Africain et gay : vous rigolez

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Africain et gay : vous rigolez
XII
>> Dossier
GINGEM
BRE #08
XIII
Comme le bonheur, gays, bisexuels et lesbiennes existent dans tous les pays, toutes les
communautés. Dans les communautés africaines aussi. Et c'est tant mieux ! Comme dans
beaucoup de pays, les gays et bisexuels sont, en Afrique, très touchés par le VIH et les
hépatites. Pourtant les associations de lutte contre le sida, là-bas et ici, ne se sont saisies que
très tardivement de cette question et non sans difficultés. Comment expliquer ce retard ?
Et que font les associations pour rattraper le temps perdu ? Associations partenaires de AIDES
en Afrique et membres du RAAC-Sida répondent.
“Africain et gay : vous rigolez !”
G
ay et migrant. Ça existe ? Africain
31 ans, l'entretient également. Marié, père
munauté en France lorsqu'ils ont immigré.
et gay. C'est possible ? OUI ! Ça
de deux enfants, il se considère comme
Une des conséquences de cette invisibi-
peut énerver, décevoir, faire plaisir,
bisexuel. “Mon attirance pour les mecs est
lité, c'est que même les associations de
amuser, surprendre… C'est comme ça. Il
plutôt cachée parce que je vis dans une
lutte contre le sida ont oublié que les
faut se faire à l'évidence. Une évidence
société traditionnaliste et conservatrice. Si
homosexuels africains existaient, ici
que certains hommes, gays ou bisexuels,
j'avais été dans une société plus ouverte
comme là-bas. “C'est vrai que les associa-
ont le courage de rappeler ou d'affirmer.
vis-à-vis de certains choix, je pense que je
tions de lutte contre le sida en Afrique s'y
C'est le cas d'Izaac. A 29 ans, ce jeune
me serai senti plus assuré”. Emma dit ne
sont mises tardivement et encore pas
homme ivoirien vit en couple avec une
pas avoir de problème pour parler de sa
toutes parce que ce n'était pas leur mou-
femme et reconnaît fréquenter beaucoup
bisexualité à un médecin : “Quand je suis
vement naturel. Pendant longtemps, le
plus les homos que les hétéros. Sa pre-
allé faire mon test de dépistage pour la
discours sur l'Afrique était de dire que
mière expérience sexuelle, il l'a eue
première fois, la dame qui me l'a fait pas-
l'épidémie était hétérosexuelle, explique
lorsqu'il était étudiant. Il lisait des livres sur
ser m'a demandé pourquoi je voulais faire
Michel Bourrelly, militant à AIDES et bon
la plage. Un voisin, inconnu de lui, le
le test. Je lui a dit que j'étais en couple
connaisseur de la lutte contre le sida en
matait. Un jour, ce voisin l'a abordé, lui a
avec un homme et que ce dernier me
Afrique. Aujourd'hui, ce que dit l'ONUSIDA,
donné son numéro de téléphone et lui a
soupçonnait d'infidélité.” Emma, Izaac
c'est que de 5 à 10 % des contaminations
dit d'appeler lorsqu'il serait prêt. Izaac a
sont loin d'être les seuls. D'autres, comme
dans la population générale sont dus aux
attendu deux mois. “Je lui ai dit que nous
eux, s'arrangent avec une double vie, se
homosexuels ou aux bisexuels”. Ces der-
devions faire à ma manière. Le jour où
préservent et souvent restent cachés. Ça
nières années, les chiffres, les appels à la
nous avons franchi le pas, c'était moi qui
se comprend, mais cela ne facilite pas la
prise en compte des homosexuels ont
voulais. Je me considère comme bisexuel
tache des acteurs de prévention.
changé la donne aussi bien en Afrique
parce que j'ai une copine en ce moment,
qu'en France, mais rien n'est simple et les
même si ces derniers temps, elle et moi,
Une prise de conscience tardive
c'est pas trop ça. Mon attirance pour les
L'homosexualité taboue… C'est loin
mecs est cachée. C'est la discrétion totale.
d'être une spécificité africaine. C'est
Parcours d'obstacles
La société ne l'accepte pas. Je ne peux
même très largement partagé y compris
Militant et salarié à AIDES, Armand
pas m'afficher comme homosexuel. Si
en France. Du coup, plutôt rares sont les
Totouom, qui milite et travaille en Ile-de-
mes parents l'apprennent, ils me renient.”
homos qui s'affichent ouvertement que
France, en connaît quelques uns. “Je peux
Cette prudence, Emma, Camerounais de
ce soit dans leur pays ou dans leur com-
dire que la plupart des gays africains ne
obstacles ne manquent pas.
XIV
sont pas très ouverts sur leur orientation
sexuelle. Ils ne l’assument pas tous. Pour
la plupart d’entre eux, c'est la conséquence de la répression dont ils sont
victimes dans les pays d’origine à ce propos. Les gays africains fréquentent très
peu les lieux identitaires gays comme les
établissements de sexe, les saunas, les
lieux de drague. En revanche, j'en rencontre parfois dans les lieux de loisirs
fréquentés par les personnes issues de
l’immigration subsaharienne. Il n'en reste
pas moins que dans cet environnement, il
est très difficile de parler de leur sexualité
et de leur orientation sexuelle…” “Il faut
tenir compte de plusieurs paramètres
pour arriver à parler de sexualité autrement qu'en entretien avec une seule
personne. Il faut éviter de faire des boulettes en ne tenant pas compte des
différences culturelles. Par exemple, pendant la période de ramadan, on ne parle
pas sexe. Il faut aussi agir en fonction du
contexte”, explique Fabien, volontaire de
AIDES à Paris. “Notre association prend en
compte, les homosexuels, les bisexuels et
les lesbiennes avec un projet de prévention vers ceux de la communauté
africaine”, explique Joseph Koffi de l'AIPS,
une association lyonnaise, membre du
RAAC-Sida. Mais cela ne s'est pas fait
sans difficultés. “Nous avons sollicité
quelques personnes concernées. Nous
leur avons proposé d'adhérer à notre
association et de nous faciliter l'accès aux
personnes, mais elles ont refusé. La question de l'homosexualité reste taboue dans
notre communauté. La conséquence est
que les personnes concernées n'osent
pas s'afficher. On se retrouve devant une
population existante, mais invisible”,
explique Joseph. Si certains obstacles sont
liés aux personnes elles-mêmes, d'autres
concernent très directement les associations.
homme” Pourtant, certaines associations
ont décidé de réagir.
Les associations répondent…
ou essaient
Cela fait déjà quelques années que l'association malienne Arcad/sida a pris en
compte les hommes ayant des relations
sexuelles avec des hommes. “Nos activités
concernent
principalement
la
prévention et la stratégie utilisée est celle
des pairs éducateurs”, explique Bintou
Keita Dembele, la directrice d'Arcad/sida.
Autrement dit : les gays parlent aux gays.
Affaires internes
“La difficulté des associations en Afrique
a été d'accepter ce qu'on leur disait,
explique Michel. Ce n'était pas facile pour
elles d'entendre : “Vous savez il y a peut
être des homosexuels… dont vous
devriez vous préoccuper”. “Au début de
nos actions vers les homosexuels, cette
question a suscité des débats, explique
l'ATL Tunis, une des principales associations de lutte contre le sida de Tunisie. “Il
ne faut jamais sous estimer que l'homophobie est parfois véritablement ancrée
dans les sociétés et qu'elle peut l'être y
compris chez certains de nos partenaires,
explique Michel. Pour certains mecs,
admettre de quelqu'un qu'il soit gay
équivaut à le considérer comme un sous-
“L'accueil des HSH a suscité des réactions
au sein de la communauté y compris dans
les médias car le contexte social et religieux n'est pas tolérant, même si
l'homosexualité n'est pas pénalisée au
Mali”, rappelle Bintou. Si certaines ont préféré se lancer rapidement dans l'action,
d'autres prennent plus de temps. Certaines tergiversent encore… mais elles
sont de plus en plus rares.
Droits et santé globale
Ça n'est pas forcément la martingale, mais
il faut bien admettre que la reconnaissance des droits des minorités sexuelles
va souvent de paire avec un accès à la
santé, une bonne estime de soi et une vie
agréable. Ainsi depuis que l'ATL-Tunis a
mis en place des actions de terrain liées à
la santé en direction des gays, elle développe un programme de lutte contre la
stigmatisation et l’exclusion des homosexuels. L'objectif est de réduire les
discriminations par les prestataires de
santé. Elle vise aussi à “sensibiliser les
populations clés [homosexuels, consommateurs de drogues…] à la nécessité de
réagir face à la stigmatisation”. “C'est une
évidence que lorsqu’on n’a aucun droit,
les questions liées à la prévention, à la
santé deviennent secondaires. Pour y
remédier, il faut arrêter toutes formes de
discriminations faites aux personnes au
motif de leur orientation sexuelle”, défend
Albertine de DA TI SENI, membre du
RAAC-Sida. “Tout à fait d’accord, indique
Armand. Seulement, entre l’existence des
droits et la capacité des personnes à se
les approprier pour en faire une arme
pour investir le champ de leur santé, il y a
un fossé”.
Des pistes… à suivre
“Je pense qu'il est indispensable d’accentuer les campagnes contre les discriminations, avance Nicolet Nkouka, animatrice d'action de AIDES en Ile-de-France.
Il est également important, à mon avis,
sans forcément cibler, de faire des
campagnes à destination du public homo-
sexuel certes, mais africain. A ce jour, ces
campagnes ont plutôt tendance à viser un
public européen “blanc” Les Africains ne
se sentent pas concernés. Et c’est dommage car bien souvent l'Africain a déjà
des représentations du genre : “L’homosexualité, c’est un problème de blancs !”
“Notre Etat de droit montre des failles
d’où l’existence des communautés qui se
créent pour interpeller le système démocratique et revendiquer une prise en
compte des besoins de tous, avance
Joseph Situ, chargé de mission Migrants à
AIDES et coordinateur du RAAC-Sida.
C'est aussi notre boulot de travailler à
défendre et conforter les droits des personnes qu'il s'agisse des droits des
étrangers ou de ceux des minorités
sexuelles. L'absence de droits équivaut à
une absence d’accès effectif à la santé.
On parle de ça lorsqu'on défend la santé
globale”.
Dossier réalisé par Jean-François Laforgerie
avec la participation de Joseph Situ, Nadège
Pour aller plus loin
Meurisse et David Auerbach Chiffrin
Remerciements à Michel Bourrelly,
Une version complète de ce dossier
Omar Amri et Yves Yomb
avec l'intégralité des interviews et des
Illustrations Stéphane Blot
témoignages est accessible sur le site
du RAAC-Sida ( www.raac-sida.org) et
sur Seronet (www.seronet.info).
XVI
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Première personne à avoir parlé publiquement de sa séropositivité au Burundi, en 1995, Jeanne
Gapiya est présidente de l'Association nationale de soutien aux séropositifs (ANSS). Une
association de lutte contre le sida qui a choisi de prendre en compte les homosexuels
burundais. Une première dans le pays. Jeanne explique pourquoi et comment.
Jeanne :
“C'est une honte d'avoir tant tardé”
“L
e Burundi, comme c'est le cas de plusieurs autres pays
africains, est un pays où il y a, après le fléau du sida,
celui du déni. Ce déni se résume à cette affirmation : “Il
n'y a pas d'homosexuels en Afrique !” Depuis longtemps, nous
étions, nous association, comme anesthésié sur ce sujet (…)
Il n'était plus possible de se voiler la face. Il fallait absolument
réagir. J'ai eu la chance de rencontrer un jeune gay qui, malheureusement, est décédé il y a quelques mois [voir en page XVIII]
(…) C'est là, en discutant avec lui, que je me suis rendue compte
que je ne savais pas comment prévenir l'infection à VIH chez les
homosexuels. Et Georges m'explique que du fait de la discrimination, les homosexuels se cachent… Que l'impossibilité d'avoir
des relations stables sans risquer d'être découvert les contraint
à changer souvent de partenaires. Il m'explique aussi que beaucoup d'hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres
hommes se marient pour sauver la face. Je dois dire que je n'ai
pas dormi suite à ce que Georges m'avait expliqué. Je me sentais
coupable. Carrément ! Je me demandais pourquoi je n'avais rien
fait pendant tout ce temps sur cette question. Bon, je me console
en disant : “Mieux vaut tard que jamais”. Depuis ce jour et la rencontre avec Georges, c'est quelque chose que
j'ai vraiment pris très au sérieux (…)
Qui dit lutte contre le sida dit qu'on cherche à bloquer toutes
les voies par lesquelles le VIH peut se développer. Il se trouve
que les homosexuels sont concernés par le VIH/sida, qu'ils
sont même hautement vulnérables et que dans nos pays en
Afrique ils sont souvent, du fait des pressions et des discriminations, bisexuels. Voilà pourquoi on doit agir, mais pas
seulement. Les homosexuels sont des personnes. Ils font
partie de la société. Ce sont des Burundais. Ce sont des
citoyens à part entière qui doivent être respectés comme
tout le monde.”
Propos recueillis par Joseph Situ
XVIII
Georges :
un modèle pour nous tous !
Militant de la lutte contre le sida et des droits des homosexuels au Burundi et en Afrique, Georges
Kanuma est décédé en avril dernier. Amis et compagnons de lutte, Michel et Omar lui rendent
hommage.
epuis le 14 avril, nos cœurs
“D
nous était profitable, sa sensibilité et son
sexualité. Malgré les nombreuses sollici-
ne battent plus le même
émotion nous inondaient et nous trans-
tations, il n’a jamais voulu quitter son pays
rythme, nos idées sont sou-
portaient dans un monde fait de
et se réfugier dans des contrées plus
vent brouillées par les réminiscences d’un
souffrances vécues et de discriminations
accueillantes pour les homosexuels et
passé encore palpitant de vie, nos ateliers
transformées en énergie pour combattre.
prodiguer depuis ces havres sécurisés
studieux rient toujours aussi fort, mais
Georges était un militant né pour se bat-
des conseils à ceux qui tremblent et qui
d’un rire éraillé et sans joie. Georges
tre et transformer la vie de ceux qui
n’ont pas pu se sauver. Contrairement à
Kanuma nous a quittés, brutalement, au
partageaient les mêmes difficultés que
d’autres aussi, il était simple, accessible,
retour d’un de ses nombreux voyages
lui. L’injustice le rendait fou et il aurait
attentif. Il n’attendait ni prix, ni reconnais-
qu’il effectuait pour l'ANSS et son projet
en direction des gays. Il nous a laissés,
voulu pouvoir créer une planète remplie
sance car sa récompense était le bonheur
d’amour et d’acceptation. Il n’était jamais
des autres. Pour nous tous il reste un
nous ses frères d’Afrique ou de France,
fatigué et ne voulait jamais poser ses
modèle.”
seuls au milieu du gué, alors que notre
valises (qu’il perdait souvent durant ses
périple est encore long. Georges nous
voyages). Il avait un courage incontesta-
apportait sa joie de vivre, sa vitalité, son
ble, car il était visible chez lui, le Burundi,
engagement sans limite, sa détermination
un pays qui, depuis peu, pénalise l’homo-
(1)
(1) Association nationale de soutien aux séropositifs et malades du sida.
Michel et Omar
XIX
Diamond :
“J’aime beaucoup les femmes...
Je préfère les hommes”
Diamond a 30 ans. Il est originaire d'Afrique de l'Ouest, musulman et vit près
d’une grande ville dans le nord de la France.
As-tu des difficultés à vivre ton homosexualité ?
Je ne suis pas vraiment homosexuel... Je suis bien avec des
qui y sont, mais ce sont des amis ou des amants… C’est bien ce
qu’ils font, mais ça ne m’intéresse pas trop.
hommes, bien avec des femmes. J’aime beaucoup les femmes...
Je préfère les hommes. Je préfère embrasser un homme, être
Irais-tu voir une association de lutte contre le sida pour
dans les bras d’un homme. Je suis très tendre avec les hommes
parler de prise de risque ?
et j’aime qu’ils le soient avec moi. Mais j’adore les femmes. D’ail-
Peut-être... Mais je ne prends pas de risque. Je veux absolument
leurs, je veux un enfant. Je veux absolument un enfant.
des enfants. Je vais me marier, alors je ne prends aucun risque.
Tu peux en parler ?
Si tu avais des questions sur le VIH ou la santé, irais-tu
De mes rapports avec les hommes ? Non ! Pas du tout ! Jamais !
voir plutôt une association communautaire, avec des
C’est complètement pas possible. Si ma famille savait ça... ! Non,
gens originaires d’Afrique ?
c’est complètement impossible, jamais. Ils ne doivent pas savoir.
Je ne pourrais pas me marier sinon. Je dois me marier. Je dois
Surtout pas ! Ma famille ne doit pas être au courant, surtout pas,
c’est trop risqué.
avoir un enfant, c’est très important. Je veux un enfant, c’est
important dans ma culture d’avoir un enfant. Je ne serais pas un
homme sinon, il ne faut pas mourir sans avoir un enfant. Ma
famille ne comprendrait pas, ils ne me parleraient plus…
Comment es-tu en tant que gay ou bi dans ta communauté ?
Caché. Discret.
Est-ce que cette impossibilité d’en parler a des conséquences, par exemple sur ta santé ?
Non, pas vraiment… Je vais très bien, merci. Tout va bien pour
moi.
Prends-tu les mêmes précautions avec les hommes et les
femmes ?
Je n’ai pas de relation avec des femmes actuellement. Je compte
Fréquentes-tu des associations ?
Pas vraiment, je sais qu’elles existent, mais ça ne m’intéresse pas.
choisie depuis longtemps.
Je n’ai pas de problème. Tout va bien pour moi. Je vais très bien.
J’ai des amis. Je n’ai pas besoin d’association. Je connais des gens
bientôt me marier. Elle va venir du pays ou je vais y aller, je sais
déjà qui c’est. C’est une villageoise, mais elle est éduquée. Je l’ai
Propos recueillis par David Auerbach Chiffrin
XX
Stéphane :
“C'est une affaire de confiance”
Militant à Alternatives Cameroun, Stéphane, 25 ans, a du fuir son pays suite à une
arrestation parce qu'il est gay. Il vit désormais en France où il a fait une demande
d'asile. Santé des gays, égalité des droits, tels sont les combats que Stéphane
poursuit désormais en France. Interview.
Lors de tes interventions sur le terrain, qu'est-ce qui t'a
le plus marqué ?
Ce qui me frappe, c'est l'ignorance de nombreux gays sur la prise
matériel de prévention, mais il fallait le faire discrètement pour
ne pas poser problème aux personnes concernées.
de risque, la méconnaissance du matériel de prévention et son
utilisation. Il n'est pas rare de discuter avec des hommes qui pen-
sance est en grande partie liée au fait que les campagnes de
prévention sont très “hétéro-centrées”, elles ne parlent jamais
des rapports entre hommes, ni des risques qu'il peut y avoir pour
Quelle a été votre stratégie pour faire de la prévention
dans ce contexte ?
Les grins [réunions informelles] ont vu le jour en 2008. Nous
avons proposé aux hommes que nous rencontrions lors des
actions de prévention de participer à des fêtes et des rencontres
à Alternatives Cameroun. Cela n'a pas forcément bien marché.
L'association s'est donc déplacée pour aller voir les gays là où ils
les personnes bisexuelles. Certains hommes ignorent qu'on peut
contracter le VIH lors d'un rapport anal avec un autre homme.
se réunissent. Dans un premier temps, on centre les discussions
sur la prévention, la façon de réduire les risques. Lorsqu'on arrive
sent qu'il est possible d'utiliser des huiles pour le corps, de la
vaseline ou du shampoing comme lubrifiants. Cette méconnais-
Quels sont les obstacles aux actions de prévention
destinées aux gays ?
Il y a encore quelques mois, il existait des commerces ouverts
aux gays, pas des commerces ouvertement gay, mais des lieux
commerciaux fréquentés par des gays, les pressions policières,
les arrestations ont fait disparaître nombre d'entre eux. Ces boîtes
ou bars étaient importants pour nous, même s'il n'était pas possible d'y parler frontalement de prévention. On pouvait donner du
à créer un climat de confiance entre les personnes et nous, on
peut parler de sexualité, des pratiques, de la conception que se
font les personnes de l'homosexualité, de leur homosexualité…
Très souvent, les hommes se considèrent comme bisexuels, pas
comme gays, même s'ils le sont exclusivement. Ils ne veulent pas
être visibles comme gays. Il faut être discret si on veut être tranquille.
Propos recueillis par Jean-François Laforgerie
XXI
Martine :
“Ne laisser personne sur le bord de la route”
Importante association de lutte contre le sida au Burkina Faso, REVS+ travaille avec et pour les
homosexuels dans les domaines de la prévention, les droits, la santé. Martine Somda, sa présidente,
explique ce que fait REVS+ et pourquoi l'association fait partie d'Africa gay contre le sida.
L'accueil, la prise en compte des
faire ça. Pour résoudre ce problème, nous
besoins
homo-
avons expliqué notre position en prenant
sexuels dans vos actions ont-ils
en compte l’objectif général de notre
suscité des débats, des réactions
association qui est ouverte à TOUTE per-
voire de l'hostilité dans votre asso-
sonne qui a besoin d’information et
ciation ?
d’aide. Aujourd’hui, la lutte est globale.
Nous avons eu beaucoup de débats au
Nous ne pouvons pas avoir une lutte effi-
niveau du conseil d'administration de l’as-
cace en laissant une catégorie de la
sociation. Au début, il y avait des réactions
population sur le bord de la route ! Ne pas
hostiles de la part de certains membres
prendre en compte les homosexuels,
du conseil d'administration vu sa compo-
c’est compromettre les acquis de la lutte
sition (on y trouve des religieux chrétiens
contre le sida.
spécifiques
des
et musulmans) et aussi des incompréhensions des acteurs de terrain et de
certaines personnes bénéficiaires [les personnes accueillies à REVS+] qui ne
comprenaient pas pourquoi nous voulions
Dans votre pays, l'homosexualité estelle pénalisée ?
Au Burkina Faso, il n’y aucune loi. Elle est
silencieuse sur ce point. C’est plutôt la
réaction des gens qui peut poser problème.
Votre association est-elle membre
d'Africagay contre le sida ? Qu'est-ce
qui a motivé votre adhésion ?
Oui, REVS+ est membre de Africagay
contre le sida. L’union fait la force. Africagay contre le sida, c'est, comme cela se
passe dans tous les regroupements de
personnes séropositives, s'unir, échanger,
partager les connaissances, comparer les
expériences, etc. Travailler de façon isolée
n’a pas de poids pour changer les mentalités.
Propos recueillis par Omar Amri

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