L`histoire des arts à l`école, trois ans après

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L`histoire des arts à l`école, trois ans après
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L’histoire des arts à l’école, trois ans après
Synthèse du ‘‘Livre blanc sur l’enseignement de l’histoire des arts dans les
écoles, collèges et lycées, une formation humaniste et sensible à réinventer’’
Tout le monde le sentait un peu : introduire un enseignement obligatoire,
jusqu’en terminale, de l’histoire des
arts était une bonne idée, mais maladroitement réalisée – ce qu’on a laissé aux professeurs le soin douloureux
de démontrer. Dont acte puisque, selon le Livre blanc sur l’enseignement
de l’histoire des arts, la majorité des
enseignants en sont insatisfaits, tout
comme le sont un certain nombre de
parlementaires. Ainsi, les sénateurs
Joël Bourdin (UMP) et Renée Nicoux
(PS) et le député André Schneider
(UMP) ont souligné « le manque de
formation adéquate des enseignants,
plus de deux ans après la mise en
place de la réforme (en 2009) et
l’impréparation du Brevet national »
d’histoire des arts. Le grand mérite de
l’étude réalisée par l’Association des
professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités (APAHAU)
est à la fois d’expliquer avec rigueur
en quoi un tel enseignement est capital à leurs yeux et pourquoi sa mise
en œuvre reste pour l’heure dans
l’impasse.
Le Livre blanc de l’APAHAU
Tout d’abord, les historiens de l’art notent que
l’éducation artistique et culturelle à l’école (EAC) a
toujours été pensée comme devant combiner un enseignement théorique et un apprentissage pratique, mais
que seul le deuxième aspect a été véritablement développé, via les cours de dessin et de musique (jusqu’en
3e) auxquels s’adjoindront les classes dites à PAC (projet artistique et culturel). Quant à la part théorique, elle
aura été laissée aux professeurs de pratique artistique
dont le Livre blanc souligne qu’en toute légitimité, ce ne
sont pas des historiens de l’art. Ce serait pour ainsi dire
comme si on confiait l’enseignement de l’histoire aux
hommes et femmes politiques du moment…
Pourquoi l’histoire des arts à l’école ? La discipline pos-
sède un « formidable potentiel civique ». Car, au-delà des
bienfaits d’apporter « un autre regard » sur l’histoire (une
dénonciation implicite de l’usage purement illustratif que
les professeurs pratiquent de fait) et de former le regard
critique nécessaire dans un monde marqué par l’omniprésence de l’image, l’histoire des arts « favorise une
conscience collective et un sentiment d’appartenance ».
Avec cette précision que, « dans le champ de l’histoire de
l’art, nul ne saurait envisager l’œuvre comme spécifiquement française ». Le sentiment d’appartenance en question sera double et dans les deux cas incompatible avec
quelque notion identitariste que ce soit.
D’une part, ce sera une appartenance à son territoire,
grâce au patrimoine et notamment au petit patrimoine rural et
religieux. De ce point de vue, les auteurs notent que les Italiens
connaissent bien leur patrimoine « parce qu’ils bénéficient
depuis des décennies d’une formation en histoire de l’art » : en
Italie, cette discipline, aujourd’hui mise à mal, a été instaurée à
l’école de manière obligatoire depuis 1923. Une remarque qui
vaut également pour la Belgique.
D’autre part – et c’est là la remarque la plus pleine de sens et
d’avenir –, l’histoire des arts peut contribuer à fonder ce sentiment d’appartenance européenne qui fait si cruellement défaut
aujourd’hui : s’il a fallu inventer la monnaie unique, il suffit
de mettre en valeur la culture unique : « Il est impossible d’en-
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L’histoire des arts à l’école, trois ans après. Synthèse du Livre blanc sur l’enseignement
de l’histoire des arts dans les écoles, collèges et lycées, une formation humaniste et sensible à réinventer
visager la construction de l’Europe sans tenir
compte de la circulation des formes artistiques,
indissociable de la circulation des artistes, des
œuvres et des mécènes. Il s’agit in fine, dans
un cadre européen, de promouvoir une approche concrète de l’éducation civique par le biais
de nouvelles humanités. »
Les raisons d’une impasse. Trois ans de mise
en œuvre chaotique permettent un bilan sévère.
Selon l’APAHAU, la réforme contenait en
germe quatre défauts structurels liés : 1. l’histoire de l’art n’a pas été considérée comme une
discipline à part entière, ce qui 2. l’a amenée
à être confiée à des professeurs non formés
(professeurs de lettres, d’histoire, de musique
et de dessin), 3. sans horaire dédié et 4. sans
programme défini. A quoi s’ajoute le manque d’outils pédagogiques et la faiblesse de
la concertation interministérielle, le ministère
de la Culture s’étant davantage impliqué que
celui de l’Education nationale, au détriment de
la mission première de l’école.
1. Une discipline méconnue. Le Livre blanc
rappelle que le Haut conseil à l’éducation
artistique et culturelle (HCEAC) – qui comprend aujourd’hui dix-neuf membres dont
un seul historien de l’art (une anomalie en
effet quand on considère que l’enseignement
de l’histoire des arts a été présenté comme la
réponse centrale à la nécessité de développer l’éducation artistique et culturelle) – a
estimé que l’enseignement de l’histoire des
arts ne doit pas être un enseignement spécifique mais la valorisation de la dimension
artistique de chaque discipline existante.
On voit, bien entendu, qu’une telle approche a l’avantage de la simplicité et de l’économie de moyens. Mais on ne peut que
comprendre la profonde frustration des historiens de l’art et aussi imaginer l’apport non
aperçu d’une discipline rigoureuse, en plein
essor, dotée d’une méthodologie propre et
profondément pénétrée par la conscience de
la valeur spécifique de l’histoire de la sensibilité face « à l’ancienne prédominance
absolue du logos ». Et, il faut l’ajouter, à la
prédominance de l’histoire nationale : si le
logos est universel, l’art, lui, soude des enti-
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tés plus circonscrites, celle des civilisations,
notamment la nôtre, en Europe.
2. L’histoire des arts comme culture personnelle des enseignants. L’idée persiste, disent
ces spécialistes, « selon laquelle des professeurs ‘‘cultivés” seraient aptes à enseigner
l’histoire de l’art ». De fait, les programmes
de collège de 2008 stipulent que « le professeur de français collabore à l’enseignement
de l’histoire des arts avec sa compétence
propre. Il n’a pas besoin pour cela d’une
formation spécifique. Il suivra ses goûts et
se fondera sur sa culture personnelle. » De
là s’explique l’absence de préparation des
enseignants, même si des ‘‘formations complémentaires” ont été promises (circulaire
du 29 avril 2008), mais sans suite. Pourquoi
cela n’a-t-il pas été possible ? Les auteurs
remarquent avec pertinence que de telles
formations complémentaires ont bien été
introduites pour l’informatique…
3. Un enseignement absent des emplois du
temps. Non seulement les professeurs se
voient investis d’une mission dont ils ne
pas possèdent pas la compétence, mais de
plus, aucune espace horaire n’a été instauré
pour cela, et ce malgré les intentions originelles qui prévoyaient, au collège, que
l’histoire des arts « représentera un quart
du programme d’histoire et la moitié des
programme d’éducation musicale et d’arts
plastiques ». Une répartition horaire au final
absente des programmes… Avec le résultat
suivant : alors que « les enseignants ont
souvent du mal à boucler les programmes,
il leur faut intégrer l’histoire des arts sans
supplément horaire. Les ‘‘progressions”
pédagogiques tiennent de la quadrature du
cercle. »
4. Un enseignement sans programme. « A l’inverse de toutes les autres disciplines, l’enseignement de l’histoire des arts ne bénéficie pas d’un programme précis », mais
simplement de trois ‘‘piliers” : les ‘‘périodes artistiques’’, les ‘‘domaines artistiques”
et des ‘‘listes thématiques”. Les professeurs
adapteront donc cette sensibilisation à l’histoire des arts à leur programme général,
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comme si le pas des idées et des réalisations
sensibles était le même que celui des événements.
L’absence de programme se double logiquement d’une absence de matériel pédagogique. Le Livre blanc est très sceptique sur les
quelques manuels existant, rarement réalisés
avec le concours d’historiens de l’art (d’où
« un positivisme qui a un siècle de retard ») et
dans leur majorité conçues pour le primaire.
Mais l’étude est particulièrement virulente
contre les ressources informatiques : le portail interministériel education.arts.culture.fr
et celui du ministère de la culture intitulé histoiredesarts.culture.fr. Leur jugement sur ce
dernier : ses ressources pédagogiques « sont
constituées uniquement de notices déjà existantes et conçues en fonction d’autres demandes : elles ont donc peu de valeur pédagogique et ne sont pas adaptées à une gradation
de niveaux. Les ‘‘repères” proposent en fait
des liens vers les sites des musées, privilégient les institutions parisiennes et, contre
toute règle pédagogique, un même site est
proposé pour l’école, le collège et le lycée ».
Les liens, de surcroît, ne sont pas mis à jour.
Quatre propositions (pour le collège) « pou-
vant être mises en place rapidement et qui
feraient de l’enseignement de l’histoire des
arts en France un modèle pour un enseignement européen » terminent ce Livre blanc.
Elles sont indispensables « pour répondre
rapidement aux multiples insatisfactions du
système actuel, faute de quoi l’histoire des
arts sombrera dans le cas par cas et ne fera que
renforcer les inégalités culturelles, sociales ou
géographiques », bien loin des « idéaux de la
République ». Il faut créer ici une commission
interministérielle éducation-culture rattachée
au cabinet du Premier ministre.
- Enseigner une discipline, c’est-à-dire opérer « la reconnaissance de l’histoire des arts
comme enseignement autonome, au même
titre que toutes les autres matières enseignées
dans le secondaire ».
- Former et recruter les enseignants. Conscients
que le temps présent n’est pas favorable à des
dépenses supplémentaires et donc à des créa-
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tions de postes, les auteurs proposent comme
« solution de compromis » la création de « biagrégations et de bi-CAPES », sur le modèle
de ceux d’histoire-géographie.
- Définir un programme que l’APAHAU envisage selon trois axes : connaissances, démarches et capacités. Par exemple, pour la 6e :
les civilisations antiques (connaissances) ;
découvrir et interpréter les civilisations disparues par l’archéologie, les textes… (démarches) ; l’élève devient capable de repérer dans
le présent des traces du passé… (capacités).
- Evaluer, sur la base de l’objectif pédagogique suivant : « savoir regarder une œuvre du
passé et l’intégrer à une réflexion contemporaine ». Ce dernier point de l’évaluation est
d’autant plus important que l’étude s’avère
très critique sur la nature des jurys du Brevet
(DNB) actuel, certains d’entre eux allant jusqu’à intégrer des parents d’élèves (les textes
laissent en effet la liberté à l’équipe pédagogique de constituer les jurys).
Conclusion. Malgré la radicalité des critiques,
ce Livre blanc est intégralement pénétré par
une profonde satisfaction quant à l’entrée officielle de l’histoire de l’art à l’école. Mais la
déception est à la mesure de l’espoir. On peut
par ailleurs comprendre qu’une telle initiative,
qui n’a que trois ans d’existence, demande forcément du temps pour trouver ses modalités
pleinement efficaces. Mais à la condition que
les fondamentaux soient les bons, rappellent
l’APAHAU. D’où l’utilité de ce Livre blanc
de l’histoire des arts. Car, pour ses auteurs, le
moment est venu « d’attirer l’attention de tous
sur un potentiel formidable, à portée de main,
que la puissance publique peut enfin décider
d’encourager ».
Ajoutons que l’enseignement de l’histoire de
l’art tel qu’il a été introduit recueille d’habitude des critiques s’en tenant à prôner la pratique contre la théorie. Sans aucunement nier
l’apport de la première, les historiens de l’art
montrent avec pertinence que les deux sont
nécessaires, complémentaires et européens.
Un enseignement donc « à réinventer » et non
à abandonner.
La Lettre d’Echanges n°89 - mi juin 2012
Vincent Rouillon
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