frontieres abstracts
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COLLOQUE QUÉBÉCO-NORVÉGIEN FRONTIÈRES LIVRET DES COMMUNICATIONS [en ordre alphabétique] Le jeudi 20 et le vendredi 21 mars 2014 Salle des Boiseries Université du Québec à Montréal KNUT OVE ARNTZEN professeur en études théâtrales, Université de Bergen « Conditions arctic des arts vue de Norvège et du Québec : paysage des surfaces non-orientable » Présentation de quelques perspectives sur l’Arctique dans l’art de la performance au Québec, en Scandinavie du Nord et au Groenland. La méthodologie est fondée sur la conception des surfaces non-orientables établie par l’architecte et philosophe polonais Lech Tomasewski, ainsi que sur quelques considérations sur le paysage et la dramaturgie. Seront donnés à titre d’exemples les travaux performatifs de Carole Nadeau, du Théâtre Sámi de Norvège avec le Groupe théâtral Sampo, du Verdensteatret d’Oslo et leur image du Groënland ainsi que de Christopher Marthalers 0+ minus sur le Groënland. KNUT OVE ARNTZEN est professeur en Études théâtrale à l’Université de Bergen, en Norvège. Il a publié plusieurs articles et essais sur le théâtre scandinave, québécois et d’ailleurs, d’une perspective internationale. Il a participé à un grand nombre de colloques et de conférences. Il a également effectué plusieurs séjours recherche en France, en Allemagne, au Canada, au Québec et en Russie. Il est aussi professeur en visite à l’Université Vytautas Magnus á Kaunas, en Lithuanie. Pendant ses séjours au Québec, il a travaillé périodiquement avec le Festival les 20 Jours du Théâtre à Risque. Avec le professeur Helge Vidar Holm et plusieurs autres, il a aussi fait partie du groupe de recherche Les Frontières de l’Europe, basé à l’Université de Bergen. JAN BORM professeur de littérature britannique, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines directeur du CEARC « Au delà du cercle Arctique ; en route vers le très Grand Nord. Le Svalbard et la Terre François-Joseph vus par Sara Wheeler et Juozas Kazlauskas, deux voyageurs contemporains » La langue anglaise distingue entre parties supérieure et inférieure de l’Arctique en employant l’adjectif « high » pour en désigner la partie la plus septentrionale, distinction que l’on rend habituellement en français par le « Très Grand Nord ». Le présent travail a pour objectif de s’interroger sur cette façon de concevoir d’une « frontière » invisible entre deux nivaux (ou degrés) de nordicité arctique en analysant deux représentations contemporaines du Svalbard et de la Terre François-Joseph. Il s’agit d’un chapitre du récit circumpolaire de Sara Wheeler The Magnetic North (Londres, 2009) et d’extraits du journal intime du photographe lituanien Juozas Kazlauskas (1941-2002) publiés en traduction anglaise dans un album posthume de ses clichés intitulé Fotografija (Vilnius, 2010), textes que nous mettrons en perspective par rapport à quelques représentations plus anciennes par rapport à la notion du rite de passage. Ces parties du Très Grand Nord devinrent à partir de l’époque moderne l’extrémité la plus septentrionale de cette ultima Thule que l’Europe n’a eu de cesse de repousser de plus en plus au Nord depuis l’Antiquité au fur et à mesure des découvertes. Aujourd’hui, le Svalbard est de plus en plus facilement accessible en avion ou par bateau de croisière bien que ce type de tourisme continue de ne s’adresser qu’à une clientèle aisée, tandis que la Terre François-Joseph reste un véritable bout extrême du monde touristique quasiment inaccessible. Quelles images sont alors véhiculés par les voyageurs contemporains pour nous faire rêver cette partie du monde souvent évoquée de nos jours comme l’une des dernières frontières à franchir, un espèce de far Nord au-delà de l’appel de la forêt. JAN BORM est professeur de littérature britannique à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines où il dirige également le laboratoire de recherche CEARC (Cultures, Environnements, Arctique, Représentations, Climat). Il est l’auteur de nombreux articles sur la littérature de voyage et du portrait Jean Malaurie : un homme singulier (Paris, Éditions du Chêne, 2005), ainsi que co-directeur de plusieurs ouvrages collectifs consacrés à l’histoire des missions chrétiennes et des voyages. RACHEL BOUVET professeure en études littéraires, Université du Québec à Montréal « L'altérité des frontières » Cette communication questionnera la notion de frontière à partir d'un point de vue sémiotique, géographique et littéraire. Je m'appuierai sur la sémiotique de la culture élaborée par Yuri Lotman pour distinguer les deux rôles principaux de la frontière : séparer et unir, et j'explorerai l'idée sous-jacente de "limite" à partir des travaux de certains géographes tels que Claude Raffestin. Ces réflexions seront intégrées à un questionnement plus général sur les logiques et figures de l'altérité: la logique du miroir, fondée sur le cliché et le stéréotype; le principe de la tolérance, reposant sur le respect de la différence; et l'altérité des frontières, basée sur la saisie de l'indétermination, la perception du divers, la déstabilisation. Motif géographique, la frontière crée des situations marquées par la tension. Je montrerai comment le processus sémiotique enclenché dans ces lieux en marge de la culture conduit à l'altération, à la transformation identitaire, au métissage, à la créolisation. La littérature fait parfois appel à la carte et au parcours pour mettre en scène la transgression de la frontière - c'est ce qui se produit dans le roman de Julien Gracq, Le rivage des Syrtes, dont j'analyserai certains passages. J'étudierai par ailleurs quelques scènes se déroulant aux frontières dans le récit de voyage de Nicolas Bouvier, L'usage du monde, pour comprendre comment l'incompréhension mutuelle et la tension qui en découle peuvent être désamorcés par le recours à certaines stratégies, comme le rire, ou à des pratiques sémiotiques telles que la musique ou le dessin pour transcender les différences culturelles. Professeure titulaire au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, RACHEL BOUVET mène des recherches sur l’espace, le fantastique, l’exotisme, la géopoétique et les théories de la lecture. Elle a publié deux essais, Pages de sable. Essai sur l'imaginaire du désert (XYZ, 2006) et Étranges récits, étranges lectures. Essai sur l’effet fantastique (PUQ, 2007 [1998]), et co-dirigé plusieurs ouvrages : L’espace en toutes lettres (Nota Bene, 2003), Nomades, voyageurs, explorateurs, déambulateurs. Les modalités du parcours dans la littérature (L’Harmattan, 2006), Théories et pratiques de la lecture littéraire (PUQ, 2007), La carte. Point de vue sur le monde (Mémoire d’encrier, 2008), Le nouveau territoire. L’exploration géopoétique de l’espace (Cahiers Figura, 2008), Topographies romanesques (PUR/PUQ, 2011), De marche en marche, habiter le monde (en ligne : oic.uqam.ca, 2012). Membre de Figura, le Centre de recherche sur le Texte et l’Imaginaire, elle a fondé avec des collègues La Traversée-Atelier québécois de géopoétique en 2004. MARJORIE BROUSSIN doctorante en littérature, Université Lumière Lyon 2 « Harry Potter et la Renaissance : la culture populaire à l’École, un relais vers la culture savante » Selon Roland Barthes, « la littérature c’est ce qui s’enseigne »1. Ce que laisse entendre ici le critique, c’est la dimension légitime d’une littérature transmise, reprise et pérennisée par l’institution scolaire sous la forme d’un canon plus ou moins immuable. L’œuvre littéraire, dans cette perspective, serait nécessairement placée du côté du classique, c’est-àdire du légitime : à l’École, seules les œuvres savantes auraient droit de cité. Or, avec la modification des pratiques d’enseignement2, cette définition de la littérature est à nuancer. Les manuels scolaires actuels, contrairement à ceux 1 Roland Barthes « Réflexions sur un manuel » (in Todorov et Doubrovski (dir.), L’enseignement de la littérature, Paris, Plon, 1971, 640 p.). En France, le bouleversement introduit par la réforme de l’enseignement secondaire avec l’apparition d’un collège unique en 1973 (dans lequel sont regroupés tous les milieux sociaux) suppose de repenser des formes d’enseignement jusque là clivées entre enseignement pour l’élite et enseignement pour le peuple. 2 du siècle précédent3, favorisent l’ouverture du corpus canonique4 en proposant aux élèves la lecture d’œuvres de littérature de jeunesse, de journaux, l’analyse d’images … Ce faisant, la frontière entre culture personnelle populaire et culture scolaire savante se fait plus perméable, les œuvres depuis longtemps canoniques voisinant avec des œuvres jusque là considérées comme faisant partie d’une « para-littérature ». Plus encore, la lecture d’œuvres empruntées à la littérature de jeunesse est mobilisée pour guider les élèves vers les classiques. Nous nous proposons donc d’étudier la manière dont des textes issus d’une littérature a priori non légitime sont utilisés dans des manuels scolaires de collège pour permettre aux élèves de découvrir, comprendre et apprécier des œuvres savantes aussi complexes que celles des auteurs de la Renaissance française. Ce faisant, nous espérons montrer comment l’École, garante de la légitimité institutionnelle, prend acte du brouillage de la distinction entre culture savante et populaire, et délaisse l’idée de frontière pour lui préférer celle de relais. MARJORIE BROUSSIN est doctorante contractuelle à l’Université Lumière Lyon 2 et chargée de cours. Sa thèse de littérature du XVIe siècle sous la direction de Michèle Clément (Université Lumière Lyon 2) a pour titre « Rabelais, Montaigne, Ronsard, Du Bellay et les autres : transmission et classicisation du corpus seiziémiste dans les manuels scolaires de l’enseignement secondaire – 1900-2010 ». Agrégée de lettres modernes, Marjorie Broussin est en troisième année de doctorat en littérature française à l'université Lyon 2, où elle assure des cours de licence. Sa réflexion porte sur la transmission et la classicisation des auteurs français du XVIe siècle dans les manuels scolaires du tournant du XXe siècle au tournant du XXIe. Outre un travail sur la présence de ces auteurs dans les manuels, ses recherches visent à mettre en lumière les mécanismes qui définissent une œuvre comme « classique » en considérant l’École comme le lieu d'une réception aux formes multiples (par les élèves, les professeurs, les éditeurs...). Ce travail cherche à réinscrire le questionnement sur la notion de classique dans le champ littéraire en interrogeant principalement des pratiques de réception. Elle est également secrétaire d’une association de doctorants, Les Têtes Chercheuses. Elle a participé, en collaboration avec d’autres membres de l’association, à l’organisation d’un colloque international en décembre 2013 sur la thématique « Concurrence(s) ». JEAN-FRANÇOIS CHASSAY professeur en études littéraires, Université du Québec à Montréal « La frontière invisible : fantastique et imaginaire du nord » Dans un livre resté célèbre, l’historien Frederick Turner soulignait l’importance du concept de frontière dans la construction de l’identité américaine. Au-delà de sa réalité politique, il s’agit surtout d’une figure symbolisant un dépassement nécessaire : la frontière, emblématiquement, serait toujours à repousser, pour permettre de projeter l’individu vers l’inconnu, la nouveauté. S’il s’agit d’une lecture historique qui trouve place dans la réalité des ÉtatsUnis, il reste que l’imaginaire de la frontière, dans l’espace nordique, s’inscrit aussi souvent dans la fiction. Les territoires presque vides du nord permettent d’interroger des « ailleurs » potentiels que la fiction peut investir. Dans cet esprit, cette communication se penchera sur un roman d’Ariane Gélinas, L’île aux naufragés (et peut-être également, de manière plus superficielle, sur son roman précédent, Transtaïga) dans lequel, en traversant la frontière invisible du nord, le lecteur bascule dans un univers fantastique. L’île aux naufragés, investiguant un nord imaginaire, brouille les démarcations entre normalité et monstruosité (physique et morale), entre les genres (fantastique, gothique, gore), et même entre les époques puisqu’on a l’impression de voir apparaître en palimpseste de nombreux romans français fantastiques et décadents de la fin du XIXe siècle. En se penchant sur une frontière spatiale, c’est également une frontière temporelle que le roman met en scène. Il s’agira donc de démontrer que le concept même de frontière 3 La lecture de romans, ou de manière plus générale de toute œuvre de fiction non présentée dans les manuels, était fortement proscrite par les manuels scolaires du début du XXe siècle. Ces ouvrages s’attachaient notamment à établir une distinction très nette entre « bonnes » et « mauvaises » lectures. 4 En accord avec les Instructions Officielles de 1985 invitant à cette ouverture. est au fondement de ce roman. JEAN-FRANÇOIS CHASSAY est professeur au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal depuis 1991. Il a publié six romans, trois anthologies, une douzaine d’essais et dirigé ou codirigé plusieurs collectifs. Ses principaux centres d’intérêt portent sur l’américanité et sur l’inscription du discours scientifique (et de la figure du scientifique) dans la fiction et le discours social. Dernier titre publié : Au cœur du sujet. Imaginaire du gène (Montréal, Quartanier, 2013). Il fera paraître en France, au printemps, un livre intitulé Le monstre au bistouri (Dijon, éditions Murmure) et à l’automne un collectif d’essais avec de jeunes écrivains québécois (éditions du Quartanier). HELGE VIDAR HOLM professeur de littérature et civilisation franҫaises, Université de Bergen « Serge Doubrovsky et l’obsession du passage » Tout au long de sa vie de romancier, chercheur en littérature et professeur des universités, Serge Doubrovsky a traversé des frontières, celles entre les genres discursifs, entre les récits de fiction et ceux de « diction », et celles, géographiques et culturelles, entre les continents européen et américain, plus spécialement entre Etats-Unis, voire entre Paris et New York. la France et les Au moment du lancement de son roman Fils (1977), il a créé la dénomination littéraire d’autofiction, appellation à laquelle il est revenu à plusieurs reprises, aussi bien dans ses écrits romanesques que dans ses essais de théorie littéraire. Ses adversaires dans le débat générique autour du concept bâtard ne font pas défaut, et les positions parfois antagonistes ont déclenché toute une panoplie de développements théoriques au cours de la trentaine d’années qui a suivi la publication de Fils. Le dernier roman de Doubrovsky, Un homme de passage (2011), se veut une autofiction tout comme ses six romans précédents. Cette fois on trouve cependant jusque dans l’intitulé du roman l’obsession du protagoniste-narrateur du phénomène de passage des frontières. En m’appuyant sur quelques concepts et idées de Gérard Genette (Fiction et diction, 1991) et de Paul Ricoeur (Temps et récit, tome 1, 1983), j’analyserai notamment les aspects discursifs et génériques « frontaliers » de ce roman et de quelques autres textes romanesques de Doubrovsky, tout en essayant d’attribuer, tant soit peu, au développement théorique du concept d’autofiction. Né en 1947, HELGE VIDAR HOLM est professeur de littérature et civilisation franҫaises à l’Université de Bergen, où il dirige la section des études franҫaises. Quelques publications récentes : « Flaubert og metropolen Paris » in Ahlstedt, E. et al. : Metropoler : Reflexioner kring urbana rum i litteratur och kultur. Göteborgs universitet, 2013 ; « Le rôle du destinataire chez Eco et Bakhtine : L’exemple de Madame Bovary de G. Flaubert » in Plume : Revue semestrielle de l’Association iranienne de Langue et Littérature franҫaises 14/2013 ; « Etude chronotopique de Madame Bovary. Mœurs de province de Gustave Flaubert » in Arena romanistica 13/2013 ; « Soi-même comme un Autre : La judaïté chez Marguerite Duras » in Revue Romane 47/2012 ; « Time and causality in Flaubert’s novels Salammbô and Bouvard et Pécuchet » in Holm, H.V. et al. The Borders of Europe. Hegemony, Aesthetics and Border Poetics. Aarhus University Press, 2012 ; Holm, H. V : Mœurs de province. Essai d’analyse bakhtinienne de Madame Bovary. Peter Lang SA, Bern, 2011 ; « Maalouf, Fanon, Sartre et Obama: quatre approches de l’identité complexe » in Syllabus. Revue scientifique interdisciplinaire de l’Ecole normale supérieure, Université de Yaoundé 1, 2011. ZISHAD LAK doctorante en lettres franҫaises, Université d‘Ottawa « Noms transfrontaliers » À une époque où les frontières se caractérisent par leur porosité, les noms ne sont plus seulement les agents dénominatifs. Ils forment les notions d’ « ici » et d’ « ailleurs » d’une société. Dans les romans contemporains québécois, la migration est souvent évoquée par le truchement des noms. Que ces soient les noms stéréotypiques japonais au Montréal dans Je suis un écrivain japonais de Dany Laferrière, ou le Cocktail, « Baghdad Sunrise », au Rivière-du-Loup dans Tarmac de Nicolas Dickner, ou encore l’anonymat du personnage principal exilé à Montréal dans Cockroach de Rawi Hage, la discordance des noms avec l’espace du récit ainsi qu’avec la langue de la narration représente une simultanéité spatio-temporelle. Ces noms contenant le passé et l’espace « autre » transforment le présent et le futur de leur nouveau contexte spatial et viennent ainsi redéfinir la frontière qui ne délimite dorénavant l’étendue spatiale d’une culture. L’objectif de cette communication est d’analyser les manières dont les noms déconstruisent ou réaffirment la dualité d’ « ici » et d’ « ailleurs » au Québec contemporain, où l’imaginaire d’ailleurs s’inscrit dans la réalité d’ici. ZISHAD LAK est une doctorante en Lettre françaises à l’Université d’Ottawa. Sa thèse de doctorat s’intitule « L’onomastique et la migration dans les romans contemporains québécois et canadiens. » Bibliographie : DICKNER, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2009; HAGE, Rawi, Cockroach, New York, Norton & Co., 2009; LAFERRIÈRE, Dany, Je suis un écrivain japonais, Monréal, Boréal, 2008; PAQUET, Simon, Une vie inutile, Montréal, Héliotrope, 2010. SAMUEL LEPASTIER directeur de recherche, CRPMS chercheur associé, CNRS-CU Sorbonne Universités « Les frontières temporelles, topographiques et psychiques chez Samuel Chapdelaine. » La frontière est une dimension déterminante du roman de Louis Hémon, Maria Chapdelaine. D’abord temporelle et marquée par les brusques modifications du paysage lors du passage des saisons, elle est évoquée dès les premières pages du livre par une interrogation sur la fiabilité de la « glace de printemps »qui conduit Samuel Chapdelaine à constater : « Nous serons les derniers à traverser cette saison. » La frontière est aussi topographique. Elle marque la limite du territoire des Canadiens avec celui des « États » d’une part et des « sauvages » de l’autre. L’œuvre étant destinée initialement à un public français, sa rédaction trace enfin une frontière symbolique entre la France et le Canada français. Mais, pour l’essentiel, la frontière est psychique en s’incarnant dans la personne de Samuel. En effet, ce dernier, loin d’être attaché en permanence à un même terroir, se montre comme un homme toujours pionnier d’une nouvelle terre à déchiffrer n’ayant de cesse de s’installer toujours plus loin. Son existence est fondée sur le désir de « faire de la terre » pour l’amour de Laura, son épouse qui conserve la nostalgie des « vieilles paroisses » où la vie est plus simple. L’expression « faire de la terre » entre en résonance avec la définition proposée par Freud de la cure psychanalytique en 1933 : « un travail culturel, à peu près comme l’assèchement du Zuiderzee ». Ainsi, cadre temporel, matériel et social, la frontière elle n’est pas moins également une projection dans le monde extérieur d’une construction psychique interne. Tout sujet est contraint d’élaborer les événements de la vie en les confrontant à son passé infantile, son inconscient et ses pulsions. Si, quelle qu’en soit la raison, il n’y parvient pas il est condamné à une répétition stérile de ses pensées et de ses actes qui est la marque même du traumatisme. La frontière est le cadre protecteur qui autorise la poursuite de la croissance psychique et par ce mouvement même elle se trouve périodiquement repoussée. Homme aimant et père tendre, Samuel Chapdelaine voit sa vie marquée par de nombreuses limitations, symptomatiques de la situation des Canadiens français du début du vingtième siècle. Malgré son amour, son incapacité à consoler Maria de son chagrin, l’amène à s’effacer devant l’autorité de son curé. Si, à la fin du livre, Maria voit son destin éclairée par la voix du Québec, celle-ci, « à moitié chant de femme et à moitié sermon de prêtre », est entendue pendant que son sommeil révélant ainsi que, malgré les apparences, sa fonction symbolique n’est guère reconnue. Dès lors, le travail de pionnier devient la voie à la plus satisfaisante pour se dégager de la résignation à laquelle Samuel aurait été normalement invité. Triompher de l’adversité climatique comme faire reculer les terres en friche, n’est-ce pas le projet même de l’humanité depuis ses débuts ? SAMUEL LEPASTIER a d’abord été économiste de la santé puis médecin, pour s’orienter vers la psychiatrie puis la psychanalyse. Il a mis à profit son expérience clinique la Salpêtrière pour mener des recherches sur l’hystérie de conversion et, par extension, sur le statut épistémologique de psychopathologie au regard de la clinique médicale, les mutations psychiques entraînées par l’appropriation de l’écriture et les liens entre littérature et psychanalyse. Actuellement, outre ses travaux personnels et ses activités de direction de thèses à l’université Paris Diderot, il est chercheur associé à l’Institut des sciences de la communication (CNRS-CU Sorbonne universités) où il participe notamment aux recherches de l’axe « Les frontières de l’humain ». Le « docufiction » Lettres mortes, auquel il a collaboré et diffusé sur France-Culture en 2010 a obtenu le Grand prix de la Société des gens de lettres au titre de la meilleure émission de radio en 2011. THUY AURÉLIE NGUYEN doctorante en création littéraire, Université du Québec à Rimouski « Richesse et effacement des frontières : une poétique de l’entre-deux dans L’Énigme du retour de Dany Laferrière. » Depuis une vingtaine d’années, les théories post-coloniales se sont penchées sur la question du centre et de la périphérie, atténuant la prédominance d’un centre littéraire (France, Paris) sur de lointaines périphéries. Les littératures dites migrantes ont continué de décloisonner les frontières entre les genres et les territoires, ouvrant la porte à l’hybridité et au nomadisme littéraire. Dans la lignée d’écrivains aux identités plurielles, Dany Laferrière revendique, à travers ses œuvres, la possibilité de faire fi des frontières nationales et le droit de se découvrir une identité rhizome, polyphonique. Dans L’énigme du retour se dessine une poétique de l’entre-deux, où il ne s’agit pas d’abolir les frontières mais plutôt de ne pas se laisser enfermer par elles. Comment se construit cette poétique, qui dépasse la dualité – liée à l’exil – entre le Nord et le Sud, entre pays d’accueil et pays natal ? Quelles en sont les modalités ? En quoi cette écriture du « hors-lieu » s’inscrit-elle dans la littérature migrante, tout en ayant ses lois propres ? En quoi s’en démarque-elle ? Pour comprendre la poétique laferrienne, nous mettrons à l’épreuve le concept d’enracinerrance, forgé par l’écrivain haïtien Jean-Claude Charles et qui dit l’ancrage que l’on peut trouver dans l’errance, tant sur le plan géographique, temporel, intertextuel (dialogue avec Homère et Césaire) que générique (à la frontière du roman, de l’autofiction, de la poésie). Enfin, nous formulerons l’hypothèse de recherche selon laquelle la présence du vaudou contribue à rendre poreuses les frontières métaphysiques, qui relient les morts aux vivants, le rêve à la réalité, nous invitant dans le monde de l’ambiguïté, où le mystère fait loi. Le narrateur ne serait-il pas le double de Legba, cet esprit vaudou, gardien des portes et des clôtures, qui « se tient à la frontière du monde visible et du monde invisible » ? Par le travail de la mémoire et de l’écriture, le narrateur accèderait ainsi au statut de contrebandier, glissant d’un monde à l’autre, et permettant la création d’un espace-temps agrandi, respirable, onirique. THUY AURÉLIE NGUYEN, doctorante en création littéraire, à l’Université du Québec à Rimouski, est titulaire d’une maîtrise en lettres modernes de l’Université Lumière Lyon 2. Elle a publié de nombreuses critiques littéraires dans le journal Le Mouton NOIR (Trouver son cri, Dans le bruit et la fureur de Port-au-Prince, etc.) et un texte de création dans la revue Caractère (Naissance de la voix, route de la soie). Bibliographie : CHARLES, Jean-Claude, « L’enracinerrance », Boutures vol. 1, n°4 (mars-août 2001) ; FRANCIS, Cécilia et VIAU, Robert, Trajectoires et dérives de la littérature-monde. Poétiques de la relation et du divers dans les espaces francophones, Rodopi, 2013 ; GLISSANT, Édouard, Poétique de la Relation (Poétique III), Gallimard, Paris, 1990 ; LAFERRIÈRE, Dany, L’énigme du retour, Boréal, 2009 : LAFERRIÈRE, Dany, Je suis un écrivain japonais, Boréal, 2008 ; LAFERRIÈRE, Dany, J’écris comme je vis, Boréal, 2010 ; LAROCHE, Maximilien, La double scène de la représentation : oraliture et littérature dans la Caraïbe, Éd. Mémoire, Port-au-Prince, 2000 ; MÉTRAUX, Alfred, Le vaudou haïtien, Tel Gallimard, 2010. ODILE PARSIS-BARUBÉ directrice adjointe de l’IRHIS maître de conférences, Université Charles-de-Gaulle-Lille 3 « Il y a tant de nords dans ce Nord5 ! L’imaginaire septentrional, un “sujet-frontière” » Toute présentation d’un programme de recherche sur les représentations du Nord commence par l’inévitable paragraphe sur la plasticité d’une notion cardinale qui échappe à la délimitation. Concept fuyant parce qu’impossible à fixer dans des limites géographiques objectives, rendu plus insaisissable encore par la gradualité des indices de septentrionalité qui le structurent et y inscrivent des espaces dont les limites ne sont jamais ni rectilignes ni fixes dans le temps, le Nord comme sujet pour une histoire des représentations porte la problématique de la frontière dans une double dimension, endogène et exogène. Endogène, parce que, comme l’a montré Louis-Edmond Hamelin, « dans toute étude du Nord (…), le facteur spatial est un élément omniprésent de différenciation ». Exogène, parce que la reconstitution et l’analyse des systèmes de représentations qui structurent son imaginaire met en œuvre une démarche qui se trouve à la frontière de disciplines multiples, dont l’histoire, la géographie, l’analyse littéraire, l’histoire de l’art, la sémiologie, l’anthropologie, la sociologie ne sont que les principales. Fondée sur une analyse des discours produits, dans la littérature universitaire contemporaine, canadienne et française, sur la problématique de la délimitation des nords, cette communication se propose d’analyser la manière dont se dessinent et s’interconnectent, autour de cette question, des domaines intellectifs à la frontière de divers champs disciplinaires. ODILE PARSIS-BARUBÉ est maître de conférences habilitée à diriger des recherches en Histoire culturelle contemporaine à l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France). Directrice adjointe de l’Institut de recherches historiques du Septentrion (IRHiS, CNRS UMR 8529), elle est coordinatrice scientifique du programme RIM-Nor [rimnor.hypotheses.org]] qui vise à mettre en réseau les chercheurs travaillant sur les représentations, les identités et les mémoires des nords européens, thème sur lequel elle anime également, depuis 2012, un séminaire européen à l’École doctorale Lille-Nord de France. Elle a participé au programme MYMEM 2011-2013 (Myths and Memory in a transnational Age) financé par le Norvegian Research Council au titre du programme SAMKUL (Program on the Cultural Conditions Underlaying Social Change) et travaille en étroite collaboration avec le Memory Studies Research Group de l’Université de Stavanger ainsi qu’avec le Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord de l’UQAM. Elle est membre du comité scientifique du colloque « Le froid. Adaptation, production, représentations, effets », coorganisé en décembre dernier par l’UQAM, le CEARC de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et l’IRHiS de Lille3. Membre du GIS Institutions patrimoniales et pratiques interculturelles, elle a organisé, en octobre 2013, une journée d’étude sur le thème « Frontière, patrimoine et enjeux de territoire dans le Nord de la France ». MARGERY VIBE SKAGEN maître de conférences au département de langues et littératures étrangères, Université de Bergen « “Le Poème du hachisch” (Baudelaire) : le travestissement poétique d’une monographie médicale » La métaphore du croisement des frontières est couramment évoquée à propos des approches interdisciplinaires ; notamment celle de "Literature and Science" qui s’est développée depuis les années 70 dans le monde anglophone et, plus récemment, dans le monde francophone sous le nom de "Littérature et Savoirs". Cette sousdiscipline littéraire vise à examiner non seulement l'importation des modèles, des méthodes et des motifs provenant des discours scientifiques dans les textes littéraires, mais aussi, inversement, l’apport du discours littéraire à l'évolution des sciences positives. La frontière territoriale est une figure bien choisie pour imaginer, à un niveau encore plus spécialisé, l’interaction entre littérature et médecine. Susan Sontag a bien mis en valeur La maladie comme métaphore et l’analyse des métaphores de la maladie comme un moyen de reconnaître notre double citoyenneté dans le royaume des malades aussi bien que dans celui des bien portants. Il s’agira, dans cette communication, d’aborder l’interférence 5 Louis-Edmond Hamelin, Discours du Nord, Collection Recherche 35, Québec, 2002, p. 23 parfois conflictuelle entre poésie et psychiatrie dans la seconde moitié du XIXème siècle, et les tentatives médicolittéraires d’interprétation de la psyché moderne, mise en rapport avec les déchirements idéologiques et sociaux d’une époque souvent qualifiée par sa « nervosité ». À travers une lecture du « Poème du hachisch » de Baudelaire, analysé à la lumière d’un genre médical consacré et des recherches médicales (sur le rêve, les visions et les hallucinations) de l’époque du poète, nous proposons de montrer la fécondité de ce type de rapprochement et l’émergence d’une science poétique de la psyché. MARGERY VIBE SKAGEN est maître de conférences au Département de langues et littératures étrangères de l'Université de Bergen. Depuis sa thèse de doctorat, Mélancolie et goût de l'infini : Essai sur la mélancolie poétique dans les écrits de Baudelaire (2000), elle s'est intéressée à l’histoire de la représentation littéraire des humeurs, et surtout à l'interaction entre littérature et psychiatrie au XIXe siècle. Elle dirige le groupe de recherche « Littérature et savoirs » à l'Université de Bergen, et a coédité : M. Hagen, R. Koppen et M.V. Skagen, The Art of Discovery: Encounters in Literature and Science (2010) ; M. Hagen, R. Koppen et M.V. Skagen, The Human and its Limits : Explorations in Science, Literature and the Visual Arts (2011), et M. Hagen et M. V. Skagen, Literature and Chemistry : Elective Affinities (2013). Avec ce même groupe, elle prépare actuellement un projet multidisciplinaire sur la représentation du vieillissement dans la culture occidentale : http://www.uib.no/fg/litt_vit/49898/ageing-historiesmythologies-and-taboos BLANDINE TAMELO TINDO doctorante, Université de Bergen « Médiation sociale : l’activité de l’apprenant camerounais et norvégien » Cette communication s’inscrit dans le champ de la didactique de langue. Elle fait un rapprochement entre deux contextes didactiques, celui du Cameroun, pays de l’Afrique centrale et celui de la Norvège, pays de la Scandinavie. Ce travail est centré autour du thème de la médiation sociale, plus particulièrement sur l’activité des apprenants dans ce processus. Raynal et Rieunier (1997 : 220) définissent la médiation sociale comme l’ « ensemble des aides ou des supports qu’une personne peut offrir à une autre personne en vue de lui rendre plus accessible un savoir quelconque. » Il est question pour nous d’analyser les points de discordance et de similitude observables au niveau des activités cognitives et métacognitives développées par les apprenants du Cameroun et de la Norvège, activités qui servent d’orientation à la médiation didactique de l’enseignant. Il ressort de cette analyse que même si on a affaire à deux situations scolaires complètement différentes, on remarque cependant que dans le processus d’apprentissage, il existe une grande similarité quant aux types d’activités menées par l’apprenant dans les deux cas. Toutefois, on note aussi des disparités importantes au niveau de la forme et de la nature de ces activités de l’apprenant. Nous tenterons d’expliquer et d’analyser ces concordances et ces discordances en nous appuyant justement sur les éléments qui caractérisent chacun de ces contextes et en nous appuyant sur les théories d’apprentissage ; nous analyserons également les effets probables de chaque particularité des activités de l’apprenant dans chaque contexte sur l’apprentissage. Cette communication s’inspire et s’appuie sur des données qui sont des leçons enregistrées dans les classes de langue au Cameroun et en Norvège et transcrites. [notice biobliographique à venir] ULLA TUOMARLA maître de conférences HDR au Département des Langues Modernes, Université de Helsinki SABINE KRAENKER maître de conférences au Département des Langues Modernes, Université de Helskinki « Frontières discursives dans la lettre d’amour et la lettre de rupture » La lettre d’amour et la lettre de rupture combinent intimement deux genres discursifs, le genre épistolaire et le genre du discours amoureux et/ou de rupture largement codifié par la tradition. À ces deux discours préformatés s’ajoute une composante personnelle qui permet au scripteur d’exprimer son originalité en matière amoureuse ou de rupture. Nous nous proposons, à travers un petit ensemble de lettres d’amour et de rupture, de montrer les frontières et les tensions entre les trois types de discours présents dans les lettres. Sur le plan des contenus, on peut dire aussi que dans une lettre d’amour l’auteur vise à effacer des frontières entre deux personnes afin de créer un couple, tandis que dans une lettre de rupture, l’objectif est inverse : rétablir une frontière qui sépare deux êtres qui ont jusque-là formé une unité. Les frontières sont ainsi un concept qui peut s’appliquer aussi bien à la forme qu’au contenu de la lettre privée dans le cadre amoureux. SABINE KRAENKER est maître de conférences à l’Université de Helsinki. Ses recherches portent sur la littérature autobiographique contemporaine, les écrits féminins, l’œuvre de Philippe Lejeune, le discours de la rupture amoureuse, le corps, la perception du Japon par les voyageurs francophones. Dernières publications : • Édition (en collaboration avec Xavier Martin) des Actes de la rencontre internationale « Corps dans l’espace, espaces du corps » Tallinn, 25 et 26 novembre 2011, Publications romanes de l’Université de Helsinki, volume 6, Helsinki, juin 2013, ISBN 978-952-10-8850‒6 • « Les avant-propos de Philippe Lejeune ou les introductions intimes d’une œuvre de critique littéraire » dans L’autobiographie entre autres, écrire la vie aujourd’hui, sous la direction de Fabien Arribert-Narce et Alain Ausoni, Modern French Identities, volume 110, Peter Lang, Bern, Suisse, 2013, pp.185‒197 • « De ʺPassion simpleʺ à ʺSe perdreʺ, de ʺPassion simpleʺ à ʺPuhdas intohimoʺ » (en collaboration avec Ulla Tuomarla) dans Traduire le texte érotique, sous la direction de Pier-Pascale Boulanger, volume 32,collection Figura, Université du Québec à Montréal, 2013, pp. 141‒159 ULLA TUOMARLA est maître de conférences HDR à l’Université de Helsinki. Ses recherches portent par exemple sur la polyphonie textuelle, l’interférence entre genres discursifs, la problématique liée au discours rapporté, les problèmes de traduction des éléments culturels et la violence verbale dans les médias. Dernières publications : • “ Purge de Sofi Oksanen – un roman migrant ?” dans Svante Lindberg [éd.], Le roman migrant au Québec et en Scandinavie. The Migrant Novel in Quebec and Scandinavia, Frankfurt-am-Main, Peter Lang, 2013, p.195– 211. • « De Passion simple à Se perdre, de Passion simple à Puhdas intohimo » (en collaboration avec Ulla Tuomarla) dans Traduire le texte érotique, sous la direction de Pier-Pascale Boulanger, volume 32,collection Figura, Université du Québec à Montréal, 2013, pp. 141‒159 • « Quelques remarques sur l’écriture passionnée ; la lettre d’amour et de rupture dans Les Liaisons dangereuses de Laclos » dans Jukka Havu (éd.) Les actes du congrès des romanistes scandinaves, l’Université de Tampere. (En collaboration avec Sabine Kraenker), 2011. ÉLISABETH VALLET professeure associée, Université du Québec à Montréal directrice scientifique à la Chaire Raoul-Dandurand « Des barrières entre voisins? États, couples étatiques et frontières murées » Depuis la grande muraille de Chine, le Danevirk du Roi Godfried, le mur médique de Nabuchodonosor II, les murs romains d’Antonin et d’Hadrien en Écosse, ou encore le limes germaniae et rhetiae, le « mur » est au cœur des relations internationales (Quétel 2012). Au point où l’un d’entre eux a incarné l’état du monde pendant toute la deuxième moitié du vingtième siècle ; et lorsque le mur de Berlin est tombé, ses contemporains ont cru à la métamorphose de leur univers alors qu’ils n’avaient fait que réécrire l’Histoire (Paasi, 2009 : 216). Avec la chute du mur de Berlin et la redéfinition des relations internationales (Badie, 1999; 2000), s’ouvrait, pensait-on, une ère où la mondialisation condamnait les États à la désuétude et consacrait l’avènement d’un monde sans frontières (Omae, 1990; Galli, 2001; Zolo, 2004; Schroer, 2006), que l’on devrait désormais repenser hors du piège conceptuel que constituait le territoire (Agnew, 1994). Pourtant, l’après 11 septembre 2001 a souligné avec force le retour des frontières voire de nouvelles frontières (Weber 2008 : 48), et avec elles celui des barrières et murs frontaliers, symboles que l’on croyait disparus avec la fin du monde bipolaire (Lévy, 2005 :40). Or les murs constituent un phénomène per se, en croissance continue (Vallet-Ritaine, 2011; Vallet-David, 2012). Ainsi, à travers les 48 murs qui marquent plus de 29 000 kilomètres de frontières et scarifient le monde aujourd’hui (Vallet et David 2012a); et à travers cette nouvelle perspective, certaines dyades étatiques doivent se réinventer. Car, de fait, la notion de mur frontalier n’est pas forcément synonyme de frontière (d’abord parce que son dessin ne suit pas toujours la ligne frontalière) et, de la même manière, la frontière n’est pas nécessairement une ligne hermétique puisqu’elle est un point de contact, une interface, une zone (Konrad et Nicol 2008 : 8 ; Sur : 14; Gottman 1952 : 123) ; par contre, le mur redéfinit nécessairement la zone frontalière de part et d’autre de la ligne de démarcation. Il s’agira de voir ici en quoi les frontières blindées sont en fait la résultante de l’état des États et surtout de l’état de la relation dyadique. Nous verrons ainsi que le mur est érigé lorsque le divorce est consommé, et plus encore lorsque l’un des deux partenaires redéfinit la relation en termes asymétriques. Tandis qu’à l’inverse, une fois le mur frontalier érigé, la dyade doit se repenser à travers une dynamique redéfinie par le durcissement de la frontière qui fige, pour un temps, la relation dans une logique qui n’est pas tout à fait celle de l’ensemble régional dans lequel la dyade évolue. ÉLISABETH VALLET est professeure associée au Département de Géographie et directrice scientifique de la Chaire Raoul-Dandurand à l’UQAM. Elle est titulaire d’un doctorat en droit public de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble. Avant de se joindre à l’UQAM, elle a effectué un post-doctorat au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal. Elle a été, en 2002-2003, chercheure postdoctorale à l’Université Duke aux États-unis, puis chercheure à la Chaire de recherche du Canada en relations internationales de l’UQAM. Elle dirige le réseau Borders, walls and Fences créé en 2011 ainsi que la section québécoise du groupe Borders in Globalization, consortium financé par le CRSH depuis 2013 et basé à l’Université de Victoria.