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Fêtes artisanales en Kabylie
Acte culturel de sauvegarde du
patrimoine
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Parures de bijoux des Ath Yanni
C'est de cette région que partit la tribu
des Kotama pour renverser la dynastie
aghlabide de Kairouan et dominer ensuite
tout le Maghreb avant de s'emparer de
l'Egypte et d'y fonder Le Caire en 969.
Au 19e siècle, la prise de la Kabylie par les
français en 1857 eut des conséquences
désastreuses sur le plan économique, et
provoqua une déstabilisation de l'organisation sociopolitique, d'où les diverses insurrections fortement réprimées en 1864 et en
1865. La plus rude fut celle de 1871, menée
par El Mokrani, Fadhma N'soumeur, Bou
Beghla.
Après ces événements, débuta l'exil à
l'échelle interne et externe. La grande
majorité des 5000 travailleurs algériens
émigrés en France en 1912 venaient de
Kabylie.
Le centre ancien de Tizi Ouzou est assez
réduit le long de l'artère principale même
si aujourd'hui la ville s'étend de toutes
parts vers ce qui est appelée la nouvelle
ville où cités et habitations individuelles
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Habitée depuis la plus
haute antiquité, la Kabylie
recèle des vestiges de
toutes les civilisations.
L'occupation romaine s'est
vue opposer une
résistance farouche
cristallisée autour de deux
figures historiques :
Tacfarinas et Firmus.
Le premier a malmené les
légionnaires d'Afrique.
Le second a failli aboutir à
l'expulsion des romains de
Maurétanie. Défenseur du
peuple berbère, Firmus
était un héros de l'idée de
l'indépendance. Parmi les
cités qui ont marqué
l'histoire nord africaine,
Vgayeth (Béjaïa), connue
dès l'antiquité sous le nom
de Saldae.
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s'entrecroisent. Juste au nord de Tizi
Ouzou, une petite route mène au sommet
du mont Belloua (695m) dont le point de
vue surplombe la ville et la plaine de l'autre
côté du versant Oued Djemaâ, on se
retrouve en bas des Ath Yenni, capitale
mondiale du bijou kabyle, dont les artisans
sont connus pour leur habileté dans le travail de l'orfèvrerie depuis des générations.
Chaque année, au mois de juillet, est célébrée la fête du bijou, visitée par des milliers
de touristes nationaux et étrangers. En face
de Beni Yenni, s'élève majestueusement le
Djurdjura où se trouve la station hivernale
de Tikdjda (1475m), en plein parc national
du Djurdjura, qui s'étend sur une superficie de 18 500ha et classé en 1983 réserve
mondiale de biosphère par l'Unesco.
A l'ouest de Tizi Ouzou, à Souk El Khemis,
on peut visiter l'intérieur d'une maison
kabyle typique reconstituée où on peut
admirer les objets usuels et de l'artisanat de
la région dont la poterie de Maâtkas.
Au sud de Boghni, se trouve à 2000m
d'altitude la station de montagne de
Talaguilef (la source du sanglier) en lisière
d'une forêt de cèdres et de chênes. Sur la
côte maritime, des villes comme Tigzirt,
Azzeffoun et Dellys font de la wilaya de
Tizi Ouzou une région touristique dont les
plages ne désemplissent pas en période
estivale. Quelques vestiges romains à
Iomnium et Rusazus agrémentent la ballade culturelle et historique. Au sud de Tizi
Ouzou, bien située au carrefour d'axes
principaux, la wilaya de Bouira d'origine
agricole est devenue ces dernières années
un centre commercial actif.
Ath Yanni fête son bijou
Commune rurale, située sur le massif de la
Kabylie au piémont de la chaîne du
Djurdjura, son relief est constitué d'une
succession de collines entrecoupées par
des sites naturels exceptionnels qui lui
donnent ce caractère touristique particulier de par sa proximité du parc national,
de Aswel (où a été construit un stade d'entrainement sportif pour les équipes nationales) et plus loin la station de Tikdjda. En
plein été et malgré la chaleur caniculaire,
tout le monde besogne pour être à pied
Dans le bijou en argent, est incrusté un passé milénaire
d'œuvre et donner la meilleure image de
l'hospitalité montagnarde et montrer aux
milliers de visiteurs venant des wilayas
avoisinantes et même de l'étranger, la véritable dimension d'un art séculaire jalousement gardé. Un véritable défi. Certains
diront, une sorte de serment donné secrètement aux aïeuls de perpétuer cette spécificité artistique et la faire connaître mondialement. La 7éme édition en 2006 a été
un succès de par la portée de l'évènement
organisé, cette année, sous le haut patronage du Président de la République. C'est
qu'il a fallu, dans les années précédentes,
que les élus locaux en collaboration avec
l'association des bijoutiers et des comités
de villages bataille longuement pour ne pas
baisser les bras.
étaient réputés pour être les fabricants
attitrés d'armes et de munitions. C'est
dire si cet artisanat découle d'une longue
lignée qui conserve encore le secret de
milliers de nuits de veille et de journées de
besogne acharné. Une marque de fabrique,
garantie d'authenticité, que les descendants
de cette contrée ne voudraient jamais voir
dépérir, malgré que beaucoup l'ont délaissé
ces dernières années à cause de la rareté
des matières premières et de la difficulté
d'écouler leur travail devant “les marchands de pacotille” qui utilisent des matériaux moins nobles et donc des produits
moins chères. La fête du bijou, moment de
joie et liesse, est aussi une forme ultime
d'inviter le visiteur à connaître et apprécier
le véritable bijou d'argent.
Et c'est de cette union sacrée que la fête du
bijou de Beni Yenni a désormais gagné ses
lettres de noblesse. Des dizaines d'artisans
bijoutiers n'ont pas hésité à sortir parures,
abzim, fibules, bracelets, anneaux, colliers
et autres ustensiles comme ces lampes,
cuillères et même des poignards dont
certains ont plus d'un siècle d'âge. Les
bijoux à base d'argent ciselé sont ornés de
filigranes, de coraux ou d'émaux cloisonnés dans une composition triangulaire
estampillés à l'émail de couleurs vert, jaune
et bleu. Pendant la période turque et début
du 20ème siècle, les bijoutiers d'Ath Yenni
Des orfèvres et des arts
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Les Ath Yenni sont reconnus depuis la nuit
des temps pour être des orfèvres hors du
commun. Leur réputation d'artisans est
allée bien au-delà des frontières même si
depuis cette dernière décennie les affaires
sont plutôt difficiles. Malgré cela, les Ath
Yenni tiennent indubitablement à faire la
fête. Mais pas n'importe laquelle… Celle
du bijou en argent dont ils sont les garants
éternels. Et dont le savoir-faire se transmet
de père en fils. La légende raconte qu'autrefois les artisans bijoutiers refusaient de
marier leurs filles à l'extérieur de la région
de peur de voir leur secret de fabrication
s'évaporer. Encore aujourd'hui, la renommée de cette région qui culmine à plus de
900 mètres d'altitude sur les hauteurs du
Djurdjura tient essentiellement à ce bijou
serti d'argent et de corail.
A 150 Km à l'est de la capitale et à 35 Km
de Tizi Ouzou, la commune de Beni Yenni
(chef-lieu de Daïra depuis 1991) s'étend
sur 325 ha pour une population d'environ
10 000 habitants.
Taourirt Mimoun, “le village des chemins
qui montent” a enfanté en 1917, deux
hommes qui se feront remarquer pour leur
apport au patrimoine algérien et universel.
Le premier, Dda L'Mouloud Mammeri,
qui publiera en 1952 le célèbre roman
“La colline oubliée”, et le second, Abdellah
Abed qui recevra la même année le 1er prix
de l'artisanat algérien et la distinction de
“meilleur ouvrier de France” dans le
domaine de la bijouterie. Deux ans après
cette date, naîtra un autre grand orfèvre,
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Idir, qui donnera ses lettres de noblesse
à la musique kabyle moderne et la fera
connaître au monde entier.
Festival Racont'Arts
A l'initiative de la ligue des arts cinématographiques et dramatiques de la wilaya de
Tizi Ouzou, un autre festival se tient au
début de l'été à Beni Yenni regroupant écrivains, chercheurs, poètes, artistes peintres
et conteurs de nombreux pays. Durant une
semaine, des citoyens des villages des Ath
Yenni et des Ouadhias, vivent de grands
moments de spectacles de rue, de soirées
de contes, de projection cinématographique et de tables rondes diverses, où la
convivialité, les échanges culturels et la
culture populaire trouvent un cadre naturel et apaisant pour disserter sur des
thèmes aussi divers qu'intéressants.
C'est aussi cela la magie de la rencontre des
âmes sensibles à la culture universelle dans
un espace qui fait fi du temps.
Aït Hichem, le tapis vous accueille
Au sud-est de la ville de Tizi Ouzou, à deux
La poterie, tradition ancestrale transmise de mère en fille
kilomètres du chef-lieu de la daïra de Aïn
El Hammam, la localité d'Aït Yahia, est
constituée de 48 villages pour une population d'environ 22 000 habitants. Le village
d'Aït Hichem, dans la commune d'Aït
Aujourd'hui, le tapis de Aït Hichem est
connu et apprécié bien au delà des frontières nationales et chaque année une fête est
organisée par l'association “Tiliwa”, en
collaboration avec le comité du village,
pour perpétuer cette belle tradition artisanale qui a permis à ses habitants de vivre
de leur savoir-faire mais aussi et surtout de
voir leur nom au firmament des régions
réputées pour leur art. Car la fête du tapis
d'Aït Hichem accueille des représentants
venant de différentes régions du pays montrer et vanter les activités artisanales spécifiques de leur patrimoine. Un moment
d'échanges d'expériences et de connaissances. C'est également l'occasion de présenter
le travail et les produits en vannerie, bijoux
et robes de Kabylie, céramique, maroquinerie, art plastique et littérature.
Aujourd'hui, les nouvelles technologies
de la communication aidant, les efforts
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Tapis d’Ait Hichem, la fièrté de tout un village
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Yahia, est renommé pour sa tradition
ancestrale du tissage artisanal produit avec
dextérité par les femmes. Selon l'ethnologue Germaine-Laost Chantreaux, qui fut
institutrice à Ait Hichem en 1937 : “En
1892, les Ait Hichem vivaient surtout de
l'argent envoyé de France par les expatriés
et de l'appui appréciable d'un artisanal
féminin local qui est le tissage”.
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Une gamme de poterie traditionnelle
Poterie kabyle : art en voie
d'extinction
“Si l'existence d'un âge de bronze en
Afrique du Nord a longtemps été contestée, on peut aujourd'hui affirmer que le
Maghreb a connu, dès le 1er et le 2éme
millénaires, des relations commerciales et
maritimes avec l'Europe méditerranéenne
et, surtout, les péninsules ibérique et italique. Bien que peu de matériel métallique
ait été retrouvé, la céramique et la poterie
berbères sont autant de preuves d'une
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soutenus de ces femmes et de ces hommes
qui tiennent à leur culture ancestrale sont
récompensés. Le tapis d'Aït Hichem, tout
comme le bijou des Aït Yenni, ont acquis
une réputation qui a dépassé les frontières.
A l'heure de la mondialisation, ce travail
artisanal reste l'un des atouts économiques
des plus importants de ces régions montagneuses, et ce malgré les aléas et le manque
de moyens financiers, mais surtout... la
formation d'une relève capable de perpétuer ce patrimoine.
Afrique du Nord ouverte aux progrès
apportés de l'Europe”, écrit Georges Caps,
éminent spécialiste de la poterie, dans son
ouvrage sur la civilisation maghrébine
durant les premiers millénaires. Les femmes kabyles sont certainement les plus
imaginatives dans la création des décors
qui ornent les poteries. Parler aujourd'hui
de l'âge de ces pièces est très difficile. Les
techniques, les décors et l'esthétique sont
toujours fidèles à une tradition ancestrale
et transmis de mère en fille avec peu de
changements depuis des millénaires.
Aujourd'hui, dans certains villages à
Maâtkas, nous retrouvons des pièces qui
remontent aux XVIIIe et XIXe siècles. Cette
région a toujours revendiqué la réalisation
d'un musée des arts traditionnels mais ... la
chose culturelle n'a pas toujours droit de
cité dans la répartition budgétaire de nos
administrations. Depuis sa naissance, la
poterie berbère a toujours été un art exclusivement féminin, surtout dans une société
où règne la division du travail par sexe,
selon un système symbolique souvent
rigoureux. La poterie concernait exclusivement les ustensiles domestiques et culinaires, accomplie, chaque année, par un
groupe de femmes pour renouveler la
vaisselle familiale. En fait, il n'existe pas
d'exemples, du moins à Maâtkas, de
production en grande série proprement
artisanale, avec la participation des femmes, mais aussi des hommes, au niveau,
surtout, de la recherche des matériaux
(talakht et ses ingrédients), de la cuisson
(tukda) ou encore de la commercialisation.
Néanmoins, la poterie affirme une identité
collective, celle de la famille berbère. La
fabrication des poteries kabyles n'utilisait
finalement que des matériaux imposés par
le milieu géologique immédiat ou environnant. Et le résultat apportait des solutions
satisfaisantes par rapport aux besoins de ce
monde, dont les conditions socioéconomiques avaient également peu évolué jusqu'à
l'indépendance. Aujourd'hui, la poterie
kabyle s'est adaptée à d'autres normes et
formes, à des besoins nouveaux plus
dirigés vers l'ornementation. Mais elle
reste toujours très recherchée pour son
authenticité et sa valeur émotionnelle et
culturelle.
Yanis Arkoun
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