Astronomie et Sciences Humaines" n 6
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Astronomie et Sciences Humaines" n 6
PUBLICATION DE L'OBSERVATOIRE ASTRONOMIQUE DE STRASBOURG Série •• Astronomie et Sciences Humaines" n 6 Observatoire de Strasboiirg 11, rue de l'Université 67000 Strasbourg, France Table des Matières Editorial Le c y c l e l u n a i r e Mexicains U. KÔHLER i signification chez les I n d i e n s 1 L e s m é g a l i t h e s de B r e t a g n e et les t h é o r i e s a s t r o n o m i q u e s . Cent a n s d'Interrogations J . BRL^RD 15 D a n s le p r o c è s de l'astrologie, le r a t i o n a l i s m e est-Il t o u t à fait r a t i o n n e l ? C. MAILLAFiD 35 C o m m e n t a i r e s u r l'exposé de M. MaUlard H. ANDRILLAT 49 P r é o c c u p a t i o n s c o s m o l o g i q u e s et a s t r o n o m i q u e s d a n s l e s t r a v a u x de l'Ecole F r a n ç a i s e d ' E t h n o l o g i e d a n s la b o u c l e d u Niger P. ERNY 53 Les m o i t i é s m a s c u l i n e s et f é m i n i n e s d u ciel : a s t r o n o m i e d e q u e l q u e s t r i b u s g u y a n a l s e s (Article p a r u d a n s V o l u m e N° 5) Bibliographie E. MAGANA 75 Index 79 Volumes 1 à 5 et sa Publ. Obs. Astron. Strasbourg Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6 Editorial Ce sixième volume de la Série "Astronomie et Sciences Humaines" contient les exposés présentés lors de la neuvième réunion organisée avec l'aide financière de l'Université Strasbourg I et Strasbourg II, et les Amis de l'Université de Strasbourg de l'Académie de Strasbourg. Nous remercions la Direction de l'Observatoire de Strasbourg qui a permis que ces comptes-rendus s'inscrivent dans la série des publications de l'Observatoire. Nous remercions également Mme Hamm pour la présentation et l'édition des articles, ainsi que l'imprimerie de l'Observatoire pour le tirage off-set. P. E R N Y - C. J A S C H E K Publ. Obs. Astron. Strasbourg Ser. "Astron. & Sc. Humaines" N° 6 LE CYCLE LUNAIRE ET SA SIGNIFICATION CHEZ LES INDIENS MEXICAINS U. KÖHLER LE CYCLE L U N A I R E ET SA S I G N I F I C A T I O N CHEZ LES I N D I E N S MEXICAINS The article begins with the Aztec concept of the moon. They visualized it as a god, while the great majority of Mesoamerican Indians conceived it as a goddess. After reference to an ancient myth about the first ascendance of the Sun and moon, the lunar cycle, as presented hy Sahagùn, is described and analyzed. Compared with European concepts, the first marked différence to be noted is another preference in the subdivision of the lunar cycle : in contrast to an accent on conjunction, full moon and the two quarters, the emphasis is on first appearance, full moon, last appearance, and conjunction. This concept seems to be a général Mesoamerican tradition. Analyzing the named Aztec phases in détail, the following emic criteria of distinction become evident : degree of visibility, form, activity (like growing or leaving), life cycle, relation with the sun, and further attributes (like différent colours or a rabbit in his face). None of these criteria is employed during the entire cycle. In a further step, the Aztec data are compared with those of the Maya-speaking Tzotzil, for whom the most detailed account of the lunar cycle, as known up to now for Mesoamerica, has been attested. They distinguish 21 phases, for which there are -at least- 65 names. These are derived from several différent cognitive approaches, and consequently many phases are described alternatively from more than one viewpoint. With regard to the componential analysis, ail criteria mentioned above are also present, and in addition to these a relation to stars and to the traditional way of time reckoning. Further détails may be found in publications of the author, as quoted in the bibliography. Pour kl grande majorité des peuples indigènes du Mexique, la lune est du sexe féminin (Thompson, 1939) comme dans la tradition des langues romaines de l'Europe. Mais il y a certaines exceptions importantes. Par exemple, les Aztèques, le peuple le plus c o n n u , ne considérait pas la lune comme une f e m m e , mais comme un homme. C'était le dieu Tecucistecatl, duquel existent plusieurs représentations dans les codices. (Fig. 1 le montre selon les Codex Telleriano Remensis et Borbonicus). Cette croyance du concept d ' u n dieu lunaire f u t et est également partagée par d'autres ethnies, tels les Totonaques, les Huaxtèques et les Nahuas dans la Sierra Madré Orientale du Nord. Comme les Aztèques ont passé par cette région au cours de leur migration vers le centre du Mexique, il est possible et même probable qu'ils ont e m p r u n t é cette idée des Huaxtèques et leurs voisins. Selon un mythe des Aztèques, le soleil et la lune s'élevaient ensemble selon un ordre décidé lors d ' u n e réunion de dieux à Teotihuacan. Comme il n'y avait pas encore de lumière, ils choisirent parmi eux deux candidats pour devenir soleil. Le candidat n u m é r o un était Tecucistecatl, un homme beau, riche et brave ; le candidat de réserve Nanahuatzin, un homme insignifiant, pauvre et s o u f f r a n t de nombreux ulcères. Mais au moment de se jeter dans un grand f e u de bois, sacrifice nécessaire pour devenir soleil, Tecucistecatl prit peur et hésita. Vint alors le tour de Nanahuatzin. Lui, sauta i m m é d i a t e m e n t dans le feu qui le consuma. Voyant cela, Tecucistecatl le suivit et se transforma également en cendre. Les dieux réunis devaient attendre quelques heures pour observer l'élévation des astres. Après ce temps d'incertitude, apparut d'abord Nanahuatzin entouré de rayons de lumière, et peu après Tecucistecatl avec une apparence similaire. Les dieux étaient stupéfaits par cette apparition de deux soleils. En e f f e t , ils n'en souhaitaient qu'un seul. Au cours des délibérations sur les mesures à p r e n d r e , l'un des dieux saisit un lapin et le jeta dans le visage de Tecucistecatl qui perdit la plus grande partie de sa clarté (Sahagûn 1950, 34-41). La véracité de ce mythe est prouvée par l'image du lapin que l'on peut encore apercevoir dans le disque de la lune. De même, il apparaît dans plusieurs peintures des codex, comme ici dans le Codex Borgia (Fig. 2). La f o r m e de la lune est généralement représentée comme une tasse ou un vase, qui fait allusion à la f o r m e de la j e u n e lune pendant les premiers jours de sa réapparition. La page une du Codex F e j é r v a r y Mayer montre un modèle de l'univers (Fig. 3). Au bout du trapèze supérieur il y a le disque du soleil indiquant qu'il s'agit de la région Est, et l'image de la lune apparaît au bout du trapèze opposé. La raison de cette association de la lune avec l'Ouest sera traitée plus loin dans le contexte des phases lunaires. Les éclipses de lune étaient considérées comme dangereuses. Pour les Aztèques, dans ces occasions le soleil tentait de dévorer la lune. Surtout les f e m m e s enceintes étaient inquiètes, car elles craignaient que leur e n f a n t se transforme en souris ou qu'il s o u f f r e d ' a f f e c t i o n s diverses (Sahagun, 1950, 42 f). En ce qui concerne le cycle lunaire surtout son début présente un intérêt pour les chercheurs d'ethnoastronomie. En dépit du fait que de sérieuses sources du 16ème siècle témoignent d'un c o m m e n c e m e n t avec la première visibilité tant pour les Aztèques (Sahagun, 1950, 32-33) que pour les Mayas de Yucatàn (Landa, 1966, 61), d i f f é r e n t s auteurs ont proposé d'autres origines comme la pleine lune, la c o n j o n c t i o n ou la dernière visibilité. Ces nouvelles propositions ne sont c e p e n d a n t pas fondées sur des sources indigènes, soit parce qu'il n'y a a u c u n e relation avec des idées indigènes, soit qu'il y avait un malentendu au cours de la traduction (Kôliler, 1982, 26-27). Certains termes indigènes présentent en e f f e t un piège, surtout ceux qui se réfèrent à la "nouvelle lune". Au Mexique, telles termes ont été enregistrés chez plusieurs ethnies (Kôhler, 1982, 34 ; s.d.). Si le chercheur inattentif identifie ce terme indien avec le concept européen de nouvelle lune, il tombe dans le piège car tous ces termes indigènes connus jusqu'à ce j o u r , désignent la première visibilité de la lune et non pas la conjonction comme en Europe (ibid.). Le c o m m e n c e m e n t du cycle lunaire avec la première visibilité est aussi attestée par plusieurs autres ethnies du Mexique et du Guatemala (Kôhler, 1982, 26 ; s.d.), et il paraît être une tradition c o m m u n e mesoaméricaine. Aussi dans le champ des points de repère du cycle lunaire on peut noter une d i f f é r e n c e entre les concepts européens et indigènes du Mexique. En Europe, la conjonction, la pleine lune et les deux quartiers à m i - c h e m i n entre ces extrêmes sont privilégiés. En contraste avec cette p r é f é r e n c e , l'intérêt indigène tend plutôt vers les quatre autres points du cycle : la première visibilité, la pleine lune, la dernière visibilité et la conjonction (Kôhler, 1982, 27-29 ; s.d.). La conjonction est interprétée de façon variée. En plus du concept d ' u n e simple absence ou d'un séjour dans un autre monde, on trouve également l'idée que la lune est morte ou moins d r a m a t i q u e m e n t , qu'elle dort. Pour le cycle lunaire, nous avons une description assez détaillée dans une source du 16ième siècle : les idées aztèques selon Sahagun (1950, 32-35). On peut distinguer six phases principales, décrites avec les critères suivants : Réapparition : - il (sujet masculin) est visible de nouveau - il est un arc mince, comme un ornement du nez - il ne brille pas encore Croissance : - il vient de croître - il se rend fort - il est entrain de s'arrondir Rondance - : il est rond rond comme un comalli (chaudière pour f a i r e des "tortillas") il apparaît dans l'endroit où s'élève le soleil il est rouge à l'apparition, blanc au cours de l'ascension le clair de lune, une blancheur f r o i d e il brille presque comme le soleil il observe et détecte des secrets on voit le lapin blanc dans son visage Déclin : diminue s'en va devient (mince) comme au début dort plus longtemps Disparition : - il meurt - il apparaît avec la première lumière du j o u r Absence : - il est mort Ces phases ont une longueur assez d i f f é r e n t e , quatre parmi elles durent seulement un à trois jours (ou nuits), tandis que les phases de croissance et de déclin s'échelonnent sur des périodes de dix jours ou mêmes plus, sans les d i f f é r e n c i e r en sous-sections. D'après le n o m b r e d'expressions, la pleine lune est un centre d'intérêt. Les critères utilisés pour décrire regroupés dans les catégories suivantes : Visibilité le cycle lunaire peuvent être : - visible de n o u v e a u / n e brille pas encore - brille comme le soleil Forme : - comme un arc mince, comme un ornement du nez. Il y avait en e f f e t des bijoux de la f o r m e d'un croissant (Fig. 4). Qui ne sait pas ce qu'est un croissant ? Mais même ceux qui en mangent un, deux ou même trois chaque matin, ne savent pas d'où vient ce mot. A l'origine, ce mot n'avait aucun rapport avec un aliment. Il s'agissait simplement d ' u n e phase du cycle lunaire. - s'arrondit - est rond, est rond comme un comalli - est comme au début A c t i v i t é : (autre que briller) - vient de croître, se rend fort - observe et détecte des secrets - d i m i n u e , s'en va, dort plus longtemps Cycle de v i e : - se meurt - est mort Relation avec le soleil : - apparaît là où s'élève le soleil, brille presque comme le soleil - apparaît au moment de la première lumière (originaire du soleil) Attributs : - rouge, blanc, blancheur froide, avec lapin dans le visage. On peut noter que la plupart des critères ne suit pas le cycle entier, comme par exemple la visibilité (au début et à la pleine lune), le cycle de vie (seulement la dernière apparence et conjonction), la relation avec le soleil (pleine lune et dernière apparence) et des attributs diverses (pleine lune). Seulement les critères de la f o r m e et des activités (notamment croître et diminuer) s'emploient dans les deux moitiés, tant pendant la croissance, que dans le déclin. Dans un article sur les concepts du temps chez les Ach!" de Guatemala, Neuensvï-ander (1982, 141-142) distingue quatre critères pour d é f i n i r le système cognitif indigene du cycle lunaire : maturité, activité, position et geste de main. Comparant ces critères avec les précédentes, dérivés des informations aztèques, certains parallèles sont évidents. Les aspects d'activité, cycle de vie (mort ou maturité) et position (p.e. où s'élève le soleil) sont présents dans les deux systèmes. Dans le système des Achi on trouve en plus, le geste de main et chez les Aztèques, la f o r m e de la lune, la relation avec le soleil et les attributs additionnels. Voyons maintenant jusqu'à quel point ces critères analytiques conviennent aux dates recueillies chez les Indiens Tzotzil du S u d - E s t du Mexique. Il s'agit du cycle lunaire le plus détaillé que l'on connaisse d'un groupe d'indiL'us mésoaméricains. Le matériel -inclus les termes en tzotzil- se trouve dans deux articles (Kôhler, 1982 ; s.d.) qui se complètent. Une synthèse des deux avec d'autres aspects analytiques sera publiée dans "Estudios de Cultura Maya". J'ai pu recueillir 65 termes d i f f é r e n t s qui décrivent 21 phases dont quelques unes durent plus qu'une nuit. L'excès du nombre de termes par rapport aux phases s'explique par le fait que beaucoup d ' e n t r e eux varient légèrement et que quelques phases ont plusieurs noms, associés à d i f f é r e n t s critères. Les critères suggérés par le matériel linguistique sont les suivants : cycle de vie, f o r m e , activité (incl. visibilité), position dans le ciel (plusieurs avec geste), apparence à un certain moment de l'ordre chronologique traditionnel, relation avec des astres et attributs divers. Un nombre réduit des termes peut entrer dans deux de ces catégories. La comparaison avec les critères d é j à mentionnés montre que tous sont présents et qu'il y a de plus le critère d ' u n e relation avec la chronologie traditionnelle. L'idée de cycle de vie existe seulement jusqu'à la moitié de la lunaison, avec les images de la lune comme bébé, comme j e u n e fille à moitié mature, presque mature et mature. On remarque que chez les indiens mayas la lune est une f e m m e . Il n'y a pas là de notion de lune morte ; en e f f e t , ce terme est réservé à l'éclipsé de la lune. L'idée de la f o r m e s'exprime surtout dans les termes de degré d'être ronde : elle s'arrondit à la moitié, elle s'arrondit, elle est ronde (ou circulaire). Dans la seconde moitié du cycle, il y a encore les notions qu'elle diminue et qu'elle est déjà petite. A cette évaluation de la f o r m e entrent également en compte des termes qui décrivent qu'elle s'obscurcit. Dans la catégorie des activités on peut distinguer quatre f o r m e s principales : l'idée de venir et de s'en aller, de briller, de se déplacer dans le ciel (entre positions déterminées) et d ' a p p a r a î t r e à un certain moment de la chronologie traditionnelle. Les deux dernières activités sont de grande importance et seront traitées ici comme catégories séparées. 11 est aisé de c o m p r e n d r e que les termes se référents à l'activité de venir se trouvent au début du cycle, et ceux qui se r é f è r e n t à s'en aller vers la fin. Seulement deux termes vers la f i n du d e u x i è m e quartier mentionnent la lumière alors déjà produite par la lune. Les positions de la lune dans le ciel et le m o u v e m e n t apparent de l'astre dans le ciel sont les principaux critères dans le système cognitif tzotzil du cycle lunaire. Ils couvrent tout le cycle et plusieurs sont définis par un geste du bras vers la position de la lune dans le ciel. Selon cette idée, le mouvement apparent de la lune décrit deux d e m i - c e r c l e s d'Ouest à l'Est. Le premier s'observe à la tombée de la nuit, le second à l'aube. Ainsi il existe un moment fixe pour observer la position de la lune dans chacun de ces deux mouvements. Le cycle c o m m e n c e avec la réapparition de la lune mince, légèrement au-dessus de l'horizon occidental. Feu après elle s'en va. Observé à la même heure le j o u r suivant, elle est déjà un peu plus haut dans le ciel occidental, et les jours suivants toujours un peu plus haut. A la fin du premier quartier, la lune a atteint la position la plus haute de sa trajectoire apparente et se trouve à m i - c h e m i n du mouvement vers l'horizon oriental (Fig. 5). Son ascendance est décrite par des termes comme : "elle vient de s'élever", "elle est déjà haute", "elle est déjà là" (avec geste). Et à la f i n du premier quartier : "elle arrive au milieu" (ou dans le centre), "notre mère est dans le centre quand la nuit tombe". De la f o r m e de la trajectoire a p p a r e n t e comme un arc, il découle logiquement que le c o m m e n c e m e n t du deuxième quartier s'appelle : "notre mère s'est abaissée" et la fin de ce quartier :"elle est basse au crépuscule". Le second cycle commence immédiatement après la pleine lune avec le terme : "notre mère est d é j à venue à l'aube". Cela veut dire qu'on peut l'observer maintenant à l'aube. Elle se trouve peu au-dessus de l'horizon occidental et s'en va. Ce qui se produit les matins suivants, c'est une autre trajectoire apparente des positions de la lune de l'Ouest à l'Est en f o r m e d'un arc. C'est pourquoi les termes ressemblent beaucoup à ceux de la première moitié du cycle. Dans les cas où le moment d'observation est mentionné, il s'agit maintenant de l'aube. Au début de mes recherches chez les Tzotzil, je restais stupéfait quand un ancien m'expliquait que le soleil allait de l'Est à l'Ouest, et la lune, au contraire, de l'Ouest à l'Est. Maintenant connaissant le mouvement apparent décrit ci-dessus, cette a f f i r m a t i o n me semble logique. Pour ces Indiens, ce qui est important concernant la lune, n'est pas le cours journalier (ou nocturne) de l'astre, mais les mouvements apparents pendant la lunaison. L'exemple du Codex F e j é r v a r y - M a y e r (Fig. 3) avec la lune du côté occidental, là où commence le cycle, montre clairement que c'est aussi un concept du temps p r é - c o l o m b i e n . La définition de la phase lunaire par le moment de son apparition est limitée à la seconde moitié du cycle. Ce procédé n'est guère possible pour la première moitié, car l'astre est déjà dans le ciel au moins l'aprèsmidi, et il est toujours présent au crépuscule. Cela change après la pleine lune, seule piiase pendant laquelle la lune brille toute la nuit. Immédiatement après et encore plus dans les nuits suivantes, il f a u t attendre dans l'obscurité qu'apparaisse la lune. Actuellement c'est par "l'heure" de son apparition sur l'horizon orientale que les phases sont déterminées. En relation avec la lune, huit subdivisions de temps entre le crépuscule et l'aube m'ont été signalées, mais dans le système de compter le temps, il en existe davantage (Kôhler, 1977, 107-110). Celle manière de d é f i n i r la phase est alternative avec celle de la position de l'astre dans le ciel. Par exemple, autant la notion que la lune apparaît à minuit, comme la quelle a atteint le centre (du ciel), décrit la phase à mi-cheinin entre pleine lune et conjonction. La relation avec les astres sert principalement comme critère additionnel pour préciser le moment d'apparition. L'exception est un terme du c o m m e n c e m e n t du cycle : "notre mère a d é j à une successeuse" (si ce mot n'existe pas encore en français, c'est p e u t - ê t r e le m o m e n t de le faire). Ici on se réfère à la lune antérieure, à des astres d i f f é r e n t s dans tous les autres cas. Ainsi un déclin des Pléiades (par rapport au méridien) indique un moment après minuit (ce qui est le cas en hiver), la hauteur de Vénus aide à fixer l'heure avant l'aube, et l'arrivée de la lune presque avec le soleil indique la proximité de la f i n du cycle. Tous ces critères additionnels s'emploient pendant le dernier quartier. Des attributs spéciaux pour d é f i n i r la phase respective sont utilisés au début et ù la fin du cycle. Au début avec les notions : elle est nouvelle, d é j à présente ; vers la fin à l'aide d'autres c o m m e : d é j à petite, assez noire, cachée, absente. Dans le système des Tzotzil il y a des phases qui ont des noms provenant de deux ou mêmes de plusieurs catégories, tandis que d'autres ont seulement une dénomination. En dépit du fait que la position de la lune dans le ciel (respectivement au crépuscule ou à l'aube) est le cadre principal du système cognitif, la phase importante de la pleine lune, aucun nom n'en dérive. Cela montre que les d i f f é r e n t e s lignes de pensée ne sont pas parallèles, mais complémentaires. En ce qui concerne l'aspect pratique des phases de la lune, j'ai obtenu une quantité d ' i n f o r m a t i o n s de huit ethnies d i f f é r e n t e s du Mexique, mais les réponses se contredisaient tellement dans la m a j o r i t é des cas, q u ' u n e véritable influence de la lune paraît peu probable. Toutes ces données paraîtront dans un article publié au Mexique (Kôhler, s.d.). J'en cite seulement quelques exemples : - Pour semer le maïs et les haricots, la phase de la lune n'a aucune ou peu d ' i m p o r t a n c e ; - Des plantes hautes, comme la canne à sucre, poussent bien en haut si elles sont plantées quand la lune arrive à sa position a p p a r e n t e la plus haute, à la fin du premier quartier ; - Des fruits ronds, par exemple des oranges, des courges ou des tubercules, se plantent de préférence durant la pleine lune, pour devenir aussi grands et ronds que l'astre. Ces exemples montrent déjà qu'il s'agit de magie par analogie. On m'a également fait remarquer qu'il vaut mieux châtrer les animaux (porc, cheval, bélier,) pendant une certaine phase lunaire, mais malheureusement il s'agissait chaque fois d ' u n e phase d i f f é r e n t e . Un seul sujet faisait l'unanimité : le bois utilisé pour la construction d ' u n e maison doit être coupé durant la pleine lune (ou peu après) ceci pour éviter la destruction par insectes. Cette unanimité, également reconnue par exemple dans la littérature ethnographique, suggère une vraie causalité. BIBLIOGRAPHIE Codex Borbonicus : 1974, Codices Selecti 4, G r a z . Codex Borgia : 1976, Codices Selecti 58. G r a z . Codex Fejérvary-Mayer : 1901, M a n u s c r i t mexicain p r é c o l o m b i e n . Paris Codex Telleriano Remensis : 1899, M a n u s c r i p t mexicain du c a b i n e t de Ch. M. Le Tellier, a r c h e v ê q u e de Reims à la Bibliothèque Nationale (Ms. mexicain N° 385). Paris. Kôhler Ulrich : 1977, Conbilal C'ulelal. Grundformen mesoamerikanischer Kosmologie und Religion in e i n e m G e b e t s t e x t auf M a y a - T z o t z i l . A c t a H u m b o l t i a n a , Sériés G e o g r a p h i c a et E t h n o g r a p h i c a 5. Wiesbaden. Kôhler Ulrich : 1982, R a u m l i c h e und zeitliche B e z u g s p u n k t e in m e s o a m e r i k a n i s c h e n K o n z e p t e n vom M o n d z y k l u s . Indiana 7, 2 3 - 4 2 . Berlin. Kôhler Ulrich : s.d. C o n c e p t o s acerca del ciclo lunar y su i m p a c t o en la vida diaria de indigenas m e s o a m e r i c a n o s , J o h a n n a Broda (Ed.) : E t n o a s t r o n o m i a en M e s o a m é r i c a . Mexico (sous presse) Landa Diego de : 1966, Relacion de la cosas de Yucatan. México. Neuenswander Helen : 1981, Vestiges of Early Maya T i m e C o n c e p t s in a C o n t e m p o r a r y Maya ( C u b u l c o Achi) C o m m u n i t y : Implications f o r E p i g r a p h y . Estudios de C u l t u r a Maya 13, 125-161. Mexico. Sahagun Fray, Berdardino de : 1950, Wahrsagerei, H i m m e r s k u n d e und K a l e n d e r d e r alten A z t e k e n . Û b e r s e t z t und erliiutert von L e o n h a r d Schultze, Jena. Q u e l l e n w e r k e zur Alten G e s c h i c h t e A m e r i k a s 4. Stuttgart. Seler Eduard : 1902 - 1923, G e s a m m e l t e A b h a n d l u n g e n S p r a c h - und A l t e r t u m s k u n d e . Bd 1 - V. Berlin. zur Amerikanischen 10 Thompson. J.S. 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Est Ouest F i g u r e 5 : Le m o u v e m e n t a p p a r e n t de la l u n e p e n d a n t la p r e m i è r e moitié de la l u n a i s o n , observé a u crépuscule. Publ. Obs. Astron. Strasbourg Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6 J. BRinRD 15 LES M E G A L I T H E S DE BRETAGNE ET LES THEORIES ASTRONOMIQUES CENT ANS D'INTERROGATIONS Many theories have been proposed in the XIXth century on the Carnac alignements such as Roman settlements, graves, temples for ophiolatry or "Dracontia". A few archaelogists considered they were astronomical monuments since Cambry (1805). In the beginning of the XXth century, A. Devoir, working in northern Finistère, published his work on "primitive astronomy". He thought that the orientations corresponded to agricultural rythms of the year. He made many observations on the Crozon and Léon country alignments. More recently, R. Merlet worked near the gulf of Morbihan and built an astronomie system around the "Grand Menhir" of Locmariaquer. He proposed dating the monuments by astronomy. A British engineer, A. Thom, specialist of the astronomie rings of England and Scotland built up a "geometry" of the Carnac alignments and developed the theory of a central observatory at the Grand Menhir. But new excavations have shown that the Grand Menhir was probably broken up by the neolithic people themselves. In 1989, a stone circle has been studied by J. Briard and M. Le Goffic in the island of Ouessant. It is probably an astronomical monument for observing the summer sunrise over the océan, and later on over the large menhirs of the Léon district. 16 1. - LES PIONNIERS Par sa position géographique l'Armorique se présente naturellement c o m m e l'un de ces bouts du monde, ces " P e n - a r - L a n d " dans lesquels les Anciens voyaient la f i n des terres émergées. De ses promontoires côtiers l'on peut suivre l'émergence glorieuse du soleil au-dessus des mers océanes. Nulle région n'était donc plus propice à l'établissement de temples consacrés aux cultes astronomiques. Ils f u r e n t très n o m b r e u x si l'on en juge par les quelques milliers de menhirs qui subsistent après plus de deux millénaires de destruction et de vandalisme. Certains f u r e n t élevés en liaison directe avec l'océan comme les alignements de la presqu'île de Crozon ou quelques cercles de menhirs iliens c o m m e celui de l'île d'Ouessant. Ce ne sont malheureusement pas les mieux conservés. D'autres comme à C a r n a c - E r d e v e n f u r e n t érigés à proximité des rivages mais un peu à l'intérieur des terres. E n f i n les prospections récentes ont montré qu'il exista, dans l'Armorique interne, n o m b r e de petits alignements qui témoignent de l'importance des cultes astronomiques j u s q u ' e n Bretagne intérieure. C'est probablement d ' O u t r e - M a n c h e que d é b u t è r e n t les premières études "astro-archéologiques". C o m m e le note P.R. Giot (1989, 50) c'est sans doute au Révérend William Stukeley que l'on doit la révélation du lever solsticial d'été dans l'axe du célèbre m o n u m e n t de Stonehenge au Wessex et cela dès l'an de grâce 1740. Depuis on ne compte plus les travaux astronomiques sur Stonehenge qui vont j u s q u ' a u c o m p u t e r céleste capable de prévoir les éclipses, mais ceci est une autre histoire. En Bretagne la notion de m o n u m e n t astronomique f u t assez longue à se dessiner, même à propos de sites exceptionnels c o m m e ceux de la région de Carnac. Le précieux petit recueil de l'abbé Millon (1911) relatant les opinions à ce s u j e t est révélateur. Sur 72 auteurs répertoriés il restent dans une p r u d e n t e expectative, 19 p e n c h e n t pour des stèles f u n é r a i r e s , 17 pour des temples ou m o n u m e n t s religieux, 8 p o u r des m o n u m e n t s c o m m é m o r a t i f s , 9 pour des camps romains, 3 pour des lieux de réunions, des "forums", et seulement 5 pour des thèmes astronomiques. On laissera de côté la curieuse opinion du sieur A.F. Boureau-Deslandes qui, en 1721, voyait dans les pierres de Carnac un des derniers e f f e t s du Déluge universel. Il f a u t dire aussi que dans le golfe du M o r b i h a n le souvenir de la bataille des Vénètes contre César était vivace et que l'on attribua, sous diverses f o r m e s , la construction des alignements aux légions romaines, camps pour 14 000 h o m m e s précise m ê m e l'ingénieur du roi F. de la Sauvagère, les pierres étant destinées à soutenir les tentes de l'armée. U n e autre théorie originale de M a u d e t de Penhoët, basée sur la sinuosité de certaines files de menhirs de Carnac, f u t celle de l'ophiolatrie ou culte du serpent, un possible élément de Zodiaque d'ailleurs. U n e de ses variantes est celle du Dragon ou d ' u n "Dracontium" voué au serpent Python. Parmi les autorités de l'époque J. C a m b r y , f o n d a t e u r de l'Académie Celtique, proclame le p r e m i e r nettement que les alignements de Carnac a p p a r t i e n n e n t à un thème 17 Céleste ou zodiaque. Il sera suivi par M a u d e t de Penhoët en 1826 et par un esprit original de Vannes, le polytechnicien R. Galles en 1862. Le romancier Gustave Flaubert visite Carnac mais, plus sensible aux charmes de R o m e et de Carthage, s'avère déçu et "tout en trouvant que c'est peu c o m m u n on s'avoue cependant que ce n'est pas beau !" Et l'illustre écrivain conclut p é r e m p t o i r e m e n t : "Pour en revenir aux pierres de Carnac (ou plutôt les quitter) que si l'on me d e m a n d e après tant d'opinions quelle est la mienne, j ' e n émettrai une i r r é f u t a b l e , i r r é f r a g a b l e , irrésistible, une opinion qui ferait reculer les tentes de M. de la Sauvagère et pâlir l'Egyptien Penhoët, qui casserait le Zodiaque de C a m b r y et hacherait le serpent Python en mille morceaux. Cette opinion, la voici : Ces pierres de Carnac sont de grosses pierres !". Le Baron Bachelot de la Pylaie (1848) s'intéresse aux alignements de L a n d a o u d e c dans la presqu'île de Crozon qu'il compare à ceux de la G r é e de C o j o u à Saint-Just en Ille-et-Vilaine. Il note à Saint-Just la présence d ' u n hémicycle "orienté au soleil levant" et décrit avec précision les alignements et les enceintes de Landaoudec, notant à chaque fois les orientations cardinales, le tout agrémenté de précieux croquis m o n t r a n t l'état des m o n u m e n t s à cette époque. Ces premiers travaux se contentent, le plus souvent, de simples relevés d'orientations. R. Galles va cependant plus loin en notant en 1862 que n o m b r e de dolmens ont leur ouverture volontairement orientée à l'Est. F. Gaillard publie aussi une "Astronomie préhistorique" en 1895 basée sur le principe de "menhirs index". R. Galles pense à dater les dolmens par la variation d ' u n élément astronomique dans le temps,, soit le lever solaire à l'Equinoxe. 2. - LES OFFICIERS DE MARINE R o m p u s à l'observation céleste, les o f f i c i e r s de marine se sont précocement intéressés aux problèmes posés par l'orientation des mégalithes et ont repéré les monuments de ce type liés au culte solaire. C'est ainsi que l'an VIII du calendrier révolutionnaire l'amiral T h é v e n a r d signale un "Temple des Payens" à Ouessant, composé d ' u n grand rectangle de pierres avec une séparation centrale. De ce m o n u m e n t ne subsistent plus que quelques pierres au voisinage du phare de Creach. R é c e m m e n t P.R. Giot (1989, 52) a découvert les travaux de l'amiral A.J.R. Fleuriot de Langle qui, en 1876, remarque les "amplitudes ortives et occases" des menhirs et dolmens de Bretagne. Il relève avec précision les orientations à la boussole et suggère la possibilité d'orientations solsticiales. Il attribue les gravures des dolmens à des symboles célestes mais malheureusement se perd en c o n j e c t u r e s plus qu'aventureuses ! ... 18 Mais le premier véritable spécialiste de l'astronomie préhistorique en Bretagne f u t , au début de ce siècle, un autre o f f i c i e r de m a r i n e , le capitaine de f r é g a t e A. Devoir qui procéda à de n o m b r e u x relevés à la planchette sur les monuments du Finistère et publia des articles sur T "astronomie primitive". Il commence par observer les grands menhirs du Léon, se lie d'amitié scientifique avec le spécialiste britannique sir N o r m a n Lockyer qui, à la même époque, publie "Stonehenge and others british stone monuments astronomically considered". Les deux savants voient leurs théories se r e j o i n d r e en bien des points. En 1908 A. Devoir précise ses observations : la constance pour les grands ensembles des directions solsticiales d'été et d'hiver, l'existence du j a l o n n e m e n t de levers équinoxiaux et la complication par l'établissement de j a l o n n e m e n t s intermédiaires entre les lignes solsticiales et équinoxiales. C'est ainsi qu'il note, pour la région de Brest, les azimuts NSS" E, N65° E ou symétriquement S65° E et S54° E. Ces jalonnements correspondent aux dates du 8 novembre, du 4 f é v r i e r , du 6 mai et du 8 août, que l'on peut mettre en liaison avec les rythmes agricoles des semailles, des blés en herbe, des floraisons et des moissons. Ainsi les alignements auraient pu r y t h m e r les travaux des champs. A Devoir r e n f o r c e sa conviction astronomique par l'étude des grands ensembles de la presqu'île de Crozon (1910) et notamment les alignements du Toulinguet, Leuré, L a n d a o u d e c , Lostmarc'h et T y - a r - C h u r é (fig. 1). Il a f f i n e à cette occasion sa théorie : prédominance de l'axe diamétral, lever solsticial d'été, coucher solsticial d ' h i v e r , orientations équinoxiales Est et Ouest, déclinaison 16° 20' Nord et Sud correspondant aux levers intermédiaires m a r q u a n t les rythmes agricoles. Esprit pondéré et scientifique A. Devoir se heurte violemment aux aventureuses théories célestes du docteur Marcel Baudoin dont il r é f u t e pas à pas les arguments irrecevables il est vrai (1917) et qui, de nos jours, nous f o n t plutôt sourire. En e f f e t M. Baudoin a f f i r m e que les dolmens de Carnac f u r e n t construits en pleine période glaciaire, 10 000 ans avant J.C. alors que le "Centre Est du Finistère était un petit noyau de neige" ! On pourrait aussi évoquer ses théories sur l'interprétation des cupules, considérées comme des représentations de la G r a n d e Ourse et la Petite Ourse en relation avec le mythe de l'Atlantide. Plus près de nous le regretté Dr P.A. Cariou, m é d e c i n - c h e f de l ' A é r o - n a u t i q u e , met son imagination fertile au service des mégalithes (1959). On se perd un peu dans l'avalanche de ses interprétations mais on peut en retenir quelques points : les grandes files de menhirs de Carnac étaient destinées à des cérémonies processionnaires, les files perpendiculaires marquaient une vénération de la zone polaire du ciel, les hémicycles étaient destinés au culte lunaire. P.A. Cariou imagine m ê m e que les processions commençaient à l'Ouest des alignements au lever du soleil et se terminaient à l'Est au lever de la lune. Par ailleurs il lie la construction de certains monuments aux labours sacrés qui s'exécutaient d'Est en Ouest, suivant la marche du soleil. C'est ainsi que la diagonale d ' u n quadrilatère comme celui du C r u c u n o à Carnac avait sa diagonale orientée aux levers équinoxiaux et sa longueur orientée suivant 19 le lever solsticial d'été. Mais si c'est le procédé inverse qui était adopté, c ' e s t - à - d i r e la diagonale suivant le solstice d'été, l'orientation de la longueur devenait N N E à 16° n'ayant plus rien à voir avec une orientation solaire. F a u t - i l encore suivre P.A. Cariou lorsqu'il conclut en visionnaire que les champs processionnés des alignements de Carnac étaient peut être ces f a m e u x "Champs Elysées" que certains grecs situaient au couchant de l'Europe. 3. - THEORIES MORBIHANNAISES DE R. MERLET et A. THOM De n o m b r e u x auteurs se sont attachés, à l'époque m o d e r n e , à bâtir des théories nouvelles sur les alignements et les menhirs du M o r b i h a n . Zacharie Le Rouzic resta assez p r u d e n t dans ses écrits mais on peut rappeler qu'il f u t l'instigateur des restaurations des grands ensembles, m a r q u a n t d ' u n petit carré de ciment rouge les menhirs relevés à l'époque moderne. Quand on voit le n o m b r e de c e u x - c i cela invite à beaucoup de p r u d e n c e dans les théories utilisant les orientations actuelles de ces monuments... De 1917 à 1933 René Merlet, ancien archiviste d ' E u r e - e t - L o i r , s'intéressa aux monuments situés sur les îles du golfe du M o r b i h a n . On lui doit un plan précis du double cercle de menhirs d ' E r Lanic avant leur restauration par Z. Le Rouzic en 1924 mais c'est surtout le "cromlech" de K e r g o n a n , situé sur l'île aux Moines, qu'il étudia (Merlet, 1974). Il en déduit qu'il s'agissait d ' u n observatoire en liaison avec d'autres m o n u m e n t s comme Er Lanic, Graniol ou C o p o r h , suivant des visées solsticiales (fig. 2). D'autres observations c o n c e r n e n t les m o n u m e n t s de Graniol à Arzon, de Pen Hap à l'île aux Moines. Il s'intéresse au menhir d ' E r G r o h , le grand menhir brisé de Locmariaquer. Il voit dans ce géant qu'il considère comme un m e n h i r abattu le point central d ' u n système de visée complexe englobant les p r i n c i p a u x m o n u m e n t s de ce secteur morbihannais. Il note que ce m e n h i r est dans le prolongement de la ligne 80 du cromlech de K e r g o n a n et de la ligne Est-Ouest menée par le menhir de Pen Hap. C'est une ligne équinoxiale. Ainsi le 21 mars et le 21 septembre p o u v a i t - o n voir de Pen H a p le soleil se coucher sur le menhir d ' E r G r o h et inversement d ' E r G r o h l'on pouvait voir le soleil se lever sur Pen Hap. A p p a r e m m e n t le grand m e n h i r de Locmariaquer aurait été lié aux systèmes solsticiaux d ' E r Lanic, de K e r g o n a n et de G r a h Niol. R. Merlet découvre m ê m e une autre liaison astronomique avec le petit cromlech du G r a n d R o h u situé au-dessus des marais de K e r p o n t , c o m m u n e de S a i n t - G i l d a s - d e Rhuys. Du centre de ce m o n u m e n t l'on pouvait voir le 21 j u i n le soleil disparaître derrière le grand menhir de Locmariaquer. Il f a u t r e m a r q u e r que les observations et les visées menées par R. Merlet le f u r e n t à une époque où le secteur littoral était moins urbanisé. A u j o u r d ' h u i il est souvent d i f f i c i l e d'obtenir des visées correctes. 20 U n autre résultat des travaux de R. Merlet f u t de tenter de dater les m o n u m e n t s grâce aux variations de l'obliquité de l'écliptique. G r â c e à des mesures très précises menées au théodolite, il nous d o n n e un tableau de résultats (fig. 3) qui somme toute n'est pas en contradiction avec les estimations archéologiques puisque les datations s'échelonnent de 5000 à 2700 ans avant J.C. Les alignements de Carnac ont fait l'objet de travaux récents du professeur A. T h o m d ' O x f o r d qui d é j à s'était penché sur de n o m b r e u x sites britanniques, à commencer bien sûr par Stonehenge ( T h o m , 1967, 1971). A. et A.S. T h o m (1977) proposent tout d'abord une "géométrie" des alignements de Carnac, basée sur l'utilisation d ' u n e unité de base, le yard mégalithique de 0,829 m, avec un multiple la toise mégalithique mesurant 2,5 yards mégalithiques soit 2,08 m. Les constructions des alignements s'avèrent très élaborées, dépassant largement le simple usage du triangle de Pythagore. A. T h o m souligne l'importance du grand menhir du tertre du Manio qui pour lui était un f r o n t o n de mire universel pour les observations solaires et lunaires, de même d'ailleurs que le grand menhir brisé de Locmariaquer, comme l'avait suggéré R. Merlet. Le m e n h i r du Manio servait tantôt aux observations solaires (vu du cromlech oriental du Manio, il indique le lever du soleil au solstice d'été, vu de la pierre S il suit le soleil couchant au solstice d ' h i v e r , vu du groupe de Keriaval il indique la position extrême du lever lunaire). Pour A. T h o m c'est dans une phase postérieure que f u t érigé le grand m e n h i r pour obtenir des possibilités de visées encore plus complètes. En conclusion A. Thom pense que les alignements de Carnac ont pu constituer des entités indépendantes, chacune ayant son rôle propre déterminé par son type de construction. Le Menec aurait été plus particulièrement lié au système d'observations centrées sur le grand m e n h i r de Locmariaquer. La finalité de tous ces documents aurait été l'observation solaire mais aussi lunaire. A. T h o m précise m ê m e que les observations lunaires pouvaient aller jusqu'à la prédiction des éclipses, celles-ci se reproduisant suivant des cycles prévisibles. Les derniers travaux sur le menhir d ' E r G r a h peuvent i n f i r m e r une partie des théories de A. Thom mais on doit conserver ses intéressantes données sur la métrologie qui rejoignent les mesures autrefois reconnues en France par des auteurs comme A. KLerviler (toise et coudée mégalithiques). Par ailleurs les relevés précis qu'il a fait de certains m o n u m e n t s comme Kerlescan ou Le Menec nous sont i n f i n i m e n t précieux (fig. 4). 21 4. - LE VERDICT DES FOUILLES RECENTES L'on croyait tout savoir sur les mégalithes du M o r b i h a n . Et p o u r t a n t les travaux de fouille et de restauration entrepris sur les grands dolmens de Gavrinis et de Locmariaquer ont complètement rénové nos connaissances sur les rites religieux néolithiques. A Gavrinis, C.T. Le Roux (1985) a découvert des gravures plus anciennes que celles de l'intérieur du dolmen sur l'extérieur des dalles du couloir et de la c h a m b r e et donc invisibles des visiteurs. En particulier la dalle de couverture de Gavrinis montrait, sur sa partie supérieure, une gravure de h a c h e - c h a r r u e et deux bovidés dont l'un réduit à ses cornes et l'amorce de son échine dorsale. La surprise f u t de constater qu'elle se raccordait au célèbre attelage connu depuis longtemps à la Table des M a r c h a n d à Locmariaquer. Les deux blocs sont taillés dans le m ê m e granité venant de la région de Port-Navalo. U n troisième morceau de granité recouvrant le tertre d ' E r G r a h , voisin de la Table des M a r c h a n d , peut se raccorder aux deux éléments de Gavrinis et de la Table des M a r c h a n d (fig. 5). Ainsi un grand menhir aurait été gravé de hachescharrues avec leurs boeufs, puis dressé, puis abattu ou débité, les morceaux servant de dalles à de grands dolmens. J. L'Helgouach (1983) a montré que d'autres grands dolmens de Locmariaquer c o m m e le M a n é L u d ou le M a n é - R u t u a l avaient une c h a m b r e couverte par un grand menhir brisé. Ceci remet en question la fonction du m e n h i r brisé de Locmariaquer. Il pourrait s'agir d ' u n autre m e n h i r débité pour éventuellement recouvrir des dolmens. Deux faits plaident pour cette théorie : le 4ème bloc abattu est d é j à déplacé à 180° de son raccord avec le 3ème bloc et de plus, sur le deuxième élément du menhir brisé, on peut reconnaître, bien qu'érodée par le vent et le sable, une gravure de h a c h e - c h a r r u e analogue à celles de Gavrinis et de la Table des M a r c h a n d . Dans ce cas le grand menhir de Locmariaquer n'aurait pas été un gnomon astronomique ou le repère central d ' u n système de visées mais aurait été abattu peu après son érection par les néolithiques e u x mêmes. Voilà qui peut a f f a i b l i r les constructions théoriques proposées par R. Merlet et plus récemment par A. T h o m . On connaît mieux aussi la construction et même la destruction de certains alignements de Bretagne intérieure. U n p r o g r a m m e de fouilles mené à l'alignement du Moulin à Saint-Just, Ille-et-Vilaine, a m o n t r é que ces m o n u m e n t s pouvaient avoir une vie très complexe et très longue de 4500 à 2000 ans avant J.C. (C.T. Le R o u x , Y. L e c e r f , M. G a u t i e r , 1989). Ils se compliquent de structures de combustion, de stèles en bois et surtout de remaniements notamment au début de l'Age du Bronze où les alignements ont été réutilisés pour construire des sépultures en urnes ou en c o f f r e s avec petit entourage circulaire. A Saint-Just devait exister un ensemble complexe orienté E - W avec les alignements et hémicycles successifs du Moulin, des Demoiselles Piquées et du Tribunal. L'alignement du Moulin a une structure curieuse en deux files convergeant théoriquement vers un point naturel élevé et une file 22 complémentaire perpendiculaire (fig. 6). Les orientations sont E - S - E (105° N), E - S - E (117° N) et N 15°. Les Demoiselles Piquées sont orientées W - S N - E - S E . Le "Tribunal" est un hémicycle s'ouvrant à l'Est avec une possible pierre de visée situé à 60 m à l'Est. Notons que, t o u j o u r s à Saint-Just, l'alignement de Bocadéve c o m p r e n d sur 340 m plus de 60 blocs orientés à 83° N. Il n'a pas été tenté un essai général d'interprétation astronomique de ces m o n u m e n t s mais en première approximation l'on retrouve les grandes orientations usuelles des alignements. La destruction d'alignements néolithiques à vocation astronomique au début de l'Age du Bronze est c o n f i r m é e par les travaux menés en forêt de Brocéliande (Briard, 1989). Le T o m b e a u des Géants à Campénéac, M o r b i h a n , se présente comme un grand caveau de l'Age du Bronze dont les parois et la dalle de couverture ont été "empruntées" à un alignement néolithique préexistant c o m p r e n a n t 4 grands menhirs de schiste rouge, longs de 4 m. L'un d'eux git encore couché à 8 m de distance de la tombe de l'Age du Bronze. En f o r ê t de Brocéliande plusieurs alignements sont également orientés N o r d - S u d (La P i e r r e Drette, les Roches de Trébran). C'est également la même direction qui a été choisie pour le beau "Cordon des Druides" à L a n d é a n , I l l e - e t - V i l a i n e , au coeur de la forêt de Fougères. 5. - L'OBSERVATOIRE DE PEN-AR-LAND A OUESSANT En 1878 l'archéologue finistérien A. Le M e n n signalait à Ouessant un alignement sur la pointe curieusement appelée la "Corne des Gaules". P. du Châtellier reconnaissait le m o n u m e n t en 1883. Il avait observé, près du village de Kernoaz, un cercle de petites pierres de 0,60 à 0,80 m de haut dont les 4 plus hautes dépassaient de la lande. Il signalait qu'à côté de ce cercle existait une file de menhirs N o r d - S u d de 60 m de long avec 4 pierres principales et en bout une file complémentaire E s t - O u e s t de 2 éléments principaux. P. Du Châtellier nota qu'au centre du m o n u m e n t étaient dressées deux pierres. Malheureusement l'une de ces pierres a été enlevée récemment pour orner un j a r d i n ! et l'autre détruite ou déplacée. La rareté de monuments de ce type en Bretagne nous a incité à e f f e c t u e r une fouille programmée en j u i n 1988 en compagnie de M. Le G o f f i c , archéologue départemental du Finistère. L'enceinte de P e n - a r - L a n d se trouve sur la falaise qui culmine à 32 m au-dessus de la mer, sur la pointe orientale de l'île d'Ouessant. Elle c o m p r e n d encore 18 blocs réunis par de petits murets de pierres. La f o r m e générale est elliptique, de 13 m suivant l'axe Est-Ouest et 10 m suivant l'axe N o r d - S u d . C'est ce que A. T h o m appelle un "oeuf mégalithique" (fig. 7). Le m o n u m e n t , fouillé sur les 3 / 4 de sa s u r f a c e , m o n t r e un lit de pierres au-dessus du sous-sol granitique. Au centre, une 23 fosse de 50 cm de p r o f o n d e u r correspond au calage des deux menhirs centraux disparus. Pendant la dernière guerre, des tranchées allemandes f r ô l è r e n t la b o r d u r e de l'enceinte. U n e carrière ancienne, à l'est du m o n u m e n t , a f o u r n i des déblais rehaussant le terrain contre les menhirs d'entourage. Malgré ces déprédations le m o n u m e n t , une fois les quelques menhirs couchés redressés, se présente comme un ensemble intéressant. U n bloc qui gisait dans le q u a d r a n t N o r d - E s t a été replacé au centre pour reconstituer son aspect original. Les éclats de silex néolithiques suggèrent une construction vers 3000 ans avant J.C. Quelques tessons de poterie protohistoriques m o n t r e n t que l'enclos de pierres a été encore utilisé sans doute à l'Age du Bronze vers 1000 ans avant J.C. Au Sud, à 300 m du cercle, on a retrouvé les deux files de petits menhirs signalés par P. Du Châtellier. Quatre sont en direction N o r d - S u d et deux en direction Est-Ouest. De petits talus très anciens relient ces menhirs. U n tout petit bloc au N o r d - O u e s t d o n n e une allure de quadrilatère à cet ensemble. En plein Est du centre du cercle se voit une petite butte naturelle, distante de 150 m. Sur son flan Est gisait une pierre pyramidale de 1,30 m de long. Elle surprenait par son aspect trapézoïdal. U n sondage sur le tertre Est a montré un f o y e r en p r o f o n d e u r et des pierres agencées en un lit de plaquettes. Le foyer p r o f o n d est un élément possible de f e u rituel lors de l'élévation d ' u n e pierre. Ces éléments ont incité les fouilleurs de 1988 à replacer cette pierre au sommet du monticule. L'opération a été e f f e c t u é e grâce au concours de la municipalité d'Ouessant. La position en plein Est de la pierre peut c o n f i r m e r que c'était bien là sa position originelle correspondant aux levers équinoxiaux de p r i n t e m p s et d ' a u t o m n e . Très visible de la mer elle a été repeinte en blanc par les marins pour servir de repère maritime ou "amer". Après tout c'est p e u t être une remise en fonction de sa destinée initiale ! C o m m e les m o n u m e n t s semblables connus en grand n o m b r e dans les îles Britanniques, mais très rares en Bretagne, le cercle d'Ouessant a pu servir d'observatoire astronomique, en particulier pour jalonner les levers du soleil, observables ici sur la mer à l'horizon. Les levers principaux étaient balisés par des pierres : au N o r d - E s t pour le solstice d'été, à l'Est pour les équinoxes de printemps et d ' a u t o m n e , au S u d - E s t pour le solstice d'hiver. La lune pouvait intervenir aussi dans le n o m b r e des pierres dressées. 24 CONCLUSION La foi mégalithique a élevé sur le territoire de l ' A r m o r i q u e ces menhirs et alignements dont il semble bien que le rôle était lié au culte astronomique. Malgré tout ces m o n u m e n t s ont été bouleversés pour la plupart au cours des âges, empêchant souvent des observations d'orientation très précieuses. Toutefois malgré ces d i f f i c u l t é s les théories les plus sérieuses se rapportent aux orientations solsticiales, équinoxielles et aux levers intermédiaires, p e u t - ê t r e jalons de ces fêtes agricoles que la tradition celtique semble avoir prolongé et qui subsistent en partie dans nos fêtes populaires (feux de la Saint Jean). Mais le grand problème actuel est souvent la conservation de ces m o n u m e n t s : déchaussement des menhirs de Carnac ou sauvetage "in extrémis" de ce cercle d'Ouessant. On ne peut que se r é j o u i r de la volonté actuelle de sauvegarder ces précieux patrimoines du passé. * * * BIBLIOGRAPHIE Bachelot de la Pylaie (baron) : "Etudes Archéologiques et géographiques" - Bruxelles, 1850, réedit. Bull. Soc Arch. Finistère, Q u i m p e r 1970, 570 p. Baudoin Dr : "La Préhistoire par les Etoiles. U n c h r o n o m è t r e préhistorique" - Maloine, Paris, 1926, 330 p. Briard J. (dir.) : "Mégalithes de haute-Bretagne. Les m o n u m e n t s de la f o r ê t de Brocéliande et du Ploërmelais : structures, mobilier et environnement." Documents Archéologie Française, N° 23, Paris, 1989, 134 p. Briard J. - Le G o f f i c M. : "Ouessant, P e n - a r - L a n d . Enceinte mégalithique" - D R A C Bretagne, Circonscription des Antiquités. 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Anthropologie Rennes, 1977 * * * BIOGRAPHIE B R I A R D Jacques, né le 7 N o v e m b r e 1933 à Saint Malo, occupe les fonctions de : - directeur de recherche au C.N.R.S., - chargé d'Enseignement "Préhistoire" à l'Université de H a u t e - B r e t a g n e , - responsable du Laboratoire d'Anthropologie à l'Université de R e n n e s 1 et de l'U.P.R. 403 du C.N.R.S. Carrière au C.N.R.S. depuis 1953. Travaux : - Fouilles de tumulus de l'Age du Bronze et de mégalithes Bretagne - Travaux sur l'Age du Bronze européen et la paléométallurgie Principales publications : "L'Age du Bronze en Europe" "Mythes et Symboles de l'Europe Préceltique" "Poteries et Civilisations" "Mégalithes de Bretagne" * en 27 Figure 1 - Relevé DEVOIR en 1908 des alignements du Toulinguet par A. 28 Nord Figure 2 - Le cromlech de Kergonan (K) et ses relations astronomiques avec les autres montiments du golfe du Morbihan. P : Pen Hap ; E : Er Lanic ; G : Graniol ; L : Locmariaquer ; R : Grand Rohu par R. MERLET 29 52''49' a 5203g.52"22 52°56'42"375 (1) levant été levant hiver levant été À 17°3r2"5 17°35'26"5 47°33'1G"1 (2) r L G-p2 G-P^ K - C E - MK visées 52''4'33" 52°9' levant été 47°33'16"1 G V R - L couchant été 47''31'16"4 • R G 5''14'4"6 5°11'21"0 5''13'44"7 5''13'44"7 5<'11'29"9 24°13'3" 24=11'20" 24''0'52" 2400.52" 23''59'55"0G (3) u (1) t (5) (1) P P R C K 5000 av. J . C . 5000 av. J . C . 3000 av. J . C . 3000 av. J . C . 2700 av. J . C . E - centre E r l a n i c n é o l i t h i q u e . L ' a z i m u t a désigne l ' a n g l e K - centre Kergonan formé par l ' a l i g n e m e n t avec l a d i r e c t i o n M - Men-Colas du nord (géographique). ( C e t t e valeur est C - Coporh (Men Guen) donc indépendante de l a p o s i t i o n qu'oc- G - centre Graniol cupe l e s o l e i l , a u j o u r d ' h u i , à l ' h o r i z o n ) . P - tombelles Pen Hap R - centre Grand Rohu L - Locmariaquer (Er Groh) Azimut du s o l e i l au s o l s t i c e à l'époque S o l e i l tangent à l ' h o r i z o n Premier ou d e r n i e r rayon (2) Latitude (3) Longitude ouest de P a r i s (4) du p o i n t de visée G - P^ = Ici' vœjon entre les A 2 tombelles de gauche. L 2 G - P = Soleil tangent à l'horizon- O b l i q u i t é de l ' ô c l i p t i q u c à l'époque néolithique. Menhir culminant l a 1ère La v a l e u r de u e s t donnée par l a formule de t r i g o n o m é t r i e sphérique : Sin M = cos a cos c (5) cos A + sin c sin \ D a t a t i o n approximative. La date est c a l culée à p a r t i r de l a valeur de a e t de tombelle de d r o i t e a - azimut du s o l e i l c - hauteur r é e l l e du s o l e i l A - latitude la formule de Newcomb F i g u r e 3 - D a t a t i o n d e s monuments m o r b i h a n n a l s t r a v a u x a s t r o n o m i q u e s de R. MERLET ( 1 9 1 7 - 1 9 3 3 ) par les . Pierre M O Ménec ' - à Carnac. ' " " 31 Figure 5 - Reconstitution du grand menhir de Locmariaquer composé des dalles de couverture de la Table des Marchand (en bas), de Gavrinis (au centre) et d'Er Grah (au sommet) d'après G.T. LE ROUX 32 de la Grée JL ^ l e s d e t « a l i g n e m e n t s c o n v e r g e n t s du p e r p e n d i c u l a i r e , d ' a p r è s C . T . LE ROUX A \ iii les Demoiselles Pinuées / \ le moulin IP f' ; alignements Le du Moulin Chotaigncr de Cojou Moulin ; et à Saint- à droite la file 33 F i g u r e 7 - O u e s s a n t . E n c e i n t e m é g a l i t h i q u e de P e n - a r - L a n d . E l l e c o m p r e n d 18 b l o c s i j r i n c i p a u x s u r u n t a l u s d e p i e r r e s e t t e r r e . Au c e n t r e l a t r a c e de c a l a g e d ' u n é l é m e n t c e n t r a l (2 m e n h i r s d i s p a r u s ) e s t v i s i b l e . D i m e n s i o n s : 18 m s u r 10 m. Publ. Obs. Astron. Strasbourg Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6 D A N SLEPROCESDEL'ASTROLOGIE,LE LE RATIONALISME EST-IL TOUT A FAIT RATIONNEL ? C. MRILLRRD 35 DANS LE PROCES DE L'ASTROLOGIE, LE R A T I O N A L I S M E E S T - I L TOUT A F A I T RATIONNEL ? The criticLsm formulaCed by scienctist against astrology appear frequently as non-relevant if one examines them having a certain familiarity with symbolic thinking. On one hand they dénoté a deep incompréhension : astrology is heing pictured in his caricatural aspects (exploitation of credulity, false science competing with Crue science) and not being recognized in its specificity (a system of symbolic lecture of reality and more specifically of the relation between man and cosmos ; a refined psychologie typology). On the other hand the criticisms, always aggressive, testity by their violence of an insufficiency of the classic rationality. This rationality is insecure in the presence of forms of experience and thought which escape them ; it is a dogmatic rationality and in conséquence still not very rational. The évolution undergone in this century by both science and epistemology gave way to a more flexible and open rationality, which should permit to recover ground from irrationality and to do Justice to knowledge like astrology, which although non-scientific is not devoid of cognitive value and could permit to re-locate astrology among the human sciences (sciences de l'homme). Question sacrilège... Il va de soi que celui qui la pose est parfaitement conscient du caractère provocant de son énoncé. C'est pourquoi je crois utile de définir d'abord précisément le lieu d'où je parle et les raisons pour lesquelles ce thème s'est en quelque sorte imposé à moi. Je ne suis pas astronome ni astrophysicien, même amateur, encore que fasciné par l'image du monde qu'astronomie et astrophysique s'efforcent de construire. Je ne suis pas astrologue non plus, même si je me suis assez sérieusement intéressé à l'astrologie, pour des raisons sur lesquelles je vais revenir. Je suis ressortissant d'une discipline dite 36 littéraire ; universitaire, c ' e s t - à - d i r e f o r m é à cette exigence de rigueur que l'on appelle volontiers chez nous aussi "scientificité" ; j e p r é f è r e quant à moi m'en tenir au terme plus modeste de "rigueur", la scientificité d ' u n e discipline étant toujours relative, et particulièrement d i f f i c i l e à d é f i n i r dans le domaine de ce qu'on appelle "les sciences humaines". U n e longue démarche, sur laquelle il n'y a pas lieu de s'attarder ici, m'a conduit, d'abord à des fins méthodologiques, instrumentales, à étudier la psychologie analytique de C.G. J u n g , puis à travers elle l'astrologie comme champ d'application de son principe de synchronicité; puis à m'intéresser à l'épistémologie. Or l'astrologie ne m'a pas semblé mériter le mépris massif et sans nuances dont les scientifiques l'accablent le plus souvent (pas toujours !) et qui n'est en général que l'envers d ' u n e p r o f o n d e ignorance du s u j e t , d ' u n e ignorance qui s'ignore e l l e - m ê m e comme telle. D'abord, elle existe ; après plusieurs siècles d'éclipsé elle est revenue en force, pour des raisons qu'il est trop simple de réduire à l'attrait de l'irrationnel, à la survivance de la superstition. A ce titre d é j à , en tant que phénomène sociologique et psychologique, elle requiert une étude sérieuse, c ' e s t - à - d i r e exempte de préjugés - a u t a n t que f a i r e se peut. Ensuite, à qui l'étudié ainsi elle apparaît comme un corpus de savoir psychologique multiséculaire et pourtant actuel, non scientifique certes, mais néanmoins souvent d ' u n e remarquable pertinence. E n f i n l'astrologie m'a intéressé parce qu'elle soulève, considérée correctement, au moins deux problèmes épistémologiques de première g r a n d e u r : 1. - celui de la pensée analogique et symbolique, de la valeur cognitive de cette pensée que depuis Lévi-Strauss on appelle "sauvage" ; 2. - le problème reposé par la physique de ce siècle aussi bien que par sa psychologie, du rapport entre le sujet et l'objet de la connaissance. Je ne suis donc, comme on dit, ni astronome ni astrologue ; mais j'avancerai le paradoxe qu'il est p e u t - ê t r e p r é f é r a b l e de n'être ni l'un ni l'autre pour considérer la question avec distance et d é t a c h e m e n t , de l'extérieur, du point de vue de la psychologie et de l'épistémologie. Car si les astrologues s'emploient, c'est logique, à la d é f e n s e et illustration de leur discipline, les astronomes s'acharnent à la démolir, s'estimant tout naturellement les plus qualifiés pour argumenter contre elle, mais sans jamais y parvenir. C'est précisément l'examen des positions des uns et des autres qui m'a conduit à f o r m u l e r en fait non pas une, mais deux questions sacrilèges : dans quelle mesure les critiques que f o r m u l e n t à l'encontre de l'astrologie les scientifiques - n o t a m m e n t les astronomessont-elles pertinentes, c ' e s t - à - d i r e fondées sur une réelle connaissance du s u j e t ? Et que penser de la rationalité a f f i c h é e dont elles procèdent ? Les quelques réflexions qui suivent se proposent d'esquisser une réponse. 11 va de soi que, dans les limites d'un tel exposé, le s u j e t , immense, ne pourra être q u ' e f f l e u r é . Le but poursuivi n'est pas tant de réhabiliter l'astrologie -c'est l ' a f f a i r e des professionnels s é r i e u x - que d ' é b a u c h e r un examen critique de l'argumentation de ses détracteurs, et surtout de 37 l'attitude intellectuelle et psychologique dont procède cette argumentation. 11 va tout autant de soi qu'un tel examen n'est pas innocent - j e veux dire : dépourvu de tout présupposé. Soumettre à la critique une argumentation présentée comme rationnelle et scientifique implique évidemment une certaine conception de la rationalité, conception qui devrait se dégager au fil même du discours. Pour faire un inventaire un tant soit peu exhaustif des objections adressées par la science à l'astrologie, il faudrait un livre entier ; j'en évoquerai seulement quelques-unes de plus courantes et des plus caractéristiques. Voici d'abord quelques extraits d'un court texte paru il y a trois ans dans un illustré allemand, (Hôrzu, 31.7.87), sous la signature d'un Professeur Docteur, physicien et astronome : "Tous les astronomes rejettent l'astrologie, la manie d'interpréter la destinée et le caractère par les astres (Sterndeuterei, très péjoratif) coimne dépourvue de preuves et même absurde. Ils ont apporté à diverses reprises la preuve que les horoscopes, grâce auxquels beaucoup de gens qui y croient espèrent jeter un coup d'oeil dans leur avenir, ne sont que fantasmagorie..." "Les éléments de l'astrologie, poursuit notre auteur, "ne sont rien d'autre que des excroissances aberrantes de 1 ' imagination humaine (Auswiichse der m e n s c h l i c h e n P h a n t a s i e ) . . . Les dénominations des signes du zodiaque n'ont rien à voir avec le caractère des hommes ; ils sont nés de la seule imagination humaine. . . Dans sa signification première, le zodiaque n'est qu'un symbole du cycle des saisons -et rien d'autre. Les planètes aussi ont été affublées d'un symbolisme : le rapide Mercure est devenu le dieu du commerce... (etc...) Avec les signes du zodiaque et les symboles planétaires, un astrologue habile peut bricoler des combinaisons tellement variées que chaque humain peut paraître avoir un horoscope individuel. Mais les horoscopes ne reflètent que ce que la fantais ie y a mis. " Il est dommage de devoir traduire ce texte, véritable morceau d'anthologie ; la lecture de l'original allemand fait apparaître à chaque ligne, derrière chaque mot un mépris qui n'a d'égal que l'incompréhension du sujet. Ce que cet homme (dont la compétence scientifique n'est pas en question) expédie en quelques lignes, ce n'est pas 1 'astrologie, dont visiblement il ignore tout, mais une grossière caricature. Assurément, cette caricature n'est pas dépourvue de vérité, loin de là ; elle s'étale dans la presse, et c'est même malheureusement le premier visage que l'astrologie présente en général au public. Comme l'a écrit André Breton : dommage qu'à la place de cette "très grande dame, fort belle et venue de si loin, trône aujourd'hui une prostituée". Mais ce qu'il faut constater dans notre texte, c'est l'absence de toute preuve et de toute amorce de raisonnement : il n'y a là qu'affirmations massives étayées sur l'autorité scientifique de l'astronome- comme si sa compétence en astronomie l'habilitait à parler 38 d'astrologie, comme si l'astrologie n'était qu'une contrefaçon superstitieuse de l'astronomie et non pas un domaine spécifique. Non seulement cet homme ignore tout du s u j e t , mais encore il ignore totalement qu'il en ignore tout, il croit savoir. Si les critères essentiels de la rationalité sont le doute et la recherche m é t h o d i q u e , alors, parlant d'astrologie, cet astronome se situe au même niveau de rationalité que les plus superstitieux lecteurs de l'horoscope hebdomadaire. Il d o n n e un p a r f a i t exemple de réductionnisme (ce n ' e s t q u e , et r i e n d ' a u t r e ) et de rationalisme paresseux ; c'est pourquoi je l'ai assez longuement cité. Mais il arrive aussi aux scientifiques d'argumenter contre l'astrologie. Ils se sont longtemps gaussés de l'astrologie, certains p r o b a b l e m e n t s'en gaussent encore parce qu'elle reste obstinément géocentrique. L ' o b j e c t i o n est visiblement absurde. L ' o b j e t de l'astrologie étant l ' h o m m e dans son rapport au système solaire, et l'homme étant domicilié sur cette terre, il va de soi que la seule perspective logique est le géocentrisme, ou plus exactement encore l'anthropocentrisme. Poussant le "raisonnement" jusqu'au bout, on pourrait se moquer à son tour des astronomes qui, 350 ans après Galilée, voient encore naïvement, comme vous et moi, le soleil tourner autour de la terre. On ironise aussi sur le décalage entre les signes et les constellations, sur l'ignorance où serait l'astrologie de la précession ; en f a i t , ce sont les critiques qui ignorent l'astrologie, qui ignorent qu'elle prend très généralement en considération le zodiaque tropique, et non le zodiaque sidéral. Peu lui importe l'arrière-plan sidéral, et donc la précession : la course apparente du soleil, d'un passage au point vernal au suivant, est t o u j o u r s la même, et avec elle le cycle des saisons, qui d é t e r m i n e celui de la vie. Le zodiaque, c'est la roue de la vie, une image du temps cyclique, et l'un des systèmes symboliques les plus grandioses qu'ait élaborés non pas l'imagination de l'humanité - c e t t e imagination que l'auteur précédemment cité semblait tellement m é p r i s e r - mais son psychisme collectif p r o f o n d . Ces deux premiers exemples étaient particulièrement grossiers ; on peut en citer d ' a p p a r e m m e n t plus subtils. L'un des plus courants et des plus anciens consiste à dénoncer la vanité naïve de la vision astrologique qui fait de l'individu humain le centre d'un univers où il n'est en réalité que poussière négligeable. En fait, c'est l'argument l u i - m ê m e qui est philosophiquement naïf : il confond l'homme comme objet e f f e c t i v e m e n t plus ou moins négligeable dans le cosmos (encore que la très scientifique théorie de 1' "effet papillon" permette après tout de douter qu'il soit tout à fait négligeable), avec l'homme comme sujet constitutif de la connaissance, c ' e s t - à - d i r e de la réalité cosmique telle que la construit la conscience -science comprise. Beaucoup moins naïf était Einstein se d e m a n d a n t si la lune continue à briller quand on ne la regarde pas... 39 Autre objection d'apparence plus sérieuse encore : dans le petit livre de Paul Couderc, L'Astrologie, on lit (p. 45) que "la tare essentielle de l'astrologie réside dans une extrapolation abusive des relations entre le Soleil et la Terre, dans une application fallacieuse d 'incontestables lois à des thèmes particuliers. Il y a abus de déterminisme. Pour défendre l'astrologie, on vous dira : 'Puisque le soleil engendre les saisons et intéresse ainsi l'humanité entière, comment nier qu'il intéresse M. Durand en particulier ? . . . Le tour de passe-passe est grossier : il s'opère dans le glissement du général au particulier, dans l'abandon des relations propres à la physique du globe (...) pour des spécifications qui n'en découlent nullement... Oui, le soleil chauffe la Terre et y entretient la vie : mais il ne s'ensuit pas qu'il s'intéresse à vos affaire de coeur..." Là encore, quiconque a abordé l'astrologie sans autre préjugé que la curiosité intellectuelle constate que P. Couderc s'est fabriqué de l'astrologie une caricature qu'il n'a ensuite aucun mal à ridiculiser. Lui aussi confond allègrement le plan de l'objet avec le plan du sujet ; et ce qui témoigne d'une incompréhension encore plus grave, il impute à l'astrologie un principe déterministe, causaliste et mécaniste, il en donne une interprétation naïvement concrétiste où pas un astrologue sérieux ne peut reconnaître sa discipline. Assurément il y a toujours eu, il y a encore des tenants d'une astrologie causaliste, d'ambition scientifique donc ; mais ils savent donner, eux, de leurs conceptions une image non grotesque. Toutefois il faut bien constater qu'ils se placent e u x - m ê m e s en situation difficile face à la science, faute de pouvoir f o u r n i r des preuves empiriques décisives ; et tant qu'ils ne les auront pas fournies, on sera fondé à préférer à la conception c a u s a l i s t e la conception s y m b o l i q u e plus traditionnelle. Selon celle-ci, l'astrologie n'est pas une science au sens actuel du mot ; c'est un savoir spéculatif postulant non pas un lien causal, mais une correspondance synchronistique entre l'homme et le cosmos conçu comme psychoïde. La tradition astrologique présuppose depuis toujours une vision du monde qui n'est pas celle de la science depuis Galilée et Descartes : une vision du monde que la science à certes réussi à d é c o n s i d é r e r , mais qu'elle n'a pas r é f u t é e . C'est là précisément ce que les astronomes acharnés contre l'astrologie n'ont à peu près jamais compris, faute d'une étude objective que leurs propres présupposés rendaient impossible. A cette conception symbolique de l'astrologie, Paul Couderc consacre en tout et pour tout une demi-page dédaigneuse ("verbiage", p. 54) alors que c'est là que gît l'essentiel du problème épistémologique posé par l'astrologie. De toute évidence, Paul Couderc n'est pas informé, ne comprend pas - e t le ridicule, pour qui comprend, se retourne contre lui. Reste à invoquer, bien entendu, contre l'astrologie, le principe d'autorité. Paul Couderc en use abondamment tout en se d é f e n d a n t de vouloir en user. "Il n'existe pas, de nos Jours, sur toute la Terre, un seul astronome, grand ou petit, qui croie à l'astrologie... Qui empêcherait un astronome de publier son accord sur une loi astrologique, s'il la reconnaissait 40 juste et bien fondée, et de s ' illustrer d'autant mieux par cette preuve, qu'elle serait plus inattendue ?" (pp. 43 - 44). Comme s'il s'agissait vraiment de c r o i r e , et non pas d'observer ! L'astrologue André Barbault, qui a visiblement réfléchi, lui, sur la psychologie du collectif scientifique, a beau jeu de répondre : "Parbleu, il suffirait qu'un seul astronome levât, pour le principe, le petit doigt en faveur de l'astrologie pour qu'il soit immédiat amant vu d'un mauvais oeil !" ( D é f e n s e e t i l l u s t r a t i o n de l ' a s t r o l o g i e , Paris 1955 - G r a s s e t - p. 194). Dernier exemple classique d'argumentation manipulée, connexe du principe d'autorité : le cas de Kepler. Si Kepler a pratiqué l'astrologie, c'est, dit Paul Couderc (p. 74 - 75), parce que "les astronomes furent souvent forcés de gagner leur vie en tirant des horoscopes". 11 s'agit malheureusement là encore d'une interprétation naïve du cas de Kepler, que les tenants d'un rationalisme pur et dur se transmettent pieusement de génération en génération depuis l'époque d Voltaire, et qui fait peu de cas de la réalité. Le livre de Gérard Simon : K e p l e r , a s t r o n o m e , a s t r o l o g u e (1979), scientifiquement solide, lui, a fait justice de cette image d'Epinal. Il montre que, si la méthode de Kepler est rigoureusement expérimentale, son hypothèse directrice est pythagoricienne et implique la correspondance entre l'homme et le cosmos ; si Kepler s'est effectivement battu contre l'astrologie des charlatans, c'était pour défendre celle des chercheurs de son espèce. Le cas Kepler présente un très grand intérêt épistémologique, en ce sens qu'il montre que la démarche la plus rigoureusement scientifique, cellelà même qui conduit à des découvertes fondamentales, peut procéder d'un présupposé purement spéculatif, ou d'une intuition irrationnelle. Quiconque est un peu familiarisé avec l'histoire de la science et la psychologie de la recherche sait que c'est même le cas beaucoup plus f r é q u e m m e n t qu'on ne le pense, et que "la science" ne veut bien ellemême le reconnaître. On sait aussi que l'expérimentation n'est pas faite au hasard, mais en fonction d'une hypothèse à priori qui peut fort bien être spéculative. Le génie scientifique fonctionne comme le génie artistique selon Picasso : il trouve d'abord, et cherche ensuite. "Si l'on ne pèche pas contre les exigences de 1 ' entendement, à dit Einstein, on ne peut arriver à rien..." (Cité dans : Wittmann J. S p e z i e l l e R e l a t i v i t a t s t h e o r i e , Munchen, Bayr. Schulbuchverlag, 1977, p. 1). Qu'on me comprenne bien : du cas Kepler - e t des autres objections précédemment citées- je n'entends pas du tout tirer argument pour l'astrologie, mais donner exemple de la faiblesse intellectuelle des arguments que certains scientifiques invoquent contre elle. C e r t a i n s : car il faut ajouter maintenant que tous n'ont pas été ni ne sont aussi simplistes dans l'argumentation, ni si tranchants dans les conclusions. Dans son livre V a l e u r de l a s c i e n c e (1906), H. Poincaré a écrit à propose de l'astrologie : " . . . Peut-être les astres nous apprendront- ils un Jour quelque chose de la vie ; cela semble un rêve insensé, et je ne vois pas comment il 41 pourrait se réaliser ; mais il y a cent ans, la chimie des astres n'aurait-elle pas paru un rêve aussi insensé ?" Certains en concluront peut-être qu'H. Poincaré était un faible d'esprit ; on peut en conclure aussi que c'était un esprit plus p r o f o n d é m e n t scientifique et rationnel que P. Couderc. II est difficile d'en finir avec P. Couderc et son Que s a i s - j e sur l'astrologie. Signe des temps ? Ce petit livre, qui a été pendant des décennies sinon la Bible, du moins le bréviaire des anti-astrologues, n'et plus réédité ; il est remplacé par un autre Que s a i s - j e , ouvrage essentiellement historique et beaucoup plus pondéré. Mais Couderc semble bien rester représentatif d'une attitude intellectuelle encore très répandue, qu'il convient donc maintenant d'analyser. Nous repartirons clairement : donc de Couderc... De sa lecture il apparaît 1. qu'il na pas compris la spécificité de l'astrologie ; 2. que sa conclusion massive était posée d'avance : n'étant pas scientifique, l'astrologie est dépourvue de toute valeur cognitive et de tout intérêt. Tout le livre repose sur un postulat implicite, à savoir : qu'il n'y a de connaissance que scientifique, que tout lien entre les phénomènes est nécessairement causal, et que toute autre saisie du réel - d u cosmos, de l'homme et de leur relation- n'est et ne peut être que superstition préhistorique, "un reste de barbarie que l'évolution de notre espèce et la civilisation n'ont pas encore réussi à éliminer" (p. 125). Ce livre d'un rationaliste, qui se veut rationnel, déborde en fait d'une ironie facile et d'une passion polémique qui n'hésitait pas, naguère encore, à réclamer l'établissement d'une censure contre la superstition (p. 127) et brossait un tableau apocalyptique des "dégâts de l'astrologie : escroquerie, danger médical, déchéance de 1 ' intelligence publique" (p. 80). Or l'explication du caractère passionnel, rabique, de sa démarche, Couderc la donne luimême, non sans ingénuité : la "croisade" contre l'astrologie est difficile, car "il n'existe, c'est un fait, aucun critère immédiat et indiscutable qui rende évidente l'erreur astrologique et une discussion peut tourner à la confusion du rationaliste mal préparé à l'assaut" (p. 84). En termes plus clairs encore : la science est impuissante à réfuter l'astrologie, hypothèse non "falsifiable" parce que non scientifique, et c'est bien irritant pour P. Couderc et ses compagnons de croisade. Il faut dès maintenant remarquer en passant que ce rationalisme ultra-militant semble se faire de la science une image datée des années 80 du 19e siècle, voire du 18e, plutôt que de celles du 20e. La science et la rationalité de 1990 ont p e u t - ê t r e autre 42 chose à faire que de s'acharner ainsi contre l'astrologie. Il est évident que P. Couderc et ses semblables manifestent, selon l'expression de B. d'Espagnat, "cette déformation de l'esprit qui consiste à nier 1'existence de tout ce que l'on ne peut prouver" (A l a r e c h e r c h e du r é e l , p. 160). Vaste programme, et bien insécurisant. Faute de pouvoir p r o u v e r que l'astrologie est absurde, Couderc n i e qu'elle puisse contenir la moindre parcelle de vérité, f û t - c e non scientifique. Mais l'irritation n'est pas le seul a f f e c t que suscite chez ces rationalistes l'hydre de la superstition : ils en ont peur aussi - e t ceci explique cela. Ce qui s'affiche, c'est l'inquiétude au sujet de la santé mentale des populations, qu'une censure bienfaisante devrait protéger. Ce qu'il y a derrière, et qui relève de l'analyse psychologique sinon de la psychanalyse, c'est autre chose encore. C'est la peur de l'irrationnel, c ' e s t - à - d i r e de laut ce qui échappe - e n c o r e - aux prises de "la science" ; la peur de tout ce qui remet en question et menace l'image que le rationalisme classique se faisait du monde depuis Galilée, Descartes, Newton et Laplace. Image rassurante parce que familière : celle d'un univers entièrement rationalisable, intégralement soumis au mécanisme causal, au déterminisme, et dans lequel tout ce qui échappait à la science était négligeable -ou n'existait pas, ne devait pas exister. A u - d e - l à P. Couderc je pense ici aussi à l'intense émotion qu'a manifestée (en 1981) un physicien renommé, notoirement matérialiste (dialectique), à l'idée que, dans la controverse sur l'interprétation de la mécanique quantique, Bohr pourrait quand même avoir raison contre Einstein : à l'idée que déterminisme et causalité pourraient n'être pas la loi ultime de l'univers dit objectif, et que "Dieu pourrait jouer aux dés". Le long texte que ledit physicien a publié le 5.4.81 dans Le Monde mériterait une analyse détaillée. Le débat entre les physiciens y prend figure d'apocalypse, on y voit déjà "dresser un acte de décès de la raison" (sic). L'explication psychologique de cette panique est assez simple. Nietzsche déjà l'avait esquissée il y a cent ans, Jung l'a développée. De tels esprits - q u i restent n o m b r e u x - ne sont pas vraiment rationnels, ils sont rationalistes. Le rationalisme ainsi conçu, ou plutôt ainsi vécu sur le mode de réflexe et non sur le mode réflexif, s'est figé en une vision du monde qui fonctionne comme l'objet de substitution sur lequel se fixe une religiosité devenue sans emploi de par la "mort de Dieu". Depuis Galilée, Descartes, Newton, une fois pour toutes le champ de la rationalité est délimité et ses formes sont codifiées. On ne peut concevoir sans vertige et sans scandale qu'elle soit amenée à se transformer. Ce rationalisme-là, qui repose sur un acte de foi dans une raison sacralisée sous son visage traditionnel, est de part en part infiltré d'affectivité ; c'est l'intégrisme d'une religion laïcisée, devenue inconsciente d'elle-même. L'idéologie scientiste alors n'est pas loin, et l'on ne s'étonnera pas de la voir f r é q u e m m e n t associée à celle du matérialisme dialectique. Dans ces conditions, on peut comprendre l'irritation, le désarroi et la peur des intégristes du rationalisme devant le devenir de la rationalité, tel que la science l'oriente, et devant tout ce qui échappe à la rationalité traditionnelle et s'obstine à exister quand même. De ce rationalisme-là, qui n'a pas changé depuis deux siècles, Goethe déjà se moquait : Goethe, 43 autre esprit faible, qui entame le récit de sa jeunesse en commentant son ciel de naissance... Le zèle des intégristes du rationalisme va parfois très loin, et les induit alors à des imprudences, sinon proprement scientifiques, du moins philosophiques, ce qui, à partir d'un certain niveau de compétence et de responsabilité, ne me paraît guère moins grave. Participant à la croisade contre le révisionnisme qui sévit jusque dans les milieux scientifiques, un très éminent astrophysicien a déclaré (Le Monde, 26.4.81) s'honorer d'être membre de l'Union rationaliste. On peut remarquer que la proclamation de cette appartenance quasi-confessionnelle n'a rien à faire en principe dans un débat d'idées entre hommes de savoir ; on peut aussi se demander s'il est réellement honorifique de se réclamer d'une association dont la philosophie ressemble beaucoup plus à celle de Monsieur Homais qu'à celle de Heisenberg, de Schrôdinger ou de B. d'Espagnat - p o u r ne citer que trois noms au-dessus de tout soupçon d'irrationalisme. Les trois cas évoqués : ceux de l'astronome, du physicien et de l'astrophysicien, montrent avec éloquence combien problématique est la rationalité des rationalistes trop militants. Comme Jung l'expliquait à propos de Freud, le dogmatisme est toujours là pour colmater une faille, et par définition il n'est pas rationnel. Plus vibrante est la profession de foi rationaliste, plus menacé le retour de l'irrationnel refoulé, sous les formes du dogmatisme, de l'intolérance, de l'invective, de l'agressivité polémique, et éventuellement, pour finir, sous celle du déraillement logique. Comment de tels excès sont-ils possibles de la part de scientifiques dont la compétence disciplinaire éminente n'est pas en cause ? A l'explication par le retour d'un irrationnel religieux refoulé, il f a u t sans doute en ajouter une autre. Il s'agit à l'évidence d'esprits beaucoup mieux formés à la pensée mathématique, au savoir quantifié, qu'à une saisie qualitative du réel et à sa conceptualisation philosophique. Or la transformation des vues théoriques fondamentales qui s'est opérée dans la science du 20e siècle (le "changement de paradigme") n'est pas seulement mathématique, elle est aussi conceptuelle, philosophique ; c'est l'image même que la conscience scientifique construit du réel qui a changé - q u i doit changer, qui devrait changer et qui ne change pas toujours. L'astronome Couderc est naturellement à l'aise pour discuter de statistiques astrologiques (encore que certains résultats semblent le gêner aux entournures), il est très à l'aise aussi pour ironiser sur les échecs patents de la prédiction ; mais visiblement il ne soupçonne pas même l'existence d'un système symbolique de l'astrologie, ni la possibilité d'une pensée et d'une connaissance symboliques qui soient autre chose qu'un reliquat de superstition barbare. Evoquant une controverse entre des astronomes et des astrologues, il rapporte - n o n sans ingénuité- ce propos déconfit des astronomes : "Ils nous ont chicanés sur les définitions, nous n'avons pas pu aller plus loin". On ne saurait dire plus clairement que ces rationalistes-là ne peuvent discuter qu'avec qui est d'accord avec eux, a priori et sur des définitions qui restent implicites et qu'il est incongru de remettre en question. Du strict 44 point de vue de la méthode scientifique, qui implique la maîtrise non seulement des outils mathématiques mais aussi du raisonnement et du discours logique, il y a là comme un défaut. Retranchés dans leur forteresse scientiste, de tels esprits sont à l'évidence incapables de toute réflexion épistémologique. Assurément, ce rationalisme intransigeant, devenu a u j o u r d ' h u i dogmatique, myope et frileux, a eu dans l'histoire du savoir sa raison d'être et sa justification. D'une part, pour se constituer et faire triompher sa légitimité, le savoir scientifique a dû lutter longtemps et durement contre la pensée prélogique -sens commun et superstition- et contre l'impérialisme du dogme religieux. Puis, ayant cessé d'être menacé il s'est à son tour constitué en une dogmatique culminant au 19e siècle dans l'idéologie scientiste, dont le procès épistémologique et sociologique n'est plus à faire. D'autre part, la vision du monde qui s'est établie au fil de l'histoire, de Copernic à Laplace, a représenté sans aucun doute un immense progrès ; elle a été efficace. Mais, après avoir été subversive, elle a peu à peu remplacé la vision religieuse dans le rôle psychologiquement sécurisant du savoir dominant, totalisant et garanti par une autorité aussi indiscutable que jadis celle de l'Eglise : en d'autres termes, elle s'est sclérosée. Chez ceux qui s'y cramponnent, le besoin de sécurité intellectuelle l'a emporté sur l'esprit d'aventure qui permet seul les progrès décisifs ; ils tiennent à leurs habitudes mentales, et quand ils les sentent menacées ils dénoncent la montée de l'irrationalisme, et appellent à la croisade. Malheureusement -si l'on peut dire- la science, elle, ne est pas arrêtée, et c'est son développement depuis Max Planck qui a ruiné cette vision mécaniste et déterministe d'un monde caricaturalement réduit par l'opposition entre les domaines d'une rationalité élémentaire et d'une irrationalité ténébreuse. Tout au long de ce siècle, on a assisté à ce que l'on appelle désormais un changement de paradigme, c ' e s t - à - d i r e à la métamorphose des conclusions théoriques fondamentales auxquelles la science aboutit et qui deviennent les constituants d'une nouvelle vision scientifique du monde -ou plutôt d'une vision métascientifique. Les aspects essentiels de ce changement sont connus ; pour abréger, je n'en rappellerai que quelques-uns des plus frappants : 1. L'abandon statistique ; du déterminisme causaliste au profit d'un probabilisme 2. La relativisation de l'espace, du temps et de la causalité ; 3. Le passage d'un dualisme strict s u j e t - o b j e t à l'idée d'une interaction postulant éventuellement, en dernière analyse, l'unité ontologique des deux. C'est ainsi que pour Schrôdinger "le monde extérieur et la conscience sont une seule et même chose, en ce sens que l'un et l'autre sont composés des mêmes éléments premiers" (Meine Weltansicht, p. 68). De même, pour C.G. Jung il est "non seulement possible mais même dans une certaine mesure 45 vraisemblable que matière et psyché soient deux aspects d'une seule et même réalité" (Gesammelte Werke, 8 p. 246). La même idée se retrouve aussi chez Bachelard (Le nouvel esprit scientifique, 1949, p. 82), chez Heisenberg (Das Naturbild der heutigen Physik, 1956, p. 18), chez le biologiste Max Delbrûck, chez B. d'Espagnat (A la recherche...). H n'est pas sans intérêt de signaler en passant que Parménide avait déjà énoncé la même idée, il y a 25 siècles environ : la pensée et l'objet de la pensée sont une seule et même chose (W. Capelle, Vorsokratiker, p. 167). La raison scientifique aurait grand tort de mépriser l'intuition philosophique : elle est moins sûre, mais elle va plus vite... 4. Corollairement, l'opposition matérialisme-idéalisme a pertinence, elle est supplantée par un monisme "énergétiste" ; perdu sa 5. La conception du savoir qui s'impose est un relativisme de type kantien : la connaissance résulte d'un processus d'interaction et de construction ; le réel n'est pas accessible en soi, il demeure "voilé" (B. d'Espagnat) ; 6. La totalité du réel étant reconnue comme plus vaste que la totalité du savoir empirique, actuel et virtuel, l'esprit scientifique reconnaît ses limites, renonce à son impérialisme et admet que la science n'est pas la seule voie d'accès à la connaissance du réel. Comme l'écrit B. d'Espagnat, avec la prudence du vrai rationalisme : "toute compréhension n'est peut-être pas nécessairement intellectuelle" (A la recherche... p. 99). Déterminé par l'évolution même de la science la plus "dure", ce changement de paradigme ne ruine évidemment pas la rationalité ; il ruine seulement le rationalisme classique, et rend nécessaire un renouveau de la conscience rationnelle. On peut concevoir ce renouveau, historiquement, comme une synthèse dialectique, comme un au-delà de la pensée prélogique et du rationalisme classique. Cette nouvelle rationalité est déjà définie depuis longtemps. "Il faut i n q u i é t e r la raison et déranger les habitudes de la connaissance objective", a dit Bachelard (La formation de l'esprit scientifique, p. 247). "Il faut aller du côté où la raison se sent en danger" ; "Y a-t-il, d'un point de vue tout à fait général, des méthodes de pensée fondamentales qui échapperaient à l'usure...? Il ne le semble pas si l'on veut bien, pour en juger, se placer systématiquement sur le domaine de la recherche objective, dans cette zone où l'assimilation de l'irrationnel par la raison ne va pas sans une réorganisation réciproque du domaine rationnel. (...) Dès lors de la dualité statique du rationnel et de 1'irrationnel est supplantée par les dialectiques de la rationalisation active." (Le nouvel esprit scientifique, p. 137 et 158). Même langage chez Jung, dont toute l'oeuvre et l'activité témoignent d'une intense réflexion épistémologique : "Qui suit la voie sûre est comme mort" (Ma vie, p. 340) ; "Le rationalisme 46 et le doctrinarisme sont des maladies de notre temps ; ils ont la prétention d'avoir réponse à tout. Pourtant bien des découvertes que nous considérons comme impossible -quand nous nous plaçons à notre point de vue borné- seront encore faites" (ibid. p. 342). Elles seront faites, a j o u t e - t - i l ailleurs (GW. 8, § 861) "le plus souvent tout Juste là où les autorités ont assuré qu'il n'y avait rien à chercher". Toutes ces citations montrent excellemment ce que peut être une rationalité sûre d'elle-même parce que parvenue à maturité, capable de regarder en face ce qui lui échappe encore, et de se renouveler assez pour tenter de l'intégrer. La rationalité mathématique et la rationalité conceptuelle n'épuisent pas nécessairement le champ du rationnel. Quiconque a eu quelque contact avec la psychologie de rinconscient et l'univers de la "pensée sauvage" sait empiriquement ce que Lévi-Strauss a montré : que la pensée symbolique possède une rationalité spécifique, souvent déroutante, toujours difficile, mais cohérente. Quoi qu'en ait pensé P. Couderc, on ne peut pas faire dire n'importe quoi à un symbole, astrologique ou autre. Assurément, la pensée sauvage présente un caractère d'archaïsme -on pourrait aussi dire : d'intemporalité ; mais comme le montre toute l'oeuvre de Jung, c'est dans cet archaïsme même, celui de l'inconscient, que se trouve la source de toute vie, de toute énergie créatrice, et c'est cette source qu'il s'agit de capter, en la faisant accéder à la conscience - d o n c , en fin de compte, à la rationalité, dont on peut dire paradoxalement que son pouvoir mieux compris est à la fois bien plus réduit et bien plus étendu que le rationalisme classique n'avait pu l'imaginer. Et l'astrologie, dans tout cela ? Jusqu'ici nous n'avons guère vu qu'un rationalisme caricatural aux prises avec une caricature de l'astrologie, ce qui correspondait à l'intention annoncée : non tant réhabiliter l'astrologie que critiquer l'archéorationalisme incapable de la comprendre. Les deux questions initiales ont reçu l'esquisse d'une réponse. Etre astronome ou physicien ne confère aucune compétence pour parler avec pertinence de l'astrologie, car, passé le stade de l'établissement purement objectif de la carte du ciel, les deux disciplines n'ont plus rien de commun. Pour P. Couderc, Mars est un caillou soumis à la gravitation ; pour l'astrologie, il est un élément d'une structure qui n'a de sens que dans une vision symbolique du réel. Quant au rationalisme dont procèdent presque toujours les critiques adressées par les scientifiques à l'astrologie, il est périmé. Mais il convient, pour terminer, de situer l'astrologie par rapport à ce néorationalisme dont quelques traits viennent d'être évoqués. Elle n'est pas une concurrente arriérée de la science ; elle fait partie d'un autre système de lecture du réel ; ce n'est pas une science, c'est une herméneutique. Elle propose ce que la science actuelle ne peut ni ne veut donner : une interprétation de la place de l'homme dans l'univers et du rapport entre les deux. Cette vision symbolique n'est pas même en concurrence avec la vision scientifique, elle en est complémentaire, elle se déploie sur un autre plan. Il se trouve de surcroît qu'elle n'est même plus en contradiction 47 ouverte avec l'image holistique que la science construit a u j o u r d ' h u i du réel, ni avec la pensée spéculative dont la cosmologie, d e v e n u e cosmogénèse, ne peut plus faire l'économie, ni avec celle qu'ont développée les plus grands physiciens de ce siècle. Mais dans quelle mesure cette approche du réel est-elle opératoire ? C'est un problème évidemment essentiel, qu'il appartient aux astrologues et aux statisticiens de traiter plus systématiquement que par le passé. Je dirai simplement que si la valeur prédictive de l'astrologie est bien problématique et devrait d'ailleurs être redéfinie plus précisément, en revanche elle o f f r e , comme le reconnaissait d é j à E m m a n u e l M o u n i e r dans son T r a i t é du c a r a c t è r e , un instrument d'analyse psychologique et caractérologique d ' u n e grande finesse, encore que pour cette raison même d i f f i c i l e à manier correctement ; j ' a j o u t e r a i que la correspondance qu'elle établit entre microcosme et macrocosme, entre une structure psychique et une structure cosmique considérée comme psychoïde semble bel et bien fonctionner en principe. Pour tenter d'expliquer ce p h é n o m è n e déroutant, il est é v i d e m m e n t nécessaire d ' a b a n d o n n e r jusqu'à nouvel o r d r e - la lecture causaliste du réel, et de recourir au principe jungien de s y n c h r o n i c i t é : de relation f o n d é e non sur la c a u s e , mais sur le s e n s . Et c'est bien là l'intérêt épistémologique m a j e u r que présente l'astrologie, si problématique qu'elle soit dans sa pratique : en même temps que la science, mais par de tout autres voies, elle invite à la réinterprétation radicale du rapport entre l ' h o m m e et l'univers. Le procès de l'astrologie n'est pas clos, le dossier doit être rouvert -il l'est d é j à ; mais pour l'instruire cette fois correctement, le rationalisme devra se faire plus rationnel. ^ "Il y aurait en quelque sorte deux niveaux de contact entre les choses. D'abord celui de la causalité traditionnelle. Et puis un niveau qui n'implique pas de force d'un corps sur un autre, pas d'échange d'énergie. Il s'agirait plutôt d'une influence immanente et omniprésente qu'il est difficile précision." (H. Reeves -Patience dans l'azur- p, 208) de caractériser avec 48 BIOGRAPHIE Claude M A I L L A R D , maître de conférences à l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg (Institut d'Allemand), a publié plusieurs études sur, et traduit des textes de C.G. Jung. C. Maillard travaille actuellement à la traduction de sa "Correspondance". * * * * Publ. Obs. Astron. Strasbourg Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6 COMMENTAIRES SUR L'EXPOSE DE M. M A I L L A R D H. RNDRILLnT 49 C O M M E N T A I R E SUR L'EXPOSE DE M . MAlLLARD Astrology could justify it self even today in the measure in which Its adepts consider itself a symbolism, leading to an immediate communion with reality, a knowledge without the passage through language. Unfortunately the astrology with which we are confronted every day -specially in the média- is still a vénal astrology which exploits the ignorance of the public in astronomical matters. Paul Couderc (of which we want to recall his universal culture and spiritual liberty) was justified in attaching vehemently in his books this vénal astrology. * * * J'ai beaucoup apprécié l'exposé de M. Maillard qui a su élever le débat sur l'astrologie moderne à un haut niveau philosophique, avec une p r o f o n d e u r et une liberté de pensée, propres à réhabiliter cette ancestrale pratique aux yeux des scientifiques les plus combatifs. Mais précisément, à vouloir la traiter comme une science et en dénoncer les erreurs, se privent-ils vraiment d'une autre voie de la connaissance, dans une attitude qui pourrait paraître sectaire au philosophe ? 50 Je crois que non. Je ne crois pas que la science avance avec de telles oeillères, surtout la science actuelle qui ne prétend plus à la connaissance du réel mais à sa modélisation de plus en plus précise et é t e n d u e ; mais j e pense que, très souvent, le scientifique est très p u d i q u e a u j o u r d ' h u i en matière de philosophie, ce qui ne signifie pas qu'il l'ignore, encore moins qu'il la méprise : alors que l'on en soulève un peu le voile et il parlera volontiers. Je parlerai donc de l'astrologie, d'abord pour dire ma nostalgie de l'astrologie de l'antiquité, cette astronomie des a s t r e s - d i e u x : A t o u m le soleil, dieu du m o n d e , sans cesse renaissant et t o u j o u r s accompli, H a t h o r , l'étoile Sirius, déesse de la beauté et de l'amour. Quelle tristesse de ne plus pouvoir croire a u j o u r d ' h u i en votre divine poésie ! Mais quelle cupidité s'est soudain saisie, un peu plus tard, de la c h a r m a n t e religion astrale chaldéenne et de son art divinatoire ? Seraitce seulement astrologie vénale, cette astrologie prostituée qui subsisterait a u j o u r d ' h u i , avec la vente de ses horoscopes de pacotille ? Je veux croire avec M. Maillard q u ' u n e aspiration plus haute a assuré la pérennité de l'astrologie j u s q u ' à nos jours. J'y veux voir une f o r m e de la quête du réel, si chère à la pensée de l ' h o m m e . Deux grandes attitudes rivalisent dans cette a p p r o c h e du réel, chacune avec ses avantages et ses inconvénients : la description du m o n d e à l'aide du langage ; la recherche d ' u n e c o m m u n i o n , immédiate au contraire, avec le cosmos dans une attitude d'intériorisation. La science ressortit à la première, la religion à la seconde. Le langage tue le réel mais c o m m u n i q u e à tous l'idée que nous nous en faisons : en parlant d ' u n a r b r e , je substitue à son être et à tous ses prolongements cosmiques la seule idée d' "arbre" mais avec l'irremplaçable supériorité du langage : le contrôle possible de l'idée par l'humanité toute entière, si précieux et si sûr dans la m é t h o d e scientifique, qui utilise des langages très précis et souvent le plus précis de tous, le langage mathématique. Le résultat sera une modélisation de l'objet décrit, dont le véritable scientifique sait qu'elle n'est pas le réel mais qui ouvre un c h a m p de connaissances qui, pour rester partielles, n'en f o r m e n t pas moins un ensemble colossal et de grande importance humaine. 51 Le seconde attitude est à l'antipode de la première : elle doit f a i r e taire tout langage avec autrui mais aussi avec s o i - m ê m e et n'être q u ' u n e c o m m u n i o n immédiate (sans intermédiaire et en particulier sans celui du langage) avec le réel. La réussite devrait être alors 1' "Illumination", la Connaissance, mais avec le risque qui subsiste toujours dans une telle pratique solitaire, de croire l'avoir atteinte mais d'avoir été victime d ' u n e illusion. C'est dans une telle attitude d ' a p p r o c h e du réel que j'envisagerais la seule justification possible de l'astrologie : dans ce vide total que l'on devrait f a i r e en soi pour atteindre la c o m m u n i o n avec le réel, le cosmos reste la voie royale et pour ne point se perdre dans un néant vertigineux, les symboles et les règles de l'astrologie y apparaissent c o m m e les repères ancestraux et privilégiés du chemin de vérité. L'astrologie comme une symbolique, non c o m m e une science ! Dans ce sens, M. Maillard a raison d'insister sur ce qu'il y a de vain à vouloir d é m o n t r e r , à grands coups de précession des équinoxes, que telle ou telle donnée astrologique repose sur des bases fausses : le symbole est arbitraire. Telle est cette astrologie philosophique dont nous pourrions encore rêver a u j o u r d ' h u i . Mais il f a u t garder les pieds sur terre. Nous ne croisons jamais, hélas ! sur notre chemin, cet astrologue philosophe qui aurait pris le temps d ' a p p r o f o n d i r la symbolique ésotérique de l'astrologie antique, pour avancer sur le chemin de la n o n - f o r m e . L'astrologie de tous les j o u r s dont on nous rabat les oreilles à la radio ou dont on nous crève les yeux à longueur de programmes publicitaires à la télévision ou à pleines pages de quotidiens et de périodiques n'est que de l'astrologie d'ignorance qui, elle, n'hésite pas à se vouloir s c i e n t i f i q u e m e n t astronomique p r o f i t a n t de l'ignorance encore quasi générale de gens, dans ce domaine. Mais c'est surtout de l'astrologie vénale, à tant la ligne. Ecrite en toute conscience sans le m o i n d r e souci de vérité et p r o f i t a n t sans scrupules du malheur ou de l'incertitude d ' a u t r u i , pour vendre de l'espoir sans f o n d e m e n t . Alors j e crois que malheureusement la seule astrologie que l'on rencontre est celle-là et que Paul Couderc a eu raison d'écrire son livre dans les termes où il l'a écrit et avec la véhémence de l'indignation. Certes, il est tombé dans le piège de la démonstration scientifique de "l'erreur" astrologique. Mais cela a f i n a l e m e n t peu d ' i m p o r t a n c e . 52 A certains de ses propos, M. Maillard m'a donné l'impression de l'avoir peu connu et de l'avoir imaginé (seulement p e u t - ê t r e à travers ses écrits contre l'astrologie), comme un esprit étroit et sectaire, adonné totalement à une branche de l'astronomie sans e n v e r g u r e , hors de laquelle aucune autre vérité ne pouvait exister pour lui. A u x yeux de ceux qui ne l'ont pas connu, j e voudrais réhabiliter la mémoire d ' u n h o m m e qui n'a été que le contraire de cela. Paul Couderc a été une intelligence, scientifique certes mais aussi une intelligence tout court, d ' u n e ouverture d'esprit totale, capable de tout c o m p r e n d r e , en particulier et en tout premier lieu les grandes démarches philosophiques de l'esprit humain vers l'insondable vérité, un h o m m e d ' u n e immense culture, à jamais a m o u r e u x de la civilisation greco-latine, dont il connaissait à la perfection l'histoire et la langue. E n un mot, un p a r f a i t humaniste et nul, n o t a m m e n t , n'aurait su mieux que lui parler de l'histoire de l'astronomie et de l'astrologie de l'antiquité à nos jours. C'était aussi un h o m m e doux et bon, d ' u n e grande tolérance et j e ne crois pas qu'il aurait désapprouvé l'opinion de haut vol que M. Maillard nous a présenté sur l'astrologie. Mais il ne se sentait pas le droit de se taire devant l'usage scandaleux que bien trop de personnes osent encore f a i r e présentement de l'astrologie et qui nous masque la portée philosophique de celle-ci, en nous contraignant à l'indignation et au mépris pour ce qui f u t , à l'aube de notre civilisation, une des gloires de la pensée humaine. BIOGRAPHIE Henri A N D R I L L A T est professeur à l'Université des Sciences de Montpellier, où il enseigne l'astronomie, l'astrophysique, la relativité générale et la cosmologie. Il est également président de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier. * * * * Publ. Obs. Astron. Strasbourg Ser. "Astron. & Se. Humaines" N° 6 PREOCCUPATIONS COSMOLOGIQUES ET ASTRONOMIQUES DANS LES TRAVAUX DE L'ECOLE FRANCAISE D'ETHNOLOGIE DANS LA BOUCLE DU NIGER P. ERNV 53 PREOCCUPATIONS ASTRONOMIQUES DANS COSMOLOGIQUES LES TRAVAUX ET DE L'ECOLE F R A N C A I S E D'ETHNOLOGIE DANS LA BOUCLE DU NIGER The School of ethnology which grew up around Marcel Griaule in the 1930's has worked very much on the ethnie groups of the Niger valley and more in particular on the Dogons and Bambaras. She was strongly interested in the représentation of the Universe of these groups and collected important ethnoastronomic material. The present paper recalls the cosmologie and astronomie préoccupations of some of these ethnologists, like Marcel Griaule himself, his closest collaborator, Germaine Dieterlen, and of Jean Servier. * * * La boucle du Niger est une des régions culturellement les plus riches d ' A f r i q u e Noire. Il ne faut pas oublier que c'est là que se sont épanouis les empires les plus prestigieux : Ghana, Mali, Gao, Mossi. Le H a u t Niger est le pays de l'or, qui a fourni ce métal précieux au monde méditerranéen durant des siècles, peut-être des millénaires. Le Sahara n'a pas toujours été ce qu'il est a u j o u r d ' h u i . Les fresques que l'on découvre dans les régions les plus désertiques montrent qu'il y existait autrefois de florissantes civilisations pastorales. Les pistes qui le traversent sont parmi les routes commerciales les plus anciennes et les plus fréquentées du monde. Tout porte à croire -l'étude physique des populations, l'étude historique des royaumes et empires et de leurs dynasties, l'étude de la 54 civilisation matérielle et des techniques, l'étude des mythologies, l'étude des représentations de l'homme et du monde, l'étude des littératures orales et de la musique- tout porte à croire que loin d'avoir été un fossé infranchissable et un obstacle à la communication, le Sahara représentait un t r a i t - d ' u n i o n reliant intensément ses deux rives, celle du sud à celle du nord. Dans son expansion coloniale, la France a pris pied dans la boucle du Niger à la f i n du X I X e siècle et aux débuts du X X e . Ce n'est que très lentement que l'on a pu procéder à un inventaire des ethnies, civilisations et langues locales. Les missions successives dirigées par Marcel Griaule à partir de 1931 ont contribué à ce travail de manière décisive. Elles ont également permis à une véritable "école" ethnographique de se structurer, avec sa méthodologie, ses centres d'intérêt, sa manière de travailler et d'exposer ses résultats. Né en 1898, Marcel Griaule se porta en 1917 volontaire pour l'aviation militaire, puis participa en cette spécialité à la campagne de Syrie en 1920. Elève à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes de Marcel Mauss pour l'ethnologie et de Marcel Cohen pour l'abyssin, il e f f e c t u a en 1928 une première mission en Ethiopie. C'est là que germa dans son esprit le projet d ' u n e mission ethnologique transafricaine allant de l'Océan Atlantique à la Mer Rouge, en vue d ' u n e grande enquête extensive de repérage et d'inventaire. Cette deuxième mission, connue sous le nom de Mission D a k a r - D j i b o u t i , quitta la France en mai 1931 et f u t de retour en février 1933 avec une très riche collection de documents et d'objets. Ce f u t en notre pays la première mission officielle de ce type. Elle fit date non seulement dans l'ethnologie f r a n ç a i s e , mais aussi dans la v ie personnelle de Marcel Griaule. C'est en e f f e t au cours de ce voyage qu'il rencontra le peuple dogon, dans la région des falaises de Bandiagara, auquel il consacra par la suite la plus grande partie de ses recherches et de ses écrits, avec un enthousiasme, voire une e x u b é r a n c e qu'on n'a pas manqué de lui reprocher. Dès son premier contact (du 29 septembre au 19 novembre 1931), il f u t conquis par la richesse, le faste et l'originalité des rites dogon auxquels il eut l'occasion d'assister. D'autres missions f u r e n t organisées, c o m p r e n a n t à chaque fois une étude intensive dans cette région : - la mission Dogon; Sahara-Soudan en 1935 est entièrement consacrée aux - la mission Sahara-Caméroun de 1936 stationne aussi neuf mois chez eux ; - la mission L e b a u d y - G r i a u l e ou mission N i g e r - L a c Iro ( O u b a n g u i Chari, Cameroun du nord, Bahr-Solamet, etc...) y passe quatre mois. 55 Dans un bilan dressé devant l'Académie des Sciences Coloniales, M. Griaule a fait mention de 85 000 kilomètres parcourus, d'un séjour effectif de cinq ans sur le terrain, de 15 000 objets et de 15 000 photographies (dont 1 500 aériennes) ramenés, de 20 000 mètres de films, de centaines d'enregistrements sonores, de milliers de spécimens botaniques et zoologiques, de nombreux manuscrits arabes, et de plusieurs enquêtes intensives, en particulier chez les Dogon (Comptesrendus de l'Académie des Sciences Coloniales, 9, 1943, p. 681). En 1938, M. Griaule présenta ses deux thèses de doctorat : Masques dogon e t Jeux dogon. En 1942, il f u t nommé sousdirecteur du Musée de l'Homme, directeur du Laboratoire d'Ethnologie de l'Ecole des Hautes Etudes, et finalement titulaire de la première chaire d'ethnologie à l'Université de Paris. L'ethnologie française prenait e n f i n , et officiellement, son essor, sous la conduite d'un homme passionné de terrain et peu porté vers la théorisation. Après la guerre, le travail reprit sur place. En 1946, la Mission du Niger se donna pour objectif de procéder à d'ultimes vérifications et à des compléments d'information. C'est au moment où le travail semblait ainsi s'achever que se produisit un événement décisif. Marcel Griaule f u t un jour mandé auprès d'un vieux chasseur aveugle nommé Ogotemmêli, et celui-ci lui proposa un enseignement d'un type nouveau, en profondeur, réservé à des initiés, qui ouvrait d'un seul coup des perspectives jusque-là insoupçonnées. Cette rencontre devait donner naissance à un des ouvrages africanistes les plus étonnants. D i e u d ' e a u , e n t r e t i e n s a v e c O g o t e m m ê l i (1948). Voici comment les choses sont dites dans un ouvrage posthume édité en collaboration avec Germaine Dieterlen, Le R e n a r d p â l e (1965) p. 54 : "Les Dogon avaient, depuis 1931, répondu aux questions et commenté les observations faites au cours de missions successives dans la perspective de l'interprétation des faits qu'ils nonvuent "la parole de face", g i r i s o , c'est-àdire celle qu'ils donnent en premier lieu à tous ceux qui veulent s'instruire : les publications qui précèdent les enquêtes de 1947 relèvent toutes de cette première interprétation. "Devant la persévérance dont faisaient preuve Marcel Griaule et son équipe, devant l'abondance des questions auxquelles il devenait de plus en plus difficile de répondre sans pénétrer sur un plan différent, devant aussi le désir de comprendre qui nous animait et que ne comblaient pas, loin de là, les commentaires précédents, devant le fait que, visiblement, seul nous importait ce désir en dehors de toute autre préoccupation, devant l'intérêt que Marcel Griaule portait constamment à la vie quotidienne des Dogon, évaluant leurs efforts pour 56 exploiter un terrain difficile, où l'eau faisait parfois défaut en période de soudure, devant des rapports qui ne se limitaient pas à l'enquête, mais devenaient de plus en plus confiants et affectifs, les Dogon prirent une décision. "Ceci, nous ne le sûmes que plus tard ; eux-mêmes nous l'ont raconté. Les patriarches des lignages du village double des Ogol et les principaux prêtres totémiques de la région de Sanga tinrent conseil et décidèrent d ' instruire Marcel Griaule. Ils désignèrent pour le travail préliminaire, l'un de leurs doyens les plus compétents Ogotemmêlilequel provoqua, comme il est dit dans l'introduction de D i e u d'eau, la première rencontre. L'enquête dura exactement le nombre de jours consignés dans D i e u d ' e a u , où sont relatés fidèlement les méandres de l'information. Et chaque jour -alors que nous n'en savions rien- un rapport était fait au conseil des progrès de 1'instruction. "La tâche était d'autant plus méritante que les Dogon savaient parfaitement qu'en agissant ainsi ils ouvraient la porte, non pas seulement à trente-trois jours d'information, mais à des mois, à des années de travail intensif. Ils ne se sont jamais départis de cette attitude et nous leur exprimons ici toute notre gratitude ; après la disparition d'Ogotemmêli, d'autres initiés l'ont relayé, après celle de Marcel Griaule, ils ont persévéré avec la même patience et le désir de parfaire l'oeuvre entreprise Une nouvelle phase s'ouvrait ainsi dans la recherche sur les Dogon et dans la compréhension des cultures africaines. Marcel Griaule s'enflamma. Il exalta les civilisations noires, chercha à les faire connaître au grand public, ce en quoi l'aidait son penchant pour des présentations de caractère littéraire. Il les mit sur un pied d'égalité avec celles de la Grèce antique. En même temps que Placide Tempels au Congo, il parla à leur propos de philosophie et de métaphysique... Devant le scepticisme et l'incompréhension que rencontrèrent ses révélations, il eut tendance à se raidir. Nommé Conseiller de l'Union Française, il f u t amené à présider la Commission des Affaires Culturelles et des Civilisations d ' O u t r e - M e r . Il encouragea très directement les écrivains de la négritude tels Senghor ou Césaire, ainsi que la revue P r é s e n c e A f r i c a i n e animée par Alioune Diop. Il f u t aussi co-directeur de l'International African Institute. 57 Dans l'oeuvre de Griaule il faut donc distinguer nettement deux phases : avant et après D i e u d ' e a u . Durant la première il se révèle un ethnographe classique, certes particulièrement actif et entreprenant, sachant animer un travail d'équipe. Durant la seconde, il s'attache essentiellement à la pensée mythique et symbolique dogon, voyant tout le reste à travers elle. Il concrétisait ainsi une des intuitions de base de son maître Marcel Mauss relative à l'importance des symboles dans le d é c h i f f r e m e n t du comportement humain. On a parfois parlé à son propos d' "école symboliste", ou aussi d' "école humaniste", puisque dans la conception dogon de l'univers c'est vraiment l'homme qui est au centre de tout. En 1951 parut S i g n e s g r a p h i q u e s s o u d a n a i s , et après sa mort survenue en 1956, Germaine Dieterlen édita Le r e n a r d p â l e (1965) et sa fille Geneviève Calame-Griaule un cours donné à la Sorbonne sous le titre de Méthode de l ' e t h n o g r a p h i e (1957). On a beaucoup parlé à l'époque des funérailles que les Dogon organisèrent à la nouvelle de son décès. Un des principaux mérites de Marcel Griaule est d'avoir toujours su s'entourer de collaborateurs efficaces, d'avoir su partager le travail et organiser des équipes pluridisciplinaires. A la mission Dakar-Djibouti participèrent Michel Leiris, philologue, Eric Lutten, photographe, André Schaeffner, musicologue, Denise Paulme, juriste, Solange de Ganay et Germaine Dieterlen, ethnologues. Par la suite, Griaule f u t secondé par Déborah Lifszyc, Jean-Paul L e b e u f , Dominique Zahan, Geneviève Calame-Griaule. On peut rattacher au même courant des chercheurs comme M. Palau-Marti, Viviana Pâques, Annie Lebeuf, Jean Servier, etc... Ce groupe domina l'ethnologie française entre 1940 et 1960 et a accompli un travail considérable. Des Dogon on passa à des populations voisines géographiquement et culturellement, en particulier les Bambara, les Bozo, les K o u r o u m b a , les Mossi, etc... On trouvera une position très critique dans la thèse de Dirk Lettens, MysCagogie et mystification, évaluation de l'oeuvre de Marcel G r i a u l e ( 1971 ). COSMOLOGIE ET ASTRONOMIE TRADITIONNELLES En parcourant les travaux de ces auteurs, on se rendra très vite compte de l'abondance des notations concernant l'ethno-astronomie. Certains travaux sont même explicitement consacrés à ces questions. Par 58 exemple : de Marcel Griaule : "La conception du monde et de la matière au Soudan", "Un système soudanais de Sirius" (avec G. Dieterlen), "Mythe de l'organisation du monde chez les Dogon du Soudan", "L'image du monde au Soudan" ; de D. Zahan "La notion d'écliptique chez les Dogon et les Bambara du S o u d a n français" ; G. Dieterlen : "Les correspondances cosmobiologiques chez les Soudanais" ; etc... Une grande partie du travail mené autant chez les Dogon que chez les Bambara a consisté à collecter cosmogonies et mythes de création du monde, où bien entendu on parle de la graine et du placenta primordiaux, de l'apparition des astres, de la formation de la terre, etc... Viviana Pâques a étudié les systèmes mythiques des deux rives du Sahara dans L'arbre cosmique dans la pensée populaire et la vie quotidienne du NordOuest africain (1964), ouvrage qui fourmille de notations ethnoastronomiques. Dans Signes graphiques soudanais, publié en 1951 conjointement par M. Griaule et G. Dieterlen, ces auteurs ont présenté sous une forme systématique des dessins dont ils font mention tout au long de leurs travaux, et que chez les Dogon, par exemple, on trouve exécutés sur les parois de cavernes ou d'abris sous roche, sur la façade des sanctuaires totémiques, mais aussi sur les objets les plus courants. Ces figures et ces schémas qui explicitent souvent des épisodes ou des représentations mythiques ont pris une importance croissante à mesure que l'enquête avançait. Or de quoi est-il principalement question ? De Vénus, du bouclier d'Orion, de Jupiter, des Pléiades, de la G r a n d e Ourse, de la Polaire, de la terre, du ciel, de la pluie, du monde et de ses d i f f é r e n t s états, des points cardinaux, de l'homme-principe du monde, de l'arc-en-ciel, de la vibration originelle, de l'oeuf du monde, de l'espace, de la lune, du chemin de l'eau du haut vers le bas, etc... Pour le détail, je ne puis évidemment que renvoyer à cette publication. Voici ce que dit Jean Servier à propos de ces signes dans L'homme l'invisible (1964) : et "Dans les civilisations traditionnelles, il existe un certain nombre de procédés à conserver la pensée et à la transmettre, qui ne répondent pas exactement à notre conception de l'écriture. Nous pouvons ranger dans cette catégorie le système idéogrammatique découvert par Marcel Griaule chez les Dogon, par Germaine Dieterlen chez les Bambara et les Bozo... Ces signes constituent surtout un registre de symboles permettant d'exprimer les différents états des vingt-deux catégories d'êtres composant la création. 59 "Les Dogon font correspondre Crois systèmes de représentations graphiques de plus en plus compliqués aux trois organisations successives du monde. Les signes du premier monde représentent les constellations, les signes du deuxième monde expliquent ceux du premier, les signes du troisième monde, qui sont la base du système graphique, au nombre de quarante-quatre, sont descendus du ciel. Les choses et les êtres ont reçu un signe avant même que d'être actualisés sur terre. "Il est étrange de trouver dans cette pensée la base même de ce qui fut appelé la Kabbale. Une tradition nous apprend, en effet, que lorsque le Saint, béni soit-il, créa le monde, il inscrivit dans le monde inintelligible des lettres qui représentent les mystères de la foi : Yod, Hé, Vav, Hé, qui forment le nom divin et résument tous les mondes d'En-Haut et d'En-Bas. Les vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque sont nées du B e t h , principe femelle, et du A l e p h , principe mâle : l'ensemble de ces lettres est résumé dans le mot h a - s h a m a ï m -les deuxqui figure dans le premier verset de la Genèse. Chaque lettre a eu son rôle dans la création du monde, ainsi le Hé donna naissance au ciel et le pourvut de vie, le Vav donna naissance à la terre et la pourvut de nourriture. "Peut-être faut-il réviser le point de vue "historiciste" qui fait de la Kabbale une découverte, une invention attribuée à Siméon Bar Yochaï, en admettant, à la lumière des faits dogon, qu'elle est, comme son nom l'indique, une tradition dont l'origine remonte au-delà de la mémoire des hommes (p.199). La thèse qui sous-tend l'ouvrage de Servier se trouve toute entière en cette dernière phrase. L'homme sait des choses sans que ce savoir puisse s'expliquer par les voies ordinaires de l'investigation. Un autre exemple qu'il en donne est astronomiquement à la fois plus précis et plus énigmatique ; il l'emprunte à l'article de Marcel Griaule et de Germaine Dieterlen : "Un système soudanais de Sirius", 1950. Voici la présentation qu'en fait Servier (pp. 225 - 227) : "Les Dogon considèrent que notre monde terrestre est sorti du système de Sirius, plus exactement d'une étoile de couleur blanche bien distincte puisque Sirius est rouge. "Cette étoile blanche est appelée par les Dogon "Etoile du Mil" parce qu'elle est, disent-ils, la plus petite du 60 ciel mais aussi "la plus pleine". D'après eux, la terre y est remplacée par un métal nommé s a g o l u , un peu plus brillant que le fer et d'un poids tel que tous les êtres terrestres réunis ne pourraient la soulever. Une graine de cette matière serait aussi lourde que 480 charges d'âne de mil. " L ' "Etoile du Mil" n'est pas le seul satellite de Sirius. Il y a aussi dans le même système l'étoile emme y a ou "sorgho-femelle", plus volumineuse et quatre fois plus légère, qui parcourt une trajectoire plus étendue dans le même sens et dans le même temps. Les positions respectives de ces deux satellites sont telles que l'angle de leurs rayons serait droit. Leurs aspects déterminent des rites divers. "Sorgho-femelle" est aussi appelé "Soleil des femmes". Elle a un satellite : 1' "Etoile des femmes". "Le système de Sirius est lié aux pratiques de renouvellement de la personne et, par conséquent, aux cérémonies de renouvellement du monde. La période de l'orbite est comptée double en raison du principe de gémelléité, important dans la philosophie africaine. Symboliquement elle est de cent ans, en réalité elle est de cinquante ans. (M. G r i a u l e ) "Il est intéressant de comparer connu des Dogon à notre astronomie." J. Servier cite à ce T e l e s c o p i c Handbook : propos le ce système Norton's star de Sirius Atlas and "Sirius : la plus brillante des étoiles. Entre 1834 et 1844, Bessel nota dans son mouvement des irrégularités et arriva à la conclusion que l'étoile visible devait tourner autour de son centre de gravité et d'un satellite invisible en cinquante ans environ. "Ce satellite appelé "Compagnon" fut découvert par Clark en 1862 presque à l'endroit prévu. Si les conditions atmosphériques ne sont pas très bonnes, il est difficile ou même impossible de voir le Compagnon, même lorsqu'il est dans sa meilleure phase. On peut l'apercevoir à l'aide d'un télescope d'environ six pouces. 61 "Le Compagnon est une naine blanche de huitième grandeur, dix mille fois moins brillante que l'étoile principale, mais d'une masse plus grande. Sa densité est de 36 000 fois celle du soleil, 50 000 fois celle de l'eau. Son diamètre n'est que de 26 000 miles, pourtant elle renferme autant de matière que le soleil dont le diamètre est de 864 000 miles." Voici enfin le commentaire que fait J. Servier de ces données (p. 227) : " L'article de M. Griaule et de G. Dieterlen a été publié par le J o u r n a l de l a S o c i é t é d e s A f r i c a n i s t e s en 1950, c'est-à-dire qu'il a été rédigé au plus tard en 1949. Les auteurs ne donnent pour référence scientifique qu'un seul article de P. Boèze : "Le Compagnon de Sirius", paru dans l ' A s t r o n o m i e en septembre 1931 (p. 385). "Une nouvelle observation a eu lieu en mars 1957 à l'aide d'un télescope de 320 mm permettant un grossissement de 350 diamètres. Le Compagnon a été vu avec netteté bien qu'étant écarté de Sirius de 11" seulement. "Les astronomes pensent aujourd'hui qu'outre Sirius, qu'ils appellent Sirius A, et le Compagnon, qu'ils appellent Sirius B, il y aurait dans le système un autre satellite : Sirius C. Ils sont donc loin, pour le moment, de pouvoir en donner la densité même approximative, comme l'ont fait les Dogon, loin aussi d'avoir découvert le satellite de ce "Soleil des femmes". Ils ne sauront jamais sans doute si le "métal" dont sont formées les étoiles de ce système est réellement "plus brillant que le fer". "La densité du Compagnon a été mesurée : elle est de 50 000 fois celle de l'eau. Une boite d'allumettes pleine de cette substance pèserait une tonne, précise un panneau du Palais de la Découverte à Paris : le rapport d'une graine de mil à 480 charges d'âne suivant l'exemple dogon. "Mais les Dogon ne semblent pas connaître l'origine de leur vieille gnose, qui est pourtant, dans ce cas précis, à l'avant-garde des sciences exactes de l'Occident... 62 "Nous ne pouvons pas étudier la genèse de cette connaissance. Nous sommes en présence d'un donné. Les études d'astronomie comparée font défaut, parce que les ethnologues ont généralement de médiocres connaissances en astronomie, et parce qu'un astronome emploiera à la rigueur un "indigène" pour porter sa lunette sans penser pour autant à lui demander son avis. "Le cas des Dogon n'est probablement pas unique. M. Griaule et G. Dieterlen ont constaté que le compagnon de Sirius, invisible à l'oeil nu, est connu également des Bozo du Niger et des Bambara. Les Hottentots appellent Sirius 1' "Etoile à-côté" ( S c h u l z e : Aus Namaland u n d K a l a h a r i , p . 3 6 7 ) , c e qui prouve qu'ils en font, comme les Noirs du Soudan, le satellite d'une autre étoile, probablement celle que nous appelons Sirius C. "Les vieux auteurs se sont généralement contentés de noter les plus apparentes des constellations, d'en demander le nom et d'en recueillir la légende sans s'étonner de trouver, d'une civilisation à l'autre, des constellations si semblables, sans chercher à voir dans ces traditions autre chose qu'un "animisme" grossier. "En astronomie, et les animaux, un populaire facile à élément de la gnose la légende est, comme pour les plantes moyen mnémotechnique, une explication retenir et à transmettre, mais non un réservée aux initiés. "Pour l'homme des civilisations traditionnelles, science est un donné non vérifiable, non modifiable, élément de l'attitude de l'homme devant le monde. la un "Ni les Dogons, ni les Hottentots ne possèdent de télescope leur permettant de distinguer les deux satellites de Sirius. Il n'y a pas dans les falaises de Bandiagara de spectroscope pour analyser la substance dont sont composées ces étoiles. Bien des faits du même genre pourraient être retrouvés dans d'autres civilisations si nous avions la patience de les y chercher... "Les informations recueillies par Marcel Griaule et Germaine Dieterlen sur le système de Sirius tel que le conçoivent les Dogon auraient dû faire réfléchir les spécialistes des sciences humaines. Mais nos savants se 63 souviendront-ils des Dogon le Jour où ils arriveront à découvrir avec leurs télescopes le satellite de Sirius C : 1' "Etoile des femmes" qu'ils ignorent encore ?" Le lecteur trouvera dans L'Homme e t l ' I n v i s i b l e de Jean Servier d'autres exemples d'interférences entre ethnologie et astronomie. Le cas du système de Sirius chez les Dogon est devenue classique. Mais il est intéressant de voir ainsi le discours qui est tenu du côté des ethnologues. Parmi le matériel de toute sorte recueilli dans la boucle du Niger par Griaule et ses successeurs, il me paraît intéressant de relever encore trois séries de données, l'une concernant la vibration initiale, l'autre l'oeuf primordial, la troisième l'anthropocentrisme de l'univers. LA VIBRATION INITIALE Dans son E s s a i s u r l a r e l i g i o n b a m b a r a (1951), et dans "Signes d 'écriture bambara" (in : S i g n e s g r a p h i q u e s s o u d a n a i s , 1951), Germaine Dieterlen fait longuement état de cette idée d'une vibration originelle. Nous suivrons ici de près son texte. Les Bambara connaissent divers systèmes de signes qui représentent un classement par catégories de tout ce que contient l'univers. 11 y a d'abord le système appelé dyê s i r a g a l e , "le premier chemin du monde". Vient ensuite le système glâ glâ zo, composé de 266 (ou 226) idéogrammes f o r m a n t une nomenclature de toutes choses. Ces signes ont précédé la création des choses qu'ils désignent : "Les choses, conçues dans l'invisible, c'est-à-dire le non réalisé, ont reçu un nom et un signe connotant ce nom, avant d'avoir existé. L'idée à l'état pur et statique a précédé l'acte de création : c'est lorsque s'est manifesté le "penser" conçu comme un mouvement interne imprimé aux idées qu'a été réalisé l'univers. De plus, les choses elles-mêmes une fois nommées et "signées", n'ont pu exister que grâce à l'homme, principe, base et cause de l'univers. 64 L'homme en ayant eu conscience aux origines, en acquit plus tard la connaissance et, dans une certaine mesure, la possession." La connaissance relative au glâ glâ 20 se rapporte au stade primordial et intemporel qui précède les différentes étapes de la création. "Le mot g l â , qui désigne le vide originel, le néant, connote en même temps les idées de mouvement, d'éveil, de réveil, de résurrection : g l â est le principe du mouvement universel interne du cosmos et de tout ce qui le compose. D'autre part, le terme implique l'idée que la création est continue dès le moment de son élaboration et perpétuellement entretenue dans toutes choses en même temps que dans l'univers considéré comme un tout. "Glâ "plein de son vide et son vide plein de lui-même" étendait partout sa puissance. Il émit une "voix de vide" qui créa d'abord son double, dya ; g l â fut deux, marquant ainsi le caractère primordial de la gémelléité, principe existentiel. Du couple émanait une substance humide, z o sumale, "rouille froide" qui sortait à l'état de buée liquide, invisible et formait des corps durs, brillants. "Quand tout fut plein de ces corps glacés, g l â émit une force z o n a m l , qui, montant et descendant en elle-même, produisit un souffle interne dit f y e t a s u m a , "feu de vent". Les deux g l â traversèrent ce vaste contenu et ce feu fondit les substances... Lors de cette première fusion "le vaste g l â a donné place à toutes choses dans le secret et l'invisibilité. "Les deux g l â alors s'immobilisèrent, "reprenant en eux-mêmes leur énergie" et tout à nouveau se figea, se glaça. Puis une seconde fois ils fondirent les substances, comme pour défaire et refaire une ébauche. Ces mouvements, dits g l â g l â , témoignent de l'essence même du g l â qui est éternelle résurrection des choses et la répétition du mot exprime la gémelléité, base de la création. Lors de ces deux fusions s u c c e s s i v e s , les g l â déterminèrent "quatre points", l'un au moment de la première fonte, les trois autres lors de la seconde, lesquels furent mis "en action immobile". (L'informateur compare cette étape de la création à une main tenant un crayon dont la pointe repose 65 sur le papier, en position d'écrire, mais immobilisée. Les quatre points sont la prémonition des points cardinaux, en commençant par l'Est). "Puis g l â déclencha en lui-même un va-et-vient qui, se répercutant sur les éléments de l'univers en puissance, leur donna une âme. Ce mouvement eut également pour effet de les situer et de les maintenir par l'attraction (mana) ; " g l â a remué les choses, elles ont pris leur place, la chaleur les a maintenues". (L'informateur compare ce mouvement horizontal à celui qui serait imprimé à une surface creusée de cupules : les choses d'abord déposées en désordre, viendraient, sous l'effet de ce va-et-vient, s'insérer chacune dans un trou). "Dans le même temps le contact établi entre les deux g l â produisit une sorte d'explosion dont fut éjectée une "matière dure et puissante" qui descendit en vibrant. De cette vibration sortirent un à un des signes qui, attirés par les choses encore incréées, mais en instance, qu'ils désignaient, allèrent se placer sur elles. Chaque chose eut ainsi son signe et son mot ; et "se conformant au mouvement du g l â " , chacune se mit à vibrer faiblement à l'intérieur d'elle-même et dans sa propre place. "Quand toutes les choses eurent été situées et désignées en puissance, un autre élément se détacha de g l â et se posa sur elles pour les connaître : c'était le "pied de l'homme" (ou "grain du pied"), symbole de la conscience humaine. En même temps qu'il acquérait la connaissance, cet élément la communiquait aux choses qui prirent ainsi conscience d ' elles - mêmes. C'est dire que les choses ont été désignées et nommées silencieusement avant d'avoir existé et qu'elles ont été appelées à être par leur nom et par leur signe. Mais elles ne se sont connues comme telles que dans la conscience de l'homme, "grain" ou principe de l'univers. "Tout alors se rassembla et se mit à bruire pour accomplir l'univers. Les g l â se maintinrent à l'intérieur d ' eux-mêmes et donnèrent à zo l a responsabilité de la future libération des choses situées et animées qu'ils contenaient et dont ils avaient créé l'essence. Zo en prit possession et attira leurs principes en une vaste boule, k u r u , dite yo y e b a l l , "yo invisible" : " z o a donné le principe du grain à yo et a mis en lui l'attraction et le pouvoir." Yo était l'esprit, plus exactement "le premier et 66 l'agir" qui, utilisant les "choses signées" déterminées par glâ, allait élaborer la création." ( E s s a i s u r l a r e l i g i o n b a m a b a r a , pp 2 - 4 ) Ce texte difficile traduit le plus fidèlement possible les dire d'informateurs souvent cités en bambara en bas de page. Malheureusement, on n'a pas d'indications quant à la qualité de ces informateurs et quant à leur représentativité. Il est dit que glâ, désignant le principe de l'éternelle résurrection des choses, appartient à la langue ancienne, et que toute cette connaissance vient aux Bambara des Keita du Mandé. Bien entendu, le mythe se poursuit encore longuement. La création de l'univers sensible est conçue comme une progression du "penser" en trois étapes : - yo, parole interne, esprit invisible, voix inaudible et secrète, contenant en puissance toute la création, "connu par lui-même, sorti de l u i - m ê m e , du rien qui est lui-même" ; - o, passage de l'audible au bruissant ; - yereyereli, vibration créatrice. "Lorsqu'il se manifesta en tournoyant sur lui-même, y o alla cinq fois aux quatre "angles de sa pensée", une fois "au ciel de sa pensée", une fois "à la terre de sa pensée", leur communiqua ainsi sa puissance. La réalisation de cet univers qui détermina "l'espace de yo dans sa pensée" est exprimée par le chiffre 22" ( p . 6 ) . Voici une prière récitée en l'honneur de yo quand on constate la grossesse d'une f e m m e ou au moment des éclipses du soleil : "Yo, obscurité de la création, au sein de l'espace secret de la nuit, maître de l'assise des 22 tournoiements, grand porteur de la vibration, grand constructeur de la moelle des os". Dans l'oeuvre de Marcel Griaule, on trouve de multiples présentations de la manière dont Dieu a "créé" le monde selon les Dogon. En voici une qui met aussi l'accent sur une onde vibratoire originelle : Avant la création a existé un mouvement hélicoloïdal ; celui-ci s'est matérialisé en une minuscule graine cultivée, celle de fonio ( d i g i t a r i a 67 e x i l i s ) qui, avant toute chose, y compris le créateur, renfermait en puissance tout ce qui devait se dilater en univers. Cette graine contenait sept vibrations initiales correspondant à sept segments de longueur croissante. 11 s'en est échappé des germes ou des signes, préfigurations de ce que deviendra le cosmos. On est donc là en présence d'une conception mécaniciste, qui repose sur l'idée d'un mouvement impersonnel, gouverné par des lois qui lui sont propres et relèvent de son dynamisme interne, conception qui ne laisse guère de place à l'action divine, à moins qu'on n'identifie Dieu aussi bien à l'atome initial qu'au mouvement spiralant. Voici comment, dans un des nombreux textes où il essaie de rendre compte de la pensée dogon, M. Griaule s'exprime : "Dans l'infiniment petit initial symbolisé par la graine de digitaria exilis , s'étaient développées, à partir du noyau, sept vibrations internes connotées par sept segments de taille croissante disposés en éventail de 360 degrés. "Les extrémités de ces segments étaient situées sur une spirale figurant l'amorce du mouvement d'extension qui allait continuer à l'extérieur l'oeuvre de création. Car l'extrémité du septième segment touchait l'enveloppe, y ouvrant le passage nécessaire. Par cette fissure sortit, entre autres, un prolongement du segment, qui, en une certaine manière, représentait une huitième vibration émanant de la précédente. "Si l'on considère le symbolisme de cette figuration, on voit d'abord apparaître dans les sept traits inégaux, une silhouette humaine, le premier et le sixième étant les Jambes, les deuxième et cinquième les bras, les troisième et quatrième la tête, le septième étant le sexe, placé entre le sixième et le premier. "Cette silhouette, sous son aspect géométrique, connote l'homme dans sa qualité de "grain du monde", aduno dene." 68 Certains signes graphiques dogons occupent une position-clé du fait de la multiplicité des domaines où ils sont significatifs. Ils sont à envisager comme des espèces d'algorithmes qui inventorient un grand nombre de phénomènes variés, apparemment disparates, en les réduisant à une série unique qui, de ce fait, manifeste une certaine unité de signification. Il en est ainsi, par exemple, des signes qui se présentent comme des lignes de chevrons, si fréquents dans les motifs décoratifs africains : Voici ce que dit M. Griaule : "Comme chez les Bambara, la vibration est (chez les Dogon) le fondement des choses. Son expression la plus simple et le plus fréquente est une ligne de chevrons avec laquelle on orne la façade des sanctuaires, les masques et de nombreux objets rituels ou d'usage profane... "Mais le but de ces peintures n'est pas seulement d'exhiber la vibration ; le double registre en dents de scie reproduit, en les plaçant verticalement, les dents d'un moniteur universel qui est venu enseigner aux hommes une parole nouvelle. C'est pour commémorer cet événement que les hommes et les femmes ont les canines et les incisives limées en pointes. Ainsi la parole peut-elle passer facilement et n' est-elle pas coupée, comme l'eau d'ailleurs, qui assure la vie des humains et qui est ainsi respectée. "Mais de plus, la ligne de la peinture placée entre les deux registres rappelle le fil de coton que le moniteur tendit entre ses dents pour enseigner le tissage, technique 69 diurne associée au mouvement lumière." du soleil, c'est-à-dire à la La ligne de chevrons est également la projection géométrique du mouvement hélicoloïdal qui symbolise toute mise en action de forces, tout mouvement dynamique : "La force -nyama- est un élément métaphysique. Selon la conception des Dogon, il se déplace sur un "chemin" - o d u en hélice qui, sur un plan, se projette en une ligne de chevrons - o d u t o n n o l o - Ce "chemin" est matérialisé, pour les yeux de l'homme, par le mouvement de l'eau, support par excellence du nyama, nyama elle-même, en un sens. Car l'eau suit les voies tourbillonnaires ainsi que le montrent les torrents, les méandres, les ruissellements, les tornades. L'eau sort de la bouche en buée tournante, en même temps que la parole, laquelle poursuit le même "chemin". Eau et parole sont des expressions visibles et audibles du n y a m a . Elles sont plus que comparables, elles sont identiques ; elles ont pour maître (non créateur) le couple de fils de Dieu que les Dogon appellent Nommo et dont le rôle est la régénération et l'organisation du monde." Les lignes de chevrons représentent donc ensemble tout une série de phénomènes se rapportant les uns aux autres : - la vibration originelle, le chemin de l'eau, le chemin de la lumière, la propagation du son, de l'odeur, de la chaleur, les dents du Moniteur primordial, la descente tournoyante de l'Arche primordiale, la trame du tissu en cours de fabrication, les danses exécutées en zig-zag, le mouvement qui anime la houe du cultivateur, etc... donc autant d'éléments qui indiquent un commencement, une chose en train de se faire, un stade initial, un état inchoatif. L'OEUF DU MONDE Le thème de la graine initiale est évidemment proche de ceux de l'oeuf du monde et de la matrice originelle. On en trouve dans l'oeuvre de Griaule plusieurs versions, parfois difficiles à harmoniser entre elles. 70 "Une autre figure, plus explicite encore, montre l'oeuf initial, -l'oeuf du monde- d'où surgit un premier germe qui se développe selon un segment droit. "Il est suivi d'un second qui se place en travers du premier, donnant ainsi les quatre directions cardinales, c'est-à-dire l'espace, la scène du monde. "Un troisième germe, poussant le premier, se substitue à lui, l'oblige à se courber et à prendre une position symétrique de l'ovale initial par rapport aux bras transversaux. "Nous retombons là encore sur l'image de l'homme production directe des travaux de création, et homologue de l'univers lui-même." Dans sa forme classique, le mythe cosmogonique dogon parle d'un oeuf ou d'une matrice contenant deux couples de jumeaux. Mais la croissance normale s'en trouva perturbée par la sortie avant terme d'un des jumeaux mâles, arrachant un morceau de placenta devenu la terre et pénétrant incestueusement cet élément maternel. La création se trouve restaurée et réordonnée par le sacrifice du second jumeau mâle, qui meurt et ressuscite, et qui représente le règne de la vie, de la lumière, de l'eau, de la fécondité, par opposition au règne de la mort, de la s o u f f r a n c e , de la sécheresse, de la stérilité incarné par le premier. L'univers et l'histoire sont comme structurés autour de cette dualité et de la lutte qui en découle. CONCLUSION : L'HOMME, GERME DE L'UNIVERS Toutes les données recueillies chez les peuples de la boucle du Niger convergent pour faire de l'homme le centre du monde. L'univers trouve 71 en lui son modèle et son achèvement, il est l'archétype selon lequel la majorité des phénomènes tant cosmiques que sociaux sont conçus. Microcosme et macrocosme se rejoignent dans la figure de l'homme. Par les graines qu'il porte dans ses clavicules, l'être humain est l'homologue de la constellation de Sirius, et plus particulièrement de cette étoile "graine de fonio" qui décrit autour de Sirius une ellipse qu'elle met cinquante ou soixante années à parcourir, atome initial d'où serait sorti tout l'univers. Comme Sirius, l'homme est le symbole de la force de vie : "Il est un champ vivant et un grenier animé des va-etvient de la récolte et de la semence. Il répète annuellement la rénovation soixantenaire émanant de l'astre tournant au centre du monde. Il est l'image et le résumé des données cosmiques et de leurs mouvements." L'homme est "germe" du monde. C'est en fonction de son image et pour lui que l'univers a vu le jour. * * * Notre but, ici, n'était que de rappeler ces données bien connues. Elles ont été abondamment discutées. Certains ont accusé, soit les informateurs dogon, soit M. Griaule lui-même, de mystification, surtout à propos du système de Sirius. Nous sommes en présence de connaissances astronomiques et de spéculations cosmologiques qui ne manquent ni de grandeur ni de pertinence. Mais les ethnologues qui en ont rendu compte avec l'enthousiasme que l'on sait ont-ils bien compris et adéquatement traduit ce que les initiés dogon leur ont dit ? Les présentations qu'ils en ont faites auraient-elles été de quelque manière biaisées ? L'usage qu'en fait Jean Servier relève-t-il de ce que nous appelons communément science, ou d'autres plans de connaissance ? Ce sont là des questions qu'on est en droit de se poser, et qui reviennent avec une régularité troublante sur bien d'autres terrains, aussi bien en ethno qu'en archéo-astronomie. Souvent ce sont les astronomes qui s'enflamment, et ce sont les préhistoriens ou les archéologues qui les tempèrent. A propos du matériel qui nous vient de la boucle du Niger, le mouvement a été plutôt inverse. Quoi qu'il en soit, il apparaît à l'évidence que rien ne peut se faire valablement hors d'une étroite collaboration. 72 BIBLIOGRAPHIE GRIAULE Marcel "Masques dogons" - Travaux et d ' E t h n o l o g i e , XXXIII, P a r i s , 1938 mémoires "Dieu d'eau. Entretiens avec Ogotemmeli" C h ê n e , 1948 ; F a y a r d , 1 9 6 6 , 207 p . de - Paris, Londres 4, "L'alliance cathartique" - A f r i c a , 258 l'Institut 1947, Ed. du pp 2 4 2 - "L'Arche du monde chez les populations nigériennes" J o u r n a l de l a S o c i é t é d e s A f r i c a n i s t e s , 1 8 , 1 9 4 6 , pp 1 1 7 126 "Cinq missions ethnographiques en Afrique équatoriale" Comptes-rendus mensuels des séances de l ' A c a d é m i e des S c i e n c e s C o l o n i a l e s , P a r i s , 9 , 1 9 4 3 , pp 6 8 0 - 6 8 8 "Connaissance de 1'homme noir" - R e n c o n t r e s I n t e r n a t i o n a l e s de G e n è v e , N e u c h â t e l , E d i t i o n s de l a B a c o n n i è r e , 1 9 5 1 , pp 11-24, 147-166 "Etendue de l'instruction traditionnelle Z a ï r e , B r u x e l l e s , 6, 1 9 5 2 , pp 5 6 3 - 5 6 8 "L'image du monde au Soudan" - J o u r n a l A f r i c a n i s t e s , 19, 1 9 4 9 , pp 8 1 - 8 7 au de la Société "Mythe de 1'organisation du monde chez les Soudan" - P s y c h é , P a r i s , 2, 1 9 4 7 , pp 4 4 3 - 4 5 3 "Réflexions sur les symboles soudanais" i n t e r n a t i o n a u x de s o c i o l o g i e , 1 3 , 1 9 5 2 , pp 8 - 3 0 "Le savoir des A f r i c a n i s t e s , 22, Dogon" - Journal 1 9 5 2 , pp 2 7 - 4 2 de la Soudan" Dogons - des du Cahiers Société des GRIAULE Marcel - DIETERLEN Germaine "La conception du monde et de A t o m e s , 4 7 , 1 9 5 0 , pp 5 0 - 5 2 la matière "Un système soudanais de Sirius" - J o u r n a l d e s A f r i c a n i s t e s , 2 0 , 1 9 5 0 , pp 2 7 3 - 2 8 4 au de Soudan" la Société 73 "Le Renard pâle" - Tome 1, : Le Mythe cosmogonique, f a s c i c u l e 1, La c r é a t i o n du monde, T r a v a u x e t m é m o i r e s de l ' I n s t i t u t d ' E t h n o l o g i e , 1 9 5 5 , 544 p . "Signes graphiques soudanais" - C a h i e r s d ' e t h n o l o g i e , g é o g r a p h i e e t de l i n g u i s t i q u e "L'Homme", 3, 1 9 5 1 , 86 p . de DIETERLEN Germaine "Essai sur la religion p r é f a c e de M. G r i a u l e bambara" - Paris, PUF, 240 p., "Les correspondances cosmo-biologiques chez les Soudanais" - J o u r n a l de p s y c h o l o g i e n o r m a l e e t p a t h o l o g i q u e , 3, 1 9 5 0 , pp 3 5 0 - 3 6 6 DE GANAY S o l a n g e "Etudes sur la cosmologie des Dogon Soudan français" - A f r i c a , L o n d r e s , 2 1 , et des Bambara du 1, 1 9 5 1 , pp 2 0 - 2 3 "Aspects de mythologie et de symbolique bambara" - J o u r n a l de p s y c h o l o g i e n o r m a l e e t p a t h o l o g i q u e , a v r i l - j u i n 1 9 4 9 , pp 181-201 ZAHAN Dominique "Aperçu sur la pensée théogonique des Dogon" i n t e r n a t i o n a u x de s o c i o l o g i e , 4 , 1 9 4 9 , pp 1 1 3 - 1 3 3 "Un gnomon soudanais" - A f r i c a , pp 1 2 6 - 1 3 1 Londres, 20, Cahiers 2, a v r i l 1950, "La notion d'écliptique chez les Dogon et les Bambara Soudan français" - A f r i c a , L o n d r e s , 2 1 , 1 j a n v i e r 1 9 5 1 , 13-19 du pp PALAU-MARTI M. "Les Dogon" - M o n o g r a p h i e s e t h n o l o g i q u e s PUF, 1 9 5 7 , 122 p . africaines, Paris, 74 PAQUES Viviana "L'arbre cosmique dans la pensée populaire et dans la vie quotidienne du Nord-Ouest africain" - Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie, Paris, 1964 " L e s Bambara" - P a r i s , PUF, 1954 "Mouvements cosmiques et mouvements des eaux en pays baguirmi (Tchad)" - P r o c e e d i n g s o f t h e V l i t h I n t e r n a t i o n a l Congress of A n t h r o p o l o g i c a l and E t h n o l o g i c a l Sciences, 1 9 6 8 , Tokyo e t K y o t o , V o l . I I I , 1 9 6 9 , pp 7 3 - 7 5 "Le roi pêcheur et le roi chasseur (Baguirmi)" - T r a v a u x l ' I n s t i t u t d ' A n t h r o p o l o g i e de S t r a s b o u r g , 1 9 7 7 , 237 p . de SERVIER Jean L'homme et l'invisible" PB P a y o t , 1 9 8 0 , 376 p . - Paris, Laffont, 1964 ; Imago et LETTENS Dirk Mystagogie et mystification. Evaluation de l'oeuvre de Marcel Griaule" - P r e s s e s L a v i g e r i e , B u j u m b u r a , 1 9 7 1 , 648 P- * * * BIOGRAPHIE Pierre E R N Y , né en 1933 à Colmar, docteur en psychologie, docteur en sciences religieuses, docteur ès Lettres en sciences de l'éducation, a enseigné au Burkina Faso, au Congo, au Zaïre et au Rwanda. Il dirige actuellement l'Institut d'Ethnologie à l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg et est à l'origine avec Carlos Jaschek du groupe de travail "Astronomie et sciences humaines". * * * * LES MOITIES MASCULINES ET FEMININES DU CIEL : ASTRONOMIE DE QUELQUES TRIBUS GUYANAISES BIBLIOGRAPHIE (Volume 5) E. MRGflNR - TORRES 75 BIBLIOGRRPHIE ( o m i s V o l u m e 5) Abbenhuis M.F. 1940 Arawakken in Suriname. Enquête-materiaal voitcenkundige studie. Paramaribo : Druk. Léo Victor. voor een Aveni A.F. 1981 Tropical Astronomy. Science 213 (4504) : 161-171 Ciriiio A.C. 1977 Indiaanse Vertelingen. Paramaribo : Bolivar Editions. 2 vols. 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London : Charles Scribners Son. 77 Urton G. 1981 The Use of Native Cosmologies in Archaeoastronomical Studies: the View f r o m South America. En (ed) R. Williamson, Archaeoastronomy in the Americas, pp 285-304. Los Angeles : Ballena Press/ Center f o r Archaeoastronomy. INDEX 79 I N D E Volumes 1 X à 5 N°1 ( 1 9 8 8 ) Editorial P . Emy 1 et C. Jaschek Le C a l e n d r i e r G a u l o i s de C o l i g n y J.P. Parizot 3 Temps e t D e v e n i r I e t I I H. Barreau 23 E s s a i de R e c o n s t r u c t i o n d e s E x t r e m a Historiques J . P . Rozelot Solaires 51 Temps, D u r é e e t N a i s s a n c e d e s C a l e n d r i e r s L. Molet 55 La Détermination et la Conservation de l'Heure : Histoire d'une Fonction Sociale G. Jasniewicz 59 D i v i s i o n e t C o n t i n u i t é du Temps d a n s l e s G r e c s : Le S e u i l e t l e C e r c l e R. Triomphe 65 Mythes Abu Ma S a r e t l a T h é o r i e d e s G r a n d e s C o n j o n c t i o n s E.H. Wagner Les Calendriers Liturgiques et les Irrégularités de l a D a t e de P â q u e s F r . Suagher et J.P. Parisot Les Phénomènes " M é t é o r o l o g i q u e s " Populaire K.A.F. Fischer dans l a 81 95 Tradition 117 * * * 80 N°2 Editorial P. Erny et C. Jaschek 1 Le Zodiaque de Denderah H. Andrillat 3 Le lever héliaque de Sirius J.P. Parizot 27 L'astronomie des Anciens Mayas G. Jasniewicz et Fr. Jaffiol 57 "Année platonicienne" et période précessionnelle Ch. Lazarides 65 Les boiteries rituelles de printemps A. Lebeuf 81 L'observation populaire de la chute des météorites (Deux enquêtes publiques sur les chutes de météorites ou la population face à des phénomènes célestes) A. Florsch La mesure du temps chez les Celtes (Une lecture du Calendrier de Coligny) J.M. Le Contel et P. Verdier 99 117 Hildegarde de Bingen : représentations cosmologiques E. Klein •k-k* 135 81 N°3 Editorial 1 P. Erny et C. Jaschek La lune vue par les Grecs R. Triomphe 3 Le calendrier romain de 304 jours J. Horneker 17 Ma traduction du calendrier de Coligny P.E.A. Verdier 23 L'Observatoire astronomique de la Cathédrale Saint-Lizier de Couserans A. Lebeuf Astronomy in Europe between 8000 and 1200 BC W. Schlosser Nicolas Machiavel et la structure l'Univers P. Kah 39 79 ternaire de 93 N°4 Editorial P. Erny et C. Jaschek 1 Durée et temps à Madagascar H.L. Molet 3 Gammes planétaires et harmonie cosmique au Haut Moyen Age J. Viret 13 Le Songe de Kepler H. Andrillat 27 Le carnaval et le calendrier de Coligny P. Verdier 35 82 N°5 Editorial P. Erny et C. Jaschek 1 Symbolique Cosmique et Images Antiques du Ciel R. Triomphe L'Ethnographie des Astronomes A. Lebeuf 5 37 Les Moitiés Masculines et Féminines du Ciel : Astronomie de quelques Tribus Guyanaises E. Magana-Torres 59 Emigration - Sort d'Astronomes Allemands en 1918 et Aujourd'hui Th. Schmidt-Kaler 73 Les Comètes d'Atawallpa : Astronomie et Pouvoirs dans l'Empire Inca M.S. Ziolkowski 91 * * * 83 Andrillat H. 2,3; B a r r e a u H. 1,23 Erny P. 1,1; F i s c h e r K.A.F. F l o r s c h A. 1,117 2,99 4,27 2,1; 3,1; 4,1; 5,3 Hornecker J. 3,17 J a f f i o l Fr. J a s c h e k C. J a s n i e w i c z G. 2,57 1,1; 2,1; 3,1; 1,59; 2,57 4,1; 5,3 Kah P . K l e i n E. 3,93 2,135 L a z a r i d e s Ch. L e b e u f A. Le C o n t e l J . M . 2,65 2,81; 3,39 ; 2,117 M a g a n a - T o r r e s E. M o l e t L. 5,59 1,55; Parizot J.P. 1,3,95; Rozelot J.P. 1,51 S c h l o s s e r W. 3,79 S c h m i d t - K a l e r Th. 5,73 Suagher Fr. 1,95 T r i o m p h e R. 1,65; V e r d i e r P. Viret J. 2,117; 4,13 Wagner E.H. 1,81 Z i o l k o w s k i M.S. 5,91 5,37 4,3 2,27 3,3; 3,23; 5,5 4,35