La plus belle des lettres d`amour

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La plus belle des lettres d`amour
La plus belle des lettres d'amour | L'Echo
La plus belle des lettres d'amour
25 septembre 2015 09:39
Mélanie Noiret
La déclaration magnifique d’un philosophe, d’un homme, à sa femme. "Lettre à D.
Histoire d’un amour", un grand moment dans l’intimité d’un couple.
Les grands philosophes semblent errer parfois dans des sphères si hautes qu’il est difficile de les imaginer simplement amoureux. Celui dont nous allons parler ici, André Gorz
(1923-2007), a même avoué qu’il avait un temps considéré l’amour comme un sentiment "petit-bourgeois". C’est cependant bien sur son amour profond pour son épouse
qu’il est revenu plus tard dans un magnifique texte à découvrir au Théâtre National.
Un demi-siècle de passion
André Gorz, théoricien de l’écologie politique, cofondateur du "Nouvel Observateur", a dédié à la fin
de sa vie, à 83 ans, un texte intitulé "Lettre à D. Histoire d’un amour" à Dorine, sa femme. Dans cet
écrit paru chez Galilée, l’auteur y décrit dans le détail tout le cheminement de cette relation alors
âgée de plus d’un demi-siècle. Leurs débuts, leurs balbutiements, leurs doutes, leur complicité indéfectible… ("Rien ne peut rendre compte du lien invisible par lequel nous nous sommes sentis unis
dès le début.") Mais aussi son admiration sans bornes pour l’intelligence, la beauté et la sensibilité
de cette femme, anglaise d’origine, qui l’a compris et soutenu dans absolument tout ce qu’il entreprenait.
Il y déclame une flamme intense, passionnée, jamais soufflée. Il y jette ses regrets aussi, ses remords
de ne pas toujours avoir été à la hauteur, de ne pas toujours avoir été juste envers l’épouse adorée. Il
nous entraîne dans les aventures quotidiennes, somme toute aussi banales qu’exceptionnelles, d’une
vie à deux, avec ses hauts et ses bas, ses petits gestes qui sont autant de grands moments. Il y brosse
les dernières années, marquées par la maladie, mais plus encore par le courage et la force de l’aimée.
Le penseur et journaliste ne peut s’empêcher tout au long de ce monologue de concevoir cette relation de son point de vue de théoricien.
Il décrit ainsi l’amour comme une manière d’entrer en résonance avec l’autre: "La passion amoureuse est une manière d’entrer en résonance avec l’autre, corps et âme, et avec lui ou elle seul.
Nous sommes en deçà et au-delà de la philosophie."
Gorz incarné
Sur scène, c’est l’acteur anversois Dirk Roofthooft, sous la houlette de Coline Struyf, qui incarne
André Gorz dans ce seul en scène épuré. Une déclaration d’amour n’a guère besoin d’apparats quand
elle est sincère. Avec son léger accent, l’acteur interprète magnifiquement le philosophe français né
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autrichien. Il donne corps pudiquement à ces mots de l’intime. Donner vie à un tel texte nécessitait
sans aucun doute une certaine expérience et assurance pour assumer cette sensibilité sans fléchir et
sans la trahir. Depuis le début des années 80, Dirk Roofthooft a travaillé avec les metteurs en scène
et chorégraphes les plus réputés: Josse De Pauw, Peter Vermeersch, Peter Sellars, mais aussi Jan
Fabre. Acteur aux multiples prix en Belgique et à l’étranger, il a notamment reçu en 2006 un Louis
d’Or pour son rôle principal dans "Mefisto for ever" de Guy Cassier. Plus récemment, en 2013, il a
créé avec Diederik De Cock le spectacle musical "Le coupeur d’eau" (qui sera présenté au Théâtre de
l’Ancre à Charleroi les 21 et 22 avril prochains).
La présence de Dorine
Pendant plus d’une heure trente, le spectateur reste soudé à ces paroles qui résonnent à faire pleurer, sourire aussi, souvent. Impossible de rester insensible à la beauté ardente de ce texte authentique, loin de tout romantisme de pacotille. En conviant Dorine seulement à travers les mots de son
époux et sa voix enregistrée, Coline Struyf est parvenue à la rendre plus présente qu’il n’était possible de l’imaginer. Dorine, à tous les stades de sa vie, investit la scène, silhouette invisible et bienveillante, drôle et sensuelle. Impossible de ne pas l’imaginer, de ne pas l’aimer. "Tu vas avoir 82
ans. Tu as rapetissé de six centimètres. Tu ne pèses que 45 kg et tu es toujours belle, gracieuse et
désirable. Cela fait 58 ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais."
"Lettre à D. Histoire d’un amour", au Théâtre National jusqu’au 10 octobre. www.
theatrenational.be, 02 203 53 03.
Source: L'Echo
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28/09/2015