertés
et les tendances hégémoniques du Président. On note du reste que la
Constitution de 2012 affirmait elle aussi ce principe dans ses articles 62 et
132, ce dernier confiant au président de la République, chef de l’État et de
l’exécutif, la mission prendre « soin de la séparation des pouvoirs » - une
formulation assez peu rassurante, il faut en convenir.
D’autres mécanismes, en revanche, paraissent plus susceptibles
d’assurer une garantie plausible. Il en va ainsi de l’article 226 alinéa 5,
l’une des innovations les plus spectaculaires du projet, selon lequel « en
aucun cas, les dispositions relatives aux libertés et à l’égalité ne sauraient faire
l’objet d’une révision, si ce n’est pour en accroître les garanties ». Cet interdit,
qui a pour objet de restreindre pour l’avenir les pouvoirs du constituant
en lui interdisant, sur ce plan, tout retour en arrière, n’est pas inédit : on
le rencontre ainsi dans la récente constitution marocaine du 29 juillet
2011, dont l’article 175 dispose que sont insusceptibles de révision « (…)
les acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans
la présente Constitution. » Or, comme le notait le Professeur Rousset à
1
Dr Awad Mohammad El-Morr et al, « Separation of powers and limits on presidential powers
under the egyptian constitution », in K. Boyle, A. Omar sheriff, Human rights and democracy,
op.cit., p. 63.
2
« Le régime politique est fondé sur les principes (…) de la séparation des pouvoirs et de leur
équilibre (…) ».
89
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
propos du Maroc, ce type d’interdit vise « à mettre hors d’atteinte de la
révision ce que le constituant originaire estime si fondamental pour la société
politique que sa remise en cause n’apparaît pas concevable »1. Concrètement,
il a pour effet incontestable de sanctuariser les droits et les libertés : de les
placer définitivement hors d’atteinte, non seulement du législateur ou du
pouvoir réglementaire, mais aussi, du constituant, en les faisant bénéficier
de ce qu’on qualifie en droit constitutionnel français d’un « effet cliquet. »2
Outre cette garantie « normative », le projet de constitution met en
place un certain nombre de garanties « organiques. »
D’une part, il confie à des institutions préexistantes le soin
d’assurer cette défense – par exemple, lorsqu’il fait obligation aux
universités, dans l’article 24, d’ « enseigner les droits de l’homme » - ce
que ne faisait (évidemment) pas la Constitution de 2012 dans l’article
correspondant (article 60). Par ailleurs, il procède à la création d’organes
assimilables à nos « autorités administratives indépendantes ». Il en va ainsi
du Conseil national des médias, qui se distingue de son prédécesseur, le
Conseil national de l’information prévu par l’article 215 de la constitution
de 2012, par la volonté d’affirmer son indépendance ; à ce titre, le
Conseil est défini, dans l’alinéa premier de l’article 211, comme « une
entité indépendante dotée de la personnalité morale, bénéficiant d’une
indépendance technique, financière et administrative, et d’un budget
propre ». Or en la matière, l’indépendance reconnue à l’organe chargé
de garantir une liberté conditionne largement l’effectivité de celle-ci. À
l’inverse, le Conseil national de l’information de la constitution de 2012,
non seulement ne se voyait reconnaître aucune indépendance organique,
mais se trouvait investi d’une mission politique consistant à « s’assurer de
l’engagement des divers médias à respecter (…) les valeurs de la société et
ses traditions constructives ».
Outre le Conseil national des médias, la constitution prévoit,
dans son article 214, la mise en place de plusieurs « conseils nationaux
1
Michel Rousset, « La révision constitutionnelle », in D. Basri, M. Rousset, G. Vedel, Trente
années de vie constitutionnelle au Maroc, Paris, LGDJ, 1993, p. 303.
2
Cf Wagdi Sabete, Pouvoir de révision constitutionnelle et droits fondamentaux, étude des
fondements de la limite matérielle du pouvoir constituant dérivé, Rennes, PUR, 2005, p. 183 ss.
90
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
indépendants » dotés d’une fonction consultative obligatoire lors de
l’élaboration de lois et de règlements relatifs à leur objet, comme le
Conseil national des droits de l’homme, le Conseil national des femmes,
le Conseil national de l’enfance et de la maternité ou le Conseil national
des handicapés.
2 - Juridictionnelles
Néanmoins, quelle que soit l’efficacité de ces garanties
institutionnelles, c’est d’abord aux juridictions qu’il revient d’assurer
la protection des droits et des libertés : c’est d’ailleurs ce que rappelle le
premier article du chapitre consacré à « la primauté de la loi » (rule of
law), l’article 94 alinéa 2 : « l’indépendance, l’immunité et l’impartialité
de la justice sont des garanties essentielles à la protection des droits et
des libertés. »1Ce principe de l’indépendance des juges est d’ailleurs répété
dans les articles 184 et surtout 186, ce dernier disposant que « les juges
sont indépendants, (qu’) ils ne peuvent être destitués, ne sont soumis à
aucune autre autorité que la loi, et sont égaux en droits et en devoirs ».
Le chapitre consacré à la « rule of law » énonce à ce propos les
bases d’un système de garanties juridictionnelles conformes aux standards
internationaux. Il rappelle ainsi, dans un article 97 reprenant l’article 75
de la constitution de 2012, ce qu’on appelle « le droit au droit » - c’est-àdire, le droit inviolable de chacun d’accéder à un tribunal, de n’être jugé
que par son « juge naturel »2 et d’en obtenir une décision dans un délai
suffisamment bref. Ce qui implique en particulier la justiciabilité de tous
les actes, c’est-à-dire, l’interdiction formelle de faire bénéficier un acte ou
une décision administrative d’une immunité de juridiction, et en parallèle,
1
Détail significatif, l’article correspondant de la Constitution de 2012, l’article 74, ne fait pas
mention de l’impartialité…
2
Mahmoud Mahmoud Mostapha définit ce dernier comme un juge réunissant les qualités
suivantes : « il est nommé selon les conditions posées par la loi organisant le pouvoir judiciaire ;
il exerce ses fonctions en matière criminelle selon les dispositions du code de procédure
pénale ; ses décisions et ses jugements sont susceptibles des voies de recours tracées par le code
de procédure pénale. De cette façon se réalise la justice et l’égalité pour tout accusé. » (Dr
Mahmoud Mahmoud Mostapha, « les droits de l’homme dans la procédure pénale (phase du
jugement) », La protection des droits de l’homme dans la procédure pénale en Égypte, en France et
aux États-Unis, Paris, Erès, 1989, p.177).
91
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
la prohibition absolue des tribunaux d’exception. Vue de France, cette
dernière précision pourrait sembler superflue ; dans le contexte égyptien,
elle apparaît au contraire comme manifestant une volonté de rupture
avec des pratiques aussi banales que contestables : comme le notait en
1988 le pénaliste égyptien Mahmoud Mahmoud Mostapha, le nouveau
pouvoir établi après la révolution de 1952 et la chute de la monarchie
fut amené, dans les années 50 à 70, « à créer des tribunaux exceptionnels,
comme le tribunal de concussion, le tribunal révolutionnaire, le tribunal
du peuple. Ces tribunaux étaient constitués de personnes non formées,
comme si les connaissances juridiques et la pratique de la justice étaient
une question d’intuition et non pas de profession et de formation. »1
En 1971, la nouvelle constitution égyptienne « n’a pas porté un grand
intérêt au pouvoir judiciaire. Elle a seulement prévu de simples slogans
concernant l’indépendance du judiciaire et son immunité »2 : ce qui permit
aux pouvoirs publics, là encore, de multiplier les juridictions d’exception
dont la caractéristique principale était justement le peu de garanties
qu’elles offraient aux justiciables : ainsi, en 1980, la loi n° 95 dite « de
protection des valeurs contre le vice », ou encore la loi n° 105 de 1980
portant création des tribunaux de sûreté de l’État, ces derniers s’ajoutant
aux tribunaux d’état d’urgence établis par la loi n° 162 de 1958.
Parallèlement aux juridictions d’exception proprement dites, on
note aussi la présence massive des tribunaux militaires - prévus à l’origine
par la loi de justice militaire n° 25 de 1966, laquelle, détail significatif,
n’exigeait pas que le juge militaire ait la moindre formation juridique3. Ces
tribunaux manifestèrent un activisme sans précédent entre le 11 février
2011 et le 30 juin 2012, durant l’interrègne qui sépara la chute du
président Moubarak et la prise de pouvoir effective par le président Morsi :
alors que l’autorité est entièrement entre les mains du Conseil suprême des
forces armées, les tribunaux militaires jugeront plus de 12 000 civils, soit
plus que durant les 30 années de l’ère Moubarak. Sous la présidence Morsi,
1
Idem.
2
Idem, p. 176.
3
Idem, p.179.
92
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
l’activité des tribunaux militaires se poursuivit1 – le président déclarant
ainsi le 26 juin 2013, quelques jours avant sa chute, que le code de justice
militaire était applicable à toute personne qui insulte le président, lequel
est en effet aussi le chef des forces armées. C’est donc en réaction à cette
pratique clairement contraire aux standards internationaux que l’article
204 alinéa 2 du projet de constitution dispose que les juridictions militaires
ne sont pas compétentes à l’égard des civils, sauf exceptions limitativement
énoncées.
C’est cette volonté de garantir enfin les droits de la défense,
jusqu’ici fortement malmenés, qui conduit l’article 98 à en affirmer le
principe - ajoutant à l’article 78 de la constitution de 2012 une précision
importante relative à l’indépendance des avocats et à la protection de leurs
droits, définies à juste titre comme « une garantie pour les droits de la
défense ». La modernité juridique, en la matière, passe par la volonté de se
conformer de façon aussi étroite que possible aux standards internationaux.
À ce propos, on peut citer l’article 55 alinéa 4, disposant qu’une personne
poursuivie en justice « possède le droit de garder le silence », un droit que la
Cour européenne des droits de l’homme avait défini, dans un arrêt Brusco
contre France du 14 octobre 2010, comme « une norme internationale au
cœur de la notion de procès équitable. » L’article 54 alinéa trois indique
qu’une personne privée de liberté ne peut en aucun cas être interrogée en
dehors de la présence de son avocat ; l’article 55 dispose dans son alinéa
premier que toute personne appréhendée « doit être traité de telle sorte
que sa dignité soit préservée ».
Dans le chapitre relatif à la « Rule of law » sont également posés
les principes applicables à la procédure pénale : légalité et personnalité
des délits et des peines, non-rétroactivité (article 95), présomption
d’innocence, double degré de juridiction (article 96), etc. Là encore, la
volonté de se rapprocher des canons du droit pénal moderne implique
une rupture avec les pratiques habituelles. On songe par exemple à une
règle aussi élémentaire que celle de la personnalité des délits et des peines,
explicitement violée en 1980 par la loi n° 95 « de protection des valeurs
contre le vice », laquelle prévoyait notamment une sanction consistant
1
Cf Human Rights Watch, 30 janvier 2013.
93
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
à mettre sous séquestre les biens, non seulement du condamné, mais
également de sa femme et de ses enfants, majeurs ou mineurs1. Ou encore,
à la suppression du renvoi pour les crimes les plus graves prévue par la loi
n° 105 de 1980 relatives aux cours de sûreté de l’État2.
Mais l’expérience montre qu’il ne suffit pas d’énoncer des règles, il
importe aussi de prévoir des sanctions à l’encontre de ceux qui les transgressent :
une leçon confirmée par violences interreligieuses qui s’étaient multipliées depuis
l’élection du président Morsi, et qui n’eurent aucune suite judiciaire3. Voilà
pourquoi le chapitre sur la « rule of law » innove en organisant spécifiquement,
dans son article 99, la sanction des atteintes aux libertés fondamentales - une
sanction d’ailleurs conçue avec une extrême sévérité, toute atteinte constituant
« un crime pour lequel le procès pénal ou civil est imprescriptible ». En outre,
en consonance avec la perspective interventionniste évoquée plus haut, le
second alinéa de l’article 99 précise que « L’État assure une réparation équitable
à celui qui a été lésé. Le Conseil national des Droits de l’Homme doit informer
le parquet de toute violation de ces droits, et peut intervenir au procès civil aux
côtés de la personne lésée à la demande de celle-ci ».
B - Les Limites
Comme le notait le professeur Hassan Sadek El-Marsafaoui à la fin
des années 1980, « la liberté des individus dans une société organisée ne
veut pas dire qu’il s’agit d’une liberté absolue sans limite aucune, car c’est à
ce moment-là que la liberté tournera à l’anarchie. Il est donc utile de tracer
des limites séparant les libertés protégées de l’anarchie interdite. »4 Toute
la question est ici de maintenir un équilibre entre les libertés souhaitables
et les contraintes nécessaires. C’est ce que tente d’établir le projet de
constitution.
1
Dr Mahmoud Mahmoud Mostapha, « Les Droits de l’homme dans la procédure pénale
(phase du jugement) », op.cit., p. 181.
2
Idem, p. 176.
3
Human Rights Watch indique, dans une communication du 10 avril 2013, que cette immunité
n’a eu qu’une seule exception, à propos des incidents de Dashour en juillet 2012 – mais que
même alors, les recherches n’ont été suivies d’aucune poursuite.
4
Pr Hassan Sadek El-Marsafaoui, « La phase préparatoire du procès pénal en droit égyptien »,
in La protection des droits de l’homme, op. cit., p. 159.
94
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
1 - Des limitations encadrées
L’un des moyens de parvenir à cet équilibre - autrement dit, d’éviter
les dérapages -, consiste à encadrer les restrictions susceptibles d’être
apportées à une liberté particulière, ou encore, les périodes d’exception
au cours desquelles on est amené à les restreindre de façon générale. C’est
ce que manifeste clairement les nouvelles dispositions relatives à l’état
d’urgence – c’est-à-dire, à ce qui constitue, dans l’histoire contemporaine de
l’Égypte, un problème récurrent et d’une extrême gravité, l’état d’urgence
ayant été maintenu durant 30 ans jusqu’à sa levée en mai 2012, et au fond,
presque sans interruption depuis la révolution de 1952. Une situation
inadmissible, dès lors que l’on reconnaît que « la loi d’urgence signifie
l’absence de loi. » 1.
Sur ce plan, le président Morsi, s’il a voulu rompre avec cet usage
détestable, n’en a pas moins montré une certaine ambiguïté2 - que l’on
retrouve sans surprise dans l’article 148 de la constitution de décembre  2012,
dont les défauts se révèlent dans toute leur netteté lorsqu’on le compare
avec l’article 154 du projet de constitution.
Les débuts des deux articles sont à peu près identiques (à
cette différence près que le projet de constitution institue un système
monocaméral, alors que celui mis en place par la constitution de 2012
était bicaméral). Le président de la République déclare l’état d’urgence
après avoir demandé l’avis du gouvernement, cette déclaration devant être
soumise à la Chambre des Représentants dans les sept jours suivants, et
approuvée par la majorité de ses membres.
Les divergences apparaissent ensuite, et avec elles, l’ambiguïté de la
constitution de 2012 à propos de ce qui représente en la matière la question
cruciale : celle de la durée de l’état d’urgence, et son éventuel renouvellement.
Alors qu’en vertu de l’article 154 du projet de constitution, « La déclaration
1
Dr Mahmoud Mahmoud Mostapha, « Les droits de l’homme dans la procédure pénale (phase
du jugement) », in La protection des droits de l’homme, op.cit., p.179.
2
Notamment lorsque, le 27 janvier 2013, il déclare l’état d’urgence pour 30 jours dans
trois villes, Port-Saïd, Suez et Ismaïlia, après deux jours de violences entre la police et des
manifestants ; ou qu’il laisse en place les juridictions d’exception établie sur le fondement de
la loi d’urgence.
95
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
est établie pour une durée déterminée ne devant pas excéder trois mois »,
l’article 148 de la constitution de 2012 évoque une durée de six mois. Par
ailleurs, l’état d’urgence, qui selon l’article 154 ne peut être prolongé pour
une durée semblable qu’ « après approbation par les deux tiers de la Chambre
des Représentants », devait être approuvé par référendum dans l’article 148.
En somme, la version de la constitution de 2012 paraissait formellement
plus démocratique, mais aussi - et par conséquent - potentiellement moins
protectrice des droits et des libertés, l’usage du référendum en période
de tension conduisant presque automatiquement à valider des mesures
restrictives, voire, à légitimer leur radicalisation.
2 - Des limitations salutaires ?
« Pas de libertés pour les ennemis de la liberté » : le mot de SaintJust est à double tranchant, et a pu conduire à justifier les despotismes
les plus effroyables. Pourtant, il relève parfois du simple bon sens : dans
certaines hypothèses, la limitation de certaines libertés constitue la
meilleure manière, quand ce n’est pas la seule, de garantir les autres.
C’est ainsi que l’on peut interpréter les articles 74 et 75 du projet
de constitution, en ce qu’ils restreignent, pour des raisons évidentes, la
liberté de formation des associations et des partis politiques telle qu’elle
avait été énoncée dans l’article 51 de la constitution de 2012.
Selon l’article 74, il est interdit « de se livrer à une activité politique
ou d’établir des partis politiques fondés sur une base religieuse ou sur une
discrimination fondée sur le sexe, l’origine, la religion ou la situation
géographique, de même que sont interdites les activités politiques hostiles
à la démocratie, ou secrètes, ou de nature militaire ou paramilitaire. » De
la même façon, l’article 75, qui réglemente la liberté d’association, dispose
que celles-ci doivent se former « sur une base démocratique », l’alinéa 3
reprenant pour l’essentiel les dispositions de l’article 74 en interdisant la
création ou le maintien d’associations ou d’organisations civiles ayant des
structures ou des activités secrètes, ou un caractère militaire ou paramilitaire.
Le contraste est frappant avec la liberté absolue établie dans
l’article 51 de la constitution de 2012, selon lequel « Les citoyens ont le
droit, sur simple notification, de créer des associations, des organisations
96
Les libertés fondamentales dans le projet de constitution
non gouvernementales et des partis qui exercent leurs activités librement
et qui ont la personnalité morale ». Mais il vise en réalité à empêcher le
retour en force des groupes islamiques, Frères musulmans ou Salafistes, qui
s’étaient emparés du pouvoir à l’été 2012, et qui, en un an, avait amoncelé
les menaces sur les libertés fondamentales. Et il le fait en multipliant les
conditions : le fondement, qui ne doit pas être religieux, l’organisation,
qui ne doit pas être secrète, la nature, civile et non militaire, les activités,
non hostiles à la démocratie : autant d’éléments qui permettront le cas
échéant au juge de procéder à la dissolution qu’il est seul compétent pour
prononcer (et l’on voit ici, dans l’alinéa 2, le contrepoids protecteur à
l’approche restrictive de l’alinéa 1er).
C’est ainsi que le projet de constitution qui sera soumis aux
Égyptiens à la mi-janvier 2014 manifeste, jusque dans ses limitations, le
souci de sortir de la «  magie blanche  » des droits de l’homme, de l’incertitude
et du verbiage, en vue de donner enfin aux libertés fondamentales une
consistance véritable. Ce qui signifie que le projet, s’il était adopté puis
sérieusement mis en œuvre, représenterait dans l’histoire politique de
l’Égypte moderne le tournant révolutionnaire le plus important depuis
1952.
97
Zeina el Tibi
Les droits de la femme
La condition de la femme a été – et
reste - l’un des enjeux des confrontations
politiques qui ont suivi les révolutions dans
certains pays arabes, notamment en Égypte
et en Tunisie, où l’on a pu craindre que les
acquis de la période Bourguiba ne fussent
remis en question du fait de la montée en
puissance de certains mouvements plus ou
moins obscurantistes qui trahissent les vraies
valeurs de l’Islam.
En effet, il est une fois de plus
nécessaire de rappeler qu’il convient de
faire la distinction qui s’impose entre la
religion musulmane et les coutumes et
autres pratiques ou habitudes qui sont très
éloignées des prescriptions islamiques. S’il
est incontestable que la condition de la
femme dans certains pays musulmans – et
plus particulièrement dans certaines couches
de population - est déplorable, ce serait une
erreur d’imputer la responsabilité de ce genre
de situation à l’Islam. L’erreur, répandue dans
les pays occidentaux, serait de prétendre que
c’est la religion qui conduirait à brimer les
femmes et que leur émancipation passerait
par un recul des valeurs religieuses. Or, le
problème n’est pas là mais bien dans une
mauvaise connaissance de l’enseignement de
l’Islam et dans des applications erronées qui
99
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
font d’ailleurs plus la part à des coutumes, des pratiques folkloriques et
des superstitions qu’à la vraie religion. Il est donc important de faire la
différence entre ce qui émane d’une culture locale sociale structurellement
patriarcale et ce qui relève des prescriptions spirituelles essentielles1.
La priorité consiste à mettre en lumière les véritables enseignements
de l’Islam et bien marquer ce qui les distingue de comportements douteux
et sans véritables fondements religieux.
Pour ne prendre que trois exemples concernant l’Égypte, il est
indéniable que le harcèlement insupportable et les attouchements dont
sont victimes les femmes égyptiennes n’ont strictement rien à voir avec la
religion. Les prétendus crimes « d’honneur » qui sont parfois rapportés et
les actes de violence conjugale ne peuvent bien entendu se justifier par la
religion car ils découlent simplement de l’ignorance et de l’obscurantisme.
De même, l’excision n’a aucun fondement religieux. Ce fléau –
qui trouve ses origines avant l’Islam et a des racines africaines - touche
d’ailleurs aussi bien les chrétiennes (coptes) que les musulmanes au point
que le grand Imam d’Al Azhar, cheikh Mohammed Sayyed Tantaoui2,
et le patriarche de l’Église copte, Chenouda III, ont solennellement
affirmé au milieu des années 1990 que l’excision n’a aucune base dans les
textes religieux. Le cheikh Mohammed Sayyed Tantaoui a explicitement
condamné l’excision à l’occasion d’un débat déclenché en Égypte en 1996
à la suite d’un reportage de la chaîne de télévision états-unienne CNN.
Fin novembre 2006, l’Université al-Azhar du Caire, la plus haute référence
religieuse en Égypte et l’un des plus hautes dans le monde musulman, a
lancé une fatwa contre les mutilations génitales féminines, qualifiées de
« crime contre l’espèce humaine ». Le grand Moufti d’Égypte Ali Goma’a et
dix autres figures éminentes du monde musulman ont ensemble tranché la
question en interdisant cette pratique et en rappelant que « l’islam interdit
d’infliger des souffrances aux autres ».
1
V. notre ouvrage L’islam et la femme, Paris, Desclée de Brouwer (DDB), 2013.
2
Le cheikh Tantatoui est mort en mars 2010 suite à une crise cardiaque. Il a été remplacé dans
la fonction de grand Imam d’Al Azhar, gardien des principes d’un islam modéré, par le cheikh
Ahmed Mohamed el-Tayeb.
100
Les droits de la femme
Sans accorder à ce genre de sondage plus d’autorité scientifique
qu’il ne mérite, on peut s’inquiéter de lire que selon une enquête de la
Fondation Thomson Reuters, publié le 12 novembre 2013, l’Égypte
arrive en dernière position parmi les 22 pays de la Ligue arabe, en matière
de droits des femmes. C’est d’autant plus affligeant que c’est en Égypte
que s’est développé au xixe siècle, un grand mouvement réformiste qui a
voulu redonner à l’Islam son dynamisme et son caractère progressiste en
renouant avec l’effort d’adaptation (ijtihâd). Or, les réformistes, soucieux
de la modernisation des sociétés musulmanes et en harmonie avec l’action
des dirigeants politiques visant à moderniser le pays, ont toujours accordé
une place de premier plan à la question de la femme.
Le long chemin de la femme égyptienne
C’est précisément un penseur égyptien de premier plan qui a été
à l’origine de ce combat. Figure de la Nahda et précurseur du courant
réformiste de l’Islam1, Rifa’a Rafi el Tahtâoui a été un pionnier du combat
pour la revalorisation de la condition de la femme en écrivant, dès 1869,
un ouvrage – Manahij al Albab al Misrya fi Manahej el Adeb el Asria (Les
voies des intelligences égyptiennes dans les méthodes des lettres modernes)invitant à promouvoir l’égalité des sexes dans l’éducation, domaine
essentiel pour le renouveau, et le travail, puis, en 1872, un ouvrage – Kitab
al murshid al amin fi tarbiyyati al banat wa al banin (Le manuel juste pour
l’éducation des filles et des garçons)2- en faveur de l’émancipation de la
femme musulmane. Dans ce dernier ouvrage, il propose une réflexion sur
les méthodes pédagogiques à introduire dans l’éducation en Égypte et sur la
nécessité d’impliquer et d’intégrer la femme dans la vie socio-économique
de la société en lui permettant de bénéficier de l’éducation moderne. On
doit à Rifa’a el Tahtâoui la fondation de l’école des infirmières, en 1832,
qui fut le jalon vers la voie au travail de la femme
1
V. Charles Saint-Prot, La tradition islamique de la réforme, Paris, CNRS éd., 2010, trad. en
arabe, Le Caire, centre national de la traduction, 2013.
2
Rifa’a Rafi el Tahtawi, L’émancipation de la femme musulmane, traduit de l’arabe (Kitab al
murshid al amin fi tarbiyyati al banat iwa al banin, 1872), Beyrouth, Al Bouraq, 2000.
101
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Tahtâoui a exposé avec fermeté qu’il est indispensable de distinguer
entre le contenu spirituel du Message islamique et ses diverses interprétations
pour redécouvrir que l’Islam ne constitue pas un obstacle au développement
de la condition féminine, mais ce sont plutôt les coutumes à caractère païen
ou folklorique qui nuisent à son évolution. Ce sera exactement ce que dira
le courant réformiste, l’Islah, dont la figure de proue fut un autre intellectuel
égyptien, le cheikh Mohammed Abdou. Au sein de ce mouvement réformiste,
c’est Kassem Amîn (m. 1908) qui consacra le plus d’efforts à la question de
la femme. Ce juriste publia un premier ouvrage, en 1899, intitulé Tahrir El
Mar’â (la libération de la femme) dont un chapitre sur les droits de la femme
est attribué à Mohammed Abdou, puis un second en 1901 intitulé el Mar’â
al jadida (la femme nouvelle) en 1901.
Durant l’entre-deux-guerres, le mouvement de libération nationale
(contre le protectorat britannique), en particulier le chef du Wafd Saad
Zaghloul, accorda également une grande place à la condition de la femme,
comme le fit d’ailleurs le roi Mohammed V au Maroc. Il est notable que
lors des grandes manifestations contre l’occupation britannique en 1919,
des femmes se mêlèrent aux manifestants pour défiler dans les rues. Très
naturellement, les textes constitutionnels ont retranscrit les évolutions.
Les droits de la femme dans les textes constitutionnels
La constitution égyptienne du 19 avril 1923, adoptée après la fin
du protectorat britannique, disposait dans son article 19 :
« L’instruction élémentaire est obligatoire pour les
jeunes Égyptiens des deux sexes. Elle est gratuite dans les
Maktabs publics. »
Durant ces années, la société bougea. La revue l’Égyptienne, fondée
par Hoda Chaaraoui, défendit les droits de la femme. Dans la seconde
partie des années 1920, l’université s’ouvrit davantage aux femmes. Mais,
il restait encore de nombreux des blocages sociologiques, comme cela
apparaît très clairement dans les ouvrages de Naguib Mahfouz qui montre
comment l’évolution de la femme évolua au rythme de l’Égypte moderne,
102
Les droits de la femme
rencontrant le même besoin de concilier la tradition et l’adaptation à la
modernité1. Pour faire avancer les choses, le rôle et la détermination du
politique étaient déterminants. Ainsi, un nouvel élan fut donné après la
révolution des Officiers libres (1 952).
Tous les Égyptiens connaissent la fameuse vidéo montrant un
discours, des années 1950, où le Raïs Gamal Abdel Nasser se moquait de la
revendication des Frères musulmans voulant imposer le voile aux femmes
égyptiennes. Sur le plan juridique, la constitution de 1956, adoptée par
référendum populaire le 23 juillet 1956, a octroyé à la femme tous les
droits politiques. Ainsi, l’article 31 de la constitution « nassérienne »,
affirmera le principe de l’égalité et de la non-discrimination fondée sur le
sexe, l’origine, la langue, la religion ou l’idéologie. En 1956, la loi n° 73
sur l’exercice des droits politiques disposera que les femmes ont le droit
de vote et de se présenter aux élections pour siéger au Parlement et dans
tous les conseils locaux. Des femmes ont été élues au parlement, pour la
première fois, lors des élections de 1957. En 1962, une première femme
sera nommée ministre des Affaires sociales.
Après la mort de Nasser (28 septembre 1970), Anouar el Sadate
fera adopter une nouvelle constitution, le 11 septembre 1971. L’article
11 prévoit que l’État garantit l’égalité entre hommes et femmes dans
les domaines politique, social, culturel et économique. En 1979, pour
favoriser la présence de femmes au parlement, il fut accordé au président
de la République le droit de nommer des membres supplémentaires.
D’abord de trente, le nombre doubla pour passer à soixante-quatre sous
Hosni Moubarak.
Il est notable que toutes les avancées concernant les droits de la
femme ont fait l’objet de très peu de débats durant longtemps, une grande
majorité d’Égyptiens pensait qu’elles allaient de soi. Alors comment se faitil que le mouvement d’émancipation se soit brusquement étiolé ? Pourquoi,
la question des droits de la femme a surgi brusquement dans les années
1980 au point de faire polémique ? Là comme ailleurs, on peut constater
la funeste conséquence de la révolution iranienne (1979) qui a fait se
1
Fawzia Al Ashmawi-Abouzeid, La femme et l’Égypte moderne dans l’œuvre de Naguib Maḥfûẓ,
Genève, Labor et fides, 1985.
103
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
figer les positions. L’instrumentalisation politique de l’Islam a connu une
accélération après la victoire du régime des mollahs à Téhéran. En même
temps, des courants rétrogrades se développent en Égypte, inspirés par
l’exemple iranien ou par des conservatismes colportés par les immigrés dans
certains pays du Golfe où règne une misogynie bédouine. Des charlatans
répandent des calembredaines affirmant que l’émancipation de la femme
serait un agenda imposé par les Occidentaux, ce qui est un non-sens si
l’on veut bien considérer que c’est l’Islam qui émancipé la femme et qu’il
s’agit de revenir au Message originel. Par ailleurs, on peut mettre en cause
le jeu politicien du régime de Sadate, puis de Moubarak, qui a consisté à
faire des concessions à des groupes obscurantistes pour, d’une part, réduire
l’influence des courants nassériens ou progressistes et, d’autre part, pour
acheter la paix socio-politique et préserver les intérêts économiques de
cercles du pouvoir. À force d’empêcher l’expression des courants nassérien,
progressiste ou libéral, le régime a fait le lit des groupes qui avaient fait
main basse sur la religion et avaient une conception dévoyée de l’Islam.
N’ayant aucune solution aux problèmes de fond du pays, ces groupes ont
investi dans des objectifs superficiels ou aberrants, notamment la réduction
de la condition féminine.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue la révolution du 25 janvier
2011. Elle a eu un aspect socio-économique que l’on a trop ignoré. Beaucoup
d’Égyptiens voulaient des changements pour mieux vivre et plus de justice
sociale. Parmi eux, les femmes de tous âges, de toutes origines sociales et
de toutes convictions, ont joué un rôle non négligeable en étant présentes
dans les rues et les rassemblements place Tahrir. Après la révolution de
2011, beaucoup de femmes égyptiennes se sont senties oubliées. À leurs
yeux, la constitution adoptée en 2012 était parfois fort ambiguë pour ce
qui concerne la condition de la femme. Des formulations peu claires du
texte pouvaient être interprétées comme une menace de confinement de la
femme à son domicile et une réduction de ses droits.
C’est dans ces conditions, que la question de la femme s’est
retrouvée parmi les priorités du projet constitutionnel qui donnera lieu
à la promulgation d’une constitution remaniée après le référendum de
janvier 2014.
104
Les droits de la femme
L’étape de la constitution de 2014
Lorsque le comité spécial de cinquante personnalités a fait
connaître le projet de constitution qu’il avait adopté, le 3 décembre 2013,
le Centre égyptien pour le droit des femmes a publié un communiqué pour
déclarer que la lecture du projet qui sera soumis au référendum, montre la
protection des droits de la femmes sera mieux assuré par les dispositions
constitutionnelles favorables tant sur le plan des droits économiques et
sociaux que sur le plan des droits civils et politiques. Il est notable que
le nouveau texte accorde une large place à la condition et aux droits de
la femme. Il prévoit également des dispositions nouvelles qui constituent
d’incontestables progrès.
Pour la première fois la pleine citoyenneté des femmes est
affirmée puisque l’article 6 dispose que
« Le droit à la nationalité est conféré à tout
enfant né d’un père égyptien ou d’une mère égyptienne.
La reconnaissance juridique de cet enfant et le droit à la
délivrance de documents officiels prouvant son identité
sont garantis par la loi. La nationalité s’acquiert dans les
conditions prévues par la loi ».
Jusqu’à présent, les femmes égyptiennes mariées à des nonEgyptiens ont fait face à d’énormes difficultés pour conférer leur nationalité
à leurs enfants. Cette restriction que l’on retrouve dans d’autres pays
comme le Liban, ce qui peut être considéré comme une diminution des
droits de la femme en tant que citoyen. Il est notable que cette restriction
qui ne repose sur aucun fondement religieux ou autre, n’existe pas dans
d’autres pays arabo-musulmans. Par exemple, au Royaume du Maroc,
le Code de la nationalité a été réformé en 20071, grâce aux efforts du
Roi Mohammed VI, pour consacrer l’égalité entre sexe en disposant que
toute mère marocaine peut transmettre sa nationalité à ses enfants, tout
comme le père. L’annonce avait été faite dès juillet 2005 par le Roi luimême : « Soucieux de toujours répondre aux préoccupations réelles et aux
1
Dahir n°1-07-80 du 23 mars 2007.
105
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
aspirations légitimes et raisonnables de tous les citoyens - qu’ils résident au
Royaume ou à l’étranger -, Nous avons décidé, en Notre qualité de RoiCommandeur des Croyants (Amir Al-Mouminine), de conférer à l’enfant
le droit d’obtenir la nationalité marocaine de sa mère ».
Avec l’article 6 précité, le texte constitutionnel égyptien se
conforme aux textes internationaux d’égalité entre les citoyens des deux
sexes, en particulier l’article 9-2 de la Convention des Nations Unies sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
qui stipule que les « États parties accordent à la femme des droits égaux à
ceux de l’homme en ce qui concerne la nationalité de leurs enfants ».
Par ailleurs, l’article 11 de la constitution soumise à référendum
dispose :
« L’État s’engage à garantir entre la femme et l’homme
l’égalité des droits civils, politiques, économiques, sociaux et
culturels, conformément à la Constitution.
L’État s’emploie à prendre les mesures nécessaires afin
de garantir une juste représentation des femmes au sein du
parlement tel que prescrit par la loi. Il garantit aussi le droit
des femmes d’accéder, sans aucune discrimination, à de hautes
fonctions d’administration et de direction au sein de l’État
ainsi que dans les institutions judiciaires.
L’État s’engage à protéger la femme contre toute
violence et à l’aider à concilier ses devoirs familiaux et son
travail. Il s’engage à aider les mères, les enfants, et les soutiens
de famille et les plus démunies ».
Cet article vise donc à la fois à reconnaître le droit de la femme
à participer à la prise de décisions et exercer une fonction publique, et à
protéger les femmes contre toutes les violences et aider les plus fragiles, les
plus pauvres et marginalisées.
Concernant l’éducation, il est important de souligner que l’article
19 dispose que l’éducation est obligatoire et constitue un droit pour chaque
106
Les droits de la femme
citoyen sans aucune discrimination concepts. L’État est tenu de prendre en
compte les objectifs de citoyenneté, de tolérance et de non-discrimination
dans ses programmes d’enseignement et les méthodes d’enseignement. Il
est également indiqué que l’État ne peut consacrer moins de 4 % du PNB
à l’éducation.
En outre, l’article 93 dispose que « L’État s’engage à respecter les
conventions internationales, pactes et chartes sur les droits de l’homme
ratifiés par l’Égypte », ce qui inclut naturellement les textes protégeant la
femme contre toutes les formes de violence et de discrimination.
Enfin, le conseil constituant a fait montre de réalisme en n’incluant pas
un système de quota – d’ailleurs contestable - dans la participation des femmes
au parlement, se contentant d’affirmer le principe de non-discrimination. En
revanche, concernant les élections locales, l’article 180 dispose
« Chaque collectivité locale élit un Conseil au moyen
d’un direct, secret, publique bulletin de vote pour une durée
de 4 ans. Les candidats doivent être âgés d’au moins 21 ans.
La loi règle les autres conditions et modalités de mise en
candidature ainsi que les procédures d’élection, en vertu de
laquelle un quart des sièges sont alloués aux jeunes de moins
de 35 ans et un quart des sièges aux femmes… »
Il semble que le constituant ait choisi la sagesse et le pragmatisme.
En effet, la mise en place de l’article 280 permettra l’élection de plusieurs
milliers de femmes dans l’ensemble des régions égyptiennes. Ces
implantations locales permettront aux femmes d’acquérir une expérience
dans la gestion des affaires publiques et faciliteront leur élection ultérieure
au parlement.
Au total, le texte constitutionnel de 2014 représente une réelle
avancée dans la mesure où il marque la volonté de faire progresser la condition
de la femme en Égypte. Tout dépendra ensuite de la détermination des
dirigeants de traduire dans les faits les dispositions de la constitution et de
mettre en place le dispositif législatif et réglementaire nécessaire. En tout
cas, la voie est bien tracée.
107
Thierry Rambaud
Le pouvoir judiciaire
et le texte constitutionnel de 2014
Le 3 
juillet 2013, Mohamed
Morsi, premier président égyptien élu
démocratiquement, est destitué par l’Armée,
sous la pression de la rue, pour être remplacé
par Adli Mansour, président de la Haute
Cour constitutionnelle. Cette responsabilité
nouvelle qui échoit à M. Mansour n’est pas
anodine au regard des relations tumultueuses
qui furent celles du pouvoir politique et des
juges au cours des dernières années de la
présidence de Hosni Moubarak et de celle de
M. Morsi. C’est à l’aune de cet événement
récent que l’on souhaiterait introduire notre
sujet sur le « pouvoir judiciaire et le texte de
la Constitution égyptienne de 2014 ».
Ce n’est guère un exercice aisé que
celui de commenter les dispositions d’une
Constitution, dont l’encre est à peine sèche, et
qui n’est ainsi pas encore adoptée ni a fortiori
entrée en vigueur. En effet, les enseignements
du droit constitutionnel comparé incitent à une
grande méfiance en la matière. Plusieurs raisons
peuvent en être sommairement rappelées. En
premier lieu, on le sait, les dispositions d’un
texte constitutionnel, prises en tant que telles,
ne préjugent en rien de l’application qui
en sera faite. Sans revenir sur les acquis de
la théorie réaliste de l’interprétation, il faut
109
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
rappeler le rôle essentiel qui échoit aux interprètes authentiques d’un texte
constitutionnel pour déterminer le sens de ce dernier parmi les différentes
significations qui sont a priori concevables1. Les conventions de la constitution
peuvent également en infléchir la lecture2. En deuxième lieu, il existe un
risque majeur à analyser les dispositions d’une constitution à l’aune de ses
propres représentations et conceptions juridiques, en l’espèce qui relèvent
de ce que l’on pourrait qualifier de « constitutionnalisme occidental ». La
mise en place d’un État de droit en Égypte, à titre d’exemple, ne doit pas
être évaluée et jugé à l’aune des expériences européennes de l’État de droit.
C’est bien de droit constitutionnel égyptien dont il est ici question. Le
préambule du nouveau texte constitutionnel le dit avec suffisamment de
force : il existe une voie nationale constitutionnelle égyptienne qui s’enracine
dans l’histoire prestigieuse et singulière de l’Égypte3 4. Enfin, la troisième
difficulté réside dans le fait que la présente contribution repose sur une
analyse des versions à la fois anglaise et française du texte constitutionnel
adopté le 1er décembre 2013 par la Commission constituante, version qui a
1
Michel Troper, « Le réalisme et le juge constitutionnel », Cahier du Conseil constitutionnel,
n°22, juin 2007. Nous avons consulté la version web : http ://conseil-constitutionnel/francais/
cahiers-du-conseil/cahier-n-22.
2
Pierre Avril, Les conventions de la Constitution, PUF Léviathan, 1997.
3
Il serait illusoire néanmoins de penser que l’histoire de « l’Égypte éternelle » ne repose que
sur une dynamique de la continuité. Un des éléments qui vient briser cette continuité est
l’influence extérieure directe ou indirecte, violente ou relativement pacifique qui peut s’exercer sur
l’Égypte. En raison de sa position géostratégique exceptionnelle, à la fois en Afrique et en Asie,
sans parler de la position centrale du Canal de Suez, l’Égypte a connu bien des invasions. En
conséquence, les « étrangers » participèrent, de manière formelle ou informelle, à l’évolution
du système politique égyptien. À titre d’exemple, on peut se référer à la présence discutée des
délégués français et britanniques pour superviser et organiser les finances de l’État durant
la crise de l’endettement au XIXème siècle. Plusieurs de ces « étrangers « (Grecs, Italiens,
Levantins…) adoptèrent l’Égypte et devinrent égyptianisés. Quand les Officiers libres prirent
possession du pouvoir en 1952, ils déclarèrent qu’ils étaient les premiers égyptiens à gouverner
le pays depuis très longtemps, se référant en effet aux origines turques de la famille royale
depuis que Mohamed Ali prit le pouvoir en 1805.
4
Voir Jean Marcou, La nouvelle Égypte : idées reçues sur un pays en mutation, Paris, Le cavalier
bleu, 2013, 202 pages.
110
Le pouvoir judiciaire et le texte constitutionnel de 2014
été rédigée en langue arabe1. Un tel constat rejoint le sujet des incertitudes
et des limites de la traduction dans le champ du droit comparé. Martin
Heidegger l’a écrit : « La langue est monologue » (« Die Sprache ist Monolog »).
On connaît également la célèbre formule italienne : « tradutore, traditore !  »
Le traducteur fait de son mieux avec les outils dont il dispose. Il n’est pas
responsable de la polysémie, ni des chevauchements de sens. Selon la belle
formule d’Olivier Moreteau, le traducteur est « un passeur » qui nous fait
franchir les frontières linguistiques, mais on ne saurait lui demander plus
que ce qu’il peut offrir… Il arrive en effet qu’une notion qui existe dans un
certain langage juridique ne se retrouve pas dans un autre langage juridique
(equity, equitableinterest, revolving fund, estoppel, dissenting opinion, tsar,
soviet…). Face à cette difficulté, il faut prendre conscience des phénomènes
découlant de l’ambiguïté du terme juridique, qui appartient simultanément
à un champ linguistique et à un système juridique comportant des sources
écrites et d’autres formulations. Si l’on tient compte de cet élément, on saisit
mieux que des pays qui parlent la même langue recourent à des vocabulaires
juridiques différents. Dans ces conditions, la seule option du comparatiste
est celle de passer par la construction du néologisme. C’est la thèse de R.
Sacco lorsqu’il aborde « le problème de la langue »2. Enfin, le comparatiste
peut se trouver face à deux notions juridiques qui, formellement identiques,
auraient sur le fond des significations différentes voire opposées. Dans cette
hypothèse, il sera nécessaire de passer par une sorte d’officialisation via un
procédé d’homologation. Nous avons eu l’occasion de définir ce procédé
« comme la réduction des catégories d’un système aux catégories d’autres
systèmes dépassant la compétence linguistique ». N’insistons pas plus avant
sur ces difficultés de traduction que nous avons abordées par ailleurs3.
C’est à la lumière de ces précautions méthodologiques qu’il importe
à présent d’introduire plus précisément notre sujet consacré au statut de la
1
L’article 1er du projet rappelle que le « peuple égyptien fait partie de la nation arabe » et
l’article 2 que « la langue arabe est la langue officielle de l’Égypte ».
2
Rodolfo Sacco, La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Paris,
Economica, p 30.
3
On se permettra de renvoyer, Thierry Rambaud, Introduction au droit comparé : les grandes
traditions juridiques dans le monde, Paris, PUF, Quadrige, 2014.
111
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
justice dans le projet de nouvelle constitution égyptienne du 1er décembre
2013. Celui-ci, qui comporte 247 articles, contient un chapitre particulier
relatif au « pouvoir judiciaire ». Ce dernier doit évidemment être analysé à
la lumière des orientations fondamentales que comporte le nouveau projet
de constitution et, notamment, son orientation fondamentale, en faveur
de la garantie des droits et des libertés.
Les rapports entre le pouvoir politique et la justice furent
passablement compliqués au cours des trente dernières années de vie
politique égyptienne. Sans revenir longuement sur les années de la présidence
Moubarak (1981-2011), le rôle de la Haute Cour constitutionnelle (HCC)
dans le processus de transition politique récente témoigne de l’importance
du « contre-pouvoir » que représente le pouvoir judiciaire dans l’histoire
constitutionnelle et politique égyptienne, notamment à partir du début
des années 2000. C’est ainsi que la présente contribution s’inscrit dans le
cadre des réflexions actuelles autour de la recomposition à l’œuvre dans
les relations entre pouvoirs publics constitutionnels, recomposition qui
met l’accent sur le nouveau couple fonction décisionnelle-fonction
juridictionnelle qui structure le fonctionnement des pouvoirs au sein des
régimes démocratiques contemporains. Dans le prolongement d’une telle
problématique, la présente étude entend s’interroger à un double titre :
- sur le statut constitutionnel dont dispose le pouvoir judiciaire
au sein de la nouvelle constitution. Dispose-t-il de l’indépendance et des
compétences nécessaires pour fonder un contre-pouvoir éventuel et utile
face aux actions illégales de l’exécutif ? Telle nous semble être, au regard
de l’histoire constitutionnelle récente de l’Égypte, une des interrogations
fondamentales soulevées par le nouveau dispositif constitutionnel ;
- la seconde interrogation de taille est la suivante : quels sont
les éléments de la « continuité dans le changement » par rapport aux
précédentes constitutions et, notamment celle de 2012, et du « changement
dans la continuité » dans cette longue évolution politique égyptienne ?
Après un rappel des relations entre le pouvoir politique et les juges
au cours de ces trente dernières années (I), il s’agira de présenter les grandes
lignes de la nouvelle constitution en ce qui concerne l’État de droit et le
« pouvoir judiciaire » (II), avant, dans un dernier temps, de rappeler quels
112
Le pouvoir judiciaire et le texte constitutionnel de 2014
sont les principaux défis auxquels le pouvoir judiciaire reste confronté dans
la nouvelle configuration institutionnelle et politique (III).
I - Repères sur la justice dans ses relations
avec le pouvoir politique (1981-2011)
Le 3 juillet 2013, Mohamed Morsi, premier président égyptien
élu démocratiquement, est destitué par l’Armée sous la pression de la
rue pour être remplacé par Adli Mansour, président de la Haute Cour
constitutionnelle. Sans aller jusqu’à interpréter ces événements comme
un triomphe du juridique sur le politique, force est de reconnaître
qu’ils s’inscrivent dans une longue bataille opposant les juges aux Frères
musulmans, mais également le pouvoir judiciaire à l’exécutif1. En effet, les
tribunaux, juridictions de premier degré comme cours supérieures, se sont
constitués en espace de contestation au régime de Hosni Moubarak dès les
années 1990, avant de devenir en 2012 l’un des bastions de la résistance à
une maladroite tentative de « frérisation » de l’État2.
En effet, face aux blocages qui pèsent au début des années 1990
sur le système politique caractérisé par l’hégémonie du parti national
démocratique3, les militants de gauche et leurs homologues islamistes
investissent, à la fin des années 1980, les sphères de la société civile, comme
les associations, les ordres professionnels, comme les professions judiciaires,
ou encore les syndicats. Dans ce contexte, les tribunaux deviennent un
lieu privilégié pour non seulement dénoncer, mais également médiatiser
les atteintes dont se rend coupable le régime et mettre en scène les
affrontements que lui livrent ses adversaires, tant libéraux qu’islamistes.
La justice remplit alors une fonction tribunicienne, des affrontements de
nature politique s’y déroulent. Il semble alors que les tribunaux en profitent
pour accroître leur légitimité et renforcer ainsi leur indépendance vis-à-vis
du pouvoir politique, comme l’illustre l’arrêt de la Cour constitutionnelle
1
Voir Jalal Mesbah et Clément Steuer, « Transition politique en Égypte : le rôle des juges »,
Revue Moyen-Orient, n°20, octobre-décembre 2013, pp 74-79.
2
J. Mesbah et C. Steuer, art. précité, pp 74-75.
3
Maurice Flory, Bahgat Korany, Robert Mantran, Michel Camau, Pierre Agate, Les régimes
politiques arabes, Paris, PUF Thémis, 1990, p 268 et ss.
113
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
égyptienne rendu en 2000 qui prononce l’inconstitutionnalité de la
procédure de supervision des élections parlementaires1. Jusqu’alors les
bureaux de vote étaient présidés par des fonctionnaires désignés par le
ministère de l’Intérieur, ce qui n’offrait pas toutes les garanties quant au
bon déroulement des opérations électorales et à la sincérité du vote dans le
contexte électoral de l’époque.
Par cet arrêt, qui prolonge deux autres arrêts de 1987 et 1990 par
lesquels la Haute Cour constitutionnelle avait invalidé à deux reprises le
scrutin électoral, celle-ci impose le contrôle direct des juges sur l’ensemble
du processus électoral. Pendant longtemps, les juges n’ont pas eu les
moyens d’exercer effectivement ce contrôle de supervision des élections.
Après le long affrontement de 2005, qui vit un bras de fer inédit débuter
entre le Président Hosni Moubarak et le Club des juges, créé en 1939
pour représenter les magistrats, l’année s’acheva sur une victoire des juges
réformistes aux élections des deux Clubs des juges les plus importants,
ceux du Caire et d’Alexandrie. Le pouvoir politique fut bien obligé d’en
tirer les conséquences et dut leur laisser l’accès aux bureaux de vote afin
d’assurer la légalité du processus. Dans ces conditions, la fraude ne pouvait
plus être aussi grossière que par le passé et devait emprunter des formes
plus « subtiles ».
C’est néanmoins, depuis le début de la transition amorcé par la
révolution du 25 janvier 2011, que l’intervention des tribunaux fut le plus
souvent décisive et a changé le cours des événements. Dans un contexte
d’incertitude juridique et constitutionnelle, alors que les prérogatives des
différentes institutions restaient mal définies, les juges ont en effet été
amenés à intervenir de plus en plus sur le plan politique. Quelques rappels
chronologiques s’imposent pour comprendre la suite des développements. À
la suite du départ du président Moubarak le 25 janvier 2011 sous la pression
de la rue, le pouvoir politique est pris en charge par l’Armée qui enclenche
un processus de transition constitutionnelle structuré autour de trois phases
que sont des élections législatives, l’élection présidentielle et l’adoption d’une
1
Haute Cour constitutionnelle, 8 juillet 2000, n°11/13, Rec., vol. 9, p 667 et ss, voir Nathalie
Bernard-Maugiron, « Le juge, interprète de la Constitution », Égypte/monde arabe, troisième
série 2, 2005.
114
Le pouvoir judiciaire et le texte constitutionnel de 2014
nouvelle Constitution. Il eut été sans doute préférable d’élaborer en premier
lieu une nouvelle Constitution qui aurait fixé un cadre juridique stable pour
le déroulement des élections présidentielles et législatives à venir. Ce calendrier
explique sans soute certaines des difficultés qu’a connues le processus de
transition constitutionnelle1. Quoi qu’il en soit, un Parlement, dominé par les
islamistes, est élu. Conformément à la déclaration constitutionnelle du 30 mars
2011, il est chargé de désigner une commission de 100 membres habilitée à
rédiger le texte de la future constitution2. La nomination de la commission
est cependant contestée devant la juridiction administrative. En avril 2011,
le Conseil d’État dissout la commission convoquée par le parlement3. Cette
décision provoque de nombreuses contestations chez les Frères musulmans
qui y virent une preuve de l’absence d’intégrité et d’indépendance du pouvoir
judiciaire. Une seconde commission constituante est alors désignée. C’est dans
ce cadre que l’élection présidentielle de 2012 est organisée. Elle oppose, on
le sait, au second tour, le représentant des Frères musulmans, Mohammed
Morsi, et le général Ahmed Chafik, ancien ministre d’Hosni Moubarak.
Mais, trois jours seulement avant le second tour de scrutin, la Haute Cour
constitutionnelle invalide, par des arrêts en date du 14 juin 2012, la loi sur
les élections législatives de 2011, ce qui entraîne de jure la dissolution de
l’Assemblée du Peuple4. Peu après son élection à la présidence de la République,
Mohammed Morsi tente de la rétablir par décret, mais ce dernier est à son
tour annulé par la Haute Cour constitutionnelle qui devient ainsi un acteur
politique à part entière du processus de transition en vigueur en Égypte. Le
21 novembre 2012, le Président Morsi publie une déclaration aux termes de
laquelle le pouvoir législatif échoit au Conseil de la Choura, chambre haute du
Parlement, elle aussi dominée par les islamistes, jusqu’à ce qu’une nouvelle
1
On se permet de renvoyer à la Conférence tenue à l’Institut catholique de Paris, le 25 janvier
2012, en présence des professeurs Oussama Nabil et Jean-Yves de Cara, ainsi que de Charles
Saint-Prot, directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques de Paris. La Conférence portait
sur la constitution adoptée par référendum les 15 et 22 décembre 2012.
2
À titre de comparaison, le nouveau projet a été rédigé par un comité de 50 experts.
3
J. Mesbah et C. Steuer, Art. précité, p 77.
4
Mohamad Abdulghani et Raphael Déchaux, « Les arrêts de la Cour constitutionnelle
suprême égyptienne du 14 juin 2012 : la juridictionnalisation des transitions démocratiques
en question », Revue internationale de droit comparé, 2013-2, pp 359-390.
115
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
Assemblée soit démocratiquement élue. Ce document confère une immunité
juridictionnelle à la fois aux délibérations du Conseil de la Choura, ainsi
qu’aux décisions de la commission constituante et à celles du Chef de l’État.
Il s’agit d’un véritable « coup de force constitutionnel » destiné à permettre
aux Frères musulmans d’installer les nouvelles institutions et de prendre les
mesures d’urgence commandées par les circonstances… Ce coup de force
coûtera très cher au Président M. Morsi qui a commis une véritable erreur
politique en évaluant mal l’ampleur des aspirations au changement émanant
des forces politiques et de la société civile qui avaient conduit à la révolution du
25 janvier 2011. À cette première erreur s’ajoute celle de limoger le procureur
général Abdel Meguid Mahmoud et de le remplacer par un procureur proche
des Frères musulmans, Talaat Ibrahim. Ces deux décisions entraînent de très
larges mouvements de contestations qui finiront par triompher du système
politique mis en place par les Frères musulmans.
La commission constituante remet au Chef de l’État un nouveau
projet de constitution le 30 novembre. Ce dernier décide de le soumettre
à référendum les 15 et 22 décembre 2012. La nouvelle constitution est
approuvée par près de 64 % des votants, mais avec un taux de participation
faible de seulement 33 %. Le Chef de l’État la promulgue dans un contexte
de troubles politiques et juridiques. Ce texte comporte notamment deux
articles (179 et 233) qui ont pour objectif de purger la Haute Cour
constitutionnelle en faisant passer le nombre de ses membres de 19 à 11,
« étant précisé que ce sont les plus récemment désignés la Haute Cour
constitutionnelle qui doivent revenir dans leur corps d’origine ». Le
nouveau projet constitutionnel ne fixe plus le nombre de juges composant
la Cour constitutionnelle.
Cette réforme de la composition de la Haute Cour constitutionnelle
n’empêche pas cette dernière d’invalider la loi électorale votée par le
Conseil de la Choura en février 2013. Ce dernier adopte alors un texte à
peine modifié dont le décret de promulgation est annulé, le 6 mars, par
une cour administrative au motif que le nouveau projet ne suit pas toutes
les recommandations de la Haute cour constitutionnelle. Le conflit entre
le pouvoir politique et les juges se poursuit, dans la mesure où cet arrêt
interrompt le processus électoral et repousse à une date indéterminée
l’élection d’une nouvelle Assemblée du peuple.
116
Le pouvoir judiciaire et le texte constitutionnel de 2014
Le 2 juin 2013, la Haute Cour déclare inconstitutionnelle la loi qui a
conduit à la formation de la commission constituante, notamment en ce qui
concerne les critères de sélection de ses membres, ainsi que la loi ayant encadré
l’élection de la Chambre haute du Parlement en février 2012. Aux termes de
l’arrêt, ni la validité de la constitution, approuvée par référendum, ni celle
des lois votées par le Conseil de la Choura ne sont néanmoins directement
affectées, dans la mesure les dispositions transitionnelles y figurant prévoient
explicitement que cette Chambre continuera à siéger et à légiférer dans tous
les cas de figure jusqu’à l’élection d’une nouvelle Assemblée du peuple.
L’ensemble de ces arrêts rendus par la Haute Cour constitutionnelle
égyptienne apportent une contribution de premier plan à ce qu’il est convenu
d’appeler « la juridictionnalisation des transitions démocratiques »1. Dans
le cas égyptien, force est de constater que la Haute Cour constitutionnelle
égyptienne a joué un rôle majeur et actif d’arbitrage dans un contexte
troublé tant sur le plan politique qu’institutionnel. Confiante dans son
rôle et dans son autorité, elle a incontestablement accéléré la chute du
Président M. Morsi et des Frères musulmans. C’est à la lumière de ces
éléments qu’il convient à présent d’étudier le statut du pouvoir judiciaire
dans le cadre de la nouvelle Constitution du 1er décembre 2013.
II - L’aménagement de garanties constitutionnelles en
faveur de l’indépendance de la justice comprise comme
élément de la consolidation de l’État de droit
L’institution judiciaire est visée au Titre IV relatif à « l’État de droit »
(articles 94 à 100) et au Titre V, chapitre III relatif au « pouvoir judiciaire »
(articles 184 à 187) du projet constitutionnel de 20132.
L’article 94 du projet constitutionnel proclame notamment
« l’indépendance, l’immunité et l’impartialité de la magistrature » qui
1
Mohamad Abdulghani et Raphael Déchaux, « Les arrêts de la Cour constitutionnelle
suprême égyptienne du 14 juin 2012 : la juridictionnalisation des transitions démocratiques
en question », Revue internationale de droit comparé, 2013-2, pp 359-390.
2
Pour une comparaison avec le droit français, voir la thèse désormais classique du professeur
Thierry S. Renoux, Le Conseil constitutionnel et l’autorité judiciaire, Aix-en-Provence,
Economica, 1984.
117
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
constituent des garanties fondamentales pour la protection des droits
et des libertés. L’article 97 souligne que « le droit d’ester en justice est
garanti à tous ». Il oblige, de surcroît, l’État « à régler les litiges rapidement
conformément aux procédures judiciaires de droit commun » et interdit
par voie de conséquence les juridictions d’exception.
Le projet de constitution proclame, en son Titre V relatif au
régime constitutionnel, un chapitre III consacré au « pouvoir judiciaire ».
Celui-ci, qui comporte six sections, s’ouvre par une section relative à des
dispositions générales (articles 184 à 187 de la Constitution). L’article 184
affirme en premier lieu que « le pouvoir judiciaire est indépendant ». Il se
constitue d’un ensemble de tribunaux, de différents types et degrés, qui
statuent selon la loi et non selon l’arbitraire. C’est ici rappeler l’importance
du gouvernement des hommes par la loi et non par l’arbitraire du prince.
L’article 186 prolonge la garantie de l’article 184 en affirmant que les « juges
sont indépendants ». Une loi définit les conditions et modalités de leur
nomination, de leur affectation et de leur régime disciplinaire. En revanche,
il ne consacre pas explicitement un principe d’inamovibilité des magistrats.
Il s’agit, comme le rappelle l’article 186, de favoriser leur impartialité et
de prévenir les conflits d’intérêts et les situations de corruptions possibles.
L’exigence constitutionnelle de prévention des conflits en Égypte rejoint la
préoccupation actuelle du gouvernement français qui prépare un projet de loi
en vue de prévenir les conflits d’intérêts de magistrats. Dans le prolongement
de la loi sur la transparence de la vie publique et de la fonction publique
adoptée en octobre 20131, les magistrats vont devoir déclarer toute situation
de conflits d’intérêts. Le projet de loi organique en préparation prévoit,
notamment, que les plus hauts magistrats, ceux de la Cour de cassation
et des cours d’appel, soient soumis à une déclaration de patrimoine2. Une
telle solution pourrait être adoptée par le législateur égyptien, dans la limite
bien évidemment qu’impose le respect des droits et des libertés à caractère
1
Cette loi a fait l’objet d’une intéressante décision du Conseil constitutionnel, Décision
n°2013-676 DC du 9 octobre 2013, Loi relative à la transparence de la vie publique.
2
Le Figaro, édition du 23 décembre 2013, p 10. Le journal nous rappelle que c’est l’affaire
Bettencourt qui avait mis le feu au poudre. L’impartialité du juge d’instruction Jean-Michel
Gentil avait mise en cause après la révélation de ses liens avec Sophie Gromb, l’un des experts
médicaux. Cette dernière avait été le témoin de l’épouse du juge à son mariage.
118
Le pouvoir judiciaire et le texte constitutionnel de 2014
fondamental des magistrats, comme le droit au respect de la vie privée ou
la liberté de conscience et de pensée qui sont garantis par le nouveau texte
constitutionnel. La question des conflits d’intérêts peut surtout se poser
pour les petites juridictions où les magistrats font toute leur carrière, malgré
l’obligation de mobilité, et où la notabilité fait que tout le monde se connaît.
L’article 187, qui relève toujours de la section 1, consacre des
garanties relatives au déroulement du procès : « les audiences des tribunaux
sont publiques, sauf si le tribunal en décide autrement en se fondant sur
des considérations d’ordre public ou de morale ». Dans cette dernière
hypothèse, en tout état de cause, le verdict doit être énoncé publiquement.
La section 2 est consacrée au « pouvoir judiciaire et au ministère
public » (articles 188 et 189 du texte constitutionnel) et la section 3 au
« Conseil d’État ». Cette dernière ne contient qu’un seul article, l’article
190. Il définit le statut constitutionnel du Conseil d’État égyptien qui voit
ainsi ses principales fonctions constitutionnalisées.
À l’image du droit français, le droit égyptien connaît un dualisme
juridictionnel. Au sommet de l’ordre judiciaire se situe la Cour de cassation
créée en 1931, et au sommet de l’ordre juridictionnel administratif, le
Conseil d’État.
Ce dernier, fortement inspiré, comme le Conseil d’État libanais
d’ailleurs, du Conseil d’État français, date de 1946. Il remplit dans l’ensemble
les mêmes fonctions que son homologue français. Au sein du Conseil
d’État, il arrive néanmoins que la Cour du contentieux administratif et
la haute Cour administrative adoptent parfois des solutions antinomiques
sur certains contentieux.
La dernière section concerne la « Cour constitutionnelle suprême »
ou « Haute Cour constitutionnelle » (articles 191 à 195). Celle-ci est déjà
citée dans le Préambule de la nouvelle Constitution qui charge la Haute
Cour de veiller à l’interprétation des principes de la Charia islamique qui
constituent la source principale de la législation. Le préambule rappelle
qu’elle constitue la seule autorité compétente pour interpréter toutes
les dispositions de la constitution. Elle est également visée dans les
119
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
articles 158 et 159 de la constitution. En consacrant l’existence d’une telle
cour, la commission constituante s’est inscrite dans le cadre d’une tradition
constitutionnelle qui remonte à 1979. La Haute Cour constitutionnelle
avait alors remplacé la Cour suprême créée sous Nasser.
On notera que, contrairement à la Constitution de décembre 2012,
le texte constitutionnel ne précise pas le nombre de conseillers et de conseillers
assistants siégeant au sein de la Cour constitutionnelle suprême. Parmi ses
fonctions, celle-ci est chargée du contrôle judiciaire de la constitutionnalité
des lois et des règlements (inconstitutionnalité des règlements).
La section 5 est relative aux « organes judiciaires » (articles 196
et 197 du texte constitutionnel) et la section 6 aux avocats et la section
7 aux experts judiciaires. Il est intéressant de relever ces développements
spécifiques, dans un texte constitutionnel, aux professions judiciaires autres
que celle des magistrats. Ce n’est assurément pas le cas dans la Constitution
française du 4 octobre 1958.
Le chapitre III du Titre V de la nouvelle Constitution énonce
un ensemble de garanties relatives à la publicité des audiences et à
l’indépendance des juges. Dans les versions que nous avons pu consulter,
il paraît néanmoins que le texte constitutionnel reste en deçà d’un certain
nombre de principes communs qui résultent des droits constitutionnels
nationaux comme le droit à un juge, le droit à un procès équitable, le
principe d’égalité des armes ou encore le principe du contradictoire. En
revanche, le principe de présomption d’innocence est garanti à l’article 96
du projet constitutionnel.
120
Le pouvoir judiciaire et le texte constitutionnel de 2014
III - Les défis laissés en suspens
par le projet de constitution
Pays de tradition juridique mixte où se combinent harmonieusement
les traditions romaniste, de common law, de droit musulman1 et les statuts
personnels des deux autres grandes religions monothéistes, l’Égypte accorde
une importance réelle au droit dans la régulation des relations sociales et
humaines2 dans le cadre d’un pluralisme normatif dont l’État se porte le
garant. Il est vrai que ces dernières années un tel constat a dû se combiner
avec celui de relations complexes, souvent difficiles, entre le pouvoir
politique et les juges, relations qui témoignent des défis qu’il reste à relever
pour consolider le statut constitutionnel du pouvoir judiciaire en Égypte.
Le premier défi auquel est confronté le pouvoir judiciaire en Égypte
est celui de la non-exécution ou de la mauvaise exécution des décisions
des tribunaux par les autorités publiques. L’article 100 du nouveau
projet constitutionnel tente de remédier à cette situation en exigeant des
fonctionnaires compétents qu’ils exécutent les décisions de justice sous
peine de voir leurs responsabilités engagées. Le bureau du procureur peut
poursuivre le fonctionnaire fautif.
L’exemple du contentieux judiciaire autour des élections législatives
permet de mettre en évidence les interactions entre le pouvoir politique et
les juges dans l’Égypte contemporaine et les conséquences qui en résultent
1
L’article 2 du projet de constitution rappelle que « les principes de la Charia islamique
constituent la source principale de la législation ». L’article 3 ajoute que « les principes des
religions chrétienne et juive constituent la source principale de la législation concernant
leur statut personnel, leurs affaires religieuses et le choix de leurs dirigeants spirituels ». Ces
principes coexistent avec le Code civil de 1948, qui constitue un code de grande renommée qui
a exercé une réelle influence sur la législation de plusieurs États du monde arabo-musulman.
Concernant l’interprétation des règles de droit musulman, l’article 7 du projet de constitution
souligne le rôle particulier qui échoit à l’institution d’Al Azar qui est considérée comme la
« principale référence pour les questions religieuses et théologiques ». Le cheikh d’Al Azar est
considéré comme « indépendant » et le projet de constitution précise que la loi définit les
modalités de sa désignation parmi les membres des grands Oulémas.
2
Sur ce sujet, on se permet de renvoyer aux développements que l’on a consacrés à l’Égypte dans
Thierry Rambaud, Introduction au droit comparé : les grandes traditions juridiques mondiales,
Paris, PUF Quadrige 2014.
121
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
sur la séparation des pouvoirs. Les juges constitutionnel et administratif sont
amenés, à travers leur décision en matière électorale, à intervenir dans des
domaines qui relèvent du législatif et de l’exécutif. Force est néanmoins de
constater que le pouvoir politique refuse souvent d’exécuter leurs jugements.
C’est ainsi que l’Assemblé du peuple, se fondant sur la Constitution de
1971, s’estime seule juge de la validité du mandat de ses membres et refuse
de tenir compte des décisions d’invalidation prononcées par la Haute Cour
constitutionnelle et le Conseil d’État. De manière parallèle, le pouvoir
exécutif recourt, sur le fondement de l’article 275 du Code de procédure
civile et commerciale, à la procédure d’ishkâl pour surseoir aux arrêts du
Conseil d’État déclarant des candidats inadmissibles. Il s’agit d’une requête
en sursis à exécution devant les tribunaux ordinaires, requête dont l’effet est
de suspendre provisoirement l’effet exécutif d’un arrêt rendu.
Cette procédure formée devant des tribunaux ordinaires de
premier ressort ne produit cependant pas tous les effets escomptés, car il est
impossible à ces derniers d’ordonner la suspension d’un arrêt rendu par le
Conseil d’État1. Ils sont, au titre du contentieux judiciaire, incompétents.
Le recours à ce « stratagème juridique » fut condamné à de nombreuses
reprises, tant par le Conseil d’État que par la Cour de cassation2.
En deuxième lieu, il importe que les tribunaux ne soient plus
considérés comme des lieux d’espace public au sein duquel se tiennent des
affrontements entre les tenants et les adversaires du régime politique. Les
tribunaux n’ont pas vocation à constituer des tribunes pour l’expression de
certaines opinions. La chose peut certes se produire évidemment, et elle n’est
pas condamnable en soi, mais une systématisation de ces pratiques serait
davantage problématique. À cet égard, un pouvoir judiciaire indépendant
doit se comporter comme un arbitre neutre et un tiers impartial qui
entretient avec l’ensemble des citoyens de l’État une relation de confiance
1
Voir le mémoire de Théophile Villeminot, Le pouvoir et l’indépendance du judiciaire :
comparaison entre l’Égypte pré et post printemps arabe et la France, mémoire de deuxième année
du Collège universitaire de Sciences po (Paris), 2013-2014, p 11. Le mémoire a été réalisé dans
le cadre de notre cours d’Introduction aux grands systèmes de droit étranger.
2
Voir, Nathalie Bernard-Maugiron, « Le juge, interprète de la Constitution : La Haute Cour
constitutionnelle et les élections parlementaires en Égypte », Égypte Monde arabe, 2005, n°2,
pp 133-158, voir les paragraphes 53-54.
122
Le pouvoir judiciaire et le texte constitutionnel de 2014
apaisée. Il importe que tous les citoyens égyptiens puissent avoir pleinement
confiance dans l’appareil judiciaire de leur pays1. Cette relation de confiance2
passe par une certaine forme de dépolitisation de la magistrature et par voie
de conséquence par une indépendance accrue des magistrats vis-à-vis du
pouvoir politique. Telle est la condition de cet « ethos de la confiance » qui
est être au cœur de la relation entre les citoyens, l’État et la justice.
À cet égard, les lois organiques et ordinaires qui seront adoptées
par le parlement en vue de mettre en œuvre l’article 186 de la Constitution
égyptienne, qui garantit l’indépendance des juges, devront énoncer des
garanties claires de cette indépendance du pouvoir judiciaire. De celle-ci
découlent également des conséquences quant à la cooptation des juges et
à l’existence de tribunaux d’exception3 auxquels il a été fait trop souvent
recours lors de ces dernières années. S’il est des hypothèses où naturellement
leur existence peut se justifier, il existe suffisamment d’exemples en droit
comparé pour en attester4, il en est d’autres qui remettent trop gravement
en cause le principe de l’égalité de tous devant la justice et qui doivent
1
Pour rappel, l’article 6 du projet de constitution dispose que « le droit à la nationalité est
conféré à tout enfant né d’un père égyptien ou d’une mère égyptienne. La reconnaissance
juridique de cet enfant et le droit à la délivrance de documents officiels prouvant son identité
sont garantis et organisés par la loi. La nationalité s’acquiert dans les conditions prévues par
la loi ».
2
Nous utilisons cette expression en référence à l’essai d’Alain Peyrefitte, La société de confiance,
essai sur les origines du développement. Dans cet essai paru en 1995, l’Académicien explique
que les origines du développement ne sont pas à rechercher dans certaines causes matérielles
classiquement avancées, telles que le climat ou les ressources naturelles, mais dans ce qu’il
appelle le « tiers facteur immatériel », c’est-à-dire la culture et les mentalités. Plus précisément
le ressort du développement résiderait dans la constitution d’une « société de confiance »,
confiance que l’État accorde à l’initiative individuelle, et surtout dans la confiance que les
individus accordent à l’État. Ce serait notamment cet « ethos de confiance » qui, en bousculant
des tabous traditionnels et en favorisant l’innovation, la mobilité, la compétition, l’initiative
rationnelle, aurait permis le développement des sociétés européennes ces derniers siècles. Nous
avons travaillé sur la version parue chez Odile Jacob poche.
3
L’article 97 du projet constitutionnel prohibe les « tribunaux d’exception ».
4
Voir la thèse de Patrick Papazian, Le principe de séparation du pouvoir civil et
du pouvoir militaire (États-Unis, France, Royaume-Uni), thèse soutenue en
juin 2012 à l’Université Paris II Panthéon-Assas, sous la direction du professeur
Philippe Lauvaux.
123
L’évolution constitutionnelle de l’Égypte
donc être prohibés dans un État de droit qui est en voie de consolidation
et qui s’efforce de répondre aux standards internationaux en la matière1.
Un autre défi réside dans la féminisation de la justice. On rappellera
ici que l’article 11 du projet de constitution énonce que « l’État veille
à garantir l’égalité entre les femmes et les hommes en matière de droits
civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, conformément aux
dispositions de la Constitution ». Le deuxième alinéa de l’article 11 ajoute
que « l’État s’emploie à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une
juste représentation des femmes au sein du Parlement, conformément
à la loi. Il garantit aussi le droit des femmes d’accéder, sans aucune
discrimination, à de hautes fonctions d’administration et de direction,
ainsi que dans les institutions judiciaires ». Le projet constitutionnel
habilite ainsi le législateur à adopter des dispositions particulières en vue
de lutter contre la discrimination dans le recrutement des femmes au sein
de la magistrature2.
Si le projet constitutionnel énonce de véritables garanties pour
l’institution judiciaire, notamment à l’encontre du pouvoir politique et en
faveur des justiciables, il n’en reste pas moins que ce cadre constitutionnel,
qui va être soumis prochainement à approbation populaire en janvier 2014,
doit être impérativement prolongé par une législation soucieuse du droit
des justiciables et de l’égalité de tous les citoyens égyptiens devant la
justice, ainsi que par l’édiction de « bonnes pratiques », pour reprendre
la terminologie du Conseil de l’Europe, de la part des autorités publiques
afin que le statut de la justice soit définitivement consolidé dans le nouveau
régime politique égyptien. Les prescriptions constitutionnelles répondent
en tout cas à la première phase du cahier des charges.
1
Jacques Chevallier, L’État de droit, Paris, Montchrestien, collection Clés, 1992.
2
Concernant la situation des femmes dans le projet constitutionnel, voir la contribution de
Zeina El-Tibi dans le présent ouvrage.
124
Projet de Constitution approuvé par la Commission Constituante
le 1er décembre 2013 et soumis au référendum des 14/15 janvier 2004
(texte adapté par Christophe Boutin)
Au nom de Dieu le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux
Préambule
Voici notre Constitution,
L’Égypte est un don du Nil et le don des Égyptiens à l’humanité.
Bénie par un emplacement et une histoire uniques, la nation Arabe d’Égypte est le cœur
du monde entier. Elle est à la jonction des civilisations et des cultures et le carrefour des
voies de transport maritimes et de communication. Elle est le débouché de l’Afrique sur
la Méditerranée et l’embouchure de l’un de ses plus grands fleuves : le Nil.
Telle est l’Égypte, une patrie éternelle pour les Égyptiens, et un message de paix et d’amour
pour tous les peuples.
Au commencement de l’Histoire, l’aube de la conscience humaine se leva et brilla dans
les cœurs de nos illustres ancêtres, qui unirent leurs volontés pour bâtir le premier État
centralisé qui réglementa et organisa la vie des Égyptiens sur les rives du Nil. C’est là
qu’ils créèrent les merveilles les plus étonnantes de la civilisation, et là que leurs cœurs se
tournèrent vers les cieux avant que la Terre ne connaisse les trois religions révélées.
L’Égypte est le berceau des religions et la bannière de la gloire des religions révélées.
Dans ce pays, Moïse grandit, la lumière de Dieu apparut, et le message divin descendit
sur le mont Sinaï.
Sur cette terre, les Égyptiens ont accueilli la Vierge Marie et son enfant et des milliers
d’entre eux y sont morts en martyrs pour la défense de l’Église de Jésus.
Quand le Sceau des Prophètes Mohammed (que la Paix et les Bénédictions Soient Sur
Lui) a été envoyé à toute l’humanité pour parfaire la sublime morale, nos cœurs et nos
esprits s’ouvrirent à la lumière de l’Islam. Nous fûmes les meilleurs soldats sur Terre
pour combattre pour la cause de Dieu, et nous avons transmis le message de vérité et les
sciences religieuses au travers du monde.
Telle est l’Égypte ; une patrie dans laquelle nous vivons autant qu’elle vit en nous.
Aux temps modernes, les esprits se sont éclairés, l’humanité a mûri, et les nations
et les peuples ont progressé sur la voie de la science, levant les bannières de la liberté et de
125
l’égalité. Mohamed Ali fonda l’État égyptien moderne avec son armée nationale comme
pilier. Rifa’a (el Tahtâoui), le fils d’Al-Azhar, pria pour que la patrie devienne « un lieu de
bonheur partagé pour ses habitants ». Nous, Égyptiens, nous sommes efforcés de suivre le
rythme du développement, et nos martyrs sont morts et nous nous sommes sacrifiés lors
de plusieurs soulèvements et révolutions jusqu’à ce que notre armée patriotique apporte
la victoire à la volonté populaire de changement qui s’exprima lors de Révolution des
« 25 janvier - 30 juin » faite pour le pain, la liberté et la dignité humaine dans un cadre de
justice sociale, et qui restaura la volonté indépendante de la patrie.
Cette révolution s’inscrit dans la ligne de la lutte nationale dont les plus éclatants symboles
sont Ahmed Ourabi, Moustapha Kamel et Mohammed Farid. Elle est le point culminant
de deux grandes révolutions de notre histoire moderne :
La révolution de 1919 qui mit fin au protectorat britannique sur l’Égypte et les Égyptiens,
et établit le principe de la citoyenneté et de l’égalité au sein du peuple d’un même pays.
Son dirigeant, Saad Zaghloul, et son successeur Moustapha el Nahas, choisirent la voie de
la démocratie, soulignant que « la Vérité est au-dessus du pouvoir et la nation au-dessus
du gouvernement ». Au cours de cette révolution, Talaat Harb posa les fondements de
l’économie nationale.
La révolution du 23 juillet 1952 qui fut conduite par le dirigeant historique Gamal Abdel
Nasser et soutenue par la volonté populaire a réalisé le rêve des générations précédentes de
retrait des intérêts étrangers et d’indépendance. En conséquence, l’Égypte a affirmé son
appartenance arabe, ouverte sur son continent africain et sur le monde musulman, a soutenu
les mouvements de libération sur tous les continents, et a marché résolument sur la voie du
développement et de la justice sociale.
Cette révolution représente un prolongement de la marche révolutionnaire du patriotisme
égyptien et une affirmation du lien puissant existant entre le peuple égyptien et son armée
patriotique à qui il donna avec confiance la responsabilité de protéger la patrie. Grâce
à elle, nous avons remporté la victoire dans nos plus grandes batailles, y compris en
repoussant l’agression tripartite en 1956 et lors de la glorieuse victoire d’Octobre (1973),
qui conféra au président Sadate une place particulière dans notre histoire récente.
Par rapport aux principales révolutions de l’histoire de l’humanité, la Révolution des
25 janvier – 30 juin est une révolution unique en raison de l’importante participation
populaire - estimée à des dizaines de millions de participants - et au rôle important joué par
une jeunesse aspirant à un avenir radieux, en raison de l’action des masses populaires qui
dépassaient les classes sociales et les idéologies pour atteindre de plus vastes perspectives
patriotiques et humaines, en raison de la manière dont l’armée du peuple protégea la
volonté populaire soutenue par les bénédictions d’Al-Azhar et de l’Église patriotique. Elle
est également unique en raison de son caractère pacifique et de son ambition de réaliser
conjointement liberté et justice sociale.
Cette révolution est un signe et un bon présage. C’est le signe d’un passé qui est toujours
présent et un bon présage pour l’avenir auquel aspire l’humanité tout entière.
126
Le monde a presque oublié une époque qui a été déchirée par des conflits d’intérêts entre
l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud ; une époque où les conflits et les guerres éclataient entre
les classes et les peuples, où les risques grandissaient, menaçant l’existence de l’humanité
et la vie sur cette Terre que Dieu a créée pour nous. L’humanité espère atteindre l’âge de
la maturité et l’âge de la sagesse pour construire un monde nouveau où prévalent vérité
et justice, et où les libertés et les droits de l’homme sont protégés. Nous, les Égyptiens,
nous croyons que notre révolution est une occasion d’aider à écrire une nouvelle page de
l’histoire de l’humanité.
Nous croyons que nous sommes capables d’utiliser le passé comme une source
d’inspiration, façonnant le présent, et traçant notre chemin vers l’avenir. Nous sommes
capables d’enrichir cette patrie qui nous enrichit.
Nous croyons que chaque citoyen a le droit de vivre dans cette patrie en sécurité et en
sûreté, et que tout citoyen a droit à un présent et un avenir meilleurs.
Nous croyons à la démocratie comme voie, comme avenir, et comme mode de vie ; dans
le pluralisme politique ; et à la transmission pacifique du pouvoir. Nous affirmons le
droit du peuple à bâtir son avenir. Il est la seule source du pouvoir. La liberté, la dignité
humaine, et la justice sociale sont des droits pour chaque citoyen. La souveraineté dans
une patrie souveraine nous appartient ainsi qu’aux générations futures.
Nous rédigeons maintenant une Constitution qui incarne le rêve de ces générations qui
souhaitèrent une société prospère et unie et un État juste qui accomplisse les aspirations
d’aujourd’hui et de demain pour les individus et la société.
Nous rédigeons maintenant une Constitution qui parachève la construction d’un État
démocratique moderne et avec un gouvernement civil.
Nous rédigeons une Constitution qui bannit toute corruption ou tyrannie, guérit les blessures
du passé, des temps du Paysan éloquent jusqu’aux victimes de l’incurie et aux martyrs de la
révolution actuelle, et soulage notre peuple de l’injustice dont il a souffert depuis longtemps.
Nous rédigeons une Constitution qui affirme que les principes de la Charia Islamique sont
la source principale de la législation, et que leur interprétation découle de la jurisprudence
de la Haute cour constitutionnelle.
Nous rédigeons une Constitution qui nous ouvre la voie de l’avenir, et s’aligne sur la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme, à la rédaction de laquelle nous avons
participé et que nous avons approuvée.
Nous rédigeons une Constitution qui préserve notre liberté et protège la nation contre
toute menace dirigée contre elle ou contre notre unité nationale.
Nous rédigeons une Constitution qui permette de réaliser l’égalité entre nous en droits et
en devoirs sans discriminations.
127
Nous sommes les citoyens. Nous sommes le peuple égyptien, souverain dans une patrie
souveraine. C’est notre volonté et c’est la Constitution de notre révolution.
Telle est notre Constitution.
Chapitre I : De l’État
Article 1
La République Arabe d’Égypte est un État souverain, unifié et indivisible, où rien n’est
superflu, et dont le régime est une république démocratique fondée sur la citoyenneté et
l’autorité de la loi.
L’Égypte fait partie de la nation Arabe et œuvre pour son intégration et son unité. Elle fait
partie du monde Musulman, appartient au continent africain, est fière de sa dimension
asiatique et contribue à l’édification de la civilisation humaine.
Article 2
L’Islam est la religion de l’État et l’arabe sa langue officielle. Les principes de la Charia
islamique sont la source principale de la législation.
Article 3
Les principes des lois religieuses des Égyptiens chrétiens et juifs sont la principale source
des législations qui régissent leur statut personnel, leurs affaires religieuses et le choix de
leurs dirigeants spirituels.
Article 4
La souveraineté appartient au peuple seul, qui l’exerce et la protège. Il est la source du
pouvoir. Il sauvegarde l’unité nationale, qui est fondée sur les principes d’égalité, de
justice et d’égalité des chances entre tous les citoyens, conformément aux dispositions de
la présente Constitution.
Article 5
Le régime politique est fondé sur le pluralisme politique et le multipartisme, la
transmission pacifique du pouvoir, la séparation et l’équilibre des pouvoirs, le fait que
toute autorité suppose une responsabilité, et le respect des droits de l’homme et de ses
libertés, conformément aux dispositions de cette Constitution.
Article 6
La nationalité est un droit pour tout enfant né d’un père égyptien ou d’une mère
égyptienne. Sa reconnaissance légale et la possibilité à se voir délivrer des documents
officiels prouvant son état civil sont des droits garantis et organisés par la loi.
La nationalité s’acquiert dans les conditions prévues par la loi.
128
Chapitre II : Des composants de base de la société
Section 1 : Des composants sociaux
Article 7
Al Azhar al Charif est une institution islamique scientifique indépendante, avec
compétence exclusive sur ses affaires propres. Elle est la principale autorité en matière de
sciences religieuses et d’affaires islamiques. Elle est responsable de la prédication islamique
et de la diffusion des sciences religieuses comme de la langue arabe en Égypte et dans le
monde.
L’État doit lui fournir une aide financière suffisante pour atteindre ses fins
Le Grand Cheikh d’Al Azhar est indépendant et ne peut être démis de ses fonctions.
La loi définit les modalités de sa désignation parmi les membres du Conseil des grands
Oulémas.
Article 8
La société est basée sur la solidarité sociale.
L’État s’engage à réaliser la justice sociale, fournissant les moyens de parvenir à une
solidarité sociale qui garantisse une vie décente à tous les citoyens, dans les conditions
prévues par la loi.
Article 9
L’État garantit l’égalité des chances entre tous les citoyens, sans discriminations.
Article 10
La famille est la base de la société, et elle est fondée sur la religion, la morale et le patriotisme.
L’État protège sa cohésion, sa stabilité, et le renforcement de ses valeurs.
Article 11
L’État s’engage à réaliser l’égalité entre les femmes et les hommes dans les domaines des
droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, conformément aux dispositions
de la présente Constitution.
L’État s’engage à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une juste représentation des
femmes au sein du Parlement, conformément à la loi. Il garantit aussi le droit des femmes
à accéder sans discrimination aux emplois publics et aux hautes fonctions de direction au
sein de l’administration publique d’État ainsi que dans les institutions judiciaires.
L’État s’engage à protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et assure leur
autonomie en leur permettant de concilier leurs obligations familiales et les exigences de
leur travail.
L’État assure soin et protection à la maternité et à l’enfance, aux femmes soutiens de
famille, aux femmes âgées et aux femmes les plus démunies.
129
Article 12
Le travail est un droit, un devoir et un honneur que l’État doit garantir. Il ne peut y
avoir de travail forcé sauf dans un cadre déterminé par la loi et dans le but d’assurer un
service public pour une période déterminée, moyennant une juste rémunération, et sans
préjudice des droits fondamentaux de ces travailleurs.
Article 13
L’État s’engage à protéger les droits des salariés et veille à créer une relation équilibrée
entre les deux parties du processus de production. Il s’assure des moyens de négociation
collective et veille à protéger les salariés contre les risques du monde du travail, au respect
des conditions d’hygiène et de sécurité, et interdit les licenciements arbitraires. Les
modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 14
L’accès à la fonction publique est un droit pour tous les citoyens, sur la base du mérite, sans
favoritisme ou passe-droit. La fonction publique est une mission au service du peuple.
L’État garantit les droits et la protection des fonctionnaires et s’assure qu’ils exercent leurs
fonctions au service de l’intérêt général. Ils ne peuvent être révoqués disciplinairement en
dehors des cas déterminés par la loi.
Article 15
Le droit de grève pacifique est garanti et organisé par la loi
Article 16
L’État s’engage à honorer les martyrs de la nation, prenant soin des blessés de la révolution,
des anciens combattants âgés, des blessés de guerre, des familles des personnes disparues
lors d’un conflit, ainsi que de ceux qui sont dans des situations identiques, et des personnes
blessées lors des opérations de sécurité, de leurs conjoints, enfants et parents. Il veille à
leur offrir des possibilités d’emploi. La loi organise tous ces éléments.
L’État encourage la participation de la société civile à la réalisation de ces objectifs.
Article 17
L’État fournit des services de sécurité sociale.
Tout citoyen qui n’a pas d’assurance sociale et qui n’est pas en mesure de subvenir à ses
besoins et à ceux de sa famille, en cas d’incapacité au travail, de vieillesse ou de chômage,
a droit à ce que la sécurité sociale lui garantisse une vie décente.
L’État s’emploie à assurer des retraites convenables aux petits agriculteurs, aux travailleurs
agricoles, aux chasseurs et à ceux qui exercent un travail informel, conformément à la loi.
Les fonds d’assurance et les fonds de retraite sont privés et bénéficient de toutes les
formes de protection accordées aux fonds publics. Déclarés, ils sont un droit de leurs
bénéficiaires. Ils doivent être placés de manière sûre et gérés par un organisme indépendant,
conformément à la loi. L’État garantit les fonds d’assurance et de retraite.
130
Article 18
Tout citoyen a droit à la santé et à des soins de santé complets selon des normes de
qualité. L’État veille au maintien et au développement des établissements publics de santé
qui fournissent des soins à la population, et travaille à améliorer leur efficacité et leur
répartition géographique équitable.
L’État s’engage à allouer un pourcentage des dépenses publiques qui ne soit pas inférieur à
3  % du produit intérieur brut (PIB) à la santé. Le pourcentage augmentera progressivement
pour atteindre les ratios mondiaux.
L’État s’engage à mettre en place un système complet de protection de la santé pour tous
les Égyptiens, couvrant toutes les maladies. La contribution des citoyens à celle-ci ou leur
exemption est basée sur leurs niveaux de revenus.
Refuser toute forme de traitement médical à tout être humain en cas d’urgence ou de
risque mortel est un crime.
L’État veille à améliorer la condition des médecins, du personnel infirmier et des salariés
du secteur de la santé, et à assurer l’équité entre eux.
Tous les établissements de santé et les produits, matériaux et moyens de publicité liés à la
santé sont placés sous la surveillance de l’État. L’État encourage par la loi la participation des
secteurs public et privé dans l’offre de services de soins et de santé.
Article 19
L’éducation est un droit pour chaque citoyen, et son but est de forger la personnalité
égyptienne, de maintenir l’identité nationale, d’inculquer les bases de la méthode
scientifique, de développer les talents, de promouvoir l’innovation et d’inculquer les
valeurs civilisationnelles et spirituelles et les concepts de citoyenneté, de tolérance et
de non-discrimination. L’État s’engage à respecter ces objectifs dans les programmes
et les méthodes d’enseignement, et à fournir une éducation conforme aux normes
internationales de qualité.
L’éducation est obligatoire jusqu’à la fin du cycle secondaire ou son équivalent. L’État
garantit un enseignement gratuit aux différents cycles dans ses établissements scolaires,
conformément à la loi.
L’État s’engage à allouer un pourcentage des dépenses publiques qui ne soit pas inférieur à
4 % du PIB à l’éducation. Il augmentera progressivement pour atteindre les ratios mondiaux.
L’État supervise l’éducation et s’assure que toutes les écoles et instituts publics et privés
respectent ses politiques éducatives.
Article 20
L’État veille à encourager et développer l’enseignement technique et la formation
professionnelle et à développer toutes leurs facettes selon les normes internationales de
qualité et en rapport avec les besoins du marché du travail.
131
Article 21
L’État garantit l’indépendance des universités, académies scientifiques et linguistiques.
Il s’engage à assurer un enseignement universitaire conforme aux normes de qualité
internationales, et à développer un enseignement universitaire libre dans les universités et
instituts étatiques, conformément à la loi.
L’État s’engage à allouer à ce domaine un pourcentage des dépenses publiques qui ne soit
pas inférieur à 2 % du produit national brut (PNB). Il augmentera progressivement pour
atteindre les ratios mondiaux.
L’État s’emploie à encourager la création d’universités publiques à but non lucratif.
L’État garantit la qualité de l’enseignement dans les universités publiques et privées, leur
engagement à respecter les normes internationales de qualité, la formation de leurs cadres
dans les domaines de l’enseignement et de la recherche, et l’emploi d’une proportion
suffisante de leurs ressources au développement de l’éducation et de la recherche.
Article 22
Les enseignants et les membres du personnel enseignant et leurs assistants sont le principal pilier de
l’éducation. L’État garantit le développement de leurs compétences académiques et professionnelles,
etprendsoindeleursdroitsfinanciersetmorauxafind’assurerlaqualitédel’enseignementetd’atteindre
ses objectifs.
Article 23
L’État garantit la liberté de la recherche scientifique et encourage ses institutions comme
un moyen de parvenir à la souveraineté nationale et de construire une économie de la
connaissance. L’État soutient chercheurs et inventeurs, et s’engage à allouer à la recherche
scientifique un pourcentage des dépenses publiques qui ne soit pas inférieur à 1 % du
produit national brut. Il augmentera progressivement jusqu’à atteindre les ratios mondiaux.
L’État s’engage à fournir des moyens efficaces de soutien aux secteurs public et privé
de la recherche scientifique et à favoriser la contribution des Égyptiens expatriés à son
développement.
Article 24
La langue arabe, l’éducation religieuse et l’histoire nationale sont les matières de base de
l’enseignement public et privé pré-universitaire dans tous ses cycles. Les universités sont
engagées à enseigner les droits de l’homme, comme les morales et éthiques professionnelles
relatives aux différentes disciplines universitaires.
Article 25
L’État s’engage à développer un plan global visant à éradiquer l’analphabétisme et la
dyscalculie pour tous les citoyens de tous âges. Il s’engage à développer des mécanismes
pour le mettre en œuvre avec la participation des institutions de la société civile et selon
un calendrier précis.
132
Article 26
Créer des grades civils est interdit.
Section 2 : Des composants économiques
Article 27
Le système économique vise à parvenir à la prospérité dans le pays grâce au développement
durable et à la justice sociale, afin de garantir une augmentation du taux de croissance réel
de l’économie nationale, la hausse du niveau de vie, l’accroissement des offres d’emploi,
la réduction du taux de chômage et l’élimination de la pauvreté.
Le système économique s’engage à respecter les critères de transparence et de gouvernance,
à soutenir la compétitivité, à encourager les investissements, à permettre une croissance
géographique, sectorielle et environnementale équilibrée ; à empêcher les pratiques
monopolistiques, en tenant compte de l’équilibre financier et commercial et d’un système
fiscal équitable ; à réguler les mécanismes du marché ; à garantir les différents types de
propriété ; à parvenir à un équilibre entre les intérêts des différentes parties pour préserver
les droits des travailleurs et protéger les consommateurs.
Le système économique s’engage sur le plan social à assurer l’égalité des chances et une
répartition équitable des revenus de la croissance, à réduire les écarts entre les revenus par la
fixation d’un salaire minimum et d’une retraite permettant une vie décente, et à fixer par la loi
un salaire minimum pour tous les salariés des organismes publics.
Article 28
Les activités de production économique, de service et d’information sont les éléments
clés de l’économie nationale. L’État s’engage à les protéger et à leur permettre d’accroître
leur compétitivité en leur fournissant un cadre propice à l’investissement, et travaille à
augmenter la production, à promouvoir les exportations et à réguler les importations.
L’État accorde une attention particulière aux petites et moyennes entreprises dans tous les
domaines. Il travaille sur l’organisation et la formation du secteur informel.
Article 29
L’agriculture est un élément essentiel de l’économie nationale.
L’État s’engage à protéger et accroître les terres agricoles, sanctionnant les atteintes qui leur
sont faites. Il travaille au développement des campagnes, à l’élévation du niveau de vie de
leurs habitants et à la protection contre les risques agricoles, et travaille au développement
de la production agricole et de l’élevage, encourageant les industries qui en découlent.
L’État s’engage à répondre aux besoins de la production agricole et de l’élevage et à l’achat
de produits agricoles de base à des prix appropriés pour que les agriculteurs atteignent une
marge bénéficiaire, en accord avec les syndicats et les associations agricoles. L’État s’engage
également à allouer un pourcentage des terres récupérées aux petits agriculteurs et aux
jeunes diplômés, et à la protection des agriculteurs et des travailleurs agricoles contre
toute exploitation. Les modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
133
Article 30
L’État s’engage par la loi à protéger les zones de pêche, à protéger et soutenir les pêcheurs et
à leur donner les moyens d’effectuer leur travail sans causer de dommages aux éco-systèmes.
Article 31
La sécurité de l’espace de l’information fait partie intégrante du système économique
national et de la sécurité nationale. L’État s’engage par la loi à prendre les mesures
nécessaires pour la préserver.
Article 32
Les ressources naturelles appartiennent au peuple. L’État s’engage à préserver ces
ressources, à veiller à leur bonne exploitation, à prévenir leur épuisement et à prendre en
considération les droits qu’ont sur eux les générations futures.
L’État s’engage à faire le meilleur usage des sources d’énergies renouvelables, en motivant
l’investissement et en encourageant la recherche scientifique sur ce point. L’État travaille
à encourager la production de matières premières et à augmenter leur valeur ajoutée en
tenant compte de la faisabilité économique.
La propriété publique de l’État est inaliénable. Un droit d’exploiter les ressources naturelles
ou une concession de service public ne peuvent être octroyés, par la loi, que pour une
période maximum de 30 années.
Un droit d’exploiter des carrières, des petites mines et des salines, ou une concession de service
public ne peuvent être octroyés, par la loi, que pour une période maximum de 30 années.
La loi fixe les dispositions permettant de disposer de la propriété privée de l’État et les
règles et procédures qui la réglementent.
Article 33
L’État protège la propriété, qui prend trois formes : la propriété publique, la propriété
privée et la propriété coopérative.
Article 34
La propriété publique est inviolable, on ne peut lui porter atteinte. C’est le devoir de
chaque citoyen de la protéger, selon la loi.
Article 35
La propriété privée est protégée. Le droit d’hériter de cette propriété est garanti. La
propriété privée ne peut être mise sous séquestre, sauf dans les cas prévus par la loi, et en
vertu d’une décision de justice. La propriété des biens ne peut être confisquée, si ce n’est,
selon la loi, pour le bien public et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
Article 36
L’État encourage le secteur privé à concrétiser sa responsabilité sociale en se mettant au
service de l’économie nationale et de la société.
134
Article 37
La propriété coopérative est protégée. L’État prend soin des coopératives et la loi garantit
leur protection, leur soutien et leur indépendance. Elles ne peuvent être dissoutes, non
plus que leurs conseils d’administration, sans une décision de justice.
Article 38
La fiscalité et les autres prélèvements publics visent à développer les ressources de l’État et
à parvenir à la justice sociale et au développement économique.
Les impôts ne peuvent être établis, modifiés ou supprimés que par la loi. Il ne peut y avoir
d’exemption que dans les cas prévus par la loi. Il est interdit d’exiger de quiconque de
payer des impôts ou des redevances supplémentaires, sauf dans les cas prévus par la loi.
Lorsque l’on met en place des impôts, on doit tenir compte du fait que le système fiscal
a de multiples sources. Les impôts fondés sur les revenus des individus sont des impôts
échelonnés et progressifs qui tiennent compte de la capacité contributive de chacun. Le
système fiscal assure la promotion des industries utilisant largement de la main-d’œuvre
en stimulant leur rôle dans le développement économique, social et culturel.
L’État s’engage à faire évoluer la fiscalité et à adopter des systèmes modernes pour atteindre
l’efficacité, la facilité et la précision dans la collecte des impôts La loi précise les méthodes
et les outils utilisés pour collecter les impôts, les redevances et toutes les autres rentrées
fiscales, et ce qui est déposé au Trésor public.
Payer des impôts est un devoir et la fraude fiscale est un crime.
Article 39
Épargner est un devoir national protégé et encouragé par l’État. L’État protège l’épargne
selon la loi.
Article 40
L’expropriation de biens publics est interdite.
L’expropriation de biens privés privée est interdite, sauf à la suite d’une décision de justice.
Article 41
L’État s’engage à mettre en œuvre un programme de logement qui vise à atteindre
l’équilibre entre le taux de croissance de la population et les ressources disponibles, en
maximisant l’investissement dans l’énergie humaine et en améliorant ses caractéristiques,
dans le cadre de la réalisation du développement durable.
Article 42
Les salariés ont une part dans la gestion des entreprises et dans leurs bénéfices. Ils sont
engagés à développer la production et à mettre en œuvre la planification dans leurs unités
de production, conformément à la loi. Entretenir les outils de production est un devoir
national.
135
Les représentants des salariés dans les conseils d’administration des unités du secteur public
constituent 50 % des membres élus. Leur représentation dans les conseils d’administration
des entreprises du secteur public des affaires est régie par la loi.
La loi régit la représentation des petits agriculteurs et des petits artisans, qui ne doivent
pas représenter moins de 80 % des conseils d’administration des coopératives agricoles,
industrielles et artisanales.
Article 43
L’État s’engage à protéger, développer et entretenir le canal de Suez en tant que voie
navigable internationale qui lui appartient. Il s’engage aussi à faire du développement du
secteur du canal un pilier important de l’économie.
Article 44
L’État assure la protection du Nil et la préservation des droits historiques de l’Égypte
qui y sont liés, il rationalise et optimise ses ressources et veille à ce que son eau ne soit
ni gaspillée ni polluée. L’État s’engage à protéger ses ressources en eaux souterraines,
à prendre les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité de l’eau et à soutenir les
recherches scientifiques faites dans ce domaine.
Chaque citoyen a le droit de bénéficier du Nil. Il est interdit de porter atteinte au fleuve
ou de nuire à son environnement. L’État veille à supprimer les empiétements sur le fleuve.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 45
L’État s’engage à protéger ses mers, plages, lacs, cours d’eau, eaux souterraines, et réserves
naturelles.
Nul ne peut empiéter sur eux, les polluer ou les utiliser de manière contraire à leurs fonctions
naturelles. Chaque citoyen a le droit d’en jouir conformément à la loi.
L’État s’engage également à protéger et développer les espaces verts dans les zones
urbaines ; à protéger les végétaux, les animaux et les ressources piscicoles ; à protéger les
espèces menacées ; à prévenir la cruauté envers les animaux. Les modalités d’application
du présent article sont fixées par la loi.
Article 46
Toute personne a le droit de vivre dans un environnement sain et équilibré. Sa protection
est un devoir national. L’État s’engage à prendre les mesures nécessaires pour le préserver,
ne pas lui porter atteinte et utiliser rationnellement ses ressources naturelles de manière à
assurer un développement durable et à garantir les droits des générations futures.
Section 3 : Des composants culturels
Article 47
L’État s’engage à préserver l’identité culturelle égyptienne avec ses diverses origines
civilisationnelles.
136
Article 48
La culture est un droit pour chaque citoyen qui est garanti par l’État. L’État s’est engagé
à la soutenir et à fournir des éléments culturels de toutes sortes aux différentes catégories
de personnes, sans discriminations fondées sur la capacité financière, la situation
géographique ou d’autres éléments. L’État accorde une attention particulière aux régions
éloignées et aux groupes les plus démunis.
L’État encourage la traduction de et vers la langue arabe.
Article 49
L’État s’engage à la protection et la conservation des antiquités et de leurs sites, à leur
entretien, à leur restauration, à travailler à récupérer celles qui ont été enlevées, et à
organiser et superviser les fouilles qui les concernent.
Il est interdit d’en donner comme cadeau ou de les échanger.
Leur porter atteinte ou en faire le trafic est un crime imprescriptible.
Article 50
L’héritage civilisationnel et culturel, matériel et immatériel de l’Égypte, dans toute sa
diversité et venant des périodes Pharaonique, Copte, Islamique et moderne est un héritage
national et humain que l’État s’engage à protéger et entretenir. Il en est de même pour
les éléments culturels, architecturaux littéraires et artistiques contemporains. Y porter
atteinte est un crime puni par la loi. L’État accorde une attention particulière au maintien
des composantes de la diversité culturelle.
Chapitre III : Des droits libertés et devoirs publics
Article 51
La dignité est pour chaque personne un droit auquel on ne peut porter atteinte. L’État
s’engage à la respecter, la garantir et la protéger.
Article 52
La torture sous toutes ses formes est un crime imprescriptible.
Article 53
Les citoyens sont égaux devant la loi, ils ont les mêmes droits et devoirs, sans discriminations
fondées sur la religion, la croyance, le sexe, l’origine, la race, la couleur, la langue, le handicap,
la classe sociale, l’appartenance politique ou géographique, ou pour toute autre raison.
La discrimination et l’incitation à la haine sont des crimes punis par la loi.
L’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer toutes les formes de
discrimination, et la loi réglemente la création d’une commission indépendante à cet effet.
137
Article 54
La liberté personnelle est un droit naturel qui est protégé et auquel on ne peut porter atteinte.
Sauf en cas de flagrant délit, les citoyens ne peuvent être appréhendés, recherchés, arrêtés, ou subir
une atteinte à leurs libertés qu’en vertu mandat judiciaire exigé par les besoins d’une enquête.
Tous ceux qui subissent une atteinte à leurs libertés doivent s’en voir immédiatement notifier
les raisons, être avertis par écrit de leurs droits, être immédiatement autorisés à contacter
leur famille et leur avocat, et être présentés aux autorités chargées de l’enquête vingt-quatre
heures après cette atteinte à leurs libertés.
L’interrogatoire de la personne ne peut débuter qu’en présence de son avocat. S’il n’a pas
d’avocat, un avocat sera commis d’office. On doit fournir aux personnes handicapées une
aide nécessaire, conformément à loi.
Ceux qui subi une atteinte à leurs libertés possèdent comme les autres un droit de recours
devant la justice. La décision doit être rendue une semaine après un tel recours, faute de
quoi le requérant doit être immédiatement libéré.
La loi fixe les conditions de la détention provisoire, sa durée, ses causes et les cas qui donnent
droit à une indemnisation, laquelle est une obligation pour l’État en cas de détention provisoire
ou d’exécution d’une peine exécutée en vertu de décisions annulées par un jugement définitif.
Dans tous les cas, l’accusé ne peut être traduit devant le juge pénal pour les crimes au sujet
desquels il est détenu qu’en présence d’un avocat agréé ou commis d’office.
Article 55
Tout individu arrêté, incarcéré ou qui subit une atteinte à ses libertés doit être traité d’une
manière qui préserve sa dignité. Il ne peut pas être torturé, intimidé ou contraint. Il ne
peut pas être blessé physiquement ou moralement, ni être enfermé ou emprisonné, si ce
n’est dans des lieux dédiés à cet usage et respectant les normes humanitaires et sanitaires.
L’État doit fournir des moyens d’accès aux personnes handicapées.
Toute violation du présent article est un crime et son auteur doit être puni conformément
à la loi.
L’accusé a le droit de garder le silence. Toute déclaration dont il est prouvé qu’elle a été
obtenue à la suite de ce qui précède, ou sous sa menace, est nulle et non avenue.
Article 56
La prison est un lieu de redressement et de réhabilitation.
Les prisons et les centres de détention sont soumis au contrôle judiciaire. Tout ce qui
porte atteinte à la dignité de la personne ou à sa santé y est interdit.
La loi fixe les dispositions du redressement et de la réhabilitation des personnes condamnées
et facilite leur réinsertion dans une vie décente après leur détention.
Article 57
La vie privée est inviolable, protégée, et on ne peut lui porter atteinte.
Les correspondances postales, télégraphiques, électroniques, les appels téléphoniques et les
138
autres formes de communication sont inviolables, leur confidentialité est garantie et elles
ne peuvent être confisquées, examinées ou contrôlées qu’en vertu d’une décision de justice
motivée, pour une période déterminée, et dans les cas prévus par la loi.
L’État doit protéger les droits des citoyens à utiliser toutes formes de moyens publics de
communication, qui ne peuvent être arbitrairement perturbés, interrompus, ou dont on
ne peut priver les citoyens, conformément à la loi.
Article 58
Le domicile est inviolable. Sauf en cas de danger ou d’appel au secours, aucune visite
domiciliaire ou perquisition, surveillance ou écoute ne peut être faite qu’à la suite d’un
mandat judiciaire motivé, précisant le lieu, le moment et le but. Tout ce qui précède ne
peut être effectué que dans les cas prévus par la loi, et de la manière prescrite. Lors des
visites domiciliaires et des perquisitions, les habitants doivent être informés et se voir
notifier le mandat délivré à cet effet.
Article 59
Chaque personne a un droit à vivre en sécurité. L’État doit assurer la sécurité et la
tranquillité des citoyens et de tous ceux qui résident sur son territoire.
Article 60
Le corps humain est inviolable. Toute agression, profanation ou mutilation est un
crime puni par la loi. Le trafic d’organes est interdit, et aucune expérience médicale ou
scientifique ne peut être effectuée sur ceux-ci sans le consentement libre et informé du
sujet, en conformité avec principes de la science médicale tels que réglementés par la loi.
Article 61
Le don d’organes et de tissus est un don de vie. Toute personne a le droit de faire don des
organes de son corps de son vivant ou après sa mort, par un consentement libre et informé.
L’État s’engage à mettre en place un mécanisme chargé de fixer les règles en matière de don
d’organe et de transplantation, conformément à la loi.
Article 62
La liberté de circulation, de résidence et d’émigration est garantie.
Aucun citoyen ne peut être expulsé du territoire de l’État, et on ne peut l’empêcher d’y
revenir.
Aucun citoyen ne peut se voit interdit de quitter le territoire de l’État, assigné à domicile,
ou se voir interdit de séjour en un lieu que par une décision de justice motivée, pour une
période précise et dans les cas prévus par la loi.
Article 63
Toute forme de déplacement arbitraire forcé des citoyens est interdite. La violation de ce
principe est un crime imprescriptible
139
Article 64
La liberté de croyance est absolue.
La liberté de pratique religieuse et d’établissement de lieux de culte pour les croyants des
religions révélées est un droit organisé par la loi.
Article 65
La liberté de pensée et d’opinion est garantie.
Toute personne a le droit d’exprimer son opinion par la parole, l’écriture, l’image, ou tout
autre moyen d’expression et de diffusion.
Article 66
La liberté de la recherche scientifique est garantie. L’État soit soutenir les chercheurs et les
inventeurs, protéger leurs innovations et travailler à leurs mises en oeuvre.
Article 67
La liberté de la création artistique et littéraire est garantie. L’État doit promouvoir les arts
et la littérature, soutenir les créateurs et protéger leurs créations, fournissant les moyens
d’encouragement nécessaires à cette fin.
Les poursuites judiciaires ne peuvent êtres engagées ou menées en vue de suspendre ou
de confisquer toute œuvre artistique, littéraire ou intellectuelle, ou contre leurs créateurs,
que par le ministère public. Aucune peine privative de liberté ne peut sanctionner un
crime commis en raison de la nature artistique, littéraire ou intellectuelle d’une œuvre. La
loi fixe les peines sanctionnant les délits d’incitation à la violence, de discrimination entre
les citoyens, ou de diffamation.
Le tribunal, dans ce cas, peut exiger du coupable le versement de dommages-intérêts à la
victime, en sus de la compensation normale qui lui est due à raison des dommages subis.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 68
Les informations, données, statistiques et documents officiels appartiennent au peuple. L’accès
à ceux-ci à partir de diverses sources est un droit garanti par l’État à chaque citoyen. L’État doit
les fournir et les mettre à la disposition des citoyens dans la transparence. La loi réglemente
leur accès, leur disponibilité, leur confidentialité, leur dépôt et leur préservation, comme
l’enregistrement des plaintes déposées contre un refus d’accès. La loi doit préciser les sanctions
punissant la rétention d’information ou la fourniture délibérée d’informations erronées.
Les institutions étatiques doivent déposer les documents officiels à la Bibliothèque
nationale et aux Archives lorsqu’ils ne sont plus utilisés. Elles doivent également les
protéger, évitant la perte ou les dommages et les restaurant et les numérisant en usant de
tous les moyens et outils modernes, conformément à la loi.
Article 69
L’État doit protéger tous les types de propriété intellectuelle dans tous les domaines, et
doit mettre en place un organe spécialisé pour défendre les droits des Égyptiens et leur
protection juridique, conformément à la loi.
140
Article 70
La liberté de la presse et de l’édition, celle de la publication sous forme imprimée,
audiovisuelle ou électronique, sont garanties. Les Égyptiens - personnes physiques ou
morales, publiques ou privées -, ont le droit de posséder et de publier des journaux et de
créer des médias radiophoniques, télévisuels et numériques.
Les journaux peuvent être publiés dès leur déclaration fixée par la loi.
La loi régit les procédures de création et d’acquisition de la propriété des stations de
radiodiffusion, de télévision et des journaux électroniques.
Article 71
Il est interdit de censurer, confisquer, suspendre ou fermer de quelque manière que ce soit
les journaux et les médias égyptiens. Une censure limitée peut exister à titre exceptionnel
en temps de guerre ou de mobilisation générale.
Aucune peine privative de liberté ne peut exister pour des délits commis par voie de
presse ou sanctionnant leur nature publique. La loi fixe les peines sanctionnant les délits
d’incitation à la violence ou à la discrimination entre les citoyens et de diffamation.
Article 72
L’État doit assurer l’indépendance de tous les organes de presse et instruments de diffusion
médiatique dont il est propriétaire, afin de garantir leur neutralité et l’expression de toutes
les opinions, tendances politiques et intellectuelles, et intérêts sociaux ; et de garantir
l’égalité et l’égalité ses chances dans l’accès à l’opinion publique.
Article 73
Les citoyens ont le droit d’organiser des réunions publiques, des marches, des cortèges et
toutes les formes de manifestations pacifiques, tant qu’ils ne portent d’armes d’aucune
sorte, après une déclaration fixée par la loi.
Le droit de réunion privée pacifique est garanti, sans nécessité de déclaration préalable. Les
forces de sécurité ne peuvent assister à de tels rassemblements, les surveiller ou les espionner.
Article 74
Les citoyens ont le droit de former des partis politiques par une déclaration fixée par la
loi. Aucune activité politique ne peut s’exercer, ni de parti politique se créer, sur une base
religieuse ou de discrimination fondée sur le sexe, l’origine, l’appartenance sectaire ou
géographique, de même qu’aucune activité hostile à la démocratie, secrète, ou ayant un
caractère militaire ou paramilitaire ne peut être pratiquée.
Les partis ne peuvent être dissous que par décision de justice.
Article 75
Les citoyens ont le droit de former des organisations non gouvernementales et des associations
ayant une base démocratique, qui doivent obtenir la personnalité juridique dès leur déclaration.
141
Elles doivent être autorisées à agir librement. Les autorités administratives ne peuvent
s’ingérer dans les affaires de ces organisations, les dissoudre, dissoudre leurs organes de
direction ou leurs conseils d’administration, qu’à la suite d’une décision de justice.
La création ou l’existence d’organisations non-gouvernementales et d’associations dont la
structure et les activités sont dirigées et menées en secret, ou ayant un caractère militaire
ou paramilitaire, sont interdites, conformément à la loi.
Article 76
La création de syndicats et de fédérations sur une base démocratique est un droit garanti
par la loi. De tels syndicats et fédérations possèdent la personnalité juridique, pratiquent
librement leurs activités, contribuent à améliorer les compétences de leurs membres,
défendent leurs droits et protègent leurs intérêts.
L’État garantit l’indépendance des syndicats et des fédérations. Leurs organes de direction
ne peuvent être dissous que par une décision de justice.
Aucun syndicat ne peut exister au sein des administrations étatiques.
Article 77
La loi réglemente la création et le fonctionnement de syndicats professionnels sur une
base démocratique, garantit leur indépendance, et précise leurs ressources et la façon dont
leurs membres sont enregistrés et tenus pour responsables de leur comportement dans
l’exercice de leurs activités professionnelles, selon les codes éthiques des conduites morales
et professionnelles.
Aucune profession ne peut créer plus d’un syndicat. Leur mise sous séquestre, ou
l’ingérence des autorités administratives dans leurs affaires et la dissolution de leurs
organes de direction ne peuvent résulter que d’une décision de justice. Toute la législation
relative à une profession donnée doit être présentée pour avis au syndicat concerné.
Article 78
L’État garantit aux citoyens le droit à un logement décent, sûr et sain, de manière à
préserver la dignité humaine et à réaliser la justice sociale.
L’État doit élaborer un plan national pour le logement qui respecte la spécificité
environnementale, et garantisse dans sa mise en oeuvre les initiatives individuelles et
coopératives. L’État doit également réglementer l’utilisation de son domaine public et lui
fournir les services de base, dans le cadre d’un schéma de planification urbaine globale
pour les villes et les villages et d’une stratégie de répartition de la population. Cela doit
être fait de manière à servir l’intérêt public, améliorer la qualité de vie des citoyens et
préserver les droits des générations futures.
L’État doit élaborer un plan national global pour résoudre le problème des bidonvilles, qui
comprenne la fourniture d’infrastructures et d’équipements et l’amélioration de la qualité de
la vie et de la santé publique. L’État doit aussi garantir la fourniture des ressources nécessaires
à sa mise en œuvre dans un laps de temps spécifiée
142
Article 79
Chaque citoyen a le droit à une alimentation saine et à une eau potables en quantité
suffisante. L’État doit fournir des ressources alimentaires à tous les citoyens. Il assure
également la souveraineté alimentaire de manière durable et garantit la protection de
la biodiversité agricole et des plantes indigènes pour préserver les droits des générations
futures.
Article 80
Celui qui n’a pas atteint dix-huit ans est considéré comme un enfant. Les enfants ont droit
à un nom et possèdent des papiers d’identité, ils ont accès à la vaccination obligatoire et
gratuite, aux soins médicaux, aux aides familiales ou à leur alternative, à une nourriture
minimum, à un logement sûr, à une éducation religieuse, à un développement intellectuel
et moral.
L’État garantit les droits des enfants handicapés et assure leur réadaptation et leur
intégration dans la société.
L’État doit prendre soin des enfants et les protéger contre toutes les formes de violence,
d’abus, de mauvais traitements et d’exploitation commerciale ou sexuelle.
Chaque enfant a droit à une éducation primaire dans un centre de la petite enfance jusqu’à
l’âge de six ans. Il est interdit d’employer un enfant qui n’ait pas atteint l’âge de fin d’études
primaires, comme il est interdit de l’employer dans un travail qui l’expose à des risques.
L’État doit mettre en place un système judiciaire pour les mineurs victimes et témoins.
Aucun enfant ne peut être déclaré pénalement responsable ou détenu, si ce n’est selon la
loi et pour les délais qui y sont indiqués. L’aide juridique doit être accordée aux enfants
et leur détention se faire dans des lieux adéquats, séparés des centres de détention des
adultes.
L’État s’emploie à servir au mieux les intérêts des enfants dans toutes les mesures qui les
concernent.
Article 81
L’État doit garantir les droits à la santé, économiques, sociaux, culturels, aux loisirs, au sport
et à l’éducation des personnes handicapées et des nains. L’État doit leur offrir des possibilités
d’emploi, leur allouant un quota de ces emplois, comme aménager pour eux les services
publics et l’environnement qui les entoure. L’État garantit leur droit à exercer tous les droits
politiques et leur intégration parmi les autres citoyens, afin de réaliser les principes d’égalité, de
justice et d’égalité des chances.
Article 82
L’État doit veiller sur la jeunesse et les enfants, en sus de les aider à exploiter leurs talents
et à développer leurs capacités culturelles, scientifiques, psychologiques, créatives et
physiques, les encourageant à travailler en équipe, au bénévolat, et leur permettant de
participer à la vie publique.
143
Article 83
L’État doit garantir les droits à la santé, économiques, sociaux, culturels, et aux loisirs des
personnes âgées, leur fournir des retraites appropriées qui leur assurent un niveau de vie
décent, et leur permettre de participer à la vie publique. L’État tiendra compte des besoins
des personnes âgées lors de la planification des services publics. Il encourage également
les associations de la société civile à participer à la prise en charge des personnes âgées.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 84
L’État garantit le droit de chacun à pratiquer les sports. Les institutions étatiques et
les associations civiles doivent travailler à découvrir et soutenir les athlètes de talent et
prendre les mesures nécessaires pour encourager la pratique sportive.
La loi organise les domaines sportifs et les instances sportives civiles, en conformité avec
les normes internationales et à la manière d’arbitrer les différends sportifs.
Article 85
Toute personne a le droit de s’adresser aux autorités publiques par un écrit signé. Aucune
requête ne peut faite au nom d’un groupe, sauf pour les personnes morales.
Article 86
Préserver la sécurité nationale est un devoir, et l’engagement de tous à l’observer est une
responsabilité nationale garantie par la loi.
La défense de la nation et la protection de son sol sont un honneur et un devoir sacré. Le
service militaire est obligatoire en vertu de la loi.
Article 87
La participation des citoyens à la vie publique est un devoir national. Chaque citoyen
a le droit de voter, de se présenter aux élections et d’exprimer son opinion lors des
référendums. La loi devra organiser l’exercice de ces droits. L’exemption de ces obligations
résulte de cas spécifiques prévus par la loi.
L’État doit inscrire chaque citoyen sur les listes électorales, sans que le citoyen lui-même ne
le demande, une fois que ce dernier remplit les conditions pour être électeur. L’État doit
également réviser périodiquement ces listes, conformément à la loi. L’État garantit la sécurité,
la neutralité et l’impartialité des procédures référendaires et électorales. L’utilisation des fonds
publics, des administrations étatiques, des établissements publics, des lieux de culte, des
établissements du secteur privé, des organisations non-gouvernementales et des associations à
des fins politiques et électorales est interdite.
Article 88
L’État s’engage à protéger les intérêts des Égyptiens vivant à l’étranger, à les protéger eux-mêmes,
à garantir leurs droits et libertés, à leur permettre de s’acquitter de leurs devoirs envers l’État et la
société, et à les pousser à contribuer au développement de la nation.
144
La loi organise leur participation aux élections et aux référendums, en tenant compte de
leurs situations particulières, sans être limité par les dispositions concernant le vote, le
dépouillement et la proclamation des résultats énoncés dans la présente Constitution.
Cela doit s’accompagner de garanties qui assurent l’intégrité et la neutralité du processus
électoral et référendaire.
Article 89
L’esclavage et toutes les formes d’oppression et d’exploitation forcée des êtres humains
sont interdits, de même que le commerce sexuel et les autres formes de traite des êtres
humains, tous punis par la loi.
Article 90
L’État doit encourager les dotations de bienfaisance à créer et soutenir des institutions
scientifiques, culturelles, sanitaires, sociales et autres, et à garantir leur indépendance.
Leurs affaires sont gérées en conformité avec les conditions fixées par la personne qui a
créé le fond de donation. Les modalités d’application du présent article sont fixées par la
loi.
Article 91
L’État accordera l’asile politique à tout étranger persécuté pour avoir défendu les intérêts
des peuples, les droits de l’homme, la paix ou la justice.
L’extradition des réfugiés politiques est interdite. Les modalités d’application du présent
article sont fixées par la loi.
Article 92
Les droits et les libertés inhérents à la personne des citoyens ne peuvent être ni suspendus
ni réduits.
Aucune loi réglementant l’exercice des droits et des libertés ne peut les limiter d’une
manière telle qu’elle porte atteinte à leur essence et à leur fondement.
Article 93
L’État s’engage à respecter les traités, accords et conventions internationales relatifs aux
droits de l’homme ratifiés par l’Égypte. Ils ont force de loi après leur publication, avec les
réserves spécifiées.
Chapitre IV : De l’État de droit.
Article 94
L’État de droit est la base de la gouvernance de l’État.
L’État est soumis à la loi, et l’indépendance, l’immunité et l’impartialité de la justice
constituent les garanties de la protection des droits et libertés.
145
Article 95
Les peines sont personnelles. Il n’y a nulle infraction ni peine si ce n’est en vertu de la loi, et
nulle peine sans une décision de justice. Les peines ne peuvent être infligées que pour des
actes commis postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi.
Article 96
Tout accusé est présumé innocent tant qu’il n’a pas été déclaré coupable devant un
tribunal équitable qui lui a offert toutes les garanties nécessaires à sa défense.
La loi réglemente l’appel des jugements pénaux.
L’État doit assurer en tant que de besoin la protection des victimes, des témoins, des
accusés et des informateurs, conformément à la loi.
Article 97
Le droit d’ester en justice est un droit protégé et garanti à tous. L’État doit réunir les parties
au litige, et permettre un jugement rapide. Il est interdit de garantir par quelque acte ou
décision administrative que ce soit une immunité contre un contrôle judiciaire. Les individus
ne peuvent être jugés que devant leur juge naturel. Les tribunaux spéciaux sont interdits.
Article 98
Le droit de se défendre soi-même ou par procuration est garanti.
L’indépendance des avocats et la protection de leurs droits sont garanties comme essentiels
aux droits de la défense.
La loi garantit aux insolvables les moyens de recourir à la justice et de défendre leurs droits.
Article 99
Toute atteinte contre les libertés individuelles ou l’inviolabilité de la vie privée des citoyens,
ainsi que contre d’autres droits et libertés garantis par la Constitution et la loi, sont des
crimes imprescriptibles tant au civil qu’au pénal. La victime peut engager directement une
action devant le juge pénal.
L’État garantit une juste réparation aux victimes. Le Conseil national des droits de
l’homme doit informer le ministère public de toute violation de ces droits, et peut
intervenir dans une procédure civile secondaire aux côtés de la victime à sa demande. Les
modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 100
Les décisions de justice sont rendues et exécutées au nom du peuple. L’État garantit les
moyens de leur mise en œuvre conformément à la loi. Ne pas exécuter une décision de
justice ou retarder son exécution est de la part des fonctionnaires compétents un crime puni
par la loi. La partie gagnante a dans ce cas le droit d’engager une action pénale directement
devant le tribunal compétent. À la demande de la partie gagnante, le ministère public doit
engager une action pénale contre le fonctionnaire qui a refusé d’exécuter le jugement ou a
gêné son exécution.
146
Chapitre V : Des pouvoirs publics
Section 1 : Du Pouvoir législatif
Article 101
La Chambre des représentants dispose du pouvoir législatif, et approuve la politique
générale de l’État, le plan général du développement économique et social et le budget
de l’État. Elle exerce un contrôle sur les actions du pouvoir exécutif. Les modalités
d’application du présent article sont fixées par la Constitution.
Article 102
La Chambre des représentants comprend au moins quatre cent cinquante membres, élus
au suffrage universel direct et secret.
Le candidat à un siège à la Chambre doit être un citoyen égyptien, jouissant de ses droits
civils et politiques, titulaire au moins d’un certificat de fin d’études primaires, et ayant au
moins vingt-cinq ans au jour de l’enregistrement de sa candidature.
La loi détermine les autres modalités de l’élection, le système électoral et la répartition
des circonscriptions électorales, en tenant compte d’une représentation équitable de la
population, des gouvernorats, et d’une représentation égale des électeurs. Le système
majoritaire, proportionnel de liste, ou un système mixte aux proportions quelconques,
peuvent être retenus.
Le président peut nommer un certain nombre de membres de la Chambre des
représentants, sans dépasser les 5 %. La loi fixe leur mode de nomination.
Article 103
Un membre de la Chambre des représentants se consacre à ses fonctions, et assume les
obligations de son mandat conformément à la loi.
Article 104
Avant le début de son mandat, le membre de la Chambre des représentants prononce le
serment suivant : « Je jure devant Dieu tout-puissant de soutenir loyalement le système
républicain, de respecter la Constitution et la loi, de me consacrer entièrement aux
intérêts du peuple et de préserver l’indépendance et l’intégrité territoriale de la nation ».
Article 105
Les membres de la Chambre reçoivent une rémunération fixée par la loi. Dans le cas où
elle est modifiée, la modification entre en vigueur à partir de la législature suivant celle
qui l’a adoptée.
Article 106
La durée du mandat de la Chambre des représentants est de cinq années civiles à compter
de la date de sa première session.
147
Les élections à la nouvelle Chambre sont organisées dans les soixante jours précédant
l’expiration de son mandat.
Article 107
La Cour de cassation est compétente pour décider de la validité de l’élection des membres
de la Chambre des représentants. Les contestations sont soumises à la Cour dans un
délai n’excédant pas trente jours à compter de la date de l’annonce du résultat définitif
de l’élection. Le verdict doit être rendu dans les soixante jours à compter de la date de
réception de la contestation.
L’invalidation d’une élection prend effet à la date de sa notification à la Chambre.
Article 108
Si le siège d’un membre de la Chambre des représentants devient vacant six mois au
moins avant la date de la fin de son mandat, la vacance doit être comblée conformément
à la loi dans les soixante jours à compter de la date sa première notification à la Chambre.
Article 109
Aucun membre de la Chambre des représentants ne peut, tout au long de son mandat, que
ce soit en personne ou par un intermédiaire, acheter ou louer toute propriété appartenant
à l’État, à une personne morale du droit public, à une société du secteur public ou à une
entreprise publique. Il ne peut pas non plus louer vendre ou échanger avec l’État une
partie de sa propriété, ni conclure avec l’État un contrat en tant que vendeur, fournisseur,
entrepreneur ou autre. Tous ces actes seront considérés comme nuls en non avenus.
Un membre de la Chambre des représentants doit présenter une déclaration de situation
patrimoniale au début de mandat, à sa fin et à la fin de chaque année.
S’il a reçu, à cause de son mandat ou en lien avec celui-ci, un don en espèces ou en nature,
la propriété de ce don revient au Trésor public.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 110
Le mandat d’un membre de la Chambre ne peut prend fin que s’il a perdu la confiance, le
statut ou l’une des conditions pour être membre grâce auxquels il a été élu, ou s’il a violé
ses devoirs en tant que membre de la Chambre.
La décision de révoquer son mandat est prise à la majorité des deux tiers de la Chambre
des représentants.
Article 111
La Chambre des représentants accepte la démission de ses membres, qui doit être
présentée par écrit.
Pour qu’elle soit acceptée, la démission ne doit pas être présentée après que la Chambre ait
engagé une procédure de révocation à l’encontre du membre démissionnaire.
148
Article 112
Un membre de la Chambre des représentants ne peut être tenu pour responsable des
opinions qu’il exprime dans le cadre de ses activités à la Chambre ou dans ses commissions.
Article 113
Il est interdit, sauf en cas de flagrant délit, d’engager des poursuites pénales fondées sur les
articles réprimant les crimes et délits contre un membre de la Chambre des représentants
sans autorisation préalable de la dite Chambre. Si elle n’est pas réunie en session,
l’autorisation doit être donnée par le bureau de la Chambre, et celle-ci en est informée
dès qu’elle est en session.
Dans tous les cas, si une demande d’autorisation d’engager des poursuites pénales
contre un membre ne reçoit pas de réponse dans les trente jours au plus, la demande est
considérée comme acceptée.
Article 114
Le siège de la Chambre des représentants est au Caire.
Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, la Chambre peut tenir ses séances ailleurs,
à la demande du Président de la République ou d’un tiers de ses membres.
Toutes les séances de la Chambre qui ne sont pas conformes à ce qui précède sont
invalides, et les décisions qui y sont prises nulles.
Article 115
Le Président de la République convoque la Chambre des représentants en session ordinaire
annuelle avant le premier jeudi d’octobre. Si une telle convocation n’est pas faite, la Chambre
est requise en vertu de la Constitution de se réunir le même jour.
La session ordinaire dure au moins neuf mois. Le Président de la République ne la clôt
avec l’accord de la Chambre qu’après que le budget général de l’État ait été adopté.
Article 116
Une session extraordinaire de la Chambre des représentants peut être convoquée pour
débattre d’une question urgente, à l’initiative du Président de la République, ou sur une
demande signée par au moins un dixième des membres de la Chambre.
Article 117
La Chambre des représentants élit parmi ses membres, lors de la première séance de sa
session annuelle ordinaire, un président et deux vice-présidents pour la durée de la
législature. Si l’un de ces sièges devient vacant, la Chambre élit un remplaçant. Le règlement
de la Chambre définit les règles et procédures de cette élection. Si l’un de ces élus viole les
obligations résultant de ses fonctions, un tiers des membres de la Chambre peut demander
sa démission, et la décision est prise à la majorité des deux tiers des membres.
Dans tous les cas, le Président comme les deux vice-présidents ne peuvent être élus pour
plus de deux législatures consécutives.
149
Article 118
La Chambre des représentants établit son propre règlement pour organiser le déroulement
de ses travaux, la manière dont elle exerce ses compétences, et le maintien de son ordre
intérieur. Ce règlement interne est promulgué par une loi.
Article 119
La Chambre des représentants assure l’ordre dans son enceinte, sous la responsabilité de
son Président.
Article 120
Les sessions de la Chambre des représentants sont publiques.
La Chambre peut se réunir à huis clos, à la demande du Président de la République, du
Président de la Chambre, ou d’au moins vingt de ses membres. La Chambre décide alors à la
majorité de ses membres si le débat se fera en séance publique ou à huis clos.
Article 121
Les séances de la Chambre et les décisions qu’elle prend ne sont valables qu’en présence
de la majorité de ses membres.
Dans les cas qui ne prévoient pas de vote à une majorité qualifiée, les décisions sont
prises à la majorité absolue des membres présents. En cas d’égalité des votes, la question
délibérée est réputée rejetée.
Les lois sont votées à la majorité absolue des membres présents, qui doit être égale au tiers
au moins des membres de la Chambre.
Les lois complétant la Constitution sont votées aux deux tiers des membres de la Chambre.
Les lois qui organisent les élections présidentielles, parlementaires, locales, les partis
politiques et le pouvoir judiciaire, et celles qui mettent en œuvre les droits et les libertés
énoncés dans la Constitution sont considérées comme complétant la Constitution.
Article 122
Le Président de la République, le Gouvernement, et chaque membre la Chambre des
représentants ont le droit de proposer des lois.
Chaque projet ou proposition de loi présenté par le gouvernement ou par un dixième
des membres de l’Assemblée est envoyé à la commission spécialisée compétente de la
Chambre en vue de l’étudier et de présenter un rapport à son sujet à la Chambre. La
commission peut entendre des experts sur la question.
Aucune proposition de loi présentée par un représentant ne peut être envoyée à la
commission spécialisée compétente sans l’autorisation de la commission de propositions
et après avoir été approuvée par la Chambre. La décision de rejet de la proposition de loi
doit être justifiée par la commission de propositions.
Tout projet ou proposition de loi rejeté par la Chambre ne peut lui être présenté de
nouveau durant la même législature.
150
Article 123
Le Président de la République a le droit de promulguer les lois ou de s’opposer à cette
promulgation.
Si le Président refuse de promulguer un projet ou une proposition adoptés par la
Chambre des représentants, ce texte doit être représenté à la Chambre dans les trente
jours qui suivent la notification à la Chambre du refus de promulgation. Si le projet
ou la proposition ne sont pas renvoyés dans ce délai, ils ont valeur législative et sont
promulgués.
S’il est représenté à la Chambre dans le délai susmentionné et approuvé à nouveau par une
majorité des deux tiers de ses membres, le texte a valeur législative et est promulgué.
Article 124
Le budget de l’État inclut tous ses revenus et dépenses, sans exceptions. Le projet de
budget est présenté à la Chambre des représentants quatre-vingt-dix jours au moins après
le début de son exercice. Il ne prend effet qu’avec son accord et est mis au vote chapitre
par chapitre.
La Chambre peut modifier les dépenses prévues par le projet de loi de finances, sauf celles
qui concernent la mise en œuvre d’un engagement spécifique de l’État.
Si de tels amendements conduisent à une augmentation des dépenses totales, la Chambre
doit parvenir à un accord avec le gouvernement sur les moyens d’augmenter les recettes pour
parvenir à un équilibre. Le budget est promulgué dans une loi qui peut comprendre des
amendements à toute loi en vigueur dans les limites nécessaires à la réalisation de cet équilibre.
Dans tous les cas, la loi de finances ne peut inclure de texte faisant peser de nouvelles
charges sur les citoyens.
La loi définit les spécificités de l’exercice budgétaire, la méthode de préparation du budget
général, les dispositions des budgets des institutions, des organismes publics, et les règles
de leur comptabilité.
La Chambre des représentants doit approuver tout transfert de fonds d’un chapitre
budgétaire à un autre, ainsi que toute dépense non prévue ou dépassant ses prévisions.
Ces approbations prennent la forme de lois.
Article 125
Le compte de règlement du budget de l’État doit être soumis à la Chambre des
représentants dans un délai ne dépassant pas six mois à compter de la fin de l’exercice. Le
rapport d’audit annuel de l’Organisme central d’évaluation et ses observations ultérieures
sur le budget définitif lui seront soumis avec ce dernier.
Le vote sur le compte de règlement se fait chapitre par chapitre et est promulgué dans
une loi.
La Chambre a le droit de demander à l’Organisme central d’évaluation des données
complémentaires et d’autres rapports.
151
Article 126
La loi fixe les règles de base pour la collecte des fonds publics et leurs procédures de
versement.
Article 127
Le pouvoir exécutif ne peut pas emprunter, obtenir un financement ou s’engager dans
un projet ne figurant pas dans le budget de l’État tel qu’approuvé et qui entraînerait
pour l’avenir des dépenses du Trésor public, sauf avec l’approbation de la Chambre des
représentants.
Article 128
La loi fixe les règles encadrant les salaires, retraites, indemnités, subventions et primes
émanant du Trésor public, de même que les cas d’exception à ces règles, et les autorités
chargées de les mettre en œuvre.
Article 129
Tout membre de la Chambre des représentants peut adresser au Premier ministre, à l’un de
ses adjoints, à un des ministres ou de leurs adjoints, des questions sur tout sujet relevant de
leurs compétences. Ils répondent obligatoirement à ces questions lors de la même session.
Le membre peut retirer sa question à tout moment. Une question ne peut être convertie
en une interpellation dans la même session.
Article 130
Tout membre de la Chambre des représentants peut interpeller le Premier ministre,
un de ses adjoints, un des ministres ou de leurs adjoints, sur un sujet relevant de leurs
compétences.
Le débat sur l’interpellation a lieu sept jours au moins et soixante jours au plus après son
dépôt, sauf si la Chambre, avec l’accord du gouvernement, déclare l’urgence.
Article 131
La Chambre des représentants peut décider de retirer sa confiance au Premier ministre, à
l’un de ses adjoints, à un des ministres ou de leurs adjoints.
Une motion de censure ne peut être présentée qu’après une interpellation, sur proposition
d’un dixième au moins des membres de la Chambre des représentants. La Chambre rend
sa décision après avoir débattu de l’interpellation. Le vote de la motion de censure se fait
à la majorité des membres.
Dans tous les cas, il ne peut y avoir de vote d’une motion de censure sur une question déjà
débattue durant la même session.
Si la Chambre décide de retirer sa confiance au Premier ministre, à un de ses adjoints, à un
des ministres ou de leurs adjoints, et si le gouvernement s’en est déclaré solidaire avant le
vote, le gouvernement doit présenter sa démission. Si la motion de censure concerne l’un
des membres du gouvernement, celui-ci est obligé de démissionner.
152
Article 132
Vingt membres de la Chambre des représentants au moins peuvent demander l’examen
d’une question d’intérêt public pour obtenir des éclaircissements sur la politique du
gouvernement sur ce point.
Article 133
Chaque membre de la Chambre des représentants peut proposer au Premier ministre, à l’un de
ses adjoints, à un des ministres ou de leurs adjoints, la discussion d’une question d’intérêt public.
Article 134
Chaque membre de la Chambre des représentants peut demander une réunion d’urgence
ou une déclaration au Premier ministre, à l’un de ses adjoints, à un des ministres ou de leurs
adjoints, sur des questions urgentes touchant à l’intérêt public.
Article 135
La Chambre des représentants peut confier à une commission spéciale qu’elle crée ou à
l’une de ses commissions une mission d’enquête sur une affaire publique ou sur les activités
d’un service administratif, d’un organisme public ou d’une entreprise publique, dans le
but d’éclaircir des faits concernant un problème particulier, d’informer la Chambre des
représentants de la situation financière, administrative ou économique actuelle, de mener
des enquêtes sur une activité passée ou toute autre fin ; la Chambre décide de la manière
appropriée pour mener cette action.
Afin de mener à bien sa mission, une telle commission a le droit de recueillir les éléments de
preuves qu’elle juge nécessaires et de convoquer des individus pour les auditionner. Toutes les
parties doivent répondre aux demandes de la commission et mettre à sa disposition tous les
documents, pièces, ou tout ce qui peut être demandé d’autre.
Dans tous les cas, chaque membre de la Chambre des représentants a le droit d’accéder
aux données ou informations ayant un rapport avec l’accomplissement de son travail
parlementaire détenues par l’autorité exécutive.
Article 136
Le Premier ministre, ses adjoints, les ministres et leurs adjoints peuvent assister aux
séances de la Chambre des représentants ou aux réunions de chacune de ses commissions.
Leur présence est obligatoire à la demande de la Chambre. Ils peuvent être assistés des
hauts fonctionnaires de leur choix.
Ils doivent être entendus chaque fois qu’ils le désirent. Ils doivent répondre aux questions portant
sur des sujets en cours de discussion, mais ne peuvent participer aux votes.
Article 137
Le président de la République ne peut dissoudre la Chambre des représentants que par un
décret motivé pris à la suite d’un référendum populaire. Une Chambre des représentants ne
peut être dissoute pour le même motif de dissolution que la précédente.
153
Le Président de la République doit prendre une ordonnance de suspension des réunions
de la Chambre et organiser un référendum sur la dissolution dans un délai maximal de
vingt jours. Si les participants au référendum approuvent cette dissolution, à la majorité
des suffrages exprimés, le Président de la République prend une ordonnance prononçant
la dissolution et appelle à des élections législatives anticipées dans les trente jours au plus
à compter de la date de l’ordonnance. La nouvelle Chambre se réunit dans les dix jours
suivant l’annonce des résultats finaux.
Article 138
Chaque citoyen a le droit de faire des propositions écrites portant sur des questions touchant
aux affaires publiques à la Chambre des représentants. Tout citoyen peut soumettre à la
Chambre des représentants des requêtes pour transmission aux ministres concernés. Si la
Chambre le demande, le ministre doit fournir des éclaircissements, et le citoyen qui a déposé
la requête est informé de la suite qui lui est donnée.
Section 2 : Du pouvoir exécutif
1 : Le Président de la République
Article 139
Le Président de la République est le chef de l’État et le chef du pouvoir exécutif. Il défend
les intérêts du peuple, préserve l’indépendance, l’intégrité territoriale et la sécurité de la
nation, se conforme aux dispositions de la Constitution, et exerce ses responsabilités de la
manière qui y est prescrite.
Article 140
Le Président de la République est élu pour une période de quatre années civiles à compter
du jour de la fin du mandat de son prédécesseur. Il ne peut être réélu qu’une seule fois.
Les procédures permettant l’élection du Président de la République débutent cent vingt
jours au moins avant la fin du mandat présidentiel. Leur résultat doit être annoncé au
moins trente jours avant la fin du mandat.
Le Président de la République ne peut exercer aucune fonction partisane durant sa
présidence.
Article 141
Un candidat à l’élection présidentielle doit être un Égyptien né de parents égyptiens,
et ni lui ni ses parents ni son conjoint ne doivent avoir eu d’autre citoyenneté. Il doit
jouir de ses droits civils et politiques, avoir effectué son service militaire ou en avoir été
exempté par la loi, et être âgé de quarante ans au moins au jour de l’enregistrement de sa
candidature. Les autres conditions sont déterminées par la loi.
Article 142
Pour que sa candidature à la présidence soit retenue, le candidat doit être recommandé
par au moins vingt membres de la Chambre des représentants, ou parrainé par au moins
154
vingt-cinq mille citoyens ayant le droit de vote, répartis dans quinze gouvernorats au
moins, avec un minimum de mille soutiens pour chaque gouvernorat.
Dans tous les cas, personne ne peut soutenir plus d’un candidat. La loi fixe ces dispositions.
Article 143
Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et secret, à la majorité
absolue des suffrages exprimés. Les modalités de l’élection du Président de la République
sont fixées par la loi.
Article 144
Le Président, avant son entrée en fonction, prête le serment suivant devant la Chambre
des représentants : « Je jure par Dieu Tout-Puissant de soutenir loyalement le système
républicain, de respecter la Constitution et la loi, de me consacrer entièrement aux
intérêts du peuple et de préserver l’indépendance et l’intégrité territoriale de la nation. »
En cas d’absence de la Chambre des représentants, le serment peut être prêté devant
l’Assemblée générale de la Haute cour constitutionnelle.
Article 145
Le salaire du Président de la République est fixé par la loi. Le Président ne peut recevoir
aucun autre salaire ou rémunération. Aucune modification de salaire ne peut entrer en vigueur
pendant la durée du mandat présidentiel au cours de laquelle elle a été adoptée. Le Président
ne peut exercer pendant toute la durée de son mandat, que ce soit en personne ou par un
intermédiaire, aucune profession indépendante, activité commerciale ou industrielle, et il ne
peut acheter ou louer un bien appartenant à l’État, à une personne morale de droit public ou
à une entreprise du secteur public, ni louer, vendre ou échanger avec l’État une partie de sa
propriété, ni conclure avec l’État un contrat en tant que vendeur, fournisseur, entrepreneur ou
autre, conformément à la loi. Tous ces actes sont considérés comme nuls et non avenus.
Le Président de la République doit présenter une déclaration de sa situation patrimoniale
à son entrée en fonctions, quand il les quitte, et à la fin de chaque année. Cette déclaration
est publiée au Journal officiel.
Pendant toute la durée de son mandat, le Président de la République ne peut pas se
décerner de médailles, de décorations ou de récompenses.
Si le Président a reçu, en raison de sa fonction, en personne ou par un intermédiaire, un
don en espèces ou en nature, la propriété de ce dernier est transférée au Trésor public.
Article 146
Le Président de la République nomme un Premier ministre chargé de former le gouvernement
et de présenter son programme à la Chambre des représentants. S’il n’obtient pas la confiance
de la majorité des membres de la Chambre des représentants dans un délai de trente jours au
plus, le président nomme un Premier ministre issu du parti ou de la coalition qui détient la
majorité des sièges à la Chambre des représentants. Si le gouvernement de ce dernier n’obtient
pas la confiance de la majorité des membres de la Chambre des représentants dans les trente
155
jours, la Chambre est réputée dissoute et le Président appelle à de nouvelles élections législatives
dans les soixante jours à compter de la date à laquelle la dissolution est annoncée.
Dans tous les cas, la somme des périodes prévues au présent article ne doit pas dépasser
soixante jours.
Dans le cas où la Chambre des représentants est dissoute, le Premier ministre présente
le gouvernement et son programme à la nouvelle Chambre des représentants lors de sa
première séance.
Dans le cas où le gouvernement est choisi dans le parti ou la coalition détenant la majorité
des sièges à la Chambre des représentants, le Président de la République peut, ayant
consulté le Premier ministre, nommer les ministres de la Défense, de l’Intérieur, des
Affaires étrangères et de la Justice.
Article 147
Le Président de la République peut dispenser le gouvernement de mener à bien ses tâches
s’il obtient l’approbation de la majorité de la Chambre des représentants.
Le Président de la République peut procéder à un remaniement ministériel après
consultation du Premier ministre et avec l’approbation de la Chambre des représentants,
à la majorité absolue des membres présents, représentant au moins un tiers des membres
de la Chambre.
Article 148
Le Président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs au Premier ministre, à ses
adjoints, aux ministres ou aux gouverneurs. Aucun d’entre eux ne peut effectuer de subdélégation.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 149
Le Président de la République peut convoquer le gouvernement pour débattre de
questions importantes, et préside les réunions auxquelles il participe.
Article 150
Le Président de la République, en collaboration avec le gouvernement, définit la politique
générale de l’État et veille à sa mise en œuvre conformément à la Constitution.
Le Président de la République peut faire une déclaration de politique générale de l’État devant
la Chambre des représentants à l’ouverture de sa session ordinaire annuelle.
Le Président peut faire d’autres déclarations ou envoyer des messages à la Chambre.
Article 151
Le Président de la République représente l’État sur la scène internationale, conclut les traités
et les ratifie après leur approbation par la Chambre des représentants. Ils ont force de loi après
leur publication, conformément aux dispositions de la Constitution.
En ce qui concerne les traités de paix et d’alliance et les traités touchant aux droits de
souveraineté, les électeurs doivent être convoqués pour un référendum et ces textes ne
peuvent être ratifiés avant l’annonce de leur approbation par ce référendum.
156
Dans tous les cas, aucun traité contraire aux dispositions de la Constitution ou qui
conduit à la concession de territoires de l’État ne peut être conclu.
Article 152
Le Président de la République est le Chef suprême des forces armées. Il ne peut déclarer
la guerre, ni envoyer des forces armées combattre à l’extérieur des frontières de l’État,
qu’après consultation du Conseil de la défense nationale et approbation de la Chambre des
représentants à la majorité des deux tiers de ses membres.
Si la Chambre de représentants est dissoute, le Conseil suprême des forces armées doit être
consulté et il faut l’obtenir l’aval du Gouvernement et du Conseil de la défense nationale.
Article 153
Le Président de la République nomme et révoque les fonctionnaires civils, les militaires
et les membres du corps diplomatique, et accrédite les représentants des États et des
institutions étrangères, conformément à la loi.
Article 154
Le Président de la République déclare, après consultation du Gouvernement, l’état
d’urgence, selon les procédures fixées par la loi. Cette déclaration doit être soumise pour
examen à la Chambre des représentants dans les sept jours.
Si la déclaration est faite alors que la Chambre des représentants n’est pas en session
ordinaire, une session extraordinaire est convoquée immédiatement pour qu’on la lui
soumette.
Dans tous les cas, l’état d’urgence doit être approuvé par la majorité des membres de la
Chambre des représentants. Il entre en vigueur pour une période déterminée n’excédant
pas trois mois, qui peut être prolongée d’une durée semblable après une approbation des
deux tiers des membres de la Chambre. Dans le cas où la Chambre des représentants est
dissoute, la question est soumise à la nouvelle Chambre lors de sa première séance.
La Chambre des représentants ne peut pas être dissoute lorsque l’état d’urgence est en
vigueur.
Article 155
Le Président de la République après consultation du Gouvernement dispose du droit de
grâce et de réduction des peines.
Une amnistie générale ne peut être accordée que par une loi approuvée par la majorité des
membres de la Chambre des représentants.
Article 156
Lorsque la Chambre des représentants n’est pas en session et qu’il est nécessaire de prendre
des mesures urgentes qui ne peuvent souffrir aucun retard, le Président de la République
convoque la Chambre en une session extraordinaire d’urgence pour en débattre. En
l’absence de la Chambre des représentants, le Président de la République peut prendre des
décrets ayant force de loi, sous réserve qu’ils soient présentés à la Chambre des représentants,
157
discutés et approuvés dans les quinze jours à compter de la date de sa prochaine séance.
Si ces décrets ne sont pas présentés à la Chambre et débattus, ou s’ils sont présentés mais
non approuvés, ils sont rétroactivement implicitement abrogés sans qu’il soit besoin d’une
décision explicite, à moins que la Chambre ne confirme leur légalité pour leur période
d’application ou choisisse d’en régler les conséquences juridiques de manière spécifique.
Article 157
Le Président de la République peut appeler les électeurs à un référendum portant sur les
questions relatives aux intérêts supérieurs du pays, sans préjudice des dispositions de la
Constitution.
Si le référendum porte sur plusieurs questions, on doit voter sur chacune d’entre elles.
Article 158
Le Président de la République peut présenter sa démission à la Chambre des représentants.
Si la Chambre est dissoute, il la soumet à l’Assemblée générale de la Haute cour
constitutionnelle.
Article 159
Une motion signée par au moins la majorité des membres de la Chambre des représentants
peut accuser le Président de la République d’avoir violé les dispositions de la Constitution,
de haute trahison ou de tout autre crime. L’acte d’accusation demande la majorité des deux
tiers des membres de la Chambre, après une enquête menée par le Procureur-général. En
cas d’obstacle, de dernier doit être remplacé par l’un de ses assistants.
Dès la mise en accusation, le Président de la République est suspendu de ses fonctions,
ce qui est considéré comme un empêchement provisoire mettant obstacle à leur exercice
jusqu’au verdict.
Le Président de la République est jugé devant un tribunal spécial présidé par le président
du Conseil supérieur de la magistrature, et ayant comme membres le vice-président de
la Haute cour constitutionnelle, le vice-président le plus ancien du Conseil d’État et les
deux plus anciens présidents de cours d’appel ; le Procureur-général assure les poursuites
devant ce tribunal. Si l’un de ces membres ne peut siéger, il est remplacé par le suivant par
ordre d’ancienneté. Les décisions de ce tribunal sont définitives et sans appel.
La loi organise les procédures d’enquête et celles suivies devant cette juridiction. Si le
Président de la République est condamné, il est relevé de ses fonctions, sans préjudice
d’autres sanctions.
Article 160
Si, en raison d’un empêchement temporaire, le Président de la République est incapable
d’exercer ses fonctions, le Premier ministre le remplace.
En cas de vacance de la présidence de la République pour cause de démission, de
décès, d’incapacité permanente, ou de toute autre raison, la Chambre des représentants
déclare la vacance du poste. Si la vacance survient à la suite d’une des autres raisons,
158
elle doit le faire à la majorité des deux tiers. La Chambre des représentants informe la
Commission électorale nationale, et le président de la Chambre des représentants assume
temporairement les fonctions du Président.
Dans les cas où la Chambre des représentants est dissoute, l’Assemblée générale de la Haute
cour constitutionnelle et son président remplacent la Chambre et son président.
Dans tous les cas, un nouveau Président doit être élu dans un délai n’excédant pas quatrevingt-dix jours à partir de la date de la vacance. Dans un tel cas, le mandat présidentiel
débute à la date à laquelle le résultat des élections est annoncé.
Le président par intérim n’est pas autorisé à se présenter à l’élection présidentielle, à
demander une révision de la Constitution, à dissoudre la Chambre des représentants ou
à démettre le gouvernement.
Article 161
La Chambre des représentants peut proposer de retirer la confiance au Président de la
République et d’organiser des élections présidentielles anticipées à la suite d’une demande
signée par au moins la majorité de ses membres et approuvée par les deux tiers. Une telle
demande ne peut être faite pour la même raison qu’une seule fois pendant la durée du
mandat présidentiel.
Une fois la proposition approuvée, la question du retrait de la confiance au Président de la
République et de la tenue d’élections présidentielles anticipées est soumise à referendum
par le Premier ministre. Si une majorité approuve le retrait de la confiance, le Président
de la République est relevé de ses fonctions, son poste est réputé vacant et des élections
présidentielles anticipées doivent avoir lieu dans les soixante jours à compter de la date de
l’annonce des résultats du référendum.
Si le référendum conduit au rejet de la proposition, la Chambre des représentants est
réputée dissoute, et le Président de la République appelle à élire une nouvelle Chambre
dans les trente jours à compter de la date de dissolution.
Article 162
Si la vacance de la présidence survient en même temps qu’un référendum ou des élections
à la Chambre des représentants, les élections présidentielles sont prioritaires. La Chambre
existante reste en fonctions jusqu’à la fin des élections présidentielles.
2 : Le Gouvernement
Article 163
Le Gouvernement est l’organe exécutif et administratif suprême de l’État, et se compose
du Premier ministre, de ses adjoints, des ministres et de leurs adjoints.
Le Premier ministre dirige le gouvernement, il supervise son travail et le guide dans
l’exercice de ses prérogatives.
159
Article 164
Le Premier ministre ministres doit être un citoyen égyptien né de parents égyptiens, ni lui
ni son conjoint ne pouvant avoir eu d’autre citoyenneté, il doit jouir de ses droits civils et
politiques, avoir effectué son service militaire ou en avoir été exempté par la loi et être âgé
d’au moins trente-cinq ans à la date de sa nomination.
Un membre du gouvernement doit être un citoyen égyptien, jouir de ses droits civils et
politiques, avoir effectué son service militaire ou en avoir été exempté par la loi et être âgé
de trente ans à la date de sa nomination.
La fonction gouvernementale n’est pas cumulable avec un mandat à la Chambre des
représentants. Si un membre de la Chambre est nommé au gouvernement, son siège à la
Chambre devient vacant à la date de cette nomination.
Article 165
Avant d’entrer en fonctions, le Premier Ministre et les membres du gouvernement prêtent
devant le Président de la République le serment suivant : « Je jure par Dieu Tout-Puissant
de soutenir loyalement le système républicain, de respecter la Constitution et la loi, de me
consacrer entièrement aux intérêts du peuple et de préserver l’indépendance et l’intégrité
territoriale et la sécurité de la nation. »
Article 166
La loi détermine le salaire du Premier ministre et des membres du gouvernement. Ils
ne peuvent recevoir aucun autre salaire ou rémunération, ni exercer pendant toute la
durée de leurs fonctions, que ce soit en personne ou par un intermédiaire, une profession
libérale ou des activités commerciales, financières ou industrielles. Ils ne sont pas autorisés
à acheter ou louer une propriété de l’État, d’une personne morale de droit public ou d’une
entreprise publique, ni à louer, vendre ou troquer leurs biens à l’État, ou à conclure avec
l’État un contrat en tant que vendeur, fournisseur, entrepreneur ou autre, conformément
à la loi. Tous ces actes sont considérés comme nuls et non avenus.
Le Premier Ministre et les membres du gouvernement doivent présenter une déclaration
patrimoniale à leur prise de fonctions, à leur sortie et à la fin de chaque année. Cette
déclaration est publiée au Journal officiel.
Si, en raison de leurs fonctions ou en rapport avec elles, l’un d’eux a reçu des dons
en espèces ou en nature, leur propriété est transférée au Trésor public. Les modalités
d’application de ce qui précède sont fixées par la loi.
Article 167
Le gouvernement est chargé en particulier des fonctions suivantes :
1. Collaborer avec le Président de la République pour élaborer la politique générale de
l’État et contrôler son exécution.
2. Assurer la sécurité de la nation et protéger les droits des citoyens et les intérêts de l’État.
160
3. Diriger, coordonner et suivre l’action des ministères, de leurs services et des organismes
publics qui en dépendent.
4. Préparer des projets de lois et de décrets.
5. Prendre des décisions administratives conformément à la loi, et contrôler leur mise en
oeuvre.
6. Préparer le projet de Plan général de l’État.
7. Préparer le projet de budget de l’État.
8. Contracter des emprunts et accorder des prêts, conformément aux dispositions de la
Constitution.
9. Exécuter les lois.
Article 168
Le ministre élabore la politique de son ministère, supervise sa mise en oeuvre et offre
conseils et analyse en coordination avec les instances compétentes et dans le cadre de la
politique publique de l’État.
Les postes de direction de chaque ministère comprennent un adjoint permanent, de
manière à permettre une stabilité institutionnelle et à augmenter le niveau d’efficacité
dans la mise en œuvre de sa politique.
Article 169
Tout membre du gouvernement peut faire, devant la Chambre des représentants ou une
de ses commissions, une déclaration sur une question de sa compétence.
La Chambre ou la commission peuvent débattre de cette déclaration et transmettre leur
avis à son sujet.
Article 170
Le Premier ministre prend les règlements nécessaires à l’application des lois de sorte qu’ils
ne contrarient, ne modifient, ni n’empêchent leur exécution, et a le droit de déléguer cette
compétence, sauf dans le cas où la loi précise l’autorité compétente pour son exécution.
Article 171
Le Premier ministre prend les règlements nécessaires à la création et à l’organisation des
administrations et des services publics avec l’accord du gouvernement.
Article 172
Le Premier Ministre prend les règlements relatifs au contrôle avec l’accord du
gouvernement.
Article 173
Le Premier ministre et les membres du gouvernement sont soumis aux règles générales
régissant les procédures d’enquête et de procès, dans le cas de crimes commis pendant
161
l’exercice de leurs fonctions ou à cause d’eux. Démissionner de leurs fonctions n’exclut
pas l’engagement ou la continuation des poursuites.
Dans le cas d’une accusation de haute trahison formulée contre un membre du
gouvernement, les dispositions de l’article 159 de la Constitution s’appliquent.
Article 174
Si le Premier ministre souhaite démissionner, il doit présenter sa lettre de démission au
Président de la République,
Si un ministre souhaite démissionner, elle doit l’être au Premier ministre.
3 : De l’administration locale
Article 175
L’État est divisé en unités administratives locales dotées de la personnalité juridique. Ce
sont les gouvernorats, les villes et les villages. D’autres unités administratives ayant la
personnalité juridique peuvent être créées si l’intérêt public l’exige.
Lors de l’établissement ou de la suppression de telles unités locales, ou de la modification
de leurs limites, les paramètres économiques et sociaux doivent être pris en compte. Les
modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 176
L’État assure un soutien à la décentralisation administrative, financière et économique. La
loi organise l’autonomie des unités administratives et créant, améliorant et favorisant la
bonne gestion des services publics, et définit un calendrier de transfert de compétences et de
budgets aux unités administratives locales.
Article 177
L’État garantit qu’il satisfera aux besoins des unités locales en termes d’assistance scientifique,
technique, administrative et financière, et assurera une répartition équitable des équipements,
des services et des ressources, travaillant à amener les niveaux de développement de ces unités
à une norme commune et à réaliser la justice sociale entre elles. Les modalités d’application du
présent article sont fixées par la loi.
Article 178
Les unités locales disposent de budgets financiers indépendants.
Les ressources des unités locales comprennent, en sus des dotations allouées par l’État,
les impôts et les taxes locaux, principaux ou additionnels. L’unité locale suit les mêmes
règles et procédures pour la collecte de ces fonds que celles suivies par l’État. Les modalités
d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 179
La loi réglemente les modalités de la nomination ou de l’élection des gouverneurs et des
162
dirigeants des autres unités administratives locales, et détermine leurs fonctions.
Article 180
Chaque unité locale élit un conseil au suffrage universel direct et secret pour un mandat de
quatre ans. Un candidat doit être âgé d’au moins vingt et un ans. La loi réglemente les autres
conditions de candidature et les procédures de l’élection, étant donné que le quart des sièges
sont attribués aux jeunes de moins de trente-cinq ans, un quart alloué aux femmes, que les
travailleurs et les agriculteurs sont représentés par au moins cinquante pour cent du nombre
total des sièges, et que ces pourcentages incluent une représentation appropriée des chrétiens
et des personnes handicapées.
Les conseils locaux sont responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre du plan de
développement, du suivi des différents aspects de leurs activités, de la surveillance du
pouvoir exécutif local, par exemple au travers de propositions, de questions, de demandes
d’information, d’interpellations et autres, ou par le retrait de leur confiance aux dirigeants
des unités locales, conformément à la loi.
La loi définit les fonctions des autres conseils locaux, leurs sources de financement, les
garanties dont bénéficient leurs membres comme celles de leur indépendance.
Article 181
Les résolutions des conseils locaux relevant de leurs compétences sont définitives. L’autorité
exécutive ne peut intervenir que pour éviter que le conseil dépasse ses compétences ou cause une
atteinte à un intérêt public ou à celui d’autres conseils locaux.
Les litiges portant sur les compétences des conseils locaux des villages, bourgs ou villes sont
jugés par le conseil local du gouvernorat. Dans le cas d’un litige portant sur la compétence
des conseils locaux des gouvernorats, l’Assemblée générale des sections de la Fatwa et de
la législation du Conseil d’État le jugent de toute urgence. Les modalités d’application du
présent article sont fixées par la loi.
Article 182
Chaque conseil local établit son budget et son compte de règlement, conformément à la
loi.
Article 183
Il est interdit de dissoudre les conseils locaux dans le cadre de procédures administratives
globales.
La loi réglemente leur dissolution et leur réélection.
Section 3 : Du pouvoir judiciaire
1 : Dispositions générales
Article 184
Le pouvoir judiciaire est indépendant. Il est exercé par des tribunaux de différents types
et degrés, qui prononcent des arrêts conformément à la loi. Leurs pouvoirs sont définis
par la loi. L’ingérence dans les affaires du pouvoir judiciaire ou dans les procédures est un
crime imprescriptible.
163
Article 185
Chaque organe ou corps judiciaire administre ses propres affaires. Chacun a son propre
budget indépendant, dont tous les éléments sont examinés par la Chambre des représentants.
Après approbation de chaque budget, leur total est inséré dans le budget de l’État. Les
organes ou corps judiciaires sont consultés sur les projets de lois régissant leurs affaires.
Article 186
Les juges sont indépendants et ne peuvent être destitués, ils n’obéissent qu’à la loi et sont
égaux en droits et en devoirs. La loi définit les conditions et modalités de leur nomination,
de leur détachement, de leur délégation et de leur retraite. Elle réglemente également leur
responsabilité disciplinaire.
Ils ne peuvent être entièrement ou partiellement détachés, sauf à des organismes et pour
des tâches prévus par la loi, étant entendu que tout ce qui précède a pour but de préserver
l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’impartialité des juges et de prévenir les conflits
d’intérêts. La loi précise les droits, devoirs et garanties accordées aux juges.
Article 187
Les audiences des tribunaux sont publiques, sauf si, pour des raisons d’ordre public ou
de bonnes mœurs, le tribunal décide de siéger à huis clos. Dans tous les cas, le verdict est
prononcé en séance publique.
2 : Pouvoir judiciaire et ministère public
Article 188
Le pouvoir judiciaire statue sur tous les différends et crimes à l’exception des questions sur
lesquelles un autre organe judiciaire est compétent. Le pouvoir judiciaire règle seul tous
les différends relatifs aux affaires de ses membres, et ses affaires sont gérées par un Conseil
supérieur dont la structure et le mandat sont organisés par la loi.
Article 189
Le ministère public fait partie intégrante de l’appareil judiciaire. Il est responsable
des enquêtes, de l’organisation des poursuites et du recueil des charges lors de tout
procès pénal, à l’exception des cas organisés par la loi de manière différente. Les autres
compétences du ministère public sont définies par la loi.
Le ministère public est dirigé par un Procureur-général nommé par décret présidentiel sur
proposition du Conseil supérieur de la magistrature et choisi parmi les vice-présidents de
la Cour de cassation, les présidents de cour d’appel ou les procureur-généraux adjoints.
Il est nommé pour quatre ans ou jusqu’à sa retraite, et dans le premier cas pour un seul
mandat au cours de sa carrière.
3 : Le Conseil d’État
Article 190
Le Conseil d’État est une juridiction indépendante, qui a compétence exclusive pour statuer
sur les litiges administratifs, les affaires disciplinaires et leurs appels, et les litiges concernant
164
ses décisions. Il est également seul compétent pour donner des avis sur les questions
juridiques au profit d’autorités définies par la loi, pour examiner et rédiger les projets de
lois et de décrets-lois, comme pour examiner les projets de contrats auxquels l’État ou toute
autre personne publique sont parties prenantes. La loi définit ses autres compétences.
Section 4 : La Haute Cour constitutionnelle
Article 191
La Haute Cour constitutionnelle, est un organe judiciaire indépendant. Elle siège
au Caire. Si nécessaire, elle peut siéger n’importe où ailleurs dans le pays, avec l’accord
de son Assemblée générale. Elle a un budget indépendant, débattu par la Chambre des
représentants. Après approbation, son montant total est inclus dans le budget de l’État.
L’Assemblée générale est chargée d’administrer les affaires de la Cour et est consultée sur
les projets de lois relatifs aux affaires de la Cour.
Article 192
La Haute Cour constitutionnelle a compétence exclusive pour statuer sur la
constitutionnalité des lois et règlements, pour interpréter les textes législatifs, pour statuer
sur les différends relatifs aux affaires de ses membres, sur les conflits de compétences
entre les corps judiciaires et les entités qui se sont vu attribuer une compétence judiciaire,
sur les litiges relatifs à la mise en œuvre de décisions contradictoires lorsque l’une vient
d’une autorité judiciaire ou d’une entité s’étant vue attribuer une compétence judiciaire
et l’autre d’un autre organe, et sur les litiges relatifs à la mise en œuvre de ses verdicts et
décisions.
La loi définit les autres compétences de la Cour et réglemente les procédures suivies
devant elle.
Article 193
La Cour est composée d’un président et d’un nombre suffisant de vice-présidents.
Le Conseil des commissaires de la Haute cour constitutionnelle est composé d’un président
et d’un nombre suffisant de vice-présidents, de conseillers et de conseillers adjoints.
L’Assemblée générale de la Cour choisit le président de la Cour parmi les trois plus anciens
vice-présidents de la Cour. Elle choisit également les vice-présidents et les membres
du Conseil des commissaires, nommés par décret du Président de la République. Les
modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 194
Le président et les vice-présidents de la Haute cour constitutionnelle, le président et
les membres du Conseil des commissaires sont indépendants, ne peuvent être démis de
leurs fonctions et n’obéissent qu’à la loi. La loi fixe les conditions auxquelles ils doivent
répondre. La Cour est responsable de leurs obligations disciplinaires, conformément à la
loi. Tous les droits, devoirs et garanties prévus pour les autres membres de la magistrature
leur sont applicables.
165
Article 195
Le Journal officiel publie les jugements et décisions rendus par la Haute cour
constitutionnelle. Ils s’imposent à tous et à toutes les autorités de l’État et ont pour eux
une autorité absolue.
La loi réglemente les conséquences des effets d’une décision sanctionnant
l’inconstitutionnalité d’un texte législatif.
Section 5 : Les organes judiciaires
Article 196
Le Conseil des affaires d’État est un organe judiciaire indépendant. Il représente
juridiquement l’État dans les procès et litiges où l’État est partie. Il peut proposer un
règlement à l’amiable à tout stade du litige, conformément à la loi. Il est aussi chargé du
contrôle technique des départements des affaires juridiques de l’appareil administratif de
l’État. Il rédige les projets de contrats qui lui sont déférés par les autorités administratives
et auxquels l’État est partie. Les modalités d’application de ce qui précède sont fixées par
la loi.
La loi définit ses autres compétences. Ses membres jouissent des garanties, droits et devoirs
prévus pour les autres membres de la magistrature. La loi réglemente leur responsabilité
disciplinaire.
Article 197
Le Parquet administratif est un organe judiciaire indépendant. Il mène des enquêtes
concernant les infractions financières et administratives, et celles qui lui sont soumises.
En ce qui concerne ces irrégularités, il a les pouvoirs dévolus à l’autorité administrative
d’infliger des sanctions disciplinaires. Ses décisions peuvent être contestées devant
le tribunal administratif compétent. Il intente et mène des procédures et des recours
disciplinaires devant les juridictions administratives, conformément à la loi. Les modalités
d’application de ce qui précède sont fixées par la loi.
La loi définit ses autres compétences.
Ses membres jouissent des garanties, droits et devoirs prévus pour les membres de la
magistrature. La loi réglemente leur responsabilité disciplinaire
Section 6 : Le barreau
Article 198
L’avocat exerce une profession libérale. Il participe avec le pouvoir judiciaire à la réalisation
de la justice et de l’État de droit, et garantit les droits de la défense. Cette fonction est
pratiquée en toute indépendance par les avocats du secteur privé comme par ceux du
secteur public et des organismes et entreprises publiques. Lorsqu’ils exercent les droits
de la défense devant les tribunaux, les avocats bénéficient des garanties et protections qui
leur sont accordées par la loi, et qui s’appliquent encore à eux devant des enquêteurs et
166
des juges. Sauf en cas de flagrant délit, l’arrestation ou la détention des avocats alors qu’ils
exercent leur droit de défense est interdit. Les modalités d’application du présent article
sont fixées par la loi.
Section 7 : Les experts judiciaires
Article 199
Les experts judiciaires, les experts médico-légaux et les notaires exécutent leur travail de
manière indépendante. La loi leur assure les garanties et la protection nécessaires pour
accomplir leur travail.
Section 8 : Des Forces armées et de la police
1 : Des Forces Armées
Article 200
Les Forces armées appartiennent au peuple. Leur devoir est de protéger le pays et de
préserver sa sécurité et son intégrité territoriale.
L’État seul a le pouvoir de créer des Forces armées. Aucune personne, entité, organisation
ou groupe n’a le droit de créer des formations, des groupes ou des organisations militaires
ou paramilitaires.
Les forces armées ont un Conseil suprême organisé conformément à la loi.
Article 201
Le ministre de la Défense est le Commandant en chef des Forces armées, et il est désigné
parmi leurs officiers.
Article 202
La loi régit la mobilisation générale, détermine les conditions de service, de promotion,
et de retraite dans les Forces armées.
Les commissions judiciaires des officiers et des membres des Forces armées sont seules
compétentes pour statuer sur tous les litiges administratifs relatifs aux décisions qui les
concernent. La loi organise les règles et les procédures permettant de faire appel des
décisions de ces commissions.
2 : Le Conseil de la Défense nationale
Article 203
Un Conseil de la Défense nationale est créé, présidé par le Président de la République,
et comprenant le Premier ministre, le président de la Chambre des représentants, les
ministres de la Défense, des Affaires étrangères, des Finances, de l’Intérieur, le chef des
services de renseignement, le chef d’état‐major des Forces armées, les commandants des
forces navales, aériennes, de la défense aérienne, le chef d’état‐major opérationnel, et le
directeur du renseignement militaire.
167
Ce Conseil est compétent pour débattre des moyens permettant d’assurer la sécurité et
la sûreté du pays et du budget des forces armées, dont le montant total est incorporé au
budget de l’État. Il doit donner son avis sur les projets de loi concernant les Forces armées.
Ses autres compétences sont définies par la loi.
Lors de l’examen du budget, le chef de la direction des affaires financières des Forces armées
et les présidents de la commission de planification et du budget et de celle de la sécurité
nationale à la Chambre des représentants doivent être présents.
Le Président de la République peut inviter toutes personnes ayant l’expertise nécessaire à
assister aux réunions du Conseil, sans qu’elles puissent y participer aux votes.
3 : La justice militaire
Article 204
La justice militaire est une justice indépendante, qui statue de manière exclusive pour
tous les crimes concernant les forces armées, leurs officiers, leurs membres et ceux qui
ont des statuts identiques, et pour les crimes commis par les membres des services de
renseignement pendant leurs missions ou à cause d’elles.
Les civils ne peuvent pas être jugés devant des tribunaux militaires si ce n’est pour des
crimes qui sont des attaques directes commises contre les installations des forces armées,
les casernements militaires, ou tout ce qui relève des autorités militaires ; contre des zones
militaires ou frontalières indiquées comme telles ; contre les équipements des forces
armées, leurs véhicules, armes, munitions, documents, contre les secrets militaires, les
fonds publics militaires ou les usines militaires ; pour des crimes liés à la conscription ;
pour des crimes qui sont des attaques directes commises contre les officiers des forces
armées ou leurs membres en raison de l’exercice de leurs fonctions.
La loi définit ces crimes et détermine les autres compétences de la justice militaire.
Les membres de la justice militaire sont indépendants et ne peuvent être destitués. Ils
jouissent des garanties, droits et devoirs prévus pour les membres des autres magistratures.
4 : Le Conseil national de sécurité
Article 205
Un Conseil national de sécurité est créé. Il est présidé par le Président de la République,
et composé du Premier ministre, du président de La Chambre des représentants, des
ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, des Finances, de la Justice
et de la Santé, du chef des services de renseignements, des présidents des commissions de
la Défense et de la Sécurité nationale à la Chambre des représentants.
Ce Conseil adopte les stratégies visant à assurer la sécurité du pays, à faire face aux crises
et désastres de tous types, à prendre les mesures nécessaires pour en limiter les effets, à
identifier les sources de menaces pour la sécurité nationale égyptienne, à l’intérieur des
frontières comme à l’extérieur, et à engager les mesures nécessaires pour y faire face aux
niveaux officiel et populaire.
168
Le Conseil peut inviter des personnes ayant l’expertise nécessaire à assister à ses réunions,
sans qu’elles ne puissent y participer aux votes.
Ses autres compétences et modalités d’organisation sont définies par la loi.
5 : De la police
Article 206
Les forces de police sont un corps civil légal au service du peuple. Ce corps doit fidélité au peuple.
Il assure la sécurité et la sûreté des citoyens et préserve l’ordre public et les bonnes mœurs. Il est
engagé à assumer les devoirs qui lui sont imposés par la Constitution et la loi et à respecter les
droits de l’homme et les libertés fondamentales. L’État garantit que les membres des forces de
police accomplissent leurs devoirs. La loi réglemente les garanties nécessaires pour cela.
Article 207
Le Conseil suprême de la police est composé des plus hauts gradés des forces de police
et du président de la section de conseil juridique du Conseil d’État. Le Conseil assiste
le ministre de l’Intérieur dans l’organisation de la police et la gestion des affaires de ses
membres. Ses autres compétences sont définies par la loi. Il doit être consulté pour toute
loi le concernant.
Section 9 : La Commission électorale nationale.
Article 208
La Commission électorale nationale est seule compétente pour l’organisation des
référendums et des élections présidentielles, parlementaires et locales, ce qui comprend
la préparation et la mise à jour des listes électorales, la proposition de délimitation
des circonscriptions, la détermination de règles et leur contrôle en ce qui concerne les
campagnes électorales, leur financement, la publication des comptes de campagne et
l’organisation des procédures de vote à l’étranger pour les Égyptiens expatriés, le tout
jusqu’à l’annonce des résultats.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par la loi.
Article 209
La Commission électorale nationale est dirigée par un bureau composé de dix membres nommés
à parts égales parmi les vice-présidents de la Cour de cassation, les présidents des Cours d’appel,
les vice-présidents du Conseil État, du Conseil juridique de l’État et du Parquet administratif. Ils
sont choisis par le Conseil supérieur de la magistrature et les conseils spéciaux de ces différentes
instances selon le cas, toujours hors de leurs membres. Ils sont nommés par décret du Président de
la République. Ils sont nommés, à cette seule fonction de manière exclusive, pour un seul mandat
de six ans. La présidence du bureau est confiée au membre le plus ancien de la Cour de cassation.
Les membres du bureau sont renouvelés par moitié tous les trois ans.
La Commission peut recourir à des personnalités publiques, des spécialistes et des experts
dans le domaine électoral. Ils n’y ont pas le droit de vote.
169
La Commission dispose d’un organe exécutif permanent. La loi définit sa composition,
son fonctionnement et les garanties, droits et devoirs de ses membres, afin de parvenir à
leur neutralité, leur indépendance et leur intégrité.
Article 210
Le contrôle du déroulement du scrutin et du dépouillement des voix lors des référendums
et des élections organisés par la Commission est effectué par ses membres, sous la
supervision de son bureau. Il peut faire appel aux membres des organes judiciaires.
Lors des élections et des référendums organisés dans les dix années suivant la promulgation
de la présente Constitution, le contrôle du scrutin et du dépouillement des votes
appartiendra aux membres des organes judiciaires, conformément à la loi.
La Haute cour administrative est compétente pour statuer sur les recours dirigés contre
les décisions de la Commission relatives aux référendums, aux élections présidentielles
et législatives, et à leurs résultats. Les recours portant sur les élections locales sont portés
devant les tribunaux administratifs. La loi détermine les dates limites pour faire appel de ces
décisions, étant donné que ces appels doivent donner lieu à un jugement définitif dans les
dix jours qui suivent leur dépôt.
Section 10 : De l’organisation des médias
Article 211
Le Conseil national des médias est un organisme indépendant ayant la personnalité juridique,
une indépendance technique, financière et administrative et un budget propre.
Le Conseil est chargé, entre autres, de réglementer les domaines de médias audiovisuels et
de la presse écrite et numérique.
Le Conseil est chargé de garantir et de protéger la liberté de la presse et des médias
prévue par la Constitution ; de sauvegarder l’indépendance, la neutralité, le pluralisme
et la diversité et de prévenir les pratiques monopolistiques ; du contrôle de la légalité
des sources de financement des institutions de la presse et des médias ; et d’élaborer les
règlements et procédures de contrôle nécessaires pour s’assurer de ce que la presse et les
médias agissent avec professionnalisme et éthique et respectent les exigences de la sécurité
nationale, comme le veut la loi.
La loi détermine la composition du Conseil et son fonctionnement, et précise les
conditions d’emploi de ses membres.
Le Conseil doit être consulté sur les projets de lois et de règlements relatifs à son domaine
d’activité.
Article 212
L’Association nationale de la presse et des médias est un organisme indépendant. Elle
veille sur la gestion de la presse et des institutions médiatiques appartenant à l’État et
s’engage à les développer et à développer leurs actifs, assure leur développement, leur
indépendance, leur neutralité et le respect de normes professionnelles, administratives et
économiques raisonnables.
170
La loi détermine la composition de l’Association, son fonctionnement et les conditions
d’emploi de ses membres,
L’Association doit être consultée sur les projets de lois et de règlements relatifs à son
domaine d’activité.
Article 213
L’Association nationale de la presse et des médias est un organisme indépendant. Elle veille
sur la gestion des télévisions, radios et médias numériques appartenant à l’État et s’engage à
les développer et à développer leurs actifs, assure leur développement, leur indépendance, leur
neutralité et le respect de normes professionnelles, administratives et économiques raisonnables.
La loi détermine la composition de l’Association, son fonctionnement et les conditions
d’emploi de ses membres,
L’Association doit être consultée sur les projets de lois et de règlements relatifs à son domaine
d’activité.
Section 11 : Des
régulation.
conseils nationaux, organismes indépendants et autorités de
1 : Des conseils nationaux.
Article 214
La loi définit les conseils nationaux indépendants, dont font partie le Conseil national des
droits de l’homme, le Conseil national des femmes, le Conseil national pour l’enfance et la
maternité et le Conseil national pour les personnes handicapées.
La loi définit les structures de chacun d’eux, les mandats et les garanties d’indépendance
et de neutralité de leurs membres. Ils ont le droit d’informer les autorités publiques de
toutes les infractions constatées dans leurs domaines d’activité.
Ces conseils ont la personnalité juridique et jouissent d’une indépendance technique,
financière et administrative. Ils doivent être consultés sur les projets de lois et de règlements
relatifs à leurs domaines d’activité.
2 : Des organismes indépendants et des autorités de régulation
Article 215
Des organismes indépendants et des autorités de régulation sont créés par la loi. Ces
organismes et autorités ont la personnalité juridique, une autonomie technique,
administrative et financière, et sont consultés sur les projets de lois et de règlements qui
concernent leurs domaines d’activité. Ces organes et autorités comprennent la Banque
centrale, l’Autorité égyptienne de surveillance financière, l’Autorité centrale de contrôle
et l’Autorité du contrôle administratif.
Article 216
Lors de la création de chaque organisme indépendant ou autorité de régulation, une loi
doit être prise pour définir ses compétences, organiser ses travaux, et prévoir les garanties
171
de son indépendance, la protection nécessaire à ses membres et les autres conditions, de
manière à assurer leur neutralité et leur indépendance.
Le Président de la République nomme les directeurs des organismes indépendants et des
autorités de régulation, après approbation de la Chambre des représentants à la majorité
de ses membres, pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois. Ils ne peuvent être
destitués que dans les cas prévus par la loi. Les incompatibilités concernant les ministres
leur sont applicables.
Article 217
Les organismes indépendants et les autorités de régulation présentent des rapports annuels
au Président de la République, à la Chambre des représentants et au Premier ministre dès
qu’ils sont adoptés.
La Chambre des représentants les examine et prend les mesures appropriées dans un
délai ne dépassant pas quatre mois à compter de leur date de réception. Les rapports sont
rendus publics.
Les organismes indépendants et les autorités de régulation informent les autorités
chargées des enquêtes concernées des preuves relatives aux infractions et aux crimes qu’ils
ont recueillis. À la suite de ces rapports, ils doivent prendre les mesures nécessaires dans
un délai déterminé. Les modalités d’application de ce qui précède sont fixées par la loi.
Article 218
L’État s’engage à lutter contre la corruption, et la loi précise les organismes et autorités de
contrôle indépendants et les organismes de réglementation compétents.
Les organismes et autorités de contrôle compétents s’engagent a se coordonner entre
eux dans la lutte contre la corruption et pour la promotion des valeurs d’intégrité et de
transparence, afin d’assurer le bon fonctionnement de la fonction publique, de préserver
les fonds publics, et de développer et suivre la mise en œuvre de la stratégie nationale de
lutte contre la corruption, en partenariat avec d’autres organismes et autorités concernés,
conformément à la loi.
Article 219
L’Organisation centrale de contrôle est chargée de surveiller les fonds de l’État, des
personnes morales de droit public et d’autres organismes prévus par la loi ; de surveiller
la mise en œuvre du budget de l’État et des budgets indépendants ; et d’en examiner les
comptes de règlement.
Article 220
La Banque centrale est chargée d’élaborer et superviser la mise en oeuvre de la politique
monétaire, du crédit et des services bancaires, et de surveiller le système bancaire. Elle est
seule habilitée à émettre la monnaie. Elle maintient la sécurité du système monétaire et
bancaire et la stabilité des prix dans le cadre de la politique économique générale de l’État,
conformément à la loi.
172
Article 221
L’Autorité égyptienne de surveillance financière est responsable de la surveillance et de la
supervision des marchés et des instruments financiers non-bancaires, y compris les marchés de
capitaux, les marchés à terme, les activités d’assurance, le financement immobilier, le créditbail, l’affacturage et la titrisation, conformément à la loi.
Chapitre VI : Dispositions générales et transitoires
Section 1 : Dispositions générales
Article 222
Le Caire est la capitale de la République arabe d’Égypte.
Article 223
Le drapeau national de la République arabe d’Égypte est composé des trois couleurs
noir, blanc, et rouge, avec l’aigle de Saladin en jaune dorée. La loi fixe l’emblème, les
décorations, l’insigne, le sceau et l’hymne national.
La profanation du drapeau égyptien est un crime puni par la loi.
Article 224
Toutes les dispositions des lois et règlements antérieurs à la proclamation de cette
Constitution demeurent légales et en vigueur. Elles ne peuvent être modifiées ou abrogées
que selon les règles et procédures prévues par la Constitution.
L’État s’engage à promulguer des lois mettant en œuvre les dispositions de la présente
Constitution.
Article 225
Les lois sont publiées au Journal officiel dans les quinze jours qui suivent la date de leur
promulgation, et entrent en vigueur trente jours après leur date de publication, à moins
qu’elles ne prévoient une date différente.
Les lois ne sont pas rétroactives. Cependant, des dispositions contraires peuvent être
prévues, sauf en matières pénale et fiscale, avec l’approbation de la majorité des deux tiers
des membres de la Chambre des représentants.
Article 226
Le Président de la République ou un cinquième au moins des membres de la Chambre
des représentants ont le droit de demander la révision d’un plusieurs articles de la
Constitution. La demande précise les articles concernés par la révision et les raisons de
cette dernière.
Dans tous les cas, la Chambre des représentants débat de la demande de révision dans les
trente jours à compter de sa date de réception,
La Chambre doit accepter la demande, en tout ou partie, à la majorité de ses membres.
Si la demande est rejetée, une révision identique ne peut être demandée avant la prochaine
législature.
173
Si la demande de modification est approuvée par la Chambre, cette dernière débat du
texte des articles à modifier dans les soixante jours à compter de cette approbation. Si
la révision est ensuite approuvée par les deux tiers des membres de la Chambre, elle
est soumise à la population lors d’un référendum dans les trente jours à compter de la
date de cette seconde approbation. La révision est effective à la date à laquelle le résultat
du référendum, faisant état de l’approbation de la révision à la majorité des suffrages
exprimés, est proclamé.
Dans tous les cas, les dispositions portant sur la réélection du Président de la République
ainsi que sur les principes de liberté et d’égalité prévues dans cette Constitution ne
peuvent faire l’objet d’une révision, sauf pour leur apporter plus de garanties.
Article 227
La Constitution et son Préambule forment un tissu indivisible. Leurs dispositions
constituent un ensemble cohérent.
Section 2 : Dispositions transitoires
Article 228
Le Haut conseil électoral et la Commission des élections présidentielles existant au
moment où cette Constitution entrera en vigueur procéderont à la surveillance complète
des premières élections présidentielles et législatives qui suivront. Les fonds des deux
organes seront reversés à la Commission nationale électorale dès qu’elle sera créée.
Article 229
L’élection législative qui suivra l’entrée en vigueur de la présente Constitution se déroulera
conformément aux dispositions de son article 102.
Article 230
Les modalités des élections présidentielles et législatives se feront de la manière prévue par
la loi, sous réserve qu’elles aient lieu trente jours au moins et quatre-vingt-dix jours au
plus après l’entrée en vigueur de la présente Constitution.
Dans les autres cas, les prochaines procédures électorales devront être mises en oeuvre
dans un délai inférieur à six mois à compter de la date d’entrée en vigueur de cette
Constitution.
Article 231
Le mandat présidentiel suivant l’adoption de la présente Constitution débutera à la date
de proclamation du résultat final des élections.
Article 232
Le Président de la République par intérim continue d’exercer les pouvoirs présidentiels prévus
dans la Constitution jusqu’à la prestation de serment du Président élu.
174
Article 233
Si, en raison d’un empêchement temporaire, le Président de la République par intérim est dans
l’impossibilité de remplir ses fonctions, le Premier ministre le remplace.
Si la fonction de Président par intérim devient vacante, pour cause de démission de décès,
d’incapacité permanente ou toute autre raison, le plus ancien vice-président de la Haute
cour constitutionnelle le remplace.
Article 234
Le ministre de la Défense est nommé avec l’approbation du Conseil suprême des forces
armées. Les dispositions du présent article continueront de s’appliquer pendant deux
mandats présidentiels complets à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente
Constitution.
Article 235
Durant sa première législature après l’entrée en vigueur de la présente Constitution, la Chambre
des représentants devra prendre une loi pour organiser la construction et la rénovation des
églises, garantissant aux Chrétiens la liberté de pratiquer leurs cultes.
Article 236
L’État doit élaborer et mettre en œuvre un plan de développement global économique et
urbain des zones frontalières et des régions défavorisées, y compris la Haute-Égypte, le
Sinaï, Matrouh et la Nubie. Cela doit être réalisé grâce à la participation des habitants de
ces territoires à ces projets de développement dont ils sont les bénéficiaires prioritaires, en
tenant compte des modèles culturels et environnementaux des communautés locales, dans
les dix années suivant l’entrée en vigueur de la présente Constitution, conformément à la loi.
L’État travaille à développer et implanter des projets pour ramener les habitants de la
Nubie dans leurs territoires d’origine et favoriser leur développement dans les dix années,
conformément à la loi.
Article 237
L’État s’engage à lutter contre tous les types et formes de terrorisme et à traquer ses sources
de financement dans un délai précis, au vu de la menace qu’il représente pour la nation et
ses citoyens, en respectant les droits et libertés publiques.
La loi organise les dispositions et les procédures de la lutte contre le terrorisme, et prévoit une
juste compensation pour les dommages qui en résultent ou sont subis à cause de lui.
Article 238
L’État doit mettre en œuvre progressivement son engagement à allouer aux pouvoirs
publics les taux minimums de dépenses en matière d’éducation, d’enseignement supérieur,
de recherche scientifique et de santé prévus par la Constitution à sa date d’entrée en
vigueur. Ces taux devront être atteints dans le budget de l’année fiscale 2016/2017.
L’État s’engage à offrir de manière graduelle un enseignement obligatoire jusqu’à la fin du
cycle de l’enseignement secondaire, pour arriver à sa réalisation complète lors de l’année
scolaire 2016/2017.
175
Article 239
La Chambre des représentants vote une loi organisant les règles de détachement des juges et
des membres des organes et autorités judiciaires, pour parvenir à annuler les détachements
totaux ou partiels à des organes non judiciaires, des comités ayant compétence judiciaire,
s’occupant de la gestion des affaires de la justice ou supervisant les élections, dans un délai
ne dépassant pas cinq années après la date d’entrée en vigueur de la présente Constitution.
Article 240
L’État fournira les moyens financiers et humains permettant d’interjeter appel des
décisions rendues par les juridictions pénales dans les dix années à compter de l’entrée en
vigueur de la présente Constitution.
Article 241
Dans sa première session après l’entrée en vigueur de la présente Constitution, la Chambre
des représentants doit voter une loi de justice et de transition qui veillera à révéler la vérité, les
responsabilités, et à proposer des cadres pour la réconciliation nationale et l’indemnisation
des victimes, conformément aux normes internationales
Article 242
Le système d’administration locale existant reste en fonction jusqu’à ce que le système
prévu par la Constitution soit progressivement mis en œuvre, dans les cinq ans qui suivent
la date de l’entrée en vigueur de cette dernière, et sans préjudice de son article 180.
Article 243
L’État garantit aux travailleurs et aux agriculteurs une représentation adéquate dans la
première Chambre des représentants qui sera élue après l’adoption de cette Constitution,
d’une manière spécifiée par la loi.
Article 244
L’État garantit aux jeunes, aux Chrétiens, aux personnes handicapées et aux Égyptiens
expatriés une représentation adéquate dans la première Chambre des représentants qui
sera élue après l’adoption de cette Constitution, d’une manière spécifiée par la loi.
Article 245
Les membres du Conseil consultatif encore en exercice à la date d’adoption de la présente
Constitution sont intégrés dans la Chambre des représentants en conservant les places
hiérarchiques et l’ancienneté qu’ils avaient à cette date. Leurs salaires, indemnités,
rémunérations, et le reste de leurs droits financiers accordés à titre personnel leur
sont conservés. Tous les fonds du Conseil consultatif sont reversés à la Chambre des
représentants.
Article 246
Les Déclarations constitutionnelles des 5 juillet et 8 juillet 2013, et tout texte
constitutionnel ou disposition mentionnés dans la Constitution de 2012 mais non repris
176
dans la présente loi constitutionnelle sont abrogés à compter de la date à laquelle cette
dernière entrera en vigueur. Cependant, les effets qui en découlaient resteront en vigueur.
Article 247
Cette Constitution entrera en vigueur à la date de la proclamation de son approbation par
la majorité des suffrages exprimés au référendum.
177
LES AUTEURS
Christophe Boutin
Professeur agrégé de droit public, CRHQ, Université de Caen
Basse-Normandie. Directeur des programmes de l’Observatoire d’études
géopolitiques. Auteur de Politique et tradition, 1992 ; Quinquennat ou
septennat (avec F. Rouvillois), Flammarion, 2000 ; Le coup d’État, recours à
la force ou dernier mot du politique ?, direction avec F. Rouvillois, 2007 ; Les
grands discours du XXe siècle, Flammarion, 2009.
Jean-Yves de Cara Professeur agrégé de droit international à l’Université de Paris
Descartes, Pres Sorbonne Paris Cité, dirige l’axe « géopolitique du monde
arabe » du Centre Maurice Hauriou pour l’étude du droit public de la
faculté de droit Paris Descartes, juge ad-hoc à la Cour internationale de
Justice, avocat. Ancien directeur exécutif de l’université Paris Sorbonne
Abou Dhabi. Membre du comité scientifique de l’Observatoire d’études
géopolitiques.
Thierry Rambaud Professeur agrégé de droit public à l’Université Paris Descartes
(Sorbonne Paris Cité) et à Sciences po (Paris). Conseiller expert au Conseil
de l’Europe. Directeur des études de l’Observatoire d’études géopolitiques.
Fondateur et directeur de la revue Société, droit et religion, publiée aux
éditions du CNRS. Récentes publications : La finance islamique et la crise
de l’économie contemporaine, dir. avec Charles Saint-Prot, Paris, OEGKarthala, col. Études géopolitiques, 2012 ; Introduction au droit comparé.
Les grandes traditions juridiques dans le monde, Paris, PUF-collection
quadrige, 2014.
Frédéric Rouvillois
Professeur agrégé de droit public à l’Université Paris-Descartes, Pres
Sorbonne Paris Cité, membre du Centre Maurice Hauriou et Directeur
des études de l’Observatoire d’études géopolitiques. Parmi ses récentes
publications : Libertés fondamentales, Flammarion-Champ université,
2012 ; La privatisation de l’État, codirigé avec Michel Degoffe, CNRS
éditions, 2012 ; L’exception marocaine, dir. avec Charles Saint-Prot, Paris,
Ellipses, 2013.
181
Charles Saint-Prot
Directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques de Paris.
Universitaire, islamologue et politologue. Responsable des études islamiques
de la Faculté de droit de l’Université Paris-Descartes (Sorbonne Paris Cité).
Récentes publications : La Tradition islamique de la réforme, Paris, CNRS
éditions, 2010, traduit en espagnol, Barcelone, et en arabe, Le Caire,
2013 ; L’Islam et l’effort d’adaptation au monde contemporain, l’impératif
de l’ijtihâd, Paris, CNRS éditions, 2011 ; Mohammed V ou la monarchie
populaire, Monaco, Le Rocher, 2011 ; La constitution marocaine de 2011,
dir. avec Ahmed Bouachik et Michel Degoffe, Rabat, Remald, 2012 ; Le
mouvement national arabe. Émergence et maturation du nationalisme arabe
de la Nahda au Baas, Paris, Ellipses, 2013.
Zeina el Tibi
Présidente déléguée de l’Observatoire d’études géopolitiques.
Chercheur et essayiste, spécialiste des questions relatives au dialogue
des civilisations et des sociétés méditerranéenne.. Membre du think tank
du Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe et d’Euro-Med Women
Network. Récentes publications : Quelle union pour quelle Méditerranée ?,
dir. avec Charles Saint-Prot, OEG-Karthala, 2008 : L’Islam et la femme,
Paris, Desclée de Brouwer, 2013.
182
Table des matières
Avant-propos9
L’évolution constitutionnelle de l’Egypte de 1805 au référendum de 2014
11
Charles Saint-Prot
Les grandes lignes institutionnelles
31
Jean-Yves de Cara
Identité et souveraineté dans la Constitution égyptienne de 2014
51
Christophe Boutin
Les libertés fondamentales
77
Frédéric Rouvillois
Les droits de la femme
99
Zeina el Tibi
Le pouvoir judiciaire dans la Constitution de 2014
109
Thierry Rambaud
Texte soumis au référendum des 14/15 janvier 2014 (texte adapté par Christophe Boutin)
125
ISBN : 978-2-8111-1095-6 – Dépôt légal janvier 2014
Imprimerie Nouvelle - 76190 Yvetot - 2014