La Gruyere Online
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24 UN -M- PROMETTEUR. Trois ans après Mister Mystère, -M- s’apprête à sortir un nouvel album, en novembre. Une tournée suivra en 2013. Un premier single a été dévoilé sur son site www.labo-m-music.com: Mojo se présente comme un morceau de rock cinglant, électrique et fort enthousiasmant. DISQUES La Gruyère / Jeudi 6 septembre 2012 / www.lagruyere.ch A jamais dans les marges ÉRIC BULLIARD P arce qu’il ose la sensibilité, certains y voient de la sensiblerie. Parce que chaque page sent la sincérité, il ne plaît guère aux cyniques et aux faiseurs de mode. Un magazine de référence parisiano-branchouille qualifiait récemment Olivier Adam d’écrivain en toc, en le mettant dans le même sac que Florian Zeller. Même délit de belle gueule, alors qu’il suffit de les lire pour se rendre compte que rien ne les rapproche. Avec Les lisières, Olivier Adam continue à creuser le sillon qui a fait son succès depuis Je vais bien, ne t’en fais pas (2000). Une manière bien à lui d’explorer les sentiments, d’évoquer l’absence, la séparation, la famille et sa chape de non-dits. Et de les placer dans un engrenage plus vaste, de les relier à une obser- Un portrait de l’entre-deux La manière, ici, se révèle à la fois nette, précise et évanescente. Nette, parce qu’Olivier Adam, à travers son double littéraire, affronte franchement les thèmes qui l’habitent, s’interroge sur ses origines, a gommé une bonne part des fioritures de ses précédents romans pour, au final, offrir un portrait pertinent Un bon film, comme un bon livre, “ ne tient qu’à la manière, au regard, au rythme, au plan, à la langue… ” de cette société française de l’entre-deux. Cette population d’ouvriers à la fois résignés, fatalistes et prêts à voter Front national parce que, quand même, «on est plus chez nous». Quant à l’évanescence, elle naît de cette impression de flottement, qui est aussi un des thèmes essentiels du livre. Paul, ses proches le lui reprochent sans cesse, n’est jamais vraiment là. Toujours en marge, toujours à côté, en périphérie. «Incapable de saisir la vie dans sa plus simple expression, d’en prendre possession, d’y être présent.» Alors que le Japon, pays qui lui est cher, se noie sous le tsunami, alors que sa mère se retrouve en pleine confusion mentale, il avance comme dans un brouillard de mélancolie, au milieu d’un passé qu’il préférerait ne pas affronter. «On est ce qu’on peut» Tout cela n’est guère joyeux et Olivier Adam n’évite pas certaines lourdeurs et ficelles un peu voyantes. Inutile en outre d’y chercher le souffle des grands stylistes. A travers son narrateur, lui-même lâche une forme d’aveu: «Plus tard, je m’étais vu en Modiano, Fante, Sagan, Salinger et j’avais écrit les livres que j’avais écrits. Des livres de cogneurs de fond de court, solides mais dénués de grâce, laborieux et pesants. On est ce qu’on peut. Mais de le savoir, rien ne nous console…» N’empêche que chaque page respire la sincérité et l’exactitude de l’observation. Que ce soit celle des liens familiaux et de ses silences comme celle des illusions perdues d’une génération pour qui le bonheur se résume à une «petite maison avec le jardin pour les gosses», le «ciné une fois par mois, le McDo et le Buffalo Grill le vendredi soir…» Olivier Adam a cette immense qualité: non seulement il connaît et ressent ce monde qu’il décrit, mais il le sonde en refusant toute condescendance et toute complaisance. Son regard ne vient pas d’en haut ni de côté, mais d’en face. A hauteur d’homme. ■ Olivier Adam, Les lisières, Flammarion, 464 pages NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔ Des chemins dans l’inconnu LIVRES. Ce destin aurait pu donner naissance à un pavé de 600 pages, une de ces sagas bourrées de détails et sans âme. Pour évoquer Alexandre Yersin (1863-1943), Patrick Deville a choisi la subjectivité, se met en scène sur les traces de ce scientifique étonnant. Sans jamais perdre de vue la littérature: plus qu’une biographie, Peste & choléra est un roman passionnant, tendu, en tous points admirable. Après avoir grandi à Morges, Alexandre Yersin a fait partie de la première équipe de chercheurs réunie autour de Louis Pasteur, à Paris. Mais la recherche et la science ne lui suffisent pas. Il veut partir, explorer. «Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger», écrit-il à sa mère. Marin, explorateur, Alexandre Yersin va poursuivre ses rêves et s’installer en Asie, à Nha Trang (actuel Vietnam), où il développe une culture d’arbres à caoutchouc pour Michelin et de chinchonas, arbres à quinine. Par touches, par à-coups Alexandre Yersin reste toutefois un scientifique: en 1894, à Hong Kong, il découvre le bacille de la peste, dans des conditions improbables. C’est là un des meilleurs passages d’un roman qui procède par touches, par à-coups. Sans doute le moyen idéal pour évoquer ce foisonne- La voix du renouveau (1) Aloan NO FEAR NO BRAVERY Barbarella Records NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔ ment de personnages et d’aventures, cette trajectoire hors du commun, que Patrick Deville met en parallèle à celle de Rimbaud. Mêmes rêves d’évasion, même envie d’«ouvrir des routes, creuser des chemins dans l’inconnu sinon vers Dieu ou vers soimême.» ■ Patrick Deville, Peste & choléra, Seuil, 227 pages NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔ La voix du renouveau (2) Etrange coïncidence que de chroniquer le même jour les nouveaux disques d’Aloan et de Lunik (relisez ci-dessus le premier paragraphe et reprenez). Pour leur cinquième album, les Genevois d’Aloan poursuivent le chemin tracé depuis Pretty freaks, leur zénith en 2009. Après un récent changement de personnel, le groupe s’est donné des airs de Californie, où No fear no bravery a été mixé par l’un des maîtres du son de Tom Waits. De moins en moins electro-trip-hop (quoique, à l’écoute de My silent machine…), le trio basique formé de Lyn M, Granite et Alain Frey se veut avant tout une bête de scène. Exit donc le surplus de sampler. Et place à des instrumentations soul pop jouissives qui servent d’écrin aux duels entre la chanteuse à la voix chaude et le MC au flow percutant, comme dans le parfait single What the hell is this for? CD BANDE DESSINÉE Adam continue de creuser son sillon, à la fois intime et social. A travers un homme replongé dans un passé qu’il a fui, il affronte les thèmes qui lui sont chers: l’absence, la séparation, la famille, les non-dits. vation pertinente des rouages de la société. Ecrivain, scénariste, vaguement alcoolique et dépressif, Paul Steiner ne digère pas que sa femme l’ait quitté il y a six mois et qu’il ne voie ses enfants qu’une semaine sur deux. Pour rendre visite à sa mère, hospitalisée, et à son père, il quitte la Bretagne pour rejoindre la banlieue parisienne où il a grandi et qu’il avait fuie avec soulagement. Durant ces quelques jours, il retrouve d’anciens camarades de classe, restés sur place. Evidemment, dans Les lisières comme dans toute œuvre littéraire, l’histoire importe peu. Le narrateur l’affirme lui-même: «Des bonnes histoires on en trouve partout, dans chaque poubelle, il y en a plein les journaux, plein les rues, plein les maisons (…). Non, un bon film, comme un bon livre, ne tient qu’à la manière, au regard, au rythme, au plan, à la langue, à la lumière, au temps, à la phrase.» Lunik WHAT IS NEXT Sony Music NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔ Etrange coïncidence que de chroniquer le même jour les nouveaux disques de Lunik et d’Aloan (lire ci-dessous). Deux groupes suisses qui s’expriment en anglais, deux chanteuses charmeuses au timbre suave, deux passés acoquinés avec le triphop, deux espoirs helvétiques qui n’ont jamais percé sur le plan international et… deux retours après une période de fortes turbulences. N’en jetez plus, ce n’est qu’un hasard! Pour leur sixième album, les Bernois de Lunik poursuivent le chemin tracé depuis Weather, leur zénith en 2003. Devenu un trio, le groupe a désormais tout du parfait artisan de la mélodie imparable. Mais la recette est éprouvée. Bien que ce What is next soit poli à la peau de chamois, la magie n’opère plus vraiment, tant on a l’impression d’avoir déjà entendu ces comptines sur les précédents albums. Voila qui est dit. Dur, mais juste. CD A travers son narrateur Paul Steiner, Olivier Adam trace un portrait pertinent de la France des classes populaires. DAVID IGNASZEWSKI / KOBOY – FLAMMARION LIVRES. Avec Les lisières, Olivier Culture Pieter de Poortere LE PETIT DICKIE ILLUSTRÉ Glénat NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔ Un monde sans pitié Dickie est un personnage caméléon. Tour à tour Saint-Nicolas, Dark Vador, Lucky Luke, femme en burqa, prostituée ou Bisounours, le personnage du Belge Pieter de Poortere est le reflet bonhomme et corrosif d’une société de la solitude. Ce personnage tout en rondeur enfantine façon Playmobil propage un mélange étrange de profonde empathie et d’un humour des plus noirs. Chaque gag, muet, souvent parodique, tient sur une page. Dickie prend sur lui toutes les absurdités du monde, toutes les folies, tous les travers, au point de devenir une figure quasi christique de la dérision. L’auteur tire à tout va. Et touche le plus souvent. Le petit Dickie illustré reprend toutes les planches publiées dans la presse flamande et francophone entre 2001 et 2011. Un gros recueil jubilatoire, ultraréférencé, qui vérifie l’adage: «Le malheur des uns peut bien faire rire les autres.» RM