LES ENFANTS SAUVAGES

Transcription

LES ENFANTS SAUVAGES
Cie
L a
P etite
F abrique
Dossier
d ’accompagnement
LES
E NFANTS
S AUVAGES
Réalisation-rédaction : Ingrid Bertol et Betty Heurtebise
Ce dossier est un outil réflexif qui permet de suivre le processus de création de la pièce « Les
enfants sauvages. ». Il permet de saisir les enjeux dramaturgiques, rend compte des
problématiques qui nourrissent la création et ouvre sur un regard où l'imagination du
spectateur est aiguisée par la critique.
A partir du thème, en passant par l'écriture et le travail de plateau, ce dossier
d'accompagnement donne à comprendre l'envers du décor, tout en proposant des pistes
d'analyses et d'approfondissements qui s'appuient sur de nombreux extraits de textes.
L'ensemble de ses sources constitue une base de travail qui offre une vision particulière des
enfants sauvages, vision qui a nourri le travail de création du spectacle.
« Une mort immédiate
Eût été plus clémente. Allons viens pauvre petit enfant :
Puisse quelque génie puissant dresser milans et corbeaux
A te servir de nourrices! On a vu des loups et des ours, dit-on,
Se dépouiller de leur sauvagerie
Pour répondre à semblable devoir de compassion. »
Shakespeare – “Le conte d’hiver”
Création janvier 2010 / Réalisation 2009/2010
Texte de Timothée de Fombelle
Mise en scène de Betty Heurtebise
AVANT
P ROPOS
Le théâtre s’invente. Il naît de rencontres, de désirs. Il place notre réflexion sur des évidences qui
nous conduisent sur des chemins encore inconnus. Le thème des enfants sauvages m’est apparu
comme la clarté d’une vérité. Peut-être parce que le thème se situe au cœur d’une enfance en
marge, à part. Le temps de découvrir les récits légendaires et réels, que de nouveau la nécessité
d’une écriture singulière s’imposait.
La création « Les enfants sauvages » répond à ce désir de participation étroite entre l’auteur et
l’équipe artistique. La fusion des points de vue élargit le champ des possibles, la pratique des
transversalités des paroles participe à enrichir notre goût pour la création contemporaine.
Par une dramaturgie qui laisse place à l’imaginaire, l’écriture est faite de glissements et d’ellipses.
L’imaginaire transcende le réel. Elle permet au spectateur d’entrer dans une substance fictionnelle,
et de découvrir son monde intérieur. Ce qu’il prend pour la réalité glisse dans le monde du sensible
et de la pensée.
Une histoire de deux enfants sauvages, un frère et une sœur, qui ont grandi dans la forêt. Écoutons
leur point de vue, cette représentation idéalisée d’une enfance à l’état sauvage, devenons les témoins
de leur entrée déchirante dans la civilisation. Une occasion d’entrevoir l’animalité que nous portons
en nous.
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
Note d'intention
Présentation de la pièce
I - LES ENFANTS SAUVAGES, ENTRE MYTHE ET RÉALITÉ
1° Qu'est-ce qu'un enfant sauvage ? Essai de définitions
a) Le mythe d'après la légende de Zeus et celle de Romulus et Rémus
b) La légende dans la création littéraire, les exemples du Livre de la jungle de Rudyard Kipling et « Tarzan »
d’Edgar Rice Burroughs
c) La définition, un archétype
2° Des cas exemplaires d'enfants sauvages et leurs liens aux récits
a) Amala et Kamala selon le journal du révérend Singh
b) Victor de l'Aveyron selon le journal d'Itard
c) Gaspard Hauser selon les écrits de A.Von Feuerbach / Les enfants loups et la première langue de
l'humanité par Serge Aroles
d) Marie-Angélique, un cas historique ? par Serge Aroles
3° La question de l'interprétation
a) « L’homme en friche : de l’enfant-loup à Kaspar Hauser »
b) « La plus célèbre histoire d'enfant-loup fut une supercherie »
4° Les conséquences philosophiques de la représentation des enfants sauvages
a) « La honte des origines » Darwin, d'après P. Benot
b) Michel Suffran « L’Hypothèse Fragile »
II - NOTRE HISTOIRE
1° L'auteur
a) La question de la commande
b) Entretien avec l’auteur
2° L'écriture collective
a) « Le travail à la table »
b) Extraits de textes
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III - LA CRÉATION
1° Avant la parole – intentions de jeu
2° La projection vidéo
a) Le point de vue de l’image : la question de l’interprétation de l’histoire
b) Premiers éléments de traitement : l'évocation plutôt que l'explicite
c) Statuts de l’image
3° Scénographie, lumière, costumes
IV - BIBLIOGRAPHIE – Pistes pédagogiques
V - ANNEXES
Extraits du journal du docteur Itard
Biographie du docteur Itard
Portrait de Timothée de Fombelle
Portrait de Betty Heurtebise
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INTRODUCTION
Présentation de la pièce
Le mythe de l’enfant sauvage révèle une histoire d’humanité effrayante en nous laissant croire en
une nature généreuse qui prend soin des enfants que l’homme abandonne monstrueusement. De
nombreuses légendes évoquent la présence d’enfants égarés dans la forêt ou dans la jungle, élevés par des
bêtes sauvages. On peut se poser la question de la vraisemblance de ces histoires, et se demander si un
enfant vivant dans un profond dénuement peut survivre à l’état de nature.
Ces histoires nous fascinent parce qu’elles s’attachent profondément aux fondements de notre
humanité. Lorsqu’alors le récit n’appartient plus à l’imaginaire mais provient d’une réalité terrifiante,
nous basculons dans un monde intrigant ; il évoque l’importance et la place de l’éducation dans notre
civilisation et ce qui nous sépare de l’animalité. Cette rupture totale avec le monde des hommes nous
renvoie à la question de la construction d’une vie à l’écart de toute civilisation.
La pièce met en évidence des questions essentielles, qui sont l’éducation, le passage à la
sociabilisation. On constate que l’absence d’éducation crée l’impossibilité d’exprimer toute pensée par le
langage, laissant à l’enfant peu de chance d’échapper à sa propre solitude.
Mais dès lors que s’opère le passage dans une vie civilisée, l’enfant se retrouve projeté dans un
autre milieu, qui impose une nouvelle façon de voir et de penser. Cette confrontation met à l’épreuve
l’éducation, ses dérives manipulatoires, voire un formatage de l’esprit qui sous-tend la négation d’une
enfance à part.
« Le mythe sert aussi à expliquer qu’il y ait des enfants qui ne ressemblent pas aux autres enfants » 1
Évoquer le récit d’enfants sauvages, c’est aussi interroger le mythe et sa réalité, c’est s’interroger sur
cette nécessité de croire en cette possibilité de vie à l’état sauvage.
1
Bruno Bettelheim. La forteresse vide, Gallimard
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Notes d’intention
L’univers de Timothée de Fombelle entre en résonance avec l’esprit du projet, parce qu’il sait
parler de l’imaginaire de l’enfance. Il nous fait partager les émotions cachées de ce temps précieux en
décrivant des histoires passionnantes faites de rebondissements. Son écriture se place dans un espace
fictionnel proche de notre réalité quotidienne ; il sait nous parler de la fragilité de notre monde,
d’humanité parfois à la dérive. Ce qui m’a considérablement convaincue, c’est le regard que l’auteur
pose sur la relation de l’homme avec la nature.
L’histoire qui nous est contée parle d’une enfance qui nous dérange et nous fascine. Elle est mythe
et réalité. Des enfants attachants et troublants, un homme en prise avec son devoir de sociabilisation, des
tranches de vie qui retracent le fondement de notre humanité. Une réflexion sur l’état de nature et l’état
de culture. Une histoire surprenante devenue la proie d’une parole mythique. L’interprétation du
conteur pourrait révéler une forme de mensonge cachant un désaveu, une impuissance face à
l’inexplicable.
Comment raconter cette histoire d’enfant sauvage et ce qu’il doit abandonner d’animalité pour
devenir un être pensant ? Comment rendre lisible un langage à l’état sauvage pour pénétrer dans un
univers secret et mystérieux, révéler les points de vue de chaque personnage, avec leur façon propre de
percevoir les événements ? Comment écrire des situations « dialoguées » qui s’inscrivent dans le temps,
où les espaces imaginaires et réels s’entremêlent?
Placer l’écriture dans des temps différents afin de donner une parole dégagée de toute réalité
temporelle, afin de créer des distorsions d’espace et de temps. Provoquer sur scène un tumulte d’images,
un langage d’urgence, pour que le récit s’échappe et nous prenne à témoin.
Les situations, les mots, les sons créent des renversements, mettant en alternance ou en cohabitation la
forêt et lieu de l’éducation.
Laissons-nous nous envahir par ces enfants différents, qui nous renvoient à notre humanité.
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I
- L ES
E NFANTS
S AUVAGES,
E NTRE
M YTHE
E T
R ÉALITÉ
1° Qu'est-ce qu'un enfant sauvage ? Essai de définitions
a) Le mythe
Les enfants sauvages ont traversé les siècles de notre humanité, en questionnant notre rapport à
l'origine. Présent dès l'antiquité dans la mythologie, il renferme les secrets insensés du lien entre nature et
culture, à l'image des propos d'Aristote sur la valeur divine et donc cosmologique des idées des premiers
âges.
« Le mythe est une tradition venue de l'Antiquité la plus reculée et transmise à la postérité sous le voile de la fable, qui nous
apprend que les astres sont des dieux et que la divinité embrasse toute la nature » 2
La réalité des enfants sauvages se concrétise ainsi en premier lieu, dans la représentation
légendaire d'un homme à la lisière de son identité, élevé dans et par la nature. Dans ce sens, plusieurs
dieux sont considérés comme des Enfants Sauvages, car ils furent recueillis par des animaux.
A titre d'exemple, on peut citer la légende de Zeus, ou encore celle de Romulus et Rémus
« Zeus, Dieu de la foudre et du tonnerre et père des divinités du mont Olympe fut I'un des premiers Enfants
Sauvages Européens. Fils de Cronos et de Rhéa, il fut sauvé par sa mère des intentions cannibales de son père et fut envoyé a
1'1le de Crète, afin d'y être élevé par la chèvre Amalthée dont l'une des cornes devint la Corne d' Abondance. Il détrôna
ensuite son père Cronos par vengeance et fit périr les Géants, ses sujets. Il prit donc le pouvoir suprême mais céda à ses deux
frères, deux royaumes : à Poséidon, il donna la mer et à Hades le royaume des morts ou l' Averne. Il épousa sa soeur.»3
«Plusieurs pays se basent sur la légende de l'origine des enfants sauvages, élevés par des Bêtes Sauvages, comme en Italie avec
les jumeaux, fondateurs de l’Urbe : Romulus et Rémus, fils de Rhéa Silva et du dieu de la guerre Mars. Abandonnés dans la
forêt par un serviteur de leur oncle, qui ne les tua pas malgré les ordres reçus, ils furent élevés par une louve. Une peinture
« Romulus et Rémus » de Peter Paul RUBENS représente les deux jumeaux allaités par la louve dans un bois. Une
sculpture étrusque en bronze du VIè ou Vè siècle avant JC,qui représente aussi les jumeaux, fondateurs de Rome, attribuée à
Vulca.»4
2 Aristote. Métaphysique. Livre XII, 8
3 Le douloureux secret des enfants sauvages de Natacha Grenat, La compagnie littéraire
4 idem
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b) La légende dans la création littéraire, les exemples du « Livre de la jungle » de
Rudyard Kipling et « Tarzan » d’Edgar Rice Burroughs
Si la mythologie est liée à la construction de notre humanité, les légendes, récits à caractère
merveilleux où les faits historiques sont déformés par l'imagination populaire ou par l'invention poétique,
ont largement contribué à dessiner le visage des enfants sauvages.
Ses légendes sont européennes, africaines mais surtout indiennes. L'Inde est en effet le pays qui a connu
le plus grand nombre d'Enfants Sauvages, avec vingt-six cas recensés.
C'est, de plus, le pays qui inspira R. Kipling pour raconter l'histoire de son « petit d'homme» Mowgli. Ce
récit, nous donne à voir un enfant sauvage idéalisé, heureux dans la nature à laquelle il appartient et
participe. A l'image de la philosophie rousseauiste, où un possible retour à la nature nous rendrait
meilleur, Mowgli est libre, c'est-à-dire ignorant du mal.
« Et c'est ainsi que Mowgli fut admis dans la bande des loups de Seeonee au prix d'un taureau et sur la recommandation de
Baloo. A présent il vous faut accepter de sauter dix ou onze années entières et vous contenter de deviner la vie merveilleuse que
mena Mowgli parmi les loups, parce que, couchée par écrit, cette vie emplirait je ne sais combien de livres.
Il grandit avec les louveteaux, quoique ceux-ci, naturellement, fussent devenus adultes presque avant qu'il ne fût , enfant, et
père loup lui apprit sa tâche et le sens de toutes choses dans la jungle, jusqu'à ce que le moindre bruissement de I'herbe, le
moindre souffle de I'air tiède de la nuit, la moindre note du chant des hiboux au dessus de sa tête, le moindre coup de griffe
d'une chauve-souris venue se jucher un moment sur un arbre, le moindre clapotis du moindre petit poisson sautant dans une
mare eussent autant d'importance pour lui que le travail de son bureau en a pour un homme d'affaires. Quand il n'était pas à
ses leçons, il restait assis au soleil et dormait. il mangeait et se rendormait lorsqu'il se sentait sale ou qu'il avait trop chaud,
il nageait dans les mares de la forêt et lorsqu'il voulait du miel (Baloo lui expliqua que le miel et les noix étaient tout aussi
agréables a manger que la viande crue), il grimpait en récolter, et cela, c'est Bagheera qui lui apprenait à le faire. Le fauve,
étendu sur une branche, I'appelait : « Viens, petit frère », et, au début, Mowgli s'agrippait à la manière du paresseux, mais
par la suite il s'était accoutumé à sauter de branche en branche, avec presque autant d'audace que le singe gris. Il eut aussi
son siège au rocher du Conseil, lorsque la bande s'assemblait, et là, il s'aperçut que s'il fixait d'un regard ferme un loup, quel
qu'iI fût, celui-ci était contraint de baisser les yeux aussi braquait-il des regards fixes, pour s'amuser ou encore, il retirait les
longues épines plantées dans les pelotes des pattes de ses amis, car les loups souffrent énormément des épines et des capsules de
bardane qui s'accrochent à leur pelage. Il descendait la nuit, de la colline, pénétrait sur les terres cultivées et regardait avec
beaucoup de curiosité les villageois dans leurs cabanes; mais il se méfiaít des hommes, parce que la panthère lui avait montré
une boite carrée pourvue d'une trappe, si astucieusement dissimulée dans la jungle qu'il avait failli y mettre le pied, et qu'elle
lui avait dit que c'était un piège. Il aimait par-dessus tout suivre Bagheera au coeur sombre et tiède de la foret, dormir toute
la torride journée et, la nuit, voir comment Bagheera s'y prenait pour tuer. Bagheera tuait sans retenue, seIon sa faim, et
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Mowgli aussi, à une exception près. (...)
Et il devint de plus en plus fort, comme ne peut manquer de le devenir un petit garçon qui ne se doute pas qu'il est en train
d'apprendre des leçons et dont la seule préoccupation au monde est d'avoir quelque chose a manger.».5
Dans son article « L’Hypothèse Fragile » paru dans « Essais sur la condition animale »6, Michel
Suffran, nous dit :
« II faut souligner que Tarzan est sans doute le seul à accepter et à cultiver sa double nature, et à tirer sa puissance d'une
telle harmonisation. On connait, bien sûr, le thème de l'aventure : petit d'homme abandonné dans la jungle, ainsi que
Mowgli, mais, de surcroit issu de la fine fleur de l'aristocratie anglaise, sauvé, élevé, «socialisé» par une tribu de grands
singes, l'enfant sauvage s'animalise pour survivre, puis, dans une séquence fort belle, retrouvant la cabane effondrée ou sont
morts ses «véritables» parents, y découvre «plusieurs livres d'images, des lectures enfantines et un gros dictionnaire.» Associant
les petits insectes noirs des lettres et des mots aux illustrations correspondantes, il entreprend de les décrypter et de les
assembler afin d'en faire jaillir une pensée.
Accroupi sur la table, Tarzan, l'enfant-singe, le petit sauvage au corps nu et bruni, sa longue chevelure noire tombant autour
d'un visage bien fait, qu'éclairaient deux yeux vifs et intelligents se penchait avec un intérêt évident sur le livre que tenaient ses
mains fines et musclées. C'était un touchant tableau, une image allégorique de l'homme tâtonnant vers la science à travers la
nuit de l'ignorance.» Par l'élucidation du «mystère des petits insectes», Tarzan récupère donc une part essentielle de son
humanité déchue. Mais il récuse son intégration délibérée à l'espèce humaine, sachant trop bien le dépôt précieux que la
sagesse animale a sédimenté en lui. “Comment diable se fait-il que vous viviez dans cette jungle ? »
A la question abrupte qui lui est ainsi posée à la dernière phase du récit, Tarzan répond avec fermeté :
«J'y suis né. Ma mère était une guenon et, bien sûr, elle n'a jamais pu me donner d'explication. Quant à mon père, je ne sais
qui il était». Ainsi consacre-t-il sa double nature ou, peut-être, l'intacte plénitude de sa neuve et encore vierge humanité. »
c) La définition: un archétype
Au delà du mythe et de la légende, se structure une situation qui peut se définir, selon Natacha
Grena, suivant trois critères. Les enfants sauvages seraient des enfants qui :
- sont élevés par des animaux dans des sociétés animales,
- vivent seuls sans société humaine ou animale dans la forêt,
5 Rudyard Kipling. Le livre de la jungle. (1884)
6 Michel Suffran. Essai sur la condition animal. p187
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- qui vécurent en isolement, renfermés dans une pièce.
Les enfants sauvages représentent donc les trois aspects de la « sauvagerie », que sont les enfants
animalisés, les enfants solitaires et les enfants reclus. Ils ont toujours existé. La mythologie les admet
complètement dans son monde fantastique. Malheureusement, ils ont dû être trop souvent supprimés à
cause de leur présence dans une meute ou une tanière et ont toujours été considérés tout au moins en
Europe comme des êtres maléfiques.
Des êtres à civiliser, découvrant nos peurs archaïques. L'histoire abondent de cas exemplaires d'enfants
sauvages, qui nous renseigne sur leur identité, entre les lignes toujours fantasmées du récit.
2° Des cas exemplaires d'enfants sauvages et leurs liens aux récits
a) Amala et Kamala selon le journal du révérend Sing
Amala, fiche d'identité
Son âge au moment de sa découverte : 1 an et 6 mois.
La date de sa découverte : le 17 octobre 1920.
La date de sa mort : le 21 septembre 1921.
Kamala, fiche d'identité
Son âge au moment de sa découverte : 8 ans.
La date de sa découverte : le 17 octobre 1920.
La date de sa mort : le 14 novembre 1929
« Les deux petites filles sont retrouvées dans une meute de loups. Le 9 octobre 1920, le révérend Singh apprend par
des paysans du village de Godamuri, l' existence « d'hommes fantastiques » et il se fait conduire sur les lieux dans la forêt.
Au crépuscule, il voit surgir d'un repaire, 3 loups adultes, 2 louveteaux et 2 « monstres » poilus qui marchent à 4 pattes. Ce
sont deux enfants sauvages (le premier, plus petit que le second) et se comportent exactement de la même façon que les loups.
Singh recrute des volontaires à 7 miles (les villageois sont terrorisés) et revient le 17 octobre avec des hommes armés. Deux
des loups adultes s'enfuient, mais le troisième, une femelle, reste défendre, jusqu'à sa mort, l'entrée de la grotte, où se trouvent
les deux louveteaux et les deux enfants. Les deux fillettes sauvages une fois capturées, sont laissées aux villageois alors que
Singh part. Quand il revient une semaine plus tard avec un chariot pour transporter les enfants, il trouve le village
abandonné, et les enfants à demi-mortes de faim et de soif, dans une sorte d' enclos.
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Elles arriveront à I'orphelinat de Midnapore, dirigé par le révérend Singh, le 4 novembre 1920. La plus jeune, agée de 1 a 2
ans est appelée Amala et la plus grande agée de 7 à 8ans, Kamala. Amala a le même aspect qu'un bébé alors que Kamala
est une fillette aux épaules larges, aux bras longs et à la colonne vertébrale droite. EIles sont seulement bien plus crasseuses et
plus poilues que des enfants normaux. Elles ont, de plus, d'épaisses callosités à la paume des mains, aux coudes, aux genoux
et à la plante des pieds. Tout en elles dénote la société et le comportement des loups.
Elles manifestent une photophobie aiguë, ainsi qu'une nytaclopie (c'est la capacité de voir la nuit et de s' orienter) fort
accusée et passent la journée à se tapir dans les coins d'ombre et hurlent la nuit, gémissant dans le désir de s'évader. La
photophobie est la phobie ou la peur irraisonnée de la lumière du jour et du Soleil, souvent éprouvée par les personnes «
Albinos» ou par les soi-disant « Vampires ». Ce sont deux maladies. Les Albinos manquent de mélanine et n' ont pas une
pigmentation normale de la peau. Les Vampires sont des gens allergiques au Soleil et qui, à son contact, se mettent a brûler;
désormais la médecine les appelle « les enfants de la Lune » . (...)
Après 10 mois, Kamala permet à certaines personnes de s' approcher d'elle, et tend la main afin d'obtenir un biscuit, ou
solliciter un aliment.
En février 1922, elle se redresse sur les genoux et avance de cette façon jusqu'au mois d'avril et en début mai, Kamala,
malgré de nombreuses difficultés, commence à se tenir debout appuyée à un mur.
En janvier 1926, elle marche correctement et n' a plus la démarche lupine. L'enfant démontre ainsi que la station debout
n'est pas inné, mais qu'elle nécessite un apprentissage, qui manque aux enfants sauvages.(...)
En 1929, peu avant sa mort, avec une cinquantaine de mots, Kamala parlait abondamment, même si les gens avec lesquels
elle s' entretenait, ne comprenaient pas tout (surtout les visiteurs), recourant à des gestes au besoin »7.
b) Victor de l'Aveyron selon l'étude du docteur Itard
Victor de l'Aveyron, fiche d'identité
Son âge au moment de l'abandon : 4 ou 5 ans
Son âge au moment de sa découverte : 11/12 ans en 1798.
La date de sa mort : 1828.
«(....) Que vit-on ? un enfant d'une malpropreté dégoûtante, affecté de mouvements spasmodiques et souvent convulsifs, se
balançant sans relâche comme certains animaux de la ménagerie, mordant et égratignant ceux qui le servaient, enfin,
indifférent à tout et ne donnant de l' attention à rien. (...)8
7 Le douloureux secret des enfants sauvages de Natacha Grenat, La compagnie littéraire
8 Itard. Journal.
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Nous sommes ici plongés dans la monstruosité de l'enfant sauvage, dans son lien à l'animalité et dans la
déception savante correspondant à l'abandon d'une nature humaine pensée jusque là comme intangible.
Le journal d'Itard expose une entreprise pédagogique de « civilisation » de Victor, que nous pouvons
suivre par l'entremise de l'ouvrage de Natacha Grenat, qui expose la situation du jeune Victor:
« L'enfant fut trouvé dans les bois alors qu'il avait 11 ou 12 ans. Il avait déjà été aperçu dans le Tarn, dans les bois de
Lacaune. Capturé une première fois, il réussit à s'enfuir et à errer pendant 15 mois. En 1798, vers le 15 juillet, des
chasseurs le capturent à nouveau mais au bout d'une semaine, I'enfant s'enfuit. Il est nouvellement capturé le 9 janvier 1800
à coté d'un village sur le territoire de Saint-Sernin-sur-Rance en Aveyron.
L'enfant est placé le 10 janvier à I'asile de Saint-Affrique, et le 4 février à Rodez, où il est l' objet d'une première
observation et d'une première dissertation du naturaliste Bonnaterre, dans sa Notice historique sur le sauvage de l'Aveyron et
sur quelques autres individus qu'on a trouvé dans les forêts à différentes époques, publié a Paris en 1800. Un autre
scientifique de l'époque, le psychiatre Pinel, observe et fait un rapport sur « l' enfant sauvage », dans lequel il considère Victor
comme un idiot, semblable à tous les êtres qu'il a rencontré à Bicêtre.
Lorsque l' enfant est amené a Paris sous l' ordre du ministre Champagny, il est confié à l'lnstitut des Sourds et Muets, de la
rue St-Jacques, ou le docteur Itard se propose de l'éduquer. »
Natacha Grenat détaille ensuite les étapes du journal d'Itard :
« Dans l'avant-propos, l'auteur parle des enfants sauvages en général, et inclut les conceptions de Linné et Condillac dans ses
propos. Le premier chapitre intitulé Les Progrès d'un jeune sauvage, est une introduction où il expose les faits de la capture de
Victor puis les conditions dans lesquelles il connaît l'enfant :
Dans cette introduction, Itard parle aussi du rapport du citoyen Pinel et du comportement du Sauvage. Ainsi il dit :
Procédant d'abord par l' exposition des fonctions sensorielles du jeune sauvage,le citoyen Pinel nous présenta ses sens réduits à
un tel état d'inertie que cet infortuné se trouvait, sous ce rapport, bien inférieur à quelques-uns de nos animaux
domestiques ; ses yeux sans fixité, sans expression, errant vaguement d'un objet à l' autre sans s'arrêter à aucun, si peu
instruits d'ailleurs, si peu exercés par le toucher, qu'ils ne distinguaient point un objet en relief d'avec un corps de peinture:
l'organe de l'ouïe insensible aux bruits les plus forts comme à la musique la plus touchante: celui de la voix réduite à un état
complet de mutité et ne laissant échapper qu’un son guttural et uniforme : l' odorat si peu cultivé qu'il recevait avec la même
indifférence l'odeur des parfums et l’exhalaison fétide des ordures dont sa couche était pleine, enfin l'organe du toucher
restreint aux fonctions mécaniques de la préhension des corps.
Itard résume ensuite ses qualités intellectuelles :
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(...) l'auteur du rapport nous le présenta incapable d'attention, si ce n’est pour les objets de ses besoins, et conséquemment de
toutes les opérations de l'esprit qu’entraîne cette première, dépourvu de mémoire, de jugement, d'aptitude à l’imitation, et
tellement borné dans les idées, mêmes relatives à ses besoins, qu'il n' était point encore parvenu à ouvrir une porte ni à monter
sur une chaise pour atteindre les aliments qu'on élevait hors de la portée de sa main.. enfin dépourvu de tout moyen de
communication, n'attachant ni expression, ni intention aux gestes et aux mouvements de son corps, passant d' une rapidité et
sans motif présumable d'une tristesse apathique aux éclats de rire les plus immodérés. Insensible à toutes espèces d'affections
morale, son discernement n'était qu' un calcul de gloutonnerie, son plaisir une sensation agréable des organes du goût, son
intelligence la susceptibilité de produire quelques idées incohérentes, relatives à ses besoins toute son existence, en un mot, une
vie purement animale.
ltard se propose finalement comme chercheur et établit son reprogramme :
(...) je ne partageai point cette opinion défavorable et malgré la vérité du tableau et la justesse des rapprochements, j'osai
concevoir quelques espérances. Je les fondais moi-même sur la double considération de la cause et la curabilité de cet idiotisme
apparent. »
….
« Dans la horde sauvage la plus vagabonde comme dans la nation d’Europe la plus civilisée, l’homme n’est que ce qu’on le
fait être ; nécessairement élevé par ses semblables, il a contracté les habitudes et les besoins; ses idées ne sont plus à lui ; il a
joui de la plus belle prérogative de son espèce, la susceptibilité de développer son entendement à force de l’imitation et
l’influence de la société.”
Le docteur Itard rédige un premier mémoire sur les premiers développements de Victor de l’Aveyron en
1801. Il se présente en Cinq vues. (vous trouverez en annexe les éléments de son analyse).
La dernière partie de cette cinquième vue est en effet la conclusion où Itard récapitule la condition de
Victor. Il s'enthousiasme et conclut par cinq points:
Il m' a paru qu'on pourrait en déduire :
1) Que l'homme est inférieur à un grand nombre d'animaux dans le pur état de nature, état de nullité et de barbarie qu'on a
sans fondement revêtu des couleurs les plus séduisantes, état dans lequel l'individu, privé des facultés caractéristiques de son
espèce, traîne misérablement, (...) une vie précaire et réduite aux seules fonctions de l'animalité.
2) Que cette supériorité morale, que l'on dit être naturelle à l'homme, n'est que le résultat de la civilisation qui l'élève audessus des autres animaux par un grand et puissant mobile (...).
3) Que cette force imitative destinée à l’éducation de ses organes et surtout à l'apprentissage de la parole, très énergique et très
active dans les premières années de la vie, s'affaiblit rapidement par les progrès de l'âge, l'isolement et toutes les causes qui
tendent a émousser la sensibilité nerveuse (...).
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4) Qu'il existe chez le sauvage le plus isolé, comme chez le citadin élevé au plus haut point de la civilisation un rapport
constant entre leurs idées et leurs besoins (...).
5) Que l'état actuel de nos connaissances physiologiques, la marche de l'enseignement peut et doit s'éclairer des lumières de la
médecine moderne, qui de toutes les sciences naturelles, peut coopérer le plus puissamment au perfectionnement de l'espèce
humaine (...). »
Si Amala et Kamala représentent des cas d'enfants sauvages élevés par des animaux et Victor
celui d'un être seul dans la nature, le troisième cas, celui de Gaspard correspond à l'enfant isolé au sein
de la société, enfermé et traité comme un animal.
Son cas ressemble dans ce sens à celui des expérimentations, relayées au 17ème siècle, où il s'agissait de
priver un nouveau-né de tout contact pour voir quel langue celui-ci parlerait « naturellement ».
c) Kaspar Hauser de N selon les selon les écrits de A. Von Feuerbach
Kaspar Hauser, fiche d'identité
Son âge à la fin de l'isolement : 16,17 ans
Son âge au début de l'isolement : 5 ou 6 mois
Sa date de naissance (déclarée par ses « parents adoptifs ») : le 30 avril 1812
.
La date de sa mort : le 15 décembre 1833.
« Le 26 mai 1828, vers cinq heures du soir, un jeune homme, titubant, trébuchant, complètement perdu, apparaít sur
I'Unschlittplatz de Nuremberg, aux yeux étonnés d'un bourgeois qui se repose devant sa porte.
(...) Il porte un chapeau de feutre à garniture de cuir rouge - dans lequel on découvrira l'image effacée de Munich - un cachecol de soie noire, une veste délavée, une chemise épaisse, un pantalon gris en étoffe grossière et des bottes à revers rafistolées,
avec à la semelle, un fer à cheval »
Ainsi commence l'histoire écrite par P. J. von Feuerbach, criminologiste allemand, dans son œuvre qui
raconte la vie de ce jeune homme.
Natacha Grena son retranscrit cette histoire :
« (...) L'enveloppe de Kaspar contient deux documents, une lettre et une fiche. La lettre dit :
Ce garçon veut servir son roi. Sa mère l'a placé chez moi. Je ne l'ai jamais laissé sortir. Je lui ai appris la lecture et
l'écriture. Je l'ai conduit jusqu'à Nuremberg, à la nuit.
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14
Sur la fiche, on peut lire :
L' enfant est baptisé, il s' appelle Gaspard. Il est né le 30 avril 1812. Quand il aura 17 ans, conduisez-le à Nuremberg, où
son père qui est mort fut cavalier. Je suis une pauvre fille. »
Les militaires le parquent à l'écurie, où il s'endort dans la paille et ceux-ci auront bien du mal à le réveiller quand vers 20
heures, ils l'emmènent au local de la police, où il écrira son nom, à la plume Kaspar Hauser. Il est ensuite logé dans une tour
réservée aux vagabonds. Il parait avoir trois ans d'âge mental, dans un corps d'homme (selon la fiche, il a 16 ans). En effet,
il joue d' abord avec une pièce de monnaie, puis avec les jouets que de nombreux curieux lui apportent, surtout avec un cheval
de bois, et le gardien Hietel, dit qu'il joue volontiers avec les enfants, mais seulement s'ils viennent vers lui (il reste au début,
assis toute la journée, par terre, les jambes droites). C'est un grand maladroit, qui ne sait rien saisir avec ses mains, sauf
entre le pouce et l' index. Il s' endort au coucher du soleil et se lève à l'aube, mais il est très difficile de le réveiller quand il est
endormi. Lorsqu'il marche, il semble flotter à la dérive, avance en vacillant, sur ses jambes branlantes, en une succession de
pseudo-pas, chutes et et brusques redressements. Son goût le porte vers l'eau fraiche et le pain.
Il a trois genres d' attitudes :
- content, il rit (surtout en présence des chevaux blancs, les noirs le terrorisent) ;
- il pleure et crie (ce qui arrive souvent pendant son sommeil), il semble avoir peur de tout, puis de rien ;
- il change brusquement et fait montre d'une « opacité bestiale » (terme de von Feuerbach, qui selon lui correspond le mieux à
Kaspar, lorsqu'il retrouve son indifférence ).
Il est a peu près privé de langage. Il répète une formule en patois apprise par cœur qui signifie: « je voudrais devenir un
combattant comme le fut mon père ». Il prononce aussi mal « Sait aller à la maison » et « Sait pas » et utilise deux mots
particuliers, « bua » qui indique tout ce qui est humain et « ross » qui indique tout ce qui est animal, ainsi que « berg » pour
tout ce qui est élevé.
Le 18 juillet 1828, Kaspar quitte la tour des vagabonds, et va vivre chez le docteur Doumer, qui le recueille avec pitié.
Pendant ces quelques mois (de mai a juillet), il continue de se plaindre, comme dans la tour, de très forts maux de tête, et
assoiffé, boit énormément d'eau fraiche. Il s'habitue peu a peu à monter et descendre les escaliers ce dont il était tout à fait
incapable dans la tour. Il commence aussi petit à petit à absorber une alimentation carnée, même si certains jours il la refuse.
Il montre une manie anormale de l' ordre et du rangement, qu'il avait déjà dans la tour avec les jouets et les images que les
gens lui apportaient, puis dans la maison du Dr Doumer de tout ce qu'on lui donne (assiette, tasse, verre...).
Du point de vue intellectuel, toute l'éducation de Gaspard est à refaire. Dès son installation, Doumer le force à parler pour
exprimer ses besoins. Il apprend ainsi à parler peu à peu. Dans la tour, son langage était presque inexistant, puis avec
Doumer il parle de lui-même à la troisième personne, et sa façon de parler s'organise selon une simple et pure juxtaposition.
Gaspard continue de mélanger en parlant ses rêves et la réalité. Les cris et les pleurs qui le secouaient souvent la nuit en
dormant dans la tour, disparaissent progressivement.
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Il reste chez Doumer trois ans et en 1831 passe quelques semaines chez P. J. von Peuerbach (qu'il avait déja connu quand il
habitait dans la tour). Peuerbach trouve Gaspard aboulique, terne et sans humour, et le définit comme : « un calme lourdaud,
pétri de bon sens ». Gaspard continue à se poser des questions personnelles, sur sa propre condition d'orphelin et d'
abandonné, et ne comprend pas pourquoi ses parents ne sont pas avec lui. Avec une meilleure maîtrise de la langue, von
Peuerbach essaye de le faire penser a son passé en lui posant des questions, et peu à peu le jeune homme se rappelle. Il a
l'impression d'être « arrivé au monde» et d'avoir « découvert les hommes » à Nuremberg. Avant cela, il vivait dans « un trou »,
une « cage », vivait d'eau et de pain, et avait déjà deux chevaux de bois. Chaque jour un homme qui était placé derrière lui, et
dont il n'a jamais vu le visage venait lui donner sa nourriture ou lui faisait tracer des lettres, ou des nombres.
Le 17 octobre 1829, l'homme revient et Kaspar, qui était légèrement malade, est retrouvé à demi-mort et terrorisé dans la
cave. Gaspard est blessé au front, il reste dans le coma 48 heures, délirant de façon incompréhensible. Il guérira 22 jours plus
tard. Après cet épisode, von Feuerbach semble avoir réussi à identifier l'homme mais par prudence, refuse de parler.
Un jour, en 1833, alors qu'il se trouve chez Feuerbach, Kaspar qui vient d'avoir 22 ans, est attaqué une seconde fois, dans
le parc de Ansbach. Il est poignardé et meurt le lendemain. A l' endroit où il tombe, une stèle déclare: « Hic occultus occulto
occisus est » c'est-à-dire « Ici un inconnu a été tué par un inconnu ».9
Le cas de Gaspard, enfant privé de toute socialisation, est à rapprocher de la construction
volontaire d'un enfant sauvage, expériences qui dans les siècles passés servaient à valider l'idée des
caractéristiques innées.
Ces expérimentations sont relayées par Serge Aroles dans son ouvrage sur « Les enfants-loups et la
première langue de l'humanité »10 .
« Ici mieux qu'ailleurs, si près de son auguste mausolée, devons-nous mentionner, non sans en douter, que l'empereur Akebar
aurait fait réaliser, vers 1590, la fameuse expérience interdite, celle de la « tabula rasa », que les vrais enfants-loups,
précocement privés de tout contact social, reproduisent spontanément, expérimentation incertaine ou très infidèlement rapportée
en 1705 par le jésuite Catrou, dans son Histoire Générale de l’Empire du Mogol.
«Il voulut éprouver quelle langue parleroient des enfans à qui l'on en auroit point appris. L 'empereur avoit entendu dire que
l’hébreu étoit une langue naturelle à tous ceux à qui l'éducation n 'en avoit point enseigné d'autre. Pour s’en éclaircir, il fit
enfermer dans un château situé à six lieues d'Agra, douze enfans a la mamelle. On les fit élever par douze nourrices muettes,
ausquelles on donna un portier muet comme elles. Le portier avoit défense, sous peine de la vie, d'ouvrir jamais les portes du
château. Quand les enfans eurent atteint l' âge de douze ans, Akebar les fit venir en sa présence.
9 Le douloureux secret des enfants sauvages de Natacha Grenat, La compagnie littéraire
10 Serge Aroles – « L’énigme des enfants loups » Une certitude biologique mais un déni des archives, Publibook
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I1 rassembla alors dans son palais des gens habiles en toutes les langues... D'une autre part, les philosophes indiens
prétendoient que les enfans parleroient la langue transcrite [le sanscrit] qui leur tient lieu du latin, et qui n 'est en usage que
parmi les savants. On /'apprend pour entendre les anciens Livres de la Philosophie et de la Théologie lndienne. Lorsque ces
enfans parurent devant /'empereur, on fut tout étonné qu 'ils ne parloient aucune langue. lIs avoient appris de leur nourrice à
s 'en passer. Seulement ils exprimoient leurs pensées par des gestes qui leur tenoient lieu de paroles. Enfin, ils étoient si
sauvages et si honteux, qu 'on eut bien de la peine à les apprivoiser et à délier leurs langues, dont ils n 'avoient presque point
fait d'usage dans l'enfance.
Une autre curiosité d'Akebar fut de connaître l’origine du Gange... »
Divers souverains auraient mené de telles expériences d'isolement sur des nouveau-nés afin que soit révélée la «première langue
de l'humanité », celle qu'ils parleraient spontanément quoique privés de tout mot qui fut venu d'autrui, mais le récit de ces
faits, tel celui d'Hérodote, issu de 1’Egypte pharaonique, est souvent une composition semi-légendaire. Hérodote étant
dépourvu de la rigueur de Thucydide, le merveilleux s'insinue entre ses lignes jusqu'à en façonner l'ensemble.
Selon la chronique du moine Fra Salimbene, après que l'empereur germanique Frédéric 11 (1194-1250) eut ordonné que
l'on élevat des nourrissons sans jamais qu' on leur parlât, tous auraient péri de ce manque d'affection. Désirant connaître la
langue dont on fait usage au paradis, le roi Jacques IV d'Ecosse (1472-1513) aurait fait confier . deux nourrissons à une
femme muette qui vivait seule sur une île, expérimentation fort probante, par la raison que ces enfants écossais parlèrent
spontanément hébreu. »
d) Marie-Angélique, un cas historique, par Serge Aroles
“Dans l'histoire millénaire des enfants sauvages et enfants-loups, le cas majeur, certifié par de très nombreuses
archives, est celui de Marie-Angélique (née en 1712 au Wisconsin et décédée à Paris en 1775), "la fille sauvage de Songy",
capturée dans ce village de Champagne en septembre 1731, connue dans la littérature anglo-saxonne sous le nom de "fille
sauvage de Champagne".
Selon Serge Aroles, qui a retrouvé des centaines de documents relatifs à cette fille et qui en a publié 30, il s'agit du seul cas
authentique d'un enfant ayant survécu dix ans en forêt (Marie-Angélique était une petite Amérindienne du Wisconsin (alors
colonie française), de la tribu des Renards (actuellement les Fox, aux Etats-Unis), ce qui explique sa longue survie en forêt,
attendu que, très jeune déjà, elle savait nager, coudre des vêtements de peaux, etc.) ; le seul enfant pour lequel la survie en forêt
pendant une décennie puisse être authentifiée par un vaste corpus d'archives (elle s'évada en novembre 1721, durant la
grande peste de Provence, où son navire venant du Canada avait accosté un an plus tôt; erra durant une décennie dans les
forêts du royaume de France, et fut capturée en septembre 1731, à Songy, dans la partie aride de la Champagne, où
l'absence de massif forestier la mettait dangereusement à vue) ; et le seul enfant sauvage qui, découvert dans un grand état de
régression comportementale, eût ensuite présenté une résurrection intellectuelle, ayant pu apprendre à lire et écrire (nous
possédons des écrits d'elle et même, fait exceptionnel, la mention des livres de sa bibliothèque, puisque un inventaire notarié de
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
17
ses biens fut dressé en janvier 1776, un mois après son décès).
Seules les archives ont permis de reconstruire la vie de Marie-Angélique, car les livres et les nombreux articles écrits à son
sujet, eux, sont d'une extrême fantaisie : elle n'était pas "une Esquimaude du Labrador", mais une Amérindienne du
Wisconsin ; elle n'était pas "âgée de dix ans" lors de sa capture, mais âgée de dix-neuf ans ; elle n'est pas "morte pauvre à
trente ans", mais décédée riche à 63 ans (le 15 décembre 1775), à Paris, alors pensionnée par la reine de France...
Dans son livre sur les enfants-loups, Serge Aroles écrit :
"Ces archives attestent que l’unique enfant qui eût pu survivre une décennie en forêt sans altération irréversible de son corps et
de son esprit, fut une petite Amérindienne du peuple des Renards (actuellement les Fox ; Etats-Unis), emmenée en France par
une dame du Canada qui eut le malheur d’aborder à Marseille lors de la grande peste de 1720. Evadée lors de la terrible
épidémie dont elle eût dû être la victime, Marie-Angélique parcourut sur des milliers de kilomètres les forêts du royaume de
France, avant d’être capturée en Champagne, en 1731, dans un fort état d’ensauvagement. Durant cette décennie, elle n’a
pas vécu au sein des loups, mais survécu au péril de ceux-ci, s’étant armée d’un gourdin et d’une arme métallique, volée ou
découverte. Lorsqu’elle fut capturée, cette chasseresse noirâtre, chevelue, griffue, présentait certes des éléments de régression (elle
s’agenouillait pour boire l’eau et ses yeux étaient animés d’un battement latéral permanent, tel un nystagmus, stigmate de sa
vie dans l’alerte), toutefois, cette enfant avait triomphé d’un défi inouï, non tant la lutte contre le froid, les loups et la faim,
mais bien le combat de préserver son langage articulé, fût-ce après une décennie de mutisme, de parole envolée. Alors que les
archives assurent qu’elle était âgée d’environ 19 ans lors de sa capture, un texte imprimé lui attribua la moitié de cet âge,
cette erreur monumentale, infiniment reprise, ayant empêché, depuis trois siècles, les enquêteurs de découvrir son origine,
attendu qu’il fallait chercher sa naissance et sa venue en France dans les registres antérieurs d’une décennie. Sa résurrection
intellectuelle fut majeure ; elle apprit à lire et écrire, devint un temps religieuse en une abbaye royale, tomba dans la misère,
fut secourue par la reine de France, épouse de Louis XV, refusa un amour qu’un lettré lui offrait, fut tant digne lors de son
ultime maladie, un asthme aux longues asphyxies, et mourut assez fortunée, son inventaire après décès en faisant foi.
Considérée par le philosophe écossais Monboddo, qui l’interrogea en 1765, comme le personnage le plus extraordinaire de
son époque, cette femme d’autrefois est tombée en notre oublii ; elle s’efface, depuis plus de deux siècles, derrière toutes les
héroïnes de la fiction. " »
3° La question de l'interprétation
Tous ces cas d'enfants sauvages sont soumis à des dimensions de representations et d'interpétations
qui donnent lieu à de nombreuses contradictions sur la réalité de ces récits et leur rapport au
romanesque. A titre d'exemple, le récit de la capture d'Amala et de Kamala et son commentaire critique.
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a) « L’homme en friche : de l’enfant-loup à Kaspar Hauser »
Extrait du journal de J.A.L. Singh :
« (...) 17octobre 1920, Au bout de quelques coups de bêche et de quelques pelletées, un des loups sortit en hâte et se sauva à
toute allure dans la jungle. Le deuxième apparut aussitôt, terrorisé, et suivit les traces du premier. Un troisième se montra. Il
surgit comme un éclair et s'élança vers les terrassiers. Il rentra brusquement, ressortit aussitôt pour chasser les hommes hurlant, courant affolé en tous sens, grattant le sol furieusement et grinçant des dents. Il refusait de quitter les lieux.
J'avais très envie de le capturer, parce que je devinais d'après sa résistance que ce devait être la mère, d'une nature aussi féroce
et d'un dévouement aussi sublime. Je fus frappé d'admiration. J'étais tout simplement stupéfait à la pensée qu'un animal ait
d'aussi nobles sentiments, au-delà même de ceux des êtres humains - ces créatures supérieures - pour accorder tout l'amour et
l'affection d'une mère idéale et attachée à ces êtres particuliers qu'un jour, elle (ou l'un des deux autres loups adultes apparus
avant elle) avait dû ramener comme nourriture pour les louveteaux. Quoi qu'elles fussent et pussent être, ces créatures
n'étaient certainement pas ses petits, mais avaient d'abord dû être rapportées comme nourriture pour les jeunes. Il était
admirable qu'elles eussent été épargnées et ainsi nourries par les loups. Sans saisir I'importance de la situation je restais muet
et inerte. Entre-temps, les hommes l'avaient transpercée de flèches et elle tomba morte. Spectacle épouvantable !
Après la mort de la mère louve, la tâche fut aisée. Lorsque l'entrée fut percée, le temple s'écroula complètement, dégageant fort
heureusement la cavité centrale sans déranger l'anfractuosité intérieure. C'était une cavité en forme de fond de marmite. Elle
était plane et lisse comme si elle avait été cimentée. l'endroit était propre, sans aucun débris d'os ni la moindre trace de fiente
ou autre impureté. L'antre avait une odeur particulière, propre aux loups - sans plus.
C'est là qu'avait vécu la famille de loups. Les deux petits et les deux autres créatures hideuses étaient là dans un coin, tous les
quatre cramponnés les uns aux autres comme une pelote de singes. Ce fut toute une affaire que de les séparer. Les monstres
étaient plus féroces que les louveteaux, grimaçant, montrant les dents, se ruant vers nous lorsqu'on les dérangeait trop et
courant se remettre en boule. Nous étions désemparés, sans plus savoir que faire.
Je trouvai une ruse. Je recueillis auprès des hommes quatre grands draps, appelés Gilap dans cette région. J'en jetai un sur
cette boule d'enfants et de louveteaux et les séparai. Nous les ramassâmes ainsi l'un après l’autre en les maintenant chacun
dans une couverture ne dégageant que la tête. Nous distribuâmes les louveteaux aux terrassiers et leur payâmes leur salaire.
Ils s’en allèrent contents et vendirent les louveteaux à la Hate pour un bon prix.
Je me chargeai des deux enfants et retournai a la maison de Chuna à Godamuri. Je lui recommandai de les tenir à l’oeil. Je
les mis dans un coin de la cour de sa ferme, enfermés dans un enclos de longs poteaux de sal. La superficie de I'enclos était de
deux mètres cinquante sur deux mètres cinquante. Deux petits pots de terre pour le riz et l'eau furent placés contre l’enclos
pour que les gardiens puissent les remplir d’eau et de nourriture, de l'extérieur. Chuna accepta de les garder jusqu’à mon
retour. »11
11
L’homme en friche de l’enfant-loup à Kaspar Hauser , Bruxelles, Editions Complexes, 1980, p. 50-60 Ó Editions
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b) « La plus célèbre histoire d'enfant-Ioup fut une supercherie », extrait de « L’Enigme
des enfants-loups » par Serge Aroles
« Plus le mensonge est grand et plus il en reste quelque chose »
« Jamais, au grand jamais en six siècles de notre historique, un faussaire n'avait franchi ainsi les limites du grotesque,
cousant une complète-panoplie d'enfant-loup à une fillette, Kamala, qui, selon sa fable, régulait sa température en sortant sa
langue au soleil, comme les chiens, lançait «un hurlement au plus profond de la nuit» pour transmettre aux loups sa position
dans la ville, et émettait de ses globes oculaires un intense rayonnement bleu nocturne : « on ne pouvait rien distinguer d'autre
tout autour, que les deux puissants feux, pas même la propriétaire des yeux »...
Un jour, stupéfaits, on se retournera sur le passé, on jugera les centaines de naïves publications sur cette farce, reprise sans
sourciller jusque dans la littérature scientifique, et l'on se demandera, ahuris, comment cette falsification orchestrée par un
pasteur indien, le révérend Singh, a pu si longtemps bénéficier d'une telle crédulité universelle, chantée en choeur infiniment.
Est stupéfiante la facilité avec laquelle une recherche dans les archives détruit à jamais cette supercherie, et pourtant, en vain
ai-je averti les spécialistes, voici plus de dix années, que le drame qu'ils perpétuent est plus qu'un sujet de querelle de science,
car Singh frappait cette fillette atteinte d'un syndrome de Rett afin qu'elle marchât à quatre pattes devant ses visiteurs :
«C'est la fille élevée par des loups ! Elle est féroce ! »...
La chute d'un faussaire... après 80 années de succès.
Trahi dès 1921 par ses propres écrits, reproduits dans les rapports annuels du diocèse de Calcutta, Singh confesse avoir reçu
en l'orphelinat de Midnapore deux fillettes, qu'il n'a jamais délivrées dans la jungle lors d'héroïque combat contre les loups
qu'il inventera plus tard :
«Elles nous furent amenées et nous les prîmes en charge » 12
Le « sauvetage », par ses soins, des deux fillettes parmi le loups de la jungle n'était toujours pas en l'esprit de ce Tartarin du
Bengale le 15 novembre 1926, lorsqu'il reçu le correspondant du Statesman de Calcutta, qui publia son article le lendemain.
L'original, conservé au Département des manuscrits de la Bibliothèque du Congrès (Washington) objective bien que le
fameux Journal «tenu au jour le jour », consignant la rééducation des deux plus célèbres enfants-Ioups, est un faux document
rédigé en Inde après 1935, alors que les fillettes décédèrent en 1921 et 1929.
De nouveau trahi par ses propres mots, et ce dès 1923, Singh écrit que Kamala, qu'il présentera après son décès, en 1929,
12
Calcutta Diocesan Record, décembre 1921, vo 10, n° 9 ;la lettre de Singh est en pages 266-267 : « The were brought to us and
we took charge of them »).
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
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comme une fille carnivore aux longues canines acérées, une fille-fauve qui terrorise les autres orphelins en ouvrant grand les
machoires, une quadrupède luttant contre vautours et corbeaux pour dévorer des charognes, tiraillant les cadavres en tous sens,
« est » de nature douce… marche droit comme nous… n’est pas du tout féroce et non avide de viande crue »13
Pour assurer toute légitimité à sa fable, Singh reproduit, daté du 4 octobre 1934, un faux certificat à la fin de son faux
journal selon lequel le juge du district de Midnapore, M. Waight, assure qu’il a « étudié avec attention » l’ensemble des
matériaux et des témoignages relatifs à ces deux enfants loups.
Or, dans une correspondance que j’ai échangée en avril 1997 avec la fille du juge Waight, celle-ci me confirma que son père
n’avait jamais procédé à de telles investigations au sujet des « filles-loups », qu’il n’a au reste, jamais vues. Cette attestation
n’a pas été rédigée par le magistrat ou son contenu fut modifié, ce qui explique qu’elle eut été publiée à son insu».
4° Les conséquences philosophiques de la représentation des enfants
sauvages
a) La honte des origines
D’après un article de Philippe Brenot « Si les lions savaient parler : essais sur la condition animale » sous
la direction de Boris Cyrulnik.
Paul Gauguin laisse en cette fin du XIX ème siècle un testament pictural qu’il intitule :
D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Il représente cette interrogation qui tente de trouver la vérité de
l’homme en revenant aux sources, fussent-elles sauvages ou barbares :
«Moi je suis un sauvage, un loup des bois sans collier… l’animalité qui est en nous n’est pas tant à mépriser qu’on veut
bien le dire. »14
Le discours de l’origine apparaît comme une provocation à la doctrine créationniste qui régit le monde
occidental du XIXème siècle. Philippe Brenot relate dans son article que c’est tout d’abord une vision
animale de l’espèce humaine que propose Darwin en rappelant l’unité du monde biologique :
« (...)la disposition semblable des os de la main humaine, dans l’aile de la chauve-souris, dans la nageoire du marsouin et
dans la jambe du cheval ; le même nombre de vertèbres dans le cou de la girafe et dans celui de l’éléphant ; Tous ces faits et
un nombre infini d’autres semblables s’expliquent facilement par la théorie de la descendance avec modifications successives,
lentes et légères. »
13
Calcutta Diocesan Record, octobre 1923, vol 12
14
- Lettre à Daniel de Monfreid-Oct 1897
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
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La grande ancienneté de la Terre a ainsi permis la transformation des espèces mais aussi, et par
conséquent, l’apparition de nouvelles formes et l’extinction des anciennes :
« Les espèces nouvelles ont apparu très lentement, l’une après l’autre, tant sur la terre que dans les eaux. »
On a très gratuitement enveloppé de mystères l’extinction des espèces. Quelques auteurs ont été jusqu’à supposer que, de même
que la vie de l’individu a une limite définie, celle de l’espèce a aussi une durée déterminée. Personne n’a pu être plus que moi,
frappé d’étonnement par ce phénomène de l’extinction des espèces. » Darwin
P. Brenot nous dit encore que
« L’inévitable dimension projective de notre regard sur l’évolution animale transparaît dans ces lignes qui, à défaut
d’étonnement, peuvent susciter la crainte, mais aussi l’angoisse de la réalité matérielle et provoquer la vive réaction d’un
courant anti-évolutionniste. Mais c’est dans un second ouvrage, en 1871, que Charles Darwin précise la place de l’homme
dans la nature. Il commence ainsi son interrogation : « L’homme est-il le descendant modifié de quelque forme
préexistante ? » Il y répondra très clairement :
« La conclusion capitale à laquelle nous arrivons dans cet ouvrage, conclusion que soutiennent actuellement beaucoup de
naturalistes compétents, est que l’homme descend d’une forme moins parfaitement organisée que lui… Il est forcé
d’admettre… que l’homme descend, ainsi que d’autres mammifères, d’un ancêtre commun. » Darwin dans La descendance de
l’homme et la sélection sexuelle.
L’origine Darwienne de l’Humanité ne cessa d’être contre-versée, critiquée et refusée par les antiévolutionnistes. Philippe Brenot nous explique : l'impossible image de soi.
“On ne peut rien faire ni dire de nouveau sans mettre contre soi ce qui existe», écrit très à propos Paul Claudel dans son
Christophe Colomb. Et il est des vérités plus difficiles à entendre que d'autres, car elles touchent aux profondeurs de l'âme
humaine, au fondement de notre identité, peut-étre même aux souvenirs les plus enfouis dans la mémoire collective de l'espèce.
Qu'y a-t-il donc si insupportable dans cette image animale que nous renvoie le miroir de la nature?
C'est en premier lieu un vécu de déchéance que nous peint l'évolutionnisme en cette fin du XIX' siècle dans le contexte d'une
théorie de la dégénérescence que prônent alors anthropologues et psychiatres et qui assimile les fous, les idiots, les races
inférieures, la femme et les animaux. L'homme descendrait d'un ordre animal inférieur par l'intermédiaire de formes sauvages
dont la représentation dans l'imagerie populaire était alors une profonde atteinte à l'image de soi. Le terme sauvage qui
n'apparait qu'au XVIII" siècle dans le Dictionnaire de l'Académie illustre parfaitement cette notion d'être intermédiaire:
«Sauvage, se dit encore de certains peuples qui vivent ordinairement dans les bois, presque sans religion, sans loi, sans
habitation fixe, et plutôt en bêtes qu'en hommes.» Le danger de la dégénérescence, du retour à l'animalité est clairement
exprimé comme une menace suspendue au-dessus d'une humanité fautive. En 1872, dans son Dictionnaire étymologique
historique et grammatical de la langue française, Émile Littré donne les trois qualificatifs que l'on attribue au sauvage :
animal, bête et brute. «Ces expressions appliquées à l'homme sont des injures indiquant : animal, que l'hornme a la
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
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grossiereté et la rudesse de l'anima l; bête, qu'il en a l'ineptie, l'inintelligence, l'absence de raison; brute, qu'il en a l'aveugle
brutalité, avee l'impétuosité féroce et la licence effrénée.(...)
Animal est donc une injure, une humiliation, une honte, une bassesse, une déchéance pour l'homme ou la femme du XIXè
siècle à qui l'on révèle cette origine naturaliste du genre humain. Le fossé était alors encore trop grand entre la science
novatrice et les mentalités blessées dans leur identité profonde. On peut également rappeler que c'est l'époque des grands
voyages et des premiers ethnologues qui ramènent des images primitives et archaïques d'un monde colonial asservi.
L'homme blanc s'est forgé un empire dont il est le seul gardien et sur lequel il règne en maitre à l'image du Créateur, sans
partage mais sans mélange. Dès lors, comment accepter une origine commune à toute l'humanité sans proximité ni
promiscuité ignominieuse? (...)
Le fossé entre l'homme et le monde animal ne se creusera enfin "'que plus tard dans l'histoire de l'humanité comme dans celle
du petit homme :
«C'est seulement lorsqu'il sera devenu adulte qu'il se sentira si étranger a l'animal qu'il pourra injurier l'homme en
invoquant le nom de l'animal”15. (...)
En1868, Haeckel le premier a mis l'accent sur la profonde similitude des deux révolutions de la connaissance: «De même
que Copernic détruisit l'erreur géocentrique... l'application déjà tentée par Lamarck de la théorie généalogique à l'homme
renverse la conception anthropocentrique, cette vaine illusion, suivant laquelle l'homme est le centre de la nature terrestre...»16
(...)
La honte des origines se double d'une humiliation publique, celle du débat de la science qui se fait au grand jour. La
physique, la biologie puis la psychanalyse ont ainsi contribué tour à tour a cette humiliation narcissique de l'humanité pour
laquelle la révélation de son animalité est vraisemblablement le terme qui suscitera le plus de résistances et de débats publics.
Il touche au fond de l'âme à l'image intime, au regard en miroir, à l'impossible image de soi.
Métamorphose, transformation, déformation, dénaturation, perversion, contrefaçon, dégénérescence, aliénation, toutes ces
pensées insupportables s'associent librement dans notre esprit pour déclencher un sentiment de malaise qui touche
profondément à notre identité. Le rejet de l'animalité et la honte des origines semblent ici très proches de l'angoisse de
dépersonnalisation, cet affect très puissant qui saisit l'animal humain aux limites de lui-même, dans la psychose, alors même
qu'il ne se reconnaît plus. »
15
. Freud Une difficulté de la psychanalyse (1917), in L’inquiétante Etrangeté et autres essais, Gallimard, 1985.
16
. Haeckel, Histoire de la création, P 561
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
23
b) Michel Suffran « L’Hypothèse Fragile »17
« L'Humanité, non plus, n'est peut-être pas née humaine... Faut-il rappeler ici que, dans la vision teilhardienne,
«l'hominisation» s'inscrit naturellement dans la cosmogénèse : il n'existe pas d'une part la matière et de l'autre l'esprit, d'un
côté l'animalité instinctive et de l'autre la conscience réfléchissante, mais un immense mouvement ascensionnel de
spiritualisation. Seule différence, mais capitale, avec le postulat quelque peu «béhavioriste» de Vercors : pour Teilhard,
l'Essence précède l'Existence et l'Humanité, c'est-à-dire la nature humaine est plus vraie que les hommes, car elle continue à
progresser alors que l'individu semble stabilisé. Cette même exigence vitale imprègne et dynamise «l'évolution créatrice» dans
la conception bergsonienne.
Le véritable «phénomène humain», c'est sans doute la capacité de s'interroger indéfiniment sur son identité, non seulement en
tant qu'individu isolé mais en fonction de son appartenance à une espèce. Interrogation que ravivent, de façon cruciale, les
actuels problèmes de biogénétique. De toute façon, I'Homme ne sera jamais le produit d'une réponse, mais le fruit de cet
incessant questionnement. En ce sens, la spécificité animale demeure, qu'on la récuse ou l'admette, le seul étalon de notre
mesure humaine, miroir ou repoussoir tour à tour. «S'il n'existait point d'animaux, écrit Buffon en préalable à sa
monumentale Histoire naturelle, la nature de I'Homme serait encore plus incompréhensible.»
C'est ce que nous refusons d'affronter qui risque de nous détruire : dans les marais du delta de Camargue, le gardien du récitpoème de Joseph d'Arbaud, La Bête du Vaccares, finit par reconnaître en la créature animale qu'il affronte, l'empreinte d'une
divinité déchue , la divinité première de I'Homme, qui sait ?
La honte des origines se serait progressivement effacée, « normalisée» ou «sublimée» selon la tendance scientiste ou
spiritualiste dominante, si elle ne s'était trouvée constamment ravivée par la blessure ouverte d'un vécu permanent et
lancinant, un choix fondamental qui déborde de loin et de haut les règles étroites du jeu social ou moral. Peu importe dès lors
si la notion de péché originel, que Jacques Riviere situait au coeur de l'imbroglio humain semble, pour l'heure, jugée
irrecevable - et avec elle l'antique combat de la Nature et de la Grâce dont le Salut serait l'enjeu.
Le problème n'en reste pas moins crucial : moins qu'à un «animal dénaturé» l'homme contemporain ressemble sans doute à ce
«monstre incomparable» qui fascinait Malraux, cet autre lui même qu'il sent à ses côtés sans avoir la force ou la volonté de le
regarder en face. »
Les cas d'enfants sauvages a donc joué un rôle très important dans la remise en cause de l'idée de
nature humaine, la compréhension de l'historicité radicale de l'homme semble résumée dans la formule
satrienne «L'existence précède l'essence »18
Mais si l'homme a besoin d'un milieu pour actualiser ses possibles qu'il réalise au sein de sa liberté, celle-
17 Michel Suffran dans « L’Hypothèse Fragile », in Essais sur la condition animale, Gallimard
18 Sartre. L'existantialisme est un humanisme.
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
24
ci doit le conduire à être autre chose que le produit de son environnement.
Les enfants sauvages donnent à voir un homme déterminé par son milieu, mais pas seulement. La
résistance de leur humanité nous conduit à nous interroger sur un au-delà,
sur un processus
d'inviduation garant de l'identité.
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
25
II
- N OTRE
H ISTOIRE
1° L'auteur
a) La question de la commande
Fort de la complexité des problématiques liées au cas des enfants sauvages, s'impose la création d'un
propos singulier, mettant en scène chez l'enfant sauvage les passages entre animalité et être pensant.
Une commande d'écriture a été passée à l'auteur Timothée de Fombelle, car comme l'exprime Betty
Heurtebise dans sa note d'intention :
« La rencontre avec Timothée de Fombelle est apparue comme une évidence puisqu’il s’agissait d’écrire une histoire sur le
thème des enfants sauvages, mettant en confrontation le mythe et la réalité. Ce point de vue dramaturgique n’avait pas trouvé
d’existence dans la littérature jeunesse contemporaine. La commande d’écriture devenait essentielle.
Mais plutôt qu’une simple commande d’un texte, l’idée même de compagnonnage annonçait une étroite complicité tout le long
de la création suscitant des allers retours entre l’auteur, la metteur en scène et l’équipe artistique. Cette dimension nouvelle a
permis d’engager l’écriture dans un processus de travail partagé laissant du temps et de l’espace. Elle facilite la réalisation
d’un projet singulier en parfaite adéquation avec les univers de chacun. La création Les enfants sauvages s’invente entre mythe
et réalité.»
b) Entretien avec l’auteur
Quel a été ton rapport à la commande dans ce travail d'écriture ?
Le plaisir de la commande, c'est d'entrer dans le désir des autres. Un thème, des talents différents, des envies différentes...
On se retrouve à jeter des ponts, à rendre les contraintes les plus fécondes possible. Ici, la commande était dans un titre qui
m'était donné. Le collectif avait finalement de l'avance sur moi, puisqu'ils y pensaient depuis un certain temps, mais
j'arrivais avec peut-être une fraîcheur nécessaire. Mon but était surtout de laisser beaucoup d'espace autour de mes mots pour
que chacun (mise en scène, image, son, scénographie, musique, jeu des acteurs) puisse y glisser une liberté au moins égale à la
mienne. Le deuxième temps est celui de la discussion, du débat, de l'expérimentation autour de mon texte. On le met à
l'épreuve, on le met en pièces. C'est passionnant. On réoriente mes mots comme on le ferait d'un comédien ou d'un projecteur.
"Plus à gauche ! Moins fort !". Il faut alors trouver l'équilibre entre l'écoute et une vigilance sur la fidélité à ce qui fait mon
écriture. Mais le plus important repose sur la confiance.
Quelle a été ton entrée concernant cet « acte civilisateur », incarné notamment par Cazard ?
Bien sûr, il y a une grande richesse des écrits, des films ou des pièces sur le sujet. Ce sont autant d'entrées que j'aurais pu
emprunter. Notre pièce Les enfants sauvages est comme une "variation sur un thème". Elle ne se veut ni la synthèse, ni même
notre réponse à cette question d'une "rééducation" des enfants qui ont grandi à l'état sauvage. Comme d'habitude quand je
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
26
travaille sur un sujet qui a une réalité historique ou clinique, ma démarche a donc été de me documenter, puis de tout oublier.
Très vite, je dois mettre en premier l'imaginaire. En fait, il suffit de mettre en présence l'enfant sauvage et l'homme civilisé,
puis de regarder ce qu'il se passe.
Comment as tu abordé la question du langage dans le dessin de ces deux enfants sauvages?
L'idée était que le langage des enfants sauvages serait forcément une création. Je voulais franchir le mur de leur silence. Il
fallait se mettre dans la peau d'une sorte de traducteur. Traduire en mots ce que les personnages ne devraient pas pouvoir
formuler. On en arrive à une espèce de sous-titrage poétique de leurs envies, de leurs peurs. Leur langage se distingue
forcément des codes de la civilisation dans laquelle ils sont plongés. Ce que je remarque, c'est que ce travail du langage est
finalement toujours présent dans l'écriture d'une pièce. La parole théâtrale est toujours une succession de traductions.
2° L’écriture collective
a) « Le travail à la table »
Dans la construction d'une création théâtrale, il y a une étape et que l'on nomme « le travail à la
table » et qui correspond à un travail de réflexion dramaturgique, dans lequel en général est envisagé le
rapport du texte au jeu d'acteur.
Pour les Enfants sauvages, les lectures « à la table » ont permis de réaliser une écriture collective autour
du texte.
Il s'agit d'adapter, en lien l'auteur, l'écriture au fur et à mesure des rencontres avec l'ensemble de l'équipe,
pour aboutir à une histoire qui s'appuie sur tous les éléments de la mise en scène (projection vidéo,
scénographie, jeu des acteurs...).
Dans cette écriture progressive les mots sont repris, malaxés ; le texte devient une matière qui se déploie
au fil des discussions, des lectures et des mises en espace.
Les personnages ont ainsi suivi une évolution certaine qui leur permet, par leur complexité et
ambivalences, de ne pas être réduit à leur archétype.
Entre réaliste et onirisme, cette histoire est celle d'un mystère, qui se dévoile ici par le lien entre un frère
et une sœur ; ce lien est brisé par un personnage, celui de l'instituteur Cazard qui incarne la figure
« civilisatrice ».
b) Extraits de textes
Quelques extraits de textes :
La soeur
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27
Chant incantatoire après la capture de son frère
ELLE:(...)Ils auront peur. Ils auront peur. Moi aussi, je peux plier les arbres sur eux. Je les enfermerai
dans dix saisons de neige. Le vent, les ouragans d’insectes. Je peux jeter ce monde sur eux. Je suis là. Ils
seront dans la boue de leurs larmes. Ici leur cri de peur fera trembler les arbres. Il n’y aura plus de carrés
de lumières. Je les couvrirai de nuit, de feuilles mortes. Je suis leur piège. Je viendrai avec la pluie. Je
viendrai avec les bêtes, les oiseaux, la neige. Enlève tes larmes pour que je te reconnaisse quand je
viendrai. Je suis un piège sauvage. Je te sortirai de la nuit avec mes mains.
Pendant que son frère apprend, sa présence.
ELLE Toi, tu me regardes sans me voir. Est-ce que tu te souviens de moi? Tu te souviens? Tu ne grondes
même pas comme leurs bêtes quand je suis là, derrière le carré de lumière. Je voudrais que la nuit ne
s’arrête pas alors je ferme les yeux. Je les rouvre pour te voir debout, à côté de lui, faire des traces
blanches sur le mur noir avec tes doigts. Je voudrais faire un trou pour entrer dans la lumière. Je veux
être là aussi, faire des traces blanches avec les doigts. Je suis seule. Et quand ta lumière s’éteint, je suis
seule. Je sais que le jour va venir. Je monte dans un arbre. J’essaie de dormir. Quand le jour s’allume, on
dirait qu’il n’a pas de fin. Est-ce que tu te souviens de moi ?
Cazard
(...)La chasse ! Je propose la chasse. Pour que cette errance s’arrête, pour que cesse la violence de la
clandestinité, pour que cette enfant puisse rejoindre les vôtres sur les bancs de l’école, il faut la trouver et
la capturer. De même qu’on traque les baleines qui s’égarent dans l’embouchure des fleuves pour les
rejeter dans leur milieu naturel, la mer, de même il faut repêcher cette petite créature pour la rendre à
l’enfance et à la civilisation. Demain, avant le coucher du soleil, nous serons quarante à l’attendre dans
les bouleaux de la lisière. Je compte sur vous.
Plus tard...
VOIX DE CAZARD: L’hiver est venu, avec ses murs de neige. L’odeur de feu de bois remplit le village.
Les gens s’enferment pour boire du thé et raconter des histoires entre eux. On ne me parle plus. On
parle de moi. J'ai perdu tout espoir. L’enfant demeure plus sauvage et plus menaçant qu’un sanglier
blessé. J'ai commis des erreurs.
Le frère
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
28
LUI : Ils m’ont attrapé. Ils sont nombreux. Ils criaient. Autant d’autres-comme-nous que dans un nuage
d’oiseaux. Il y a des petits et des grands. Ils m’ont mis dans un endroit dur comme de l’arbre.
Maintenant, il y a celui-là qui me poursuit avec des choses dans ses mains. Il fait du bruit avec sa bouche.
Du bruit. Il n’arrête pas. Il tient des choses dans ses mains. Je veux partir de là. Viens me chercher. Ils
m’ont attrapé. Où es-tu ? Viens, viens. Je t’avais dit. Je t’avais prévenue. Je veux tenir tes mains. Quand
je me cache les yeux, je suis un peu tranquille, j’ai moins peur. Celui-là, je ne sais pas ce qu’il veut de
moi. Je voudrais que tu sois avec moi. Quelque chose me fait mal dans moi. Quelque chose me fait si
mal. Tu ne viendras plus ?
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
29
III
- L A
C RÉATION
1° « Avant la parole » de Betty Heurtebise
Avant la parole.
La parole est ce qui nous permet de faire circuler les idées, un imaginaire. Elle porte un monde qui doit
laisser une place à la découverte, à l’ouverture. Suivre cette intuition de ne pas remplir un espace mais
bien au contraire faire apparaître un espace qui laisse place à l’imaginaire. Eviter le trop pour atteindre
cette épure proche de la clarté du juste.
Chercher la transparence des présences pour qu’elle devienne la plus réelle des apparences. Proposer un
théâtre du visible et de l’invisible pour rendre les espaces mouvants , flottants, dégagés de réalisme.
S’approcher des « imaginations matérielles » si savantes de Gaston Bachelard, pour rêver la matière.
« Le monde est beau avant d’être vrai. Le monde est admiré avant d’être vérifié. Toute primitivité est onirisme pur »19
Créer une distance dans le jeu et jouer des contraires. S’éloigner du convenu pour atteindre le mystère :
transposer la pièce dans un monde attaché au fantastique et à une forme de réalité, faire exister sur scène
un conte cruel et étrange qui laisse cependant échapper la légèreté d’un souffle, une main tendue.
« Faire entendre une parole vierge de tout. Une parole avant que la parole existe »20
Partir du rien pour chercher la résonance de l'acteur ; la présence tient à la fusion de la voix et du corps ;
la voix ne peut-être travaillée isolément du corps. Comment appréhender la corporalité sans pour
autant verser dans une représentation animale des corps ? Il ne s’agit pas de jouer l’animalité mais de
rechercher l’essence de mouvement dans son rapport à la nature. Les enfants sauvages sont une figure
hybride d’animalité et d’humain.
Inventer un langage pour une poétique de l’espace.
2° La projection vidéo à partir de la note d’intention du collectif Sur le toit
a) Le point de vue de l’image : la question de l’interprétation de l’histoire
Il s'agit de confronter des interprétations des uns et des autres d’une même histoire. Il faut distordre les
points de vue : ce qui est raconté n’est pas forcément ce que l’on voit, ce que perçoit le garçon n’est pas
ce que perçoit Cazard.
Il y a ce qui est dit, avec le texte, la narration et, en contre point, ce qui est en jeu, avec le reste, et
notamment la vidéo. Le glissement d’une réalité à un espace mental.
Se croisent différents niveaux de lecture pour les spectateurs, sans que s'impose une vision.
Dans le sens des personnages qui sont multiples facettes, l'image joue sur les contraires, les contrastes.
19
L’air et les songes .de Gaston Bachelard Librairie José Corti
20
L’ordre des morts. de Claude Régy- éditions Les solitaires intempestifs
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
30
b) Premiers éléments de traitement : l'évocation plutôt que l'explicite.
La vidéo n’est pas illustrative. On s'appuie sur la sensation, le climat, l’atmosphère. On est dans la
matière, la texture graphique et non la représentation.
L’image doit se fondre, sans donner l'impression d'une projection sur un écran. L'espace se dessine, se
module, se déconstruit et se transforme, selon une représentation sous des angles divers, juxtaposées ou
enchevêtrées faisant abstraction de la perspective, à l'image des travaux de Kandinski.
c) Statuts de l’image
Le premier statut est une représentation du monde intérieur de chacun des personnages : vibration,
pulsation, émotion, sensation, projection des imaginaires....
Chaque personnage a une sorte de bulle autour de lui, une zone qui n’est pas forcément cernée, qui
s’écoule de lui.
Ainsi on introduit une notion de rythme attaché à chaque personnage, comme une vibration
permanente. Il est possible de jouer sur différents types de représentations graphiques, de formes
(organique, chaotique, structurée…)
Il est important que chacun des trois personnages ait sa propre vibration. Cela permet de donner la
convention, mais aussi de confronter les mondes intérieurs, de mettre en évidence l’incompréhension des
langages.
A l’intérieur de la bulle, les choses se transforment.
Ces trois univers sont distincts, identifiés, identifiables. On joue ainsi sur la présence d’un personnage,
même s’il n’est pas physiquement présent sur le plateau.
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
31
croquis d’intention (scène vue de dessus)
Le second statut est une indication sémantique de décor, qui permet de situer la forêt, l’espace de
l’enfermement, mais aussi les éléments naturels comme la pluie, la neige, l’eau et le vent.
3° Scénographie, lumière et costumes
a) La scénographie
La scénographie est constituée par un plateau qui travaille le vide, en permettant des jeux
d’apparitions et de disparitions. Un système de trappes offre une circulation différente au niveau des
entrées et sorties. L'idée de cet espace est avant tout d'être un support pour la projection et la lumière :
réduit au minimum, les éléments scéniques n'en sont que plus signifiant.
Non situé dans le temps, cette scénographie ouvre sur un espace mental, onirique, qui articule la
temporalité du mythe à celle plus évidente du présent, que l'on retrouve par exemple dans les éléments
concrets telle que la chaise et le verre de lait.
Un plateau donc lieu de toutes les projections et fantasmes, dessinant dans les interstices du vide
l'éblouissement d'une nature ; dévoilement et souvenir de notre propre nature qui est ici contée et donc
idéalisée.
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
32
b) La lumière / Jean-Pascal Pracht
« Le travail de la lumière s'impose à moi. Je le considère en tant qu'élément de mise en scène évident et
invisible, influençant le regard du spectateur à son insu. J'aborde globalement la création en travaillant
les matières données, texte, dramaturgie, mise en scène scénographie, corps, jeu, comme autant de
contraintes, d'ouvertures à des interprétations plutôt intuitives.
La lumière n'est rien sans la matière, elle navigue entre ombre et clarté, du global au détail en jeu
d'oppositions permanents. Elle n'est pas source mais révélateur de l'objet qu'elle traverse.
Dans "Les enfants sauvages" on retrouve le jeu d'opposition entre sauvage et civilisé, sombre mais
protecteur, lumineux mais surexposé.
Inversement, pour l"homme social" la clarté est salvatrice, l'ombre effrayante. Les mouvements de l'un à
l'autre révèlent les intentions profondes. »
c) Les costumes/note d'intention de Fabienne Varoutsikos
Les Enfants Sauvages, costumes, premières impressions et réflexions sur les orientations possibles…
« On est sur le thème du Conte, du Mythe. Le vêtement du Conte ? Une époque « hors temps » issue de
l’imaginaire de la fin du 19° siècle. Une distance avec la réalité des mots. Le mythe des enfants sauvages .
Deux enfants, un garçon, une fille. Ils sont sauvages, c’est à dire pas civilisés.
La logique voudrait qu’ils soient nus. Nous sommes dans le mythe, dans le conte. Pas dans la réalité.
Choisir un imaginaire , un ailleurs, une référence historique non figée, qui suggère ailleurs et ici, il était
une fois, il y a longtemps et pas si longtemps que ça…
Rêver à Cazard.
C’est un instituteur, il a une place prépondérante dans sa communauté, il est l’enseignant, il a la
confiance de chacun . Il peut prendre la parole en public, il est écouté.
Quand il suggère que cette enfant aperçue doit être capturée pour son bien, les villageois le suivent. Il va
perdre cette confiance en ne réussissant pas sa mission de civilisateur.
C’est un homme respectable, mais pas un riche bourgeois, il vit dans un village, pas à la ville.
Veste, pantalon, gilet, chemise, godillots, une ligne d’inspiration début du 20° siècle, cravate, écharpe
tricotée…pas abîmé, mais pas flambant neuf, « digne ».
Les enfants.
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
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Pas de peau de bête. Les animaux sont des alliés ou un danger. Porter des peaux de bêtes signifierait
qu’ils portent des animaux morts sur leur peau. Pas nus. Quoi alors qui soit de l’univers du Conte et qui
soit le plus proche de « rien » ?
La base.
Elle au féminin : une simple robe.
Lui au masculin : un simple pantalon.
Coupes simples, confortables, matières et couleurs brutes et naturelles.
Un manteau pour Elle, Chaman inspirée en relation avec les éléments.
Un manteau ample, souple, mouvant, protecteur et dont les bras peuvent émerger nus pour convoquer
les forces naturelles qui sont ses alliées.
Des matières naturelles pour ce manteau, superposition de lins, cotons, tissages différents,
Morceaux superposés, assemblés ensembles, matelassés ou laissés libres… Couleurs de forêt, futaie,
mousses et lichen…
Elle aux aguets peut devenir rocher ou taillis.
Un costume identique à celui qui voudrait être son mentor, pour Lui.
Cazard souhaite plus que tout modeler cet enfant capturé à l’image qu’il se fait d’un être civilisé, les
codes des costumes identiques nous aident à raconter ça.
Lui peut mettre par moment des éléments de ce costume, son pantalon avec des godillots.
Peut-être met-il à un moment la veste sur son torse nu, peut-être Cazard lui prête-t-il son écharpe
tricotée…
Il est clair que pour chacun la façon de mettre, d’enlever, de verrouiller un ou plusieurs éléments de
costume accompagnera le sens de ce que l’on souhaite exprimer, au fur et à mesure de l’évolution de
chacun.
J’ai commencé un pointage de ces évolutions, mais nous avons besoin des costumes et des répétitions
pour l’expérimenter. »
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
34
IV
- B IBLIOGRAPHIE
-
Les enfants sauvages – Mythe et réalité, par Lucien Malson, suivi de Mémoire et rapport
sur Victor de l’Aveyron par Jean Itard - Union Générale d’Editions, collection 10/18
-
Le douloureux secret des enfants sauvages, par Natacha Grenat, éditions La compagnie
littéraire, 2006
-
L’Enigme des enfants-loups par Serge Aroles
Une certitude biologique mais un déni des archives 1304 – 1954, éditions Publibook
-
La légende de Romulus et Rémus, et les loups - Encyclopédie Grand Larousse Prestige,
1970 (Volumes 3 et 20)
-
L’enfant sauvage de l’Aveyron – Evolution de la pédagogie, d’Itard à Montessori
Par Harlan Lane - Bibliothèque scientifique Payot, 1979.
-
Victor de l’Aveyron Dernier enfant sauvage Premier enfant fou, par Thierry Gineste - Le
sycomore, 1981
-
L’enfant sauvage de François Truffaut - L’avant-Scène – N° 107 – Octobre 1970
-
Le journal des enfants loups de Midnapore, Indes. L’homme en friche - De l’enfant loup
à Kaspar Hauser par J.A.L. Singh et R.M. Zingg - Editions Complexe, 1980
-
L’évolution créatrice par Henri Bergson, PUF, 1941
-
L’enfant sauvage du Burundi : Histoire d’un enfant perdu, par Harlan Lane - Inter éditions,
1980
-
La forteresse vide par Bruno Bettelheim, Gallimard , 1969
-
Sous le signe du lien Une histoire naturelle de l’attachement, par Boris Cyrulnik
Histoire et philosophie des sciences, Hachette, 1989
-
Si les lions savaient parler, Essais sur la condition animale
sous la direction de Boris Cyrulnik , Editions Gallimard, 1998.
-
Nature, culture et société – Les structures élémentaires de la parenté, Chapitre I et II par
Levy-Strauss, Editions Flammarion
-
La sociologie du corps, editions PUF
Des pièces de théâtre :
-
« Gaspard » de Peter Handke
-
« Le babou ou l’enfant sauvage » de Bruno Castan – Très Tôt Théâtre
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
35
Contes et romans :
-
Le livre de la jungle de Rudyard Kipling, gallimard pléiade, 1992
-
Victor, l’enfant sauvage par Marie-Hélène Delval
J’aime Lire –Bayard Poche
-
L’enfant du pays barbare, de David Malouf – Lieu Commun, 1983
-
L’enfant dans le placard, de Othilie Bailly
Editions du Rocher, 1989 (très directement inspiré d’un fait divers).
-
Les enfants du loup, de Jane Yolen
Bibliothèque de l’amitié, diffusion Hatier, 1984
(Un roman pour la jeunesse à partir de 11 ans, inspiré de l’histoire d’Amala et Kamala, les filles loups).
Films :
- Miracle en Alabama, de Arthur Penn, 1962 - (copie en VO sous-titrée seulement)
- L’enfant sauvage, de François Truffaut, 1970 – cf lien pour un dossier pédagogique :
http://www.cndp.fr/Tice/teledoc/dossiers/dossier_sauvage.htm
- L’énigme de Kaspar hauser, de Werner Herzog, 1975 - (VOST seulement)
- Ce gamin-là, de Renaud Victior, 1975
- Greystoke, la légende de Tarzan de Hugh Hudson.
- Nell, de Michael Apted, 1995
- Into the wild, de Sean Penn, (VO – pour Lycéens seulement)
- Un opéra–rock enregistré sur disques, Tommy, de Pete Townshend, par The Who, chez Polydor
(la bande son du film)
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
36
Pistes
p édagogiques
I – Découvrir l’auteur à travers ses différentes œuvres « Tobie Lolness », « Céleste ma planète » « Le phare ».
II – Récits d’enfants sauvages : « Victor , l’enfant sauvage » J’aime Lire , « Le livre de la jungle » Kipling,…
Quelles lectures possibles pour les enfants Cycle 3 - Collège ? :
-
la lecture que l’enseignant peut lui-même en faire à haute voix, notamment des passages
complexes
- la lecture silencieuse et parcellaire par les élèves en classe (passages ciblés)
- le résumé partiel que l’enseignant peut dire ou donner à lire ;
- la lecture à voix haute des élèves (lecture préparée en classe/à la maison).
La lecture à haute voix des élèves est une modalité du parcours des textes, elle peut être aussi une fin en
soi : l’interprétation, la récitation, voire la mise en scène peuvent se faire en liaison avec les activités
artistiques.
Des activités possibles :
-
Réaliser la carte d’identité : enfants sauvages (du point de vue du mythe ou d’une réalité)
-
Découvrir des points de vue sur le thème (conte « Le livre de la jungle », Extraits de journaux
‘Docteur Itard, J.A.L Singh,… , articles de journaux,..)
-
Choisir une séquence de la capture dans différents récits.
-
Représentation des enfants sauvages (Imagerie,..)
-
Inviter les enfants à exprimer ce qu’ils ressentent en écoutant les récits d’enfants sauvages.
-
Débattre des notions nature/culture : Où se situe l’enfant sauvage entre humanité et animalité.
-
…
Des points de vue d’enfants sauvages :
« L’enfant sauvage » de François Truffaut : Dans le prolongement de cette démarche, la
projection du film de François Truffaut constituera une expérience essentielle, permettant aux élèves de
repérer, d'apprécier, de réagir à la version cinématographique d’un récit d’enfant sauvage.
Dossier d’accompagnement LES ENFANTS SAUVAGES
37
V
- A NNEXES
Extraits du journal du Docteur Itard
Itard va alors proposer différentes « vues » sur l'enfant qui se décline au fil du temps.
Résumons les en suivant le propos de Natacha Grena:
« La première vue veut attacher l' enfant sauvage à la vie sociale, en la lui rendant plus douce que celle qu' il menait alors, et
surtout en la lui rendant plus analogue a celle qu'il venait de quitter:
Un changement brusque dans sa manière de vivre, les fréquentes importunités des curieux, quelques mauvais traitements,
effets inévitables de sa cohabitation avec des enfants de son âge, semblaient avoir éteint tout espoir de civilisation. Sa pétulante
activité avait dégénéré insensiblement en une apathie sourde qui avait produit des habitudes encore plus solitaires.
L'enfant est plus taciturne et Itard décide d'user envers lui de bons traitements et de ne pas le brusquer par rapport à ses goûts
et ses inclinaisons.
Le médecin raconte que l' enfant ne sait rien faire d'autre que quatre choses: dormir,. manger, ne rien faire et courir les
champs. La grande passion de Victor est de regarder le temps, observer un orage, courir dans le vent (...) et généralement son
attitude devient extrêmement joyeuse :
Si alors un vent orageux venait à souffler, si le soleil caché derrière les nuages se montrait tout a coup éclairant plus vivement
l' atmosphère, c' étaient des éclats de rire, une joie presque convulsive pendant laquelle toutes ses inflexions, dirigées d' arrière
en avant, ressemblaient beaucoup à une sorte d'élan qu' il aurait voulu prendre pour franchir la croisée et se précipiter dans le
jardin »
Cette poésie du récit, qui transparaît dans la valeur accordée aux éléments, a inspiré le travail de la
pièce, notamment dans sa recherche esthétique sur les images.
« La seconde vue et le second chapitre sont celui ou Itard explique comment il a voulu réveiller la sensibilité nerveuse de
Victor par des stimulants énergiques et quelquefois par les plus vives affections de l' âme. Itard commence par la sensibilité
des organes de Victor: il recommence par parler du toucher et raconte que l' enfant se vautre dans la neige, qu'il peut rester
exposé au froid sans bouger, qu'il ne souffre pas de la chaleur. Il continue avec l'odorat, et dit que le tabac, même posé dans la
cavité intérieure du nez, ne provoque aucun éternuement. Le médecin parle finalement de l'ouïe, et dit qu'elle est
particulièrement développée. En effet, si quelque chose de comestible était cassé près de lui, il se retournait immédiatement,
alors qu'il restait indifférent à un coup de feu ou à tout autre bruit fort, sans rapport avec de la nourriture.
Itard veut faire développer les sens de Victor. L'enfant ressentait déjà à cette époque la joie et la colère. Son goût s'affina, bien
qu'il gardait une nette préférence pour des aliments simples comme l'eau, les légumes, ou les glands. (...)
La troisième vue a pour but la volonté d'étendre la sphère des idées en donnant a Victor des besoins nouveaux, et en
multipliant ses rapports avec les êtres environnants. Victor déteste les jouets et n' en est pas intéressé. Un seul jeu semble
l'amuser, celui des trois gobelets, sous l'un desquels ltard place, au début, un marron puis peu a peu des objets
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interchangeables, toujours avec autant de succès.
Les sorties devinrent pour l' enfant sauvage, de vrais plaisirs et surtout de vrais besoins. Quand Itard emmena Victor à la
campagne, dans la vallée de Montmorency, ce fut l'une de ses plus grandes joies. Ce dernier semblait ne pas pouvoir se
rassasier de la nature. Et l'auteur nous dit:
Il passa deux jours à cette maison de campagne ; telle y fut l'influence des agents extérieurs de ces bois, de ces collines, dont il
ne pouvait se rassasier la vue, qu’il parut plus que jamais impatient et sauvage et qu' au milieu des prévenances les plus
assidues et des soins les plus attachants, il ne paraissait occupé que du désir de prendre la fuite. (...)
La quatrième vue vise à conduire Victor à l'utilisation de la parole, en déterminant l'exercice de l'imitation par la loi
impérieuse de la nécessité. Introduisant ce chapitre, Itard parle d'un échec et dit de Victor:
On conçoit aisément qu' au milieu des forêts et loin de la société de tout être pensant, le sens de l'ouïe de notre sauvage
n’éprouvait d'autres sensations que celles que faisaient sur lui un petit nombre de bruits, et particulièrement ceux qui se liaient
à ses besoins physiques. (...)
La cinquième vue et dernier chapitre du premier mémoire, est le fait d'exercer sur les besoins physiques de Victor les plus
simples opérations de l'esprit et d'en déterminer ensuite l'application sur des objets d'instruction. Victor par des efforts de
mémoire réussit à compléter les expériences, que Itard lui fit passer. Il réussit au bout d'un certain temps a comprendre et à
composer le mot LAIT, avec des lettres. Ceci est la dernière épreuve et réussite de Victor et de son professeur racontée dans le
premier mémoire.
Biographie du docteur Itard
Jean Marc Gaspard ltard est né le 24 avril 1774 dans les Basses-Alpes. Il entre ensuite au collège de Riez,
puis étudie le droit. Sa passion pour la médecine naît par hasard, et iI suit les leçons de Larrey, professeur
d'anatomie. Ce dernier l'appelle au Val de Grâce en 1796. Là, ltard passe un concours de chirurgien et le
réussit. A la suite d'un accident, le directeur de I'lnstitut pour Sourds et Muets, l'abbé Sicard (successeur
de l'abbé de I'Épée) fait appel à Itard et le 31 décembre 1800, lui propose d'en devenir le médecin-chef.
ltard a 25 ans et prépare une thèse qu'il présentera en 1803. II accepte le poste et s'occupe du « Sauvage de
l'Aveyron ». Il publiera deux mémoires sur l' enfant ou « rapports médicaux ». Le premier est daté de 1801
alors que le second plus tardif de 5 ans, résume tous les progrès de Victor.
Itard, jusqu'à sa mort, le 5 juillet 1838, essaye d' aider par ses recherches, les enfants et les personnes
sourds et muets, publiant plusieurs ouvrages et des rapports mais surtout en travaillant à 1'institution.
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Portrait de Timothée de Fombelle
Professeur de Lettres, il se tourne tôt vers le théâtre. Il crée en 1990 un compagnie théâtrale pour
laquelle il écrit des pièces qu’il met lui-même en scène. Sa pièce, Le Phare, créée en septembre 2001 au
Théâtre du Marais, mise en scène par Nicole Aubry, avec le comédien Clément Sibony, est lauréate du
Prix du Souffleur 2002 et des Journées d’auteurs de théâtre de Lyon. Elle a aussi été présentée lors de la
Journée des écritures contemporaines organisée et diffusée par France-Culture au Festival d’Avignon
2002. Elle est traduite en plusieurs langues et a été jouée en Russie, Lituanie, Pologne et au Canada. Il
collaborera à sa traduction en anglais, lors de la Banff Play Rites Colony, au Canada, en 2004.
Je danse toujours, est lue à Texte Nu, lors du Festival d'Avignon 2002 puis au théâtre du Rond Point ; elle
est éditée chez Actes Sud en 2003. Il met en scène sa pièce Rose Cats au Théâtre du Renard en janvier
2004, pièce qui a reçu l'Aide à la création du Ministère de la Culture en 2004. Vango, une pièce écrite
pour sept comédiens, est en cours de montage, ainsi qu’un spectacle réunissant boxe et jazz autour du
boxeur Freddy Saïd Skouma. Il écrit La Baignoire et les deux chaises, feuilleton théâtral de 15 auteurs,
pour le théâtre du Rond-Point, en 2005.
Timothée de Fombelle écrit aussi pour la radio (La mouche du Pharaon, France-Culture, 2003), Je sais
tout, France Culture 2006), et pour des événements théâtraux comme le Mois Molière à Versailles en
2003 (texte publié à l’Avant-Scène Théâtre).
En 2006, il se tourne vers un premier roman avec Tobie Lolness, qui rencontre un grand succès. La
trilogie Tobie Lolness narre les aventures de Tobie et de ses proches - créatures d'un millimètre et demi vivant dans un arbre-monde. Un grand roman d'aventure, d'amitié et d'amour. Un roman passionnant,
plein de rebondissements et aux personnages attachants. Un univers profondément original, très
imaginatif et très cohérent.
Une belle écriture personnelle, inventive, poétique et imagée.
Le premier tome de Tobie Lolness a été récompensé par de nombreux prix :
- Prix VERSELE 2008, "label", catégorie "Cinq chouettes" (13-14 ans).
- Prix Sorcières 2007.
- Grand Prix de l'imaginaire 2007.
- Prix Andersen 2007 (Italie).
- Prix Tam-Tam / Je Bouquine 2006.
- Prix Lire au collège 2006.
- Prix 12-14 de littérature pour adolescents, décerné par le Salon du livre de Brive-la-Gaillarde.
- Prix Ibbylit - catégorie roman, décerné par le Salon du livre de jeunesse de Namur.
- Grand Prix de l'Imaginaire 2007 - catégorie roman jeunesse
- Prix Saint Exupéry 2006 - catégorie roman (ce prix «couronne des œuvres littéraires destinées à la
jeunesse dont les thèmes et l'inspiration exaltent les qualités d'enthousiasme, d'optimisme et de générosité
qui furent celles d'Antoine de Saint-Exupéry»).
- Prix Millepages jeunesse 2006. Il est déjà traduit en 23 langues.
Avec le projet collectif Les Enfants Sauvages, Timothée de Fombelle se consacre pour la première
fois au théâtre jeune public.
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Portrait de Betty Heurtebise
Metteur en scène de la compagnie La Petite Fabrique, associée à la scène conventionnée jeune-public de
Blanquefort.
Son parcours professionnel est composé d’expériences multiples et diverses ; comédienne, elle a aussi
bien abordé le répertoire classique qu’un travail expérimental passant de Molière à Dostoïevski, de
Vitrac à Alain Julien Rudefoucauld, avec des metteurs en scène ayant des approches théâtrales
différentes.
Elle signe avec Gilbert Tiberghien sa première mise en scène avec la version musicale écrite par Francis
Poulenc de “L’histoire de Babar, le petit éléphant”, est aux côtés de Gilbert Tiberghien au poste
d’assistante à la mise en scène sur “Opéra Nostra” (Opéra issu de “l’Opéra des gueux” de John Gay),
“Jules César” de William Shakespeare et “Vingt- quatre heures de la vie d’une femme” de Stefan Zweig,
En fondant La Petite Fabrique en juin 2000, elle ressent la nécessité de se confronter à une réflexion et à
une pratique théâtrale nouvelles en menant une recherche aussi bien autour de spectacles pour le jeune
public que des créations réunissant différentes formes artistiques.
Sous sa direction, neuf créations ont été réalisées : “Paroles de Femmes”, lecture théatralisée, “l’île de
l’alphabet”, spectacle pour les tout petits – mai 2001 ; “Petites histoires d’Hélène Cassicadou” d’après
trois contes de Christian Bobin – Juin 2001 ; « Le journal de Grosse Patate » de Dominique Richard –
Juin 2003 ; « Les rêves d’une grenouille » de Kazuo Iwamura – Avril 2005 ; « C’est égal » d’Agota
Kristof (spectacle chez l’habitant) – octobre 2006 ; « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll –
novembre 2007 ; « A l’ombre d’une histoire » d’après deux contes de Gigi Bigot et Jean-Louis Le CraverJuin 2008, « La terre qui ne voulait plus tourner » de Françoise Du Chaxel – Avril 2009.
Comme pour l’ensemble de ses créations destinées aux jeunes publics, La Petite Fabrique propose un
accompagnement à ses spectacles. Pour « Les rêves d’une grenouille », à partir de la thématique : «
Théâtre et philosophie chez les tout-petits », des ateliers ont été appuyés sur des ouvrages de référence
puisés dans le répertoire contemporain jeune public (Régis LEJONC, Karl ERLBRUGH, Geert De
KOCKERE, les éditions Gouters-philo, etc ... et une nouvelle collection pour les tout petits aux éditions
Autrement Jeunesse avec Christian Demilly). Avec « C’est égal », Betty Heurtebise a proposé une
nouvelle forme artistique mêlant les mots d’Agota Kristof, la musique et les chansons d’Hervé Rigaud,
les images vidéo de la réalisatrice Muriel Cravatte. Un projet qui questionne un autre rapport au théâtre
en invitant le public à la représentation chez l’habitant, proposition particulière, pertinente et forte dans
la relation avec les spectateurs.
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