Les mandats de Présidents et de Rettori interrompus avant terme

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Les mandats de Présidents et de Rettori interrompus avant terme
Les mandats de Présidents et de Rettori interrompus avant terme
Tant en France qu'en Italie, la loi ne prévoit pas que le président puisse faire l'objet d'un vote de
défiance en cours de mandat, l'obligeant à démissionner de ses fonctions. Les cas d'interruption de
mandat avant terme sont donc très minoritaires. Quelles en sont les circonstances ? Certaines
appartiennent au champ de la vie privée, de la trajectoire personnelle ; d'autres sont le résultat de
conflits au sein de l'université.
Certaines interruptions de mandat résultent de circonstances tragiques (mort du président de
l'université de Picardie en cours de mandat en 2001), pénibles (démission pour raisons de santé, cas du
recteur de Venise en fin de second mandat) 1 , incontournables (le président de l'université de Troyes
est atteint par la limite d'âge), juridiques 2 . A l'inverse, d'autres interruptions sont liées à des démissions
volontaires : saisir une opportunité. Au cours des 6 dernières années en France, 7 présidents ont quitté
la présidence de leur université parce qu'ils ont été nommés recteurs d'académie par le ministre, l'un l'a
quittée parce qu'il a été nommé au cabinet du ministre, un autre enfin a accepté une mission auprès des
instances européennes à Bruxelles.
D'autres démissions sont liées à des conflits entre le président ou recteur et ses conseils. Ceux-ci ne
peuvent obliger le président ou le recteur à démissionner. En Italie, des motions de défiance à l'égard
du recteur ont eu lieu à Rome et à Messine. Dans deux autres cas, dans deux universités privées, le
recteur, en conflit avec son administration et son conseil, a choisi de démissionner.
Le recteur Alberoni de l'université IULM de Milano, université libre de langues, avait des difficultés à faire
approuver ses projets de développement; il tente le coup de force en offrant sa démission, espérant qu'on la
refuse et qu'il se trouverait ainsi plébiscité pour mettre en œuvre sa ligne politique. Il s'est trompé ; sa démission
est acceptée et un nouveau recteur est élu, le recteur Puglisi que le recteur Alberoni avait fait venir dans
l'université pour la renforcer.
L'autre cas est celui de l'université libera LIUC à Castellanza, près de Milano. Il vaut d'être narré assez
longuement. Qu'est-ce qui amène un professeur d'économie à quitter une université publique pour participer à la
création d'une université privée enseignant l'ingénierie et l'économie ? A en devenir le recteur ? Et ensuite à
démissionner ? Démission parce que le recteur n'a pas réussi à imposer ses projets au conseil d'administration qui
dispose du vrai pouvoir, l'argent.
L'université est née en 1991 de la volonté des industriels de Varèse. "Il y a cette tradition de la Lombardie, des
employeurs Lombards de s'impliquer dans la formation supérieure (Politecnico, Bocconi). L'idée était d'associer
ingénierie et économie. L'ingénierie ? Mais le recteur De Maio a manœuvré pour empêcher une vraie
1
. André Daniel, président de l'université d'Evry Val-d'Essonne, fera, dans 3 ans au terme de son mandat, valoir ses droits à la
retraite. Il s'agit pour lui d'une démarche volontaire. Il n'a pas d'a priori pour ou contre le renouvellement du mandat
présidentiel. Il est le seul président interviewé à dire : "plutôt que d'être renouvelé dans un second mandat, la question est
plutôt parfois d'interrompre le mandat en cours : le travail de président est pesant, fatiguant ; il y a de très nombreuses
invitations ; il y a des périodes de déprime, de vague à l'âme devant les choses impossibles à réaliser. A l'inverse, la
présidence apporte des satisfactions (les petites choses résolues) et des compétences : l'agilité intellectuelle (pouvoir passer
d'un sujet à l'autre), un grand nombre de nouvelles connaissances ; c'est souvent grisant".
2
. Le recteur Racinaro de l'université de Salerno est poursuivi par la magistrature pour détournement de deniers publics et
autres délits mineurs pendant l’affaire de Tangentopoli. Il est mis en garde à vue pendant sa campagne de réélection au
rectorat de Salerno. Il est réélu par une majorité d'électeurs, mais il renonce et démissionne. L’enquête l’absoudra
complètement des délits majeurs, mais le recteur Racinaro renonce à la prescription pour les délits mineurs ; le procès se
poursuit donc.
concurrence de la LIUC par rapport au Politecnico de Milan ; il a toujours réussi à empêcher la création d'une
cinquième année d'ingénierie (le vecchio corso d'ingénierie était donc limité à 4 ans à la LIUC). Lancer
l'économie, c'était faire concurrence à la Bocconi".
L'ancien recteur Silva est arrivé à la LIUC très vite après la création de l'université libre. Il a été convaincu d'y
venir par Bussolati, qui venait du Politecnico di Milano et qui a été le premier recteur de la LIUC (de 1991 à
1996). Le recteur Silva a fait le Preside de la faculté d'économie, puis le pro-rettore. Il a ensuite été nommé
recteur par le conseil d'administration. A ce moment, il n'y avait que 3 ou 4 professeurs di ruolo. Il n'y avait pas
beaucoup de choix ; c'était son tour de faire le recteur ; de plus, il avait de bonnes relations avec tous les
enseignants. Il accepte d'être recteur pour réaliser des projets : "faire sortir l'université de son territoire
immédiat, tout en lui conservant sa petite taille ; éviter le localisme ; faire de la LIUC une université normale
mais petite ; renforcer l'international ; créer la faculté de droit (cela a été fait). Les autres projets étaient de
faire plus d'ingénierie économique, de faire décoller les masters".
Le recteur Silva croyait pouvoir réaliser ses projets. Il appréciait a priori le mode de gouvernement de
l'université privée : avoir des représentants extérieurs dans un conseil d'administration (les professeurs sont trop
corporatifs pour diriger une université). "Que le CdA soit une instance de contrôle forte, c'est également bon : le
recteur peut s'appuyer sur le refus de l'administration pour pouvoir dire non à certains professeurs. D'autre
part, c'est également très bien que le recteur ne doive pas s'occuper d'immobilier et de recherche de l'argent
pour payer les salaires". Le recteur Silva attendait quand même un plus grand équilibre des pouvoirs, que le
recteur puisse être un contre-pouvoir par rapport aux extérieurs ou qu'il puisse jouer un vrai rôle de médiateur.
Or il s'est heurté au pouvoir absolu de l'administration (en fait l'administrateur délégué et le directeur général),
qui intervenait sur tout : la nomination des enseignants, les corsi de laurea et leur contenu, et même les colloques
à organiser ou encore la couleur et la mise en page du guide des études pour les étudiants... Francesco Silva ne
pouvait de sa propre autonomie rencontrer les industriels ; il lui fallait toujours demander l'autorisation de
l'administration. Celle-ci aurait voulu que le recteur ne soit qu'un directeur de la production, qu'il ne s'interroge
pas sur la production faite et sur les objectifs. L'administration ne voulait pas de co-responsabilité. Elle voulait
contrôler sa petite entreprise artisanale.
Les conflits n'ont pas été constants pendant le mandat de deux ans. Francesco Silva reconnaît une erreur, celle
d'avoir voulu brûler les étapes, d'avoir voulu aller trop vite. Les 2 associations propriétaires ne voulaient pas
investir financièrement davantage. 2001, c'est l'année du conflit qui conduit à la démission. Avant de n'être pas
reconfirmé par le CdA pour un second mandat, le recteur Silva écrit sa lettre de démission. Le corps enseignant
partageait son point de vue, mais, comme dans une entreprise privée, personne n'a rien dit ; personne ne l'a
soutenu. La pierre d'achoppement a trait au lancement de la réforme didactique. L'université se finance sur les
droits d'inscription payés par les étudiants (l'Etat assure 10 à 20% du financement et les enti locali ne donnent
rien). Si la réforme s'avère efficace, les étudiants vont obtenir leur laurea triennale en 3 ans, 3 ans et demi. D'où
le risque : si la moitié des étudiants s'en vont après la laurea triennale, il y aura chute importante du nombre
d'étudiants et donc des finances qu'ils apportent. Francesco Silva propose donc de faire une campagne importante
pour attirer plus d'étudiants en 1ère année et ainsi d'arriver très vite à 3.000 étudiants pour éviter le risque
financier et être à même de financer le développement des laurea specialistice. Cette campagne de recrutement
n'a pas été faite. Les Associations propriétaires n'ont pas voulu investir ; elles ont voulu maintenir leur petit
orticello. C'en était trop pour le recteur ; il démissionne ; il est aujourd'hui professeur à l'université publique de
Milano Bicocca.
En France, le décalage des calendriers d'élection du président d'une part et des conseils d'autre part
fait que la période d'élection de nouveaux conseils peut être une période à risques pour le président en
cours, en milieu ou en fin de mandat. Deux cas de figure se présentent : soit les nouveaux élus l'ont été
majoritairement sur une ligne favorable à celle du président (les vice-présidents élus par les nouveaux
conseils sont vraisemblablement alors en accord avec le président ; celui-ci peut même leur avoir
proposé d'être candidats), soit les nouveaux élus l'ont été majoritairement sur des listes d'opposition
(les nouveaux vice-présidents risquent alors d'être en opposition avec le président). Dans ce cas, des
risques de conflit sont possibles, mais pas systématiques (des compromis peuvent être passés).
Dans tous les cas, il n'est pas juridiquement concevable que les conseils puissent faire tomber un
président et son équipe de direction. Il arrive cependant (mais très rarement) que des présidents
démissionnent, mais c’est exceptionnellement après une motion de censure votée par les conseillers
(seuls, les représentants étudiants osent quelquefois demander la démission du président ou d'un
membre de son équipe). Depuis 1997, 3 présidents ont présenté leur démission (aucun depuis 2002) au
terme d'une série de conflits ; dans ce cas, un administrateur provisoire est nommé par le recteur
d'académie : son rôle principal est d'organiser l'élection d’un nouveau président. Par ailleurs, 2
présidentes ont refusé de proposer leur démission.
Le premier cas de démission de président se déroule en 1997 à Paris X Nanterre et résulte d'un conflit
du président avec le ministère de tutelle sur une question qui concerne l'inscription d'une minorité
d'étudiants. La démission n'est pas demandée par les Conseils.
Observation participante 1997, université de Paris X Nanterre. Le président de l'université, Michel Imberty,
président de l'université pour la seconde fois après une interruption de 5 ans, démissionne. Le motif officiel est le
désaveu apporté par le ministère pour sa gestion d'un conflit avec les étudiants. Comme chaque année à Nanterre,
des organisations étudiantes veulent faire inscrire des étudiants "sans place" ou "hors délais", des étudiants
étrangers qui n'ont pas les titres requis et/ou qui n'ont pas satisfait aux tests de français et/ou qui ne sont pas en
situation régulière (absence de carte de séjour). Le président et son équipe appliquent les règles avec souplesse,
mais, ayant la loi avec eux, ils refusent de répondre positivement à toutes les demandes étudiantes. La situation
s'étant envenimée et la violence prenant pied sur le campus, le ministère nomme un médiateur pour essayer de
mettre fin au conflit; celui-ci cédera à quasiment toutes les demandes étudiantes. Le président de l'université
démissionne dans la foulée pour montrer son profond désaccord : "le refus de la règle fixée, un espace croissant
de non-droit mettant en péril l’autorité sont intolérables". A vrai dire cependant, la démission avait été précédée,
dans les mois qui ont précédé l'affaire, de plusieurs démissions dans l'équipe de direction : il était clair que des
tensions et des conflits existaient dans l'équipe. L'intervention du médiateur et ses conséquences constituent la
goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Le second cas de démission de président se déroule en 2000 et concerne l’université de Lille III.
Gérard Losfeld démissionne en janvier 2000, après quatre années de mandat et près d'une année de
conflits avec son conseil d'administration et ses vice-présidents démissionnaires. Philippe Rousseau est
élu en octobre 2000. Il explique ainsi la crise : le mode de gouvernement de son prédécesseur était
certes en cause, mais, plus fondamentalement, la crise institutionnelle révélait une crise majeure de
l'université, celle de n'avoir jamais su se constituer en université de recherche.
"Le président Losfeld n'avait pas eu une élection facile ; il avait été élu de justesse en 1996, après un nombre
important de tours de scrutin; son élection avait été obtenue grâce au soutien des personnalités extérieures. Deux
ans après son élection, les conseils ont été renouvelés. Ont été élus des candidats sur des listes en désaccord avec
sa manière de gérer l'université. Ces nouveaux membres des conseils voulaient réorganiser la politique et le
gouvernement de l'université sur des bases nouvelles. Dès 1998, la direction de l'université a été divisée. Une
partie de l'équipe de direction (les VP des conseils nouvellement élus) ont remis en cause les politiques des
équipes de direction précédentes. Tous les membres des listes opposantes ont démissionné des conseils. Le
président s'est donc trouvé isolé ; il a fonctionné en toute illégalité".
"En 1999, le président a continué à fonctionner malgré une demande de démission qui lui était adressée".
Philippe Rousseau dit avoir demandé au président Losfeld de reprendre la discussion avec les opposants par
l'intermédiaire d'un séminaire de travail. L'affaire ne s'est résolue qu'au début de 2000 avec la démission
conjointe du président et des membres des conseils. Il y a donc eu la nomination par le recteur d'un
administrateur provisoire dont le rôle a été de préparer les élections. Les conseils nouvellement élus devaient
donc trouver un successeur au président Losfeld ; mais les élections ont pâti du système de scrutin (à la
proportionnelle avec panachage). Les réunions pour élire le nouveau président n'ont pas réussi à en élire un ; un
administrateur provisoire est de nouveau nommé ; en octobre, c'était encore l'impasse. Le recteur d'académie se
posait des questions : 10 mois sans président, 1 an et demi sans direction de l'université. Les collègues de
Philippe Rousseau lui ont alors demandé de se présenter ; il n'occupait pas de responsabilité importante dans
l'université, mais était cependant membre du conseil d'administration. Il est ainsi candidat à cette élection lors du
4ème jour de scrutin et plus de 10 votes ; il est élu avec 70 voix, le quorum se situant à 57 voix, avec une majorité
confortable.
"La crise tenait certes à la personnalité du président, mais elle découlait également de contradictions profondes
dont certaines présentes dès la création de l'université en 1969. Lille III était le maillon faible des universités
lilloises. C'était une université de sciences humaines et sociales, mais elle avait perdu la sociologie et la
géographie lors de la création des 3 universités. La recherche ne pouvait pas être structurée, car il n'y avait pas
d'impulsion donnée par un secteur scientifique. En sciences sociales, la sociologie sait ce que c'est la recherche
collective, un programme de recherches, les coopérations internationales ; mais la sociologie était partie à Lille I.
Le vrai problème de Lille III, c'est qu'elle n'était pas une vraie université ; il n'y avait pas de recherche. A Lille
III, il y avait un déficit de stratégie de recherche collective. Il n'y avait que des réponses bricolées. Les
enseignants qui avaient de la réputation fondée sur la recherche ne restaient pas à Lille III".
Autre problème originel : "en 1969, l'université avait été décapitée : tous les professeurs chargés d'enseignement
avaient obtenu un poste à Paris ; étaient restés seulement quelques enseignants locaux, beaucoup d'assistants ; et
il y avait beaucoup de places au recrutement ; les exigences pour le recrutement n'ont pas été élevées ces annéeslà. Enfin, des contradictions sont apportées par le début des années 80. Les réponses à l'afflux d'étudiants ont été
des réponses pédagogiques : ouverture de nouvelles formations, mais le problème était de maintenir un statut
universitaire, avec de la recherche. Il y avait certes des objectifs de faire réussir les étudiants ou des compromis
sur la création de filières professionnelles ; mais, pour cela, il avait fallu créer de nouvelles composantes, ce qui
compliquait encore la structure de l'université et la cloisonnait". Face à ces constats, on n'est pas étonné que deux
des priorités du programme de Philippe Rousseau étaient la recherche et la restructuration de l'université.
Le troisième cas de démission (avril 2002) – université Marc Bloch Strasbourg - est largement
semblable au cas précédent : désaccord entre le président Daniel Payot (son mandat expirait en
septembre 2003) et la majorité des nouveaux conseils qui ont élu des vice-présidents ne partageant pas
ses orientations. Le cas se distingue du cas précédent parce que le conflit est plus court (4 mois) et
parce qu’un nouveau président, François-Xavier Cuche, est élu à peine plus d’un mois après la
démission de son prédécesseur. Pour le président Payot, le conflit porte sur l’idée même d’une
politique d’établissement, allant au-delà des intérêts particuliers des UFR.
"C’est fondamentalement l’idée même de politique d’établissement qui est incomprise ou contestée, de même que
m’est en fait reproché d’avoir, par une réévaluation explicite du rôle nécessaire d’une équipe de direction dans
une université moderne, affirmé la nécessité d’un gouvernement ou d’un exécutif fort"… Depuis les élections des
nouveaux conseils, "il n’existe plus d’équipe de direction constituée autour de l’objectif à réaliser, pas de ligne
explicite de politique d’établissement déterminant les actions à mener dans les mois qui viennent, pas de
calendrier précis des réalisations, pas de désignation des responsables ou coordinateurs projet par projet. C’est
là le principal témoignage de ce que la solidité de l’alliance tactique, qui a obtenu le rejet de plusieurs de mes
propositions pour la vice-présidence et des vice-présidences déléguées, ne s’est pas convertie en association
claire pour l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique d’établissement"… Mon maintien en tant que
président "risquerait désormais de constituer une cause de crispation des positions des uns et des autres,
crispation présentant elle-même le risque de dérapages que personne ne souhaite et qui ne profiteront à
personne".
Les deux autres cas de conflits n’ont pas conduit à la démission du président, ou plutôt de la
présidente. Est-ce un hasard si deux présidentes sont concernées ? Le conflit de l'université de Metz
est un conflit long : il dure toute la première partie de l’année 2001. Son originalité est la participation
des étudiants à la contestation contre la présidente. La présidente Marie-Jeanne Philippe, élue en
novembre 1998, très attaquée en interne mais très largement soutenue à l’extérieur, refuse de
démissionner ; elle demeure présidente jusqu'en octobre 2002. Ses opposants se sont inclinés : ont-ils
compris que les soutiens extérieurs dont bénéficient la présidente sont décisifs pour le devenir de
l’université ? Le contrat d’établissement signé dans la deuxième partie de 2001 est qualifié de "bon" ;
en 2002, l’université obtient un département d’IUT à Forbach, alors que la politique nationale est de
ne pas créer de département dans les villes qui n’en possèdent pas déjà un. Le soutien politique à un
haut niveau existait effectivement : en octobre 2002, un an avant la fin de son mandat, elle est nommée
recteur d'académie ; ce n'est pas une mauvaise sortie !
Conflit de l’université de Metz (2001). Fin janvier 2001, les 3 vice-présidents de l’université de Metz (Lorraine)
et les directeurs des 7 composantes de l'université demandent la démission de la présidente. Ils lui reprochent les
dysfonctionnements de l'établissement, l'impréparation des conseils, l'ambiance malsaine voire délétère qui règne
dans l'université, l'absence d'idée nette sur la vocation de l'université, les tergiversations en ce qui concerne le
contrat de Plan, les relations détériorées avec les collectivités territoriales, des maladresses qui confinent à
l'incompétence. 5 des 9 membres du bureau (équipe de direction) démissionnent également ; l'intersyndicale et
l'UNEF-ID rejoignent les opposants.
La présidente estime ne pas avoir manqué à ses devoirs et avoir défendu au mieux les intérêts de l'établissement
(dotations de postes obtenues). Elle défend sa conception des ambitions de l'université : prestige et qualité du
premier au troisième cycle, professionnalisation, renforcement de la recherche, moyens affectés aux filières de
qualité. Elle accepte le reproche d'avoir la tendance à être dirigiste, mais c'est pour arriver à faire bouger les
choses.
Le Recteur d'académie, le Préfet, le Conseiller d'établissement, le Directeur-adjoint de l'Enseignement Supérieur
(et donc le Ministère), la CPU, la ville de Metz, le Conseil général de Moselle, le Conseil régional de Lorraine
soutiennent la présidente. Des médiations sont organisées en vain : les opposants refusent d'y participer. Bernard
Belloc, 1er vice-président de la CPU (Marie-Jeanne Philippe est alors membre du bureau de la CPU), pose la
question de fond, celle du décalage des calendriers d'élection (décalage obligatoire car le président est élu pour
cinq ans et les conseils pour 4 ans) : "il y a un déséquilibre des pouvoirs au détriment du président, dû
notamment au décalage des différents mandats. Le président est élu pour cinq ans, contrairement aux directeurs
de composantes dont le mandat est renouvelable. Nous sommes dans un régime présidentiel parlementaire". La
CPU rappelle que "le débat démocratique implique en tout état de cause le respect des instances élues, de leur
mandat et de leurs compétences respectives, tels que définis dans la loi, s'agissant en particulier du mandat de 5
ans des présidents".
Le fonctionnement des institutions se délite progressivement. En février 2001, un Conseil d'Administration ne
peut se réunir faute de quorum (le conseil suivant peut se réunir sans que le quorum soit nécessaire, mais ne
décide rien). Il en va de même du Conseil scientifique. Dès lors, le budget ne peut être voté : c'est le recteur
d'académie qui le met en place début mars après avoir examiné les budgets des trois dernières années ; cette
procédure pénalise l'université car il s'agit bien évidemment d'un budget minimal, révisé à la baisse par rapport
aux propositions de la présidence. De même, la préparation du contrat d'établissement est perturbée.
Les étudiants se mettent en grève, revendiquent 200 postes de personnels administratifs, 250 postes d'enseignants
et 1000 chambres en cité universitaire; ils occupent la présidence et demandent la démission de la présidente. Au
terme d'une semaine de grève, une délégation est reçue par la directrice des enseignements supérieurs ; celle-ci
attribue des moyens, mais ne se prononce pas sur la démission demandée de la présidente. Le rectorat indique
qu'un expert désigné par le ministère va faire l'état des lieux en matière de conditions de restauration et de
logement à Metz et dans l'ensemble des sites. Le recteur invite les protagonistes au respect mutuel : il convoque
un directeur d'UFR qui, en assemblée générale, a appelé les étudiants "à reconduire la grève ou à remettre sur le
trottoir la présidente". La semaine suivante (mi-mars), 1.400 étudiants et enseignants viennent manifester à Paris:
une délégation est reçue par la DES, puis par le directeur du cabinet du ministre (la dotation contractuelle, hors
recherche, passe de 45 à 65 millions de francs). Le vice-président démissionnaire du Conseil d'administration
craint que la situation ne dégénère ; des incidents et des dégradations de locaux et de matériels se produisent en
effet à plusieurs reprises.
Un compromis semble pouvoir être trouvé fin mars 2001. Refusant de recourir à l'article 47 de la loi de 1984 qui
l'autorise à prendre, à titre exceptionnel, toutes dispositions imposées par les circonstances (exiger la démission
de la présidente), le recteur approuve le principe des démissions simultanées de tous les membres des conseils et
de la présidente ; il les attend pour la fin avril ; il nommera alors un administrateur provisoire pour organiser de
nouvelles élections. Mais, le 15 mai, le Recteur n'a pas reçu les 204 démissions attendues (seulement 100
démissions conditionnées à la démission de la présidente lui sont parvenues). Le VP du CA n'a pas
personnellement démissionné : "démissionner serait reconnaître ce que la loi ne dit pas, c'est-à-dire que le seul
pouvoir est celui du président et que les conseils ne sont que des chambres d'enregistrement".
Une situation de cohabitation s'installe : une convention réunissant les trois conseils a débattu du schéma de
services collectifs, des acquis du mouvement de mars, de l'affectation des postes obtenus, des nouveaux
départements d'IUT, des opérations inscrites au contrat de plan. Faute de quorum, le CA réuni auparavant n'a pu
voté des DBM ; tant pis, le recteur les arrête. La vie continue. La présidente reste en exercice jusqu'en octobre
2002. L’organigramme à cette date comprend une trentaine de responsables dont des chargés de mission non
membres du bureau du président ; ce bureau a été restructuré au cours de la période, sans que des opposants ne
soient démis ou ne s’en démettent.
Dans l’université de Montpellier 3 Paul Valéry, en juin 2002, le conseil d’administration vote à la
quasi-unanimité une motion de défiance à l’encontre de la présidente Michèle Weil, élue en 1998 et
dont le mandat vient à échéance en mai 2003. Une nouvelle fois, on se trouve dans une situation où un
président est confronté à des conseils nouvellement élus et qui s’opposent à la politique menée
jusqu’alors. Le vote de défiance fait suite à plusieurs autres "échecs" de la présidente : son candidat à
la Vice-Présidence du Conseil d’administration a été battu par le candidat de l’opposition, le nouvel
élu à cette fonction a démissionné. La raison du conflit tient à la répartition des pouvoirs entre le
président et les conseils : la motion de défiance reproche "un déni de démocratie à l’égard des
conseils" ; la présidente refuse de démissionner, "la motion de défiance n’ayant aucune valeur
réglementaire". Elle réussit à "tenir" et à terminer son mandat en mai 2003. Jean-Marie Miossec,
professeur de géographie, est élu pour lui succéder, mais à une faible majorité (73 voix, l'assemblée
des trois conseils comptant 140 membres).