Astronomie et Sciences Humaines" n 6

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Astronomie et Sciences Humaines" n 6
PUBLICATION
DE
L'OBSERVATOIRE ASTRONOMIQUE DE STRASBOURG
Série
••
Astronomie et Sciences Humaines"
n 6
Observatoire de Strasboiirg
11, rue de l'Université
67000 Strasbourg, France
Table des
Matières
Editorial
Le c y c l e l u n a i r e
Mexicains
U. KÔHLER
i
signification chez les I n d i e n s
1
L e s m é g a l i t h e s de B r e t a g n e et les t h é o r i e s a s t r o n o m i q u e s .
Cent a n s d'Interrogations
J . BRL^RD
15
D a n s le p r o c è s de l'astrologie, le r a t i o n a l i s m e est-Il t o u t à
fait r a t i o n n e l ?
C. MAILLAFiD
35
C o m m e n t a i r e s u r l'exposé de M. MaUlard
H. ANDRILLAT
49
P r é o c c u p a t i o n s c o s m o l o g i q u e s et a s t r o n o m i q u e s d a n s l e s
t r a v a u x de l'Ecole F r a n ç a i s e d ' E t h n o l o g i e d a n s la b o u c l e d u
Niger
P. ERNY
53
Les m o i t i é s m a s c u l i n e s et f é m i n i n e s d u ciel : a s t r o n o m i e d e
q u e l q u e s t r i b u s g u y a n a l s e s (Article p a r u d a n s V o l u m e N° 5)
Bibliographie
E. MAGANA
75
Index
79
Volumes 1 à 5
et
sa
Publ. Obs. Astron. Strasbourg
Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6
Editorial
Ce sixième volume de la Série "Astronomie et Sciences Humaines" contient les
exposés présentés lors de la neuvième réunion organisée avec l'aide financière de
l'Université Strasbourg I et Strasbourg II, et les Amis de l'Université de Strasbourg
de l'Académie de Strasbourg.
Nous remercions la Direction de l'Observatoire de Strasbourg qui a permis que ces
comptes-rendus s'inscrivent dans la série des publications de l'Observatoire. Nous
remercions également Mme Hamm pour la présentation et l'édition des articles,
ainsi que l'imprimerie de l'Observatoire pour le tirage off-set.
P. E R N Y
-
C. J A S C H E K
Publ. Obs. Astron. Strasbourg
Ser. "Astron. & Sc. Humaines" N° 6
LE CYCLE LUNAIRE ET SA SIGNIFICATION
CHEZ LES INDIENS MEXICAINS
U. KÖHLER
LE CYCLE L U N A I R E ET SA S I G N I F I C A T I O N
CHEZ LES I N D I E N S
MEXICAINS
The article begins with the Aztec concept of the moon.
They visualized it as a god, while the great majority of
Mesoamerican Indians conceived it as a goddess. After
reference to an ancient myth about the first ascendance of
the Sun and moon, the lunar cycle, as presented hy Sahagùn,
is described and analyzed. Compared with European concepts,
the first
marked différence to be noted is another
preference in the subdivision of the lunar cycle : in
contrast to an accent on conjunction, full moon and the two
quarters, the emphasis is on first appearance, full moon,
last appearance, and conjunction. This concept seems to be
a général Mesoamerican tradition. Analyzing the named Aztec
phases
in
détail,
the following
emic
criteria of
distinction become evident : degree of visibility, form,
activity (like growing or leaving), life cycle, relation
with the sun, and further attributes (like différent
colours or a rabbit in his face). None of these criteria is
employed during the entire cycle.
In a further step, the Aztec data are compared with
those of the Maya-speaking Tzotzil, for whom the most
detailed account of the lunar cycle, as known up to now for
Mesoamerica, has been attested. They distinguish 21 phases,
for which there are -at least- 65 names. These are derived
from
several
différent
cognitive
approaches,
and
consequently many phases are described alternatively from
more than one viewpoint. With regard to the componential
analysis, ail criteria mentioned above are also present,
and in addition to these a relation to stars and to the
traditional way of time reckoning. Further détails may be
found in publications of the author, as quoted in the
bibliography.
Pour kl grande majorité des peuples indigènes du Mexique, la lune
est du sexe féminin (Thompson, 1939) comme dans la tradition des
langues romaines de l'Europe. Mais il y a certaines exceptions
importantes. Par exemple, les Aztèques, le peuple le plus c o n n u , ne
considérait pas la lune comme une f e m m e , mais comme un homme.
C'était le dieu Tecucistecatl, duquel existent plusieurs représentations
dans les codices. (Fig. 1 le montre selon les Codex Telleriano Remensis
et Borbonicus). Cette croyance du concept d ' u n dieu lunaire f u t et est
également partagée par d'autres ethnies, tels les Totonaques, les
Huaxtèques et les Nahuas dans la Sierra Madré Orientale du Nord.
Comme les Aztèques ont passé par cette région au cours de leur
migration vers le centre du Mexique, il est possible et même probable
qu'ils ont e m p r u n t é cette idée des Huaxtèques et leurs voisins.
Selon un mythe des Aztèques, le soleil et la lune s'élevaient
ensemble selon un ordre décidé lors d ' u n e réunion de dieux à
Teotihuacan. Comme il n'y avait pas encore de lumière, ils choisirent
parmi eux deux candidats pour devenir soleil. Le candidat n u m é r o un
était Tecucistecatl, un homme beau, riche et brave ; le candidat de
réserve Nanahuatzin, un homme insignifiant, pauvre et s o u f f r a n t de
nombreux ulcères. Mais au moment de se jeter dans un grand f e u de
bois, sacrifice nécessaire pour devenir soleil, Tecucistecatl prit peur et
hésita. Vint alors le tour de Nanahuatzin. Lui, sauta i m m é d i a t e m e n t dans
le feu qui le consuma. Voyant cela, Tecucistecatl le suivit
et se
transforma également en cendre. Les dieux réunis devaient attendre
quelques heures pour observer l'élévation des astres. Après ce temps
d'incertitude, apparut d'abord Nanahuatzin entouré de rayons de
lumière, et peu après Tecucistecatl avec une apparence similaire. Les
dieux étaient stupéfaits par cette apparition de deux soleils. En e f f e t , ils
n'en souhaitaient qu'un seul. Au cours des délibérations sur les mesures à
p r e n d r e , l'un des dieux saisit un lapin et le jeta dans le visage de
Tecucistecatl qui perdit la plus grande partie de sa clarté (Sahagûn 1950,
34-41).
La véracité de ce mythe est prouvée par l'image du lapin que l'on
peut encore apercevoir dans le disque de la lune. De même, il apparaît
dans plusieurs peintures des codex, comme ici dans le Codex Borgia (Fig.
2). La f o r m e de la lune est généralement représentée comme une tasse ou
un vase, qui fait allusion
à la f o r m e de la j e u n e lune pendant les
premiers jours de sa réapparition. La page une du Codex F e j é r v a r y Mayer montre un modèle de l'univers (Fig. 3). Au bout du trapèze
supérieur il y a le disque du soleil indiquant qu'il s'agit de la région Est,
et l'image de la lune apparaît au bout du trapèze opposé. La raison de
cette association de la lune avec l'Ouest sera traitée plus loin dans le
contexte des phases lunaires.
Les éclipses de lune étaient considérées comme dangereuses. Pour les
Aztèques, dans ces occasions le soleil tentait de dévorer la lune. Surtout
les f e m m e s enceintes étaient inquiètes, car elles craignaient que leur
e n f a n t se transforme en souris ou qu'il s o u f f r e d ' a f f e c t i o n s diverses
(Sahagun, 1950, 42 f).
En ce qui concerne le cycle lunaire surtout son début présente un
intérêt pour les chercheurs d'ethnoastronomie. En dépit du fait que de
sérieuses sources du 16ème siècle témoignent d'un c o m m e n c e m e n t avec
la première visibilité tant pour les Aztèques (Sahagun, 1950, 32-33) que
pour les Mayas de Yucatàn (Landa, 1966, 61), d i f f é r e n t s auteurs ont
proposé d'autres origines comme la pleine lune, la c o n j o n c t i o n ou la
dernière visibilité. Ces nouvelles propositions ne sont c e p e n d a n t pas
fondées sur des sources indigènes, soit parce qu'il n'y a a u c u n e relation
avec des idées indigènes, soit qu'il y avait un malentendu au cours de la
traduction (Kôliler, 1982, 26-27). Certains termes indigènes présentent
en e f f e t un piège, surtout ceux qui se réfèrent à la "nouvelle lune". Au
Mexique, telles termes ont été enregistrés chez plusieurs ethnies (Kôhler,
1982, 34 ; s.d.). Si le chercheur inattentif identifie ce terme indien avec
le concept européen de nouvelle lune, il tombe dans le piège car tous ces
termes indigènes connus jusqu'à ce j o u r , désignent la première visibilité
de la lune et non pas la conjonction comme en Europe (ibid.). Le
c o m m e n c e m e n t du cycle lunaire avec la première visibilité est aussi
attestée par plusieurs autres ethnies du Mexique et du Guatemala
(Kôhler, 1982, 26 ; s.d.), et il paraît être une tradition c o m m u n e
mesoaméricaine.
Aussi dans le champ des points de repère du cycle lunaire on peut
noter une d i f f é r e n c e entre les concepts européens et indigènes du
Mexique. En Europe, la conjonction, la pleine lune et les deux quartiers
à m i - c h e m i n entre ces extrêmes sont privilégiés. En contraste avec cette
p r é f é r e n c e , l'intérêt indigène tend plutôt vers les quatre autres points du
cycle : la première visibilité, la pleine lune, la dernière visibilité et la
conjonction (Kôhler, 1982, 27-29 ; s.d.). La conjonction est interprétée
de façon variée. En plus du concept d ' u n e simple absence ou d'un séjour
dans un autre monde, on trouve également l'idée que la lune est morte
ou moins d r a m a t i q u e m e n t , qu'elle dort.
Pour le cycle
lunaire, nous avons une description assez détaillée
dans une source du 16ième siècle : les idées aztèques selon Sahagun
(1950, 32-35). On peut distinguer six phases principales, décrites avec les
critères suivants :
Réapparition
:
- il (sujet masculin) est visible de nouveau
- il est un arc mince, comme un ornement du nez
- il ne brille pas encore
Croissance
:
- il vient de croître
- il se rend fort
- il est entrain de s'arrondir
Rondance
-
:
il est rond
rond comme un comalli (chaudière pour f a i r e des "tortillas")
il apparaît dans l'endroit où s'élève le soleil
il est rouge à l'apparition, blanc au cours de l'ascension
le clair de lune, une blancheur f r o i d e
il brille presque comme le soleil
il observe et détecte des secrets
on voit le lapin blanc dans son visage
Déclin
:
diminue
s'en va
devient (mince) comme au début
dort plus longtemps
Disparition
:
- il meurt
- il apparaît avec la première lumière du j o u r
Absence
:
- il est mort
Ces phases ont une longueur assez d i f f é r e n t e , quatre parmi elles
durent seulement un à trois jours (ou nuits), tandis que les phases de
croissance et de déclin s'échelonnent sur des périodes de dix jours ou
mêmes plus, sans les d i f f é r e n c i e r en sous-sections. D'après le n o m b r e
d'expressions, la pleine lune est un centre d'intérêt.
Les critères utilisés pour décrire
regroupés dans les catégories suivantes :
Visibilité
le cycle
lunaire
peuvent
être
:
- visible de n o u v e a u / n e brille pas encore
- brille comme le soleil
Forme
:
- comme un arc mince, comme un ornement du nez. Il y avait en
e f f e t des bijoux de la f o r m e d'un croissant (Fig. 4). Qui ne sait pas ce
qu'est un croissant ? Mais même ceux qui en mangent un, deux ou
même trois chaque matin, ne savent pas d'où vient ce mot. A l'origine,
ce mot n'avait aucun rapport avec un aliment. Il s'agissait simplement
d ' u n e phase du cycle lunaire.
- s'arrondit
- est rond, est rond comme un comalli
- est comme au début
A c t i v i t é : (autre que briller)
- vient de croître, se rend fort
- observe et détecte des secrets
- d i m i n u e , s'en va, dort plus longtemps
Cycle
de v i e
:
- se meurt
- est mort
Relation
avec
le
soleil
:
- apparaît là où s'élève le soleil, brille presque comme le soleil
- apparaît au moment de la première lumière (originaire du soleil)
Attributs
:
- rouge, blanc, blancheur froide, avec lapin dans le visage.
On peut noter que la plupart des critères ne suit pas le cycle entier,
comme par exemple la visibilité (au début et à la pleine lune), le cycle
de vie (seulement la dernière apparence et conjonction), la relation avec
le soleil (pleine lune et dernière apparence) et des attributs diverses
(pleine lune). Seulement les critères de la f o r m e et des activités
(notamment croître et diminuer) s'emploient dans les deux moitiés, tant
pendant la croissance, que dans le déclin.
Dans un article sur les concepts du temps chez les Ach!" de
Guatemala, Neuensvï-ander (1982, 141-142) distingue quatre critères pour
d é f i n i r le système cognitif indigene du cycle lunaire : maturité, activité,
position et geste de main. Comparant ces critères avec les précédentes,
dérivés des informations aztèques, certains parallèles sont évidents. Les
aspects d'activité, cycle de vie (mort ou maturité) et position (p.e. où
s'élève le soleil) sont présents dans les deux systèmes. Dans le système
des Achi on trouve en plus, le geste de main et chez les Aztèques, la
f o r m e de la lune, la relation avec le soleil et les attributs additionnels.
Voyons maintenant jusqu'à quel point ces critères analytiques
conviennent aux dates recueillies chez les Indiens Tzotzil du S u d - E s t du
Mexique. Il s'agit du cycle lunaire le plus détaillé que l'on connaisse d'un
groupe d'indiL'us mésoaméricains. Le matériel -inclus les termes en
tzotzil- se trouve dans deux articles (Kôhler, 1982 ; s.d.) qui se
complètent. Une synthèse des deux avec d'autres aspects analytiques sera
publiée dans "Estudios de Cultura Maya".
J'ai pu recueillir 65 termes d i f f é r e n t s qui décrivent 21 phases dont
quelques unes durent plus qu'une nuit. L'excès du nombre de termes par
rapport aux phases s'explique par le fait que beaucoup d ' e n t r e eux
varient légèrement et que quelques phases ont plusieurs noms, associés à
d i f f é r e n t s critères. Les critères suggérés par le matériel linguistique sont
les suivants : cycle de vie, f o r m e , activité (incl. visibilité), position dans
le ciel (plusieurs avec geste), apparence à un certain moment de l'ordre
chronologique traditionnel, relation avec des astres et attributs divers.
Un nombre réduit des termes peut entrer dans deux de ces catégories. La
comparaison avec les critères d é j à mentionnés montre que tous sont
présents et qu'il y a de plus le critère d ' u n e relation avec la chronologie
traditionnelle.
L'idée de cycle de vie existe seulement jusqu'à la moitié de la
lunaison, avec les images de la lune comme bébé, comme j e u n e fille à
moitié mature, presque mature et mature. On remarque que chez les
indiens mayas la lune est une f e m m e . Il n'y a pas là de notion de lune
morte ; en e f f e t , ce terme est réservé à l'éclipsé de la lune.
L'idée de la f o r m e s'exprime surtout dans les termes de degré d'être
ronde : elle s'arrondit à la moitié, elle s'arrondit, elle est ronde (ou
circulaire). Dans la seconde moitié du cycle, il y a encore les notions
qu'elle diminue et qu'elle est déjà petite. A cette évaluation de la f o r m e
entrent également en compte des termes qui décrivent qu'elle s'obscurcit.
Dans la catégorie des activités on peut distinguer quatre f o r m e s
principales : l'idée de venir et de s'en aller, de briller, de se déplacer
dans le ciel (entre positions déterminées) et d ' a p p a r a î t r e à un certain
moment de la chronologie traditionnelle. Les deux dernières activités
sont de grande importance et seront traitées ici comme catégories
séparées. 11 est aisé de c o m p r e n d r e que les termes se référents à l'activité
de venir se trouvent au début du cycle, et ceux qui se r é f è r e n t à s'en
aller vers la fin. Seulement deux termes vers la f i n du d e u x i è m e quartier
mentionnent la lumière alors déjà produite par la lune.
Les positions de la lune dans le ciel et le m o u v e m e n t apparent de
l'astre dans le ciel sont les principaux critères dans le système cognitif
tzotzil du cycle lunaire. Ils couvrent tout le cycle et plusieurs sont
définis par un geste du bras vers la position de la lune dans le ciel. Selon
cette idée, le mouvement apparent de la lune décrit deux d e m i - c e r c l e s
d'Ouest à l'Est. Le premier s'observe à la tombée de la nuit, le second à
l'aube. Ainsi il existe un moment fixe pour observer la position de la
lune dans chacun de ces deux mouvements. Le cycle c o m m e n c e avec la
réapparition de la lune mince, légèrement au-dessus de l'horizon
occidental. Feu après elle s'en va. Observé à la même heure le j o u r
suivant, elle est déjà un peu plus haut dans le ciel occidental, et les jours
suivants toujours un peu plus haut. A la fin du premier quartier, la lune
a atteint la position la plus haute de sa trajectoire apparente et se trouve
à m i - c h e m i n du mouvement vers l'horizon oriental (Fig. 5). Son
ascendance est décrite par des termes comme : "elle vient de s'élever",
"elle est déjà haute", "elle est déjà là" (avec geste). Et à la f i n du premier
quartier : "elle arrive au milieu" (ou dans le centre), "notre mère est dans
le centre quand la nuit tombe". De la f o r m e de la trajectoire a p p a r e n t e
comme un arc, il découle logiquement que le c o m m e n c e m e n t du
deuxième quartier s'appelle : "notre mère s'est abaissée" et la fin de ce
quartier :"elle est basse au crépuscule".
Le second cycle commence immédiatement après la pleine lune avec
le terme : "notre mère est d é j à venue à l'aube". Cela veut dire qu'on peut
l'observer maintenant à l'aube. Elle se trouve peu au-dessus de l'horizon
occidental et s'en va. Ce qui se produit les matins suivants, c'est une
autre trajectoire apparente des positions de la lune de l'Ouest à l'Est en
f o r m e d'un arc. C'est pourquoi les termes ressemblent beaucoup à ceux
de la première moitié du cycle. Dans les cas où le moment d'observation
est mentionné, il s'agit maintenant de l'aube.
Au début de mes recherches chez les Tzotzil, je restais stupéfait
quand un ancien m'expliquait que le soleil allait de l'Est à l'Ouest, et la
lune, au contraire, de l'Ouest à l'Est. Maintenant connaissant le
mouvement apparent décrit ci-dessus, cette a f f i r m a t i o n me semble
logique. Pour ces Indiens, ce qui est important concernant la lune, n'est
pas le cours journalier (ou nocturne) de l'astre, mais les mouvements
apparents pendant la lunaison. L'exemple du Codex F e j é r v a r y - M a y e r
(Fig. 3) avec la lune du côté occidental, là où commence le cycle, montre
clairement que c'est aussi un concept du temps p r é - c o l o m b i e n .
La définition de la phase lunaire par le moment de son apparition
est limitée à la seconde moitié du cycle. Ce procédé n'est guère possible
pour la première moitié, car l'astre est déjà dans le ciel au moins l'aprèsmidi, et il est toujours présent au crépuscule. Cela change après la pleine
lune, seule piiase pendant laquelle la lune brille toute la nuit.
Immédiatement après et encore plus dans les nuits suivantes, il f a u t
attendre dans l'obscurité qu'apparaisse la lune. Actuellement c'est par
"l'heure" de son apparition sur l'horizon orientale que les phases sont
déterminées. En relation avec la lune, huit subdivisions de temps entre le
crépuscule et l'aube m'ont été signalées, mais dans le système de compter
le temps, il en existe davantage (Kôhler, 1977, 107-110).
Celle manière de d é f i n i r la phase est alternative avec celle de la
position de l'astre dans le ciel. Par exemple, autant la notion que la lune
apparaît à minuit, comme la quelle a atteint le centre (du ciel), décrit la
phase à mi-cheinin entre pleine lune et conjonction.
La relation avec les astres sert principalement comme critère
additionnel pour préciser le moment d'apparition. L'exception est un
terme du c o m m e n c e m e n t du cycle : "notre mère a d é j à une successeuse"
(si ce mot n'existe pas encore en français, c'est p e u t - ê t r e le m o m e n t de
le faire). Ici on se réfère à la lune antérieure, à des astres d i f f é r e n t s
dans tous les autres cas. Ainsi un déclin des Pléiades (par rapport au
méridien) indique un moment après minuit (ce qui est le cas en hiver),
la hauteur de Vénus aide à fixer l'heure avant l'aube, et l'arrivée de la
lune presque avec le soleil indique la proximité de la f i n du cycle. Tous
ces critères additionnels s'emploient pendant le dernier quartier.
Des attributs spéciaux pour d é f i n i r la phase respective sont utilisés
au début et ù la fin du cycle. Au début avec les notions : elle est
nouvelle, d é j à présente ; vers la fin à l'aide d'autres c o m m e : d é j à petite,
assez noire, cachée, absente.
Dans le système des Tzotzil il y a des phases qui ont des noms
provenant de deux ou mêmes de plusieurs catégories, tandis que d'autres
ont seulement une dénomination. En dépit du fait que la position de la
lune dans le ciel (respectivement au crépuscule ou à l'aube) est le cadre
principal du système cognitif, la phase importante de la pleine lune,
aucun nom n'en dérive. Cela montre que les d i f f é r e n t e s lignes de pensée
ne sont pas parallèles, mais complémentaires.
En ce qui concerne l'aspect pratique des phases de la lune, j'ai
obtenu une quantité d ' i n f o r m a t i o n s de huit ethnies d i f f é r e n t e s du
Mexique, mais les réponses se contredisaient tellement dans la m a j o r i t é
des cas, q u ' u n e véritable influence de la lune paraît peu probable. Toutes
ces données paraîtront dans un article publié au Mexique (Kôhler, s.d.).
J'en cite seulement quelques exemples :
- Pour semer le maïs et les haricots, la phase de la lune n'a aucune ou
peu d ' i m p o r t a n c e ;
- Des plantes hautes, comme la canne à sucre, poussent bien en haut si
elles sont plantées quand la lune arrive à sa position a p p a r e n t e la plus
haute, à la fin du premier quartier ;
- Des fruits ronds, par exemple des oranges, des courges ou des
tubercules, se plantent de préférence durant la pleine lune, pour devenir
aussi grands et ronds que l'astre.
Ces exemples montrent déjà qu'il s'agit de magie par analogie. On
m'a également fait remarquer qu'il vaut mieux châtrer les animaux (porc,
cheval,
bélier,)
pendant
une
certaine
phase
lunaire,
mais
malheureusement il s'agissait chaque fois d ' u n e phase d i f f é r e n t e .
Un seul sujet faisait l'unanimité : le bois utilisé pour la construction
d ' u n e maison doit être coupé durant la pleine lune (ou peu après) ceci
pour éviter la destruction par insectes. Cette unanimité, également
reconnue par exemple dans la littérature ethnographique, suggère une
vraie causalité.
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10
Thompson. J.S. Eric :
1939 : The Moon Goddess in Middle America : with Notes on
F^elated Dcities. Contributions to American Anthropology and History.
Vol. V., N" 29 : 121 - 173. Carnegie Institution of Washington, Publ.
509. Washington D.C.
* * *
BIOGRAPHIE
Ulrich Kôhler est professeur d'Ethnologie à l'Université A l b e r t Ludwig à Freiburg. Une de ses spécialités est la cosmovision et
l'ethnoastronomie des indiens du Mexique.
*
* * *
11
Figure 1
: Le dieu aztèque lunaire TecucistecatI selon Codex Telleriano
Remensis (13) et Codex Borbonicus (6).
F i g u r e 2 : Le l a p i n d a n s la l u n e selon C o d e x Borgia (55,71).
12
F i g u r e 3 : Modèle de l'univers avec l'Image de la l u n e a u b o u t d u t r a p è z e
I n f é r i e u r (occidental) s e l o n C o d e x F e j é r v a i y - M a y e r (1).
13
F i g u r e 4 : O r n e m e n t de n e z et la m a n i è r e de le p o r t e r s e l o n Seler 1 9 0 2 - 2 3 ,
t o m e III, 2 3 0 , 2 3 3 .
Est
Ouest
F i g u r e 5 : Le m o u v e m e n t a p p a r e n t de la l u n e p e n d a n t la p r e m i è r e moitié de
la l u n a i s o n , observé a u
crépuscule.
Publ. Obs. Astron. Strasbourg
Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6
J.
BRinRD
15
LES M E G A L I T H E S DE BRETAGNE ET LES THEORIES
ASTRONOMIQUES
CENT
ANS
D'INTERROGATIONS
Many theories have been proposed in the XIXth century
on the Carnac alignements such as Roman settlements,
graves, temples for ophiolatry or "Dracontia". A few
archaelogists considered they were astronomical monuments
since Cambry (1805). In the beginning of the XXth century,
A. Devoir, working in northern Finistère, published his
work on
"primitive astronomy". He
thought that the
orientations corresponded to agricultural rythms of the
year. He made many observations on the Crozon and Léon
country alignments. More recently, R. Merlet worked near
the gulf of Morbihan and built an astronomie system around
the "Grand Menhir" of Locmariaquer. He proposed dating the
monuments by astronomy. A British engineer, A. Thom,
specialist of the astronomie rings of England and Scotland
built up a "geometry" of the Carnac alignments and
developed the theory of a central observatory at the Grand
Menhir. But new excavations have shown that the Grand
Menhir was probably broken up by the neolithic people
themselves. In 1989, a stone circle has been studied by J.
Briard and M. Le Goffic in the island of Ouessant. It is
probably an astronomical monument for observing the summer
sunrise over the océan, and later on over the large menhirs
of the Léon district.
16
1. - LES PIONNIERS
Par sa position géographique l'Armorique se présente naturellement
c o m m e l'un de ces bouts du monde, ces " P e n - a r - L a n d " dans lesquels les
Anciens voyaient la f i n des terres émergées. De ses promontoires côtiers
l'on peut suivre l'émergence glorieuse du soleil au-dessus des mers
océanes. Nulle région n'était donc plus propice à l'établissement de
temples consacrés aux cultes astronomiques. Ils f u r e n t très n o m b r e u x si
l'on en juge par les quelques milliers de menhirs qui subsistent après
plus de deux millénaires de destruction et de vandalisme. Certains f u r e n t
élevés en liaison directe avec l'océan comme les alignements de la
presqu'île de Crozon ou quelques cercles de menhirs iliens c o m m e celui
de l'île d'Ouessant. Ce ne sont malheureusement pas les mieux conservés.
D'autres comme à C a r n a c - E r d e v e n f u r e n t érigés à proximité des rivages
mais un peu à l'intérieur des terres. E n f i n les prospections récentes ont
montré qu'il exista, dans l'Armorique interne, n o m b r e de petits
alignements qui témoignent de l'importance des cultes astronomiques
j u s q u ' e n Bretagne intérieure.
C'est probablement d ' O u t r e - M a n c h e que d é b u t è r e n t les premières
études "astro-archéologiques". C o m m e le note P.R. Giot (1989, 50) c'est
sans doute au Révérend William Stukeley que l'on doit la révélation du
lever solsticial d'été dans l'axe du célèbre m o n u m e n t de Stonehenge au
Wessex et cela dès l'an de grâce 1740. Depuis on ne compte plus les
travaux astronomiques sur Stonehenge qui vont j u s q u ' a u c o m p u t e r céleste
capable de prévoir les éclipses, mais ceci est une autre histoire.
En Bretagne la notion de m o n u m e n t astronomique f u t assez longue à
se dessiner, même à propos de sites exceptionnels c o m m e ceux de la
région de Carnac. Le précieux petit recueil de l'abbé Millon (1911)
relatant les opinions à ce s u j e t est révélateur. Sur 72 auteurs répertoriés
il restent dans une p r u d e n t e expectative, 19 p e n c h e n t pour des stèles
f u n é r a i r e s , 17 pour des temples ou m o n u m e n t s religieux, 8 p o u r des
m o n u m e n t s c o m m é m o r a t i f s , 9 pour des camps romains, 3 pour des lieux
de réunions, des "forums", et seulement
5 pour des
thèmes
astronomiques. On laissera de côté la curieuse opinion du sieur A.F.
Boureau-Deslandes qui, en 1721, voyait dans les pierres de Carnac un
des derniers e f f e t s du Déluge universel. Il f a u t dire aussi que dans le
golfe du M o r b i h a n le souvenir de la bataille des Vénètes contre César
était vivace et que l'on attribua, sous diverses f o r m e s , la construction des
alignements aux légions romaines, camps pour 14 000 h o m m e s précise
m ê m e l'ingénieur du roi F. de la Sauvagère, les pierres étant destinées à
soutenir les tentes de l'armée. U n e autre théorie originale de M a u d e t de
Penhoët, basée sur la sinuosité de certaines files de menhirs de Carnac,
f u t celle de l'ophiolatrie ou culte du serpent, un possible élément de
Zodiaque d'ailleurs. U n e de ses variantes est celle du Dragon ou d ' u n
"Dracontium" voué au serpent Python. Parmi les autorités de l'époque J.
C a m b r y , f o n d a t e u r de l'Académie Celtique, proclame le p r e m i e r
nettement que les alignements de Carnac a p p a r t i e n n e n t à un thème
17
Céleste ou zodiaque. Il sera suivi par M a u d e t de Penhoët en 1826 et par
un esprit original de Vannes, le polytechnicien R. Galles en 1862. Le
romancier Gustave Flaubert visite Carnac mais, plus sensible aux
charmes de R o m e et de Carthage, s'avère déçu et "tout en trouvant que
c'est peu c o m m u n on s'avoue cependant que ce n'est pas beau !" Et
l'illustre écrivain conclut p é r e m p t o i r e m e n t : "Pour en revenir aux pierres
de Carnac (ou plutôt les quitter) que si l'on me d e m a n d e après tant
d'opinions quelle est la mienne, j ' e n émettrai une i r r é f u t a b l e ,
i r r é f r a g a b l e , irrésistible, une opinion qui ferait reculer les tentes de M.
de la Sauvagère et pâlir l'Egyptien Penhoët, qui casserait le Zodiaque de
C a m b r y et hacherait le serpent Python en mille morceaux. Cette opinion,
la voici : Ces pierres de Carnac sont de grosses pierres !".
Le Baron Bachelot de la Pylaie (1848) s'intéresse aux alignements de
L a n d a o u d e c dans la presqu'île de Crozon qu'il compare à ceux de la
G r é e de C o j o u à Saint-Just en Ille-et-Vilaine. Il note à Saint-Just la
présence d ' u n hémicycle "orienté au soleil levant" et décrit avec précision
les alignements et les enceintes de Landaoudec, notant à chaque fois les
orientations cardinales, le tout agrémenté de précieux croquis m o n t r a n t
l'état des m o n u m e n t s à cette époque.
Ces premiers travaux se contentent, le plus souvent, de simples
relevés d'orientations. R. Galles va cependant plus loin en notant en 1862
que n o m b r e de dolmens ont leur ouverture volontairement orientée à
l'Est. F. Gaillard publie aussi une "Astronomie préhistorique" en 1895
basée sur le principe de "menhirs index". R. Galles pense à dater les
dolmens par la variation d ' u n élément astronomique dans le temps,, soit
le lever solaire à l'Equinoxe.
2. - LES OFFICIERS DE MARINE
R o m p u s à l'observation céleste, les o f f i c i e r s de marine se sont
précocement intéressés aux problèmes posés par l'orientation des
mégalithes et ont repéré les monuments de ce type liés au culte solaire.
C'est ainsi que l'an VIII du calendrier révolutionnaire l'amiral T h é v e n a r d
signale un "Temple des Payens" à Ouessant, composé d ' u n grand
rectangle de pierres avec une séparation centrale. De ce m o n u m e n t ne
subsistent plus que quelques pierres au voisinage du phare de Creach.
R é c e m m e n t P.R. Giot (1989, 52) a découvert les travaux de l'amiral
A.J.R. Fleuriot de Langle qui, en 1876, remarque les "amplitudes ortives
et occases" des menhirs et dolmens de Bretagne. Il relève avec précision
les orientations à la boussole et suggère la possibilité d'orientations
solsticiales. Il attribue les gravures des dolmens à des symboles célestes
mais malheureusement se perd en c o n j e c t u r e s plus qu'aventureuses ! ...
18
Mais le premier véritable spécialiste de l'astronomie préhistorique en
Bretagne f u t , au début de ce siècle, un autre o f f i c i e r de m a r i n e , le
capitaine de f r é g a t e A. Devoir qui procéda à de n o m b r e u x relevés à la
planchette sur les monuments du Finistère et publia des articles sur T
"astronomie primitive". Il commence par observer les grands menhirs du
Léon, se lie d'amitié scientifique avec le spécialiste britannique sir
N o r m a n Lockyer qui, à la même époque, publie "Stonehenge and others
british stone monuments astronomically considered". Les deux savants
voient leurs théories se r e j o i n d r e en bien des points. En 1908 A. Devoir
précise ses observations : la constance pour les grands ensembles des
directions solsticiales d'été et d'hiver, l'existence du j a l o n n e m e n t de
levers équinoxiaux et la complication par l'établissement de j a l o n n e m e n t s
intermédiaires entre les lignes solsticiales et équinoxiales. C'est ainsi qu'il
note, pour la région de Brest, les azimuts NSS" E, N65° E ou
symétriquement S65° E et S54° E. Ces jalonnements correspondent aux
dates du 8 novembre, du 4 f é v r i e r , du 6 mai et du 8 août, que l'on peut
mettre en liaison avec les rythmes agricoles des semailles, des blés en
herbe, des floraisons et des moissons. Ainsi les alignements auraient pu
r y t h m e r les travaux des champs. A Devoir r e n f o r c e sa conviction
astronomique par l'étude des grands ensembles de la presqu'île de Crozon
(1910) et notamment les alignements du Toulinguet, Leuré, L a n d a o u d e c ,
Lostmarc'h et T y - a r - C h u r é (fig. 1). Il a f f i n e à cette occasion sa théorie :
prédominance de l'axe diamétral, lever solsticial d'été, coucher solsticial
d ' h i v e r , orientations équinoxiales Est et Ouest, déclinaison 16° 20' Nord
et Sud correspondant aux levers intermédiaires m a r q u a n t les rythmes
agricoles.
Esprit pondéré et scientifique A. Devoir se heurte violemment aux
aventureuses théories célestes du docteur Marcel Baudoin dont il r é f u t e
pas à pas les arguments irrecevables il est vrai (1917) et qui, de nos
jours, nous f o n t plutôt sourire. En e f f e t M. Baudoin a f f i r m e que les
dolmens de Carnac f u r e n t construits en pleine période glaciaire, 10 000
ans avant J.C. alors que le "Centre Est du Finistère était un petit noyau
de neige" ! On pourrait aussi évoquer ses théories sur l'interprétation des
cupules, considérées comme des représentations de la G r a n d e Ourse et la
Petite Ourse en relation avec le mythe de l'Atlantide.
Plus près de nous le regretté Dr P.A. Cariou, m é d e c i n - c h e f de
l ' A é r o - n a u t i q u e , met son imagination fertile au service des mégalithes
(1959). On se perd un peu dans l'avalanche de ses interprétations mais on
peut en retenir quelques points : les grandes files de menhirs de Carnac
étaient
destinées
à
des
cérémonies
processionnaires,
les
files
perpendiculaires marquaient une vénération de la zone polaire du ciel,
les hémicycles étaient destinés au culte lunaire. P.A. Cariou imagine
m ê m e que les processions commençaient à l'Ouest des alignements au
lever du soleil et se terminaient à l'Est au lever de la lune. Par ailleurs il
lie la construction de certains monuments aux labours sacrés qui
s'exécutaient d'Est en Ouest, suivant la marche du soleil. C'est ainsi que
la diagonale d ' u n quadrilatère comme celui du C r u c u n o à Carnac avait sa
diagonale orientée aux levers équinoxiaux et sa longueur orientée suivant
19
le lever solsticial d'été. Mais si c'est le procédé inverse qui était adopté,
c ' e s t - à - d i r e la diagonale suivant le solstice d'été, l'orientation de la
longueur devenait N N E à 16° n'ayant plus rien à voir avec une
orientation solaire. F a u t - i l encore suivre P.A. Cariou lorsqu'il conclut en
visionnaire que les champs processionnés des alignements de Carnac
étaient peut être ces f a m e u x "Champs Elysées" que certains grecs
situaient au couchant de l'Europe.
3. - THEORIES MORBIHANNAISES DE R. MERLET et A. THOM
De n o m b r e u x auteurs se sont attachés, à l'époque m o d e r n e , à bâtir
des théories nouvelles sur les alignements et les menhirs du M o r b i h a n .
Zacharie Le Rouzic resta assez p r u d e n t dans ses écrits mais on peut
rappeler qu'il f u t l'instigateur des restaurations des grands ensembles,
m a r q u a n t d ' u n petit carré de ciment rouge les menhirs relevés à l'époque
moderne. Quand on voit le n o m b r e de c e u x - c i cela invite à beaucoup de
p r u d e n c e dans les théories utilisant les orientations actuelles de ces
monuments...
De 1917 à 1933 René Merlet, ancien archiviste d ' E u r e - e t - L o i r ,
s'intéressa aux monuments situés sur les îles du golfe du M o r b i h a n . On
lui doit un plan précis du double cercle de menhirs d ' E r Lanic avant
leur restauration par Z. Le Rouzic en 1924 mais c'est surtout le
"cromlech" de K e r g o n a n , situé sur l'île aux Moines, qu'il étudia (Merlet,
1974). Il en déduit qu'il s'agissait d ' u n observatoire en liaison avec
d'autres m o n u m e n t s comme Er Lanic, Graniol ou C o p o r h , suivant des
visées solsticiales (fig. 2). D'autres observations c o n c e r n e n t
les
m o n u m e n t s de Graniol à Arzon, de Pen Hap à l'île aux Moines. Il
s'intéresse au menhir d ' E r G r o h , le grand menhir brisé de Locmariaquer.
Il voit dans ce géant qu'il considère comme un m e n h i r abattu le point
central d ' u n système de visée complexe englobant les p r i n c i p a u x
m o n u m e n t s de ce secteur morbihannais. Il note que ce m e n h i r est dans le
prolongement de la ligne 80 du cromlech de K e r g o n a n et de la ligne
Est-Ouest menée par le menhir de Pen Hap. C'est une ligne équinoxiale.
Ainsi le 21 mars et le 21 septembre p o u v a i t - o n voir de Pen H a p le soleil
se coucher sur le menhir d ' E r G r o h et inversement d ' E r G r o h l'on
pouvait voir le soleil se lever sur Pen Hap. A p p a r e m m e n t le grand
m e n h i r de Locmariaquer aurait été lié aux systèmes solsticiaux d ' E r
Lanic, de K e r g o n a n et de G r a h Niol. R. Merlet découvre m ê m e une
autre liaison astronomique avec le petit cromlech du G r a n d R o h u situé
au-dessus des marais de K e r p o n t , c o m m u n e de S a i n t - G i l d a s - d e Rhuys.
Du centre de ce m o n u m e n t l'on pouvait voir le 21 j u i n le soleil
disparaître derrière le grand menhir de Locmariaquer. Il f a u t r e m a r q u e r
que les observations et les visées menées par R. Merlet le f u r e n t à une
époque où le secteur littoral était moins urbanisé. A u j o u r d ' h u i il est
souvent d i f f i c i l e d'obtenir des visées correctes.
20
U n autre résultat des travaux de R. Merlet f u t de tenter de dater les
m o n u m e n t s grâce aux variations de l'obliquité de l'écliptique. G r â c e à
des mesures très précises menées au théodolite, il nous d o n n e un tableau
de résultats (fig. 3) qui somme toute n'est pas en contradiction avec les
estimations archéologiques puisque les datations s'échelonnent de 5000 à
2700 ans avant J.C.
Les alignements de Carnac ont fait l'objet de travaux récents du
professeur A. T h o m d ' O x f o r d qui d é j à s'était penché sur de n o m b r e u x
sites britanniques, à commencer bien sûr par Stonehenge ( T h o m , 1967,
1971). A. et A.S. T h o m (1977) proposent tout d'abord une "géométrie"
des alignements de Carnac, basée sur l'utilisation d ' u n e unité de base, le
yard mégalithique de 0,829 m, avec un multiple la toise mégalithique
mesurant 2,5 yards mégalithiques soit 2,08 m. Les constructions des
alignements s'avèrent très élaborées, dépassant largement le simple usage
du triangle de Pythagore. A. T h o m souligne l'importance du grand
menhir du tertre du Manio qui pour lui était un f r o n t o n de mire
universel pour les observations solaires et lunaires, de même d'ailleurs
que le grand menhir brisé de Locmariaquer, comme l'avait suggéré R.
Merlet. Le m e n h i r du Manio servait tantôt aux observations solaires (vu
du cromlech oriental du Manio, il indique le lever du soleil au solstice
d'été, vu de la pierre S il suit le soleil couchant au solstice d ' h i v e r , vu
du groupe de Keriaval il indique la position extrême du lever lunaire).
Pour A. T h o m c'est dans une phase postérieure que f u t érigé le grand
m e n h i r pour obtenir des possibilités de visées encore plus complètes.
En conclusion A. Thom pense que les alignements de Carnac ont pu
constituer des entités indépendantes, chacune ayant son rôle propre
déterminé par son type de construction. Le Menec aurait été plus
particulièrement lié au système d'observations centrées sur le grand
m e n h i r de Locmariaquer. La finalité de tous ces documents aurait été
l'observation solaire mais aussi lunaire. A. T h o m précise m ê m e que les
observations lunaires pouvaient aller jusqu'à la prédiction des éclipses,
celles-ci se reproduisant suivant des cycles prévisibles.
Les derniers travaux sur le menhir d ' E r G r a h peuvent i n f i r m e r une
partie des théories de A. Thom mais on doit conserver ses intéressantes
données sur la métrologie qui rejoignent les mesures autrefois reconnues
en France par des auteurs comme A. KLerviler (toise et coudée
mégalithiques). Par ailleurs les relevés précis qu'il a fait de certains
m o n u m e n t s comme Kerlescan ou Le Menec nous sont i n f i n i m e n t
précieux (fig. 4).
21
4. - LE VERDICT DES FOUILLES RECENTES
L'on croyait tout savoir sur les mégalithes du M o r b i h a n . Et p o u r t a n t
les travaux de fouille et de restauration entrepris sur les grands dolmens
de Gavrinis et de Locmariaquer ont complètement rénové nos
connaissances sur les rites religieux néolithiques.
A Gavrinis, C.T. Le Roux (1985) a découvert des gravures plus
anciennes que celles de l'intérieur du dolmen sur l'extérieur des dalles du
couloir et de la c h a m b r e et donc invisibles des visiteurs. En particulier la
dalle de couverture de Gavrinis montrait, sur sa partie supérieure, une
gravure de h a c h e - c h a r r u e et deux bovidés dont l'un réduit à ses cornes
et l'amorce de son échine dorsale. La surprise f u t de constater qu'elle se
raccordait au célèbre attelage connu depuis longtemps à la Table des
M a r c h a n d à Locmariaquer. Les deux blocs sont taillés dans le m ê m e
granité venant de la région de Port-Navalo. U n troisième morceau de
granité recouvrant le tertre d ' E r G r a h , voisin de la Table des M a r c h a n d ,
peut se raccorder aux deux éléments de Gavrinis et de la Table des
M a r c h a n d (fig. 5). Ainsi un grand menhir aurait été gravé de hachescharrues avec leurs boeufs, puis dressé, puis abattu ou débité, les
morceaux servant de dalles à de grands dolmens. J. L'Helgouach (1983) a
montré que d'autres grands dolmens de Locmariaquer c o m m e le M a n é L u d ou le M a n é - R u t u a l avaient une c h a m b r e couverte par un grand
menhir brisé. Ceci remet en question la fonction du m e n h i r brisé de
Locmariaquer. Il pourrait s'agir d ' u n autre m e n h i r débité pour
éventuellement recouvrir des dolmens. Deux faits plaident pour cette
théorie : le 4ème bloc abattu est d é j à déplacé à 180° de son raccord avec
le 3ème bloc et de plus, sur le deuxième élément du menhir brisé, on
peut reconnaître, bien qu'érodée par le vent et le sable, une gravure de
h a c h e - c h a r r u e analogue à celles de Gavrinis et de la Table des
M a r c h a n d . Dans ce cas le grand menhir de Locmariaquer n'aurait pas été
un gnomon astronomique ou le repère central d ' u n système de visées
mais aurait été abattu peu après son érection par les néolithiques e u x mêmes. Voilà qui peut a f f a i b l i r les constructions théoriques proposées
par R. Merlet et plus récemment par A. T h o m .
On connaît mieux aussi la construction et même la destruction de
certains alignements de Bretagne intérieure. U n p r o g r a m m e de fouilles
mené à l'alignement du Moulin à Saint-Just, Ille-et-Vilaine, a m o n t r é
que ces m o n u m e n t s pouvaient avoir une vie très complexe et très longue
de 4500 à 2000 ans avant J.C. (C.T. Le R o u x , Y. L e c e r f , M. G a u t i e r ,
1989). Ils se compliquent de structures de combustion, de stèles en bois
et surtout de remaniements notamment au début de l'Age du Bronze où
les alignements ont été réutilisés pour construire des sépultures en urnes
ou en c o f f r e s avec petit entourage circulaire. A Saint-Just devait exister
un ensemble complexe orienté E - W avec les alignements et hémicycles
successifs du Moulin, des Demoiselles Piquées et du
Tribunal.
L'alignement du Moulin a une structure curieuse en deux files
convergeant théoriquement vers un point naturel élevé et une file
22
complémentaire perpendiculaire (fig. 6). Les orientations sont E - S - E
(105° N), E - S - E (117° N) et N 15°. Les Demoiselles Piquées sont
orientées W - S N - E - S E . Le "Tribunal" est un hémicycle s'ouvrant à l'Est
avec une possible pierre de visée situé à 60 m à l'Est. Notons que,
t o u j o u r s à Saint-Just, l'alignement de Bocadéve c o m p r e n d sur 340 m
plus de 60 blocs orientés à 83° N. Il n'a pas été tenté un essai général
d'interprétation astronomique de ces m o n u m e n t s mais en première
approximation l'on retrouve les grandes orientations usuelles des
alignements.
La destruction d'alignements néolithiques à vocation astronomique
au début de l'Age du Bronze est c o n f i r m é e par les travaux menés en
forêt de Brocéliande (Briard, 1989). Le T o m b e a u des Géants à
Campénéac, M o r b i h a n , se présente comme un grand caveau de l'Age du
Bronze dont les parois et la dalle de couverture ont été "empruntées" à
un alignement néolithique préexistant c o m p r e n a n t 4 grands menhirs de
schiste rouge, longs de 4 m. L'un d'eux git encore couché à 8 m de
distance de la tombe de l'Age du Bronze. En f o r ê t de Brocéliande
plusieurs alignements sont également orientés N o r d - S u d (La P i e r r e Drette, les Roches de Trébran). C'est également la même direction qui a
été choisie pour le beau "Cordon des Druides" à L a n d é a n , I l l e - e t - V i l a i n e ,
au coeur de la forêt de Fougères.
5. - L'OBSERVATOIRE DE PEN-AR-LAND A OUESSANT
En 1878 l'archéologue finistérien A. Le M e n n signalait à Ouessant
un alignement sur la pointe curieusement appelée la "Corne des Gaules".
P. du Châtellier reconnaissait le m o n u m e n t en 1883. Il avait observé,
près du village de Kernoaz, un cercle de petites pierres de 0,60 à 0,80 m
de haut dont les 4 plus hautes dépassaient de la lande. Il signalait qu'à
côté de ce cercle existait une file de menhirs N o r d - S u d de 60 m de long
avec 4 pierres principales et en bout une file complémentaire E s t - O u e s t
de 2 éléments principaux. P. Du Châtellier nota qu'au centre du
m o n u m e n t étaient dressées deux pierres. Malheureusement l'une de ces
pierres a été enlevée récemment pour orner un j a r d i n ! et l'autre détruite
ou déplacée. La rareté de monuments de ce type en Bretagne nous a
incité à e f f e c t u e r une fouille programmée en j u i n 1988 en compagnie de
M. Le G o f f i c , archéologue départemental du Finistère.
L'enceinte de P e n - a r - L a n d se trouve sur la falaise qui culmine à 32
m au-dessus de la mer, sur la pointe orientale de l'île d'Ouessant. Elle
c o m p r e n d encore 18 blocs réunis par de petits murets de pierres. La
f o r m e générale est elliptique, de 13 m suivant l'axe Est-Ouest et 10 m
suivant l'axe N o r d - S u d . C'est ce que A. T h o m appelle un "oeuf
mégalithique" (fig. 7). Le m o n u m e n t , fouillé sur les 3 / 4 de sa s u r f a c e ,
m o n t r e un lit de pierres au-dessus du sous-sol granitique. Au centre, une
23
fosse de 50 cm de p r o f o n d e u r correspond au calage des deux menhirs
centraux disparus.
Pendant la dernière guerre, des tranchées allemandes f r ô l è r e n t la
b o r d u r e de l'enceinte. U n e carrière ancienne, à l'est du m o n u m e n t , a
f o u r n i des déblais rehaussant le terrain contre les menhirs d'entourage.
Malgré ces déprédations le m o n u m e n t , une fois les quelques menhirs
couchés redressés, se présente comme un ensemble intéressant. U n bloc
qui gisait dans le q u a d r a n t N o r d - E s t a été replacé au centre pour
reconstituer son aspect original.
Les éclats de silex néolithiques suggèrent une construction vers 3000
ans avant J.C. Quelques tessons de poterie protohistoriques m o n t r e n t que
l'enclos de pierres a été encore utilisé sans doute à l'Age du Bronze vers
1000 ans avant J.C.
Au Sud, à 300 m du cercle, on a retrouvé les deux files de petits
menhirs signalés par P. Du Châtellier. Quatre sont en direction N o r d - S u d
et deux en direction Est-Ouest. De petits talus très anciens relient ces
menhirs. U n tout petit bloc au N o r d - O u e s t d o n n e une allure de
quadrilatère à cet ensemble.
En plein Est du centre du cercle se voit une petite butte naturelle,
distante de 150 m. Sur son flan Est gisait une pierre pyramidale de 1,30
m de long. Elle surprenait par son aspect trapézoïdal. U n sondage sur le
tertre Est a montré un f o y e r en p r o f o n d e u r et des pierres agencées en un
lit de plaquettes. Le foyer p r o f o n d est un élément possible de f e u rituel
lors de l'élévation d ' u n e pierre. Ces éléments ont incité les fouilleurs de
1988 à replacer cette pierre au sommet du monticule. L'opération a été
e f f e c t u é e grâce au concours de la municipalité d'Ouessant. La position
en plein Est de la pierre peut c o n f i r m e r que c'était bien là sa position
originelle correspondant aux levers équinoxiaux de p r i n t e m p s et
d ' a u t o m n e . Très visible de la mer elle a été repeinte en blanc par les
marins pour servir de repère maritime ou "amer". Après tout c'est p e u t être une remise en fonction de sa destinée initiale !
C o m m e les m o n u m e n t s semblables connus en grand n o m b r e dans les
îles Britanniques, mais très rares en Bretagne, le cercle d'Ouessant a pu
servir d'observatoire astronomique, en particulier pour jalonner les levers
du soleil, observables ici sur la mer à l'horizon. Les levers principaux
étaient balisés par des pierres : au N o r d - E s t pour le solstice d'été, à l'Est
pour les équinoxes de printemps et d ' a u t o m n e , au S u d - E s t pour le
solstice d'hiver. La lune pouvait intervenir aussi dans le n o m b r e des
pierres dressées.
24
CONCLUSION
La foi mégalithique a élevé sur le territoire de l ' A r m o r i q u e ces
menhirs et alignements dont il semble bien que le rôle était lié au culte
astronomique. Malgré tout ces m o n u m e n t s ont été bouleversés pour la
plupart au cours des âges, empêchant souvent des observations
d'orientation très précieuses. Toutefois malgré ces d i f f i c u l t é s les théories
les plus sérieuses se rapportent aux orientations solsticiales, équinoxielles
et aux levers intermédiaires, p e u t - ê t r e jalons de ces fêtes agricoles que la
tradition celtique semble avoir prolongé et qui subsistent en partie dans
nos fêtes populaires (feux de la Saint Jean). Mais le grand problème
actuel est souvent la conservation de ces m o n u m e n t s : déchaussement des
menhirs de Carnac ou sauvetage "in extrémis" de ce cercle d'Ouessant.
On ne peut que se r é j o u i r de la volonté actuelle de sauvegarder ces
précieux patrimoines du passé.
* * *
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Saint
26
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* * *
BIOGRAPHIE
B R I A R D Jacques, né le 7 N o v e m b r e 1933 à Saint Malo, occupe les
fonctions de :
- directeur de recherche au C.N.R.S.,
- chargé d'Enseignement "Préhistoire" à l'Université de H a u t e - B r e t a g n e ,
- responsable du Laboratoire d'Anthropologie à l'Université de R e n n e s 1
et de l'U.P.R. 403 du C.N.R.S.
Carrière au C.N.R.S. depuis 1953.
Travaux
:
- Fouilles de tumulus de l'Age du Bronze et de mégalithes
Bretagne
- Travaux sur l'Age du Bronze européen et la paléométallurgie
Principales
publications
:
"L'Age du Bronze en Europe"
"Mythes et Symboles de l'Europe Préceltique"
"Poteries et Civilisations"
"Mégalithes de Bretagne"
*
en
27
Figure 1 - Relevé
DEVOIR en 1908
des alignements
du Toulinguet
par A.
28
Nord
Figure 2 - Le cromlech de Kergonan (K) et ses relations
astronomiques avec les autres montiments du golfe du
Morbihan.
P : Pen Hap ;
E : Er Lanic ;
G : Graniol ;
L :
Locmariaquer ;
R : Grand Rohu
par R. MERLET
29
52''49'
a
5203g.52"22
52°56'42"375
(1)
levant
été
levant
hiver
levant
été
À
17°3r2"5
17°35'26"5
47°33'1G"1
(2)
r
L
G-p2
G-P^
K - C
E - MK
visées
52''4'33"
52°9'
levant
été
47°33'16"1
G
V
R - L
couchant
été
47''31'16"4
• R
G
5''14'4"6
5°11'21"0
5''13'44"7
5''13'44"7
5<'11'29"9
24°13'3"
24=11'20"
24''0'52"
2400.52"
23''59'55"0G
(3)
u
(1)
t
(5)
(1)
P
P
R
C
K
5000 av. J . C . 5000 av. J . C . 3000 av. J . C . 3000 av. J . C . 2700 av. J . C .
E -
centre E r l a n i c
n é o l i t h i q u e . L ' a z i m u t a désigne l ' a n g l e
K -
centre Kergonan
formé par l ' a l i g n e m e n t avec l a d i r e c t i o n
M -
Men-Colas
du nord (géographique). ( C e t t e valeur est
C -
Coporh (Men Guen)
donc indépendante de l a p o s i t i o n qu'oc-
G -
centre Graniol
cupe l e s o l e i l , a u j o u r d ' h u i , à l ' h o r i z o n ) .
P -
tombelles Pen Hap
R -
centre Grand Rohu
L -
Locmariaquer (Er Groh)
Azimut du s o l e i l au s o l s t i c e à l'époque
S o l e i l tangent à l ' h o r i z o n
Premier ou d e r n i e r rayon
(2)
Latitude
(3)
Longitude ouest de P a r i s
(4)
du p o i n t de visée
G - P^ = Ici' vœjon entre les
A
2 tombelles de gauche.
L
2
G - P = Soleil tangent à l'horizon-
O b l i q u i t é de l ' ô c l i p t i q u c à l'époque
néolithique.
Menhir culminant l a 1ère
La v a l e u r de u e s t donnée par l a formule
de t r i g o n o m é t r i e sphérique :
Sin M = cos a cos c
(5)
cos A + sin c
sin \
D a t a t i o n approximative. La date est c a l culée à p a r t i r de l a valeur de a e t de
tombelle de d r o i t e
a -
azimut du s o l e i l
c -
hauteur r é e l l e du s o l e i l
A -
latitude
la formule de Newcomb
F i g u r e 3 - D a t a t i o n d e s monuments m o r b i h a n n a l s
t r a v a u x a s t r o n o m i q u e s de R. MERLET ( 1 9 1 7 - 1 9 3 3 )
par
les
. Pierre
M
O
Ménec
'
-
à
Carnac.
'
"
"
31
Figure 5 - Reconstitution du grand menhir de Locmariaquer
composé des dalles de couverture de la Table des Marchand
(en bas), de Gavrinis (au centre) et d'Er Grah (au sommet)
d'après G.T. LE ROUX
32
de
la
Grée
JL
^
l e s d e t « a l i g n e m e n t s c o n v e r g e n t s du
p e r p e n d i c u l a i r e , d ' a p r è s C . T . LE ROUX
A
\
iii
les Demoiselles Pinuées
/
\
le
moulin
IP
f' ;
alignements
Le
du Moulin
Chotaigncr
de
Cojou
Moulin
;
et
à
Saint-
à droite
la
file
33
F i g u r e 7 - O u e s s a n t . E n c e i n t e m é g a l i t h i q u e de P e n - a r - L a n d .
E l l e c o m p r e n d 18 b l o c s i j r i n c i p a u x s u r u n t a l u s d e p i e r r e s
e t t e r r e . Au c e n t r e l a t r a c e de c a l a g e d ' u n é l é m e n t c e n t r a l
(2 m e n h i r s d i s p a r u s ) e s t v i s i b l e . D i m e n s i o n s : 18 m s u r 10
m.
Publ. Obs. Astron. Strasbourg
Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6
D A N SLEPROCESDEL'ASTROLOGIE,LE
LE RATIONALISME EST-IL TOUT A FAIT RATIONNEL ?
C.
MRILLRRD
35
DANS LE PROCES DE L'ASTROLOGIE, LE
R A T I O N A L I S M E E S T - I L TOUT A F A I T
RATIONNEL
?
The
criticLsm
formulaCed
by
scienctist
against
astrology appear frequently as non-relevant if one examines
them having a certain familiarity with symbolic thinking.
On one hand they dénoté a deep incompréhension : astrology
is heing pictured in his caricatural aspects (exploitation
of credulity, false science competing with Crue science)
and not being recognized in its specificity (a system of
symbolic lecture of reality and more specifically of the
relation between man and cosmos ; a refined psychologie
typology). On
the other hand
the criticisms,
always
aggressive, testity by their violence of an insufficiency
of the classic rationality. This rationality is insecure in
the presence of forms of experience and thought which
escape them ; it is a dogmatic rationality
and in
conséquence still not very rational.
The évolution undergone in this century by both science
and epistemology gave way to a more flexible and open
rationality, which should permit to recover ground
from
irrationality
and
to do Justice
to knowledge
like
astrology, which although non-scientific is not devoid of
cognitive value and could permit to re-locate astrology
among the human sciences (sciences de l'homme).
Question sacrilège... Il va de soi que celui qui la pose est
parfaitement conscient du caractère provocant de son énoncé. C'est
pourquoi je crois utile de définir d'abord précisément le lieu d'où je
parle et les raisons pour lesquelles ce thème s'est en quelque sorte imposé
à
moi. Je ne suis pas astronome ni astrophysicien, même amateur,
encore que fasciné par l'image du monde qu'astronomie et astrophysique
s'efforcent de construire. Je ne suis pas astrologue non plus, même si je
me suis assez sérieusement intéressé à l'astrologie, pour des raisons sur
lesquelles je vais revenir. Je suis ressortissant d'une discipline dite
36
littéraire ; universitaire, c ' e s t - à - d i r e f o r m é à cette exigence de rigueur
que l'on appelle volontiers chez nous aussi "scientificité" ; j e p r é f è r e
quant à moi m'en tenir au terme plus modeste de "rigueur", la
scientificité d ' u n e discipline étant toujours relative, et particulièrement
d i f f i c i l e à d é f i n i r dans le domaine de ce qu'on appelle "les sciences
humaines".
U n e longue démarche, sur laquelle il n'y a pas lieu de s'attarder ici,
m'a conduit, d'abord à des fins méthodologiques, instrumentales, à
étudier la psychologie analytique de C.G. J u n g , puis à travers elle
l'astrologie comme champ d'application de son principe de synchronicité;
puis à m'intéresser à l'épistémologie. Or l'astrologie ne m'a pas semblé
mériter le mépris massif et sans nuances dont les scientifiques l'accablent
le plus souvent (pas toujours !) et qui n'est en général que l'envers d ' u n e
p r o f o n d e ignorance du s u j e t , d ' u n e ignorance qui s'ignore e l l e - m ê m e
comme telle. D'abord, elle existe ; après plusieurs siècles d'éclipsé elle est
revenue en force, pour des raisons qu'il est trop simple de réduire à
l'attrait de l'irrationnel, à la survivance de la superstition. A ce titre
d é j à , en tant que phénomène sociologique et psychologique, elle requiert
une étude sérieuse, c ' e s t - à - d i r e exempte de préjugés - a u t a n t que f a i r e se
peut. Ensuite, à qui l'étudié ainsi elle apparaît comme un corpus de
savoir psychologique multiséculaire et pourtant actuel, non scientifique
certes, mais néanmoins souvent d ' u n e remarquable pertinence. E n f i n
l'astrologie m'a intéressé parce qu'elle soulève, considérée correctement,
au moins deux problèmes épistémologiques de première g r a n d e u r :
1. - celui de la pensée analogique et symbolique, de la valeur cognitive
de cette pensée que depuis Lévi-Strauss on appelle "sauvage" ;
2. - le problème reposé par la physique de ce siècle aussi bien que par sa
psychologie, du rapport entre le sujet et l'objet de la connaissance.
Je ne suis donc, comme on dit, ni astronome ni astrologue ; mais
j'avancerai le paradoxe qu'il est p e u t - ê t r e p r é f é r a b l e de n'être ni l'un ni
l'autre pour considérer la question avec distance et d é t a c h e m e n t , de
l'extérieur, du point de vue de la psychologie et de l'épistémologie. Car
si les astrologues s'emploient, c'est logique, à la d é f e n s e et illustration de
leur discipline, les astronomes s'acharnent à la démolir, s'estimant tout
naturellement les plus qualifiés pour argumenter contre elle, mais sans
jamais y parvenir. C'est précisément l'examen des positions des uns et
des autres qui m'a conduit à f o r m u l e r en fait non pas une, mais deux
questions sacrilèges : dans quelle mesure les critiques que f o r m u l e n t à
l'encontre de l'astrologie les scientifiques - n o t a m m e n t les astronomessont-elles pertinentes, c ' e s t - à - d i r e fondées sur une réelle connaissance du
s u j e t ? Et que penser de la rationalité a f f i c h é e dont elles procèdent ?
Les quelques réflexions qui suivent se proposent d'esquisser une réponse.
11 va de soi que, dans les limites d'un tel exposé, le s u j e t , immense, ne
pourra être q u ' e f f l e u r é . Le but poursuivi n'est pas tant de réhabiliter
l'astrologie -c'est l ' a f f a i r e des professionnels s é r i e u x - que d ' é b a u c h e r un
examen critique de l'argumentation de ses détracteurs, et surtout de
37
l'attitude
intellectuelle
et
psychologique
dont
procède
cette
argumentation. 11 va tout autant de soi qu'un tel examen n'est pas
innocent - j e veux dire : dépourvu de tout présupposé. Soumettre à la
critique une argumentation présentée comme rationnelle et scientifique
implique évidemment une certaine conception de la rationalité,
conception qui devrait se dégager au fil même du discours.
Pour faire un inventaire un tant soit peu exhaustif des objections
adressées par la science à l'astrologie, il faudrait un livre entier ; j'en
évoquerai seulement quelques-unes de plus courantes et des plus
caractéristiques. Voici d'abord quelques extraits d'un court texte paru il
y a trois ans dans un illustré allemand, (Hôrzu, 31.7.87), sous la
signature d'un Professeur Docteur, physicien et astronome : "Tous les
astronomes rejettent l'astrologie, la manie d'interpréter
la destinée et le caractère par les astres (Sterndeuterei, très
péjoratif) coimne dépourvue de preuves et même absurde. Ils
ont apporté
à diverses
reprises
la preuve
que les
horoscopes, grâce auxquels beaucoup de gens qui y croient
espèrent jeter un coup d'oeil dans leur avenir, ne sont que
fantasmagorie..." "Les éléments de l'astrologie, poursuit
notre auteur, "ne sont rien d'autre que des excroissances
aberrantes
de
1 ' imagination
humaine
(Auswiichse
der
m e n s c h l i c h e n P h a n t a s i e ) . . . Les dénominations des signes du
zodiaque n'ont rien à voir avec le caractère des hommes ;
ils sont nés de la seule imagination humaine. . . Dans sa
signification première, le zodiaque n'est qu'un symbole du
cycle des saisons -et rien d'autre. Les planètes aussi ont
été affublées d'un symbolisme : le rapide Mercure est
devenu le dieu du commerce... (etc...) Avec les signes du
zodiaque et les symboles planétaires, un astrologue habile
peut bricoler des combinaisons tellement variées que chaque
humain peut paraître avoir un horoscope individuel. Mais
les horoscopes ne reflètent que ce que la fantais ie y a
mis. "
Il est dommage de devoir traduire ce texte, véritable morceau
d'anthologie ; la lecture de l'original allemand fait apparaître à chaque
ligne,
derrière
chaque
mot
un
mépris
qui
n'a
d'égal
que
l'incompréhension du sujet. Ce que cet homme (dont la compétence
scientifique n'est pas en question) expédie en quelques lignes, ce n'est
pas 1 'astrologie, dont visiblement il ignore tout, mais une grossière
caricature. Assurément, cette caricature n'est pas dépourvue de vérité,
loin de là ; elle s'étale dans la presse, et c'est même malheureusement le
premier visage que l'astrologie présente en général au public. Comme l'a
écrit André Breton : dommage qu'à la place de cette "très grande
dame, fort belle et venue de si loin, trône aujourd'hui une
prostituée". Mais ce qu'il faut constater dans notre texte, c'est
l'absence de toute preuve et de toute amorce de raisonnement : il n'y a là
qu'affirmations
massives
étayées
sur
l'autorité
scientifique
de
l'astronome- comme si sa compétence en astronomie l'habilitait à parler
38
d'astrologie,
comme
si
l'astrologie
n'était
qu'une
contrefaçon
superstitieuse de l'astronomie et non pas un domaine spécifique. Non
seulement cet homme ignore tout du s u j e t , mais encore il ignore
totalement qu'il en ignore tout, il croit savoir. Si les critères essentiels de
la rationalité sont le doute et la recherche m é t h o d i q u e , alors, parlant
d'astrologie, cet astronome se situe au même niveau de rationalité que les
plus superstitieux lecteurs de l'horoscope hebdomadaire.
Il d o n n e un
p a r f a i t exemple de réductionnisme (ce n ' e s t q u e , et r i e n d ' a u t r e ) et
de rationalisme paresseux ; c'est pourquoi je l'ai assez longuement cité.
Mais il arrive aussi aux scientifiques d'argumenter contre l'astrologie.
Ils se sont longtemps gaussés de l'astrologie, certains p r o b a b l e m e n t s'en
gaussent encore parce qu'elle reste obstinément géocentrique. L ' o b j e c t i o n
est visiblement absurde. L ' o b j e t de l'astrologie étant l ' h o m m e dans son
rapport au système solaire, et l'homme étant domicilié sur cette terre, il
va de soi que la seule perspective logique est le géocentrisme, ou plus
exactement encore l'anthropocentrisme. Poussant le "raisonnement"
jusqu'au bout, on pourrait se moquer à son tour des astronomes qui, 350
ans après Galilée, voient encore naïvement, comme vous et moi, le soleil
tourner autour de la terre.
On ironise aussi sur le décalage entre les signes et les constellations,
sur l'ignorance où serait l'astrologie de la précession ; en f a i t , ce sont les
critiques qui ignorent l'astrologie, qui ignorent qu'elle prend très
généralement en considération le zodiaque tropique, et non le zodiaque
sidéral. Peu lui importe l'arrière-plan sidéral, et donc la précession : la
course apparente du soleil, d'un passage au point vernal au suivant, est
t o u j o u r s la même, et avec elle le cycle des saisons, qui d é t e r m i n e celui
de la vie. Le zodiaque, c'est la roue de la vie, une image du temps
cyclique, et l'un des systèmes symboliques les plus grandioses qu'ait
élaborés non pas l'imagination de l'humanité - c e t t e imagination que
l'auteur précédemment cité semblait tellement m é p r i s e r - mais son
psychisme collectif p r o f o n d .
Ces deux premiers exemples étaient particulièrement grossiers ; on
peut en citer d ' a p p a r e m m e n t plus subtils. L'un des plus courants et des
plus anciens consiste à dénoncer la vanité naïve de la vision astrologique
qui fait de l'individu humain le centre d'un univers où il n'est en réalité
que poussière négligeable. En fait, c'est l'argument l u i - m ê m e qui est
philosophiquement naïf : il confond l'homme comme objet e f f e c t i v e m e n t
plus ou moins négligeable dans le cosmos (encore que la très scientifique
théorie de 1' "effet papillon" permette après tout de douter qu'il soit tout
à fait négligeable), avec l'homme comme sujet constitutif de la
connaissance, c ' e s t - à - d i r e de la réalité cosmique telle que la construit la
conscience -science comprise. Beaucoup moins naïf était Einstein se
d e m a n d a n t si la lune continue à briller quand on ne la regarde pas...
39
Autre objection d'apparence plus sérieuse encore : dans le petit livre
de Paul Couderc, L'Astrologie, on lit (p. 45) que "la tare essentielle
de l'astrologie réside dans une extrapolation abusive des
relations entre le Soleil et la Terre, dans une application
fallacieuse
d 'incontestables
lois
à
des
thèmes
particuliers. Il y a abus de déterminisme. Pour défendre
l'astrologie, on vous dira : 'Puisque le soleil engendre
les saisons et intéresse ainsi l'humanité entière, comment
nier qu'il intéresse M. Durand en particulier ? . . . Le tour
de passe-passe est grossier : il s'opère dans le glissement
du général au particulier, dans l'abandon des relations
propres
à
la
physique
du
globe
(...)
pour
des
spécifications qui n'en découlent nullement... Oui, le
soleil chauffe la Terre et y entretient la vie : mais il ne
s'ensuit pas qu'il s'intéresse à vos affaire de coeur..."
Là encore, quiconque a abordé l'astrologie sans autre préjugé que la
curiosité intellectuelle constate que P. Couderc s'est fabriqué de
l'astrologie une caricature qu'il n'a ensuite aucun mal à ridiculiser. Lui
aussi confond allègrement le plan de l'objet avec le plan du sujet ; et ce
qui témoigne d'une incompréhension encore plus grave, il impute à
l'astrologie un principe déterministe, causaliste et mécaniste, il en donne
une interprétation naïvement concrétiste où pas un astrologue sérieux ne
peut reconnaître sa discipline. Assurément il y a toujours eu, il y a
encore des tenants d'une astrologie causaliste, d'ambition scientifique
donc ; mais ils savent donner, eux, de leurs conceptions une image non
grotesque. Toutefois il faut bien constater qu'ils se placent e u x - m ê m e s
en situation difficile face à la science, faute de pouvoir f o u r n i r des
preuves empiriques décisives ; et tant qu'ils ne les auront pas fournies,
on sera fondé à préférer à la conception c a u s a l i s t e la conception
s y m b o l i q u e plus traditionnelle. Selon celle-ci, l'astrologie n'est pas une
science au sens actuel du mot ; c'est un savoir spéculatif postulant non
pas un lien causal, mais une correspondance synchronistique entre
l'homme et le cosmos conçu comme psychoïde. La tradition astrologique
présuppose depuis toujours une vision du monde qui n'est pas celle de la
science depuis Galilée et Descartes : une vision du monde que la science
à certes réussi à d é c o n s i d é r e r , mais qu'elle n'a pas r é f u t é e . C'est là
précisément ce que les astronomes acharnés contre l'astrologie n'ont à
peu près jamais compris, faute d'une étude objective que leurs propres
présupposés rendaient impossible. A cette conception symbolique de
l'astrologie, Paul Couderc consacre en tout et pour tout une demi-page
dédaigneuse ("verbiage", p. 54) alors que c'est là que gît l'essentiel du
problème épistémologique posé par l'astrologie. De toute évidence, Paul
Couderc n'est pas informé, ne comprend pas - e t le ridicule, pour qui
comprend, se retourne contre lui.
Reste à invoquer, bien entendu, contre l'astrologie, le principe
d'autorité. Paul Couderc en use abondamment tout en se d é f e n d a n t de
vouloir en user. "Il n'existe pas, de nos Jours, sur toute la
Terre, un seul astronome, grand ou petit, qui croie à
l'astrologie... Qui empêcherait un astronome de publier son
accord sur une loi astrologique, s'il la reconnaissait
40
juste et bien fondée, et de s ' illustrer d'autant mieux par
cette preuve, qu'elle serait plus inattendue ?" (pp. 43 - 44).
Comme s'il s'agissait vraiment de c r o i r e , et non pas d'observer !
L'astrologue André Barbault, qui a visiblement réfléchi, lui, sur la
psychologie du collectif scientifique, a beau jeu de répondre :
"Parbleu, il suffirait qu'un seul astronome levât, pour le
principe, le petit doigt en faveur de l'astrologie pour
qu'il soit immédiat amant vu d'un mauvais oeil !" ( D é f e n s e
e t i l l u s t r a t i o n de l ' a s t r o l o g i e , Paris 1955 - G r a s s e t - p. 194).
Dernier exemple classique d'argumentation manipulée, connexe du
principe d'autorité : le cas de Kepler. Si Kepler a pratiqué l'astrologie,
c'est, dit Paul Couderc (p. 74 - 75), parce que "les astronomes
furent souvent forcés de gagner leur vie en tirant des
horoscopes". 11 s'agit malheureusement là encore d'une interprétation
naïve du cas de Kepler, que les tenants d'un rationalisme pur et dur se
transmettent pieusement de génération en génération depuis l'époque d
Voltaire, et qui fait peu de cas de la réalité. Le livre de Gérard Simon :
K e p l e r , a s t r o n o m e , a s t r o l o g u e (1979), scientifiquement solide, lui,
a fait justice de cette image d'Epinal. Il montre que, si la méthode de
Kepler est rigoureusement expérimentale, son hypothèse directrice est
pythagoricienne et implique la correspondance entre l'homme et le
cosmos ; si Kepler s'est effectivement battu contre l'astrologie des
charlatans, c'était pour défendre celle des chercheurs de son espèce. Le
cas Kepler présente un très grand intérêt épistémologique, en ce sens
qu'il montre que la démarche la plus rigoureusement scientifique, cellelà même qui conduit à des découvertes fondamentales, peut procéder
d'un présupposé purement spéculatif, ou d'une intuition irrationnelle.
Quiconque est un peu familiarisé avec l'histoire de la science et la
psychologie de la recherche sait que c'est même le cas beaucoup plus
f r é q u e m m e n t qu'on ne le pense, et que "la science" ne veut bien ellemême le reconnaître. On sait aussi que l'expérimentation n'est pas faite
au hasard, mais en fonction d'une hypothèse à priori qui peut fort bien
être spéculative. Le génie scientifique fonctionne comme le génie
artistique selon Picasso : il trouve d'abord, et cherche ensuite. "Si l'on
ne pèche pas contre les exigences de 1 ' entendement, à dit
Einstein, on ne peut arriver à rien..." (Cité dans : Wittmann J.
S p e z i e l l e R e l a t i v i t a t s t h e o r i e , Munchen, Bayr. Schulbuchverlag,
1977, p. 1).
Qu'on me comprenne bien : du cas Kepler - e t des autres objections
précédemment citées- je n'entends pas du tout tirer argument pour
l'astrologie, mais donner exemple de la faiblesse intellectuelle des
arguments que certains scientifiques invoquent contre elle. C e r t a i n s :
car il faut ajouter maintenant que tous n'ont pas été ni ne sont aussi
simplistes dans l'argumentation, ni si tranchants dans les conclusions.
Dans son livre V a l e u r de l a s c i e n c e (1906), H. Poincaré a écrit à
propose de l'astrologie : " . . .
Peut-être
les astres
nous
apprendront- ils un Jour quelque chose de la vie ; cela
semble un rêve insensé, et je ne vois pas comment il
41
pourrait se réaliser ; mais il y a cent ans, la chimie des
astres n'aurait-elle pas paru un rêve aussi insensé ?"
Certains en concluront peut-être qu'H. Poincaré était un faible d'esprit ;
on peut en conclure aussi que c'était un esprit plus p r o f o n d é m e n t
scientifique et rationnel que P. Couderc.
II est difficile d'en finir avec P. Couderc et son Que s a i s - j e sur
l'astrologie. Signe des temps ? Ce petit livre, qui a été pendant des
décennies sinon la Bible, du moins le bréviaire des anti-astrologues, n'et
plus réédité ; il est remplacé par un autre Que s a i s - j e , ouvrage
essentiellement historique et beaucoup plus pondéré. Mais Couderc
semble bien rester représentatif d'une attitude intellectuelle encore très
répandue, qu'il convient donc maintenant d'analyser.
Nous repartirons
clairement :
donc
de
Couderc...
De
sa lecture
il
apparaît
1. qu'il na pas compris la spécificité de l'astrologie ;
2. que sa conclusion massive était posée d'avance : n'étant pas
scientifique, l'astrologie est dépourvue de toute valeur cognitive et de
tout intérêt.
Tout le livre repose sur un postulat implicite, à savoir : qu'il n'y a
de connaissance que scientifique, que tout lien entre les phénomènes est
nécessairement causal, et que toute autre saisie du réel - d u cosmos, de
l'homme et de leur relation- n'est et ne peut être que superstition
préhistorique, "un reste de barbarie que l'évolution de notre
espèce et la civilisation n'ont pas encore réussi à
éliminer" (p. 125). Ce livre d'un rationaliste, qui se veut rationnel,
déborde en fait d'une ironie facile et d'une passion polémique qui
n'hésitait pas, naguère encore, à réclamer l'établissement d'une censure
contre la superstition (p. 127) et brossait un tableau apocalyptique des
"dégâts de l'astrologie : escroquerie, danger médical,
déchéance de 1 ' intelligence publique" (p. 80). Or l'explication
du caractère passionnel, rabique, de sa démarche, Couderc la donne luimême, non sans ingénuité : la "croisade" contre l'astrologie est difficile,
car "il n'existe, c'est un fait, aucun critère immédiat et
indiscutable qui rende évidente l'erreur astrologique et
une discussion peut tourner à la confusion du rationaliste
mal préparé à l'assaut" (p. 84). En termes plus clairs encore : la
science est impuissante à réfuter l'astrologie, hypothèse non "falsifiable"
parce que non scientifique, et c'est bien irritant pour P. Couderc et ses
compagnons de croisade. Il faut dès maintenant remarquer en passant
que ce rationalisme ultra-militant semble se faire de la science une
image datée des années 80 du 19e siècle, voire du 18e, plutôt que de
celles du 20e. La science et la rationalité de 1990 ont p e u t - ê t r e autre
42
chose à faire que de s'acharner ainsi contre l'astrologie. Il est évident que
P. Couderc et ses semblables manifestent, selon l'expression de B.
d'Espagnat, "cette déformation de l'esprit qui consiste à
nier 1'existence de tout ce que l'on ne peut prouver" (A l a
r e c h e r c h e du r é e l , p. 160). Vaste programme, et bien insécurisant.
Faute de pouvoir p r o u v e r que l'astrologie est absurde, Couderc n i e
qu'elle puisse contenir la moindre parcelle de vérité, f û t - c e non
scientifique.
Mais l'irritation n'est pas le seul a f f e c t que suscite chez ces
rationalistes l'hydre de la superstition : ils en ont peur aussi - e t ceci
explique cela. Ce qui s'affiche, c'est l'inquiétude au sujet de la santé
mentale des populations, qu'une censure bienfaisante devrait protéger. Ce
qu'il y a derrière, et qui relève de l'analyse psychologique sinon de la
psychanalyse, c'est autre chose encore. C'est la peur de l'irrationnel,
c ' e s t - à - d i r e de laut ce qui échappe - e n c o r e - aux prises de "la science" ;
la peur de tout ce qui remet en question et menace l'image que le
rationalisme classique se faisait du monde depuis Galilée, Descartes,
Newton et Laplace. Image rassurante parce que familière : celle d'un
univers entièrement rationalisable, intégralement soumis au mécanisme
causal, au déterminisme, et dans lequel tout ce qui échappait à la science
était négligeable -ou n'existait pas, ne devait pas exister. A u - d e - l à P.
Couderc je pense ici aussi à l'intense émotion qu'a manifestée (en 1981)
un physicien renommé, notoirement matérialiste (dialectique), à l'idée
que, dans la controverse sur l'interprétation de la mécanique quantique,
Bohr pourrait quand même avoir raison contre Einstein : à l'idée que
déterminisme et causalité pourraient n'être pas la loi ultime de l'univers
dit objectif, et que "Dieu pourrait jouer aux dés". Le long texte que ledit
physicien a publié le 5.4.81 dans Le Monde
mériterait une analyse
détaillée. Le débat entre les physiciens y prend figure d'apocalypse, on y
voit déjà "dresser un acte de décès de la raison" (sic). L'explication
psychologique de cette panique est assez simple. Nietzsche déjà l'avait
esquissée il y a cent ans, Jung l'a développée. De tels esprits - q u i restent
n o m b r e u x - ne sont pas vraiment rationnels, ils sont rationalistes. Le
rationalisme ainsi conçu, ou plutôt ainsi vécu sur le mode de réflexe et
non sur le mode réflexif, s'est figé en une vision du monde qui
fonctionne comme l'objet de substitution sur lequel se fixe une
religiosité devenue sans emploi de par la "mort de Dieu". Depuis Galilée,
Descartes, Newton, une fois pour toutes le champ de la rationalité est
délimité et ses formes sont codifiées. On ne peut concevoir sans vertige
et sans scandale qu'elle soit amenée à se transformer. Ce rationalisme-là,
qui repose sur un acte de foi dans une raison sacralisée sous son visage
traditionnel, est de part en part infiltré d'affectivité ; c'est l'intégrisme
d'une religion laïcisée, devenue inconsciente d'elle-même. L'idéologie
scientiste alors n'est pas loin, et l'on ne s'étonnera pas de la voir
f r é q u e m m e n t associée à celle du matérialisme dialectique. Dans ces
conditions, on peut comprendre l'irritation, le désarroi et la peur des
intégristes du rationalisme devant le devenir de la rationalité, tel que la
science l'oriente, et devant tout ce qui échappe à la rationalité
traditionnelle et s'obstine à exister quand même. De ce rationalisme-là,
qui n'a pas changé depuis deux siècles, Goethe déjà se moquait : Goethe,
43
autre esprit faible, qui entame le récit de sa jeunesse en commentant son
ciel de naissance...
Le zèle des intégristes du rationalisme va parfois très loin, et les
induit alors à des imprudences, sinon proprement scientifiques, du moins
philosophiques, ce qui, à partir d'un certain niveau de compétence et de
responsabilité, ne me paraît guère moins grave. Participant à la croisade
contre le révisionnisme qui sévit jusque dans les milieux scientifiques,
un très éminent astrophysicien a déclaré (Le Monde, 26.4.81) s'honorer
d'être membre de l'Union rationaliste. On peut remarquer que la
proclamation de cette appartenance quasi-confessionnelle n'a rien à faire
en principe dans un débat d'idées entre hommes de savoir ; on peut aussi
se demander s'il est réellement honorifique de se réclamer d'une
association dont la philosophie ressemble beaucoup plus à celle de
Monsieur Homais qu'à celle de Heisenberg, de Schrôdinger ou de B.
d'Espagnat - p o u r ne citer que trois noms au-dessus de tout soupçon
d'irrationalisme. Les trois cas évoqués : ceux de l'astronome, du
physicien et de l'astrophysicien, montrent avec éloquence combien
problématique est la rationalité des rationalistes trop militants. Comme
Jung l'expliquait à propos de Freud, le dogmatisme est toujours là pour
colmater une faille, et par définition il n'est pas rationnel. Plus vibrante
est la profession de foi rationaliste, plus menacé le retour de l'irrationnel
refoulé, sous les formes du dogmatisme, de l'intolérance, de l'invective,
de l'agressivité polémique, et éventuellement, pour finir, sous celle du
déraillement logique.
Comment de tels excès sont-ils possibles de la part de scientifiques
dont la compétence disciplinaire éminente n'est pas en cause ? A
l'explication par le retour d'un irrationnel religieux refoulé, il f a u t sans
doute en ajouter une autre. Il s'agit à l'évidence d'esprits beaucoup
mieux formés à la pensée mathématique, au savoir quantifié, qu'à une
saisie qualitative du réel et à sa conceptualisation philosophique. Or la
transformation des vues théoriques fondamentales qui s'est opérée dans la
science du 20e siècle (le "changement de paradigme") n'est pas seulement
mathématique, elle est aussi conceptuelle, philosophique ; c'est l'image
même que la conscience scientifique construit du réel qui a changé - q u i
doit changer, qui devrait changer et qui ne change pas toujours.
L'astronome Couderc est naturellement à l'aise pour discuter de
statistiques astrologiques (encore que certains résultats semblent le gêner
aux entournures), il est très à l'aise aussi pour ironiser sur les échecs
patents de la prédiction ; mais visiblement il ne soupçonne pas même
l'existence d'un système symbolique de l'astrologie, ni la possibilité d'une
pensée et d'une connaissance symboliques qui soient autre chose qu'un
reliquat de superstition barbare. Evoquant une controverse entre des
astronomes et des astrologues, il rapporte - n o n sans ingénuité- ce propos
déconfit des astronomes : "Ils nous ont chicanés sur les
définitions, nous n'avons pas pu aller plus loin". On ne
saurait dire plus clairement que ces rationalistes-là ne peuvent discuter
qu'avec qui est d'accord avec eux, a priori et sur des définitions qui
restent implicites et qu'il est incongru de remettre en question. Du strict
44
point de vue de la méthode scientifique, qui implique la maîtrise non
seulement des outils mathématiques mais aussi du raisonnement et du
discours logique, il y a là comme un défaut. Retranchés dans
leur
forteresse scientiste, de tels esprits sont à l'évidence incapables de toute
réflexion épistémologique.
Assurément, ce rationalisme intransigeant, devenu a u j o u r d ' h u i
dogmatique, myope et frileux, a eu dans l'histoire du savoir sa raison
d'être et sa justification. D'une part, pour se constituer et faire
triompher sa légitimité, le savoir scientifique a dû lutter longtemps et
durement contre la pensée prélogique -sens commun et superstition- et
contre l'impérialisme du dogme religieux. Puis, ayant cessé d'être menacé
il s'est à son tour constitué en une dogmatique culminant au 19e siècle
dans l'idéologie scientiste, dont le procès épistémologique et sociologique
n'est plus à faire. D'autre part, la vision du monde qui s'est établie au fil
de l'histoire, de Copernic à Laplace, a représenté sans aucun doute un
immense progrès ; elle a été efficace. Mais, après avoir été subversive,
elle a peu à peu remplacé la vision religieuse dans le rôle
psychologiquement sécurisant du savoir dominant, totalisant et garanti
par une autorité aussi indiscutable que jadis celle de l'Eglise : en d'autres
termes, elle s'est sclérosée. Chez ceux qui s'y cramponnent, le besoin de
sécurité intellectuelle l'a emporté sur l'esprit d'aventure qui permet seul
les progrès décisifs ; ils tiennent à leurs habitudes mentales, et quand ils
les sentent menacées ils dénoncent la montée de l'irrationalisme, et
appellent à la croisade.
Malheureusement -si l'on peut dire- la science, elle, ne est pas
arrêtée, et c'est son développement depuis Max Planck qui a ruiné cette
vision mécaniste et déterministe d'un monde caricaturalement réduit par
l'opposition entre les domaines d'une rationalité élémentaire et d'une
irrationalité ténébreuse. Tout au long de ce siècle, on a assisté à ce que
l'on appelle désormais un changement de paradigme, c ' e s t - à - d i r e à la
métamorphose des conclusions théoriques fondamentales auxquelles la
science aboutit et qui deviennent les constituants d'une nouvelle vision
scientifique du monde -ou plutôt d'une vision métascientifique. Les
aspects essentiels de ce changement sont connus ; pour abréger, je n'en
rappellerai que quelques-uns des plus frappants :
1. L'abandon
statistique ;
du déterminisme causaliste au profit d'un
probabilisme
2. La relativisation de l'espace, du temps et de la causalité ;
3. Le passage d'un dualisme strict s u j e t - o b j e t à l'idée d'une interaction
postulant éventuellement, en dernière analyse, l'unité ontologique des
deux. C'est ainsi que pour Schrôdinger "le monde extérieur et la
conscience sont une seule et même chose, en ce sens que
l'un et l'autre sont composés des mêmes éléments premiers"
(Meine Weltansicht, p. 68). De même, pour C.G. Jung il est "non
seulement possible mais même dans une certaine mesure
45
vraisemblable que matière et psyché soient deux aspects
d'une seule et même réalité" (Gesammelte Werke, 8 p. 246). La
même idée se retrouve aussi chez Bachelard (Le nouvel esprit
scientifique, 1949, p. 82), chez Heisenberg (Das Naturbild der heutigen
Physik, 1956, p. 18), chez le biologiste Max Delbrûck, chez B.
d'Espagnat (A la recherche...). H n'est pas sans intérêt de signaler
en
passant que Parménide avait déjà énoncé la même idée, il y a 25 siècles
environ : la pensée et l'objet de la pensée sont une seule et même chose
(W. Capelle, Vorsokratiker, p. 167). La raison scientifique aurait grand
tort de mépriser l'intuition philosophique : elle est moins sûre, mais elle
va plus vite...
4. Corollairement, l'opposition matérialisme-idéalisme a
pertinence, elle est supplantée par un monisme "énergétiste" ;
perdu
sa
5. La conception du savoir qui s'impose est un relativisme de type
kantien : la connaissance résulte d'un processus d'interaction et de
construction ; le réel n'est pas accessible en soi, il demeure "voilé" (B.
d'Espagnat) ;
6. La totalité du réel étant reconnue comme plus vaste que la totalité du
savoir empirique, actuel et virtuel, l'esprit scientifique reconnaît ses
limites, renonce à son impérialisme et admet que la science n'est pas la
seule voie d'accès à la connaissance du réel. Comme l'écrit B.
d'Espagnat, avec la prudence
du
vrai rationalisme : "toute
compréhension
n'est
peut-être
pas
nécessairement
intellectuelle" (A la recherche... p. 99).
Déterminé par l'évolution même de la science la plus "dure", ce
changement de paradigme ne ruine évidemment pas la rationalité ; il
ruine seulement le rationalisme classique, et rend nécessaire un
renouveau de la conscience rationnelle. On peut concevoir ce renouveau,
historiquement, comme une synthèse dialectique, comme un au-delà de
la pensée prélogique et du rationalisme classique. Cette nouvelle
rationalité est déjà définie depuis longtemps. "Il faut i n q u i é t e r la
raison
et déranger
les habitudes
de la
connaissance
objective", a dit Bachelard (La formation de l'esprit scientifique, p.
247). "Il faut aller du côté où la raison se sent en danger"
; "Y a-t-il, d'un point de vue tout à fait général, des
méthodes
de pensée fondamentales
qui échapperaient
à
l'usure...? Il ne le semble pas si l'on veut bien, pour en
juger, se placer systématiquement sur le domaine de la
recherche objective, dans cette zone où l'assimilation de
l'irrationnel
par
la
raison
ne
va
pas
sans
une
réorganisation réciproque du domaine rationnel. (...) Dès
lors
de
la
dualité
statique
du
rationnel
et
de
1'irrationnel est supplantée par les dialectiques de la
rationalisation active." (Le nouvel esprit scientifique, p. 137 et
158). Même langage chez Jung, dont toute l'oeuvre et l'activité
témoignent d'une intense réflexion épistémologique : "Qui suit la
voie sûre est comme mort" (Ma vie, p. 340) ; "Le rationalisme
46
et le doctrinarisme sont des maladies de notre temps ; ils
ont la prétention d'avoir réponse à tout. Pourtant bien des
découvertes que nous considérons comme impossible -quand
nous nous plaçons à notre point de vue borné- seront encore
faites" (ibid. p. 342). Elles seront faites, a j o u t e - t - i l ailleurs (GW. 8, §
861) "le plus souvent tout Juste là où les autorités ont
assuré qu'il n'y avait rien à chercher".
Toutes ces citations montrent excellemment ce que peut être une
rationalité sûre d'elle-même parce que parvenue à maturité, capable de
regarder en face ce qui lui échappe encore, et de se renouveler assez
pour tenter de l'intégrer. La rationalité mathématique et la rationalité
conceptuelle n'épuisent pas nécessairement le champ du rationnel.
Quiconque a eu quelque contact avec la psychologie de rinconscient et
l'univers de la "pensée sauvage" sait empiriquement ce que Lévi-Strauss a
montré : que la pensée symbolique possède une rationalité spécifique,
souvent déroutante, toujours difficile, mais cohérente. Quoi qu'en ait
pensé P. Couderc, on ne peut pas faire dire n'importe quoi à un
symbole, astrologique ou autre. Assurément, la pensée sauvage présente
un caractère d'archaïsme -on pourrait aussi dire : d'intemporalité ; mais
comme le montre toute l'oeuvre de Jung, c'est dans cet archaïsme même,
celui de l'inconscient, que se trouve la source de toute vie, de toute
énergie créatrice, et c'est cette source qu'il s'agit de capter, en la faisant
accéder à la conscience - d o n c , en fin de compte, à la rationalité, dont on
peut dire paradoxalement que son pouvoir mieux compris est à la fois
bien plus réduit et bien plus étendu que le rationalisme classique n'avait
pu l'imaginer.
Et l'astrologie, dans tout cela ? Jusqu'ici nous n'avons guère vu
qu'un rationalisme caricatural aux prises avec une caricature de
l'astrologie, ce qui correspondait à l'intention annoncée : non tant
réhabiliter l'astrologie que critiquer l'archéorationalisme incapable de la
comprendre. Les deux questions initiales ont reçu l'esquisse d'une
réponse. Etre astronome ou physicien ne confère aucune compétence
pour parler avec pertinence de l'astrologie, car, passé le stade de
l'établissement purement objectif de la carte du ciel, les deux disciplines
n'ont plus rien de commun. Pour P. Couderc, Mars est un caillou soumis
à la gravitation ; pour l'astrologie, il est un élément d'une structure qui
n'a de sens que dans une vision symbolique du réel. Quant au
rationalisme dont procèdent presque toujours les critiques adressées par
les scientifiques à l'astrologie, il est périmé. Mais il convient, pour
terminer, de situer l'astrologie par rapport à ce néorationalisme dont
quelques traits viennent d'être évoqués. Elle n'est pas une concurrente
arriérée de la science ; elle fait partie d'un autre système de lecture du
réel ; ce n'est pas une science, c'est une herméneutique. Elle propose ce
que la science actuelle ne peut ni ne veut donner : une interprétation de
la place de l'homme dans l'univers et du rapport entre les deux. Cette
vision symbolique n'est pas même en concurrence avec la vision
scientifique, elle en est complémentaire, elle se déploie sur un autre
plan. Il se trouve de surcroît qu'elle n'est même plus en contradiction
47
ouverte avec l'image holistique que la science construit a u j o u r d ' h u i du
réel, ni avec la pensée spéculative dont la cosmologie, d e v e n u e
cosmogénèse, ne peut plus faire l'économie, ni avec celle qu'ont
développée les plus grands physiciens de ce siècle.
Mais dans quelle mesure cette approche du réel est-elle opératoire ?
C'est un problème évidemment essentiel, qu'il appartient aux astrologues
et aux statisticiens de traiter plus systématiquement que par le passé. Je
dirai simplement que si la valeur prédictive de l'astrologie est bien
problématique et devrait d'ailleurs être redéfinie plus précisément, en
revanche elle o f f r e , comme le reconnaissait d é j à E m m a n u e l M o u n i e r
dans son T r a i t é du c a r a c t è r e , un instrument d'analyse psychologique
et caractérologique d ' u n e grande finesse, encore que pour cette raison
même d i f f i c i l e à manier correctement ; j ' a j o u t e r a i que la correspondance
qu'elle établit entre microcosme et macrocosme, entre une structure
psychique et une structure cosmique considérée comme psychoïde semble
bel et bien fonctionner en principe. Pour tenter d'expliquer ce
p h é n o m è n e déroutant, il est é v i d e m m e n t nécessaire d ' a b a n d o n n e r jusqu'à nouvel o r d r e - la lecture causaliste du réel, et de recourir au
principe jungien de s y n c h r o n i c i t é : de relation f o n d é e non sur la
c a u s e , mais sur le s e n s . Et c'est bien là
l'intérêt épistémologique
m a j e u r que présente l'astrologie, si problématique qu'elle soit dans sa
pratique : en même temps que la science, mais par de tout autres voies,
elle invite à la réinterprétation radicale du rapport entre l ' h o m m e et
l'univers. Le procès de l'astrologie n'est pas clos, le dossier doit être
rouvert -il l'est d é j à ; mais pour l'instruire cette fois correctement, le
rationalisme devra se faire plus rationnel.
^ "Il y aurait en quelque sorte deux niveaux de contact entre les choses. D'abord
celui
de
la
causalité
traditionnelle.
Et
puis
un
niveau
qui
n'implique
pas
de
force d'un corps sur un autre, pas d'échange d'énergie. Il s'agirait plutôt d'une
influence
immanente
et
omniprésente
qu'il
est
difficile
précision." (H. Reeves -Patience dans l'azur- p, 208)
de
caractériser
avec
48
BIOGRAPHIE
Claude M A I L L A R D , maître de conférences à l'Université des
Sciences Humaines de Strasbourg (Institut d'Allemand), a publié
plusieurs études sur, et traduit des textes de C.G. Jung. C. Maillard
travaille actuellement à la traduction de sa "Correspondance".
*
* * *
Publ. Obs. Astron. Strasbourg
Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6
COMMENTAIRES SUR L'EXPOSE DE
M.
M A I L L A R D
H.
RNDRILLnT
49
C O M M E N T A I R E SUR L'EXPOSE DE M .
MAlLLARD
Astrology could justify it self even today in the
measure in which Its adepts consider itself a symbolism,
leading to an immediate communion with reality, a knowledge
without the passage through language.
Unfortunately
the
astrology
with
which
we
are
confronted every day -specially in the média- is still a
vénal astrology which exploits the ignorance of the public
in astronomical matters. Paul Couderc (of which we want to
recall his universal culture and spiritual liberty) was
justified in attaching vehemently in his books this vénal
astrology.
* * *
J'ai beaucoup apprécié l'exposé de M. Maillard qui a su élever le
débat sur l'astrologie moderne à un haut niveau philosophique, avec une
p r o f o n d e u r et une liberté de pensée, propres à réhabiliter cette ancestrale
pratique aux yeux des scientifiques les plus combatifs.
Mais précisément, à vouloir la traiter comme une science et en
dénoncer les erreurs, se privent-ils vraiment d'une autre voie de la
connaissance, dans une attitude qui pourrait paraître sectaire au
philosophe ?
50
Je crois que non. Je ne crois pas que la science avance avec de telles
oeillères, surtout la science actuelle qui ne prétend plus à la connaissance
du réel mais à sa modélisation de plus en plus précise et é t e n d u e ; mais
j e pense que, très souvent, le scientifique est très p u d i q u e a u j o u r d ' h u i en
matière de philosophie, ce qui ne signifie pas qu'il l'ignore, encore moins
qu'il la méprise : alors que l'on en soulève un peu le voile et il parlera
volontiers.
Je parlerai donc de l'astrologie, d'abord pour dire ma nostalgie de
l'astrologie de l'antiquité, cette astronomie des a s t r e s - d i e u x : A t o u m le
soleil, dieu du m o n d e , sans cesse renaissant et t o u j o u r s accompli, H a t h o r ,
l'étoile Sirius, déesse de la beauté et de l'amour. Quelle tristesse de ne
plus pouvoir croire a u j o u r d ' h u i en votre divine poésie !
Mais quelle cupidité s'est soudain saisie, un peu plus tard, de la
c h a r m a n t e religion astrale chaldéenne et de son art divinatoire ? Seraitce seulement astrologie vénale, cette astrologie prostituée qui subsisterait
a u j o u r d ' h u i , avec la vente de ses horoscopes de pacotille ?
Je veux croire avec M. Maillard q u ' u n e aspiration plus haute a
assuré la pérennité de l'astrologie j u s q u ' à nos jours. J'y veux voir une
f o r m e de la quête du réel, si chère à la pensée de l ' h o m m e .
Deux grandes attitudes rivalisent dans cette a p p r o c h e du réel,
chacune avec ses avantages et ses inconvénients : la description du
m o n d e à l'aide du langage ; la recherche d ' u n e c o m m u n i o n ,
immédiate
au contraire, avec le cosmos dans une attitude d'intériorisation.
La science ressortit à la première, la religion à la seconde.
Le langage tue le réel mais c o m m u n i q u e à tous l'idée que nous nous
en faisons : en parlant d ' u n a r b r e , je substitue à son être et à tous ses
prolongements
cosmiques
la seule
idée
d'
"arbre" mais
avec
l'irremplaçable supériorité du langage : le contrôle possible de l'idée par
l'humanité toute entière, si précieux et si sûr dans la m é t h o d e
scientifique, qui utilise des langages très précis et souvent le plus précis
de tous, le langage mathématique.
Le résultat sera une modélisation de l'objet décrit, dont le véritable
scientifique sait qu'elle n'est pas le réel mais qui ouvre un c h a m p de
connaissances qui, pour rester partielles, n'en f o r m e n t pas moins un
ensemble colossal et de grande importance humaine.
51
Le seconde attitude est à l'antipode de la première : elle doit f a i r e
taire tout langage avec autrui mais aussi avec s o i - m ê m e et n'être q u ' u n e
c o m m u n i o n immédiate (sans intermédiaire et en particulier sans celui du
langage) avec le réel.
La réussite devrait être alors 1' "Illumination", la Connaissance, mais
avec le risque qui subsiste toujours dans une telle pratique solitaire, de
croire l'avoir atteinte mais d'avoir été victime d ' u n e illusion.
C'est dans une telle attitude d ' a p p r o c h e du réel que j'envisagerais la
seule justification possible de l'astrologie : dans ce vide total que l'on
devrait f a i r e en soi pour atteindre la c o m m u n i o n avec le réel, le cosmos
reste la voie royale et pour ne point se perdre dans un néant vertigineux,
les symboles et les règles de l'astrologie y apparaissent c o m m e les repères
ancestraux et privilégiés du chemin de vérité.
L'astrologie comme une symbolique, non c o m m e une science !
Dans ce sens, M. Maillard a raison d'insister sur ce qu'il y a de vain
à vouloir d é m o n t r e r , à grands coups de précession des équinoxes, que
telle ou telle donnée astrologique repose sur des bases fausses : le
symbole est arbitraire.
Telle est cette astrologie philosophique dont nous pourrions encore
rêver a u j o u r d ' h u i .
Mais il f a u t garder les pieds sur terre. Nous ne croisons jamais,
hélas ! sur notre chemin, cet astrologue philosophe qui aurait pris le
temps d ' a p p r o f o n d i r la symbolique ésotérique de l'astrologie antique,
pour avancer sur le chemin de la n o n - f o r m e . L'astrologie de tous les
j o u r s dont on nous rabat les oreilles à la radio ou dont on nous crève les
yeux à longueur de programmes publicitaires à la télévision ou à pleines
pages de quotidiens et de périodiques n'est que de l'astrologie
d'ignorance qui, elle, n'hésite pas à se vouloir s c i e n t i f i q u e m e n t
astronomique p r o f i t a n t de l'ignorance encore quasi générale de gens,
dans ce domaine. Mais c'est surtout de
l'astrologie vénale, à tant la
ligne. Ecrite en toute conscience sans le m o i n d r e souci de vérité et
p r o f i t a n t sans scrupules du malheur ou de l'incertitude d ' a u t r u i , pour
vendre de l'espoir sans f o n d e m e n t .
Alors j e crois que malheureusement la seule astrologie que l'on
rencontre est celle-là et que Paul Couderc a eu raison d'écrire son livre
dans les termes où il l'a écrit et avec la véhémence de l'indignation.
Certes, il est tombé dans le piège de la démonstration scientifique de
"l'erreur" astrologique. Mais cela a f i n a l e m e n t peu d ' i m p o r t a n c e .
52
A certains de ses propos, M. Maillard m'a donné l'impression de
l'avoir peu connu et de l'avoir imaginé (seulement p e u t - ê t r e à travers ses
écrits contre l'astrologie), comme un esprit étroit et sectaire, adonné
totalement à une branche de l'astronomie sans e n v e r g u r e , hors de
laquelle aucune autre vérité ne pouvait exister pour lui.
A u x yeux de ceux qui ne l'ont pas connu, j e voudrais réhabiliter la
mémoire d ' u n h o m m e qui n'a été que le contraire de cela.
Paul Couderc a été une intelligence, scientifique certes mais aussi
une intelligence tout court, d ' u n e ouverture d'esprit totale, capable de
tout c o m p r e n d r e , en particulier et en tout premier lieu les grandes
démarches philosophiques de l'esprit humain vers l'insondable vérité, un
h o m m e d ' u n e immense culture, à jamais a m o u r e u x de la civilisation
greco-latine, dont il connaissait à la perfection l'histoire et la langue. E n
un mot, un p a r f a i t humaniste et nul, n o t a m m e n t , n'aurait su mieux que
lui parler de l'histoire de l'astronomie et de l'astrologie de l'antiquité à
nos jours.
C'était aussi un h o m m e doux et bon, d ' u n e grande tolérance et j e ne
crois pas qu'il aurait désapprouvé l'opinion de haut vol que M. Maillard
nous a présenté sur l'astrologie. Mais il ne se sentait pas le droit de se
taire devant l'usage scandaleux que bien trop de personnes osent encore
f a i r e présentement de l'astrologie et qui nous masque la portée
philosophique de celle-ci, en nous contraignant à l'indignation et au
mépris pour ce qui f u t , à l'aube de notre civilisation, une des gloires de
la pensée humaine.
BIOGRAPHIE
Henri A N D R I L L A T est professeur à l'Université des Sciences de
Montpellier, où il enseigne l'astronomie, l'astrophysique, la relativité
générale et la cosmologie.
Il est également président de l'Académie des Sciences et Lettres de
Montpellier.
*
* * *
Publ. Obs. Astron. Strasbourg
Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6
PREOCCUPATIONS COSMOLOGIQUES ET
ASTRONOMIQUES DANS LES TRAVAUX DE
L'ECOLE FRANCAISE D'ETHNOLOGIE DANS
LA BOUCLE DU NIGER
P. ERNV
53
PREOCCUPATIONS
ASTRONOMIQUES
DANS
COSMOLOGIQUES
LES
TRAVAUX
ET
DE L'ECOLE
F R A N C A I S E D'ETHNOLOGIE DANS LA BOUCLE DU
NIGER
The School of ethnology which grew up around Marcel
Griaule in the 1930's has worked very much on the ethnie
groups of the Niger valley and more in particular on the
Dogons and Bambaras. She was strongly interested in the
représentation
of
the Universe
of
these groups
and
collected important ethnoastronomic material. The present
paper recalls the cosmologie and astronomie préoccupations
of some of these ethnologists, like Marcel Griaule himself,
his closest collaborator, Germaine Dieterlen, and of Jean
Servier.
* * *
La boucle du Niger est une des régions culturellement les plus riches
d ' A f r i q u e Noire. Il ne faut pas oublier que c'est là que se sont épanouis
les empires les plus prestigieux : Ghana, Mali, Gao, Mossi. Le H a u t Niger est le pays de l'or, qui a fourni ce métal précieux au monde
méditerranéen durant des siècles, peut-être des millénaires. Le Sahara n'a
pas toujours été ce qu'il est a u j o u r d ' h u i . Les fresques que l'on découvre
dans les régions les plus désertiques montrent qu'il y existait autrefois de
florissantes civilisations pastorales. Les pistes qui le traversent sont parmi
les routes commerciales les plus anciennes et les plus fréquentées du
monde. Tout porte à croire -l'étude physique des populations, l'étude
historique des royaumes et empires et de leurs dynasties, l'étude de la
54
civilisation matérielle et des techniques, l'étude des mythologies, l'étude
des représentations de l'homme et du monde, l'étude des littératures
orales et de la musique- tout porte à croire que loin d'avoir été un fossé
infranchissable et un obstacle à la communication, le Sahara représentait
un t r a i t - d ' u n i o n reliant intensément ses deux rives, celle du sud à celle
du nord.
Dans son expansion coloniale, la France a pris pied dans la boucle
du Niger à la f i n du X I X e siècle et aux débuts du X X e . Ce n'est que
très lentement que l'on a pu procéder à un inventaire des ethnies,
civilisations et langues locales. Les missions successives dirigées par
Marcel Griaule à partir de 1931 ont contribué à ce travail de manière
décisive.
Elles ont
également
permis à
une
véritable
"école"
ethnographique de se structurer, avec sa méthodologie, ses centres
d'intérêt, sa manière de travailler et d'exposer ses résultats.
Né en 1898, Marcel Griaule se porta en 1917 volontaire pour
l'aviation militaire, puis participa en cette spécialité à la campagne de
Syrie en 1920. Elève à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes de Marcel
Mauss pour l'ethnologie et de Marcel Cohen pour l'abyssin, il e f f e c t u a
en 1928 une première mission en Ethiopie. C'est là que germa dans son
esprit le projet d ' u n e mission ethnologique transafricaine allant de
l'Océan Atlantique à la Mer Rouge, en vue d ' u n e grande enquête
extensive de repérage et d'inventaire. Cette deuxième mission, connue
sous le nom de Mission D a k a r - D j i b o u t i , quitta la France en mai 1931 et
f u t de retour en février 1933 avec une très riche collection de documents
et d'objets. Ce f u t en notre pays la première mission officielle de ce
type.
Elle fit date non seulement dans l'ethnologie f r a n ç a i s e , mais aussi
dans la v ie personnelle de Marcel Griaule. C'est en e f f e t au cours de ce
voyage qu'il rencontra le peuple dogon, dans la région des falaises de
Bandiagara, auquel il consacra par la suite la plus grande partie de ses
recherches et de ses écrits, avec un enthousiasme, voire une e x u b é r a n c e
qu'on n'a pas manqué de lui reprocher. Dès son premier contact (du 29
septembre au 19 novembre 1931), il f u t conquis par la richesse, le faste
et l'originalité des rites dogon auxquels il eut l'occasion d'assister.
D'autres missions f u r e n t organisées, c o m p r e n a n t à chaque fois une étude
intensive dans cette région :
- la mission
Dogon;
Sahara-Soudan
en
1935 est entièrement
consacrée
aux
- la mission Sahara-Caméroun de 1936 stationne aussi neuf mois chez
eux ;
- la mission L e b a u d y - G r i a u l e ou mission N i g e r - L a c Iro ( O u b a n g u i Chari, Cameroun du nord, Bahr-Solamet, etc...) y passe quatre mois.
55
Dans un bilan dressé devant l'Académie des Sciences Coloniales, M.
Griaule a fait mention de 85 000 kilomètres parcourus, d'un séjour
effectif de cinq ans sur le terrain, de 15 000 objets et de 15 000
photographies (dont 1 500 aériennes) ramenés, de 20 000 mètres de
films, de centaines d'enregistrements sonores, de milliers de spécimens
botaniques et zoologiques, de nombreux manuscrits arabes, et de
plusieurs enquêtes intensives, en particulier chez les Dogon (Comptesrendus de l'Académie des Sciences Coloniales, 9, 1943, p.
681). En 1938, M. Griaule présenta ses deux thèses de doctorat :
Masques dogon
e t Jeux dogon. En 1942, il f u t nommé sousdirecteur du Musée de l'Homme, directeur du Laboratoire d'Ethnologie
de l'Ecole des Hautes Etudes, et finalement titulaire de la première
chaire d'ethnologie à l'Université de Paris. L'ethnologie française prenait
e n f i n , et officiellement, son essor, sous la conduite d'un homme
passionné de terrain et peu porté vers la théorisation.
Après la guerre, le travail reprit sur place. En 1946, la Mission du
Niger se donna pour objectif de procéder à d'ultimes vérifications et à
des compléments d'information. C'est au moment où le travail semblait
ainsi s'achever que se produisit un événement décisif. Marcel Griaule f u t
un jour mandé auprès d'un vieux chasseur aveugle nommé Ogotemmêli,
et celui-ci lui proposa un enseignement d'un type nouveau, en
profondeur, réservé à des initiés, qui ouvrait d'un seul coup des
perspectives jusque-là insoupçonnées. Cette rencontre devait donner
naissance à un des ouvrages africanistes les plus étonnants. D i e u d ' e a u ,
e n t r e t i e n s a v e c O g o t e m m ê l i (1948). Voici comment les choses sont
dites dans un ouvrage posthume édité en collaboration avec Germaine
Dieterlen, Le R e n a r d p â l e (1965) p. 54 :
"Les Dogon avaient, depuis 1931, répondu aux questions
et commenté les observations faites au cours de missions
successives dans la perspective de l'interprétation des
faits qu'ils nonvuent "la parole de face", g i r i s o , c'est-àdire celle qu'ils donnent en premier lieu à tous ceux qui
veulent s'instruire : les publications qui précèdent les
enquêtes
de 1947 relèvent
toutes de cette
première
interprétation.
"Devant la persévérance dont faisaient preuve Marcel
Griaule et son équipe, devant l'abondance des questions
auxquelles
il devenait de plus en plus difficile de
répondre sans pénétrer sur un plan différent, devant aussi
le désir de comprendre
qui nous animait
et que ne
comblaient pas, loin de là, les commentaires précédents,
devant le fait que, visiblement, seul nous importait ce
désir en dehors de toute autre préoccupation,
devant
l'intérêt que Marcel Griaule portait constamment à la vie
quotidienne
des
Dogon,
évaluant
leurs
efforts
pour
56
exploiter un terrain difficile, où l'eau faisait parfois
défaut en période de soudure, devant des rapports qui ne se
limitaient pas à l'enquête, mais devenaient de plus en plus
confiants et affectifs, les Dogon prirent une décision.
"Ceci, nous ne le sûmes que plus tard ; eux-mêmes nous
l'ont raconté. Les patriarches des lignages du village
double des Ogol et les principaux prêtres totémiques de la
région de Sanga tinrent conseil et décidèrent d ' instruire
Marcel
Griaule.
Ils
désignèrent
pour
le
travail
préliminaire, l'un de
leurs doyens les plus compétents Ogotemmêlilequel provoqua,
comme
il est dit dans
l'introduction
de D i e u
d'eau,
la première
rencontre.
L'enquête dura exactement le nombre de jours consignés dans
D i e u d ' e a u , où sont relatés fidèlement les méandres de
l'information. Et chaque jour -alors que nous n'en savions
rien- un rapport était fait au conseil des progrès de
1'instruction.
"La tâche était d'autant plus méritante que les Dogon
savaient parfaitement qu'en agissant ainsi ils ouvraient la
porte,
non
pas
seulement
à
trente-trois
jours
d'information, mais à des mois, à des années de travail
intensif. Ils ne se sont jamais départis de cette attitude
et nous leur exprimons ici toute notre gratitude ; après la
disparition d'Ogotemmêli, d'autres initiés l'ont relayé,
après celle de Marcel Griaule, ils ont persévéré avec la
même patience et le désir de parfaire l'oeuvre entreprise
Une nouvelle phase s'ouvrait ainsi dans la recherche sur les Dogon
et dans la compréhension des cultures africaines.
Marcel Griaule s'enflamma. Il exalta les civilisations noires, chercha
à les faire connaître au grand public, ce en quoi l'aidait son penchant
pour des présentations de caractère littéraire. Il les mit sur un pied
d'égalité avec celles de la Grèce antique. En même temps que Placide
Tempels au Congo, il parla à leur propos de philosophie et de
métaphysique...
Devant le scepticisme et l'incompréhension
que
rencontrèrent ses révélations, il eut tendance à se raidir. Nommé
Conseiller de l'Union Française, il f u t amené à présider la Commission
des Affaires Culturelles et des Civilisations d ' O u t r e - M e r . Il encouragea
très directement les écrivains de la négritude tels Senghor ou Césaire,
ainsi que la revue P r é s e n c e A f r i c a i n e animée par Alioune Diop. Il
f u t aussi co-directeur de l'International African Institute.
57
Dans l'oeuvre de Griaule il faut donc distinguer nettement deux
phases : avant et après D i e u d ' e a u . Durant la première il se révèle un
ethnographe classique, certes particulièrement actif et entreprenant,
sachant animer un travail d'équipe. Durant la seconde, il s'attache
essentiellement à la pensée mythique et symbolique dogon, voyant tout le
reste à travers elle. Il concrétisait ainsi une des intuitions de base de son
maître Marcel Mauss relative à l'importance des symboles dans le
d é c h i f f r e m e n t du comportement humain. On a parfois parlé à son propos
d' "école symboliste", ou aussi d' "école humaniste", puisque dans la
conception dogon de l'univers c'est vraiment l'homme qui est au centre
de tout.
En 1951 parut S i g n e s g r a p h i q u e s s o u d a n a i s , et après sa mort
survenue en 1956, Germaine Dieterlen édita Le r e n a r d p â l e (1965) et
sa fille Geneviève Calame-Griaule un cours donné à la Sorbonne sous le
titre de Méthode de l ' e t h n o g r a p h i e (1957). On a beaucoup parlé à
l'époque des funérailles que les Dogon organisèrent à la nouvelle de son
décès.
Un des principaux mérites de Marcel Griaule est d'avoir toujours su
s'entourer de collaborateurs efficaces, d'avoir su partager le travail et
organiser des équipes pluridisciplinaires.
A la mission Dakar-Djibouti participèrent Michel Leiris, philologue,
Eric Lutten, photographe, André Schaeffner, musicologue, Denise
Paulme, juriste, Solange de Ganay et Germaine Dieterlen, ethnologues.
Par la suite, Griaule f u t secondé par Déborah Lifszyc, Jean-Paul L e b e u f ,
Dominique Zahan, Geneviève Calame-Griaule. On peut rattacher au
même courant des chercheurs comme M. Palau-Marti, Viviana Pâques,
Annie Lebeuf, Jean Servier, etc... Ce groupe domina l'ethnologie
française entre 1940 et 1960 et a accompli un travail considérable. Des
Dogon on passa à des populations voisines géographiquement et
culturellement, en particulier les Bambara, les Bozo, les K o u r o u m b a , les
Mossi, etc...
On trouvera une position très critique dans la thèse de Dirk Lettens,
MysCagogie et mystification, évaluation de l'oeuvre de
Marcel G r i a u l e ( 1971 ).
COSMOLOGIE
ET ASTRONOMIE TRADITIONNELLES
En parcourant les travaux de ces auteurs, on se rendra très vite
compte de l'abondance des notations concernant l'ethno-astronomie.
Certains travaux sont même explicitement consacrés à ces questions. Par
58
exemple : de Marcel Griaule : "La conception du monde et de la
matière au Soudan", "Un système soudanais de Sirius" (avec
G. Dieterlen), "Mythe de l'organisation du monde chez les
Dogon du Soudan", "L'image du monde au Soudan" ; de D. Zahan
"La notion d'écliptique chez les Dogon et les Bambara du
S o u d a n français" ; G. Dieterlen : "Les correspondances cosmobiologiques chez les Soudanais" ; etc... Une grande partie
du travail mené autant chez les Dogon que chez les Bambara a consisté à
collecter cosmogonies et mythes de création du monde, où bien entendu
on parle de la graine et du placenta primordiaux, de l'apparition des
astres, de la formation de la terre, etc... Viviana Pâques a étudié les
systèmes mythiques des deux rives du Sahara dans L'arbre cosmique
dans la pensée populaire et la vie quotidienne du NordOuest africain (1964), ouvrage qui fourmille de notations ethnoastronomiques.
Dans
Signes
graphiques
soudanais, publié
en
1951
conjointement par M. Griaule et G. Dieterlen, ces auteurs ont présenté
sous une forme systématique des dessins dont ils font mention tout au
long de leurs travaux, et que chez les Dogon, par exemple, on trouve
exécutés sur les parois de cavernes ou d'abris sous roche, sur la façade
des sanctuaires totémiques, mais aussi sur les objets les plus courants.
Ces figures et ces schémas qui explicitent souvent des épisodes ou des
représentations mythiques ont pris une importance croissante à mesure
que l'enquête avançait. Or de quoi est-il principalement question ? De
Vénus, du bouclier d'Orion, de Jupiter, des Pléiades, de la G r a n d e
Ourse, de la Polaire, de la terre, du ciel, de la pluie, du monde et de ses
d i f f é r e n t s états, des points cardinaux, de l'homme-principe du monde,
de l'arc-en-ciel, de la vibration originelle, de l'oeuf du monde, de
l'espace, de la lune, du chemin de l'eau du haut vers le bas, etc... Pour le
détail, je ne puis évidemment que renvoyer à cette publication.
Voici ce que dit Jean Servier à propos de ces signes dans L'homme
l'invisible (1964) :
et
"Dans les civilisations traditionnelles, il existe un
certain
nombre de procédés à conserver la pensée et à la
transmettre, qui ne répondent pas exactement à notre
conception de l'écriture. Nous pouvons ranger dans cette
catégorie le système idéogrammatique découvert par Marcel
Griaule chez les Dogon, par Germaine Dieterlen chez les
Bambara et les Bozo... Ces signes constituent surtout un
registre de symboles permettant d'exprimer les différents
états des vingt-deux
catégories
d'êtres
composant
la
création.
59
"Les
Dogon
font
correspondre
Crois
systèmes
de
représentations graphiques de plus en plus compliqués aux
trois organisations successives du monde. Les signes du
premier monde représentent les constellations, les signes
du deuxième monde expliquent ceux du premier, les signes du
troisième monde, qui sont la base du système graphique, au
nombre de quarante-quatre, sont descendus du ciel. Les
choses et les êtres ont reçu un signe avant même que d'être
actualisés sur terre.
"Il est étrange de trouver dans cette pensée la base
même de ce qui fut appelé la Kabbale. Une tradition nous
apprend, en effet, que lorsque le Saint, béni soit-il, créa
le monde, il inscrivit dans le monde inintelligible des
lettres qui représentent les mystères de la foi : Yod, Hé,
Vav, Hé, qui forment le nom divin et résument tous les
mondes d'En-Haut et d'En-Bas. Les vingt-deux lettres de
l'alphabet hébraïque sont nées du B e t h , principe femelle,
et du A l e p h , principe mâle : l'ensemble de ces lettres est
résumé dans le mot h a - s h a m a ï m -les deuxqui figure dans
le premier verset de la Genèse. Chaque lettre a eu son rôle
dans la création du monde, ainsi le Hé donna naissance au
ciel et le pourvut de vie, le Vav donna naissance à la
terre et la pourvut de nourriture.
"Peut-être
faut-il
réviser
le
point
de
vue
"historiciste" qui fait de la Kabbale une découverte, une
invention attribuée à Siméon Bar Yochaï, en admettant, à la
lumière des faits dogon, qu'elle est, comme son nom
l'indique, une tradition dont l'origine remonte au-delà de
la mémoire des hommes (p.199).
La thèse qui sous-tend l'ouvrage de Servier se trouve toute entière
en cette dernière phrase. L'homme sait des choses sans que ce savoir
puisse s'expliquer par les voies ordinaires de l'investigation. Un autre
exemple qu'il en donne est astronomiquement à la fois plus précis et plus
énigmatique ; il l'emprunte à l'article de Marcel Griaule et de Germaine
Dieterlen : "Un système soudanais de Sirius", 1950. Voici la
présentation qu'en fait Servier (pp. 225 - 227) :
"Les Dogon considèrent que notre monde terrestre est
sorti du système de Sirius, plus exactement d'une étoile de
couleur blanche bien distincte puisque Sirius est rouge.
"Cette étoile blanche est appelée par les Dogon "Etoile
du Mil" parce qu'elle est, disent-ils, la plus petite du
60
ciel mais aussi "la plus pleine". D'après eux, la terre y
est remplacée par un métal nommé s a g o l u ,
un peu plus
brillant que le fer et d'un poids tel que tous les êtres
terrestres réunis ne pourraient la soulever. Une graine de
cette matière serait aussi lourde que 480 charges d'âne de
mil.
" L ' "Etoile du Mil" n'est pas le seul satellite de
Sirius. Il y a aussi dans le même système l'étoile emme y a
ou "sorgho-femelle", plus volumineuse et quatre fois plus
légère, qui parcourt une trajectoire plus étendue dans le
même sens et dans le même temps. Les positions respectives
de ces deux satellites sont telles que l'angle de leurs
rayons serait droit. Leurs aspects déterminent des rites
divers. "Sorgho-femelle"
est aussi appelé "Soleil des
femmes". Elle a un satellite : 1' "Etoile des femmes".
"Le système
de Sirius
est lié aux pratiques
de
renouvellement de la personne et, par conséquent, aux
cérémonies de renouvellement
du monde. La période de
l'orbite est comptée double en raison du principe de
gémelléité,
important
dans
la philosophie
africaine.
Symboliquement elle est de cent ans, en réalité elle est de
cinquante ans. (M. G r i a u l e )
"Il est intéressant de comparer
connu des Dogon à notre astronomie."
J. Servier cite à ce
T e l e s c o p i c Handbook :
propos
le
ce système
Norton's
star
de Sirius
Atlas
and
"Sirius : la plus brillante des étoiles. Entre 1834 et
1844, Bessel nota dans son mouvement des irrégularités et
arriva à la conclusion que l'étoile visible devait tourner
autour de son centre de gravité et d'un satellite invisible
en cinquante ans environ.
"Ce satellite appelé "Compagnon" fut découvert par
Clark en 1862 presque à l'endroit prévu. Si les conditions
atmosphériques ne sont pas très bonnes, il est difficile ou
même impossible de voir le Compagnon, même lorsqu'il est
dans sa meilleure phase. On peut l'apercevoir à l'aide d'un
télescope d'environ six pouces.
61
"Le
Compagnon
est une naine
blanche
de
huitième
grandeur, dix mille fois moins brillante que l'étoile
principale, mais d'une masse plus grande. Sa densité est de
36 000 fois celle du soleil, 50 000 fois celle de l'eau.
Son diamètre n'est que de 26 000 miles, pourtant elle
renferme autant de matière que le soleil dont le diamètre
est de 864 000 miles."
Voici enfin le commentaire que fait J. Servier de ces données (p.
227) :
" L'article de M. Griaule et de G. Dieterlen a été
publié par le J o u r n a l de l a S o c i é t é d e s A f r i c a n i s t e s en
1950, c'est-à-dire qu'il a été rédigé au plus tard en 1949.
Les auteurs ne donnent pour référence scientifique qu'un
seul article de P. Boèze : "Le Compagnon de Sirius", paru
dans l ' A s t r o n o m i e en septembre 1931 (p. 385).
"Une nouvelle observation a eu lieu en mars 1957 à
l'aide d'un télescope de 320 mm permettant un grossissement
de 350 diamètres. Le Compagnon a été vu avec netteté bien
qu'étant écarté de Sirius de 11" seulement.
"Les astronomes pensent aujourd'hui qu'outre Sirius,
qu'ils
appellent
Sirius A,
et le Compagnon,
qu'ils
appellent Sirius B, il y aurait dans le système un autre
satellite : Sirius C. Ils sont donc loin, pour le moment,
de pouvoir en donner la densité même approximative, comme
l'ont fait les Dogon, loin aussi d'avoir découvert le
satellite de ce "Soleil des femmes". Ils ne sauront jamais
sans doute si le "métal" dont sont formées les étoiles de
ce système est réellement "plus brillant que le fer".
"La densité du Compagnon a été mesurée : elle est de
50 000 fois celle de l'eau. Une boite d'allumettes pleine
de cette substance pèserait une tonne, précise un panneau
du Palais de la Découverte à Paris : le rapport d'une
graine de mil à 480 charges d'âne suivant l'exemple dogon.
"Mais les Dogon ne semblent pas connaître l'origine de
leur vieille gnose, qui est pourtant, dans ce cas précis, à
l'avant-garde des sciences exactes de l'Occident...
62
"Nous ne pouvons pas étudier la genèse de cette
connaissance. Nous sommes en présence d'un donné. Les
études d'astronomie comparée font défaut, parce que les
ethnologues ont généralement de médiocres connaissances en
astronomie, et parce qu'un astronome emploiera à la rigueur
un "indigène" pour porter sa lunette sans penser pour
autant à lui demander son avis.
"Le cas des Dogon n'est probablement pas unique. M.
Griaule et G. Dieterlen ont constaté que le compagnon de
Sirius, invisible à l'oeil nu, est connu également des Bozo
du Niger et des Bambara. Les Hottentots appellent Sirius 1'
"Etoile à-côté" ( S c h u l z e : Aus Namaland u n d K a l a h a r i , p .
3 6 7 ) , c e qui prouve qu'ils en font, comme les Noirs du
Soudan, le satellite d'une autre étoile, probablement celle
que nous appelons Sirius C.
"Les vieux auteurs se sont généralement contentés de
noter les plus apparentes des constellations, d'en demander
le nom et d'en recueillir la légende sans s'étonner de
trouver, d'une civilisation à l'autre, des constellations
si semblables, sans chercher à voir dans ces traditions
autre chose qu'un "animisme" grossier.
"En astronomie,
et les animaux, un
populaire facile à
élément de la gnose
la légende est, comme pour les plantes
moyen mnémotechnique, une explication
retenir et à transmettre, mais non un
réservée aux initiés.
"Pour l'homme des civilisations
traditionnelles,
science est un donné non vérifiable, non modifiable,
élément de l'attitude de l'homme devant le monde.
la
un
"Ni les Dogons, ni les Hottentots ne possèdent de
télescope leur permettant de distinguer les deux satellites
de Sirius. Il n'y a pas dans les falaises de Bandiagara de
spectroscope pour analyser la substance dont sont composées
ces étoiles. Bien des faits du même genre pourraient être
retrouvés dans d'autres civilisations si nous avions la
patience de les y chercher...
"Les informations recueillies par Marcel Griaule et
Germaine Dieterlen sur le système de Sirius tel que le
conçoivent les Dogon auraient dû faire réfléchir les
spécialistes des sciences humaines. Mais nos savants se
63
souviendront-ils des Dogon le Jour où ils arriveront à
découvrir avec leurs télescopes le satellite de Sirius C :
1' "Etoile des femmes" qu'ils ignorent encore ?"
Le lecteur trouvera dans L'Homme e t l ' I n v i s i b l e de Jean Servier
d'autres exemples d'interférences entre ethnologie et astronomie.
Le cas du système de Sirius chez les Dogon est devenue classique.
Mais il est intéressant de voir ainsi le discours qui est tenu du côté des
ethnologues.
Parmi le matériel de toute sorte recueilli dans la boucle du Niger
par Griaule et ses successeurs, il me paraît intéressant de relever encore
trois séries de données, l'une concernant la vibration initiale, l'autre
l'oeuf primordial, la troisième l'anthropocentrisme de l'univers.
LA VIBRATION
INITIALE
Dans son E s s a i s u r l a r e l i g i o n b a m b a r a (1951), et
dans
"Signes d 'écriture bambara" (in : S i g n e s g r a p h i q u e s s o u d a n a i s ,
1951), Germaine Dieterlen fait longuement état de cette idée d'une
vibration originelle. Nous suivrons ici de près son texte.
Les Bambara connaissent divers systèmes de signes qui représentent
un classement par catégories de tout ce que contient l'univers.
11 y a d'abord le système appelé dyê s i r a g a l e , "le premier chemin du
monde".
Vient ensuite le système glâ glâ zo, composé de 266 (ou 226)
idéogrammes f o r m a n t une nomenclature de toutes choses. Ces signes ont
précédé la création des choses qu'ils désignent :
"Les choses, conçues dans l'invisible, c'est-à-dire le
non réalisé, ont reçu un nom et un signe connotant ce nom,
avant d'avoir existé. L'idée à l'état pur et statique a
précédé l'acte de création : c'est lorsque s'est manifesté
le "penser" conçu comme un mouvement interne imprimé aux
idées qu'a été réalisé l'univers. De plus, les choses
elles-mêmes une fois nommées et "signées", n'ont pu exister
que grâce à l'homme, principe, base et cause de l'univers.
64
L'homme en ayant eu conscience aux origines, en acquit plus
tard la connaissance et, dans une certaine mesure, la
possession."
La connaissance relative au glâ glâ 20 se rapporte au stade primordial
et intemporel qui précède les différentes étapes de la création.
"Le mot g l â , qui désigne le vide originel, le néant,
connote en même temps les idées de mouvement, d'éveil, de
réveil, de résurrection : g l â est le principe du mouvement
universel interne du cosmos et de tout ce qui le compose.
D'autre part, le terme implique l'idée que la création est continue
dès le moment de son élaboration et perpétuellement entretenue dans
toutes choses en même temps que dans l'univers considéré comme un
tout.
"Glâ "plein de son vide et son vide plein de lui-même"
étendait partout sa puissance. Il émit une "voix de vide"
qui créa d'abord son double, dya ; g l â fut deux, marquant
ainsi le caractère primordial de la gémelléité, principe
existentiel. Du couple émanait une substance humide, z o
sumale,
"rouille froide" qui sortait à l'état de buée
liquide, invisible et formait des corps durs, brillants.
"Quand tout fut plein de ces corps glacés, g l â émit une
force z o n a m l , qui, montant et descendant en elle-même,
produisit un souffle interne dit f y e t a s u m a , "feu de vent".
Les deux g l â traversèrent ce vaste contenu et ce feu fondit
les substances... Lors de cette première fusion "le vaste
g l â a donné place à toutes choses dans le secret et
l'invisibilité.
"Les deux g l â alors s'immobilisèrent,
"reprenant en
eux-mêmes leur énergie" et tout à nouveau se figea, se
glaça. Puis une seconde fois ils fondirent les substances,
comme pour défaire et refaire une ébauche. Ces mouvements,
dits g l â g l â , témoignent de l'essence même du g l â qui est
éternelle résurrection des choses et la répétition du mot
exprime la gémelléité, base de la création. Lors de ces
deux fusions s u c c e s s i v e s ,
les g l â déterminèrent "quatre
points", l'un au moment de la première fonte, les trois
autres lors de la seconde, lesquels furent mis "en action
immobile".
(L'informateur
compare
cette
étape
de la
création à une main tenant un crayon dont la pointe repose
65
sur le papier, en position d'écrire, mais immobilisée. Les
quatre points sont la prémonition des points cardinaux, en
commençant par l'Est).
"Puis g l â déclencha en lui-même un va-et-vient qui, se
répercutant sur les éléments de l'univers en puissance,
leur donna une âme. Ce mouvement eut également pour effet
de les situer et de les maintenir par l'attraction (mana) ;
" g l â a remué les choses, elles ont pris leur place, la
chaleur
les a maintenues".
(L'informateur
compare ce
mouvement horizontal à celui qui serait imprimé à une
surface creusée de cupules : les choses d'abord déposées en
désordre, viendraient, sous l'effet de ce va-et-vient,
s'insérer chacune dans un trou).
"Dans le même temps le contact établi entre les deux
g l â produisit une sorte d'explosion dont fut éjectée une
"matière dure et puissante" qui descendit en vibrant. De
cette vibration sortirent un à un des signes qui, attirés
par les choses encore incréées, mais en instance, qu'ils
désignaient, allèrent se placer sur elles. Chaque chose eut
ainsi son signe et son mot ; et "se conformant au mouvement
du g l â " , chacune se mit à vibrer faiblement à l'intérieur
d'elle-même et dans sa propre place.
"Quand
toutes
les choses
eurent
été
situées
et
désignées en puissance, un autre élément se détacha de g l â
et se posa sur elles pour les connaître : c'était le "pied
de l'homme" (ou "grain du pied"), symbole de la conscience
humaine. En même temps qu'il acquérait la connaissance, cet
élément la communiquait aux choses qui prirent
ainsi
conscience d ' elles - mêmes. C'est dire que les choses ont été
désignées et nommées silencieusement avant d'avoir existé
et qu'elles ont été appelées à être par leur nom et par
leur signe. Mais elles ne se sont connues comme telles que
dans la conscience de l'homme, "grain" ou principe de
l'univers.
"Tout alors se rassembla et se mit à bruire pour
accomplir l'univers. Les g l â se maintinrent à l'intérieur
d ' eux-mêmes et donnèrent à zo l a responsabilité de la
future libération des choses situées et animées qu'ils
contenaient et dont ils avaient créé l'essence. Zo en prit
possession et attira leurs principes en une vaste boule,
k u r u , dite yo y e b a l l ,
"yo invisible" : " z o a donné le
principe du grain à yo et a mis en lui l'attraction et le
pouvoir." Yo était l'esprit, plus exactement "le premier et
66
l'agir" qui, utilisant les "choses signées" déterminées par
glâ, allait élaborer la création." ( E s s a i s u r l a r e l i g i o n
b a m a b a r a , pp 2 - 4 )
Ce texte difficile traduit le plus fidèlement possible les dire
d'informateurs
souvent
cités
en
bambara
en
bas
de
page.
Malheureusement, on n'a pas d'indications quant à la qualité de ces
informateurs et quant à leur représentativité. Il est dit que glâ, désignant
le principe de l'éternelle résurrection des choses, appartient à la langue
ancienne, et que toute cette connaissance vient aux Bambara des Keita
du Mandé.
Bien entendu, le mythe se poursuit encore longuement. La création
de l'univers sensible est conçue comme une progression du "penser" en
trois étapes :
- yo, parole interne, esprit invisible, voix inaudible et secrète, contenant
en puissance toute la création, "connu par lui-même, sorti de l u i - m ê m e ,
du rien qui est lui-même" ;
- o, passage de l'audible au bruissant ;
- yereyereli, vibration créatrice.
"Lorsqu'il se manifesta en tournoyant sur lui-même, y o
alla cinq fois aux quatre "angles de sa pensée", une fois
"au ciel de sa pensée", une fois "à la terre de sa pensée",
leur communiqua ainsi sa puissance. La réalisation de cet
univers qui détermina "l'espace de yo dans sa pensée" est
exprimée par le chiffre 22" ( p . 6 ) .
Voici une prière récitée en l'honneur de yo quand on constate la
grossesse d'une f e m m e ou au moment des éclipses du soleil :
"Yo, obscurité de la création, au sein de l'espace
secret de la nuit, maître de l'assise des 22 tournoiements,
grand porteur de la vibration, grand constructeur de la
moelle des os".
Dans l'oeuvre de Marcel Griaule, on trouve de multiples
présentations de la manière dont Dieu a "créé" le monde selon les Dogon.
En voici une qui met aussi l'accent sur une onde vibratoire originelle :
Avant la création a existé un mouvement hélicoloïdal ; celui-ci s'est
matérialisé en une minuscule graine cultivée, celle de fonio ( d i g i t a r i a
67
e x i l i s ) qui, avant toute chose, y compris le créateur, renfermait en
puissance tout ce qui devait se dilater en univers. Cette graine contenait
sept vibrations initiales correspondant à sept segments de longueur
croissante. 11 s'en est échappé des germes ou des signes, préfigurations de
ce que deviendra le cosmos. On est donc là en présence d'une conception
mécaniciste, qui repose sur l'idée d'un mouvement impersonnel,
gouverné par des lois qui lui sont propres et relèvent de son dynamisme
interne, conception qui ne laisse guère de place à l'action divine, à moins
qu'on n'identifie Dieu aussi bien à l'atome initial qu'au mouvement
spiralant. Voici comment, dans un des nombreux textes où il essaie de
rendre compte de la pensée dogon, M. Griaule s'exprime :
"Dans l'infiniment petit initial symbolisé par la
graine de digitaria exilis , s'étaient développées, à
partir du noyau, sept vibrations internes connotées par
sept segments de taille croissante disposés en éventail de
360 degrés.
"Les extrémités de ces segments étaient situées sur une
spirale figurant l'amorce du mouvement d'extension qui
allait continuer à l'extérieur l'oeuvre de création. Car
l'extrémité du septième segment touchait l'enveloppe, y
ouvrant le passage nécessaire. Par cette fissure sortit,
entre autres, un prolongement du segment, qui, en une
certaine manière,
représentait
une huitième
vibration
émanant de la précédente.
"Si l'on considère le symbolisme de cette figuration,
on voit d'abord apparaître dans les sept traits inégaux,
une silhouette humaine, le premier et le sixième étant les
Jambes, les deuxième et cinquième les bras, les troisième
et quatrième la tête, le septième étant le sexe, placé
entre le sixième et le premier.
"Cette silhouette, sous son aspect géométrique, connote
l'homme dans sa qualité de "grain du monde", aduno dene."
68
Certains signes graphiques dogons occupent une position-clé du fait
de la multiplicité des domaines où ils sont significatifs. Ils sont à
envisager comme des espèces d'algorithmes qui inventorient un grand
nombre de phénomènes variés, apparemment disparates, en les réduisant
à une série unique qui, de ce fait, manifeste une certaine unité de
signification.
Il en est ainsi, par exemple, des signes qui se présentent comme des
lignes de chevrons, si fréquents dans les motifs décoratifs africains :
Voici ce que dit M. Griaule :
"Comme chez les Bambara, la vibration est (chez les
Dogon) le fondement des choses. Son expression la plus
simple et le plus fréquente est une ligne de chevrons avec
laquelle on orne la façade des sanctuaires, les masques et
de nombreux objets rituels ou d'usage profane...
"Mais le but de ces peintures n'est pas seulement
d'exhiber la vibration ; le double registre en dents de
scie reproduit, en les plaçant verticalement, les dents
d'un moniteur universel qui est venu enseigner aux hommes
une parole nouvelle. C'est pour commémorer cet événement
que les hommes et les femmes ont les canines et les
incisives
limées en pointes. Ainsi la parole peut-elle
passer facilement et n' est-elle pas coupée, comme l'eau
d'ailleurs, qui assure la vie des humains et qui est ainsi
respectée.
"Mais de plus, la ligne de la peinture placée entre les
deux registres rappelle le fil de coton que le moniteur
tendit entre ses dents pour enseigner le tissage, technique
69
diurne associée au mouvement
lumière."
du soleil, c'est-à-dire
à la
La ligne de chevrons est également la projection géométrique du
mouvement hélicoloïdal qui symbolise toute mise en action de forces,
tout mouvement dynamique :
"La force -nyama- est un élément métaphysique. Selon la
conception des Dogon, il se déplace sur un "chemin" - o d u en hélice qui, sur un plan, se projette en une ligne de
chevrons - o d u t o n n o l o - Ce "chemin" est matérialisé, pour
les yeux de l'homme, par le mouvement de l'eau, support par
excellence du nyama, nyama elle-même, en un sens. Car l'eau
suit les voies tourbillonnaires ainsi que le montrent les
torrents, les méandres, les ruissellements, les tornades.
L'eau sort de la bouche en buée tournante, en même temps
que la parole, laquelle poursuit le même "chemin". Eau et
parole sont des expressions visibles et audibles du n y a m a .
Elles sont plus que comparables, elles sont identiques ;
elles ont pour maître (non créateur) le couple de fils de
Dieu que les Dogon appellent Nommo et dont le rôle est la
régénération et l'organisation du monde."
Les lignes de chevrons représentent donc ensemble tout une série de
phénomènes se rapportant les uns aux autres :
-
la vibration originelle,
le chemin de l'eau,
le chemin de la lumière,
la propagation du son, de l'odeur, de la chaleur,
les dents du Moniteur primordial,
la descente tournoyante de l'Arche primordiale,
la trame du tissu en cours de fabrication,
les danses exécutées en zig-zag,
le mouvement qui anime la houe du cultivateur, etc...
donc autant d'éléments qui indiquent un commencement, une chose en
train de se faire, un stade initial, un état inchoatif.
L'OEUF
DU
MONDE
Le thème de la graine initiale est évidemment proche de ceux de
l'oeuf du monde et de la matrice originelle. On en trouve dans l'oeuvre
de Griaule plusieurs versions, parfois difficiles à harmoniser entre elles.
70
"Une autre figure, plus explicite encore, montre l'oeuf
initial, -l'oeuf du monde- d'où surgit un premier germe qui
se développe selon un segment droit.
"Il est suivi d'un second qui se place en travers du
premier, donnant ainsi les quatre directions cardinales,
c'est-à-dire l'espace, la scène du monde.
"Un troisième germe, poussant le premier, se substitue
à lui, l'oblige à se courber et à prendre une position
symétrique
de
l'ovale
initial par
rapport
aux
bras
transversaux.
"Nous retombons
là encore sur l'image de l'homme
production directe des travaux de création, et homologue de
l'univers lui-même."
Dans sa forme classique, le mythe cosmogonique dogon parle d'un
oeuf ou d'une matrice contenant deux couples de jumeaux. Mais la
croissance normale s'en trouva perturbée par la sortie avant terme d'un
des jumeaux mâles, arrachant un morceau de placenta devenu la terre et
pénétrant incestueusement cet élément maternel. La création se trouve
restaurée et réordonnée par le sacrifice du second jumeau mâle, qui
meurt et ressuscite, et qui représente le règne de la vie, de la lumière, de
l'eau, de la fécondité, par opposition au règne de la mort, de la
s o u f f r a n c e , de la sécheresse, de la stérilité incarné par le premier.
L'univers et l'histoire sont comme structurés autour de cette dualité et de
la lutte qui en découle.
CONCLUSION
: L'HOMME, GERME DE L'UNIVERS
Toutes les données recueillies chez les peuples de la boucle du Niger
convergent pour faire de l'homme le centre du monde. L'univers trouve
71
en lui son modèle et son achèvement, il est l'archétype selon lequel la
majorité des phénomènes tant cosmiques que sociaux sont
conçus.
Microcosme et macrocosme se rejoignent dans la figure de l'homme.
Par les graines qu'il porte dans ses clavicules, l'être humain est
l'homologue de la constellation de Sirius, et plus particulièrement de
cette étoile "graine de fonio" qui décrit autour de Sirius une ellipse
qu'elle met cinquante ou soixante années à parcourir, atome initial d'où
serait sorti tout l'univers. Comme Sirius, l'homme est le symbole de la
force de vie :
"Il est un champ vivant et un grenier animé des va-etvient
de
la récolte
et de
la semence.
Il
répète
annuellement la rénovation soixantenaire émanant de l'astre
tournant au centre du monde. Il est l'image et le résumé
des données cosmiques et de leurs mouvements."
L'homme est "germe" du monde. C'est en fonction de son image et
pour lui que l'univers a vu le jour.
* * *
Notre but, ici, n'était que de rappeler ces données bien connues.
Elles ont été abondamment discutées. Certains ont accusé, soit les
informateurs dogon, soit M. Griaule lui-même, de mystification, surtout
à propos du système de Sirius. Nous sommes en présence de
connaissances astronomiques et de spéculations cosmologiques qui ne
manquent ni de grandeur ni de pertinence. Mais les ethnologues qui en
ont rendu compte avec l'enthousiasme que l'on sait ont-ils bien compris
et adéquatement traduit ce que les initiés dogon leur ont dit ? Les
présentations qu'ils en ont faites auraient-elles été de quelque manière
biaisées ? L'usage qu'en fait Jean Servier relève-t-il de ce que nous
appelons communément science, ou d'autres plans de connaissance ? Ce
sont là des questions qu'on est en droit de se poser, et qui reviennent
avec une régularité troublante sur bien d'autres terrains, aussi bien en
ethno qu'en archéo-astronomie. Souvent ce sont les astronomes qui
s'enflamment, et ce sont les préhistoriens ou les archéologues qui les
tempèrent. A propos du matériel qui nous vient de la boucle du Niger, le
mouvement a été plutôt inverse. Quoi qu'il en soit, il apparaît à
l'évidence que rien ne peut se faire valablement hors d'une étroite
collaboration.
72
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LETTENS Dirk
Mystagogie et mystification. Evaluation de l'oeuvre de
Marcel Griaule" - P r e s s e s L a v i g e r i e , B u j u m b u r a , 1 9 7 1 , 648
P-
* * *
BIOGRAPHIE
Pierre E R N Y , né en 1933 à Colmar, docteur en psychologie, docteur
en sciences religieuses, docteur ès Lettres en sciences de l'éducation, a
enseigné au Burkina Faso, au Congo, au Zaïre et au Rwanda. Il dirige
actuellement l'Institut d'Ethnologie à l'Université des Sciences Humaines
de Strasbourg et est à l'origine avec Carlos Jaschek du groupe de travail
"Astronomie et sciences humaines".
*
* * *
LES MOITIES MASCULINES ET FEMININES DU CIEL :
ASTRONOMIE DE QUELQUES TRIBUS GUYANAISES
BIBLIOGRAPHIE
(Volume 5)
E. MRGflNR - TORRES
75
BIBLIOGRRPHIE
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Las m u j e r e s de Luna : cultivo de la mandioca, consanguinidad
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Orion entre los kalina de Surinam. Anthropologica 6 : 383-407.
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1989a
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Gilij
: ideologia
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1989b
Los wayana de Surinam
Scripta Ethnologica (sous presse).
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Montalban
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(sous
Supplementa
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1989d
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Press/ Center f o r Archaeoastronomy.
INDEX
79
I
N D E
Volumes 1
X
à
5
N°1 ( 1 9 8 8 )
Editorial
P . Emy
1
et C. Jaschek
Le C a l e n d r i e r G a u l o i s de C o l i g n y
J.P. Parizot
3
Temps e t D e v e n i r I e t I I
H. Barreau
23
E s s a i de R e c o n s t r u c t i o n d e s E x t r e m a
Historiques
J . P . Rozelot
Solaires
51
Temps, D u r é e e t N a i s s a n c e d e s C a l e n d r i e r s
L. Molet
55
La Détermination et la Conservation de l'Heure :
Histoire d'une Fonction Sociale
G. Jasniewicz
59
D i v i s i o n e t C o n t i n u i t é du Temps d a n s l e s
G r e c s : Le S e u i l e t l e C e r c l e
R. Triomphe
65
Mythes
Abu Ma S a r e t l a T h é o r i e d e s G r a n d e s C o n j o n c t i o n s
E.H. Wagner
Les Calendriers Liturgiques et les Irrégularités
de l a D a t e de P â q u e s
F r . Suagher et J.P. Parisot
Les Phénomènes " M é t é o r o l o g i q u e s "
Populaire
K.A.F. Fischer
dans l a
81
95
Tradition
117
* * *
80
N°2
Editorial
P. Erny et C. Jaschek
1
Le Zodiaque de Denderah
H. Andrillat
3
Le lever héliaque de Sirius
J.P. Parizot
27
L'astronomie des Anciens Mayas
G. Jasniewicz et Fr. Jaffiol
57
"Année platonicienne" et période précessionnelle
Ch. Lazarides
65
Les boiteries rituelles de printemps
A. Lebeuf
81
L'observation populaire de la chute des météorites
(Deux enquêtes publiques sur les chutes de météorites
ou la population face à des phénomènes célestes)
A. Florsch
La mesure du temps chez les Celtes
(Une lecture du Calendrier de Coligny)
J.M. Le Contel et P. Verdier
99
117
Hildegarde de Bingen : représentations cosmologiques
E. Klein
•k-k*
135
81
N°3
Editorial 1
P. Erny et C. Jaschek
La lune vue par les Grecs
R. Triomphe
3
Le calendrier romain de 304 jours
J. Horneker
17
Ma traduction du calendrier de Coligny
P.E.A. Verdier
23
L'Observatoire astronomique de la Cathédrale
Saint-Lizier de Couserans
A. Lebeuf
Astronomy in Europe between 8000 and 1200 BC
W. Schlosser
Nicolas Machiavel et la structure
l'Univers
P. Kah
39
79
ternaire de
93
N°4
Editorial
P. Erny et C. Jaschek
1
Durée et temps à Madagascar
H.L. Molet
3
Gammes planétaires et harmonie cosmique au Haut
Moyen Age
J. Viret
13
Le Songe de Kepler
H. Andrillat
27
Le carnaval et le calendrier de Coligny
P. Verdier
35
82
N°5
Editorial
P. Erny et C. Jaschek
1
Symbolique Cosmique et Images Antiques
du Ciel
R. Triomphe
L'Ethnographie des Astronomes
A. Lebeuf
5
37
Les Moitiés Masculines et Féminines du Ciel :
Astronomie de quelques Tribus Guyanaises
E. Magana-Torres
59
Emigration - Sort d'Astronomes Allemands
en 1918 et Aujourd'hui
Th. Schmidt-Kaler
73
Les Comètes d'Atawallpa : Astronomie et
Pouvoirs dans l'Empire Inca
M.S. Ziolkowski
91
* * *
83
Andrillat
H.
2,3;
B a r r e a u H.
1,23
Erny P.
1,1;
F i s c h e r K.A.F.
F l o r s c h A.
1,117
2,99
4,27
2,1;
3,1;
4,1;
5,3
Hornecker J.
3,17
J a f f i o l Fr.
J a s c h e k C.
J a s n i e w i c z G.
2,57
1,1; 2,1; 3,1;
1,59; 2,57
4,1;
5,3
Kah P .
K l e i n E.
3,93
2,135
L a z a r i d e s Ch.
L e b e u f A.
Le C o n t e l J . M .
2,65
2,81; 3,39 ;
2,117
M a g a n a - T o r r e s E.
M o l e t L.
5,59
1,55;
Parizot J.P.
1,3,95;
Rozelot J.P.
1,51
S c h l o s s e r W.
3,79
S c h m i d t - K a l e r Th.
5,73
Suagher Fr.
1,95
T r i o m p h e R.
1,65;
V e r d i e r P.
Viret J.
2,117;
4,13
Wagner E.H.
1,81
Z i o l k o w s k i M.S.
5,91
5,37
4,3
2,27
3,3;
3,23;
5,5
4,35