Pie-grièche migratrice

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Pie-grièche migratrice
Pie-grièche migratrice
espèce menacée au Québec
Sommaire
La pie-grièche migratrice (Lanius ludovicianus) a une répartition restreinte à l’Amérique du Nord;
elle est présente dans le sud du Canada, aux États-Unis et au Mexique. Au Québec, l’espèce niche
principalement dans les régions du sud-ouest de la vallée du Saint-Laurent. Toutefois, en dépit
d'efforts d'inventaires ciblés sur cette espèce, elle n'a été trouvée nicheuse qu'à cinq stations
québécoises depuis 1990.
Ce passereau, souvent associé aux pâturages où il y a des arbustes épineux, est particulier. En
effet, la pie-grièche migratrice est principalement carnivore. Étant donné son alimentation, l’espèce
a développé un comportement unique, soit celui d'empaler ses proies sur les épines d'arbustes et
les fils barbelés, ou de les accrocher à la fourche d’une branche afin de faciliter la manipulation et
le déchiquetage de celles-ci.
La pie-grièche migratrice a subi un déclin majeur depuis quelques décennies, en particulier dans le
nord-est des États-Unis et dans l'est du Canada. Au Québec, les premières constatations du statut
précaire de la pie-grièche migratrice datent de la fin des années 1980. La population québécoise
est réduite à presque rien puisqu'aucun site connu n'a été occupé depuis quelques années, bien
qu'elle était plutôt commune au début du siècle. Le déclin qu'a subi la pie-grièche migratrice sur le
territoire québécois est donc très sérieux.
Au Québec, la pie-grièche migratrice est menacée en raison du déclin massif de ses effectifs dans
l’est de l’Amérique du Nord au cours des dernières décennies. Alors que l’espèce était
relativement commune dans différentes régions québécoises au début du siècle, seulement
quelques individus ont été recensés au cours des dernières années.
Description
La pie-grièche migratrice est un oiseau un peu plus petit que le merle d'Amérique (Turdus
migratorius); sa longueur varie entre 22,0 et 24,5 cm. Son envergure atteint environ 33 cm et son
poids moyen est de 47 g. La pie-grièche migratrice a la tête, la nuque, le dos et le croupion gris
foncé alors que ses ailes sont principalement noires. L’espèce possède un bec crochu, un masque
facial noir et une poitrine blanchâtre. Le plumage des mâles et des femelles est identique.
La pie-grièche migratrice est souvent confondue avec sa congénère la pie-grièche grise (Lanius
excubitor), la seule autre pie-grièche présente au Québec. Cette dernière possède plusieurs traits
similaires à ceux de la pie-grièche migratrice. Les véritables problèmes d'identification entre la piegrièche migratrice et la pie-grièche grise ont lieu au printemps et à l'automne, lorsque les deux
espèces sont présentes en même temps dans le sud du Québec.
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Répartition
La pie-grièche migratrice est présente en
Amérique du Nord seulement. En période de
nidification, elle fréquente le sud du Canada, les
États-Unis et le Mexique. La répartition
canadienne couvre surtout les provinces des
Prairies, tandis qu'aux États-Unis et au Mexique,
l'espèce se répartit dans toutes les régions ou
presque. Au Canada, la sous-espèce migrans se
reproduit au Québec, en Ontario et dans l'est du
Manitoba alors que la sous-espèce excubitorides
se reproduit en Alberta, en Saskatchewan et dans
l'ouest du Manitoba. Dans plusieurs régions
canadiennes,
l'aire
de
nidification
a
considérablement été réduite depuis quelques
années. La pie-grièche migratrice n'a pas niché
dans les provinces Maritimes depuis 1972 et elle
est presque disparue du sud du Québec et de
l'Ontario. De plus, son aire de nidification a été
réduite dans les Prairies canadiennes, bien que les
changements y aient été moins radicaux que dans
l'est du pays.
Figure 1 – Aire de la répartition de la pie-grièche
migratrice.
La pie-grièche migratrice a déjà niché dans la vallée de l'Outaouais, au piémont des Laurentides,
au piémont des Appalaches (Estrie) et dans les basses-terres du Saint-Laurent jusqu’à Rimouski.
Depuis 1990, l'espèce a été trouvée nicheuse à cinq stations seulement : deux à Grondines, entre
Trois-Rivières et Québec, deux à LeGardeur, près de Montréal, et une à Brekenridge.
L'aire d'hivernage de la pie-grièche migratrice couvre la moitié méridionale de l'aire de nidification.
Les principales zones de concentration hivernale se situent en Californie, ainsi que dans le centresud et le sud-est des États-Unis, notamment au Texas, en Alabama, en Louisiane et en Floride. Il
semble que les pies-grièches migratrices de la sous-espèce migrans hivernent surtout en Virginie,
en Caroline du Nord, au Mississippi, en Louisiane et dans l'est du Texas.
Au Québec, l'arrivée printanière de la pie-grièche migratrice se tient de la fin de mars à la fin
d’avril. Le baguage de milliers de pies-grièches migratrices dans l'ouest canadien indique que les
oiseaux reviennent en général dans la même région, année après année, mais rarement aux mêmes
territoires de nidification. Malgré cela, plusieurs des territoires sont habités par l'espèce au fil des
ans, mais par des oiseaux différents. À l’automne, la migration débute dès la fin d’août et s'étend
sur quelques semaines.
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Habitat
Dans l'est de l’Amérique du Nord, la pie-grièche migratrice recherche les pâturages, les prés et les
champs récemment abandonnés où l'on y trouve des haies ou des buissons formés d'arbustes
épineux ou de conifères. Au Québec, comme en Ontario et dans l’État de New York, l'espèce
préfère les habitats constitués d’une mosaïque de petites surfaces occupées par des pâturages, des
champs en jachère, des champs cultivés, des milieux en régénération et des milieux forestiers. Les
habitats où dominent les terres cultivées sont plutôt délaissés par cette espèce.
Les pâturages sont souvent fréquentés par la pie-grièche migratrice; ils constituent des zones
d'alimentation privilégiées car les brouteurs y maintiennent la végétation basse tout l'été. Ce type
d’habitat permet à cet oiseau de repérer facilement ses proies. La présence de perchoirs est
essentielle dans l’habitat de la pie-grièche migratrice car l’espèce localise ses proies du haut de
ceux-ci. Ainsi les fils électriques, les poteaux de téléphone, les poteaux de clôture et les arbres
morts constituent des perchoirs intéressants pour l’espèce.
Dans le nord-est de son aire de répartition, la pie-grièche migratrice est souvent associée à des
espèces végétales comme l'aubépine et, dans une moindre mesure, les conifères et les pommiers.
Presque tous les nids rapportés au Québec étaient installés dans ces arbustes.
Biologie
La pie-grièche migratrice est généralement monogame : seulement certains mâles s'accouplent à
l’occasion avec deux femelles. Les individus peuvent se reproduire dès l’âge d’un an. La formation
des couples s’effectue aux sites de nidification. L’espèce niche tôt au printemps : au Québec, la
construction du nid débute dès la deuxième ou la troisième semaine d'avril. Sous nos latitudes, la
pie-grièche migratrice produit généralement une seule couvée par année.
Le nid est souvent construit dans une aubépine ou un conifère isolés, et il est placé près du centre
de l'arbre ou de l'arbuste qui le supporte. Le nid est volumineux; il est constitué de brindilles
tissées de façon serrée et son intérieur est tapissé de radicelles, de fibres végétales, de poils et de
plumes. La construction du nid est principalement assurée par la femelle bien que le mâle
transporte également des matériaux. L'espèce utilise parfois d'anciens nids de pies-grièches ou
d'autres espèces.
Une couvée compte entre quatre et six œ ufs. L'incubation, assurée par la femelle, s’étend sur une
période de 16 à 18 jours. Pendant cette période, l’alimentation de la femelle est en grande partie
assurée par le mâle. L'éclosion des œ ufs s'étend sur deux jours. Le mâle et la femelle participent à
l’élevage des oisillons. Les jeunes prennent leur envol vers l’âge de 16 à 21 jours après l'éclosion,
mais demeurent quelques jours dans les branches autour du nid. Ils ne sont généralement plus
nourris par les parents 16 à 25 jours après leur envol.
La pie-grièche migratrice s'alimente d'invertébrés et de petits vertébrés. Il s'agit d'un oiseau
opportuniste dont les ressources alimentaires sont le plus souvent constituées des proies les plus
abondantes dans un milieu donné et à une période donnée. Les invertébrés, en particulier les
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insectes, constituent la ressource alimentaire dominante de l'espèce. Les criquets sont souvent
capturés. Les petits mammifères constituent aussi une ressource alimentaire importante qui peut
représenter jusqu'à 50 % du régime alimentaire selon la saison. La pie-grièche migratrice peut
également se nourrir de petits oiseaux.
Malgré son nom, la pie-grièche migratrice n'est pas toujours un oiseau migrateur. De façon
générale, les individus qui se reproduisent aux latitudes nordiques migrent tandis que ceux qui
nichent plus au sud sont sédentaires. Chez L. l. migrans et L. l. excubitorides, les deux sousespèces qui nichent au Canada, les oiseaux effectuent de véritables migrations.
Dynamique des populations
Le succès de nidification peut varier beaucoup d'une année à l'autre en raison du climat, de la
prédation, des sites de nidification utilisés et de l'abondance des ressources alimentaires. Les
oisillons et les œ ufs sont davantage sujets à la prédation. De plus, certains habitats semblent plus
propices à la prédation des nids. Les pies-grièches qui font leur nid dans des haies d'arbustes et des
brise-vent ont un succès de reproduction inférieur à celles qui nichent loin de ces endroits, par
exemple dans des arbustes isolés.
Le succès de reproduction de la pie-grièche migratrice est assez élevé; généralement entre 3 et
4 jeunes s'envolent par nichée réussie. Toutefois, bien que le succès d'envol des pies-grièches soit
assez élevé, il semble que seulement 2 ou 3 jeunes survivent durant les 3 à 4 semaines suivant leur
envol.
Le taux de survie des pies-grièches au cours de leur première année de vie est assez faible. Au
Minnesota, certains auteurs ont estimé les taux de survie des jeunes et des adultes et ils arrivent à
la conclusion que 47 % des adultes et 19 % des jeunes survivent annuellement. Ceci est nettement
insuffisant pour maintenir la population stable.
Au Québec, entre 1980 et 1989, la pie-grièche migratrice a niché à 13 reprises, mais elle n’a jamais
été trouvée nicheuse à plus de deux stations au cours d’une même année. Compte tenu de l’effort
consacré aux inventaires, de même que de la sensibilisation accrue des ornithologues québécois au
statut précaire de cet oiseau, la population québécoise de pie-grièche migratrice ne compte
vraisemblablement qu'un infime nombre de couples nicheurs aujourd’hui.
Facteurs limitants
Aucun facteur limitant n'explique à lui seul le déclin important de la pie-grièche migratrice en
Amérique du Nord. La perte d'habitats liée à la modification du paysage agricole, sur les aires de
nidification comme sur les aires d'hivernage, semble le facteur limitant le plus pertinent au déclin
de cette espèce.
L'évolution de l'agriculture au Québec a entraîné un changement de la configuration du paysage
agricole. L'augmentation de la superficie moyenne des terres cultivées, l'omniprésence de la culture
du maïs, la disparition graduelle des pâturages, des haies et des brise-vent ainsi que la régénération
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forestière des terres agricoles marginales sont autant de facteurs qui contribuent à limiter la
quantité d'habitats favorables à la nidification et à l’alimentation de la pie-grièche migratrice.
Cependant, tous les biologistes s'entendent pour dire qu'il reste encore plusieurs habitats propices
à la pie-grièche migratrice, au Québec comme ailleurs, et que ces derniers ne sont pas occupés. Il
est donc probable que d'autres facteurs contribuent au déclin de l'espèce.
Importance particulière
De toutes les pies-grièches, seules deux espèces nichent en Amérique du Nord et seule la piegrièche migratrice est endémique à ce continent. De plus, la sous-espèce migrans, celle qui niche
dans le nord-est du continent, dont au Québec, est la plus affectée par le déclin de l'espèce et
pourrait bientôt faire face à l'extinction. La pie-grièche migratrice constitue donc une espèce d'une
grande valeur biologique, d’un point de vue taxinomique et génétique.
Les pies-grièches occupent une niche alimentaire particulière parmi les passereaux; elles sont les
seules espèces carnassières de ce groupe. Il s'agit d'oiseaux de taille relativement petite, qui
capturent souvent des proies de poids considérable par rapport au leur, notamment d'autres
passereaux, ce qui est assez singulier. Toutes ces caractéristiques font des pies-grièches des
passereaux uniques d'un point de vue biologique et évolutif. Par ailleurs, certains biologistes
considèrent que l'espèce, en raison de sa niche alimentaire particulière et de son étroite association
avec les milieux agricoles, constitue une espèce indicatrice importante.
Le statut précaire de la pie-grièche migratrice suscite un intérêt particulier parmi les scientifiques
de l'ornithologie. Bien que peu connue du public en général, la pie-grièche migratrice présente un
défi intéressant pour les observateurs d'oiseaux du Québec qui aimeraient bien la compter parmi
leurs observations.
Les mesures de protection de la pie-grièche migratrice
La désignation d’« espèce menacée » constitue la reconnaissance officielle du statut précaire de
cette espèce au Québec. Celle-ci démontre également l’intention du gouvernement du Québec de
protéger cette espèce et ses habitats afin d’en assurer sa survie au Québec pour le bénéfice de
tous.
La Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs stipule qu’il est
interdit d’avoir en sa possession un oiseau migrateur vivant, ni la carcasse, la peau, le nid ou les
œ ufs de ce dernier. La pie-grièche migratrice étant inscrite à la liste des « oiseaux migrateurs
insectivores », cette loi protège donc directement l’espèce sur l’ensemble du territoire québécois.
Un plan de rétablissement de la pie-grièche migratrice
Devant la situation précaire de la pie-grièche migratrice au Québec, un plan de rétablissement a été
élaboré par le Service canadien de la faune. Sa mise en œ uvre a débuté en 1993. Le but de ce plan
est de maintenir ou d’accroître les populations sauvages de pies-grièches migratrices nicheuses de
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façon à ce que leurs effectifs permettent à cette espèce de ne plus être considérée comme une
espèce menacée.
Plusieurs travaux ont déjà été entrepris, dont le suivi de la population qui a permis de découvrir un
nouveau site de nidification à Brekenridge, et la qualification de l'habitat de nidification. De plus,
un programme d'élevage en captivité a été amorcé, dans un but éventuel de réintroduction.
Rangs et statuts
Quelques organismes publient une liste d’espèces pour lesquels un statut ou un rang de précarité a
été établit selon certains critères. Ces résultats sont regroupés ci-dessous selon l’échelle
considérée.
Échelle
Mondial
Canadien
Rang ou statut Définition
G4
Largement réparti, abondant et
apparemment hors de danger
mondialement mais il demeure des
causes d'inquiétude pour le long
terme
En péril
Espèce pour laquelle une évaluation
officielle détaillée du risque a été
effectuée et pour laquelle il a été
déterminé qu’elle risque de
disparaître de la planète ou de la
région
En voie de
Espèce exposée à une disparition ou
disparition
à une extinction imminente
Menacé*
Québécois S1
Organisme
Association for Biodiversity
Information (ABI)
Conseil canadien pour la
conservation des espèces en
péril (CCCEP)
Comité sur la situation des
espèces en péril au Canada
(COSEPAC)
La disparition de l'espèce est
Société de la faune et des
appréhendée
parcs du Québec
Sévèrement en péril dans la province Centre de données sur le
patrimoine naturel du
Québec (CDPNQ)
* statut légal
Sources d’information
Gauthier, J. et Y. Aubry (sous la direction de). 1995. Les oiseaux nicheurs du Québec : Atlas des
oiseaux nicheurs du Québec méridional. Association québécoise des groupes d'ornithologues,
Société québécoise de protection des oiseaux, Service canadien de la faune, Environnement
Canada, région de Québec, Montréal, xviii + 1295 p.
Johns, B., E. Telfer, M. Cadman, D. Bird, R. Bjorge, K. De Smet, W. Harris, D. Hjertaas, P.
Laporte, R. Pittaway. 1994. Plan national de rétablissement de la pie-grièche migratrice. Rapport
No 7. Ottawa : Comité de rétablissement des espèces canadiennes en péril. 38 p.
7
Robert, M et P. Laporte. 1995. Rapport sur la situation de la pie-grièche migratrice (Lanius
ludovicianus) au Québec. Service canadien de la faune. Série de rapports techniques. No 243.
61 p.
octobre 2001

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