La Gruyere Online

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UN -M- PROMETTEUR. Trois ans après Mister Mystère, -M- s’apprête à sortir
un nouvel album, en novembre. Une tournée suivra en 2013. Un premier single
a été dévoilé sur son site www.labo-m-music.com: Mojo se présente comme un
morceau de rock cinglant, électrique et fort enthousiasmant.
DISQUES
La Gruyère / Jeudi 6 septembre 2012 / www.lagruyere.ch
A jamais dans les marges
ÉRIC BULLIARD
P
arce qu’il ose la sensibilité, certains y voient de
la sensiblerie. Parce que
chaque page sent la sincérité, il ne plaît guère aux cyniques et aux faiseurs de mode.
Un magazine de référence parisiano-branchouille qualifiait récemment Olivier Adam d’écrivain en toc, en le mettant dans
le même sac que Florian Zeller.
Même délit de belle gueule,
alors qu’il suffit de les lire pour
se rendre compte que rien ne les
rapproche.
Avec Les lisières, Olivier Adam
continue à creuser le sillon qui a
fait son succès depuis Je vais
bien, ne t’en fais pas (2000). Une
manière bien à lui d’explorer les
sentiments, d’évoquer l’absence,
la séparation, la famille et sa
chape de non-dits. Et de les placer dans un engrenage plus
vaste, de les relier à une obser-
Un portrait de l’entre-deux
La manière, ici, se révèle à la
fois nette, précise et évanescente. Nette, parce qu’Olivier
Adam, à travers son double littéraire, affronte franchement les
thèmes qui l’habitent, s’interroge sur ses origines, a gommé
une bonne part des fioritures de
ses précédents romans pour, au
final, offrir un portrait pertinent
Un bon film, comme un bon livre,
“
ne tient qu’à la manière, au regard,
au rythme, au plan, à la langue…
”
de cette société française de
l’entre-deux. Cette population
d’ouvriers à la fois résignés, fatalistes et prêts à voter Front national parce que, quand même,
«on est plus chez nous».
Quant à l’évanescence, elle
naît de cette impression de flottement, qui est aussi un des
thèmes essentiels du livre. Paul,
ses proches le lui reprochent
sans cesse, n’est jamais vraiment là. Toujours en marge, toujours à côté, en périphérie. «Incapable de saisir la vie dans sa
plus simple expression, d’en
prendre possession, d’y être
présent.» Alors que le Japon,
pays qui lui est cher, se noie
sous le tsunami, alors que sa
mère se retrouve en pleine
confusion mentale, il avance
comme dans un brouillard de
mélancolie, au milieu d’un passé
qu’il préférerait ne pas affronter.
«On est ce qu’on peut»
Tout cela n’est guère joyeux et
Olivier Adam n’évite pas certaines lourdeurs et ficelles un peu
voyantes. Inutile en outre d’y
chercher le souffle des grands
stylistes. A travers son narrateur, lui-même lâche une forme
d’aveu: «Plus tard, je m’étais vu
en Modiano, Fante, Sagan, Salinger et j’avais écrit les livres que
j’avais écrits. Des livres de cogneurs de fond de court, solides
mais dénués de grâce, laborieux
et pesants. On est ce qu’on peut.
Mais de le savoir, rien ne nous
console…»
N’empêche que chaque page
respire la sincérité et l’exactitude de l’observation. Que ce
soit celle des liens familiaux et
de ses silences comme celle des
illusions perdues d’une génération pour qui le bonheur se résume à une «petite maison avec
le jardin pour les gosses», le
«ciné une fois par mois, le McDo
et le Buffalo Grill le vendredi
soir…» Olivier Adam a cette immense qualité: non seulement il
connaît et ressent ce monde
qu’il décrit, mais il le sonde en
refusant toute condescendance
et toute complaisance. Son regard ne vient pas d’en haut ni de
côté, mais d’en face. A hauteur
d’homme. ■
Olivier Adam, Les lisières,
Flammarion, 464 pages
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
Des chemins dans l’inconnu
LIVRES. Ce destin aurait pu donner naissance
à un pavé de 600 pages, une de ces sagas bourrées de détails et sans âme. Pour évoquer
Alexandre Yersin (1863-1943), Patrick Deville a
choisi la subjectivité, se met en scène sur les
traces de ce scientifique étonnant. Sans jamais
perdre de vue la littérature: plus qu’une biographie, Peste & choléra est un roman passionnant,
tendu, en tous points admirable.
Après avoir grandi à Morges, Alexandre Yersin a fait partie de la première équipe de chercheurs réunie autour de Louis Pasteur, à Paris.
Mais la recherche et la science ne lui suffisent
pas. Il veut partir, explorer. «Ce n’est pas une vie
que de ne pas bouger», écrit-il à sa mère. Marin,
explorateur, Alexandre Yersin va
poursuivre ses rêves et s’installer en
Asie, à Nha Trang (actuel Vietnam), où
il développe une culture d’arbres à
caoutchouc pour Michelin et de chinchonas, arbres à quinine.
Par touches, par à-coups
Alexandre Yersin reste toutefois un
scientifique: en 1894, à Hong Kong, il découvre le bacille de la peste, dans des
conditions improbables. C’est là un des
meilleurs passages d’un roman qui procède par touches, par à-coups. Sans doute
le moyen idéal pour évoquer ce foisonne-
La voix
du renouveau (1)
Aloan
NO FEAR NO BRAVERY
Barbarella Records
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
ment de personnages et d’aventures, cette trajectoire hors du
commun, que Patrick Deville met
en parallèle à celle de Rimbaud.
Mêmes rêves d’évasion, même
envie d’«ouvrir des routes, creuser des chemins dans l’inconnu
sinon vers Dieu ou vers soimême.» ■
Patrick Deville, Peste & choléra,
Seuil, 227 pages
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
La voix
du renouveau (2)
Etrange coïncidence que de chroniquer le même jour les nouveaux
disques d’Aloan et de Lunik (relisez
ci-dessus le premier paragraphe et
reprenez). Pour leur cinquième album,
les Genevois d’Aloan poursuivent
le chemin tracé depuis Pretty freaks,
leur zénith en 2009. Après un récent
changement de personnel, le groupe
s’est donné des airs de Californie,
où No fear no bravery a été mixé par
l’un des maîtres du son de Tom Waits.
De moins en moins electro-trip-hop
(quoique, à l’écoute de My silent machine…), le trio basique formé de Lyn
M, Granite et Alain Frey se veut avant
tout une bête de scène. Exit donc
le surplus de sampler. Et place à des
instrumentations soul pop jouissives
qui servent d’écrin aux duels entre la
chanteuse à la voix chaude et le MC au
flow percutant, comme dans le parfait
single What the hell is this for? CD
BANDE DESSINÉE
Adam continue de creuser son sillon,
à la fois intime et social. A travers
un homme replongé dans un passé
qu’il a fui, il affronte les thèmes qui
lui sont chers: l’absence, la séparation,
la famille, les non-dits.
vation pertinente des rouages de
la société.
Ecrivain, scénariste, vaguement alcoolique et dépressif,
Paul Steiner ne digère pas que sa
femme l’ait quitté il y a six mois
et qu’il ne voie ses enfants qu’une
semaine sur deux. Pour rendre visite à sa mère, hospitalisée, et à
son père, il quitte la Bretagne
pour rejoindre la banlieue parisienne où il a grandi et qu’il avait
fuie avec soulagement. Durant
ces quelques jours, il retrouve
d’anciens camarades de classe,
restés sur place.
Evidemment, dans Les lisières comme dans toute œuvre littéraire, l’histoire importe peu.
Le narrateur l’affirme lui-même:
«Des bonnes histoires on en
trouve partout, dans chaque
poubelle, il y en a plein les journaux, plein les rues, plein les
maisons (…). Non, un bon film,
comme un bon livre, ne tient
qu’à la manière, au regard, au
rythme, au plan, à la langue, à la
lumière, au temps, à la phrase.»
Lunik
WHAT IS NEXT
Sony Music
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
Etrange coïncidence que de chroniquer le même jour les nouveaux
disques de Lunik et d’Aloan (lire
ci-dessous). Deux groupes suisses
qui s’expriment en anglais, deux chanteuses charmeuses au timbre suave,
deux passés acoquinés avec le triphop, deux espoirs helvétiques qui
n’ont jamais percé sur le plan international et… deux retours après une période de fortes turbulences. N’en jetez
plus, ce n’est qu’un hasard!
Pour leur sixième album, les Bernois de Lunik poursuivent le chemin
tracé depuis Weather, leur zénith en
2003. Devenu un trio, le groupe a désormais tout du parfait artisan de la
mélodie imparable. Mais la recette est
éprouvée. Bien que ce What is next soit
poli à la peau de chamois, la magie
n’opère plus vraiment, tant on a l’impression d’avoir déjà entendu ces
comptines sur les précédents albums.
Voila qui est dit. Dur, mais juste. CD
A travers son narrateur Paul Steiner, Olivier Adam trace un portrait pertinent de la France des classes populaires. DAVID IGNASZEWSKI / KOBOY – FLAMMARION
LIVRES. Avec Les lisières, Olivier
Culture
Pieter de Poortere
LE PETIT DICKIE
ILLUSTRÉ
Glénat
NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔
Un monde sans pitié
Dickie est un personnage caméléon.
Tour à tour Saint-Nicolas, Dark Vador,
Lucky Luke, femme en burqa, prostituée ou Bisounours, le personnage du
Belge Pieter de Poortere est le reflet
bonhomme et corrosif d’une société
de la solitude. Ce personnage tout en
rondeur enfantine façon Playmobil propage un mélange étrange de profonde
empathie et d’un humour des plus
noirs. Chaque gag, muet, souvent parodique, tient sur une page. Dickie prend
sur lui toutes les absurdités du monde,
toutes les folies, tous les travers, au
point de devenir une figure quasi christique de la dérision. L’auteur tire à tout
va. Et touche le plus souvent.
Le petit Dickie illustré reprend toutes
les planches publiées dans la presse
flamande et francophone entre 2001 et
2011. Un gros recueil jubilatoire, ultraréférencé, qui vérifie l’adage: «Le malheur des uns peut bien faire rire les autres.» RM